(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 225) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Vermeire présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Pierre Lagache, ancien rédacteur sténographe des Chambres législatives de Belgique, demande la naturalisation ordinaire.»
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des meuniers et négociants à Opprebais demandent de pouvoir continuer à faire usage de balances romaines. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les commis greffiers près le tribunal de première instance de Charleroi demandent une augmentation de traitement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
MM. de Liedekerke et Deliége, empêchés par une indisposition, demandent un congé.
- Ces congés sont accordés.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Dans la séance du 22 novembre dernier, la Chambre a envoyé à la commission permanente de l'industrie une pétition de plusieurs habitants de Courtrai qui prient la Chambre de maintenir la loi qui prohibe les grains, les pommes de terre, etc., etc. ; ils demandent en même temps l'établissement de droits élevés sur la sortie du bétail, du beurre, des œufs, et des autres denrées alimentaires.
Le renvoi de cette pétition à la commission de l'industrie a été ordonné avant le dépôt du projet de loi sur les denrées alimentaires ; comme les sections se sont occupées de ce projet, qu'une section centrale est déjà formée, de plus, pour ne pas avoir deux discussions sur le même objet, la commission de l'industrie vous propose, par mon organe, le renvoi de la pétition de Courtrai à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur les denrées alimentaires.
- Cette proposition est adoptée.
M. Thiéfry. - Messieurs, la Chambre a invité la cour des comptes à lui présenter un rapport sur le moyen de mettre les recettes et les dépenses permises par le règlement du 1er février 1819, sur l'administration de l'armée, en harmonie avec la loi de comptabilité. Ce rapport nous a été distribué hier soir. Mais avant-hier, nous avons reçu une note du département de la guerre qui a pour but de faire voir que la comptabilité pour l'administration militaire doit rester ce qu'elle est.
Les conclusions de cette note n'étant pas conformes avec le rapport de la cour des comptes, je demanderai à M. le ministre de la guerre si cette note a été communiquée à la cour des comptes cl si celle-ci a pu rencontrer les objections présentées.
M. le ministre de la gierre (M. Greindl). - Pour répondre à l'interpellation de l'honorable M. Thiéfry, j'aurai l'honneur de faire connaître à la Chambre que la note en question a été remise à la cour des comptes.
M. Thiéfry. - Avant son rapport ?
M. le ministre de la gierre (M. Greindl). - Depuis le mois de mai.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Lessines, le 10 mai 1856, le sieur Jouret, ancien percepteur des postes, demande la révision.de sa pension.
Le pétitionnaire se plaint de l'exiguïté de sa pension qui a été fixée à 316 francs pour 35 années de service comme distributeur et percepteur des postes. Aujourd'hui qu'il est septuagénaire, il supplie la Chambre de bien vouloir ordonner la révision de sa pension.
Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa requête à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par sept pétitions différentes, les meuniers de Gand et des communes de cet arrondissement, de Renaix, Schuorissen et autres communes de l'arrondissement d'Audenarde, des communes de Pipaix et Gallaix, arrondissement de Tournai, et des communes du canton d’Oosterzeele, Hekelghem, Brabant, des communes de l’arrondissement de Termonde et enfin, les meuniers du canton de Beetteghem, demandent une modification à la loi sur les poids et mesures qui leur permette de continuer dans leurs moulins l'usage des balances romaines, ou au moins une disposition qui proroge, en leur faveur le terme accordé par la loi pour l'usage de ces balances romaines. Ils prétendent que l'usage des balances à bascule est impossible dans les moulins à vent construits en bois et tournant sur leur axe, à cause des mouvements oscillatoires continuels quand ils sont en mouvement. Ils disent qu’ils n'achètent ni ne vendent dans leur moulin, où aucune transaction n'a lieu, qu'ils n'y pèsent le grain et la farine que pour fixer le taux du salaire de la mouture, que l’usage de la balance romaine est aussi antique, que celui des moulins eux-mêmes, et que dans le moulin, ce moyen de peser est plus juste que celui de la balance.
Ils terminent en disant que la place nécessaire aux balances à bras et à bascule manque dans leur moulin, et par ces mots, ils osent espérer que le gouvernement leur permettra d'employer la bascule à queue et à poids fixe jusqu'aujourd’hui en usage par le gouvernement même, dans toutes les stations des chemins de fer de la Belgique et dont la grande justesse n'a jamais été contestée.
Votre commission, messieurs, tout en regrettant qu'on modifiât une loi nouvelle à peine en vigueur, mais considérant les inconvénients graves signalés par les pétitionnaires, croit pouvoir vous proposer le renvoi de leur requête à M. le ministre de l'intérieur.
M. Coomans. - Je viens appuyer de toutes mes forces les requêtes des meuniers, réclamant contre l'usage obligatoire des balances à deux plateaux. Ces balances occupent une très grande place dans leurs moulins où la place manque habituellement, et je pense qu'elles prêtent à la fraude autant que d'autres balances.
La balance romaine dont les meuniers se servent de temps immémorial, à la satisfaction du public, est un instrument ingénieux, facile, sûr, très familier à leurs clients.
On leur laisse l'usage de la balance à bascule ou à queue : mais outre que cette balance offre les mêmes inconvénients que la balance à deux plateaux, c'est-à-dire de prendre plus de place et d'être sensible aux oscillations du moulin, elle coûte plus chère ; elle exige, des poids assez nombreux, des réparations fréquentes, et prête également à la fraude.
Je ne sais, messieurs, si la loi que nous avons faite, ou plutôt que vous avez faite, car je ne l'ai pas votée, prohibe l'emploi de la balance romaine. J'aime à croire que non. On m'assure que la chose est douteuse et très contestable. J'engage le gouvernement et les honorables membres qui ont fait cette loi à l'interpréter dans un sens libéral, à ne pas vexer inutilement les meuniers et leurs chalands et à ne pas faire intervenir inutilement le gouvernement dans des circonstances où son action est vexatoire et où elle ne profite aucunement au contribuable.
Je le répète, la balance romaine est un progrès réel relativement aux anciennes balances à deux fléaux, et la proscrire c'est marcher à reculons. D'ailleurs, c'est imposer aux meuniers une formalité impraticable. La place manque déjà dans les moulins La grande balance avec une foule de poids ne peut pas être facilement maniée, du moins ne peut pas l'être par un seul homme. Il en faut plusieurs. A quoi bon prescrire cette perte de main-d'œuvre ? D'ailleurs le public est satisfait de ce qui se passe. Ce ne sont certainement pas des mesures vexatoires, je le répète, et inutiles, qui lui donneront plus de garanties. Je demande donc avec l’honorable rapporteur que la requête soit renvoyée à l'honorable ministre avec demande d'explications promptes et décisives ; je dis promptes et décisives, car l'usage de la balance romaine est interdit à partir du 1er janvier prochain.
M. Rodenbach. - Messieurs, je crois que les doléances de nombreux meuniers qui nous ont adressé les pétitions sur lesquelles il vient d'être fait rapport, sont fondées. L'arrête royal permet d'employer encore la balance romaine jusqu'au 1er janvier. Mais après cette date, les meuniers sont forcés de faire usage des balances à bascule ou à bras égaux. Comme l'honorable préopinant vient de vous le dire, dans les moulins construits en bois, il y a impossible de faire usage des balances à fléau et à bascule, et à l'impossible nul n'est tenu. Il paraît que dans ces moulins il n'y a pas d'espace comme dans les moulins construits en pierre.
D'ailleurs pourquoi la loi a-t-elle voulu prohiber la balance romaine ? C'est parce qu'on a cru que les meuniers pouvaient facilement frauder avec cette balance. Mais en France la balance romaine est toujours en usage. En 1837 on a fait une loi nouvelle en France et l'on a permis la continuation de l'usage de la balance romaine. Elle porte des divisions par kilogrammes et sert à peser de 50 à 100 kilogrammes. On peut avec cette balance établir les poids exacts à 5 grammes près.
Je sais que la loi étant votée, elle doit être exécutée.
M. Coomans. - La loi ne dit pas cela.
M. Rodenbach. - Si la loi est muette à cet égard, tant mieux. Mais il y en a qui prétendent, et le ministre est de cet avis, qu'elle n'est pas complètement muette. Dans tous les cas puisqu'il y a des (page 226) inconvénients pour les meuniers dont les moulins sont construits en bois et qu'il n'y a pas davantage pour les consommateurs, il faut absolument prendre une mesure et il faut le faire avant le 1er janvier prochain, puisque c'est alors que l'arrêté royal cesse d'avoir ses effets.
Remarquez, messieurs, que la balança romaine à poids curseur est en fer et est peu sujette à subir l'influence atmosphérique. En outre il ne faut qu'un seul poinçonnage, ce qui est une grande économie de temps pour les agents de la vérification.
J'appuie de toutes mes forces les requêtes des meuniers. On ne peut pas vouloir l'impossible.
M. Magherman. - Je viens également appuyer les pétitions sur lesquelles il vient d'être fait rapport. Les considérations présentées par les honorables préopinants me permettront d'être très court.
Messieurs, pour que nous soyons saisis d'un si grand nombre de pétitions, il faut réellement qu'il y ait quelque chose de fondé dans les griefs des pétitionnaires.
Et, en effet, messieurs, pour ceux qui connaissent les usines auxquelles les pétitions se rapportent et principalement les moulins à vent en bois et sur pieux, il faut convenir qu'il est à peu près impossible de faire usage des balances à bras, qui exigent un si grand espace. Quant aux bascules, il est impossible qu'elles fonctionnent dans ces usines, où il y a là des oscillations continuelles.
Je ne pense pas, messieurs, qu'il soit nécessaire d'apporter la moindre modification à la loi sur les poids et mesures pour faire droit aux doléances des pétitionnaires. La mesure dont ils se plaignent résulte d'un arrêté royal, qui tolère seulement jusqu'au 1er janvier prochain l'usage des balances romaines. Or, je pense qu'il est très possible d'approprier la balance romaine au système décimal. Elles peuvent être vérifiées et poinçonnées comme tout autre instrument de pesage. Si l'on agissait dans ce sens, on accorderait une facilité aux meuniers et le public aurait les garanties désirables.
J'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur cet objet et je le prie de s'en occuper le plus tôt possible, car le délai fixé par l'arrêté royal expire le 1er janvier prochain.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, comme le délai pendant lequel on peut encore faire usage des balances romaines expire d'ici à quatre semaines, le gouvernement n'a pas attendu le rapport de la commission des pétitions pour se préoccuper de l'objet dont vous entretiennent de nombreux pétitionnaires.
Je suis donc à même de fournir, dès aujourd'hui, les explications que la Chambre désirerait avoir relativement aux réclamations des ailleurs des pétitions sur lesquelles l'honorable M. Vander Donckt vient de faire rapport.
