(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. de Naeyer.)
(page 165) M. Crombez, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et demie.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur de Baelen prie la Chambre de prendre des mesures pour fonder une Société nationale d'avances dans le but de favoriser la colonisation libre de familles belges aux Etats-Unis d'Amérique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs demandent que les artistes vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur profession. »
- Même renvoi.
« Les commis greffiers près le tribunal de première instance de Tournai demandent une augmentation de traitement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
M. Dautrebande demande un congé.
- Accordé.
M. Matthieu. (pour une motion d’ordre). - Messieurs, ce matin, en lisant dans le Moniteur le compte rendu de la séance d'hier, j'ai été très étonné de voir mon nom placé parmi ceux des opposants au projet d'adresse, tandis qu'il est notoire dans cette Chambre que j'ai voté pour ce projet.
J'ai été d'autant plus étonné de cette erreur, que je supposais une grande exactitude, dans les corrections du journal officiel.
Quoi qu'il en soit, ma réclamation devant être insérée dans le compte rendu de la séance actuelle, servira de rectification à ce fait erroné.
M. de Naeyer. - La rectification se trouvera faite au Moniteur par l'insertion de l’observation de l'honorable membre.
M. de Naeyer. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du projet.
M. Rodenbach. - Messieurs, je donnerai mon adhésion au crédit demandé.
Je regrette infiniment qu'à la dernière séance de la précédente session, nous ne nous soyons pas trouvés en nombre pour le voter ; car il est extrêmement urgent. Les travaux n'ont pu se faire, et l'administration s'est vue entravée. J'espère que la Chambre n'hésitera pas aujourd'hui, à allouer le crédit de 5 millions.
L'an passé, j'ai, conjointement avec mes honorables collègues de l'arrondissement de Courtrai, parlé de la station de Courtrai et de Deynze. Ce n'est pas seulement une station de passage, c'est une station importante pour le transbordement des marchandises et pour les voyageurs, car il y arrive chaque jour 32 convois.
La piètre salle d'attente n'est que de six mètres. On a le choix d'étouffer dans cette salle, espèce de cabaret, ou de se tenir dehors au risque de se rendre malade quand le temps est mauvais. Les marchandises, souvent exposées à la belle étoile, souffrent des dommages considérables.
J'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics sur cet état de choses. Il faut bien que le chemin de fer produise. Et pour un chemin de fer qui doit produire un revenu annuel de 25 millions, on ne devrait pas regarder à la dépense de 6 millions qui ne suffira pas pour son achèvement.
Il faut accorder au ministre le crédit de six millions qu'il se propose de demander, ou il faut abandonner le chemin de fer, en l'aliénant ou en les faisant exploiter par des compagnies. Quand on veut avoir un chemin de fer, il faut faire les dépenses qu'il comporte ; il faut faire les dépenses nécessaires pour la commodité des voyageurs et pour la conservation des marchandises et de leur transport.
J'attire l'attention de M. le ministre sur ce point et j'appuie fortement le projet. S'il fallait voter un chiffre supérieur à 5 à 6 millions pour faire les travaux nécessaires, je serais disposé à l'allouer.
M. Sinave. - J'ai entendu hier un orateur nous soutenir que la demande de crédit pour le chemin de fer allait infailliblement augmenter la recette. Je crois aussi que si des sommes sont nécessaires pour améliorer le chemin de fer, nous n'obtiendrons aucune augmentation de recette.
La diminution des recettes ne provient pas du tout du plus ou moins parfait état où se trouve le chemin de fer. Le mal se trouve dans la position que nous nous sommes faite. Si l'on s'était borné à conserver le chemin de fer à l'Etat, nous ne verrions pas ce qui arrive aujourd'hui.
Nous avons fait de nombreuses concessions, et ces concessions, au lieu d'être des affluents, sont des aspirants qui nous enlèvent nos recettes.
Dans cet état de choses, il aurait beaucoup mieux valu se défaire de nos chemins de fer et je ne crois pas que le prix de 300 millions de francs, qui nous a été offert précédemment, serait encore offert aujourd'hui.
Je ne m'opposerai pas au crédit demandé, mais je prierai M. le ministre des travaux publics d'être circonspect dans les nouvelles concessions à faire. Si vous accordez constamment des lignes latérales à notre railway, infailliblement nos recettes doivent diminuer. Nous nous trouvons déjà aujourd'hui dans une situation telle, qu'il sera peut-être impossible de refuser la concession d'une ligue directe d'Anvers vers l'Allemagne.
Le gouvernement y sera forcé, en ce sens que le gouvernement des Pays-Bas vient de décider de faire une route directe de Flessingue à Venloo. Il s'ensuivra nécessairement que nous perdrons une grande partie du transit vers l'Allemagne, si Anvers reste dans la position où il se trouve aujourd'hui. Eh bien, accordez cette concession, et vous perdrez annuellement 5 à 6 millions de recettes.
Si donc, malgré les dépenses que nous allons faire, nous n'avons en perspective aucune augmentation de recette, je ne sais trop s'il est utile de voter ces dépenses.
Si M. le ministre a une autre opinion que la mienne sur la diminution des recettes, j’entendrai volontiers les renseignements qu'il nous donnera.
Je demande la permission de faire une interpellation à l'honorable ministre.
Il circule un bruit fâcheux sur un point très important. J'ignore jusqu'à quel point il est fondé. On dit qu'une adjudication considérable a été faite pour des matériaux nécessaires au chemin de fer. Une coalition s'est formée entre les propriétaires d'usines, et lorsque l'adjudication a eu lieu, on a demandé des prix exagérés.
M. le ministre, comme de raison, a refusé ; mais un des associés est venu offrir de prendre toute l'adjudication en un seul lot, à un prix un peu inférieur, nécessairement, à ceux qui avaient été proposés. Je demanderai à M. le ministre s'il a cédé à cette espèce de presse qui a été exercée.
M. de Haerne. - Messieurs, l'honorable préopinant vient d'émettre une idée qui, selon moi, mérite de fixer toute l'attention du gouvernement. Il a dit que si on laisse l'exploitation du chemin de fer de l'Etat dans (page 166) l'état où elle se trouve, il vaudrait mieux céder le railway national à une compagnie. Je ne vais pas aussi loin ; mon opinion n'est pas arrêtée à cet égard, mais on ne peut pas.se dissimuler que la manière de voir de l'honorable député de Bruges est très répandue dans le pays et il est certain qu'elle y gagnera du terrain, si le gouvernement n'améliore pas l'exploitation.
Il ne s'agit pas seulement, messieurs, du matériel ; il s'agit aussi et surtout de bâtiments. Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, mon honorable collègue de Courtrai et moi, il y a des stations qui se trouvent dans une situation déplorable. Le bâtiment de la station de Courtrai est dans ce cas. On y étouffe, il est impossible d'y rester pendant cinq minutes, l'atmosphère y est empestée, et les voyageurs sont obligés de se répandre au dehors,ce qui les expose à toutes les intempéries de l'air, et souvent à de grands malheurs.
Il y a quinze jours, deux dames sont tombées à une faible distance d'un convoi en marche, et sans le dévouement extraordinaire des employés, qui ont couru le plus grand danger, elles auraient été infailliblement écrasées. Les convois à tout moment se croisent à des distances très rapprochées. Pour les éviter on se pousse, on se bouscule, on se tiraille en tous sens ; mais on préfère subir ces inconvénients et ces dangers continuels, plutôt que de se trouver encaqué dans la baraque qu'on appelle le salon pour les trois classes de voyageurs. Il y a réellement urgence de mettre la main à l'œuvre. Les besoins du service, l'humanité, l'intérêt bien entendu de l'Etat le réclament impérieusement.
Je demanderai donc à M. le ministre s'il y aurait quelque inconvénient à ajouter à l'article premier le mot « constructions », et à augmenter le chiffre de ce chef. A la session dernière, au moment du vote qui a constaté que nous n'étions plus en nombre, il avait été entendu que les constructions le plus nécessaires dans les stations devaient être comprises dans les dépenses pour lesquelles les fonds étaient demandés.
J'insiste donc pour que l'on reprenne cette idée et que l'on agisse en conséquence, en adoptant l'augmentation de chiffre nécessaire à cet effet. La quotité de la somme demande réflexion ; mais je pense que nous pourrons formuler un amendement séance tenante.
M. Julliot. - Je demanderai à M. le ministre s'il ne serait pas possible d'améliorer la coïncidence des convois de l'Etat avec les convois de la compagnie d'Aix-la-Chapelle au point de Landen. Voici, dans l'état actuel des choses, ce qui se passe : quand vous allez de Bruxelles à Saint-Trond, tout se fait régulièrement ; on vous délivre un coupon pour toute la course.
Il n'en est pas de même si vous partez de Saint-Trond pour Bruxelles ; alors on vous donne un coupon jusqu'à Landen en ajoutant qu'on ne peut vous garantir que vous irez plus loin.
A Landen on arrive toujours trop tard pour Liège et souvent trop tard pour Bruxelles. Entre Liège et Hasselt il n'y a donc pas de correspondance dans la journée ; il y en a seulement de bonne heure dans la matinée.
