(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Rousselle, vice-président.)
(page 1141) M. Maertens fait l'appel nominal à 2 heures et un quart, lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée, et présente l'analyse d'une pièce adressée à la Chambre.
« Le sieur Dodémont, ancien blessé de septembre, demande une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant prorogation de la loi du 1er mars 1851 concernant le tarif des correspondances télégraphiques.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen de la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.
Prompts rapports de pétitions
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition du 7 avril 1856 le sieur Ruelle réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils soit libéré du service militaire.
Le pétitionnaire expose que le conseil de milice avait décidé que son fils n'avait pas la taille voulue pour le service, mais que néanmoins la députation permanente l'a admis comme milicien valide propre au service, et que par suite de cette décision il a été incorporé dans l'armée.
Vainement il s'est adressé au département de la guerre ; celui-ci lui a répondu que, vu que la décision de la députation permanente n'est pas sujette à appel, c'était chose jugée et qu'il ne pouvait être fait droit à sa demande.
Le milicien s'est donc rendu au corps. Plus tard, sur un conseil qui lui a été donné, dit le pétitionnaire, il s'est adressé à la Chambre afin de faire réformer la décision prise par la déptlation permanente. Il ajoute qu'il conste du procès-verbal dressé par le conseil de milice que son fils n'avait pas la taille, qu'il était trop petit de quelques centimètres.
Votre commission, vu la décision de l'honorable ministre de la guerre, s'appuyant d'ailleurs sur celle de la déptlation permanente, croît ne pouvoir vous proposer d'autre conclusion que l'ordre du jour.
M. Lange. - Je propose le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements et en voici la raison : c'est que le département de l'intérieur va être saisi directement de la connaissance de cette affaire.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, votre commission a également pesé les raisons qu'il y aurait à proposer le dépôt de la pétition au bureau des renseignements. Mais comme elle ne contient pas de matière à enseignement, la commission n'a pas cru devoir conclure dans ce sens.
Cependant je ne m'oppose pas personnellement à la proposition de l’honorable M. Lange.
- La proposition de M. Lange est adoptée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Bruxelles, le 28 mars 1856, un grand nombre de notaires de cantons de divers points de la Belgique, réunis en assemblée générale au Waux-Hall, à Bruxelles, le 28 mars 1856, adressent à la législature leur demande, tendant à l'abrogation de l'article 5 de la loi du 25 ventôse an XI, et l'établissement d'un même et unique ressort de juridiction pour tous les notaires en général.
Par pétition datée d'Helle, le 12 février 1856, le sieur Lagae, notaire à Heule, demande l'abolition des classes de notaires.
Par pétition datée de Termonde, le 14 janvier 1856, les membres de la chambre de discipline des notaires, à Termonde, signalent des abus, dans le notariat, proposent des mesures pour les détruire et prient la Chambre de s'occuper sans retard de cette question.
Par pétition datée de Seraing, le 8 décembre 1855, le sieur Pagua, candidat-notaire, demande qu'il n'y ait qu'une seule classe de notaires, que les notaires actuels soient répartis par canton, qu'ils puissent instrumenter dans tout l'arrondissement de leur résidence et que les candidats-notaires soient appelés au notarial par ordre d'ancienneté.
Par pétition datée d'Audenarde le 2 décembre 1855, la chambre des notaires de l'arrondissement d'Audenarde demande la révision de la loi sur le notariat.
Par pétition datée de Courtrai le 7 mai 1855, des notaires de troisième classe demandent la suppression des diverses classes de notaires.
Il serait difficile de traiter la nécessité urgente de réformer la loi sur le notariat sans tomber dans des répétitions et des redites oiseuses ; on ne peut guère ajouter des arguments nouveaux à ceux si concluants que les pétitionnaires n'ont cessé de faire valoir depuis un grand nombre d'années.
Les paroles prononcées récemment dans une autre enceinte, et qui ne sont pas marquées au coin de l'impartialité, ont fait la plus pénible impression sur l'esprit des pétitionnaires qui se sont constitués en assemblée générale, de tous les points de la Belgique, à Bruxelles, pour protester contre ces paroles, obtenir le redressement de leurs griefs et vous exposer que celui qui les prononçait, jouissant lui-même de ce privilège exorbitant qu'il voudrait voir perpétuer aujourd'hui, le qualifiait à l'université libre, il y a vingt ans, d'injustice que l’intérêt des clients ne saurait justifier. Or il suffit qu'une injustice soit signalée pour qu'on s'empresse de la faire disparaître ; et qu'on veuille bien le remarquer, ce ne sont pas quelques notaires de canton, mais la généralité qui réclame aujourd'hui avec de si vives instances. Si la loi a bien fonctionné depuis 50 ans, les circonstances ont changé, le temps a marché, les besoins ne sont plus les mêmes, comme le disait naguère l'honorable ministre de la justice ; il aurait pu ajouter que la loi sur les examens exigeant les mêmes connaissances et les mêmes garanties pour tous, il était juste et équitable de conférer aux récipiendaires les mêmes droits et les mêmes prérogatives, et de coordonner la loi sur le notariat avec celle sur les examens des candidats notaires ; car ceux qui obtiennent du gouvernement pour résidence le siège d'une cour d'appel ou d'un tribunal jouissent déjà d'une insigne faveur sans qu'on y ajoute encore le privilège énorme de venir enlever le plus clair des bénéfices à leurs collègues, dans les divers cantons qui les entourent. Parmi les mémoires qui sont en ce moment soumis à vos délibérations il en est deux remarquables par la logique et la force des arguments qu'ils font valoir à l'appui de leur demande, c'est celui de la chambre des notaires de l'arrondissement d'Audenarde et surtout celui de la chambre de discipline de l'arrondissement de Termonde, présidé par l'homme éminent qui a fait partie de la commission nommée par le gouvernement en 1846, pour élaborer le nouveau projet de loi. Ce vénérable Nestor du notariat des Flandres qui à son âge a conservé beaucoup d'énergie et une longue expérience s'exprime ainsi :
« Messieurs.
« Nous soussignés membres composant la chambre de discipline des notaires de l'arrondissement judiciaire de Termonde, avons l'honneur de vous exposer :
« Que le discours du Roi à l'ouverture de la session législative de 1854-1855, qui annonce que l'organisation de l'institution du notariat a donné lieu à des travaux dont les résultats seront soumis à la représentation nationale et les discussions incidentes qui ont eu lieu récemment au Sénat et à la Chambre ont éveillé notre attention.
« Que représentant tous les notaires de l'arrondissement sous les rapports de leurs droits, nous pouvons aussi émettre, dans un intérêt commun, le regret qu'aucune communication des travaux préparatoires du projet d’organisation générale de la commission qui fut instituée, au département de la justice n'ait été faite aux chambres des notaires.
« Qu'en l'absence de toute communication et dans l'ignorance quelles peuvent être les modifications et les innovations qu'on propose, nous osons émettre pour opinion qu'il est désirable de voir maintenir la loi organique du 25 ventôse an XI, parce qu'elle a pour elle la consécration du temps, qu'elle a fonctionné pendant un demi-siècle sans qu'elle ait soulevé les réclamations et les plaintes des citoyens et qu'elleetst une des plus importantes de nos institutions sociales.
« Que tout en demandant le maintien de cette loi, nous reconnaissons que quelques-unes de ses dispositions réclament des changements qu'on devrait mûrir et étudier et que nous ne ferons qu'indiquer. Nous voudrions avant tout trouver aide et protection pour que le notariat puisse conserver cette considération publique à laquelle il a droit par l'importance de ses attributions.
« Que pour pouvoir jouir de cette considération, pour inspirer le respect, il faut que le notaire trouve dans l'exercice de ses fonctions une existence honorable et indépendante.
« Une profession, a dit avec raison un écrivain, ne peu têtre bien remplie qu'autant que celui qui s'y adonne trouve dans un exercice honnête, intelligent et assidu des moyens d'existence pour lui et pour sa famille.
« Que pour donner cette position aux notaires, il faut les placer sous la protection de la société, leur maintenir l'entière, la paisible et l’exclusive possession de leurs prérogatives, empêcher les empiétements sur leurs attributions, les garantir contre leur propre faiblesse en en faisant les complices du mai qui les gêne et de la concurrence qui initie leurs ressources.
« Qu'il faut anéantir cette industrie nouvelle connue sous le nom (page 1142) d'agence d'affaires qui vient effrontément se substituer au notariat dans nos Flandres. Une loi sur la matière de l'art de guérir proscrit le charlatanisme, le courtier se trouve protégé par l'article 6 de l'arrêté du 26 prairial an IX, les médecins, les vétérinaires, les arpenteurs, trouvent à empêcher les usurpations sur l'exercice de leurs professions. Et le notariat, cette institution éminemment utile à la société est abandonnée à lui-même sans force et sans moyens pour mettre un frein à ces envahissements.
« Qu'il faut faire disparaître l'anomalie de la loi, qui défend au plus simple particulier de procéder par lui-même à la vente publique du plus chétif mobilier, tandis qu'aucune loi ne défend à des personnes sans qualité de procéder, sans ministère de notaire, à la vente publique des immeubles aux enchères à la suite d'annonces, avis et publications.
« Qu'il faut empêcher l'oubli de la dignité et de l'importance des fonctions que les notaires exercent en défendant à ceux-ci de s'abaisser au point de figurer comme des automates dans des opérations conduites par des agents d'affaires qui procèdent publiquement à des réceptions d'enchères et à des adjudications ayant un notaire à leur gauche, qui signe complaisamment le procès-verbal dressé par l'agent d'affaires.
« Qu'il faut défendre aux notaires de mettre leurs services au rabais, d'accepter en rémunération de leur complaisance telle somme à forfait et à titre de rétribution annuelle pour imprimer l'authenticité à tous les actes que l'agent d'affaires présenterait à leur signature, de se rendre à des jours fixes dans les différentes communes du canton colportant leur signature ou s'installant dans un cabaret pour signer, à raison d'une somme fixée d'avance, sur chaque acte préparé par un agent d'affaires.
« Qu'il convient de prendre certaines mesures quant à la transmission des minutes, tant dans l'intérêt des citoyens et des familles qui désirent d'avoir le dépôt de leurs transactions à portée, que dans l'intérêt des jeunes notaires qui arrivent ordinairement dans une étude vide, dépouillée par un agent d'affaires de l'endroit qui a traité avec le titulaire remplacé ou avec sa famille, et un notaire trop complaisant du canton, ce dans l'intention de susciter tous les embarras possibles au nouveau notaire, auquel l'important du village, le gratte-papier de l'endroit, veut absolument se substituer.
« Que les abus scandaleux qu'on vient de signaler sont les causes de la déconsidération et de la gêne dans laquelle le notariat est tombé dans les Flandres, et que si le pouvoir ne parvient point à les détruire et à en prévenir le retour, cette institution, sur laquelle repose le repos des familles, sera abandonnée par les hommes honnêtes et instruits.
« Que pour détruire ces abus et en prévenir le retour, il conviendrait d'admettre dans les nouvelles dispositions législatives qu'on nous promet les propositions suivantes :
« 1° Que chaque notaire résidera dans le lieu qui lui sera fixé par le gouvernement ; que sa résidence sera unique et qu'on considérera comme une infraction à la résidence le fait du notaire qui se rendra à des jours fixes dans une ou plusieurs communes de son ressort pour authentiquer les actes qu'il ne dresserait pas lui-même ou qui n'auraient pas été préparés dans son étude ;
« 2° Que les minutes du notaire remplacé seront transmises de droit au notaire successeur s'il est seul notaire résidant dans la commune ;
« 3° Qu'il soit fait défense à tous particuliers et à tous fonctionnaires de l'ordre administratif et judiciaire de s'immiscer dans les attributions des notaires, notamment dans les adjudications publiques, après avis, annonces, publications et enchères, et qu'il soit interdit à tous notaires de prêter leur nom, leur qualité et leur ministère pour authentiquer des actes qu'ils n'auraient pas rédigés et qui n'auraient pas été préparés par eux ou par leurs clercs, et pour annoncer, publier, recevoir des enchères et adjuger lorsque les opérations ne seraient pas conduites exclusivement par eux ;
« 4° Qu'il soit de la compétence exclusive des notaires de procèder à la vente publique et aux enchères par adjudication des biens immeubles, rentes et obligations ;
« 5° Qu'il soit abandonné à l'appréciation des tribunaux quels faits et quels actes emportent l'usurpation ou l'immixtion des particuliers et agents d'affaires dans les fonctions des notaires ;
« 6° Que le gouvernement organise par des règlements les chambres de discipline, qu'on augmente leur pouvoir, par rapport au droit de représenter les notaires collectivement et sous celui de leur juridiction disciplinaire ;
« Nous sommes, en outre, d'avis :
« Que dans l'intérêt public autant que dans l'intérêt des candidats notaires, il convient d'entourer les nominations de garanties sérieuses et efficaces pour reconnaître le mérite et la probité et pour porter remède à ce favoritisme, à cet arbitraire dont en général on se plaint avec raison ;
« Que l'unité de juridiction rendue aux notaires belges et circonscrite uniformément dans les limites d'un ressort quelconque et de préférence par canton est un moyen de relever le notariat en général, tout en rendant un hommage aux vrais principes qui gouvernent les faits sociaux de notre temps, nous reconnaissons cependant qu'il y a divergence d'opinion parmi les notaires quant à l'étendue du ressort et nous abandonnons cette question à la sagesse du législateur ;
« Qu'il serait absurde de rendre incompatibles les fonctions de notaire avec celle de bourgmestre, échevin et secrétaire communal.
« La nomination à ces diverses fonctions exige le concours du corps électoral et du gouvernement. Ces deux autorités sont là pour empêcher que le notaire appelé à une de ces fonctions ne trafique de sa position. Etablir cette incomptabilité, c'est empêcher, notamment à la campagne, que le notaire instruit rende des services à la chose publique et c'est livrer le notariat désarmé aux agents d'affaires, qui, précisément à la campagne, puisent leur force et leur ascendant dans ces fonctions dont ils auraient le monopole et dont ils abusent ouvertement aujourd'hui pour attirer la clientèle au détriment de la position du notaire.