Messieurs, avant la loi de 1855 sur les poids et mesure, notre législation s’était toujours uniquement préoccupée des mesures et des poids ; aucune disposition n’était appliquée aux instruments de pesage. Celait une lacune fort importante ; car la fraude peut se pratiquer, non seulement par l'usage de poids et mesures délictueux, mais encore à l'aide d’instruments de pesage imparfaits.
Il s'agissait donc de combler une lacune. Cette lacune a été comblée par la loi du 1er octobre 1855. Un arrêté royal du 9 du même mois, pris en exécution de cette loi, a autorisé l'usage de deux espèces de balances généralement employées dans le pays, les balances à bras égaux, les balances à bascule pour objets pondéreux. Mais le gouvernement qui s'était entouré des lumières d'une commission spéciale composée des hommes les plus compétents dans cette matière, a cru nécessaire de proscrite, à partir du 1er janvier 1857, l'usage des balances dites romaines.
Messieurs, cet instrument peut être très ingénieux pour l'époque où il a été inventé ; mais il date de loin ; son nom l'indique ; et qu'aujourd'hui la proscription de cet instrument constitue un pas rétrograde, cela est insoutenable. Il est de fait, au contraire, de l'aveu des hommes de science, connue des hommes de pratique, qu'il n'y a pas d'instrument de pesage qui donne plus de facilité à la fraude que la balance romaine.
Cela se comprend : le moindre mouvement qu'on fait subir au poids curseur qui sert de bascule, peut établir une grande différence dans le mesurage de l'objet qui est à l'autre bras de la balance. On constate même que pour le pesage d'un objet du poids de 100 kil., le moindre déplacement du poids curseur, le déplacement d'un millimètre, peut établir une différence de 2 kil. Voilà ce que dit la science, et je crois que l'expérience de tout le monde vient confirmer les données de la science.
Je pense, en conséquence, que le gouvernement a eu parfaitement eu raison de proscrire en général l’usage de la romaine, et je ne crois pas que quelqu'un conteste la légitimité de la décision du gouvernement.
Maintenant y a-t-il lieu de faire une exception pour les meuniers ?
Nous allons rapidement examiner cette question.
Quelques-uns de ces industriels disent que le gouvernement ne peut pas appliquer à leur industrie la loi sur les poids et mesures et sur les instruments de pesage, parce qu'ils ne font pas de transactions au moulin.
C'est là un véritable jeu de mots. Il est évident que la meunerie est une industrie à laquelle s’applique l'article 4 de la loi. Cet article dit que la loi sur les poids et mesures doit s'appliquer partout où les poids et mesures sont employés aux transactions ou servent de base à des perceptions à charge des particuliers.
Ainsi les meuniers tombent, comme les autres industriels, sous l'application des dispositions de l'article 4 de la loi sur les poids et mesures. Nous savons tous ce qui se pratique dans ces moulins. On y apporte des céréales qui sont converties en farines, et, le salaire du meunier se règle sur la quantité de farine produite. Ainsi, il est évident que cet instrument de pesage sert ici à une transaction, à une perception à la charge de particuliers.
On ne peut donc pas soutenir raisonnablement que la loi n'est pas applicable aux meuniers.
Subsidiairement, les meuniers font valoir notamment deux considérations à l'appui de leur réclamation.
Lorsque j'ai reçu les premières réclamations des meuniers, j'ai voulu m'éclairer moi-même d'une manière toute particulière ; j'ai de nouveau réuni la commission qui avait été consultée par le gouvernement pour l'arrêté royal, relatif aux instruments de pesage. Je lui ai soumis les pétitions qui m'étaient arrivées jusqu'alors, afin qu'elle voulût bien examiner ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans les réclamations des meuniers.
Au mois d'août cette commission m'a adressé un rapport dont la conclusion est que plus que jamais elle devait insister sur la stricte exécution de l'arrêté royal du 9 octobre 1855, et qu'il y a impossibilité d'admettre une exception pour l'emploi de la romaine par les meuniers, cette balance offrant trop de facilité à la fraude pour que l'usage puisse en être toléré pour aucune industrie.
Sur ces entrefaites, d'autres pétitions encore m'arrivèrent de divers côtés.
Je me décidai, le 17 octobre dernier, à les envoyer de nouveau à la commission et à soumettre la question à un nouvel examen ; ce qui vous prouve que j'ai compris dés lors la nécessité d'une instruction complète et que j'ai sincèrement voulu m'éclairer et rendre la loi aussi peu vexatoire que possible.
La commission m'adressa son deuxième rapport sous la date du 28 novembre : elle persista dans ses conclusions.
Je crois utile de publier ce rapport de la commission à la suite du présent discours.
Voici comment la commission détruit les objections faites au nom de la meunerie.
On dit, d'abord, que dans les moulins à vent il n'y a pas d'emplacement suffisant pour les balances à bras égaux.
Il peut y avoir une légère différence entre l'emplacement qu'exigent les deux balances, mais elle est insensible. D'abord, on ne se sert pas constamment de balances dans un moulin, par conséquent, les balances sont appendues aux parois du moulin, et ne causent pas d'encombrements.
Et puis dans beaucoup de moulins, les romaines ont une forme telle, une dimension telle, d'après les rapports des vérificateurs, qu'elles occupent un emplacement aussi grand que les balances à bras égaux. Cette objection n'est donc pas fondée.
Examinons la deuxième objection, qui consiste à prétendre que, par suite de l'ébranlement continuel des moulins à vent, la balance à bras, égaux n'offre pas assez de précision à cause des oscillations qu'elle éprouve.
Cette observation s'applique également, et à plus forte raison, à la romaine ; car le mode de suspension est le même et le moindre déplacement du poids curseur occasionne une grande différence dans l'appréciation du poids de la marchandise pesée.
Les deux objections faites sont donc sans fondement sérieux.
Pour m'en convaincre davantage, j'ai voulu consulter les faits qui se produisent dans quelques-unes de nos provinces. Constatant que les réclamations n'arrivaient que des Flandres et de deux ou trois cantons du Hainaut, j'ai voulu faire la contre-épreuve et voir ce qui se pratique dans d'autres parties du pays.
J'ai appris officiellement, par les vérificateurs des poids et mesures,, que, dans les provinces de Liège, de Namur, de Luxembourg, on ne connaît pas l'usage de la romaine, et que dans tous les moulins à vent qui existent dans ces provinces (où, il est vrai, il en existe peu, la plupart étant mus par l'eau) on se sert, sans le moindre inconvénient,, des balances à bras égaux.
Ou peut donc dire que la moitié du pays par ses usages proteste contre les réclamations qu'on nous adresse au nom d'un usage consacré dans une autre partie du pays.
Messieurs, d'où viennent donc les réclamations des meuniers ? Je comprends ces réclamations faites au nom des habitudes séculaires d'une industrie. Il est regrettable, sans doute, de devoir contrarier les habitudes d'une industrie ; mais la loi des poids et mesures déroge à beaucoup d'habitudes. Si vous croyez qu'il y a un intérêt pour les consommateurs d'avoir plus de précision dans les instruments de pesage, vous devez admettre les dispositions de la loi, même quand elles doivent déroger aux habitudes d'une partie de nos populations.
Nous sommes à une époque de transition. C'est la première fois, comme je le disais en commençant, qu'on applique le poinçonnage aux instruments de pesage. Nous rencontrons ici les oppositions que l'on a rencontrées lorsqu'on a introduit la législation sur les poids et mesures.
(page 227) Je ne suis pas étonné de ces réclamations. Mais j'espère que la Chambre prêtera main-forte au gouvernement dans le maintien des dispositions de la loi.
Loin de moi la pensée qu'il ne faut pas faire tout ce qui dépend de l'administration pour rendre la loi aussi peu vexatoire que possible. Mais aussi il ne faut pas déclarer à la légère que la loi est mauvaise, et aussi longtemps qu'elle existe, il faut l'appliquer impartialement envers et contre tous.
M. de Smedt, rapporteur. - Il me semble que M. le ministre de l'intérieur ne veut pas répondre au désir des pétitionnaires d'obtenir que l'on continue à tolérer les balances romaines.
Il serait fort audacieux à moi de contester l'opinion de savants qui ont décidé que la balance romaine est la plus défectueuse qui existe. Mais qu'est-ce donc que la balance à bascule ? C'est la balance romaine renversée. La balance romaine, c'est le principe de toutes les balances ; c'est le levier.
Dans tous les moulins à vent, à eau ou à vapeur, en pierre ou en bois, c'est de la balance romaine qu'on se sert, parce que c'est la seule balance avec laquelle on peut peser avec toute commodité et que l'on peut peser avec assez de vitesse pour répondre au besoin de servir le public ; toutes les autres balances ne présentent point le même avantage.
Si les autres balances étaient à préférer, certainement que depuis longtemps on aurait abandonné les romaines. Mais c'est parce qu'il n'y a pas possibilité dans les moulins à vent et surtout ceux construits en bois, de faire usage d'autres instruments à peser qu'on est obligé de conserver les balances romaines.
L'honorable ministre de l'intérieur a répondu aux objections que l'on a faites contre l'emploi de la balance à bras, qu'elle n'occupe pas plus de place que la balance romaine, c'est une erreur. En effet, en quoi consiste la balance romaine ? En un simple levier qui a une épaisseur d'un pouce et une longueur de trois pieds, plus ou moins. On peut la mettre dans un coin, tandis que pour la balance à bascule, il faut une place carrée, une grande place pour qu'elle puisse bien manœuvrer, ce qui ne se trouve pas toujours dans les moulins construits en bois.
Quand une balance à bras n'est pas bien fixée, elle ne conserve pas son centre de gravité, ne peut peser avec justesse ; elle est folle comme on le dit à termes de balances.
Comme on vient de le dire, il y a impossibilité physique de se servir d'autres balances que la balance romaine dans les moulins en bois, parce que, comme ils sont constamment ébranlés, la balance constamment ébranlée par les oscillations du moulin ne serait pas juste : une fois qu’une balance à bras a perdu son centre de gravité, elle n'est plus juste du tout !
Je ne parle pas des balances à bascule, qui ne peuvent être employées que pour les poids d'une cinquantaine de kilogrammes, tandis que dans les moulins on pèse ordinairement des poids de 20 à 30 kilogrammes.
Comme on l'a dit, les Français ont conservé la tolérance des balances romaines. Cependant pour qu'elles soient vérifiées et poinçonnées il faut qu'elles répondent à une sensibilité d'un à cinq cent.
Cependant c'est de France que nous vient le système métrique, l'on doit savoir dans le pays ce que l'on doit pouvoir faire pour introduire ce système ; ici on veut faire l'impossible, on veut déranger tout à fait une industrie, et cela sans aucune bonne raison.