Je dis que quand nous partons pour Bruxelles, nous ne savons si nous aurons un convoi oui ou non ; très souvent, vous êtes obligé de rester dans une hutte en bois où vous ne pouvez pas vous mettre à l'abri des intempéries de l'air et vous y restez plusieurs heures.
Si le convoi qui part de Cologne partait un peu plus tôt ou si les convois de l'Etat partaient un peu plus tard de Liège et de Bruxelles, il y aurait coïncidence exacte à Landen.
Il y a, messieurs, de Maestricht à Tirlemont, 70 kilomètres de parcours, on ne trouve pas une seule station sur toute cette ligne, ce sont des baraques en bois de toutes les formes qui font l'office de station.
Il est vrai qu'on érige des murs pour une station à Hasselt, mais à une grande distance de la ville et ceux qui devront se rendre à Hasselt de Saint-Trond ou de Maestricht seront obligés d'avoir recours à une voiture.
Je ne comprends pas comment le conseil communal de cette ville n'ait pas protesté contre cet emplacement.
Je désire donc que M. le ministre me dise pourquoi ce défaut de coïncidence entre les convois et pourquoi cet éloignement de la station en question.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, jusqu'à présent dans cette discussion les besoins du chemin de fer ont été seuls en cause ; mon administration a été cependant critiquée par l'honorable M. Sinave ; il a cité un fait, vrai au fond, et sur lequel je dois quelques explications à la Chambre pour lui démontrer qu'en cette circonstance j'ai agi dans l'intérêt du trésor et conformément aux dispositions de la loi sur la comptabilité.
A une adjudication de rails qui a eu lieu il y a un an environ, un grand nombre de soumissions ont été présentées. Toutes ces soumissions portaient le même prix, et aucune d'elles n'indiquait le lot spécial auquel elle se rapportait ; pour 5 lots, il n'y avait que 5 soumissions sans indication spéciale de lot, et toutes exactement les mêmes.
Ce prix était tel que si l'adjudication avait été approuvée, une grande partie des rails à renouveler n'aurait pu être fournie dans le courant de l'année, et l'état de la voie, au point de vue de la conservation du matériel ainsi que de la sécurité des voyageurs, en aurait été gravement compromis.
Au moment où j'allais déclarer l'adjudication non approuvée, et ordonner de procéder à une adjudication nouvelle, j'ai reçu d'un des établissements ordinairement les mieux outillés pour ce genre de fabrication, qui prend généralement part aux adjudications et qui avait fourni des rails de la meilleure qualité ; j'ai reçu de cet établissement une nouvelle soumission à prix sensiblement réduit, et qui permettait de déjouer la coalition, au moins apparente, qui avait eu lieu et démontrer que le gouvernement prendrait les mesures nécessaires pour prévenir ces coalitions et pour assurer le service.
En agissant de cette manière, je me trouvais dans les termes de la loi sur la comptabilité qui autorise les ministres à traiter de la main à la main toutes les fois que l'adjudication publique ne présente pas de soumissions acceptables.
Or, dans les circonstances dont il s'agit, les conditions offertes étaient inacceptables. En posant cet acte,je crois avoir rendu un véritable service à l'administration. Il démontre qu'au département des travaux publics le ministre ne subit pas la pression des entrepreneurs ; d'autre part, ce marché a produit une économie de 70 mille francs, économie qui ne s'est pas produite en argent, mais qui nous a fait obtenir pour 70 mille francs de fer de plus.
Je m'étonne que l'honorable M. Sinave ait qualifié cet acte, comme s'il pouvait être entaché d'illégalité et susceptible de blâme.
Pour moi je le regarde comme un acte posé dans les limites des pouvoirs du ministre et en fait comme un acte de bonne administration ;, le ministre a eu le courage en cette circonstance de s'écarter du système d'adjudication publique qui couvre si facilement sa responsabilité, par un acte qui, je n'en doute pas, sera ratifié par la Chambre s'il en est besoin.
L'honorable M. Sinave a fait une autre remarque, c'est, dit-il, que les demandes de crédit pour parachèvement du chemin de fer sont, toujours colorées de la nécessité d'augmenter les recettes et que dans son opinion le crédit demandé aujourd'hui n'aura qu'une influence insignifiante sur les produits du chemin de fer, et que ce n'est pas dans le non-parachèvement mais dans le grand nombre de concessions accordées qu'il faut chercher la raison qui s'oppose à l'amélioration de nos recettes.
Je veux bien reconnaître que l'intérêt de l'Etat exploitant le chemin de fer serait de créer un monopole. Mais si ce monopole était avantageux pour les finances de l'Etat, il causerait un grand dommage aux populations. Le gouvernement ne pouvant pas construire toutes les lignes a fait sagement en gardant certaines lignes et en concédant les autres.
Je sais que des concessions accordées sans discernement peuvent causer le plus grand préjudice aux recettes du chemin de fer ; aussi n'en ai-je concédé qu'avec la plus grande circonspection et après un mûr examen.
Dans le revenu du chemin de fer, il y a à examiner autre chose que l'influence que peuvent exercer les transports des parties concédées qui traversent notre ligne, les améliorations de service facilitant aux voyageurs l'accès des chemins de fer ou facilitant le transport des marchandises en niellant entre les mains du gouvernement des moyens plus énergiques d'exploitation, sont autant de sources nouvelles pour le revenu de notre chemin de fer.
L'honorable membre n'ignore pas que c'est à grand-peine qu'on satisfait aux besoins des transports avec les locomotives et les waggons mis à la disposition du gouvernement. Loin de chercher à faire concurrence aux lignes concédées, c'est à peine si le chemin de fer peut répondre aux offres de transports qu'on lui fait tous les jours.
Les refus de waggons, les manœuvres qu'on doit faire pour utiliser le plus possible le matériel qu'on possède, les locations de matériel étranger sont des cas qui se présentent plus souvent que le manque de transports. L'honorable membre peut être assuré que les fonds demandés loin d'être un improductifs, seront des fonds placés à un intérêt très avantageux.
Ces dépenses considérables ont ce singulier privilège qu'augmentant les moyens de transport d'une exploitation déjà existante, elles ne prennent qu'une très faible part dans les frais généraux. L'administration centrale, la surveillance de la voie et le personnel sont des frais en quelque sorte fixes qui ne varient en rien par suite d'un article additionnel quelconque.
Ainsi des fonds sont demandés pour augmenter le matériel de traction, pour les doubles voies et pour l'extension des lignes télégraphiques. Ce sont toutes dépenses utiles. Je ne puis donc admettre avec lui que les crédits demandés puissent exercer une influence défavorable sur la situation du trésor. Je crois au contraire que c'est l'une des sources les plus fructueuses de revenu que nous puissions trouver.
Je reconnais avec plusieurs honorables membres qu'il y a beaucoup à faire pour les bâtiments des stations. Un grand nombre de bâtiments datent de la création du chemin de fer et ils sont construits en planches ; ils ont dépassé la durée moyenne des constructions de ce genre. Il est nécessaire de les améliorer.
Mais je me trouve dans une singulière position.
Il a été décidé que le crédit serait de cinq millions seulement, et je remarque avec regret que le libellé ne comprend pas ces travaux.
Un autre objet important qui est également omis, ce sont les loges de gardes. Ce sont aujourd'hui de mauvaises huttes où il est impossible (page 167) que le garde reste sans désemparer pendant 18 heures, exposé à la pluie, au froid, à la neige.
Il en résulte que le service des barrières est compromis, et qu'ainsi disparaît le principal élément de sécurité pour les voyageurs.
Si le libellé n'est pas modifié, le gouvernement se trouvera dans la triste nécessité de ne porter aucun remède à l'insuffisance réelle des bâtiments des stations et des loges des gardes.
Un autre point a été signalé à votre attention par l'honorable M. Julliot. Il porte, non sur mon administration, mais sur l'exploitation des chemins de fer concédés. Il s'agit de ce qu'à Landen il n'y a pas coïncidence entre le chemin de fer de Maestricht avec la double voie vers Liège et Bruxelles. Il dit que si le convoi de Maestricht arrivait un quart d'heure plus tôt la coïncidence aurait lieu dans les deux sens. Cela ne pouvait échapper à mon attention.
Je me suis adressé à la compagnie pour obtenir que le service se fasse de manière qu'il y ait coïncidence. Je n'ai pas jusqu'à présent reçu sa réponse. J'ignore jusqu'à quel point elle pourra faire droit à ma réclamation, car le temps pour faire la route de Maestricht à Landen a été strictement calculé.
L'honorable membre s'est plaint aussi de ce que tous les convois ne s'arrêtent pas à la station intérieure de Hasselt. Des ordres sont donnés pour que tous les convois s'arrêtent à cette station. Les convois express seuls ne le feront pas et s'arrêteront seulement à ce qu'on appelle la halte de Hasselt.
J'espère, au reste, que la ville de Hasselt n'a pas dit son dernier mot et que si le chemin de fer ne va pas jusqu'à elle, elle viendra jusqu'au chemin de fer, comme ont fait Louvain, Braine-le Comte, Soignies, toutes les villes qui n'ont pas de station intérieure.