« Nous ne réclamons point de faveurs ; étrangers au partage du budget, nous ne demandons que les moyens de trouver des ressources pour vivre honorablement et élever nos familles ; nous ne demandons ni honneurs, ni distinctions, nous désirons qu'on fasse respecter nos prérogatives, qui assurent notre avenir ; car lorsque l'âge aura glacé notre activité, nous n'aurons point de pensions à espérer, ni pour nous, ni pour nos veuves, ni pour nos enfants ; le denier du contribuable ne nous sera point partagé.
« Notre profession est légalement constituée et nous avons le droit de demander aide et protection dans la loi, et l'intérêt de la société le commande, car il s'agit d'une institution qui périclite, qu'une profession nouvelle, l'agence d'affaires, étreint et étouffe ; plus d'une fois les abus ont été dénoncés à votre chambre et chaque fois le gouvernement a dû reconnaître que ces abus étaient réels et qu'il s'en était préoccupé.
« Nous signalons de nouveau ces abus à la sollicitude éclairée du gouvernement et des Chambres législatives, que nous supplions de bien vouloir sans retard s'occuper du remède si vivement réclamé, car des positions sont devenues intolérables et les mesures ue peuvent être différées. »
Le mémoire de la chambre des notaires de l'arrondissement d'Audenarde s'exprime ainsi :
« Messieurs,
« La chambre des notaires de l'arrondissement d'Audenarde, désireuse de voir porter à la loi du 25 ventôse an XI les modifications si souvent promises, a l'honneur de s'adresser à vous et de vous supplier de prendre en considération ses vœux si légitimes, et de sanctionner enfin par des dispositions explicites les droits si les attributions si longtemps méconnus du notariat.
« Nous nous permettons, messieurs, d'appeler surtout votre bienveillante attention sur les points suivants, qui semblent devoir être la base de la réforme que nous sollicitons.
« Il faudrait, nous paraît-il, 1° - Adopter un mode nouveau de nomination aux places vacantes du notariat. - Pourquoi, faisant la juste part de l'influence que devraient avoir dans ces nominations le corps notarial, la magistrature et le gouvernement, ne déciderait-on pas que dorénavant les nominations ne se feront que sur deux listes triples de candidats, dont trois seraient présentés par les chambres de discipline, et trois par le tribunal de première instance. On éviterait par là l'inconvénient de voir les candidats-notaires compter bien plus sur leurs services politiques et sur des influences étrangères au notariat, que sur l'activité, le talent et la moralité que devraient être leurs seuls titres.
« - En tous cas quoi que vous puissiez penser, messieurs, du mode nouveau que nous proposons, nous espérons que vous ne voudrez pas dépouiller complètement les chambres de notaires de toute intervention dans les nominations nouvelles.
« Naguère nous étions seuls juges des examens, et jusque dans ces derniers temps notre avis était demandé, sinon toujours suivi, lorsqu'il s'agissait de pourvoir à une place vacante ; la loi sur l’enseignement supérieur nous a enlevé la première de ces garanties, et des nominations récentes faites sans aucun avis préalable des chambres de discipline sont venues nous prouver que le gouvernement entend nous enlever encore la seconde.
« Aussi espérons-nous, messieurs, que pour éviter ces dérogations aux articles 2-5° de la loi du 2 nivôse an XII et 43 de la loi du 25 ventôse an XI, vous voudrez bien adopter la mesure que nous avons l'honneur de vous proposer :
« 2° Il faudrait prononcer l'unité du ressort pour tous les notaires indistinctement.
« L'existence du privilège actuel résultant de l'article 5 de la loi de ventôse, a de tout temps soulevé de vives réclamations, et, malgré quelques dissidences, nous persistons à croire, messieurs, qu'en présence des garanties uniformes de capacité et de moralité qu'on exige actuellement des notaires il n'y a plus de motifs pour maintenir cette distinction injuste, qui n'est en harmonie ni avec nos lois, ni avec notre Constitution. Que ne suivons-nous ici l'exemple que d'autres pays nous ont donné ?
« Par une loi du 9 juillet 1842, la Hollande a modifié dans ce sens la loi du 25 ventôse qui, jusque-là, régissait le notariat hollandais comme elle régit encore le nôtre. L'article 3 de cette nouvelle loi hollandaise s'exprime ainsi (par traduction) :
(page 1143) « « Les notaires exercent leur office dans toute l'étendue de l'arrondissement où ils ont leur résidence.
« La partie de la Prusse qui a été soumise aussi dans le temps à la loi de ventôse an XI, nous voulons dire les provinces rhénanes, ont à leur tour vu rétablir, depuis plusieurs années, l'unité de ressort pour le notariat, et ce ressort y est également fixé à l'étendue de ce qui est dans ces provinces l'équivalent de notre arrondissement judiciaire.
« Une autre considération qui milite en faveur de la mesure que nous proposons, c'est qu'outre une plus grande compétence et indépendamment de tous les autres avantages dont ils jouissent, les notaires des grandes villes sont encore privilégiés quant au compte de leurs honoraires (article 168 du tarif général des frais et loi du 16 décembre 1851).
« Du reste, nous ne demandons que l'égalité du droit, l’unité du ressort. Si l'on croit qu'il serait dangereux de permettre l'exercice des fonctions de notaire dans tout le ressort du tribunal de première instance, qu'on restreigne cet exercice au ressort du tribunal de paix ; pourvu que la règle soit uniforme et commune à tous.
« 3° Il faudrait établir une plus juste proportion entre le nombre des notaires et les besoins de la population, calculés d'après le nombre et l'importance des actes passés dans chaque canton. Nous pourrions citer ici des chiffres éloquents ; mais nous nous bornons à appeler sur ce point l'attention toute spéciale du législateur et du gouvernement, plus à même d'apprécier, d'après les relevés officiels et généraux, combien une réforme portant sur ce point est devenue nécessaire.
« 4° Il faudrait renforcer l'action disciplinaire des chambres, et au besoin y substituer l'action du ministère public.
« Bien souvent des faits répréhensibles que le notarial déplore restent impunis parce que les pouvoirs des membres de la chambre de discipline sont trop vaguement définis, ou bien, parce que les pénalités qui peuvent être prononcées sont insuffisantes.
« Cet inconvénient disparaîtrait, au nioius en partie, si l'on avait soin de mieux déterminer les faits qui donneront lieu à des peines disciplinaires.
« Tels seraient, pour n'en citer que quelques-uns, le fait de laisser figurer son nom à côté de celui d'agents d'affaires sur les annonces de ventes publiques ; le fait de n'assister à ces ventes que comme un témoin secondaire et de signer aveuglément un procès-verbal rédigé par autrui ; le fait de donner l'authenticité à des actes rédigés et écrits dans des bureaux étrangers, celui de prêter son ministère à des agents par association, abonnement ou avec partage d’honoraires, etc., etc. (arrêt de la cour de Bruxelles du 30 juillet 1855).
« Quant aux faits plus graves et dont la constatation demanderait des moyens plus puissants d'examen et de poursuite, tels que les opérations hasardeuses de banque ou de jeu, les avances inconsidérées de fonds peu en rapport avec la fortune du notaire, il ne faudrait pas toujours attendre que le mal soit irréparable et ait entraîné ces pénibles désastres dont nous avons tant souffert depuis quelques années, pour que le ministère public, armé d'un texte précis de la loi, agisse sévèrement contre ceux qui oublient combien les intérêts qui leur sont confiés exigent de ménagements et de prudence.
« 5° Il faudrait avoir moins de tolérance pour les notaires qui ne résideraient pas exclusivement au lieu qui leur a été assigné dans l'arrêté de leur nomination, et pour ceux qui tiennent des bureaux dans une autre commune, ou s'y rendent périodiquement pour y recueillir et y rechercher des actes.
« Le ministère public devrait pouvoir agir directement pour réprimer les infractions de cette nature, l'action du gouvernement paraissant ne pas être suffisante dans cette circonstance.
« 6° Enfin réforme importante et sans laquelle les autres ne seraient que de vains palliatifs, il faudrait empêcher par tous moyens possibles i'iniluence et l'intervention des agents d'affaires, qui sont un véritable lléau pour le notariat, et dont le nombre toujours croissant finira par rendre impossible tout travail sérieux et honnête.
« Certainement chacun est libre de gérer ses affaires comme il l'entend ; mais quand l'Etat, dans un but d'utilité sociale, organise une profession publique, lui impose des obligations sévères et lui demande dees garanties de capacité et de moralité, nul ne peut empiéter sur cette profession, et, s’affranchissant de tout lien, venir jeter la perturbation et le désordre dans une institution d’ordre public. Les lois sur l’art de guérir, les lois sur la médecine vétérinaire, sur les arpenteurs, les courtiers, les avoués, les avocats, etc., ont toutes des peines plus ou moins sévères contre les personnes qui s'immiscent sans titre dans ces diverses professions.
« Le notariat a droit à la même protection, et cela non seulement dans son propre intérêt, mais dans l'intérêt des citoyens eux-mêmes, et surtout dans l'intérêt du fisc.
« Que l'on s'adresse à l'administration de l'enregistrement, elle vous dira qu'ordinairement, lorsque des agents d'affaires procèdent seuls à des ventes publiques d'immeubles le prix d'adjudication se trouve considérablement diminué dans la déclaration qui se fait plus tard à l'étude du notaire, fraude qui, sous plusieurs rapports, détruit implicitement les droits des contractants et occasionne au fisc aussi des pertes notables, tandis qu'un notaire ne pourrait s'en rendre coupable sans.encourir des peines graves.
« D'ailleurs n'y a-t-il pas une véritable anomalie dans la loi qui paraît tolérer actuellement les ventes publiques d'immeubles faites par des particuliers, tandis que d'un autre côté les ventes publiques de meubles sont sévèrement interdites à toutes personnes autres que, certains fonctionnaires, spécialement désignés. Il serait inutile et trop long de multiplier ces exemples, d'insister sur ces motifs ; bornons-nous à indiquer les remèdes.
« Parmi les dispositions qu'il conviendrait surtout de prendre à l'effet de supprimer autant que possible les agences d'affaires, ou tout au moins de diminuer leur importance, nous citerons les suivantes :
« A. Qu'il soit interdit à des particuliers, et à tous fonctionnaires de l'ordre administratif et judiciaire, autres que les notaires, de faire annoncer des ventes, adjudications ou locations publiques d'immeubles, des ventes de renies ou obligations, coupes de bois et récoltes ; à plus fort raison qu'il leur soit interdit d'y procéder personnellement même en présence d'un notaire.
« B. Que des peines graves soient portées contre le notaire qui prêterait son ministère soit par association, abonnement ou partage d'honoraires avec des tiers.
« C. Qu'une disposition formelle de la loi indique explicitement quels actes sont interdits aux particuliers ; - et qu'on le remarque bien, ce n'est pas là porter atteinte à la liberté des citoyens ; chacun continuera à veiller à ses propres intérêts ; mais s'il croit devoir réclamer le secours d'autrui, rien de plus juste que de l'engager à s'adresser à ceux à qui la loi a confié cette mission ; rien de plus juste que d'empêcher les fraudes et les spéculations sur des objets d'une importance aussi grande. Aussi espérons-nous en toute confiance, messieurs, que votre sollicitude éclairée pour le notariat vous fera proposer des moyens énergiques pour remédier à ces abus qui finiront, si l’on n'y veille, par dénaturer complètement notre institution.
« Enfin, nous nous permettrons d'appeler votre attention sur un autre point qui a également été proposé, mats auquel nous ne pouvons donner notre assentiment ; nous voulons parler de l'incompatibilité des fonctions de notaire avec celles de bourgmestre, échevin ou secrétaire communal.
« Pourquoi prononcer cette incompatibilité si ce n'est dans le but de diminuer encore l'ascendant moral dont les notaires ont besoin pour exercer convenablement leurs fonctions ?
« D'ailleurs, la nomination à ces places administratives exige le concours du corps électoral et du gouvernement, et dans plusieurs communes on se créerait des difficultés réelles eu prononçant cette incompatibilité, d'autant plus que ce serait livrer le notariat désarmé aux agents d'affaires, qui, surtout à la campagne, puisent leur force et leur influence dans ces fonctions dont ils auraient le monopole, ; et dont ils n'abusent déjà que trop, pour attirer à eux la clientèle au détriment des notaires.
« Telles sont, messieurs, les observations que nous prenons la liberté de soumettre à votre appréciation. Plus d'une fois les abus dont nous nous plaignons ont été dénoncés à la Chambre des représentants et à chaque fois le gouvernement a dû reconnaître que ces abus étaient réels et qu'il s'en était préoccupé.
« Nous les signalons, de nouveau, messieurs, à la sollicitude du gouvernement et des Chambres dans l'espoir qu'une décourageante indifférence ne sera pas la seule réponse que nous obtiendrons. »
Votre commission, messieurs, en présence de ces considérations aussi péremptoires et des dispositions de la loi sur les jurys d'examen qui exigent des candidats notaires des connaissances plus étendues et un examen plus rigoureux et plus difficile et beaucoup plus de garanties, émet le vœu que des modifications à la loi sur le notariat soient proposées par le gouvernement dans le plus bref délai possible, afin de donner satisfaction aux justes doléances des notaires, car tout délai ultérieur serait un véritable déni de justice.
Et dans ces termes, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de la justice.
M. Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d'hier, M. le ministre de la justice, répondant à une interpellation de l'honorable M. Lelièvre, a bien voulu promettre de présenter à la session prochaine un projet de loi apportant quelques modifications à la législation qui régit le notariat. Je crois qu'il a entendu parler de la partie disciplinaire ; il serait peut-être nécessaire d'augmenter les pouvoirs des inspecteurs et des vérificateurs de l'enregistrement pour surveiller une classe de notaires. Depuis quelque temps nous sommes témoins de manquements plus ou moins graves à la discipline et à l'honneur ; naguère même nous avons vu prononcer des condamnations sévères pour crimes. Ces faits seraient certainement moins fréquents si les pouvoirs des inspecteurs et des vérificateurs étaient moins bornés. Mais M. le ministre ayant annoncé qu'il saisirait la Chambre d'un projet de loi sur cet objet à la prochaine session, je crois qu'on peut se borner à renvoyer les pétitions dont il s'agit au gouvernement, sans pousser plus loin la discussion.