De sorte qu'en France, toutes les balances romaines qui sont présentées à la vérification sont vérifiées, et après vérification on les poinçonne, et elles sont légalement en usage. Je le répète, dans ce gouvernement on sait bien ce que l'on fait.
Quel est le but de la loi ? D'introduire le système métrique ; eh bien, il n'y a pas pour cela de meilleur moyen que la balance romaine. J'en appelle à tous ceux qui en ont fait l'expérience.
Comment se sert-on de la balance à bras ? Il est vrai que quand le fisc est venu, vous prenez des poids décimaux, mais une fois qu'il est sorti, on emploie d'autres poids. C'est ce qu'on ne peut pas faire avec la balance romaine. Quand elle est graduée par kilogrammes et par grammes, on doit la maintenir. C'est le seul moyen d'introduire le système métrique, parce qu'on ne peut trouver un moyen de tromper le lise, on ne peut remplacer le levier d'une balance qui est gradué métriquement, on est nécessairement obligé de suivre le pesage d'après le système métrique.
Ce que j'ai dit de la balance à bras, je puis le dire des bascules, qui certainement n'obligent pas à suivre le système métrique. Si des poids décimaux sont en présence quand les employés du fisc viennent faire leur visite, dès qu'ils se sont retirés, on emploie d'autres poids. C'est pour vous dire que les balances bascules ne sont pas un moyen efficace aussi certain que les romaines pour faire admettre le système métrique.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Smedt, rapporteur. - Permettez que je finisse, l'objet en vaut bien la peine, et il me semble que l'on ne doit pas ainsi mépriser le droit du pétitionnaire, et surtout pour un objet qui, comme je viens de le dire, est d'un intérêt majeur pour une industrie qui certainement est bien étendue, et qui est bien d'un intérêt général.
Si M. le ministre reste dans son opinion de ne pas laisser faire usage de la romaine dans les moulins à vent construits en bois, je ne sais pas comment on fera ; je suis curieux, et très curieux de voir arriver le fisc quand il y aura lieu de faire remplacer les romaines par une bascule ou par une balance à bras, et je suis aussi très curieux de voir comment le public recevra cette nouvelle mesure. Car, faites-y bien attention, dans tous les ménages des campagnes se trouvent des balances romaines, et c'est ainsi qu'on a la facilité de contrôler le pesage aux moulins.
Ce n'est pas uniquement aux moulins que la romaine est en usage et je pourrais même dire indispensable, mais je. dois le dire aussi pour certains marchés. A nos marchés de fils et de lin, qui se font en plein air, on ne fait usage que de balance romaine, on achète et on pèse le fil au marché, chaque marchand a sa balance près de lui ; pourra-t-on le faire avec d'autres balances ? Tout le monde dira non.
Au marché au lin à Gand, on a voulu placer une balance à bras pour l'usage général des marchands, on n'en a pas fait usage, la balance a été abandonnée et elle a été retirée du marché ; je demanderai donc à M. le ministre quel moyen il va indiquer à ses agents pour remplacer les petites balances romaines à ces marchés de lin et de fil.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Je demande à la Chambre la permission de comprendre dans mon rapport deux pétitions qui m'ont été remises depuis que la commission a arrêté son rapport.
Je demande que ces pétitions soient comme les autres renvoyées à M. le ministre de l'intérieur.
M. Coomans. - J'espère bien, au nom du respect que nous devons au droit de pétition, qu'on daignera s'occuper, pendant dix minutes, de la demande de quelques milliers de pétitionnaires, de quelques milliers d’industriels qui viennent se plaindre, avec infiniment de raison, selon moi, des vexations dont ils sont l'objet, et je ne comprends pas ces interruptions au milieu de discours d'orateurs qui présentent de bonnes observations comme l'a fait l'honorable M. de Smet : je ne comprends pas ces murmures, surtout de la part de la gauche, c'est-à-dire de la part d'orateurs qui sont toujours les premiers à parler de liberté.
J'avoue que je ne comprends pas cette liberté qui consiste à nous fermer la bouche, à nous autres qui défendons un principe de liberté. (Interruption ) Oui, je défends la liberté contre les envahissements de la bureaucratie... (Interruption), contre l'intervention exagérée du gouvernement dans l'industrie et le commerce. Je demande qu'on maintienne le droit des orateurs et que M. le président rappelle à l'ordre ceux qui troublent le silence.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Coomans. - Vous demanderez la clôture quand j'aurai fini.
- Un membre. - Nous la demandons maintenant.
M. de Naeyer. - On ne peut demander la clôture quand un orateur a la parole.
M. Coomans. - Je maintiendrai mon droit, M. le président, et je dirai tout ce que j'ai à dire, malgré les murmures de quelques membres. Je parlerai d'autant plus longtemps qu'ils crieront davantage... Puisqu'on se tait, je continue.
Chaque fois qu'il s'agit de restreindre l'action du gouvernement dans des circonstances où, selon moi, il n'a que faire, on est sûr de rencontrer l'opposition des fonctionnaires qui vivent de cette intervention. C'est très simple ; l'honorable ministre est allé à confesse chez le diable. (Interruption.)
Il a demandé à ses fonctionnaires directement intéressés dans le problème, quel était leur avis. Cet avis ne pouvait être autre que celui qu'ils ont donné. Ils trouveront toujours qu'ils ne se mêlent jamais d'assez de choses, et chaque fois qu'ils pourront étendre le cercle de leurs attributions, ils le feront, tantôt aux dépens de notre liberté, tantôt aux dépens de notre bourse, je veux dire du budget.
Si donc l'opposition de l'honorable ministre ne repose que sur les raisons qui lui ont été données, je suis certain qu'il y renoncera bientôt, car il en reconnaîtra le peu de fondement. Eh quoi ! Des inspecteurs des poids et mesures, des vérificateurs diplômés viennent nous dire sérieusement, dans des rapports officiels, que la balance romaine occupe autant de place que la balance à deux plateaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - A peu près.
M. Coomans. - L'à-peu-près est encore une grosse inexactitude, il s'en faut des trois quarts au moins. Vos deux plateaux doivent être assez forts pour supporter des sacs ; le fer qui porte les plateaux doit avoir une force égale et vous voulez que cet instrument n'occupe pas plus de place que l'autre, qui peut se mettre en poche ! Une pareille assertion est incroyable, venant surtout de la part d'employés des poids et mesures. J'engage l'honorable ministre à les renvoyer au moulin. (Interruption.)
Voici les observations que j'ai faites et qui sont fondamentale.
La grande balance de fer à deux plateaux exige une place qu'on n'a pas dans les moulins à vent, où la place est rigoureusement mesurée et où vos énormes balances n’ont jamais eu accès.
En second lieu, cet instrument exige un grand nombre de poids, ce qui se comprend, tandis que la balance romaine n'en exige pas.
En troisième lieu, le mouvement d'oscillation est tel, qu'il prête à l’erreur, sinon à la fraude.
Voilà nos arguments, et je ne les considère pas comme détruits par le rapport dont l'honorable ministre nous promet la publication et que j'attends moi-même avec curiosité.
(page 228) On a dit également à l'honorable ministre qu'il suffirait d'un millimètre d'erreur dans une balance romaine pour occasionner une erreur de trois kilogrammes dans le pesage. Je voudrais bien que les auteurs de cette absurdité la signassent.
Lorsqu'on prétend que la balance romaine occupe autant de place que la balance à poids, on part de l'hypothèse inadmissible que le bras de la balance romaine est aussi long ou à peu près que les deux demi-bras de la balance à fléau. Or, en allongeait le levier, on peut, avec la balance romaine, peser aussi exactement qu'avec la balance la meilleure. Cela se comprend. Les marques s’écartent et les petites divisions peuvent s'établir. Donc, lorsque vous voulez obtenir une grande exactitude avec la balance romaine, vous devez l'allonger. Mais lorsqu'on veut nous prouver que la balance romaine est vicieuse, on la suppose très courte et l'on dit qu'il suffit d'une erreur d'un millimètre pour faire tort de 3 kil. au paysan ; cette erreur ne peut se produire que sur les balances courtes, sur les leviers très courts. Il ne faut pas confondre. Voulez-vous de longues balances romanes ? Vous aurez l'exactitude qui diminuera à mesure que votre morceau du bois ou de fer se raccourcira.
Messieurs, j'insiste. J’engage M. le ministre à examiner la question de plus près et, je le répète, à ne pas vexer inutilement des milliers d'industriels qui réclament avec raison, et des milliers de chalands et de contribuables qui ne réclament point contre la pratique actuelle. Mêlons-nous de ce qui nous regarde ; nous en avons déjà bien assez. L'intervention exagérée du législateur dans le commerce et l'industrie est la maladie de l'époque ; elle crée de grandes difficultés au gouvernement, elle contrarie tout le monde sans profit pour personne ; elle indispose le public, elle supprime sa liberté, elle grossit le budget et ne sert que les intérêts d’une armée de fonctionnaires. Je voudrais bien qu'on nous donnât, dans le cercle des intérêts matériels, un peu de la liberté dont nous jouissons largement dans le cercle des intérêts moraux, et qu'on cesse enfin de nous garrotter plus étroitement avec des lois et des circulaires à mesure que nous grandissons et vieillissons. Toutes ces innovations despotiques sont contraires à l'essence de la Constitution belge et je me vante de les avoir toujours repoussées.
M. F. de Mérode. - Messieurs, j'en ai déjà fait l'observation plusieurs fois, A force de réglementer toute espèce de choses, bien que cela ne se fasse pas dans les pays voisins, notamment en Angleterre et en France, on finit par compenser plus ou moins les libertés politiques dont nous jouissons et dont ne jouissent pas les autres peuples. Car enfin il ne faut pas seulement à l'homme des libertés politiques, il lui faut aussi des libertés usuelles. Or, à force de réglementer, on nous met dans une condition pire que les autres nations voisines.
D'où nous vient toute cette organisation des poids et mesures que nous avons ? Nous l'avons prise à la France. C’est la France qui a inventé cela et nous l'avons copiée Eh bien, la France n'a pas encore eu l’idée de supprimer la balance romaine. Pourquoi voulons-nous la supprimer ? Faisons comme le peuple qui a inventé le système et n’allons pas au-delà.
Les savants aiment à faire de la science et ils en font à un point que les particuliers qui ont à agir, non pas scientifiquement, mais dans la vie ordinaire, s’en trouvent lésés.
On avait organisé une école vétérinaire en France, nous l'avons de nouveau imitée ; mais nous avons été beaucoup plus loin qu'elle Les Français ont formé des vétérinaires savants, mais ils ont permis aux cultivateurs de recourir à vétérinaires pratiques. Ici on interdit cette faculté.
On a établi l'école vétérinaire et on est venu nous imposer la défense de faire usage de vétérinaires autres que ceux qui sortaient de cette école. Voici maintenant que c'est l'usage de la balance romaine que l'on proscrit.