M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, le gouvernement a présenté à la Chambre une demande de crédit de 21 millions pour l'achèvement du chemin de fer de l'Etat, de son matériel et des lignes télégraphiques. L'utilité de ce projet a été reconnue tant par la plupart des sections que par la section centrale.
Seulement celle-ci a proposé d'ajourner deux dépenses relatives, l'une à la station de Bruxelles, l'autre à la construction d'une station à Liège, non pas qu'elle ait manqué de sympathie pour l'objet de ces dépenses, mais parce qu'elle n'y a pas vu la même urgence que pour les autres dépenses et parce que d'ailleurs, quant à la station de Liège, non seulement les études n'en sont pas faites, mais encore l'emplacement n'en est pas même déterminé.
Par suite de cet amendement, le crédit a été réduit, par la section centrale, à 15,455,375 fr.
Mais cette somme même a été réduite encore à cinq millions par l'amendement déposé par l'honorable M. Osy dans la dernière séance de la session dernière.
Or, aujourd'hui nous voyons le gouvernement se rallier à cette derrière proposition.
Eh bien, je déclare qu'il est extrêmement regrettable que le gouvernement n'ait pas pu maintenir sa demande de crédit primitive, puisque les besoins du chemin de fer, loin d'être diminués, n'ont pu qu'augmenter depuis le printemps dernier.
Ainsi, messieurs, la réduction à laquelle on consent, quant à la dépense à faire pour le chemin de fer n'a pas pour motif l'état du chemin de fer lui-même, mais bien et uniquement l'état du trésor, c'est-à-dire de l'absence de l'emprunt au moyen duquel il devait être pourvu à cette dépense.
Or, voilà quel a toujours été le malheur du chemin de fer de l'Etat, depuis qu'il existe ; c'est que ce ne sont pas ses besoins, ses nécessités que l'on consulte ; mais bien l'opportunité qu'il peut y avoir ou non pour l'Etat de faire usage de son crédit pour se procurer les fonds nécessaires à une entreprise qui est la sienne et qui devrait rapporter beaucoup plus qu'elle ne rapporte. Et c'est pourquoi j'ai dit souvent dans cette enceinte que nous nous trouvions dans un cercle vicieux ; que le chemin de fer ne rapportait pas ce qu'il devrait, ce qu'il pourrait rapporter, parce qu'on ne faisait pas, pour achever son matériel, les dépenses strictement nécessaires ; et qu'ensuite, on venait dire à la Chambre qu'il ne fallait pas accorder des crédits pour le chemin de fer, parce qu'il ne rapportait pas de profits. Mais il est évident qu'une des causes pour lesquelles il ne rapporte point ce qu'il devrait rapporter, c'est qu'on ne l'achève pas et qu'on le laisse privé du matériel qui lui est nécessaire.
Messieurs, les compagnies font en général le contraire de ce que nous faisons ici et s'en trouvent bien. Elles consultent les besoins de leur chemin de fer et font immédiatement les dépenses jugées nécessaires pour qu'il produise tout ce qu'il est susceptible de produire.
C'est là ce que nous voyons autour de nous, et c'est pour cela aussi que nous sommes arrivés à un résultat notoire pour tout le monde, c'est-à-dire à un état d'infériorité évident, eu égard à toutes les grandes exploitations des compagnies.
C'est ce que j'ai dit souvent dans cette enceinte, et c'est un aveu que j'ai trouvé dernièrement dans une brochure qui a été distribuée, je pense, à tous les membres de la Chambre, et qui, par la sûreté des renseignements qu'elle contient, paraît émaner d'un homme qui a puisé aux sources officielles.
Voici ce que nous lisons dans cette brochure : « Après vingt années d’exploitation, nous sommes dépassés en perfectionnements et en produits par la plupart des grandes exploitations qui sont venues dix et quinze ans après nous. »
Voulez-vous connaître, messieurs, quelques faits assez saillants quant à cette infériorité ; les voici : La compagnie du Nord qui exploite à peu près le même nombre de kilomètres de chemin de fer que nous, possède 8,850 waggons et nous n'en possédons que 4,550. Et croyez-vous que ces waggons que nous possédons soient tous ou à peu près tous en état de servir au transport des marchandises ? Nullement. Une partie considérable de ces waggons est en réparation et il y a plus, une partie de ceux-ci ne peuvent même être réparés faute d'argent. Ainsi vous vous rappelez combien l'hiver de 1854-1855 a été rigoureux. Les voies navigables étaient fermées. Les populations dans toutes les villes manquaient de combustible ; cependant il se trouvait du charbon sur le carreau de toutes les fosses mais ce qui manquait, c'était du matériel pour le transporter et, pendant ce temps-là plus de 400 waggons se trouvaient inactifs faute d'avoir eu le moyen de les réparer.
Mais, messieurs, je suppose que vous ayez des waggons en nombre suffisant, ce qui n'existe pas ; il vous manquerait alors les locomotives nécessaires pour les traîner. En effet, vous n'avez pas assez de locomotives, et les locomotives que vous avez sont en général défectueuses.
J'ai cité le chemin de fer du Nord, quant aux waggons ; le chemin de fer du Nord possède 360 locomotives, tandis que l'Etat belge n'en possède que 213, et notez, messieurs, qu'au moyen même du crédit de 21 millions que le gouvernement vous demandait en mai dernier, il n'aurait pu augmenter que de 20 le nombre de ses locomotives.
Ainsi, au moyen de la part qui était affectée dans le crédit d 21l millions à l'augmentation du matériel de traction, nous n'aurions eu que 233 locomotives, de sorte que nous étions encore de 128 au-dessous du nombre de locomotives que le chemin de fer du Nord qui, je crois, est bien exploité, juge nécessaires.
Non seulement, nos locomotives sont en trop petit nombre, mais elles ne peuvent traîner que la moitié des waggons chargés qu'elles remorqueraient si elles avaient la force qu'on donne aujourd'hui à ces machines. Nos locomotives sont en général anciennes ; on s'explique parfaitement que beaucoup d'entre elles soient très défectueuses.
Mais c'est une raison pour les remplacer par d'autres, puisqu'une locomotive défectueuse consomme autant de charbons, coûte autant d'entretien, et demande autant de personnel qu'une bonne machine.
Mais je suppose encore, messieurs, que nous ayons assez de waggons et de traction ; voilà que nos routes sont sur plusieurs points dans un état détestable.
De plus, il y a deux sections sur l'une desquelles il se fait un transport de premier ordre, qui manquent encore de la double voie. L'une de ces sections, que j'ai déjà indiquée ici, est celle de Floreffe à Châtelineau, et j'espère qu'il sera bientôt pourvu enfin au comblement de cette lacune.
Quant aux voies qui existent, vous y trouverez encore des rails sur lesquels de fortes locomotives, comme celles que l'on devrait avoir, ne pourraient s'aventurer sans danger. Vous y trouverez des rails du poids de 17 à 27 kil. au mètre courant.
Or, une machine de 20 à 30 tonnes ne pourrait cheminer sur des rails semblables. Eh bien, nous avons, encore 779 kilomètres, c'est-à-dire à peu près la moitié de notre chemin de fer où il ne se trouve que des rails jugés aujourd'hui comme tellement en dessous de la solidité qu'ils devraient avoir, qu'ils sont éliminés impitoyablement partout dans les grandes exploitations et remplacés par d'autres de 36 ou 37 kilogrammes au mètre.
Pendant que nous conservons ces rails de 17 à 27 kil., pendant que nous les remplaçons péniblement, avec beaucoup de temps et de labeur, savez-vous ce qu'on fait, notamment sur les chemins de fer du Nord et d'Orléans ?
On y remplace en une seule campagne, non point de vieux rails de 17 kilog., mais des rails neufs de 29 kilog. par d'autres de 37 kilog. Ce n'est pas seulement, messieurs, la force insuffisante des rails qui rend notre chemin de fer défectueux et impraticable pour les forts chargements, c'est encore l'absence d'éclisses qui sont aujourd'hui considérées comme d'une application indispensable. On place maintenant des éclisses pour fixer les bouts des rails partout où il n'y en a pas encore ; eh bien, au train dont nous marchons, à cet égard, ce n'est pas dans dix ans que toutes nos voies eu seront pourvues.
Les éclisses, messieurs, ne donnent pas seulement plus de sécurité pour le transport des voyageurs, mais elles produisent encore une grande économie au point de vue du matériel, qui ne s'use pas moitié autant sur les voies éclissées que sur celles qui ne le sont pas.
Or, savez-vous, messieurs, quel est le résultat de ces dépenses faites avec intelligence par les compagnies et notamment sur le chemin de fer du Nord ? C'est que là on voit les transports de marchandises et par suite les recettes brutes s'augmenter dans une proportion de 70 p. c. en quatre ans, tandis que sur le chemin de fer de l'Etat où certainement les marchandises ne manquent pas, où l'industrie offre partout des transports à effectuer, l'augmentation n'a pu être, dans la même période, que de 40 p. c.
Et pourquoi, messieurs, en est-il ainsi ? Parce que, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable ministre des travaux publics, ce ne sont pas les demandes de transport qui manquent au chemin de fer, mais bien le chemin de fer qui fait défaut aux demandes de transport.