Messieurs, la juste réclamation des notaires de cantons mérite d'être prise en considération ; déjà, en 1834, un projet de loi avait été présenté, qui établissait un unique ressort de juridiction pour tous les notaires ; en 1846, un autre projet fut pareillement présenté à la Chambre ; mais, jusqu'ici, aucune décision n'ayant été prise sur l'organisation du notariat, j'ai l'honneur de demander que, conformément à la déclaration qu'a faite hier M. le ministre de la justice, un projet de loi soit présenté au commencement de la session prochaine, pour faire droit aux justes réclamations des notaires de cantons.
M. Vander Donckt, rapporteur. - M. le ministre de la justice a annoncé l'intention de présenter à la session prochaine un projet de loi sur le notariat. Des modifications au régime du notarial sont de toute justice depuis que la nouvelle loi sur le jury d'examen a augmenté les conditions de la collation du grade de candidat notaire. Avant l'adoption de cette loi, on concevait qu'il y eût trois classes de notaires ; mais maintenant qu'on exige les mêmes connaissances des notaires des campagnes que des notaires des grandes villes, quand on leur accorde un notariat, on doit leur permettre d'instrumenter exclusivement dans tout le canton, au lieu de les laisser exploiter par leurs collègues des villes, qui viennent leur enlever le plus clair de leurs bénéfices, eux qui ont déjà l'avanlage d'avoir leur siège au milieu d'une population agglomérée, très importante, qui jouissent déjà d'une grande faveur. C'est à cela qu'il faut attribuer en grande partie si les notaires de campagne font souvent de mauvaises affaires, car on les met dans une position qui ne leur permet pas de pourvoir honorablement à leur existence.
Eh bien, messieurs, un des moyens les plus efficaces, c'est de borner au canton la juridiction de tous les notaires ; tous les notaires seront ainsi sur un pied d'égalité, sauf quant à l'importance des cantons où ils seront placés. Mais permettre aux notaires des chefs-lieux de tribunaux d'instrumenter dans tout l'arrondissement, c'est leur accorder un privilège énorme sur leurs collègues des campagnes, qui trouvent déjà à peine dans leurs fonctions les moyens de pourvoir à leur existence.
Depuis cinquante ans, la loi sur le notariat a bien fonctionné. Si une nouvelle loi n'était venue en quelque sorte modifier celle sur l'examen des notaires, les instances ne seraient pas aussi vives. Aussi, jusqu'à l'année dernière, quelques notaires isolés seulement avaient réclamé. Mais aujourd'hui les notaires de canton de toute la Belgique se sont constitués en association à Bruxelles ; ils ont été réunis en assemblée générale, et c'est cette assemblée générale qui, aujourd'hui, s'adresse à la législature, par mon organe, pour obtenir le redressement des griefs très fondés qu'elle fait valoir.
J'ose espérer que ces motifs engageront M. le ministre de la justice à nous proposer la révision de la loi non seulement quant à la juridiction par canton, mais encore quant à l'abus signalé hier par notre honorable collègue, M. Lelièvre. Quant à la nécessité de déclarer les fonctions de notaire incompatibles avec celles de bourgmestre et d'autres abus résultant de la législation actuelle, il faut notamment renforcer l'autorité du pouvoir judiciaire sur les notaires et sur les chambres de discipline des notaires.
J'ose recommander cet objet important à l'attention toute spéciale de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - La réclamation des pétitionnaires soulève une des questions les plus importantes de la réorganisation du notariat : c'est celle de la circoncription, du ressort. On peut même dire que c'est la question vitale dominant tout l'ensemble de cette institution.
En piéscnce de ce qui s'est passé en 1848, la plus grande circonspection est imposée au gouvernementet particulièrement au ministre de la justice. A cette époque les différents systèmes qui s'agitent ont été longuement débattus dans cette enceinte. Le gouvernement proposait la circonscription par arrondissement. La section centrale admettait cete manière de voir par 4 voix contre35 en y ajoutant une légère modification. Le système par arrondissement a été repoussé par la Chambre.
Un honorable député a proposé le système de ressort par canton. Cette opinion a également été rejeiée à une très grande majorité. Enfin, si je ne me trompe, un autre amendement proposé par l’honorable M. d'Anethan a encore subi le même sort ; de sorte que des solutions négatives éiant intervenues sur les différentes propositions, on a maintenu le statu quo ; car vous savez, messieurs, que la loi a été retirée par le gouvernement, et c'est ainsi qu'on est arrivé à la formation de la commission dont j'ai entretenu la Chambre hier.
Je crois donc, messieurs, qu'il faut apporter dans cette matière la plus grande maturité ; u y a pour ainsi dire chose jugée de la part de la Chambre.
Aujourd hui les pétitionnaires ou du moins un grand nombre d'entre eux paraissent demander le ressort par canton ; il se formera certainement des opinions dans un sens contraire.
Il s'opère en ce moment une espèce de pression, une espèce d'agitation dans le corps du notariat ; je ne crois pas, messieurs, qu'il faille céder à cette pression ; je crois, au contraire, que c'est une raison de plus pour procéder dans l'examen de cette affaire avec réserve, d'autant plus que je suis convaincu qu'à côté du mouvement dans le sens que je me permettrai d'appeler cantonal, vont surgir des manifestations dans un sens opposé. Je reste plus que jamais convaincu qu'il faut agir avec une sage lenteur.
Du reste, messieurs, le gouvernement s'occupera de la question ; il y prêtera la plus grande attention et, comme j'ai eu l'honneur de le dire hier, j'espère que dans la session prochaine je pourrai proposer une solution à la Chambre.
M. Wasseige. - Messieurs, en présence des explications que vient de donner M. le ministre de la justice, je pourrais me dispenser de prendre la parole ; je dirai cependant que déjà l'an dernier la section centrale chargée de l'examen du budget de la justice avait insisté sur la nécessité de s'occuper de la réorganisation du notariat. Je ferai observer que la question dont s'occupe les pétitions sur lesquelles il nous est fait rapport, celle de l'égalité du ressort, est toute spéciale et pourrait être traitée indépendamment des autres changements à apporter à l'organisation du notariat, je crois donc qu'il est indispensable que le gouvernement fasse connaître son opinion sur cette question au plus tard au commencement de la session prochaine.
- Le renvoi à M. le ministre de la justice est mis aux voix et adopté.
M. le ministre des finances (M. Mercier) présente un projet de loi ayant pour objet la création d'un timbre d'endossement pour les effets de commerce venant de l'étranger, ainsi que l'atténuation des droits de timbre en ce qui concerne les connaissements.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet, et le renvoi à l'examen des sections.
M. le président. - Le second objet à l'ordre du jour est le budget des dotations, mais la Chambre doit nécessairement suspendre son vote jusqu'à ce qu'elle ait reçu le rapport de la commission qui a été nommée hier pour l'examen d'une proposition faite dans le comité secret.
Viendrait ensuite le budget des travaux publics, mais le rapport n'est pas distribué.
Le quatrième objet, c'est la récusation des magistrats, mais la section centrale doit encore s'occuper de cet objet.
M. Delfosse. - J'espère que M. le président pourra convoquer la section centrale la semaine prochaine.
M. le président. - Le bureau tiendra note de votre demande pour la faire connaître à M. le président de la section centrale.
Nous passerons donc au feuilleton de pétitions n°189.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Vieux-Turnhout le 12 novembre 1855, plusieurs habitants de Vieux-Turnhout, Oosthoven, Schuerhoven, Darisbouck, Korsendonck, Roode, Kindschote, Korteynde et Schoonbroek demandent que ces hameaux dépendants de la ville de Turnhout soient érigés en commune distincte.
La demande de ces hameaux n'est pas nouvelle. Dès 1836 les pétitionnaires sont en instance dans ce but. Dans sa séance du 25 juin 1838, le conseil provincial d'Anvers rejeta leur demande et ce rejet fut confirmé par décision ministérielle en date du 25 août 1838. Au mois de juin 1852, les pétitionnaires renouvelèrent leur demande qui fut de nouveau déclarée non recevable par arrêté du ministre de l'intérieur en date du 27 octobre 1852.
Ils ne se tinrent pas pour battus et présentèrent une nouvelle demande au conseil provincial le 30 juin 1853. Le conseil l'envoya en instruction et elle lui enfin accueillie dans la séance du conseil provincial du 19 juillet 1855, par 18 voix contre 12 et 6 abstentions et contre l'avis de sa députation permanente qui avait conclu au rejet.
La commission du conseil provincial chargée de l'examen de cette demande l'avait adoptée par trois voix contre deux. Le rapport du commissaire d'arrondissement était favorable à la demande.
Il est constant qu'en principe le législateur doit être sobre d'octroyer la séparation de commune qui ne peut être accordée que dans des cas rares et exceptionnels et pour des motifs graves et très bien justifiés et ce pour plusieurs raisons : d'abord à cause du surcroît de charges résultant des frais d'administration des deux fractions de commune et qui sont supportées par un nombre d'administrés ainsi réduit ; 2° parce qu'en multipliant les communes il en résulte un surcroît de travail qui se fait sentir non seulement dans les bureaux administratifs des arrondissement et des provinces, mais jusque dans les bureaux de l'administration centrale qu'on doil plutôt s'efforcer de simplifier et de réduire que de multiplier et d'étendre ; 3° à cause des difficultés inhérentes et de nombreux procès résultant du partage et de la séparation des biens communaux des hospices et des bureaux de bienfaisance ainsi que des dettes et charges communes ; 4° parce que ces demandes en séparation ont souvent pour mobile l'ambition déplacée de quelques hommes qui voient a travers toutes ces difficultés en perspective une place de bourgmestre, d'echevin et jusque d'un garde champêtre, ce dont les (page 1145) administrés sont victimes et supportent tout le fardeau du surcroît de charges ; ces hommes sèment la division, fomentent les discordes, suscitent des difficultés et exagèrent outre mesure les inconvénients et les griefs souvent plus apparents que réels.
Cette exagération et cette animosité se décèlent à chaque page, presque à chaque ligne de la pétition ; elles se reproduisent d'autre part dans le discours du bourgmestre de Turnhout prononcé au conseil provincial d'Anvers. Ses paroles inspireraient plus de confiance et on serait plus disposé à y ajouter foi s'il ne s'était permis des insinuations inexactes et malveillantes envers l'honorable fonctionnaire chargé de présider à l'enquête qui, dans son rapport, a émis un avis favorable à la séparation, avis consciencieux, sincère et désintéressé, mais contraire à celui de la députation permanente, corps constitué, qui tient ses pouvoirs de l'élection et qui est plus à même que tout autre de juger en pleine connaissance des avantages et des inconvénients d'une séparation, à cause de ses relations intimes et continuelles avec les communes.
Votre commission a examiné sérieusement chacun des motifs qui militent pour ou contre la séparation. Le grief principal, c'est l'éloignement de plus de 7 à 9 kilomètres de l'aggloméré, mais qui n'est applicable qu'aux 5 hameaux les plus éloignés : Schoenbroek, Roode, Kindschote, Korteynde et Korsendonck, et qui, en cas d'érection d'un nouveau centre à Vieux-Turnhout, en serait encore éloigné de 5 à 7 kil. La population de ces cinq hameaux réunis n'est que de 641 habitants. Ce même grief n'est pas applicable à Vieux-Turnhout ni à Oosthoven qui sont beaucoup plus rapprochés de la ville que d'autres hameaux, tels que Winkel et les hameaux situés vers Merxplas et Welde et qui resteraient réunis à la ville. Oosthoven, surtout, est plus rapproché de la ville que de Vieux-Turnhout et ne communique avec lui que par un chemin de terre presque impraticable en hiver, tandis qu'il est réuni à la ville par une bonne route pavée le long de laquelle des habitations se trouvent très nombreuses et très rapprochées ; ce hameau aurait tout à perdre et rien à gagner par la séparation.
Le second grief résulte des impositions indirectes ou octroi communal. A ce sujet les pétitionnaires exhalent les plaintes les plus amères sur les difficultés et les vexations continuelles qu'on leur suscite, sur les formalités nombreuses et sur l'éloignement de la maison de ville pour les déclarations ainsi que sur la surtaxe dont ils se prétendent victimes. Cependant la députation permanente, dans un but de conciliation, avait obtenu de la ville et leur avait offert un moyen d'y mettre fin en rachetant ces charges par un droit de capilation ou octroi personnel, qu'ils ont systématiquement repoussé presque sans examen ni discussion et sans daigner présenter à ce sujet leurs observations ni leurs propositions ; ce qui fait présumer, et avec raison, qu'il y a chez eux une ambition mal déguisée et un parti pris de s'opposer à toute transaction. Enfin il résulte du rapport officiel que dans les deux séances d'enquête publique tenue à cette fin, sur une population de 14,520 habitants et nonobstant l'espèce de pression qui a été exercée sur les habitants des hameaux, 256 personnes sont venues pour appuyer la demande en séparation et 103 sont venues protester contre toute séparation, d'où résulte à toute évidence que l'immense majorité de la population reste indifférente à la séparation et n'entend pas prendre part à la lutte ni solliciter un changement.
Votre commission, considérant qu'on n'est d'accord sur aucune des opérations préalables qu'il conviendrait d'établir, ni sur la ligne de séparation, ni sur les divers hameaux qui devraient faire partie de la nouvelle commune, ni sur le principe qui devrait présider au partage de l'actif et du passif du bureau de bienfaisance et des hospices sous le régime de la communauté, qu'en un mot tout reste à faire, a cru devoir vous proposer le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée d'Eyseringhcn, le 12 mai 1855, des habitants de ce hameau demandent qu'il soit séparé de la commune de Lennick-Saint-Quentin et érigé en commune distincte.
Une première demande a été écartée par le conseil provincial et par le gouvernement. L'autorité provinciale a émis un avis contraire sur la présente pétition qui n'allègue aucun argument nouveau à l'appui et attribue à la partialité et à l'influence de certains membres du conseil communal le refus de la prendre en considération. Votre commission, en présence du rejet réitéré de cette demande par les autorités supérieure, a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée d'Amiens, le 25 février 1856, le comte Vander Meere soumet à la Chambre la question de savoir s'il peut être fait application d'une peine qui n'est pas dans la loi. Il présente à ce sujet un long mémoire où il entre dans tous les détails de l'échauffourée Vandersmissen et qui offre un caractère d'intérêt historique qui n'est pas connu jusqu'ici et soulève en outre une question de droit importante.