Quant à moi, je ne puis accepter ce régime pour mon compte ; il me semble que M. le ministre de l'intérieur, qui se déclare toujours très libéral, devrait comprendre qu’il y a d'autres libertés que les libertés politiques, et ne pas verser si facilement dans toutes les prohibitions que voudrait nous imposer la science.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, il ne s'agit pas ici de se montrer libéral ou non libéral, il s'agit d'exécuter la loi.
M. F. de Mérode. - Faisons la loi ; faisons-la bien.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Nous l'avons faite ; il s'agit de l'exécuter, et l’interruption de l’honorable comte de Mérode me met sur la voie d'une observation générale.
C'est que les honorables membres, qui soutiennent les prétentions des industriels dont il s’agit, sont précisément ceux qui ont combattu la loi sur les poids et mesures. En effet, toutes les objections qu'on nous présente aujourd'hui, on a dû les faire et on les a faites contre la loi.
Un autre résultat auquel on arrive et qui a dû vous frapper aussi, c'est que les défenseurs de la balance romaine critiquent la proscription de cette balance non seulement pour les meuniers, mais pour les industriels. L'honorable M. de Smet, comme l’honorable M. de Mérode, comme l'honorable M. Coomans, sont allés jusqu’à demander que l'on puisse se servir de la romaine, non seulement dans les moulins, mais partout.
M. F. de Mérode. - Comme en France. Ou n'a qu'à imiter les Français.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Ce n'est pas pour le plaisir de vexer les populations que le gouvernement a proposé cette loi et qu'il veut l'exécuter aujourd'hui.
C'est parce qu'on croit, messieurs, qu'il y a un grand intérêt social qui est ici en jeu. Ainsi, quand nous avons fait la loi sur les poids et mesures, nous avons voulu protéger le consommateur au point de vue de la quantité, de même que, quand nous avons fait la loi sur les falsifications des denrées alimentaires, nous avons voulu le protéger au point de vue de la qualité. C'est bien là un intérêt social très important.
Je pense, messieurs, que quand il s'agit de mesures de ce genre il faut savoir peser les avantages et les inconvénients el se décider selon que, la balance penche du côté des inconvénients ou du côté des avantages.
Voici, messieurs, le deuxième rapport de la commission consultées par moi le 17 octobre, sur les réclamations des meuniers :
Bruxelles, le 28 novembre 1856.
A M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre,
L'article premier de l'arrêté royal du 9 octobre 1855 porte que les instruments de pesage dont l'emploi est autorisé, sont :
1° Les balances à bras égaux ;
2° Les balances bascules.
L'article 2 spécifie eu outre que les balances bascules seront établies de manière à donner un rapport exact de 1 à 10 ; en d'autres termes, il permet que le poids mesurant ne soit que la dixième partie du poids mesuré.
En stricte rigueur, et pour les pesées délicates, les balances à bras, égaux offrent seules des garanties suffisantes d'équité. En effet, le poids mesurant est ici égal au poids mesuré ; par suite, les erreurs inévitables que présentent la construction de l'instrument, l'ajustement des poids, l'opération du pesage, etc., rejaillissent sur le résultat en simple grandeur, et sans être amplifiées. D'ailleurs, en transposant de plateaux le poids et l'objet auquel il faisait équilibre dans une première pesées rien n'est plus simple que de vérifier, par la seconde pesée, la justesse d'une balance à bras égaux.
Il n'en est pas de même de la balance bascule : le poids indicateur n'étant que la dixième partie du poids de la marchandise, les erreurs, dont nous venons de parler sont agrandies, quant au résultat de la pesée, dans le rapport de 1 à 10. En outre, par suite de la construction même de l'instrument, sa justesse absolue ne peut pas se vérifier par la méthode si simple de la double pesée, que nous avons indiquée plus haut.
Néanmoins, comme la balance bascule gagne en commodité ce qu'elle perd en précision, et comme un grand nombre de transactions commerciales ne réclament pas une exactitude mathématique, le gouvernement belge, à l'exemple du gouvernement français, a cru pouvoir permettre l'usage légal des balances bascules. Mais en exigeant que leur portée fût au moins égale à 50 kilogrammes, il a empêché, par cela même, que le principe de la bascule ne fût appliqué à la construction de petits instruments, et que l'usage de cette balance ne s'étendit aux pesées délicates.
Les romaines (balances à bras inégaux, et à poids curseur) ne sont pas rangées au nombre des instruments de pesage dont l'emploi est autorisé par l'arrêté royal mentionné en tête de ce rapport. En prescrivant leur usage, le gouvernement a dû s'attendre à des réclamations de la part de deux catégories d'individus :
1° Les industriels construisant des romaines, qui se voient privés de la fabrication et de la vente d'un des produits de leur industrie ;
2° Les commerçants auxquels un emploi exclusif et prolongé a rendu cet instrument de pesage si familier, qu'ils en sont venus à le croire indispensable.
Ce désagrément, M. le ministre, est inséparable de toute période de transition. Les hommes ne renoncent pas, sans résistance, à d'anciens usages, pour en accepter de nouveaux, quelque justes, quelque avantageux même que puissent être ces derniers.
La commission spéciale instituée par votre arrêté du 23 mai dernier, a déjà eu l'honneur de vous exposer sommairement, M. le ministre, les inconvénients inhérents à la construction des romaines, inconvénients, qui ont fait proscrire, en France comme en Belgique, l’emploi de ces instruments. Permettez-lui d'en lire ici dans quelques nouveaux développements à ce sujet.
Les deux bras de la romaine sont très inégaux : l'un, court et massif, sert à équilibrer, autour du point de suspension du fléau, l'autre bras qui est mince et beaucoup plus long. Dans les instruments de cette espèce, employés par nos meuniers, et dont vous avez bien voulu, M. le ministre, nous communiquer la description, le poids curseur varie de 1 à 5 kilogrammes, et est appelé à équilibrer les fardeaux de 100 kil. et au-delà ; de sorte que les erreurs inévitables, dont il a été question précédemment, sont amplifiées dans le rapport de 1 à 20 au moins, et peuvent l'être dans le rapport de 1 a 100. En outre, la double pesée étant impossible, la moindre variation (accidentelle ou volontaire) soit (page 229) dans la longueur du petit bras du levier, soit dans le moment de sa masse par rapport au point de suspension, est de nature à entraîner les erreurs les plus graves ; supposons, par exemple, que le petit bras de levier sort de 5 centimètres, et le grand de 1 mètre : si la longueur du premier est altérée de 1 millimètre seulement, l’erreur, sur une pesée de 100 kilog., s'élève à 2 kilogr.
De plus, dans l'emploi de la balance ordinaire et de la bascule, l'acheteur qui assiste à une pesée n'a besoin, si l'instrument est exact, que de s'assurer de la valeur des poids placés dans le plateau ; tandis que, pour la romaine (supposée exacte) il doit non seulement vérifier le poids, qui représente de 20 à 100 fois sa valeur réelle, mais encore faire sur le grand bras de levier la lecture de la division à laquelle ce poids a été arrêté : or, cette dernière opération n'est pas facile pour tout le monde et peut donner lieu à des abus.
Telles sont, M. le ministre, les raisons que la commission croit devoir apporter à l'appui de la prohibition dont les balances romaines sont frappées par l'arrêté royal du 9 octobre 1855. Pour achever de satisfaire aux demandes exprimées par votre dépêche rappelée en marge de ce rapport, il lui reste à examiner les arguments à l'aide desquels un grand nombre de meuniers sollicitent l'autorisation de continuer l'emploi des romaines, et â vous exposer les motifs pour lesquels elle croit que la prohibition légale ne doit pas être levée en faveur de ces derniers.
Ces arguments se réduisent à deux, savoir :
1° L'impossibilité, à défaut d'espace, de faire usage d'autres instruments que les romaines, dans les moulins à vent qu'ils exploitent.
2° Les inconvénients que présenterait, dans ces sortes de moulins constamment ébranlés par le mouvement des ailes, l'emploi de balances à bascule ou à bras égaux.
Les réponses de la commission seront de deux espèces : les unes déduites du simple raisonnement, les autres de l'expérience.
1° L'espace occupé par le fléau d'une balance ordinaire n'est pas plus considérable que l'espace occupé par le fléau d'une romaine. On voit, par les rapports des vérificateurs des poids et mesures que le grand bras de certaines romaines, employées par des meuniers dans leurs moulins, a jusqu'à 1 mètre 50 cent. de longueur. Le fléau des plus fortes balances ordinaires n'atteint pas cette dimension.
Le mode d'attache et de support du fardeau à peser est le même, (ou peut l'être) dans les deux espèces d'instruments.
La seule différence en faveur de la romaine, c'est que sou second bras ne supporte qu'un petit poids, tandis que celui de la balance ordinaire doit pouvoir supporter un poids do 100 kil. ; mais l'espace gagné par cette différence est certainement insensible.
2° Le système de suspension du fléau est identiquement le même pour les deux espèces de balances que nous comparons, les ébranlements du moulin doivent les affecter également toutes deux, pourvu qu'elles soient également sensibles, également oscillantes. Si cet ébranlement n'a pas d'effet sur les romaines des meuniers, il faut en conclure qu'elles sont inertes, paresseuses, et par conséquent impropres à fournir de bonnes pesées. Nous préférons croire cependant que les meuniers réclamants s'exagèrent en réalité l'influence que l’ébranlement des moulins peut exercer sur les balances à bras égaux : nous citerons plus loin des faits à l'appui de notre opinion.
Pour ce qui est des balances bascules, la surface de leur tablier n'est pas plus considérable que la base du sac de farine que les meuniers ont à peser ; et comme elles sont moins oscillantes que les balances à fléau (motif pour lequel la loi leur accorde une tolérance double), nous ne voyons pas comment leur emploi serait rendu impossible par les ébranlements du moulin.
Pour entrer dans le second ordre d'idées que nous avons annoncé, celui qui invoque les faits et l’expérience, il nous suffira, M. le ministre, de citer quelques extraits des rapports que les vérificateurs des poids et mesures ont adressés aux gouverneurs des provinces, et que vous nous avez fait 1 honneur de nous transmettre par dépêches du 4 et du 12 novembre courant, 5° division, n° 1966'/93. Ces extraits donnent une pleine confirmation aux raisons que nous venons d'exposer. Voici quelques passages que nous extrayons de ces documents :
Arrondissement de Dînant.
Presque tous les meuniers de mon ressort se servent de la balance à bras égaux, ou de la bascule ordinaire.
Arrondissement de Namur.
Il existe dans mon arrondissement fort peu de balances de l’espèce (romaines), généralement reconnues, d'une part, ne pas offrir assez de garanties d'exactitude, et de l'autre présenter des difficultés dans l'appréciation des pesées.