Messieurs, nous ayons sur la ligne du Midi quelques stations où (page 168) s'effectuent des transports pour le chemin de fer du Nord ; là, vous voyez toujours de nombreux waggons de cette compagnie qui s'offrent à l’industrie ; là, si un établissement demande dix waggons, le chemin de fer du Nord lui en offre quinze ; quant au chemin de fer de l'Etat, au contraire, celui qui veut avoir dix de ses waggons, doit en demander vingt, parce qu'il se fait alors une espèce de répartition en proportion des demandes.
Si cet hiver est encore rigoureux, si les voies navigables sont encore interceptées, vous verrez de nouveau que les waggons manqueront partout et qu'il n'y aura point de véhicules assez pour transporter les charbons qui encombreront les lieux d'extraction. Eh bien, je dis que c'est là une chose déplorable, et si on ne veut pas y mettre un terme, on arrivera fatalement à amener ou à confirmer dans l'opinion publique la conviction qu'il faut nécessairement renoncer à laisser exploiter le chemin de fer par l'Etat. Cet état de choses ne m'effrayerait pas outre mesure, comme je l'ai déjà dit, car l'Etat pourrait rester propriétaire du chemin de fer en le laissant exploiter par une compagnie, qui ferait usage, elle, de son crédit pour pourvoir à tout ce qui serait nécessaire à une bonne exploitation, et d'ailleurs l'Etat pourrait faire des conditions pour conserver une haute influence sur l'administration particulière.
Mais je ne désire pas ce résultat et j'aimerais mieux que l'Etat fît tout ce qui est nécessaire pour vivifier son entreprise et pour donner de l'élan à l'industrie du pays au lieu de. la comprimer.
Messieurs, j'ai encore un mot à dire sur un autre point qui est en rapport direct avec les profits à retirer de l'exploitation du chemin de fer ; c'est sur l'inflexibilité des tarifs.
Je crois que le gouvernement a la faculté de faire fléchir cette inflexibilité dans certains cas, dont il est lui-même juge ; je l'engage à faire souvent usage de cette faculté, attendu que rien n'est aussi funeste aux recettes du chemin de fer, qu'un tarif inflexible pour tous les cas, pour toutes les circonstances, pour toutes les espèces de transports, c'est-à-dire, pour les transports par masses et à de très longues distances, comme pour les transports par faibles quantités et à de courtes distances. Il faut entrer nécessairement, comme le font les compagnies, dans le système des réductions lorsque ces réductions laissent un bénéfice qui échapperait au chemin de fer sans ces réductions.
On a parlé des lignes concurrentes, eh bien, messieurs, il est bien évident que si l'Etat n'entre point dans la voie des réductions, comme les sociétés concurrentes y entrent, le chemin de fer de l'Etat perdra une forte partie de ses transports.
Je pourrais, à l'instant même, citer des sections très importantes de notre railway où les transports désertent déjà la ligne de l'Etat pour les lignes des compagnies où ils trouvent des réductions de tarifs assez notables pour les attirer.
Messieurs, je doute fort que la portée du voie que nous avons émis hier soit celle qui a été signalée par l’honorable ministre des travaux publics, c'est-à-dire que nous soyons absolument limités au chiffre de 5 millions.
Je pense, au contraire, que. ce que nous avons décidé hier, c'est que cet amendement serait mis en discussion ; mais il ne s'ensuit nullement qu'on ne puisse pas augmenter quelque peu le chiffre de 5 millions que porte cet amendement.
S'il en était autrement, le projet de loi aurait été en réalité adopté hier, et il aurait été inutile de le discuter encore, car je ne pense pas qu'il y ait dans la Chambre beaucoup de membres qui soient disposés à refuser même le crédit de 5 millions.
Or, M. le ministre des travaux publics et d'autres honorables membres ont cité comme dépenses urgentes celles qui se rapportent aux stations et aux loges de gardiens ; quant à ces dernières, je crois que M. le ministre trouvera le moyen d'y pourvoir, dans la rubrique : « Routes ».
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Le chiffre est insuffisant.
M. Moncheur. - Dans ce cas, je pense qu'il est tout à fait nécessaire d’adopter un sous-amendement à l'amendement de M. Osy. Ce sous-amendement serait le suivant :
« Ajouter à l'article un cinquième paragraphe ainsi conçu :
« Stations, maisons et loges de gardes : fr. 1,000,000. »
Je dépose ce sous-amendement qui est également signé par mes honorables collègues MM. Tack, de Haerne et Rodenbach.
Je crois que cet amendement se justifie par lui-même.
Les bâtiments, les hangars, les magasins manquent presque partout ; avec ce million on ne pourra encore faire qu'une faible partie des dépenses les plus urgentes. Les stations deviennent de jour en jour plus encombrées ; non seulement il y a un danger, mais une perte de temps considérable dans l'exécution de manœuvres nécessitées par défaut de voies d'évitement.
M. de Naeyer. - On vient de faire parvenir au bureau un amendement par lequel on propose un cinquième crédit spécial qui est ainsi conçu :
« § 6° Stations, maisons et loges de gardiens : fr. 1,000,000. »
- Cet amendement, présenté par MM. de Haerne, Moncheur et Rodenbach, est appuyé.
M. Sinave. - L'honorable ministre des travaux publics a reconnu que le fait que j'ai signalé a eu lieu. J’avais employé le mot pression ; je crois qu'on réalité il n'y a pas eu pression dans cette circonstance.
Cependant je dois faire remarquer qu'il est d'usage, lorsqu'il y a des adjudications pour des sommes aussi considérables, que l'adjudication soit divisée en plusieurs lots, et M. le ministre a déclaré lui-même que cela se fait toujours ainsi.
Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics comment le ministère, en présence de soumissions offrant toutes le même prix exagéré, a pu céder tous les lots à un seul individu sans adjudication ; n'était-il pas facile de comprendre qu'une seule personne se présentant dans de pareilles circonstances, il y avait une coalition nuisible aux intérêts de l'Etat ?
Je n'en dirai pas davantage sur ce point ; mais il reste des soupçons qui ne s'adressent pas, je m'empresse de l'ajouter, à-M. le ministre des travaux publics ; et je prie M. le ministre de faire une enquête. L'honorable ministre sait que, dans une autre circonstance, j'ai provoqué également une enquête qui a produit un résultat ; je crois que dans cette circonstance il en serait de même.
En ce qui concerne la recette, ces moyens de transport ont été suffisants, les années précédentes pour produire un revenu plus fort que celui que nous avons aujourd'hui ; la diminution de recette n'a rien de commun avec le matériel, puisque avec le même matériel nous avons un revenu moindre.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, je remercie l'honorable préopinant des bons sentiments qu'il me témoigne ; je le prie de vouloir bien me les continuer après la déclaration que je vais faire : c'est que j'ai traité cette affaire seul et sans le concours d'aucun fonctionnaire de mon département. L'offre m'a été faite d'accepter tous les lots dans un certain délai : la diminution était telle qu'après avoir examiné les dispositions de la loi sur la comptabilité, qui autorisent les ministres à traiter de gré à gré dans certain cas, j'ai accepté personnellement l'offre qui m'était faite ; la diminution était de 70,000 francs. Si une enquête doit être faite, elle doit l'être contre moi. Puisqu'il vient de déclarer qu'il a confiance en moi, je pense qu'il ne donnera pas suite à sa demande d'enquête.
Quant à l'influence probable du nouveau crédit sur les recettes futures, l'honorable membre fait cette objection. Avec les moyens actuels de transport et même avec une augmentation des moyens de transport, les recettes semblent diminuer.
Cette appréciation est vraie, en ce qui concerne les premiers mois de l'année, mais elle n'est pas seulement vraie pour le chemin de fer de l'Etat belge, elle est encore vraie pour tons les transports de chemins de fer concédés en Belgique ; elle est vraie encore pour les chemins de fer du Nord de la France.
Ainsi, le chemin de fer du Nord est à 4 million au-dessous de la recette correspondante de l’année dernière ; plusieurs chemins de fer aboutissant à Paris sont dans le même cas.
Je puis donner à l'honorable membre une nouvelle, qui lui fera sans doute plaisir ; c'est que très probablement les derniers mois de l’année accuseront une augmentation de recettes.
En ce qui concerne l'amendement de l'honorable M. Moncheur, il va sans dire que je m'y rallie, puisque, avant l’honorable membre, j'avais signalé la lacune que présentait le crédit de 5 millions.
Cet amendement s'est ressenti de la précipitation avec laquelle il avait été rédigé à la fin de la session dernière. En effet, il ne comprend rien pour les stations, pour les loges de gardes. Quant aux stations, je n'ai rien à dire. Vous savez dans quelle situation elles sont ; il faudrait une somme de 8 millions pour les mettre dans un état convenable. Une demande d'un million pour cet objet ne vous paraîtra pas exagérée.
Mais il y aurait un changement de rédaction qu'il me serait agréable de voir apporter à l'amendement : « stations, maisons et loges de gardes » ; le mot « stations » est trop restreint, il pourrait amener des difficultés avec la cour des comptes, car il y aura dans les stations des dépenses à faire pour ponts à bascule, machines hydrauliques, excentriques et mille et un détails. Je crois qu'il serait sage de dire « stations et dépendances », cela ne change, rien à la chose principale. Je crois que cela rentre dans l'idée de M. Moncheur, je crois même que l'addition que je propose serait inutile, qu'en saine et stricte interprétation, il ne pourrait pas y avoir la moindre difficulté ; mais si l'addition du mot dépendances ne nuit pas, il ne donne pas un pouvoir extraordinaire au gouvernement et il me serait agréable de le voir introduire dans la disposition.