Il s'exprime en ce sens :
« Voici bientôt 15 ans que j'endure la peine de l'exil avec toute la soumission d'un homme qui respecte l'autorité, sans avoir la consolation d'en atteindre le terme, car hélas ! cet exil est perpétuel !
« Mon espoir, jusqu'à ce jour, était dans la clémence royale, et j'y comptais d'autant plus, que toutes dissensions politiques étant depuis longtemps éteintes en Belgique, je ne croyais pas qu'il fût nécessaire d'en perpétuer en moi le souvenir. Aussi j'adressai successivement au Roi, et à de longs intervalles, des demandes en grâce, dont j’ai l'honneur de joindre ici les copies, sous les n°1, 2, 3, 4, 5 et 6. Les premiers restèrent sans réponses, les dernières reçurent des réponses négatives.
« A l'étranger, où ma condamnation ne fut et n'est pas encore comprise, l'on ne pouvait croire à la stricte exécution d'une peine qui n'a plus d'exemple. En effet, nous avons vu, messieurs, tous les gouvernements, même les plus despotiques, grâcier, les uns après les autres, leurs condamnés politiques ; et certes il y en avait un grand nombre parmi eux, qui, militaires comme moi, encoururent les mêmes reproches de la royauté. Comment n'aurais-je pas conservé le doux espoir de voir à mon tour fléchir sa sévérité ?
« Aujourd'hui que l'illusion ne m'est plus permise ; depuis surtout que le dernier anniversaire des journées de septembre est passé, sans qu'un souvenir généreux se soit rappelé la part que j'ai prise dans la conquête de nos libertés, il ne me reste plus qu'à profiter d'un cas exceptionnel, pour déposer respectueusement à votre barre la pétition d'un citoyen que 15 années d'exil ont cruellement éprouvé, qui, époux et père, vous supplie de lui rendre une patrie, d'en donner une à ses enfants.
« Loin de moi l'idée de vous placer, messieurs, entre la sympathie que peut inspirer le malheur et la prérogative royale, pour vous faire juges dans ma cause. Je viens fixer l'attention de votre haut pouvoir sur une question neuve, qui n'intéresse que moi seul aujourd'hui, mais qui peut servir de précédent à d'autres, et perpétuer une atteinte à la loi fondamentale du royaume. Que ce soit mon excuse, messieurs, pour vous détourner un instant de vos nobles travaux.
« Si j'ai tardé si longtemps à vous soumettre cette intéressante question, c'est qu'il semblait qu'en la formulant je faisais bon marché de la parole que j'ai donnée d'accepter une peine qui n'existe pas dans nos lois, c'est que le temps n'avait pas assez consacré ma patience à souffrir la mauvaise fortune et à supporter seul la faute de plusieurs, c'est que le temps des agitations politiques n'est pas celui des confidences, et qu'en les faisant prématurément, je paraissais céder au désir de me venger de l'ingratitude et de l'oubli.
« Depuis la mort de Guillaume II, aujourd'hui surtout que le Roi Léopold, par sa sagesse, a si bien su rallier toutes les opinions à son gouvernement, ces motifs n'existent plus, ma générosité n'a plus de sens et je puis enfin, rendu à mon libre arbitre, placer dans son vrai jour ces faits qui ont motivé ma condamnation, en éclairant pour la première fois le jugement de la magistrature, et me présenter à vous, messieurs, dégagé de ce cortège ridicule de réticences et de dénégations, qui ont assez paralysé la défense, dans un procès où l'accusation ne pouvait, faute de mieux, s'entourer que de mensonges officieux.
« Je sais bien que cette confession politique ne prouvera pas mon innocence ; mais elle rectifiera du moins l'opinion publique sur la part que j'ai prise à un complot qui ne s'est manifesté qu'à l'état d'intentions, coupables sans doute, mais que l'exécution seule eût rendu criminelles. Et cette exécution ne devait jamais avoir lieu, le complot étant avorté par ordre supérieur, un mois avant mon arrestation, comme le démontrera le récit des événements.
« J'étais donc innocent devant la loi, lorsque mes peines physiques et morales commencèrent. Je pouvais d'un mot en donner la preuve, mais ce mot compromettait deux têtes couronnées et mes nombreux amis politiques, sans utilité pour le gouvernement qui n'avait plus rien à redouter. Me sauver ou atténuer le jugement des hommes, au prix d'une délation, n'allait pas à mon caractère. Je me tus, et ce silence m'a valu jusqu'à ce jour dix-huit mois de détention, l'exil perpétuel dont la treizième année s'écoule, la perte de ma position, celle de ma fortune et l’indifférence d'amis comme d’ennemis. N'est-ce pas payer bien cher une faute qui s'est arrêtée à la pensée ?
« Un de vous, messieurs, dont l'esprit et le jugement n'est pas contesté, me disait naguère que mon grand malheur était de n'appartenir à aucun parti : par conséquent de n’intéresser personne. Cet argument ne peut être que la satire de l'esprit d'ostracisme dont je suis frappé, car il me paraît plus juste d'en tirer cette autre conséquence qu'un être sans parti est forcément inoffensif, et que dès lors il peut compter sur l'intérêt de tous.
« Telle est, à la vérité, mon espérance, et je sens renaître mon courage en voyant siéger au milieu de vous, messieurs, tant d'honorables représentants contemporains de cette époque où j'eus l'insigne bonheur d'être utile à ma patrie. Aussi ne devrais-je pas vous fatiguer du récit de mes services, si une nouvelle génération navait pas à apprendre quelles sont les compensations que j'ai à faire valoir pour mériter son indulgence d'un moment d'erreur.
« Du 25 au 27 août 1830, on me vit risquer ma vie pour sauver les propriétés publiques et particulières. Le 28, je fus appelé au conseil de la garde bourgeoise en qualité de chef de deux sections de la capitale. Depuis cette époque, je figurai en première ligne dans tous nos événements politiques, sans jamais abuser de l'ascendant que j'avais acquis sur le peuple. Je m'en servis toujours pour le ramener à des sentiments de modération.
« Le 6 septembre, à la tête d'un corps de volontaires je dégageai Tervueren occupé par les troupes hollandaises et favorisai l'entrée à Bruxelles de l'artillerie liégoise.
(page 1146) « Le 8 septembre, je reçus du conseil la mission d'organiser son autorité à Ath qu'on disait au pouvoir du peuple. J'entrai dans cette place forte, accompagné seulement du capitaine Gambier, et je n'en sortis que sur les instances réitérées de M. le comté de Rouillé, colonel des gardes civiques, qui m'assura qu'aussitôt qu'un gouvernement provisoire serait établi à Bruxelles, la ville se rendrait sans qu'on eût à redouter les conséquentes d'un soulèvement populaire. Cette conversation avait lieu en présence de tout le corps d'officiers que j'avais convoqué à l'hôtel ou nous étions descendus et tandis que les autorités hollandaises délibéraient sur l'opportunité de notre arrestation.
« Le 21 septembre, lorsqu'il n'y eut plus de doute que le Roi, qui traitait sa capitale de rebelle et son peuple de factieux, allait en appeler au Dieu de batailles, je fus proclamé, d'un commun accord, commandant en chef des forces actives ; mais ne conservai de cet honneur que l'expression d'une grande confiance, car je ne tardai pas à acquérir la conviction que mes collègues, au pouvoir, désespérant d'une défense qu'ils croyaient illusoire, impraticable, impossible, s'étaient tous retirés. Dans ces premiers moments d'isolement, et avant de prendre une résolution, je voulus relire l'acte qui me conférait le pouvoir qui devenait la dictature, mais le livre des délibérations du conseil était disparu et avec lui toute trace légale de ma nomination. Le premier élément qui constitue la force de l'homme au pouvoir me manquant, j'abandonnai à mon tour désespéré, découragé, mais le dernier, une partie qu'il était réservé au peup'e seul de gagner.
« Redevenu simple citoyen je combattis dans ses rangs la journée du 25 ; le 26 je commandais toute notre aile gauche.
« Le 28 septembre le gouvernement provisoire me nomma colonel d'état-major et quelques jouis après je fus appelé à former le personnel du département de la guerre. Sans aides, sans documents aucuns, je parvins, en peu de jours, à former la division la plus intéressante du ministère, dont je restai le chef jusqu’au moment où Bruxelles, menacé par de nouveaux désordres, eut besoin d’un gouverneur ferme et populaire. On m’offrit de me charger de cette tâche délicate en me nommant général de brigade ; j’acceptai et empêchai peut-être une contre-révolution.
« Avant de quitter le ministère, je fis disparaître du dossier de MM. les officiels toutes les dénonciations faites contre eux.
« Le 20 aviil, je fus nommé au commandement de la province de Liège ; le 21, on y ajouta celle de Limbourg en me chargant du troisième grand commandement militaire.
« C'était une époque où la nation était la plus divisée d'opinions sur les moyens qui devaient la rendre heureuse. A Liège, en général, on ne la concevait telle, qu'orangiste ou française ; ma mission était de maintenir la nationalité, j'y parvins malgré les difficultés sans nombre dont j'étais entouré.
« La province de Liège était le foyer de toutes les intrigues. On y fomenta des insurrections, on souleva les ouvriers des mines, on intimida les magistrats et les habitants par des menaces de pillages, on finit par protester publiquement et par écrit sous la direction des magistrats contre l'élection du Roi. Une députation de conseillers provinciaux vint me prier de ne pas faire tirer le canon en cet honneur, dans la crainte d'exaspérer les esprits. Le parti soi-disant français, qui dominait tous les autres, avait tout disposé pour arborer le drapeau tricolore de nos voisins, le jour que la décision du congrès serait connue ; l'on désignait déjà les membres d'un gouvernement provisoire, et j’ose le dire, sans ma fermeté et les mesures que je sus prendre, nous aurions vu éclater la séparation.
« Le gouvernement était dans une inquiétude mortelle, je recevais courriers sur courriers ; on vantait mon courage, ma fermeté, on approuvait d'avance toutes les résolutions que je prendrais ; m'autorisant à arrêter et faire remplacer de suite les autorités civiles que je jugerais infidèles : enfin l'on ne mettait pas de bornes à la reconnaissance. Mais que j'allais apprendre bientôt de combien près est le Capitole de la Roche Tarpéienne !
« Un peu plus tard, lors de l'invasion du territoire par l'armée hollandaise, je me servis des pouvoirs illimités qu'on m'avait conférés, pour organiser les bataillons de gardes civiques mobilisées, dont je nommai les chefs supérieurs. Je pressai l'arrivée en poste des troupes du Luxembourg, je réunis les volontaires, bref je mis toute l'activité possible à improviser des moyens de défense dans les circonstances difficiles où je me trouvais sans ordres ni instructions du gouvernement.
« Le 6 août, je reçus du major de Lagotellerie, une lettre datée de Hasselt du 5 à 9 heures du soir, qui me priait au nom du lieutenant-général Daine de lui envoyer du renfort. Le même jour mon aide de camp que j'avais envoyé à l’armée pour entretenir mes relations avec elle, me mandait que les villages des environs étant épuisés, elle manquait de pain.
« Or, messieurs, pour bien comprendre ce que je fis alors, faut-il savoir que l'intendant de l'armée de la Meuse n'avait ni magasins de vivres, ni moyens de s'en procurer, que les fournisseurs et livranciers se refusaient a toutes livraisons, tellement la panique était grande, légitimée peut-être par la marche de Saxe-Weimar sur Tervueren et celle du prince d Orange sur Louvain. A Liège même dont je pus alors apprécier le patriotisme, là où les magistrats joignirent si spontanément tous leurs efforts aux miens, l'écu restait délfant. Pour obtenir les livraisons nécessaires, je dus m'engager personnellement, je n'hésitai pas une seconde, et dans cette même journée du 6, un convoi de vivres et un corps de troupes parlaient pour l'armée.
« Le 8 au matin, je recevais du commandant en chef de l'armée lés ligne suivantes :
« Du bivac de Houthalen, 7 août, 9 heures du matin.
« Mon cher général,
« Je viens de recevoir par voire aide de camp vos communications ; je vous rémercie bien sincèrement pour les soins que vous vous êtes donnés, d'assurer du pain à mon armée qui en avait le plus pressant besoin, et pour l’activité que vous avez mise pour faire augmenter mes forces, etc.
« (Signé) Daine. »
« Aussitôt que j'appris que la partie de l'armée de là Meuse qui couvrait Tongres était sans nouvelles du quartier général, je pris sur moi de lui donner des ordres, qui malheureusement ne parvinrent au chef, qu'après qu'il eut exécuté un mouvement rétrograde jusqu'aux portes de Liège. Je courus à ces troupes, relevai le moral des chefs et rendis la confiance aux soldats en me mettant à leur tête pour aller reprendre Tongres le même jour qu'on m'assurait être au pouvoir de l'ennemi.
« J'arrivai devant Tongres à 8 heures du soir. Là m'attendait le spectacle navrant d'une armée en déroute, son général en chef aux prises avec un sous-officier qui avait tenté de l'assassiner, et tout un état-major consterné, parmi lequel se trouvaient les ministres de la guerre et de l'intérieur. La résolution était prise de se retirer sur Liège, je dus donc me hâter d'y retourrner, pour parer aux nouveaux embarras qu'allait me donner une armée en désordre dans la capitale de mon commandement.
« Pour achever cette journée, il fallait pourvoir de suite aux besoins d'une armée qui marquait de tout, prévenir sa démoralisation complète, suite inévitable de la négligence coupable du service des vivres, rendre la confiance au soldat murmurant contre ses chefs, criant à la trahison, et empêcher surtout que la malveillance ne tirât parti de son exaspération, pour ruiner le dernier rempart de notre indépendance. Aussi, ma première pensée fut-elle de satisfaire largement à son bien-être ; ma seconde, de me servir des titres que j'avais à la reconnaissance des officiers de tous grades, que j'avais placés étant au département de la guerre, pour calmer son irritation et lui faire apprécier mes soins. Ces moyens si simples réussirent au-delà de mes espérances ; le lendemain j'étais déjà assuré de mon ascendant sur elle.