Arrondissement de Liège.
Je ne pense pas qu'un seul meunier du ressort de vérification de Liège fasse usage d'une balance romaine dans ses transactions commerciales, il en est même fort peu qui possèdent une bascule. Ils ont tous soumis des balances à bras égaux à la vérification, notamment les meuniers qui exploitent des moulins à veut.
Arrondissement de Huy.
Les meuniers exploitant, dans le ressort de Huy, soit des moulins à vent, soit des moulins à eau, ne se servent d'aucune espèce de balance romaine : ils n'ont présenté à la vérification que des balances à bras égaux et des balances bascules.
En résumé, la commission pense, M. le ministre, que les raisons et les renseignements qui précèdent sont de nature à justifier :
1° La prohibition dont les balances romaines sont frappées par l'arrêté royal du 9 octobre 1855 ;
2° Les conclusions du rapport qu'elle a eu l'honneur de vous adresser dans le mois d'août dernier, au sujet des requêtes adressées au gouvernement par divers meuniers.
Recevez, M. le ministre, l'expression de notre profond respect.
(Signé) Liagre, Stas, T’Kint.
M. de Naeyer. - La commission a proposé le renvoi des pétitions à M. le ministre de l'intérieur.
M. Coomans a proposé que le renvoi ait lieu avec demande d'explications.
- Plusieurs membres. - Les explications sont données !
D'autres membres. - L'ordre du jour !
M. Coomans. - J'avoue que les explications sont données, mais je proteste contre les cris : à l'ordre du jour, qui me semblent attentatoires au droit de pétition.
- Le renvoi à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.
M. Van Overloop dépose un feuilleton de projets de lois relatifs à des demandes de naturalisations.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce feuilleton et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, avant de continuer la discussion du budget de la justice, je viens donner à la Chambre les explications demandées par l'honorable M. Orts, relativement à une mesure prise contre le nommé Coquyt.
Dans chaque pays, le séjour des étrangers, de ceux qui sont réputés tels, est soumis à certaines précautions. La Belgique a suivi cet exemple, c'est son droit et c'est même un devoir de conservation pour elle. Pour assurer ce droit, pour se donner cette sécurité, l'administration de la sûreté publique a prescrit à toutes les autorités judiciaires et administratives de transmettre au département de la justice tous les rapports concernant la conduite des étrangers et notamment le compte rendu des poursuites auxquelles ces individus seraient exposés et surtout des condamnations qu'ils auraient encourues. C'est ainsi que se forme au département de la justice le dossier de chaque étranger, une espèce de compte courant, si je puis m'exprimer ainsi, où se trouvent à la fois son actif et son passif.
C'est, messieurs, ce qui a eu lieu pour l'individu dont nous parlons. La première fois que le département de la justice a connu le nom de cet individu, c'était le 28 mai 1845. A cette date je recevais du directeur de la prison de Gand le bulletin prescrit par l'administration et portant que le nommé Coquyt avait encouru une peine de 15 jours d'emprisonnement, du chef du délit de pêche. Ce bulletin, messieurs, arrivait au département de la justice par la raison que Coquyt apparaissait à l'autorité judiciaire et a l'autorité communale, au directeur de la prison, comme étranger ; sinon, le bulletin ne serait pas arrivé.
Les choses restèrent dans cet état plusieurs années, et ce n'est que le 14 février de l'année courante que l'administration de la sûreté publique reçut de nouvelles indications concernant l'individu qui figurait dans ses cartons comme étranger et qui y avait son dossier. Cette fois-ci, messieurs, le bulletin judiciaire transmis par le procureur du roi de Gand, le 1er mars 1856, annonçait que cet individu venait d'être condamné à 14 jours d'emprisonnement du chef de vol.
Jamais, messieurs, la qualité de Belge n'avait été invoquée par cet individu, ni devant l’autorité communale, ni devant l'autorité judiciaire. On savait une chose, c'est qu'il était né en Hollande, de parents qui y habitaient.
On avait en face de soi un individu signalé par toutes les autorités comme étranger, c'est-à-dire comme né à l'étranger, de parents dont la nationalité devait être supposée étrangère. Lui-même n'a jamais réclamé la qualité de Belge.
C'est, messieurs, dans cette situation que M. l'administrateur de la sûreté publique me proposa un arrêté d'expulsion contre cet individu parce qu'il rentrait spécialement dans les termes d'une disposition de la loi du 22 septembre 1835, c'est-à-dire qu'il avait commis un délit prévu par cette loi et même qu'il avait été de ce chef condamné à un emprisonnement. Je crus devoir admettre cette proposition qui devint l'arrêté royal du 16 août 1856. Cet arrêté fut notifié suivant la formule habituelle à l’individu qu'il concernait. Ici encore la qualité de Belge ne fut pas invoquée par lui. L'autorité locale, qui alors encore fut (page 230) appelée à s'expliquer, n'indiquait pas davantage qu'il fût Belge ni qu'il eût invoqué cette qualité.
Je dirai en passant, messieurs, que c'est à la signature de l'arrêté royal du 16 août 1856, que cesse mon intervention directe dans l'affaire. Je fais cette observation sans vouloir en aucune manière décliner la responsabilité de ce qui s'est fait ultérieurement ; je constate seulement que depuis le 16 août 1856, je n'ai plus eu à m'occuper personnellement de l'affaire.
Coquyt, ainsi expulsé, rentra en Belgique le 27 octobre ; c'était commettre un nouveau délit, le délit prévu par l'article final de la loi du 22 septembre 1855, qui punit d'une peine de 6 jours à 6 mois d'emprisonnement un individu expulsé qui enfreint son ban ou qui rentre dans le pays.
L'administration de la sûreté publique, informée de cette infraction, renvoya les pièces au procureur du roi compétent. Ceci se passait à la fin d'octobre.
La détention de l'individu paraît avoir duré un certain temps, car je ne retrouve de trace de condamnation que vers la fin de novembre, c'est là un très long délai que je ne puis m'expliquer en l'absence de toute pièce, de tout renseignement sur cette affaire purement judiciaire.
En effet, que la Chambre veuille bien le remarquer, il ne s'agit nullement dans cette poursuite de savoir si l'individu est Belge ou n'est pas Belge, mais il s'agit de savoir si l'individu a enfreint la loi qui l'empêche de rentrer dans le pays.
Ce qui me frappe cependant, c'est que l'inculpé a dû être interrogé par le juge d'instruction ; s'il était ou s'il se croyait Belge, il eût invoqué alors sa qualité, et le juge d'instruction se fût sans doute empressé d'en informer M. l'administrateur de la sûreté publique.
Le département de la justice reste donc étranger à cette poursuite jusqu'à la fin d'octobre.
Pendant l'instruction, l'avocat de Coquyt écrit de Gand, sous la date du 21 novembre, une lettre adressée à M. l'administrateur de la sûreté publique, et dans laquelle je lis notamment ceci :
« Coquyt est né à Philippine (Hollande), le 3 octobre 1819. Peu de temps après sa naissance, ses parents sont allés habiter la Belgique (commune de Watervliet).
« Jacques Coquyt a été soumis en Belgique à la conscription militaire et a servi en qualité de milicien dans le 4e régiment de ligne.
« Après l'obtention de son congé il a continué à résider en Belgique, pays qu'il habitait depuis 1820, il s'y est établi, s'y est marié et y a aujourd'hui femme et enfants.
« La gendarmerie belge a conduit Coquyt à la frontière. Cet homme s'est rendu à Philippine et n'a pu obtenir la permission d'y résider.
« M. le bourgmestre de Philippine soutient que Coquyt ayant servi en Belgique comme il conste du congé qui lui a été délivré le 24 mars 1842 il a, aux termes du traité de 1839, cessé d'être Néerlandais. Il a donc été ramené de la Hollande en Belgique.
« Aujourd'hui Coquyt, se trouve à la maison d'arrêt de Gand sous la prévention de rupture de ban d'expulsion.
« L'affaire ayant été appelée le 19 de ce mois, elle a été remise à huitaine après que j'eusse pris l'engagement de vous écrire à cet égard. Coquyt ayant toujours habité la Belgique depuis 1820 et y ayant servi comme milicien, peut-il être expulsé aujourd'hui comme étranger ? »
Vous voyez par cette lettre même que pour l'avocat de Coquyt cet individu n'est pas Belge ; son avocat lui-même le considère comme étranger ; seulement il se demande si, pour avoir servi dans l'armée belge, il n'a pas acquis un certain droit de séjourner dans le pays ; l'avocat demande à l'administration d'intervenir, non pas parce que Coquyt est Belge, mais par des raisons d'humanité, parce qu'il a longtemps résidé en Belgique, parce qu'il s'y est marié, parce qu'il a servi dans l'armée belge. Or, le fait d'avoir servi dans l'armée belge ne donne pas à un individu la qualité de Belge.
L'administration de la sûreté publique, recevant cette lettre, la transmet le 27 novembre à M. le procureur du roi à Gand, dans les termes suivants :
« Je crois devoir tous communiquer la lettre ci-jointe qui m'a été adressée par M. l'avocat Van Hoorebeke, de votre ville.
« Les antécédents du nommé Coquyt ne m'étaient point inconnus, mais il y a lieu de remarquer que si cet individu a perdu sa qualité de Néerlandais d'après les lois de son pays, il n'a point acquis la qualité de Belge. Dès lors son expulsion est tout à fait légale et je ne puis provoquer la révocation de cette mesure.
« Je vous prie de vouloir bien me renvoyer la lettre ci-jointe en me faisant connaître le résultat des poursuites, entamées contre ledit Coquyt. »
J'oubliais de dire à la Chambre que lorsque l'administration de la sûreté publique a invité M. le procureur du roi à Gand de poursuivre le délit de rupture de ban, elle enjoignait en même temps à la gendarmerie de conduire à la frontière l'individu en question, lorsqu'il aurait vidé son débat avec l'autorité judiciaire, c'est-à-dire soit après son acquittement, soit après l'expiration de sa peine, en cas de condamnation. Cette marche a été constamment suivie, depuis plus de vingt ans, dans le but d'éviter au trésor des frais inutiles.
Du moment que l'autorité judiciaire a prononcé sur le fait de la rupture de ban, soit par l'acquittement (ce qui arrive par exemple lorsque l’expulsé n'est revenu sur le territoire que par suite d'une force majeure), soit qu'il ait accompli le terme de sa peine, on l'expulse immédiatement. On donne l'ordre de l'expulsion, en même temps qu'on donne à l'autorité judiciaire l'ordre de le poursuivre.
C'est aussi ce qui a eu lieu dans cette affaire. Le jugement d'acquittement de Coquyt n'a été connu à l'administration de la sûreté publique que le 2 décembre, c'est-à-dire trois jours après que l'ordre d'expulsion était exécuté.