Je dois une réponse à l'honorable M. Moncheur qui engage le gouvernement à introduire dans ses tarifs une certaine élasticité au lieu d'une rigidité mathématique si contraire aux usages et aux besoins du commerce.
J'admets avec l'honorable membre qu'il faut mettre les moyens de transport de notre chemin de fer en harmonie avec les usages du commerce.
Il va sans dire qu'il serait ridicule de refuser un bénéfice qu'on pourrait obtenir qu'au moyen de légères modifications aux tarifs destinés à assurer au chemin de fer des transports avantageux. Je regarde comme transports avantageux les transports à longue distance, les transports de quantités considérables, les transports d'une certaine importance à jour fixe en utilisant les retours à vide du matériel, une quantité moyenne de transport réguliers qu'il plaira au public de fixer, il va sans dire qu'on peut, dans ce cas, accorder une réduction de tarif et même une réduction sensible.
(page 169) Je dois dire que l'administration est entrée dans cette voie, que les environs de la ville qu'il habite en retirent de grands bénéfices ; au moyen de cette réduction peu considérable du tarif, on obtient des transports qui ne se feraient pas. Ainsi Liège va approvisionner la France de ses charbons en passant par Charleroi qui en est cependant plus rapproché, et d'un autre côté, Verviers peut aller chercher à Charleroi des charbons pour des usages spéciaux. Voilà des opérations commerciales qu'engendrent des rédactions de tarif. Ces transports réguliers utilisant des retours, échapperaient à l'administration si le tarif était inflexible. Ces transports ne sont pas les seuls, il y a des contrats qui existent.
Depuis que l'administration est entrée dans cette voie, elle emploie utilement un matériel qui, sans cela, serait improductif Suivant les conseils de l'honorable membre,nous nous proposons de persévérer dans ce système, et nous espérons en obtenir les résultats les plus avantageux.
M. de Naeyer. - M. le ministre propose d'ajouter après le mot : « stations », ceux-ci : « et dépendances ».
M. Moncheur. - Nous nous rallions à ce sous-amendement.
M. David. - Les amendements présentés et les développements qu'on y a joints sont si peu précis, que je ne pourrai pas me décider à les voter. En effet, il s'agit de maisons et de loges de gardes, de pompes, d'excentriques, enfin de stations et dépendances.
Je désirerais, avant de me prononcer sur cet amendement, que M. le ministre voulût bien nous indiquer sur quelles lignes les dépenses dont il s'agit seront faites, sont les plus urgentes, Un million pour autant d'objets disparates ne peut pas être voté immédiatement.
Je reviendrai sur une question que j'ai soulevée plusieurs fois à propos de crédits semblables à celui qu'on nous demande aujourd'hui, je veux parler de la construction des voitures de 3ème et de 2ème classe, il n'y a pas de pays où des voitures soient aussi mauvaises et aussi malsaines qu'en Belgique.
En Allemagne il y a une quatrième classe qui est supérieure à notre troisième.
Il ne faut pas oublier que c'est la troisième classe qui fournit le plus de produits à notre chemin de fer ; il serait temps qu'on songeât à les traiter humainement ; je ne demande pas, remarquez-le bien, qu'on leur donne du confortable.
Quant aux voyageurs de deuxième classe, on ne leur en donne pas pour leur argent. Il y a une dette véritable envers les voyageurs de cette catégorie ; on ne leur fournit pas pour l'argent qu'ils donnent. Les voitures sont construites de telle façon que deux personnes ne peuvent pas être assises l'une vis-à-vis de l'autre. Les compartiments sont tellement étroits que quand on est assis, les genoux reposent sur le banc qui se trouve en face et pour que les voyageurs n'aient pas les pieds gelés, c'est du foin avarié qu'on met dans les voitures, du foin pourri qui fait tousser et éternuer les voyageurs.
Ce n'est pas ainsi qu'on traite les voyageurs en Allemagne, les deuxièmes classes sont au moins aussi bonnes que nos premières. Sur le chemin de fer rhénan, je sais qu'ils sont aussi mal que chez nous mais plus loin, il n'en est plus ainsi.
Après cela, le trésor public est lésé par la construction de ces voitures. A chaque compartiment il n'y a que deux portières. 0n doit nécessairement traverser un des bancs ; d'où il résulte qu'il n'y a que 18 places au lieu de 20. Ou perd donc deux places. C'est une perte réelle pour le trésor.
J'espère que M. le ministre des travaux publics, avant d'augmenter le matériel, voudra bien examiner s'il n'y a pas d'améliorations à apporter aux voitures de deuxième et de troisième classe pour les mettre en rapport avec ce qui se fait partout maintenant.
Puisqu'il s'agit de chemin de fer, je dois signaler une véritable exploitation des voyageurs belges de la frontière sur le chemin de fer rhénan. Ils payent précisément le double de ce que payent les voyageurs allemands de Verviers à Aix-la-Chapelle.
Voici comment cela se fait. Les voyageurs allemands prennent un billet à Herbestal, et, reconnus à leur accent pour des Allemands, ils payent moitié moins que ne payent les voyageurs belges.
Il y a là une injustice que l'on pourrait, je pense, faire cesser en faisant valoir que nous sommes propriétaires de 4,000 actions du chemin de fer rhénan.
M. Vandenpeereboom. - J'ai demandé la parole pour appuyer les observations des honorables MM. de Haerne, Moncheur et Rodenbach. Comme ces honorables membres, je crois qu'il est plus que temps que nos stations provisoires soient converties en stations définitives.
Depuis 7 ou 8 ans nous insistons sur cette nécessité. Chaque fois M. le ministre des travaux publics a reconnu que ces stations laissaient infiniment à désirer ; ce n'était pas là une grande découverte puisque tout le monde le reconnaît.
Mais reconnaître que l'état d'un certain nombre de stations est défectueux, ce n'est pas porter remède au mal. J'appuie l’amendement proposé par M. Moucheur et j'espère que la Chambre le votera. On objecte que par suite de la décision d'hier, la discussion doit être circonscrite dans un crédit limité à 5,000,000 de francs. Je prie l'honorable M. Osy, auteur de cette proposition, de vouloir bien nous dire si, dans son opinion, l'adoption de sa proposition exclue que le droit de présenter des amendements ; pareille prétention ne serait pas fondée ; la Chambre ne peut abdiquer son droit d'amender.
Je recommande spécialement à l'attention de M. le ministre des travaux publies la station de Courtrai dont la déplorable situation a été dépeinte avec une parfaite exactitude, par M. le chanoine de Haerne.
La Chambre pourra peut-être me demander comment moi, qui représente, un autre arrondissement, je viens réclamer en faveur de la station de Courtrai ? Je ferai remarquer que les habitants de mon arrondissement s'arrêtent plus à la station de Courtrai que les habitants de Courtrai même, et malheureusement sont forcés souvent de stationner très longtemps en cette station.
A ce propos, j'appellerai l'attention de M. le ministre sur le défaut de coïncidence entre les convois de l'Etat et ceux du chemin de fer de la Flandre occidentale.
Les personnes qui vont de Bruxelles à Ypres sont obligées, par certains convois, de stationner six heures à Courtrai. Le seul convoi direct de Bruxelles à Ypres part de la capitale à 7 heures 15 minutes du matin. On est vraiment tenté, quand on voit cela, de se demander à quoi sert le chemin de fer.
Aussi la chambre de commerce et l'administration communale d'Ypres ont-elles demandé, pour assurer du moins le service des dépêches, l'établissement d'un service de malle-poste en concurrence avec le chemin de fer. J'espère que l'administration ni refusera pas cette modeste demande.
Je n'ai plus qu'une question à faire. Je demanderai à M. le ministre des finances s'il est d'accord avec son collègue des travaux publics et si les ressources du trésor permettent de faire face aux dépenses dont il s'agit dans le crédit en discussion.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Il va sans dire que mon honorable collègue des travaux publics qui s'est rallié à l'amendement, s'est mis d'accord avec les autres membres du gouvernement.
M. Lebeau. - Si au dernier jour, ou, comme l'a dit l'honorable M. Frère, à la dernière heure de la dernière session, j'ai pu surmonter ma répugnance à voter le crédit in extremis, c'est à cause de l'urgence qu'il y a à compléter le doublement de la voie de Namur à Charleroi,. qui depuis l'achèvement de la ligne d'Erquelinnes, fait partie de la route principale du Rhin à la Seine, de Paris à Cologne. Il passe chaque jour sur cette ligne plusieurs express. Tout le monde comprendra que s'il n'y a qu'une voie le moindre retard dans la marche d'un convoi peut occasionner les plus graves accidents.