« Mais l'intrigue et la lâcheté avaient circonvenu le général en chef. On tenait des conseils de guerre où sa déchéance était agitée : on mit en jeu tous les ressorts pour lui faire résilier son commandement. Je résolus de déjouer ces projets.
« Ses propres soldats, disait-on, voulaient le fusiller, et à défaut d'eux, le peuple de Liège devait l'assassiner dès qu'il se montrerait en public.
« Le général abattu par ses malheurs, ayant déjà failli être la victime d'un assassinat, était d'autant plus disposé à ajouter foi à ces odieuses calomnies, qu'elles venaient de lui être confirmées par un général d'un caractère respectable. Sur ces entrefaites, je me présente chez lui ; il me raconte le sujet de ses inquiétudes ; je m'empresse de le calmer en l'assurant que je répondais de lui sur ma tête, mais qu'il fallait à l'instant même monter à cheval, se montrer partout, tant au peuple qu'à ses troupes ; que je serais à ses côtés et courrais les mêmes chances que lui ; qu'ainsi, on déjouerait non seulement toutes les intrigues, mais pourrait encore juger de l'esprit de son armée, que j'avais préparé à le recevoir. Ses officiers d'état-major qui n étaient pas aussi rassurés que moi sur les suites de cette démarche décisive, tentèrent quelques observations auxquelles le générai Daine coupa court en ordonnant de préparer ses chevaux.
« Après cette revue, où le général fut accueilli par des vivats auxquels il ne s'attendait pas, l'émotion fut grande de voir le vieux soldat, cédant aux élans de son cœur, se jeter dans mes bras, en m'appelant son sauveur, et d'entendre ses officiers m’assurer que je venais de leur donner une grande leçon qu'ils n'oublieraient jamais.
« Tandis que je travaillais avec tant de bonheur à réconcilier l'armée avec son chef, le ministre de l'intérieur envoyait, à mon insu, le gouverneur civil de la province chercher à Namur le lieutenant générai Goethals pour remplacer le géneral Daine. Cette nouvelle n'eut pas plutôt transpiré, que l'armée, qui venait de me juger à l'œuvre, résolut de me conférer elle-même l'honneur de la commander. Je répondis aux officiers supérieurs qui vintent me sonder sur cette résolution, que je sentais vivement tout ce qu’il y avait de flatteir et de séduisant d’être ainsi élevé sur le pavois, mais qu’il n’entrait pas dans mon carcatère de profiter du malheur d’un ami, que j’aurais eu l’air de servir pour le mieux dépouiller ; que je restais convainci que l’expérience du général était indispensable à l’armée, dans l’incertitude où nous étions des événements. - « Si ce sont là vos seuls motifs de refus, me repondit un officier placé trop près de son général pour ignorer sa pensée, je vous réponds que le général ne nous quittera pas et qu’il restera près de vous. » Alors, le colonel Hamesse, mon chef d’état-major, présent à cette entrevue, me fit observer que je ne pouvais, sans ordres du Roi, quitter le commandement important qui m’était confié. Ces paroles mirent fin à un entretien d’où a dépendu toute ma destinée.
(page 1147) « Le quatrième jour depuis son arrivée, l'armée pleine de vie et d'espérances, partait de grand matin pour reprendre l'offensive, se dirigeant sur Saint-Trond.
« Le 14 août j'appris la convention faite avec général Belliard et le prince d'Orange : le 15 je reçus du ministre les dépêches officielles pour le général en chef de l'armée de la Meuse, dont il m'accusa réception le 16, de son quartier général de Hoegaerde.
« Si je me suis laissé entraîner dans de trop longs détails, en narrant ces événements qui appartiennent depuis longtemps à l'histoire, c'est qu'il fallait indispensablemenltfaire ressortir toute la confiance que le gouvernement plaçait dans mes capacités, pour qu'il me donnât, dans des circonstances éminemment critiques, un commandement si important et supérieur à mon grade ; combien il accrut mon importance en l'investissant de pouvoirs illimités, dans un moment où le sort de la patrie était entre mes mains ; comment je répondis à tout cela, exerçant et supportant les charges d'un divisionnaire avec ma solde de brigadier. Alors seulement on se rendra bon compte de ce que je dus éprouver en perdant le poste et les honneurs d'un grade supérieur que j'occupais avec distinction, pour aller occuper celui d'un grade inférieur au mien, et au moment où je croyais avoir mérité les plus grandes récompenses,
« Quatre jours après la cessation des hostilités, c'est-à-dire le 20 août, je recevais, avec l'arrêté qui supprimait les grands commandements militaires, une lettre de service pour prendre le commandement de la province du Limbourg, la seule qui fût mutilée et la moins importante des deux que je venais de commander avec tant de bonheur. Pas un mot de remerciement pour tout ce que je venais de faire, rien enfin qui pût adoucir le mauvais effet d'une disgrâce. Il était impossible d'être plus brutal dans la manifestation de son ingratitude.
« Aigri au dernier point, j'allais répondre à cet affront par l'envoi de ma démission, lorsque je reçus la lettre ci-après du colonel Hamesse, mon chef d'état-major, que je place ici, parce que l'opinion de cet excellent homme, dont l'armée respecte la mémoire et que son mérite appela au poste de sous-chef de l'état-major général de l'armée, est une autorité qui répond d'avance aux observations que me fit plus tard le ministre de la guerre, le même qui, comme ministre de l'intérieur, fut témoin de ma conduite à Liège.
« 24 août 1831.
eMon général,
« Je viens d'apprendre que vous avez reçu une lettre de service pour prendre le commandement de Limbourg. J'aurais été vous témoigner l'extréme déplaisir que cette nouvelle m'a fait éprouver, si je ne me trouvais de nouveau retenu chez moi, avec le pied sur le coussin.
« Quoique le Limbourg doive offrir le commandement le plus important du pays, si Maestricht nous est rendu, cependant à votre âge ce poste ne peut convenir. Sans prendre un parti extrême auquel nous sommes toujours disposés dans un premier mouvement de juste humeur, je pense, dans votre situation, qu'il conviendrait, pour le moment, de faire des représentations au gouvernement, de demander un service actif et d'attendre sa réponse avant de prendre une décision qui mette fin à une carrière brillante que vous avez devant vous.
« J'ai cru, général, d'après ce que je viens d'apprendte et d’après les sentiments que je vous porte, devoir vous donner ce conseil, en le faisant dans votre pur intérêt.
« Votre dévoué,
« Hamesse. »
« Je me rendis à ces sages conseils, et espérai encore une réparation, car je ne pouvais croire à l'intention arrêtée de se défaire d'un homme qui, en l'espace de quatre mois, venait de sauver deux fois une province de l'anarchie, de préserver sa capitale de pillages et de désordres, de rendre un service éminent à la royauté, de conserver une armée a son pays, d'avoir vu enfin, pour son attachement à ses devoirs, sa vie jouer aux dés, dans une réunion séditieuse. Je me trompais !
« Je demandai et obtins un congé de trois mois ; je partis pour Bruxelles où, malgré toutes mes démarches, il me fut impossible d'obtenir audience du Roi, ni justice du ministre. Que pouvait-il m'arriver de pis, si j'avais mal servi mon pays ?
« Le 15 novembre j'écrivis à Sa Majesté ce que je n'avais pas eu l'honneur de pouvoir lui dire verbalement, et mon congé expirant, je demandai ma non-activité de service.
« L'année suivante je renouvelai mes prétentions à servir mon pays.
« M. le comte de Mérode, ministre de la guerre, me répondit, avec sa franchise ordinaire : « C'est à mes démarches et à mes instances réitérées près du Roi que des officiers étrangers ont été appelés chez nous. Je m'applaudis de ces démarches, parce que je les crois approuvées par la nation, qui paye les frais énormes d une armée nombreuse, non pour ses intérêts privés, mais pour l'honneur de la libellé du pays, qu'un amour-propre national puéril a suffisamment compromis dans le mois d'août. »
« En conscience, M. le ministre aurait dû se rappeler que je n’avais pas fait preuve d’incapacité ni d'amour-propre puéril à cette époque de malheur.
Il continue : « C'est en fabriquant qu'on devient ouvrier, et l'art difficile du commandement supérieur ne s'acquiert, sauf quelques exceptions, que par la pratique et l’expérience. » Ainsi, M. le ministre ignorait, et pour un ministre de la guerre c'est impardonnable, que je fabriquais depuis 23 ans ! Pour répondre à son excellent jugement, je publiai un peu plus tard mon ouvrage sur les grandes manœuvres d'armée, qui me valut en Europe des approbations si flatteuses.
« Lorsque le Roi institua son ordre en décembre 1833, pour récompenser les services rendus pendant la campagne d'août 1831, il se trouva que deux cent soixante et douze chevaliers. avaient mieux mérité que moi cette récompense, et il n'y avait pas à s'y tromper puisque l'arrêté disait que le ministre de la guerre s'était fait aider dans son travail d'une commission d'officiers généraux et supérieurs, qui avaient scrupuleusement examiné le travail préparatoire pour indiquer les changements qu'elle croirait avoir à proposer. « Telles sont, disait le Moniteur, les précautions minutieuses dont on a cru devoir s'entourer dans un travail aussi délicat. »
« Je pris toutefois la liberté de soumettre au Roi en audience particulière quelques observations respectueuses sur ce travail ministériel auquel manquait mon rapport comme chef d'une division militaire : conséquence depuis deux ans d'un oubli calculé. En effet, en jetant un voile sur le passé, on s'acquittait du poids de la reconnaissance, et on effaçait les traces d'une position élevée, dont il fallait désormais rendre les prétentions ridicules et inconvenantes aux yeux d'un prince étranger. Mais la Providence, qui sait défaire les trames les mieux ourdies, inspira à Sa Majesté le désir de connaître ce qu'on lui avait si bien caché, et je fus décoré de ses mains, avec le considérant qui suit :
« Voulant récompenser les services que le général comte Vander Meere a rendu pendant qu'il avait le commandement de la province de Liège, et notamment le zèle qu'il déploya à l'époque des hostilités du mois d'août 1831, et les mesures qu'il prit alors pour fournir aux besoins de l'armée de la Meuse et la mettre promptement en état de reprendre l'offensive. »
« Croirait-on, après avoir lu ce magnifique considérant, qu'il se soit trouvé en 1842 un Belge, l'organe du gouvernement, me faisant le reproche en cour d'assises, d'avoir mendié la croix ?
« Les émeutes qui éclatèrent à Bruxelles en avril 1831, nécessitèrent des mesures de rigueur qui ne répondirent pas à l'attente du gouvernement. Les ministres inquiets m'appellèrent au conseil et voulaient que je prisse sans retard le commandement des troupes. Le général Evain, ministre de la guerre, rédigea même un ordre qui se ressent de la précipitation avec laquelle il fut donné. Je le conserve comme un autographe précieux : le voici :
«Le général Vander Meere prendra le commandement d'une colonne pour dissiper les rassemblements et rétablir l'ordre.
« Le ministre directeur de la guerre,
« Baron Evain. »
« Ordre aux officiers d'obéir aux ordres de M. le général Vander Meere.
« Baron Evain. »
« J'observai que les troupes étant placées par un ordre du jour sos le commandement du lieutenant général Hurel, il était de nécessité absolue de le prévenir pour éviter un conflit de pouvoir. On l'envoya chercher au palais ; la réponse fut qu'il déjeunait. Les ministres me parurent très mécontents. M. Nothomb entre autres, se leva en s’écriant : « Est-ce qu'on déjeune un jour comme celui-ci ? Messieurs, nous sommes en nombre, prenons une décision sans plus attendre. » Pressé d'accepter le commandement des troupes, je dis alors au général Evain, que je voyais très embarrassé : « Je crois, général, que vous feriez bien d'informer vou-même le Roi et le général Hurel de la décision du conseil, et du plan que je propose, qui est de partager Bruxelles en trois commandements dont je conserverai celui de la partie haute et l'autorisation d'agir partout où ma présence sera nécessaire. Donnez, les deux autres au général Nypels et au colonel de Brouckere, en priant le général Hurel de mettre à notre disposition les troupes dont nous aurons besoin ; ainsi, me paraît-il, toutes les susceptibilités seront ménagées.
« Les ministres prièrent leur collègue de la guerre d'aller sans retard trouver le Roi, pour lui faire agréer ces mesures. Peu d'instant après, il revint et m'écrivit séance tenante la lettre ci-après :
« Monsieur le général,
« Je m'empresse de vous informer que le gouvernement vous donne le commandement de la sixième section de la ville de Bruxelles.
« Vous vous mettrez à la tête des troupes qui occuperont ce quartier et vous avez à agir avec promptitude et énergie, partout où des désordres auront lieu, et partout où la tranquilité publique serait menacée.
« Vous me rendrez compte d'heure en heure de l'état de la tranquillité du quartier auquel vous êtes préposé, ainsi que du résultat des mesures que vous aurez prises.
« Le ministre directeur de la guerre,
« Baron Evain.
« L'ordre fut rétabli, les journaux firent mon éloge, et je fus particulièrement flatté des remerciements que M. Lebeau crut devoir me faire au nom du conseil des ministres, ajoutant que le Roi se réservait de me rémoigner lui-même sa satisfaction. C’était trop pour si peu, aussi les choses en restèrent-elles là.
(page 1148) Je crus néanmoins l'occasion si favorable que je demandai le poste qu'on allait créer de gouverneur de la résidence. L'on avoua que je convenais sous tous les rapports, que je venais même d'y acquérir des droits, mais que le mauvais effet que produisaient à la cour mes attention pour une femme mariée était un obstacle insurmontable.