Informé du motif qui avait déterminé le renvoi des poursuites, M. l'administrateur de la sûreté publique s'est préoccupé de cette situation et le même jour, 2 décembre, il a écrit au procureur du roi :
« Par votre lettre du 1er de ce mois, n°15876, vous m'informez que le nommé Coquyt, Jacques, a été acquitté de la prévention de rupture de ban d'expulsion par le motif qu'il est né de parents belges.
« Je vous prie de vouloir bien me donner communication des preuves au moyen desquelles la nationalité de cet individu a été établie. »
Voilà, messieurs, dans quelles circonstances l'affaire se présente pour l'administration de la sûreté publique : un jugement semble reconnaître à Coquyt la qualité de Belge. Je dis semble parce que je n'ai pas le jugeaient sous les yeux, l'honorable M. Orts ne l'a probablement pas eu plus que moi, il ne connaît les faits que d'une manière officieuse.
La Chambre voudra bien reconnaître que le jugement est du 27 novembre, le ministère public se trouve encore dans les délais d'appel ; cet appel a-t-il été interjeté ou le sera-t-il ? Je n'en sais rien ; ce que je sais, c'est que la nationalité de Coquyt est douteuse, j'incline même à croire qu'il est étranger.
Voilà ce que j'avais à établir devant la Chambre, c'est que l'expulsion de cet individu se présentait dans des conditions régulières, normales, pour l'administration de la sûreté publique. Cet individu était pour elle un étranger dont la qualité n'avait jamais été mise en doute. La seule chose que l'on sût c'est qu'il était né à l'étranger de parents dont on ne connaît pas même la nationalité.
S'il y a eu une erreur, elle sera redressée ; du reste, une erreur est possible, vu le grand nombre des affaires de ce genre ; elle a certainement été commise de bonne foi ; il n'y a eu aucune espèce de négligence à reprocher à l'administrateur de la sûreté publique.
M. Frère-Orban. - Quel était le motif de l'expulsion ?
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Le vol !
Je tiens en main le bulletin de la condamnation, et j'y trouve à l'indication de la nature de la prévention : vol de bois ; dans le langage judiciaire cela ne signifie pas maraudage.
M. Frère-Orban. - Quelle est la date de la condamnation ?
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Le 14 février.
M. Frère-Orban. - Et l'arrêté d'expulsion est du mois d'août.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Le délai du 5 mars au 9 août a été rempli par une correspondance entre l'administration de la sûreté publique et l'administration communale de Bouchaute.
Au surplus vous ne feriez probablement pas un crime au gouvernement d'avoir accordé quelque délai à un individu avant de l'expulser.
(page 233) M. Orts. - M. le ministre de la justice croit que la Chambre doit se montrer satisfaite des explications qu'elle vient d'entendre. Je ne sais si la Chambre se montrera aussi facile que le voudrait bien M. le ministre de la justice, j'en doute ; mais il y a quelqu'un, j'en suis sûr, qui sera très peu satisfait : c'est le malheureux, injustement, illégalement, inconstitutionnellement emprisonné pendant un mois et expulsé deux fois de son domicile, sans qu'il ait encore, à l'heure qu'il est, recouvré la faculté d'y rentrer, sous peine de démêlés avec les gendarmes.
Et c'est en Belgique que cela se passe, sans forme de procès ! Que cela s'excuserait sous prétexte qu'en cette matière des erreurs sont faciles à commettre ! Je demande que deviennent alors nos garanties, que devient le respect des droits de chacun de nous, que devient le respect du domicile, le respect des décisions de la justice ? Il ressort à toute évidence de cette affaire, qu'on procède en matière d'expulsion avec une inconcevable légèreté, une légèreté que je m'explique pourtant s'il est vrai que M. le ministre procède par an à 500 ou 600 expulsions par arrêtés royaux. C'est au Moniteur, mais je ne puis le croire.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Si j'ai dit cela, c'est que j'ai incomplètement rendu ma pensée ; j'ai voulu dire que le ministre ordonnait l'expulsion et que l'administration empêchait l'entrée de 500 à 600 étrangers par an ; et depuis je me suis assuré que ce chiffre est même plus élevé.
M. Orts. - Ceci regarde les agents inférieurs de l'administration. Je ne pense pas que le ministre intervienne personnellement dans ces sortes d'affaires, lorsque aucun arrêté royal n'est pris.
Je répète donc que les expulsions en Belgique se font avec une incroyable légèreté. En effet, sur quoi s'est-on fondé pour expulser l'individu dont il s'agit ?
En 1845, cet homme subit une condamnation à quelques jours de prison pour délit de pêche ; vite on expédie à l'administration de la sûreté publique un bulletin annonçant que cet homme, qu'on qualifie d'étranger, a commis un délit de pêche. L'administration, pour reconnaître s'il est Belge ou étranger, ne se donne plus la peine de consulter quelque document que ce puisse être. En 1856, onze ans après, un arrêté d'expulsion est pris contre lui, parce que dans un bulletin rédigé par un agent infime de l'administration, il a été désigné comme étant né sur le territoire étranger.
Comme s'il ne pouvait pas y avoir des centaines, des milliers de Belges, nés par accident sur un territoire étranger. Fallait-il se borner à pareil renseignement alors surtout qu'il s'agit d'un individu dont la naissance remontait à 1819, époque à laquelle le lieu de sa naissance était un territoire ne faisant qu'un avec la Belgique, alors qu'il s'agit d'un village éloigné de la frontière belge de quelques kilomètres tout au plus, et qu'on sait qu'entre les villages-frontières de deux pays il s'établit des relations telles, que les habitants passent indifféremment d'un pays dans l'autre.
Mon, c'est sur un document de cette nature qu'on expulse, après onze années, sans explications ultérieures, sans recherches sur la nationalité, sans se donner la peine de faire l'enquête la plus simple, l'enquête que ferait le juge civil le moins scrupuleux, avant de prononcer la condamnation la plus minime.
Si encore l'on avait eu devant soi un de ces grands coupables, de ces.grands perturbateurs dont la présence compromet la tranquillité publique, je comprendrais un mouvement du précipitation, je comprendrais une mesure de ce genre, quelque illégale qu'elle pût être, et je n'en parlerais peut-être pas la Chambre. Mais non encore ! un misérable vol de bois entraine une condamnation à quelques jours de prison. Vite un arrêté d'expulsion ! On procède d'urgence, et entre le motif de cet arrêté et l'arrêté d'expulsion on met un intervalle de plus de quatre mois, entre le motif et l'exécution de la mesure, six mois.
Le temps permettait évidemment de s'enquérir si réellement il y avait moyen d’expulser légalement. La chose ne pressait pas si fort, ce me semble, de l'aveu de l'administration elle-même.
Remarquez-le, messieurs, des explications de M. le ministre de la justice il résulte qu'on aurait dû être quelque peu scrupuleux. L'administration savait que l'homme à expulser avait habité la Belgique dès son enfance et sans interruption, qu'il avait épousé une Belge, qu'il en avait des enfants nés en Belgique, que lui-même il avait payé à la patrie belge cette délie du sang qu'elle ne réclame que de ses enfants. Mille raisons commandaient d'y regarder à deux fois.
El il était bien facile d'éclaircir la vérité ; car le dossier, expédié de Bruxelles à Gand contient l'acte de mariage de Coquyt ; il suffisait de s'adresser aux autorités de la commune où avait eu lieu le mariage, pour obtenir des indications qui vous auraient empêché de commettre la faute impardonnable que vous avez commise.
A ce point de l'historique, M. le ministre nous dit : Voilà comment les choses se sont passées jusqu'au 16 août, date de l'arrêté d'expulsion. A dater de cet instant, la responsabilité directe de l'administration vient, d'après lui, à cesser. C'est faire trop bon marché des devoirs de l'administration et des droits de la Chambre.
J'appelle précisément l'attention de la Chambre sur ce qui s'est passé dans cette affaire à dater du 16 août.
Et quoi que vous en ayez dit, M. le ministre de la justice, votre responsabilité ne vient pas à cesser le moins du monde quand vous avez obtenir sur un arrêté d'expulsion la signature du Roi et que vous l'avez contresigné.
A qui donc appartient la responsabilité de l'exécution des mesures que vous avez eu l'honneur de proposer à la signature royale ? Vous avez contre signé précisément pour que la signature royale que vous avez provoquée ne soit pas compromise dans l'exécution. Au ministre signataire de l'arrêté incombe cette responsabilité, et je ne comprends pas qu'il puisse la décliner ou la renvoyer au-dessous de lui. Le ministre couvre ses fonctionnaires devant les Chambres. Nous connaissons le ministre, nous ne connaissons rien après lui.
Et d'ailleurs, M. le ministre, votre administration centrale a cherché à mettre sa responsabilité parfaitement à couvert. Elle sentait que le terrain était glissant.
Dans les lettres de l'administrateur de la sûreté publique adressées au procureur du roi de Gand, vous demandez de vous faire connaître le jugement qui interviendrait, afin d'agir en conséquence. Pourquoi avez-vous abandonné cette voie ? Pourquoi êtes-vous revenu à la légèreté qui avait présidé aux débuts de cette affaire ?
Que me fait maintenant la question de savoir si cet homme a jamais réclamé sa qualité de Belge quelque part ? La lui a-t-on d'abord jamais contestée en face ? On dit : L'avait-il réclamée cette qualité avant l'arrêté d'expulsion ? Simple cultivateur, l'homme ne sait ni lire, ni écrire ; les gens de sa classe savent-ils qu'un gendarme ne peut conduire des Belges à la frontière ? Un homme de cette sorte, un journalier illettré ne connaît pas les lois aussi bien qu'un habitant des villes, aussi bien que ceux qui se donnent la mission de les étudier ou de les exécuter ; ils ignorent que la qualité de Belge est la condition à laquelle est subordonné le pouvoir discrétionnaire du gouvernement en matière d'expulsion.
L'avocat qui l'a défendu devant le tribunal de Gand, l'a cru étranger, ajoute-t-on, il n'a pas réclamé pour son client la qualité de Belge avant le jour de l'audience. Je le crois, des documents officiels qualifiaient : Coquyt d'étranger. Jusqu'à preuve contraire, nous avons l'habitude de croire à l'exactitude des documents officiels. Il paraît qu'à l'avenir (l'événement le prouve), nous ferons bien d'y regarder à deux fois. L'avocat s'est trompé comme nous l'eussions fait à sa place. Mais l'administration de la sûreté publique avait à sa disposition des documents que n'avait pas l'avocat ; ces documents lui permettaient de s'éclairer sur l'état civil de et individu. Elle ne s'est point éclairée, là est la faute, la légèreté, l'incurie.