Je saisis cette occasion de rappeler à M. le ministre des travaux publies une réclamation dont je me suis déjà fait l'organe, je veux parler de ce que le télégraphe de l’Etat ne se raccorde pas à Liège avec celui de la compagnie du Non !. D'où il résulte qu'au grand préjudice du commerce de Huy avec la Hollande, commerce qui a une grande importance, les dépêches de la Hollande en destination de Huy doivent toutes s'arrêter à Liège.
Je désirerais que le gouvernement entrât en négociations avec la compagnie du Nord pour faire droit à ces légitimes réclamations.
M. Rodenbach. - Je crois devoir appuyer les observations de l'honorable M. Vandenpeereboom. On croirait que !e chemin de fer du centre de la Flandre occidentale, exploité par une compagnie anglaise n'a été créé qu'en vue des communications avec la France.
Il me paraît qu'une compagnie étrangère ne peut ainsi décider arbitrairement des heures de départ. Elle doit s'entendre avec le gouvernement.
Ce que vous a dit pour Ypres l'honorable M. Vandenpeereboom, je dois en dire autant pour l'habitant de Roulers, ville importante appartenant à un pays manufacturier, dont la prospérité augmente d'année en année. Les voyageurs de cette ville ne peuvent partir que fort tard dans la matinée pour pouvoir arriver dans la journée à Bruxelles. On a réclamé des malles postes pour arriver plus promptement de plusieurs localités de la Flandre à Courtrai, Gand et Bruxelles.
Le voyageur se rendant de Roulers à Bruxelles doit s'arrêter plusieurs heures à Courtrai, et s'il veut venir par Deynze, il doit encore s'arrêter deux ou trois heures dans cette station avant de pouvoir arriver à sa destination.
J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre et le prie de veiller à ce que les heures de départ soient fixées de manière à favoriser les communications de nos villes manufacturières, Iseghem et Roulers avec la capitale.
L'honorable M. David vous a parlé à juste titre des améliorations à apporter aux waggons de 3ème classe, que j »appelle les équipages du peuple. Il y a plusieurs aimées que j'ai appelé l'attention sur ce point. Je dois cependant à la vérité de die que M. le ministre a apporté des amélioration aux waggons. Beaucoup de waggons sont couverts et assez confortables. Le public est à l'abri des intempéries. Mais tous les waggons ne sont pas dans cet état. Les améliorations doivent être continuées et étendues aux voitures mêmes de 2ème classe, comme en France et en Allemagne.
Tandis que l'honorable M. David signale avec raison des améliorations à faire, il se prononce contre l'augmentation d'un million. Je ne vois pas comment lui, qui signale les inconvénients de l'état actuel des choses, qui veut qu'on améliore le service, qu'on achève les stations, les salles d’attente, qu'on prenne toutes les mesures propres à augmenter la prospérité du commerce et éviter les grands malheurs qui ne sont que trop fréquents, il se refuse à voter le chiffre qui est proposé.
(page 170) L'honorable membre a demandé sur quelle ligne on comptait dépenser les crédits. Mais nous lui avons cité Courtrai et Deynze où les marchandises doivent rester exposées à l'air, où il n'y a que des salles d'attente de 5 à 6 mètres d'étendue. Je citerai encore la section d'Harlebeke à Gand qui n'a qu'une seule voie. C'est cependant une ligne importante et productive.
D'après les prévisions, le chemin de fer ne rapportera cette année que 23,500,000 francs. Mais si la progression qui se faisait remarquer dans les recettes depuis plusieurs années avait continué, il aurait rapporté 26 millions.
Si cette progression ne continue pas, on ne peut en faire aucun reproche au ministre, puisqu'on ne lui donne pas les fonds nécessaires pour améliorer l'exportation.
Je voterai, messieurs, pour l'augmentation d'un million, et j'engage l'honorable M. David à voter avec nous.
M. Frère-Orban. - Messieurs, le gouvernement a soumis à la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'allouer une somme de 21 millions pour le chemin de for de l'Etat. Cette loi a été examinée par les sections et par la section centrale. Un rapport fait par l'honorable M. Moncheur en propose l'adoption.
Si la discussion s'était ouverte sur ce projet, bien évidemment on aurait été amené à examiner toutes les question si importantes relatives à l'organisation et à l'exploitation du chemin de fer de l'Etat. Il serait inutile, il serait en quelque sorte dérisoire que l'on abordât aujourd'hui l'une ou l'autre de ces questions. Cela seul vous indique qu'à l'aide du système qui est pratiqué à l'égard de ce projet de loi, on peut arriver à supprimer en réalité toute espèce de discussion.
On propose de voter 5 millions, et même par amendement un million de plus. Si nous discutons encore quelque temps, je ne serais pas surpris de voir ajouter encore, par amendement, quelques millions. Deux ou trois amendements de ce genre supprimeront en réalité la discussion sur le budget principal.
Si la discussion avait pu être sérieuse, je crois qu'elle eût été fort utile pour le chemin de fer. On aurait fait cesser une grande partie des objections qui se produisent et laissent percer si souvent l'idée que peut-être ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait d'aliéner le chemin de fer de l'Etat, de le céder à une compagnie.
M. Moncheur. - D'en remettre l'exploitation à une compagnie.
M. Frère-Orban. - Remettre l'exploitation à une compagnie ou aliéner le chemin de fer de l'Etat, je crois que c'est à peu près la même chose.
J'ai déjà signalé plusieurs fois le danger véritable, selon moi, que présenterait la réalisation d'une pareille opinion.
Ce serait le commerce, au nom duquel on parle, qui serait le premier à s'en plaindre. En Angleterre, où les voies ferrées sont exploitées par des compagnies, les plaintes les plus vives s'élèvent ; des mesures ont dû être prises ; le parlement a dû intervenir et sera probablement obligé d'intervenir encore. En France, où l'exploitation a également lieu par des compagnies, les plaintes les plus vives se font entendre, des contestations qui ont un haut caractère de gravité sont portées devant les tribunaux. C'est notamment à propos des tarifs et des faveurs faites à certains entrepreneurs ou à certains industriels que les réclamations les plus énergiques se produisent.
Aussi je profite de cette occasion pour engager M. le ministre des travaux publics à ne pas être aussi affirmatif qu'il l'a été dans sa réponse à l'appel de l'honorable M. Moncheur. L'honorable M. Moncheur convie le gouvernement à établir des tarifs qui n'auraient aucune espèce de fixité, qui ne seraient pas les mêmes pour tout le monde, à accorder des réductions pour de grands transports. Des particuliers, à raison de l'importance des transports qu'ils pourraient offrir au chemin de fer, obtiendraient des conditions de faveur. C'est là un principe qu'il ne faut pas accueillir légèrement ; il peut faire naître de graves inconvénients, et nuire beaucoup à des concurrents qui n'auraient que des transports moins considérables à faire effectuer par le chemin de fer de l'Etat.
Je ne discute pas, messieurs, le fond même de la proposition qui nous est soumise. Le gouvernement s'est rallié à un premier amendement de cinq millions et à un second amendement qui tend à ajouter un million à la somme sollicitée.
On le justifie, vous savez comment : si l'on parle de waggons, de locomotives, on vous dit : « Le chemin de fer du Nord exploite tant de kilomètres et il a tant de waggons, tant de locomotives ; nous exploitons tant de kilomètres et nous n'avons ni waggons ni locomotives en proportion. » Cet argument, messieurs, ne supporte pas l'examen. Il est évident qu'on ne peut pas apprécier ce besoin de matériel au moyen d'une semblable comparaison. Le chemin de fer du Luxembourg, par exemple, aura une longueur très considérable. Croyez-vous que pour déterminer le nombre de locomotives et de waggons nécessaires la compagnie comparera la longueur de la route avec toute autre ligne d'une égale longueur, au lieu de constater le trafic possible sur la ligne ?
De semblables raisons ne prouvent donc absolument rien : il faut démontrer, par le trafic même qui se fait sur le chemin de fer belge, qu'il y a nécessité d'augmenter le matériel. On sollicite cette augmentation sans aucune espèce de justification réelle, alors qu'on signale une diminution dans le transport des marchandises et des voyageurs.
Je livre cette réflexion à la Chambre. Mais voici un point sur lequel j'appelle surtout son attention.
Il s'agit de dépenser 5 ou 6 millions, je le veux bien. Ils seront utilement employés, je l'accorde ; mais pour dépenser de l'argent il faut en avoir. En a-t-on ? Nullement.
On ne propose aucune ressource pour faite face à la dépense, la dépense, dit le projet de loi, sera couverte au moyen d'une émission de bons du trésor. Je regrette beaucoup que l'honorable M. Osy, auteur de l'amendement, qui reprochait hier à certains membres de n'avoir pas voté dans la dernière session, vienne de quitter la séance. Je lui demanderais comment, d'après les idées qu'il a toujours défendues dans cette enceinte, il peut engager le gouvernement à faire une dépense aussi considérable sans avoir les moyens d'y faire face.
L'honorable M. Osy, il y a quelques années, s'est élevé avec une grande énergie contre une émission de bons du trésor qui pouvait monter à 18 ou 19 millions. Il insistait sur l'état politique et l'état financier ; il indiquait la situation des bourses et des banques, et il démontrait, dans des circonstances qui ne sont pas sans analogie avec celles où nous nous trouvons, qu'il était imprudent d'autoriser une émission de bons du trésor aussi considérable. Eh bien, aujourd'hui, messieurs, savez-vous quelle est la situation du trésor ?