« Il n'y avait plus à s'y tromper, c'était bien à la cour qu'étaient mes ennemis. Ne pouvant nier mes services ni attaquer mon patriotisme, leur tactique insaisissable de malice et de malveillance, devait s'en prendre à ma vie privée. Des écrits anonymes répandus à profusion étaient surtout accueillis avec complaisance du parti étranger qui avait l'oreille du Roi, et que j'avais eu l'imprudence de blesser en écrivant au comte de Mérode :
« Une des causes principales de la révolution fut l'accaparement des places par nos frères du Nord ; l'avons-nous faite pour les donner à nos frères du midi ? alors nous méritons l'épithète dont les Français nous ont gratifiés en tout temps...
« Combien je déplore l'aveuglement de nos gouvernants ! ils abattent au lieu de relever le courage des enfants du pays. Ils préparent des siècles d'humiliations à un peuple de braves, qui combattra vaillamment, mais qui d'avance se voit enlever sa gloire, car les étrangers ne manqueront pas de s'attribuer ses succès. Dans des circonstances pareilles, je ne garderai pas le silence : je connais trop le respect que je dois au gouvernement, je n'y manquerai pas, mais je n'accepterai jamais le cachet honteux qu'on veut empreindre sur nos fronts. Puissent mes collègues sentir aussi vivement que moi, cette fatale blessure à l'honneur national ! »
« Telles sont, messieurs, les principales phases d'une carrière où la bonne fortune voulut que je fasse quelque bien, sans que ma conscience eût à se reprocher le moindre mal.
« Prêt à rendre justice à tout le monde, je souffris impatiemment d'être écarté de cette justice distributive à laquelle je crus que mes services, ma naissance, ma fortune avaient des droits, et entraîné ainsi, par un enchaînement funeste de circonstances, qui jettent trop souvent les esprits les plus sages hors de toutes limites de modération, j'en vins à regretter d'avoir prêté les mains à l'établissement d'un pouvoir qui méconnaissait mes bonnes intentions.
« L'injustice me fit faire de grandes réflexions : « La Belgique, me suis-je dit, a saisi la première opportunité qui s'est offerte à elle pour briser un pouvoir qu'elle trouvait trop exclusif : elle s'est donné le triste plaisir de pousser son triomphe au-delà des bornes de la raison, et tout en relevant son drapeau national, elle s'est blessée à mort dans ses intérêts matériels.
« A cet état fiévreux qui agitait tous les peuples de l'Europe, après la révolution de Juillet, à cette propagande qui faisait trembler les trônes, à cette politique égoïste et mercantile qui sacrifie à son commerce ce amis comme ennemis, si l'on ajoute la condamnation de De Potter, l'on aura trouvé les auxiliaires qui firent éclater chez un peuple imitateur des mécontentements comprimés. Mais si les hommes honorés du pouvoir dangereux de représenter le peuple, voulurent fortement le redressement des griefs, ils n'eurent jamais la pensée d'une rupture complète avec la dynastie des Nassau. Des fautes commises de part et d'autre amenèrent ce résultat inattendu.
« Livré à son bon sens naturel, et toujours sous l'impression d'une cause juste, les Belges arrêtèrent leur premier succès, en déposant au pied du trône des représentations respectueuses qui ne furent pas écoutées. La dignité royale fut offensée qu'on les lui fît les armes à la main, et avoir méconnu notre modération, la pureté de nos intentions futures, fut une première faute, qui fit prendre à la nation une altitude menaçante que Guillaume se proposait de punir, fort de ses droits légitimes, acquis au congrès de Vienne.
« Il est incontestable que le Roi perdit ses provinces méridionales par entêtement, ne voulant à aucun prix traiter avec des rebelles. C'est ainsi qu'on nous désignait à cette époque étonnante qui vit s'accomplir, au milieu d'irrésolutions sans nombre, un fait en dehors de toutes les prévisions.
« La Belgique, rentrée dans l'ordre sous la régence, se prépare, pour assurer son indépendance, à l'élection d'un roi.
« Les orangistes en acceptant les faits accomplis pouvaient se montrer au grand jour et se rallier, les patriotes comprenaient qu'avant tout, il fallait assurer les intérêts matériels et sortir des embarras de la diplomatie ; mais ils préférèrent ourdir dans l'ombre une conspiration impopulaire, haineuse, mal conduite, toute d'ambition personnelle.
« En effet qui eût empêché le Congrès National, pour rompre le cercle étroit dans lequel les puissances l’enfermaient, de faire sortir de son urne le nom du prince d'Orange, lui qui tout récemment encore venait de se compromettre par attachement pour nous, lui pur du sang belge versé dans nos murs, et qui avait arrosé nos champs du sien, lui enfin, qui pouvait nous rendre un jour tout ce que nous avions perdu ?
« Aussi cette grande vérité fut si bien comprise par le parti exalté, qu'il conçut le projet de faire précéder l'élection d'une déchéance perpétuelle de la famille de Nassau.
« Ce moyen placé comme limile à l'intelligence des membres du Congrès, devait amener le résultat dont nous subissons les conséquences.
« La couronne est tour à tour offerte, sollicitée, refusée. - L’opinion se dessine en faveur du prince de Leuchtenberg, en même temps qu'une commission du Congrès part pour Paris, demander à Louis-Philippe le second de ses fils. - Sa première réponse est un refus, basé sur l'engagement, pris entre les grandes puissances, de n'accepter la couronne belge pour aucun des membres de leur famille. Mais sur l'avis qu'on chante la « Beauharnaise » dans les rues de Bruxelles, que l'inauguration du prince a eu lieu en effigie au spectacle, on s'émeut : le fils d'Eugène aux portes de France devenait trop dangereux à la dynastie naissante ; à tout prix, il faut déjouer cette combinaison. - La commission est rappelée, amusée, on ne lui dit pas encore qu'on acceptera, mais on lui en donne l'espoir, et elle s'empresse de nous revenir en disant partout, que Nemours acceptera s'il est nommé. - Cette déclaration, et ceci est plus sérieux, nous est confirmée le lendemain, jour même de l'élection, par le général «la Wœstyne, qui vient exprès au nom du roi des Français, engager sa parole d'honneur d'une acceptation, au cas d'une majorité absolue. Le caractère du général, l'estime dont il jouit en Belgique, ne permet plus de douter. Le parti de Leuchtenberg se divise, et au deuxième tour de scrutin, Nemours est proclamé roi. Courrier par courrier le refus d'acceptation arrive de Paris.
« Alors la combinaison Ponsonby marche sans concurrence. La défaite du parti de Leuchtenberg ne permettait plus de reprendre un projet qui eût été un pis aller. Le prince de Cobourg reçoit à son tour une députation à Londres, fait ses conditions et est élu, non sans une forte protestation de la minorité du Congrès, et cette minorité du Congrès est composée d'hommes sérieux, honnêtes et qui ont à juste titre la confiance de la nation.
« Nous devons l'avouer, il s'en fallut de bieu peu que cette minorité ne devînt omnipotente : en effet que lui fallait-il pour faire triompher son opposition ? Une ville importante où elle eût pu se retirer en élevant autel contre autel ; une population dont l'esprit public lui fût acquis ; des autorités qui y appuyassent ses opinions ; une force civique imposante, organisée et dévouée ; une armée indécise qui n'eût rien entrepris contre elle. Rien de tout cela ne lui manquait ; Liège et sa province réunissait toutes ces conditions. L'association iationale qui s'était prononcée pour elle, lui assurait de plus une action sur toute la Belgique.
« A tous ces éléments de succès, que manquait-il donc ? L'adhésion d'un seul homme, qui tout en respectant des opinions si considérables, ne crut pas avoir droit d'examen dans cette question qui divisait le Congrès national. La ligne de ses devoirs était toute tracée ; il resta fidèle et dévoué au pouvoir qui avait placé en lui sa confiance. Sa détermination fit clore la révolution de 1830.
« En résumé la Belgique a commencé l'ère de 1830, riche de son industrie, de ses produits, de son haut commerce, de sa marine, de ses colonies. Elle est sortie de sa révolution triomphante pour jouir de son indépendance, avec une partie de son industrie détruite, sans haut commerce, sans marine, sans colonies et sans aucuns débouchés.
« Depuis, abandonnée, repoussée par ceux-là mêmes qui l'avaient précipitée dans la voie révolutionnaire, elle fait de vains efforts pour trouver une issue qui lui permette de lier ses intérêts commerciaux à ceux d'autres nations ; et pour elle c'est une question d’existence ! Plus son mouvement industriel a été rapide, plus il va lui créer des problèmes redoutables et sérieux pour un avenir peut-être très prochain. Ce grand atelier, qui doit étouffer dans l'accroissement immense de sa production, s'il n'a pas un grand marché, ne peut, me suis-je toujours dit, trouver son salut qu'en sacrifiant tôt ou tard sa nationalité, soit à la France, soit à la Hollande.
« Les chances de la première hypothèse sont éloignées, car sitôt qu'il fut question en haut lieu qu'un traité de commerce avec la France porterait les douanes françaises aux frontières de la Prusse, ce qui certes eût été une quasi-réunion, les ministres des puissances étrangères à Paris déclarèrent que son exécution serait un « casus belli ».
« Dans la seconde, le sacrifice se présente moins complet. Il ne s'agit plus de fondre sa nationalité dans cette d'une autre nation ; le roi Guillaume était trop désireux de recouvrer nos riches provinces pour ne pas accepter des conditions. Quant à la diplomatie, elle n'avait rien à y voir. »
« Notre nationalité n'était plus à mes yeux qu'une utopie, et j'avoue que je m'en expliquais assez librement, sans y attacher toutefois la moindre importance, cause à laquelle j'attribue les confidences que me firent des hommes politiques qui, comme moi, se trouvaient à Paria en 1839.
« M. Max-Delfosse l'un d'eux, ami intime de M. Van Gobbelschroy, ancien ministre du roi Guillaume, me dit, un jour que nous rassemblions nos souvenirs comme je viens de le faire plus haut : Le parti orangiste n'a fait que des fautes, le Roi comprend bien aujourd'hui qu'une restauration sur l'ancien pied était impossible : erreur que les chefs du parti maintiennent, en sacrifiant à leur ambition, les intérêts de son fils ; qu'il fallait sortir de cette voie en s'adressant aux patriotes, avec lesquels il était tout disposé à s'entendre. M. Max-Delfosse m'engagea de voir son ami le confident des pensées du Roi, pour m’assurer de ses intentions.
« A quelques jours de là, le général Vandersmissen m'apprit que les (page 1149) opinions de M. de Potter étaient tellement modifiées, qu'il regardait un arrangement avec la Hollande comme le seul qui pût tirer la Belgique du mauvais pas dans lequel elle se trouvait, et m'engageait aussi à voir notre célèbre compatriote.
« Vous voyez, messieurs, qu'on s'adressait à moi des deux extrémités du champ des opinions. Pourquoi ? me direz-vous. Eh mon Dieu parce que j'avais une grande fortune dont j'étais généreux, qu'on me savait très mécontent, et qu'en flattant mon ambition on espérait tirer parti de ma popularité.
« Je vis M. de Potter, qui s'expliqua franchement sur les illusions de son parti, et sur la nécessité d'une réunion avec la Hollande ; mais des conditions bien débattues d'avance, son opinion étant que la Belgique s'administrât elle-même, avec ses Etats, son armée, ses tribunaux, son gouverneur général sous une même dynastie. Quant aux intérêts généraux des deux peuples, on conviendrait du mode à les régler plus tard. - M. de Potier attachait un grand prix à la loi électorale qu'il voulait étendre, et autant que je puis en appeler à mes souvenirs, me parla aussi du suffrage universel.
« M. de Potier sacrifiant son idole, la république, aux intérêts et au bonheur bien entendu de son pays, me parut réellement un grand homme digne des ovations populaires qu'il reçut le 27 septembre 1830. »
« Au sortir de chez lui, j'allai faire ma visite à M. Van Gobbelschroy qui m'entretint longuement des intentions du roi Guillaume. Je lui fis, à mon tour, part de mon entrevue avec M. de Potter : il en fut étourdi Mais jamais, dit-il, le Roi ne voudra traiter avec lui, il est impossible qu'il soit sincère dans ce qu'il vous a dit. - Il y a un moyen bien simple de vous en assurer, voyez-le, soyez franc avec lui, il le sera avec vous et vous aurez son aide. - Mais quelles sont ses conditions ? - Rien pour lui, mais beaucoup pour le pays. - A la bonne heure, mais je crains toujours qu'il ne nous arrive avec de ces idées exagérées qui sont inadmissibles.... et puis, je n'ose prendre sur moi de conférer directement avec M. de Potter. - Et avec moi, vous ne craignez donc pas de vous compromettre ? - Oh ! c'est différent, vous, vous êtes bien noté à la Haye, on y connaît votre manière de penser par la correspondance de feu votre respectable père avec le comte de Heidt. - Moi, monsieur, j'ai un grand respect pour le roi des Pays-Bas, et je suis plein de reconnaissance pour les bontés dont le prince d'Orange a honoré ma jeunesse. Je n'ai jamais conspiré, mais j'ai chaleureusement soutenu la révolution dès qu'elle eut éclaté, parce qu'elle était d'accord avec mes principes, et je dois vous dire que je partage tout à fait l'opinion que M. de Potter m'a exprimée. - Eh bien, voulez-vous être l'intermédiaire entre nous ? - Oui, à condition que M. de Potter de son côté choisisse une personne de sa confiance, que vous recevrez ? - Soit, c'est convenu.
Je m'empressai de revoir M. de Potter, de lui expliquer les scrupules de M. Vangobbelschroy et sa promesse d'écouter la personne qu'il choisirait. Il comprit cette mesure de prudence, et me présenta son ami, le baron de Colins, colonel d'artillerie au service de France et Belge d'origine. - Ce fut M. Max Delfosse qui le mit en rapport avec l'ancien ministre.
« Plusieurs conférences eurent lieu, auxquelles je n'assistai pas ; j'appris seulement par M. Vandewalle, qu'on comptait sur ma caisse pour expédier à la Haye une personne capable d'expliquer au Roi et au prince héréditaire nos projets et de pénétrer leurs intentions : que M. Max Delfosse avait été choisi comme réunissant la confiance des deux partis, orangistes et patriotes, ayant donne des garanties à l'un par sa conduite en 1830, à l'autre depuis par la modération et le bon sens de ses opinions : il avait de plus la confiance de M. Vangobbelschroy.