Maintenant, le fait grave quel est-il ? C'est après l'expulsion de Coquyt du territoire hollandais et son arrestation pour rupture de ban sur le territoire belge, de ne pas avoir attendu que la décision du juge dans cette affaire fût définitive, pour procéder de nouveau à l'expulsion.
Voilà votre tort grave ; voilà le tort de votre administration, celui dont vous avez surtout à répondre devant nous.
Et lorsque cette faute dernière fut commise, le jugement de Gand avait averti.
L'ordre d'expulsion aussitôt après un jugement d'acquittement avait été envoyé d'avance sans prévoir le cas d'un acquittement fondé sur l'illégalité de la mesure. Faute nouvelle ! Mais elle n'est pas la seule.
Tenez, M. le ministre de la justice, vous avez l'expérience du parquet et des mesures que le parquet prend pour s'assurer l'incarcération des individus et l'exécution des jugements correctionnels. Expliquez-moi donc d'une manière intelligible pour vous et pour moi, comment il peut se faire que vos gendarmes ont été reprendre, sans autre permission que l'ancien ordre donné un mois auparavant, un individu incarcéré dans la prison de Gand et mis à la disposition du procureur du roi, et cela avant que la justice se fût définitivement prononcée, alors que l’individu appartenait au procureur du roi et non à la police administrative ! Le procureur du roi était seul maître du prévenu écroué, il avait le droit de conserver cet homme en prison s'il allait en appel ; il avait le droit de le maintenir en prison pendant un certain, temps, durant le délai d'appel, avant de se décider. Et c'est dans cet état de choses que vos gendarmes vont s'en emparer ! Dans l'intervalle, il y a eu quelque chose ; il y a eu une permission obtenue du fonctionnaire qui seul pouvait autoriser le geôlier de Gand à se dessaisir de l'individu confié à sa garde. Il doit y avoir un ordre du procureur du roi de Gand et cet ordre est inexplicable. Vous n'en parlez pas.
Et lorsque les faits se sont passés d'une manière aussi inexplicable, quelle est la conduite de votre administration ? Elle apprend le 2 décembre que l'individu a été acquitté parce qu'il est Belge. Elle sait que l'arrêté d'expulsion a été exécuté dès le 29 novembre, et vous vous bornez à demander la preuve que le tribunal de Gand a bien jugé. Vous ne donnez pas l'ordre de remettre cet individu en prison pour attendre le résultat de l'appel que peut interjeter le ministère public. Vous demandez des preuves et vous voulez que l'individu reste expulsé !
Des faits semblables ne doivent pas se passer impunément dans un pays civilisé, alors qu'il s'agit de la liberté et du droit le plus précieux comme le plus incontesté des citoyens.
Je ne comprends donc en aucune façon les explications données par M. le ministre de la justice. La Chambre les comprend-elle ? J'en doute fort. A mes yeux, il y a eu oubli flagrant de tous les devoirs qui incombent aux fonctionnaires chargés de procéder à l'exécution de la loi sur les expulsions ou des jugements. Cet oubli est tellement manifeste, il (page 234) prouve une si grande et si profonde incurie dans ce genre de service, que si M. le ministre ne nous donne pas des explications plus satisfaisantes, s'il ne nous promet pas qu'un châtiment exemplaire sera infligé à celui qui a manqué ainsi à ses premiers devoirs, je ne voterai ni le budget actuel ni aucun des budgets ultérieurs de M. le ministre de la justice.
(page 230) M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - L'honorable membre qui vient de se rasseoir s'est montré extrêmement sévère envers l'administration de la sûreté, publique. Il lui a reproché de faire preuve d'incurie et de légèreté, et cependant c'est sur un seul fait que l'honorable membre base son accusation si grave. En a-t-il d'autres à citer ? Qu'il veuille bien les indiquer. Mais je ne sache pas que pour une seule faute, si faute il y a, il faille faire de semblables reproches à toute une administration qui se distingue, je dois le dire, par un esprit paternel envers les individus soumis à sa surveillance Je ne pense pas qu'il soit juste ni conforme à la bienveillance habituelle de l'honorable membre d'employer envers cette administration une expression aussi sévère. Je crois que l'honorable membre, quand il y aura réfléchi, regrettera les termes dont il s'est servi.
M. Orts. - J'ai dit incurie.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - L'honorable membre a paru croire que l'expulsion de Coquyt était le résultat du délit de pêche qu'il a commis il y a douze ou treize ans.
C'est une erreur, l'expulsion a été la suite du dernier délit de vol, qui doit être autre chose, quoi qu'on en dise, qu'un maraudage. Car il y a eu 14 jours d'emprisonnement et il est impossible que sous la législation actuelle, on applique à un individu quatorze jours d'emprisonnement pour un simple délit de maraudage.
C'est donc pour un véritable vol qu'il a été condamné.
M. de Brouckere. - Un vol de bois.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Un vol de bois est un vol, s'il s'agit de bois coupé, de bois confié à la foi publique. C'est un véritable vol et non un maraudage.
M. Frère-Orban. - Ce n'est pas un délit très grave.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - C'est un vol, je ne puis l'appeler autrement.
L'honorable préopinant dit qu'on n'avait rien fait dans l'intervalle qui s'est écoulé depuis le 2 mars, époque de l'arrivé du bulletin signifiant que Coquyt avait été condamné pour vol et le mois d'août suivant, il dit qu'on a laissé passer huit mois avant de rien faire. D'abord il n'y a pas eu un intervalle de huit mois ; mais dans cet intervalle l'administration (page 231) de la sûreté publique s'est enquise de cet individu ; elle a demandé comment il se conduisait ; elle a pris des renseignements et c'est ce qui explique le temps qu'a duré l'instruction. En effet, je trouve au dossier plusieurs lettres de l'administration communale de Bouchaute, répondant à une demande de l'administrateur de la sûreté publique et voici ce que je lis dans l'une de ces lettres :
« Bouchaute, le 5 août 1856.
« En réponse à votre lettre en date du 31 juillet dernier, j'ai l'honneur de vous faire parvenir ci-joint un bulletin de renseignements que j'aurais été heureux de pouvoir vous fournir depuis longtemps.
« L'échevin chargé de la police. J. Vanspeynroek
« Bulletin de renseignement : Coquyt, Jacques, né à Philippine (Zélande). - 56 ans. - Ouvrier, inscrit sur le tableau des habitants de Bouchaute depuis le 10 janvier 1851. - Il est venu de Watervliet. -Marié. - Trois enfants. - N'a d'autres ressources que le produit de son travail. - Vit sans beaucoup travailler. - Jouit d'une mauvaise réputation, basée sur sa manière de vivre. - Condamné pour vol le 21 avril 1854 à un mois de prison (c'est là probablement une erreur). Il n'a jamais été autorisé que je sache à s'établir en Belgique. - Bouchaute,le 5 août 1856.
« L'échevin chargé de la police, Vanspeybroek. »
Ainsi l'homme qui doit le mieux savoir quelle est la nationalité d'un individu qui habile sa commune déclare, le 5 août 1856, qu'il n'a jamais été autorisé à s'établir en Belgique.
M. Orts. - Ni moi non plus.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Nous savons bien que lorsqu'on dit qu'un individu n'a jamais été autorisé à établir son domicile en Belgique, il s'agit d'un étranger, d'un étranger qui n'a pas même ce quasi domicile qu'on obtient en vertu de l'article 13 du code civil. Dans cette lettre de l'administration communale de Bouchaute, l'administration de la sûreté publique avait une preuve surabondante qu'elle avait affaire à un étranger.
L'honorable M. Orts dit encore : On n'a jamais contesté à cet homme sa qualité de Belge. Mais on n'a jamais fait autre chose, puisqu'on n'a cessé de le considérer comme étranger et de le traiter comme tel.
L'honorable M. Orts m'a fait en quelque sorte le reproche d'avoir décliné la responsabilité de ce qui a été fait. Je ne l'ai pas entendu ainsi. Quand j'ai dit que depuis une certaine époque, je n'étais plus intervenu personnellement dans cette affaire, j'ai voulu simplement constater un fait pour rendre mon exposé plus complet. Il ne m'est pas venu à la pensée de décliner la responsabilité des actes posés par mes subordonnés sans mon autorité.
L'honorable M. Orts m'a reproché de n'avoir pas attendu le résultat des poursuites intentées à Gand, pour expulser Coquyt. Mais, messieurs, l'administration ne pouvait pas se douter qu'il s'agirait là d'attribuer à Coquyt la qualité de Belge, puisqu'il avait toujours été considéré comme étranger, sans qu'il y eût le moindre doute à cet égard, puisque son avocat lui-même ne le prétendait pas Belge.
Les poursuites de Gand portaient simplement sur le fait de rupture de ban.
Qu'avais-je fait, messieurs ? J'avais donné, en même que l'ordre de poursuivre, l'ordre d'expulser, suivant en cela la marche qui est suivie depuis plus de vingt ans.
J'aurais dû, dit-on, faire surseoir à l'expulsion, quand le jugement a été rendu ; mais, messieurs, l'expulsion a eu lieu le 20 novembre, et je n'ai connu le jugement que le 2 décembre ; je ne pouvais pas empêcher le fait d'être ce qu'il était, c'est-à-dire un fait accompli.
M. Frère-Orban. - Il s'agit de l'acte de votre subordonné.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Dès le 2 décembre, j'ai demandé à mon subordonné des explications, j'ai demandé le dossier au procureur du roi.
Je crois donc, messieurs, que s'il y a dans la dernière phase de cette affaire quelque irrégularité cela ne peut, en aucune façon, être attribué à M. l'administrateur de la sûreté publique. C'est ce que je tiens surtout à constater.
M. de Naeyer. - Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai l'incident clos.
M. de Naeyer. - La Chambre en est restée hier à l'article 48 : « Traitement des employés attachés au service domestique : fr. 479,000 fr. »
La section centrale propose de réduire le chiffre à 473,600 fr.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, déjà hier j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que le gouvernement devait combattre la réduction proposée par la section centrale.
Il s'agit en effet d'exécuter la loi sur la comptabilité, dont l'article 52 prescrit aux agents des administrations générales, commis à la garde, à la conservation et à l'emploi du matériel appartenant à l'Etat, de rendre compte annuellement à la cour des comptes. Le paragraphe 2 de cet article est tout à fait explicite. Il porte :
« Les comptes renseignent : les quantités et valeurs en magasins, les entrées, les sorties, la mise en consommation, en vente et au rebut, et les parties anéanties. »
C'est là, messieurs, une comptabilité extrêmement étendue, comprenant les moindres détails relatifs aux objets du ménage domestique.
Jusqu'ici ces prescriptions de la loi n'ont pas pu être exécutées faute de personnel, faute de fonds, et c'est, messieurs, pour combler cette lacune que je demande des fonds à la législature.