Le découvert, attesté par l'exposé même de M. le ministre des finances, est de 22 millions de francs. Rarement la dette flottante a été maintenue à un chiffre aussi élevé. Le déficit est de 22 millions sans qu'on ait tenu compte d'aucun des crédits nombreux qui sont à solliciter et que la Chambre votera sous peu : on n'a tenu compte que des seuls crédits dont la Chambre est saisie. Il y aurait donc à ajouter à ces 22 millions, d'abord les 6 millions dont' il s'agit en ce moment, cela fait 28 millions. Je ne sais pas quelle est la somme des autres crédits à demander, mais je puis assurer d'avance qu'elle est très considérable. Il y a des crédits supplémentaires, il y a des crédits pour Anvers ; d'autres encore sont annoncés.
Est-ce que nous pouvons ainsi grossir le déficit ? Les dépenses fussent-elles mieux justifiées, fût-il démontré à toute évidence qu'elles doivent être faites, peut-on les faire s'il n'y a pas de ressources ?
On proposera ultérieurement de faire un emprunt, je le veux bien, mais quand cet emprunt pourra-t-il être contracté ?
M. le ministre des finances a dit hier, je pense, que le vote du crédit sera une simple autorisation donnée au gouvernement de faire la dépense et qu'il ne la fera pas s'il ne peut pas contracter un emprunt. Mais alors je demande à quoi bon voter à présent puisque le gouvernement reconnaît lui-même que si l'emprunt ne peut pas se réaliser dans, un temps assez rapproché, le gouvernement commettrait une imprudence en s'engageant aujourd'hui dans de nouvelles dépenses.
Je désire savoir si, nonobstant cette observation, M. le ministre persiste à demander le vote actuel d'un crédit aussi considérable ?
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, l'honorable orateur que vous venez d'entendre se trompe lorsqu'il suppose que l'observation que j'ai faite hier s'appliquait au crédit de 5 millions, aujourd'hui 6 millions. Elle se rapportait au crédit de 21 millions qui fait l'objet du projet de loi, et je disais que si la Chambre votait ces 21 millions, le gouvernement modérerait les dépenses jusqu'à ce qu'il trouvât le moment opportun de contracter un emprunt à des conditions convenables.
Quant à la situation du trésor, au point de vue du notre encaisse, elle est très favorable. Il est bien vrai que le projet de budget des voies et moyens, tel qu'il est proposé, autorise le gouvernement à émettre des bons du trésor jusqu'à concurrence de 22 millions ; niais il est à observer que l'Etat est encore en possession de sommes très considérables votées antérieurement comme recettes extraordinaires ; notre encaisse depuis longtemps varie constamment de 29 à 31 millions ; cependant nous n'avons émis que pour 10 millions de dette flottante. Rien ne s'oppose donc à la dépense de 6 millions dont il est question en ce moment et s'il en résulte la nécessité d'augmenter le chiffre nominal de la dette flottante, il n'est pas moins vrai que selon toute probabilité l'émission n'atteindrait pas encore les 22 millions.
D'ailleurs, messieurs, quelque hâte que l'on y mette, ces 6 millions ne seront pas absorbés avant dix mois ou un an ; cette dépense ne se fera que successivement dans ce laps de temps.
La situation réelle du trésor permet donc parfaitement cette dépense ; je dirai même, messieurs, que le gouvernement agirait contrairement aux intérêts de l'Etat s'il augmentait démesurément son encaisse. L'encaisse est peut-être trop fort, il dépasse du moins le chiffre normal auquel il convient de le porter ; mais il ne dépend pas du ministre des finances de régler toujours son encaisse comme il le désirerait ; lorsqu'un emprunt est contracté, le gouvernement ne peut pas déterminer les termes des versements précisément comme il le voudrait pour n'avoir jamais de perte considérable d'intérêt. Diverses circonstances s'y opposent et c'est pour ce motif que l'encaisse a souvent dépassé de beaucoup les besoins du service.
Dans ce moment donc, messieurs, il y a lieu d'être parfaitement tranquille sur les conséquences du vote qui va être émis.
M. Tack. - J'ai demandé la parole pour joindre mes instances à celles des honorables membres qui ont signé conjointement avec moi l'amendement qui tend à majorer d'un million le crédit demandé par le projet de loi soumis à vos délibérations, le million en question doit (page 171) être employé aux travaux de construction des bâtiments de station, et dépendances et des loges de gardes-route.
Je pense qu'il entre dans les intentions de l'honorable ministre des travaux publics, de prendre sur le crédit d'un million la somme nécessaire pour faire faire aux dépenses à résulter de la construction des bâtiments de la station de Courtrai ; c'est la pensée des auteurs de l'amendement.
Je ne répéterai pas ce que dans d'autres occasions et à diverses reprises j'ai dit, dans cette enceinte, des inconvénients nombreux qui résultent de la pénurie ou, pour mieux dire, du défaut absolu des locaux indispensables au service et à l'exploitation de la station de Courtrai ; ces inconvénients ont suscité de toutes parts des plaintes et des réclamations.
L'administration du chemin de fer, comme l'honorable ministre des travaux publics, en a reconnu le fondement.
Quant aux dangers qu'offrent les dispositions vicieuses de la station de Courtrai et que l'honorable M. de Haerne vient de signaler, ils sont réels ; ils proviennent notamment de ce que l'emplacement de la station est trop étroit, trop resserré et cela parce que les bâtiments provisoires font saillie sur les terrains occupés par les voies d'évitement.
Or, on vous l'a dit, c'est dans cet espace étranglé que doivent se faire les manœuvres pour une circulation journalière de trente-deux convois.
Le moindre malentendu amènerait de fâcheuses collisions et je ne crains pas d'affirmer que ce n'est que grâce au zèle, à l'activité et à l'intelligence de M. le chef de station Minnens que nous devons de n'avoir point eu encore à déplorer, à Courtrai, des catastrophes de plus d'un genre.
Il y a, messieurs, des motifs spéciaux pour qu'on ne retarde plus longtemps le parachèvement de la station de Courtrai. D'abord on conçoit à peine qu'on ait pu laisser, pendant dix-sept ans, sans bâtiment de station une localité aussi importante que la ville de Courtrai ; ensuite il est à remarquer que lors de la discussion de la grande loi de 1851 les constructions des bâtiments de la station de Courtrai furent spécialement indiquées par le gouvernement comme étant comprises parmi les travaux d'utilité publique qui font l'objet de cette loi.
J'ajouterai enfin qu'il existe un engagement de la part du gouvernement vis-à-vis de la ville de Courtrai, engagement qui oblige le gouvernement à construire sans retard les bâtiments indispensables au service de la station ; et, en effet, la ville de Courtrai a vendu, il y a quatre ans, au profit de l'Etat belge, à prix réduit, des terrains précieux, considérables, et cela sous la foi qu'elle serait dotée, dans un très bref délai, de bâtiments de station convenables.
Il ne faut pas que l'Etat, sous quelque prétexte et par quelque motif que ce soit, puisse se dégager de cette obligation.
Aussi je prie l'honorable ministre des travaux publics de prendre des mesures pour que l'adjudication de l'entreprise des travaux ait lieu immédiatement, afin que l'on puisse mettre la main à l'œuvre au commencement du printemps prochain. Rien ne s'y oppose, les plans, devis et cahier des charges sont dressés et approuvés par le gouvernement.
Je termine en confirmant les observations faites par l'honorable M. Vandenpeereboom, en ce qui concerne la défectuosité des correspondances sur Ypres entre les convois de l'Etat et ceux des chemins de fer de la Flandre occidentale, et j'ajouterai que les réflexions de l'honorable membre s'appliquent également aux coïncidences des trains de Courtrai et de Roulers avec ceux partant d'Ingelmunster en destination pour Thielt.
M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Frère prétend que comparer ce qui se fait sur le chemin de fer du Nord avec ce qui se fait sur le chemin de fer de l'Etat belge, ce n'est rien dire : je pense, au contraire, que cette comparaison est très juste ; vu l'heure avancée de la séance, je ne m'attacherai pas à prouver mon assertion ; seulement je demanderai à l'honorable M. Frère, si ce ne serait rien dire non plus que de comparer les résultats de l'exploitation de chacun des deux chemins de fer.
Or, avec les dépenses intelligentes que le chemin de fer du Nord sait s'imposer, la compagnie arrive à donner des dividendes de 15 à 16 p. c. annuellement, tandis que notre chemin de fer, qui recule devant les dépenses, ne produit pas 5 p. c.
Messieurs, j'ai une modification de rédaction à proposer à l'amendement en discussion. Il porte ce qui suit :
« Art. 1er. Des crédits spéciaux sont ouverts au ministère des travaux publics et affectés aux dépenses désignées dans les articles ci-après : Art. 1er, etc. »
Je propose de substituer le mot « paragraphe » au mot « article », sinon nous aurions des articles dans un article ; ce qui serait assez peu conforme aux style ordinaire des lois. On dirait donc : « et affectés aux déposes désignées dans les paragraphes ci-après : § 1er, § 2, § 3, § 4, etc. »
- L'amendement est appuyé.