« Je lui remis les fonds nécessaires, il partit, vit le roi à la Haye, le prince à Tilbourg, m'écrivit quelques lettres, m'assurant qu'on avait confiance en moi, peu en M. de Potter. Il me recommandait une grande réserve avec certaines personnes. Bref ce voyage se bornait a une grande reconnaissance pour juger le fort et le faible d'une partie difficile à jouer.
« M. de Potter mit la dernière main à son projet de constitution, que M. Vangobbelschroy porta lui même à la Haye, pour le soumettre à l'approbation du Roi et revenir avec les pouvoirs nécessaires pour donner mission d'agir.
« M. de Potter s'attendait à de nombreuses objections. S'il avait demandé beaucoup, c'était pour mieux conserver les fruits de la révolution, qu'aucun de nous n'eût voulu perdre ; aussi Guillaume se montra-t il facile sur les faits accomplis, mais ne promenait que l'examen sur les questions trop avancées. Il me donnait plein pouvoir d'exécution, et la charge de faire toutes les avances de fonds, qui me seraient remboursés sur ma déclaration. « Cette stipulation, me dit le ministre, est ce qui donne toute confiance au Roi : votre fortune vous permet d'y souscrire, et ne court aucun risque avec la parole royale. D ailleurs ces messieurs m'avaient assuré avant mon départ que telle était votre intention, et je m'en suis expliqué dans ce sens. »
" Je me voyais ici engagé, à mon insu, plus loin que je n'eusse voulu, mais MM. de Potter, Vandewalle, Vaudersmissen, Max-Delfosse et de Colins, me représentèrent que je ne pouvais plus reculer sans compromettre la cause, et j'acceptai conditions et promesses telles que M. Van Gobbelschroy me les faisait au nom du Roi.
« Je convins avec M. de Potter qu'il préviendrait ses amis politiques comme il le jugerait à propos, sans leur parler du pacte avec les orangistes. M. Van Gobbelschroy devait m'accréditer près du parti orangisle, sans compromettre M. de Potter. Il fut enfin convenu que chacun agirait de son côté dans un but commun, mais en gardant un profond secret sur les conventions arrêtées avec la maison d'Orange. A moi seul appartenait de donner le mot d'ordre. Nous nous séparâmes alors, attendant tout du temps et des circonstances.
« La Hollande, loin de regretter la Belgique, avait profité de la séparation pour donner un nouvel essor à son commerce, et bien accueillir des industries qui nous fuyaient et manquaient chez elle. - Amsterdam et Rotterdam surtout s'étaient tellement élevées en puissance sur les ruines du port d'Anvers, qu'elles ne pouvaient voir que d'un œil jaloux la réunion et, soit préjugé soit autrement, l'opinion générale y était contre nous.
« Cette opposition bien légitime des deux premières villes commerciales de la Hollande à toute espèce de réunion avec la Belgique, forçait Guillaume à des précautions les plus minutieuses pour cacher ses intelligences avec son parti en Belgique. Une autre considération non moins grave, était la promesse faite aux puissances de ne rien entreprendre d'occulte qui eût pu ajouter aux complications de la diplomatie.
« C'est au milieu de toutes ces difficultés qu'il fallait former une coalition des partis sans donner l'éveil au pouvoir, et préparer le succès d'une entreprise délicate, sans bouleverser l'ordre établi. Problème difficile à résoudre ; car s'il est aisé d'exciter les passions des hommes, il ne l'esl pas de régulariser le mouvement qu'elles ont soulevé. Deux années se passèrent en démarches de toute espèce.
« Je crois inutile d'allonger mon récit de détails minutieux qui en arrêteraient la marche, sans rien ajouter à la lumière que l'explication des faits généraux va nécessairement jeter sur cette affaire.
« A mon retour à Bruxelles au commencement de 1840, je me mis en rapport avec MM. Morel (du trésor), Metdepenningen et Castilloa, les chefs avoués du parti orangiste, déjà prévenus par M. Van Gobbelschroy et sur lesquels je comptais pour disposer leur parti à une prise d'armes, à un moment donné.
« Bien certain de profiter en temps voulu des engagements pris par M. de Potter, pour agir sur ses amis poliliques, j'ouvris des négociations directes avec MM. Feigneaux et Bartels, du parti républicain d'action.
« L'affection au roi Guillaume entrait pour quelque chose dans les efforts du parti orangiste, tandis que les républicains, d'accord sur la question des intérêts matériels du pays, ne voyaient d'obstacles au but qu'on se proposait qu'en la monarchie. Or, comme ils se reconnaissaient les plus faibles, ils me promirent leur concours, mais en stipulant qu'après la victoire ils se regarderaient comme complètement dégagés envers moi. Ceci, auquel il fallait souscrire, pouvait dénaturer le but de notre entreprise, ou tout au moins mettre en question, après le succès, ce qui devait, selon ma pensée, être décidé sur l'heure sans conteste. C'est ce qui me fit recourir à un troisième moyen d'action, qui m'assura de rester maître de la position.
« Cette déclaration si nette du parti républicain, me donnait l'avantage de prendre des précautions pour réduire à l'impuissance un parti faible à la vérité, mais qui pouvait, une fois dégagé légalement, nous faire la guerre, renforcé du parti des patriotes exaltés, et de ces hommes sans opinions, qui sont toujours à la suite des désordres pour le seul plaisir de les perpétuer. Je feignis donc d'avoir des intelligences dans l'armée : et ce qui donnait un caractère de vraisemblance à mes assertions, c'est qu'à cette époque il y régnait un grand mécontentement, humiliée qu'elle était, d'une part, d'être restée forcément l'arme au bras, tandis que pleine d'enthousiasme elle avait caressé l'idée d'une bonne revanche de 1831, et d'autre part, du peu de confiance qu'on lui témoignait par le système d'espionnage qu'un pouvoir occulte haut placé près de la royauté faisait peser sur elle. Mais en réalité rien n'avait été tenté pour la séduire. Il n'entrait pas dans mes vues de la souiller au contact des révolutions ; aussi est-elle restée complètement étrangère à cette conspiration toute civile.
« C'est alors que je résolus de m'ouvrir au général Daine, dont l'amitié m'était un sûr garant de son silence : sa reconnaissance envers moi l'eût fait passer dans le feu sans songer qu'il pût s'y brûler. Mon intention n'était pas d'abuser d'un si rare dévouement, et j'avais longtemps réfléchi au service que j'allais lui demander, et qui me paraissait ne devoir compromettre ni son honneur ni sa responsabilité,
« Voici en quelques mots ce qui se passa entre nous : « Vous devez, lui dis-je, tout ignorer ; ne vous mêlez de rien, vous empêcherez seulement l'anarchie de s'établir chez nous, et tout le monde vous en aura de la reconnaissance. - Si l'armée doit rester étrangère à toute conspiration, encore faut-il qu'elle conserve son unité et sa force à une cause honorable. - Vous recevrez dans la nuit l'avis de troubles à Bruxelles, et en même temps un ordre du gouvernement, pour marcher avec votre division sur la capitale ; c'est à moi de tirer parti de ces dispositions, sans vous en demander davantage. - Il n'y a rien là qui puisse vous compromettre. Si mon projet échoue, vous aurez été trompé ; s'il réussit, vous ralliez l'armée au parti de l'ordre. »
« Le général Daine aurait pu me dénoncer, il préfera rester en position de rendre un immense service à son pays.
« Vers le 15 septembre 1841 nous approchions d'une conclusion. Des intelligences avaient été ménagées dans presque toutes les villes, mais Gand, Liège et Bruxelles étaient organisées d'une manière formidable, (page 1150) les deux premières surtout, en raison de leurs nombreux ateliers. Anvers restait froid, les têtes du parti n'y trouvaient pas, disaient-ils, les éléments nécessaires pour préparer une insurrection.
« J'allai une dernière fois à Gand pour assister à une assemblée nombreuse, composée de tout ce que cette ville renferme de notabilités. Il y fut décidé que la levée de boucliers devait avoir lieu, un des jours des fêtes de septembre, comme offrant un prétexte naturel aux grandes réunions, sans inquiéter le pouvoir. Je fixai en conséquence le 25.
« Les chefs du parti à Liège, appartenant à la noblesse, à la finance et à l'industrie, vinrent eux-mêmes à Bruxelles, prendre le dernier mot.
« Toutes les villes devaient se soulever en même temps dès que Bruxelles en aurait donné le signal. Le général Vandersmissen s'y était réservé toute la partie d'action. Des députés de chacune d'elles devaient se trouver à Bruxelles pour assister au mouvement insurrectionnel et détacher un courrier l'annoncer à leur localité respective.
« Le général d'armée baron Van Geen, aide de camp du roi des Pays-Bas, partit pour lui annoncer ces dispositions ; le lendemain un notable de Bruxelles prit la même direction, pour lui confirmer que le 25 à six heures du soir la lutte commencerait.
« Le 25 au matin les derniers ordres furent donnés, je répandis l'or à profusion, tous les principaux meneurs en étaient munis ; les banquets patriotiques étaient tous payés, présidés par nos gens. Pas une seule indiscrétion de commise qui eût pu donner l'éveil au gouvernement, tout enfin faisait présager un succès.
« Depuis longtemps pour la première fois j'étais libre ; quelques heures seulement me séparaient du blâme ou de la louange ; la lutte au grand jour allait commencer, et faire cesser cette vie de complots, de mystères et d'inquiétudes continuelles. Je rêvais à cette bizarrerie du destin qui faisait de moi un conspirateur, moi si peu fait pour l'être ! lorsqu'on m'annonça le général Vandersmissen accompagné d'un étranger.
« A l'air du général, je pressentis un malheur, et comme après avoir pris place ces messieurs gardaient le silence, j'interrogeai des yeux le général qui me dit : « Je vous présente M. Grégoire, conseiller d'Etat en service extraordinaire et confident de Sa Majesté, pour tout ce qui regarde la Belgique. N'étant pas personnellement connu de vous, il m'a prié de l'accompagner pour certifier son identité. » Eh bien, monsieur, que dit le Roi ? - Hélas ! général, je suis porteur de bien tristes nouvelles, le Roi m'a envoyé vers vous en toute hâte, pour vous prier de suspendre l'exécution de votre entreprise. »
« Mais c'est imposs :ble, lui dis je en bondissant de ma chaise, songer, donc, monsieur, qu'à cette heure tout le monde est à son poste, que le dernier mot a été dit, que les meneurs subalternes en savent beaucoup trop : mais c'est nous perdre. - Je sens, général, tout ce que votre position a de pénible, et croyez-le bien, personnellement j'en suis navré. Il a fallu une circonstance bien impérieuse pour que Guillaume II m'envoyât si précipitamment vous arrèter dans ce que vous alliez faire pour lui ; mais il y va de sa couronne de Hollande. Vous savez que les Hollandais sont opposés à la réunion ; le budget n'est pas encore voté ; si des troubles éclatent ici, dans ce moment, le Roi sera accusé d'y avoir mis la main, on lui refusera tout, et il se verra dans des embarras dont il n'ose envisager la conséquence. Le roi en appelle à votre sagesse, à l'affection que vous lui témoignez, il n'a pas d'ordres à vous donner, mais à partir de ce moment, je dois vous déclarer qu'il n'est plus pour rien dans cette affaire ; qu'il vous laisse toute la responsabilité de ce qui arrivera, qu'enfin vous n'agissez plus pour lui.
« J'étais foudroyé, et, certes, M. Grégoire eût pu parler encore longtemps sans être interrompu. - « Enfin, lui dis-je, certes, monsieur, Sa Majesté n'a pu croire que c'est pour moi, que depuis deux ans je me donne tant de peine, et fais tant de sacrifices ? Demain, je lui rendais une couronne, aujourd'hui vous m'apportez l'infamie. - Allez, monsieur, dire au roi, que ses ordres sont exécutés, et qu'en nous perdant il brise à tout jamais ses espérances. - Allons, dis-je au général Vandersmissen, ne perdons pas une minute ; heureusement qu'en arrêtant tout à Bruxelles, nous empêchons les provinces de se compromettre, mais demain attendons-nous aux dénonciations.
« Les chefs du parti républicain étaient en permanence aux bureaux du journal « le Patriote » ; j'y courus et leur appris sans détour ce qui venait da se passer. Ils me firent la grâce d'y croire, et je leur en sus toujours gré, car ce message avait bien l'air d'une grande mystification.
« En moins de deux heures de temps, le contre-ordre général était connu et les députés des villes informés que Bruxelles ne bougerait pas. Les nominations faites retirées et brûlées, toutes traces de la conspiration disparurent.
« Apres le récit si sinple des événements que je viens de dérouler à vos yeux, messieurs, dans toute sa vérité, est-il encore permis de supposer, un seul înstant, que des projets arrêtés au moment même de leur exécution par la volonté expresse du prince pour qui ils avaient été conçus, pussent jamais être continués ou repris dans un avenir même éloigne ? Non sans doute, la logique s'y oppose. Aussi comme je l'ai dit, au commencement de cet écrit, la conspiration a bien été avortée le 25 septembre.
« Ce ne fut qu'à 9 heures du soir, que des bruits vagues d'agitations dans le peuple parvinrent à la cour. Le général Dominique Nypels, entre autres, fut envoyé aux informations, et se convainquit en parcourant la viiie, que la plus grande tranquillité régnait partout. Je le vis sur la place de la Monnaie vers les 10 heures, et j'entendis témoigner son étonnemeni de la mission dont on l'avait chargé.
«Ceci démontre encore, d'une manière irrécusable, que le gouvernement ignorait tout jusque bien avant dans la nuit, et que les dénonciateurs ne pensèrent à l'exploiter qu'après qu'ils virent cesser nos largesses.
« Alors la conspiration change de terrain : abandonnée par nous, elle est reprise et continuée dans le bureau particulier du ministre de la guerre. Muni des seuls renseignements que purent lui fournir des hommes de bas étage ignorant jusqu'au motif qui les faisait agir, il inventa des propos, des démarches, il créa un arsenal, fit fondre des boulets, alla jusqu'à se déguiser pour en presser l'exécution. Il dut aussi tromper ses collègues, car je repousse l'idée de croire qu'un ministère tout entier se soit prêté à une si odieuse jonglerie. Lors donc que le ministre de la guerre eut rassemblé un corps de délits de sa fabrication capable de nous compromettre, il dénonça la plus ridicule des conspirations. Vous savez tous, messieurs, comment plus tard, voyant que ses intrigues allaient être mises au jour, il se rendit justice lui-même. Puisse-t-il obtenir là-haut le pardon que je lui accorde ici-bas !