L'honorable M. Wasseige disait hier que le personnel actuel est suffisant pour faire le travail imposé par la loi. Je me permettrai de faire observer à la Chambre qu'il ne s'agit pas de nommer des commis nouveaux dans les prisons déjà pourvues d'un personnel nombreux, qu'il s'agit seulement d'en créer dans les prisons où il n'y a qu'un gardien en chef, prisons tout à fait secondaires. Or, la Chambre comprendra qu'il est impossible de demander à un gardien en chef de faire des comptes de ce genre : il n'en a pas le temps, la surveillance des détenus l'en empêcher ; je dois déclarer en outre que beaucoup de ces agents ne sont pas en état de tenir une comptabilité aussi compliquée que celle dont il s'agit. Cette considération me paraît de nature à déterminer la Chambre à voter l'allocation demandée.
Je dois le répéter, dans les petites prisons surtout, où il est le plus nécessaire d'avoir une comptabilité bien nette, il serait impossible à l'administration de la justice d'accomplir cette prescription de la loi. La cour des comptes nous adresserait alors de nouvelles réclamations à cet égard et nous demanderait, comme elle l'a déjà fait, pourquoi nous n'avons pas exécuté la loi.
M. Wasseige, rapporteur. - Messieurs, le système de la section centrale, quand elle a proposé cette réduction, a été qu'en fait d'employés, il faut les bien payer et en exiger beaucoup.
Elle a pensé que ce système est le meilleur, en général, que des employés bien payes font mieux leur besogne et le plus économiquement pour le trésor. Elle a demandé d'un autre côté la simplification des écritures. Elle persiste dans sa manière de voir, à l'appui de laquelle je vais avoir l'honneur de donner quelques raisons nouvelles, et spéciales au cas qui nous occupe.
La loi de comptabilité dont l'honorable ministre de la justice vient de parler, existe depuis 1846 et reçoit déjà en grande partie son exécution si nos renseignements sont exacts.
Elle est exécutée pour toutes les matières premières employées dans les prisons, elle est également exécutée pour le mobilier de ces prisons, il ne s'agit plus de la mettre en pratique que par rapport aux vivres. Or si les parties les plus importantes de la loi de comptabilité sont déjà en vigueur, il me semble que les personnes qui en sont chargées peuvent parfaitement exécuter l'autre partie.
On dit, messieurs, qui dans les petites prisons où la chose est le plus nécessaire il n'y a pas de commis pour faire ce travail. Nous avons examiné la liste des prisons pour lesquelles on réclame de nouveaux commis aux écritures ; ce sont en effet de petites prisons dont la population s'élève au maximum à 40 individus en moyenne, et dont plusieurs ne renferment que 12 et même 4 individus ; telles sont les prisons de Marche et de Neufchâteau.
Les traitements qu'on veut accorder sont, la plupart, de 200 francs. Je vous le demande, messieurs, quelle espèce d'employés vous pouvez espérer pour 200 francs. Cependant, quand les places seront créées on viendra vous dire : Mais la position des employés inférieurs est intolérable, ils gagnent moins que des manœuvres ; que voulez-vous qu'ils fassent avec 200 francs de traitement ? Et on viendra indubitablement nous demander des suppléments de traitement, que vous accorderez, parce que les places seront créées et qu'il est impossible d'exiger qu'un employé fasse un travail sérieux pour 200 francs.
C'est une des raisons qui ont engagé la section centrale à proposer la suppression du crédit. Elle s'est dit qu'un travail qui n'exige qu'une rémunération de 200 francs peut parfaitement être fait par l'employé qui est déjà chargé de la plus grande partie de la besogne, surtout alors que l'on augmente son traitement, ce qui a lieu dans l'espèce.
Dès qu'une nouvelle place est créée, on ne doit plus guère espérer de la voir supprimer.
La Chambre doit donc, à notre avis, se montrer extrêmement réservée, quand il s'agit de créer de nouveaux emplois.
La presque totalité de la somme demandée serait appliquée à des cas semblables.
Il y a une seule exception ; je fais allusion au traitement de 1,200 fr. qu'on demande pour un second commis à la maison cellulaire d'Anvers. Mais là, il y a une autre raison encore pour ne pas allouer le crédit : c'est que la prison cellulaires d'Anvers n'existe pas encore, qu'elle n'existera probablement pas dans le courant de l'année 1857, tout au moins à la fin de cette dernière année.
Il sera temps alors de proposer un crédit pour 1858, et d'examiner alors s'il y a lieu de l'accorder.
Telles sont les raisons qui ont engagé la section centrale à proposer la réduction ; je crois que ces raisons sont péremptoires et qu'il y a lieu d'adopter sa proposition.
- La discussion sur l'article 48 est close.
Le gouvernement propose à cet article 479,000 fr.
La section centrale propose de réduire ce chiffre à 173,600 fr.
Le chiffre du gouvernement est mis aux voix et n'est pas adopté.
Le chiffre proposé par la section centrale est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 49. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000.
« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »
- Adopté.
(page 232) « Art. 50. Prisons. Entretien et travaux d'amélioration des bâtiments : fr. 160,000. »
- Adopté.
« Art. 51. Prison cellulaire de Gand. Premiers travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Art. 52. Prison cellulaire d'Anvers. Achèvement des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 160,000. »
- Adopté.
« Art. 53. Prison de Bruges. Continuation des travaux d'appropriation ; charge extraordinaire : fr. 50,000 »
- Adopté.
« Art. 54. Prison cellulaire de Hasselt. Continuation des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 150.000. »
- Adopté.
« Art. 55. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions ; charge extraordinaire : fr. 22,000. »
M. Wasseige, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a également trouvé le chiffre de 22,000 fr. extrêmement élevé ; elle a fait observer dans son rapport « qu'on ne rédige pas chaque année des projets de prisons nouvelles, et que, quant à la surveillance journalière des constructions, les agents des ponts et chaussées, qui ont dans leurs attributions la surveillance de tous les travaux qui se font aux bâtiments appartenant à l'Etat, pourraient bien aussi surveiller les constructions des prisons, sans charge nouvelle pour le trésor, d'autant plus qu'il existe déjà un contrôleur spécial pour ce genre de constructions aux appointements de 6,000 francs. »
Par ces raisons, la section centrale a pensé que le chiffre de 22,000 fr. pourrait être réduit pour l'avenir ; elle a appelé l'attention de M. le ministre de la justice sur les considérations qu'elle a fait valoir, et elle a engagé ce haut fonctionnaire à examiner s'il n'y a pas lieu de faire droit à ces observations dans le projet de budget pour l'exercice 1858.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je répondrai à l'honorable rapporteur que le système qui consiste à employer les ingénieurs des ponts et chaussées a été suivi au département de la justice et qu'on a dû y renoncer. D'abord, les ingénieurs ne recevaient pas d'indemnité pour ce service, et il n'est pas possible de leur demander de s'occuper de travaux de ce genre sans les indemniser.
D'un autre côte, il faut pour la construction des prisons des hommes tout à fait spéciaux, ce qu'on ne rencontre pas dans le corps des ponts et chaussées.
Cela est si vrai que le département des travaux publics lui-même, quand il fait construire, prend des architectes et ne laisse pas la surveillance des constructions uniquement à ses propres agents ; donc, à plus forte raison, le département de la justice ne peut-il pas avoir recours au moyen qui lui est indiqué par l'honorable M. Wasseige Du reste, l'administration ne demanderait pas mieux que de pouvoir y recourir ; ce serait une économie qu'elle ferait volontiers ; si elle ne le fait pas, c'est que l'expérience lui a démontré que la chose n'est pas possible.
- La discussion est close sur l'article 55. L'article 55 est mis aux voix et adopté.
« Art. 56. Traitement et frais de route du contrôleur des constructions dans les prisons ; charge extraordinaire : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 57. Achat et entretien du mobilier dans les prisons : fr. 55,000. »
- Adopté.
« Art 58. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 500,000. »
- Adopté.
« Art. 59. Gratifications aux détenus : fr. 170,000. »
- Adopté.
« Art. 60. Frais d'impression et de bureau : fr. 5,000.
« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 61. Traitements et tantièmes des employés : fr. 85,000. »
- Adopté.
Art. 62. Mesures de sûreté publique : fr. 58,000. »
- Adopté.
« Art. 63. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000. »
- Adopté.
La Chambre décide qu'elle procédera, séance tenante, au vote définitif du budget de la justice.
L'amendement introduit dans l'article 48 est confirmé.
L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1857, à la somme de 12,212,082 francs. »
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur le projet de budget.
64 membres sont présents.
3 (MM. Vandenpeereboom, de Moor et de Renesse) s'abstiennent.
42 répondent oui.
19 répondent non.
En conséquence, le projet de budget est adopté.
Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui : MM. Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Tieghem, Vermeire, Wasseige, Wautelet, Ansiau, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Crombez, Dedecker, de Haerne, F. de Mérode, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Smet, de Theux, de T'Serclaes, Dumon, Dumortier, Faignart, Janssens, Julliot, Lambin, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Malou, Mascart, Mercier, Osy, Rodenbach, Rousselle et de Naeyer.
Ont répondu non : MM. Sinave, Tesch, Thiéfry, Verhaegen, Vervoort, Anspach, Coopieters 't Wallant, David, de Brouckere, Delexhy, de Perceval, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Lebeau, Lesoinne, Moreau, Orts et Rogier.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Vandenpeereboom. -Je n'ai pas voté contre, parce que je ne veux pas entraver les divers services que le budget assure.
Je n'ai pas voté pour, parce que, indépendamment d'autres motifs, j'ai trouvé que les explications données aujourd'hui par M. le ministre sur les faits signalés par M. Orts n'étaient ni complètes ni surtout satisfaisantes.
M. de Moor. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que M. Vandenpeereboom.
M. de Renesse. - Je n'ai pas voté contre le budget de la justice, parce qu'il contient des dépenses obligatoires, fixées par la loi ; d'un autre côté, je n'ai pu donner un vote favorable, certaines dépenses nouvelles ayant été admises, sans être compensées par d'autres réductions ; j'ai donc cru devoir m'abstenir, ne pouvant approuver l'augmentation constante de nos budgets de dépenses.
M. de Naeyer. - Il nous reste à prendre une décision sur les pétitions qui ont été renvoyées à la section centrale et qui sont mentionnés à la fin du rapport.
Je propose de les renvoyer à la commission chargée d'examiner la loi d'organisation judiciaire.
- Cette proposition est adoptée.
M. Verhaegen. - Noms avons des pétitions des commis greffiers des tribunaux de première instance de premier ordre ; ces pétitions me semblent reposer sur des faits assez graves qui méritent de fixer l'attention de la Chambre.
Il faudrait prendre une décision sur ces pétitions. Je les recommande à M. le ministre de la justice à qui je propose de les renvoyer.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.