M. Frère-Orban. - Messieurs, la réponse que m'a faite M. le ministre des finances est peu satisfaisante. M. le ministre a omis un point très important : c'est d'indiquer les sommes considérables que vous aurez encore à voter et qui viendront s'ajouter au déficit. Il nous dit qu'on peut encore voler les 6 millions ; que l'encaisse du trésor est très satisfaisante ; que l'émission des bons du trésor, quoique autorisée jusqu'à concurrence de 22 millions, n'est en réalité que de 10 millions.
Mais, messieurs, cet encaisse est une affaire accidentelle, momentanée : il est destiné à couvrir des dépenses réelles. Les bons du trésor n'ont jamais atteint le chiffre jusqu'à concurrence duquel l'émission était autorisée. Cela importe peu : la question qu'il s'agit d'examiner est celle de savoir si vous voulez voter des dépenses considérables, sans avoir les ressources nécessaires pour y faire face.
Si l'émission des bons du trésor qui a été autorisée n'était que d'un chiffre minime, il est évident qu'on pourrait y ajouter provisoirement. une somme plus ou moins importante ; mais lorsque vous êtes déjà en présence d'un déficit de 22 millions, et que vous serez obligés de voter, dans le cours de la session, des sommes nouvelles, que vous ne pourrez couvrir également que par des bons du trésor, proposer dans de pareilles circonstances, d'ajouter cette somme de 6 millions qui ne constitue pas une dépense aussi indispensable que celle des crédits supplémentaires destinés à acquitter des dépenses déjà effectuées,cela me semble un système que la Chambre ne doit pas encourager ; et, pour ma part, je ne veux pas m'y associer. Je m'abstiendrai de voter.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, il me semble que l'honorable préopinant parle comme s'il ignorait complètement qu'une loi d'emprunt a été soumise à la Chambre. Je demanderai la discussion de cette loi lorsque le gouvernement eu jugera le moment opportun. Il n'y a d'ici à un temps assez éloigné aucun embarras à craindre pour le trésor : nous ferons facilement face aux 6 millions que la Chambre paraît disposée à voter aujourd'hui. Je ne pense pas que l'honorable préopinant veuille provoquer maintenant une discussion approfondie sur la situation financière.
Je le répète, une loi d'emprunt est proposée en vue des dépenses extraordinaires auxquelles l'honorable membre fait allusion. Je le répète, le crédit de 6 millions dont il est question en ce moment peut être voté par la Chambre sans le moindre inconvénient. Notre situation financière sera ultérieurement examinée sous toutes ses faces.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, je dois quelques mots de réponse à l'honorable M. David.
Il a répété dans cette séance des observations fort judicieuses qu'il avait déjà faites antérieurement, qui n'avaient pas été mises à profil jusqu'ici par la raison fort simple, que depuis qu'il les a présentés aucun matériel nouveau n'a été commandé.
Je suis d'accord avec lui, que parmi les modifications à apporter à notre matériel de transport des voyageurs de 2ème classe, figure la substitution de trois portières à deux, afin de faciliter l'embarquement et le débarquement des voyageurs, de leur donner le plus de confortable possible et d'utiliser davantage le matériel.
Quant à cette observation que le foin mis sous les pieds des voyageurs n'était pas de première qualité, j'en prends note, je ferai remédier à cet abus qu'on me signale, du reste, pour la première fois.
Je prendrai également en considération les plaintes qu'il a fait entendre à propos des voitures de troisième classe qui sont celles qui amènent le plus de voyageurs et de produits au chemin de fer ; il sera fait droit à ces plaintes quand on commandera de nouvelles voitures.
Le même orateur a signalé un autre fait qui me semble étrange : un voyageur belge ne payerait pas le même prix qu'un voyageur étranger, quand il franchit la frontière pour se rendre à Cologne. C'est un point sur lequel je prendrai des informations et je tâcherai de faire cesser, s'il existe, l'abus qu'il a signalé.
Avant de voter la somme proposée pour stations et dépendances,, loges el maisons de garde, l'honorable membre voudrait être renseigné sur les besoins les plus urgents auxquels on se propose de pourvoir. La chose n'est pas facile, l’embarras est de citer les points les plus déshérités pour y porter les ressources restreintes dont on dispose. La plus urgente amélioration à apporter est à la station de l'Allée verte de Bruxelles qui est encombrée de marchandises.
Il y a ensuite les ateliers de Malines qui sont commencés depuis longtemps et dont l'achèvement permettra de faire des économies notables sur les réparations du matériel ; nous avons les hangars pour les marchandises à Liège, dont l'existence date de la construction du chemin de fer et qui sont dans un tel état de vétusté qu'on ne pourrait pas y faire la plus petite réparation. A cet égard la Chambre peut être assurée que les dépenses qui seraient faites laisseraient complètement intacte la question de remplacement définitif de la station.
Il y a en outre les stations de Capelle, de Boussut, de Quiévrain, de Gosselies, de Floreffe, où il faut procéder au pavage afin d'utiliser les terrains nouvellement acquis et de donner dans les moments d'encombrement toutes les facilités possibles pour le mouvement des convois. Le plus grand défaut dans ces stations c'est que les manœuvres s'y font lentement par suite du manque de voies de garage et d'évitement.
J'ajouterai, ce que j'ai déjà dit, qu'une surveillance plus active de la route devient de plus en plus indispensable ; les accidents qui ont retenti si douloureusement dans le pays ont donné de nouvelles preuves de la nécessité d'augmenter la surveillance des voies.
(page 172) Je manquerais à mon devoir si je ne vous demandais pas les fonds nécessaire pour établir les loges et maisons de garde. Il y a en ce moment trois cents barrières où il n'y a rien pour assurer un abri aux gardes qui en ont la surveillance. Les dangers des voyageurs vous porteront à reconnaître avec moi qu'il n'y a pas à hésiter à faire une dépense semblable.
On a parlé aussi du manque de coïncidence des convois sur les lignes concédées avec les convois du chemin de fer de l'Etat à la station de Courtrai. Ce n'est pas la première fois que cette plainte m'est adressée. J'avais songé à l'établissement d'un convoi supplémentaire pour remédier à ce manque de coïncidence ; j'avais pensé qu'un convoi partant à une heure avancée de la soirée satisferait aux besoins de la correspondance et de la poste aux lettres ; bien que le gouvernement ait la rédaction du tableau des heures de départ des convois, il a pensé qu'il commettrait un abus de pouvoir, s'il imposait à la compagnie un convoi supplémentaire qui ne rapporterait pas le. combustible de la locomotive.
En effet les convois du soir en hiver ne transportent qu'un très petit nombre de voyageurs. On a répondu à l'honorable M. Vandenpeereboom, que si l'on ne parvient pas à établir de coïncidence, pour les besoins de la correspondance on créera un service d'estafette.
L'honorable M. Lebeau a insisté sur la nécessité d'établir une double voie sur la section de Namur à Charleroi. Ce besoin est tellement pressant que je n'ai rien à ajouter aux arguments qu'il a fait valoir ; à cet égard, je dirai que la somme portée à l'article 4 de l'amendement présenté par M. Osy à la session dernière est destinée à satisfaire aux besoins qu'il a signalés.
L'honorable membre a dit ensuite que plusieurs localités voyaient dans leurs stations des poteaux des télégraphes sans qu'il leur fût permis de se servir d'une manière un peu convenable de ce moyen de correspondante. Je suis heureux de pouvoir l'informer qu'une convention a été conclue avec la compagnie concessionnaire par laquelle quelques-unes des stations ont été mises en communication avec la ligne de l'Etat et que la ville de Huy aura une communication avec toutes les stations du chemin de fer de l'Etat, moyennant une légère augmentation du prix de la dépêche.
A propos des tarifs exceptionnels, l'honorable M. Frère-Orban a dit qu'un chemin de fer exploité par l'Etat doit n'avoir qu'une espèce de tarifs.
Je suis de l'avis de l'honorable membre, qu'il serait dangereux d'établir en principe que le tarif des chemins de fer de l'Etat est susceptible de réduction ; mais ici il s'agit d'une exception s'appliquant à des transports fructueux que l'administration pourrait acquérir moyennant certaines concessions el qui sans cela lui échapperaient ; il ne s'agit pas, du reste de concessions qu'on ferait à certains industriels et qu'on n'accorderait pas à d'autres ; le principe et la condition de la concession seraient posés dans le tarif, par exemple si on fixait 3 mille kilogrammes le minimum de la quantité pour laquelle des réductions seraient accordées, ce minimum serait fixé pour tout le monde.
En France, il vrai, le tarif exceptionnel donne lieu à des objections, à des difficultés avec les compagnies. L'objection principale vient de ce que tous les expéditeurs ne sont pas traités de la même manière. On accorde aux uns des faveurs de transport qu'on refuse aux autres.
Au reste la question est assez importante pour mériter l'attention de la Chambre et celle du département des travaux publics.
Jusqu'à présent les contrats n'ont provoqué aucune objection, l'administration ayant l'habitude de traiter tous les expéditeurs de la même manière.
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix par appel nominal.
Le vote constate que cinquante membres seulement sont présents.
La séance est levée à 5 heures.