« Je fus arrêté le 30 octobre, c'est-à-dire trente-cinq jours après que la vraie conspiration avait cessé d'exister, et tandis que j'étais uniquement occupé d'intérêts agricoles et industriels ; mon ambition ne visant plus qu'à doter mon pays d'une nouvelle province. Les vastes travaux que j'avais entrepris sur mon domaine de Postel, le chemin de fer en voie d'exécution jusqu'aux portes de la ville de Turnhout, que je faisais établir à mes frais, devait, dans un temps rapproché, fixer l'attention du gouvernement et des spéculateurs, sur les immenses ressources que renferme la Campine. Et c'est au moment où mes capitaux sont le plus engagés que la conspiration Buzen vient me prendre à la gorge et préparer ma ruine.
« Nous ne parlerons pas d'un procès que vous connaissez, où la justice fut égarée et la magistrature trompée. La tâche que je me suis imposé est de vous initier, messieurs, en substituant la vérité à l'erreur, à tout ce qui se rattache à la vraie conspiration dont les faits qui vont suivre seront le corollaire.
« De toutes les personnes arrêtées, deux seulement pouvaient éclairer en tous points l'accusation, le général Vandersmissen et moi. Quelques autres eussent pu commettre des indiscrétions graves, mais tous supportèrent cinquante-deux jours du secret le plus rigoureux, sans faire le moindre aveu.
« Incertains du courant auquel nous nous laisserions aller, que de mauvais moments ont eu à passer ces hommes qui appartenaient à la conspiration ! Qu'il dût être long pour eux ce supplice de six semaines l Aussi de quel poids ne furent-ils pas soulagés lorsqu'une fois libres de communiquer avec nous, ils apprirent que notre résolution était arrêtée de ne compromettre personne !
« Deux moyens se présentaient la défense : tout avouer ou tout nier.
« Pour le premier, les orangistes désignaient comme mon défenseur M. Van Huffel, le plus éloquent avocat du barreau. C'eût été transformer la cour d'assises en champ de bataille politique, continuer ouvertement et sous la protection des lois, la lutte arrêtée au 25 septembre ; c'était nous poser d'une manière noble et chevaleresque, tout en donnant la preuve irrécusable que nous nous étions arrêtés avant l'exécution. Mais c'était aussi compromettre Guillaume Ier et Guillaume II, c'était faire encombrer les prisons d'hommes de tous rangs, c'était remuer la Belgique jusque dans ses fondements.
« Je représentai à ces messieurs en conférence dans ma cellule que cette défense toute brillante qu'elle dût être, et qui m'allait si bien, était en opposition avec le message de M. Grégoire, que ce serait donner aux chambres hollandaises des armes contre le Roi, qui m'avait fait connaître le côté critique de sa position, dans un moment suprême, en faisant appel à ma prudence, et devait toujours compter sur ma fermeté. Que, pour mon compte, je sacrifiais mon amour-propre à ces hautes considérations. Le général Vandersmissen fut de mon avis et nous nous arrêtâmes au second moyen.
« A celui-là, il me fallait un défenseur sans couleur politique. Il nous plaçait évidemment dans une fausse position, car en laissant à mes adversaires le champ des conjectures, tout restait douteux sur notre compte, et permettait à la malveillance les suppositions, les plus erronées. Notre confiance était bien dans la certitude qu'il n'existait aucune preuve contre nous, et qu'en définitive nous ne pouvions être condamnés, mais qu'il nous fallut de courage pour accepter ainsi la honte, le ridicule d'une affaire qui n'était plus marquée qu'au coin de la folie !
« Qu'y a-t-il de plus significatif pour caractériser ce procès que le rapprochement de ces deux faits ? De toutes les personnes arrêtés, celles qui étaient de la vraie conspiration furent mises hors de cause ou acquittées, et deux qui n'en étaient pas, que je n'avais jamais vues ni connues, sont condamnés à mort avec les deux généraux.
« Durant les quatre mois qui précédèrent le jugement, il me fallut acheter le silence de plusieurs, même des délateurs, sur certaines choses et surtout sur les noms propres que ces derniers avaient saisis au passage, lorsqu'ils faisaient partie de la vraie conspiration. C'est ainsi que l'accusation fut déroutée sur Grégoire, qu'elle prit pour le Grégoire de 1830.
« Une fois le jugement rendu, ce fut autre chose. A la manière dont (pahe 1151) j'avais payé les moindres services, les intimes prétendirent que j'avais en réserve d'énormes sommes du roi Guillaume ; il y eut jusqu'au frère du général Vandersmissen qui chaque jour venait lui faire une scène pour avoir part au gâteau. Je dus, pour rendre le repos au général, détromper moi-même cet incrédule, qui nous menaça alors tous deux d'aller nous dénoncer à La Haye. Il y alla et revint bien honteux me faire des excuses, m'avouant qu'il n'avait pu croire à un dévouement si onéreux.
« Je ne cherche ni à émouvoir, ni à remuer les consciences, mais je ne puis laisser échapper l'occasion de déclarer publiquement que j'ai supporté les frais énormes de cette affaire, sans en être remboursé, et qu'aucun de ceux queje sauvais (en prison) de ma bourse et de ma personne, ne nra aidé en rien.
« Nous savons que le sentimentalisme et les attendrissements sônt passés de modée et que la reconnaissance même la plus légitime est éphémère et rapide comme les impressions du cœur humain ; je ne suis donc qu'un des mille exemples auxquels les générations présentes et futures peuvent puiser un enseignement sur l'ingratitude qui suit toujours les faits accomplis... Aussi n'est-ce pas la plainte que j'exhale ici, mais un fait de plus que j'attache à l'histoire.
« Lorsque j'eus l'honneur de saluer à Londres, en 1841, le comte de Chambord, ce prince daigna me témoigner sa sympathie et me dit, dans le courant de la conversation : « Mais au moins on vous fait une belle position à l'étranger ? - Hélas, monseigneur, on m'y laisse mendier mon pain ; la politique le veut ainsi, comme preuve qu'on n'a pas eu de rapports avec moi. M'indemniser, me rembourser seulement mes avances serait se compromettre. On fait appel à mon beau caractère, à ma fermeté pour supporter ces nécessités nouvelles. Vous comprenez combien il devient commode au parti tout entier de se soumettre à ces hautes convenances. » - Le prince résuma sa pensée en un seul mot : « Infamie !»
«Condamné à mort le 25 mars 1842, cette peiné est commuée le 13 juin suivant en celle des travaux forcés à perpétuité, puis celle-ci, le 19 du même mois, en vingt années de réclusion sans exposition au carcan, plus 20 années sous la surveillance spéciale de la police après l'expiration de la peine.
« En attendant, je ne quittais pas la prison des Petits-Carmes, où je gagnai le typhus des prisons, qui me conduisit bientôt aux portes du tombeau. Le dévouement de ma noble soeur non seulement me sauva en s'enfermant avec moi pour mieux me soigner, mais obtint encore de cette Reine, qui mérita si bien pendant sa vie d'être appelée « la mère des malheureux », que je fusse transféré à l'hôtel de feu ma mère, que j'avais eu le malheur de perdre pendant ma détention.
« Après l'évasion du général Vandersmissen, qui répéta celle de M. de la Valette, je fus réintégré, encore convalescent, en prison, et lorsqu'il fut question de la signature du traité définitif avec la Hollande, je reçus l'offre d'obtenir ma liberté à certaines conditions.
« J'avoue que je reçus ces ouvertures avec une joie d'enfant, d'autant plus grande que les secousses que je venais d'éprouver coup sur coup, me laissaient moins de forces pour résister au désir de recouvrer ma liberté. M. le vicomte Desmanet de Biesme, mon beau-frère, fut l'intermédiaire entre le pouvoir et moi. Une lettre fut rédigée, discutée, corrigée de la main de M. Nothomb, ma coopération se borna à la transcrire comme je le fais ici :
« Sire,
« Condamné et détenu pour un délit politique, je subis la peine qui m'a été infligée avec résignation, plaçant mes espérances d'un meilleur avenir dans la clémence de mon souverain.
« Déjà, Sire, il vous a plu de me fournir une preuve bien précieuse pour moi de votre inépuisable bonté pendant une maladie mortelle dont j'ai été atteint l'été dernier ; cette circonstance me donne la confiance d'oser encore y recourir aujourd'hui.
« Sire, l'adversité est un grand maître, et ses leçons n'ont pas été perdues pour moi ; convaincu que désormais je ne pourrais à l'expiration de ma peine jouir dans ma patrie que d'une existence peu en harmonie avec mes habitudes et mes goûts, mon désir le plus ardent serait de m'établir au Brésil et de chercher dans ces contrées lointaines qui offrent tant de ressources à un travail intelligent, à utiliser mon activité et quelques connaissances acquises, et à réparer les pertes que des spéculations malheureuses ont fait éprouver à ma fortune patrimoniale.
« Agé de 46 ans, une détention prolongée me mettrait hors d'état de réaliser aucun projet d'avenir et ses effets rendraient ma vieillesse bien pénible.
« En présence des circonstances politiques où la Belgique se trouvé placée en ce moment et que la haute sagesse de Votre Majesté ne peut manquer d'apprécier, je me livre à l'espoir qu'elle daignera écouter la voix de la clémence qui est toujours celle de son cœur royal.
« J'ose donc la supplier respectueusement de vouloir commuer la peine que j'ai encourue en celle de bannissement perpétuel, en engageant ma parole d'honneur de quitter l'Europe avant le 1er mai prochain, et de ne plus y revenir sans l'autorisation de Votre Majesté, je me rendrai immédiatement dans le lieu qu’il plaira au gouvernement de me désigné, jusqu’à l’époque de mon embarquement.
« C’est la grâce que sollicite de vous, Sire,
« Votre respectueux serviteur et sujet,
« Signé : Comte Vander Meere.
« Bruxelles, le 12 février 1843. »
« L’on voit combien tout est bien calculé dans cette lettre pour porter coup, et me laisser l'initiative de toutes les conditions qui me sont imposées par le pouvoir. Bannissement perpétuel et promesse de quitter l'Europe, pour ne jamais y revenir ! Le dernier héritier d'un grand nom, dont les ancêtres ont pendant plus de cinq siècles valu des services au pays, en est banni à tout jamais par le décret suivant :
« Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur chargé par interim du département de la justice,
« Avons arrêté et arrêtons :
« Art. ler. La peine à subir par ledit Auguste-Louis-Nicolas comte Vander Meere, est commuée en celle du bannissement perpétuel.
« Art.-2. Notre ministre susdit est chargé de l'exécution du présent arrêté.
« Donné au château de Laeken, le 23 février 1843.
« Signé : Léopold.
« Par le Roi.
« Le ministre de l'intérieur chargé par intérim du département de la justice,
« Signé : Nothomb.
« Pour expédition conforme :
« Le secrétaire général du Ministre de la justice ;
« (Signé) De Crassier. »
« Vous l'avoueraîs-je, messieurs, je n'ai jamais cru, pour ce qui me regarde, au sérieux de cet engagement formidable, pris sous les verrous, qui, me dit-on, devait servir de précédent politique chez nos voisins, pour obtenir la même chose d'un détenu d'une autre importance que la mienne. Mais le refus de l'illustre prisonnier, de M. Guizot, fit, que je fus lancé en pure perte comme ballon d'essai sur les côtes hospitalières du Brésil.
« La loi fixe la peine du bannissement à 10 ans au maximum.
« Le titre II. Des Belges et de leurs droits, article 9 de la constitution dit : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi. »
« Art. 73. Du Roi. « Il a le droit de remettre ou de réduire les peines prononcées par les juges, sauf ce qui est statué relativement aux ministres. »
« Art. 78. Le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la constitution et les lois particulières portées en vertu de la constitution même. »
« Messieurs, je voudrais pouvoir entourer la demande que j'ai à vous faire de tout le respect que je porte au prince qui a été appelé à régner sur nous, et j'éprouve quelqu'embarras de la formuler sans blesser de hautes convenances. Aussi ai-je laissé s'écouler des années avant de vous soumettre le cas exceptionuel dans lequel je me trouve et que je vous présente ici :
« Un Belge peut-il solliciter et obtenir du pouvoir l'application d'une peine qui n'est pas dans la loi, et qui dépasse le terme que le législateur, dans sa sagesse, a formellement fixé par un maximun ? »
« Cette convention de gouvernement à particulier qui élude la loi, pouvait-elle être présentée à la signature du Roi, sous la forme d'un arrêté qui porte atteinte à la Constitution du royaume ?
« Il ne me reste plus, messieurs, qu'à solliciter votre indulgence pour ce document historique, que j'ai cru devoir soumettre à mon pays, dans la personne de ses représentants comme un hommage de mon respect pour son opinion, comme un appel à tous les cœurs généreux de sympathiser à mes malheurs, comme protestation de mon amour pour la patrie, comme une apologie de ma conduite politique, que je dois à l'honneur de mon nom et à l'avenir de mes enfants.
« Amiens, le 25 février 1856.
« Votre respectueux serviteur.
« Comte Vander Meere. »
(Suit les 6 lettres adressées au Roi pour obtenir sa grâce, datée de 1847 à 1852. Ces lettres ne sont pas reprises dans la présente version numérisée.)
(page 1152) Votre commission, considérant qu'il résulte des explications fournies par le pétitionnaire qu'un Belge se trouve frappé d'une pénalité qui n'est pas dans la loi, que cette question est digne de l'attention la plus sérieuse de la Chambre et du gouvernement, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.
A raison de l'importance de cette pétition, je propose à la Chambra de décider que la discussion du rapport aura lieu vendredi prochain.
- Cette proposition est adoptée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Beersel, le 25 février 1855, le sieur Storms se plaint des dévastations commises dans un bois qu'il possède à Heyst-op-den-Berg, et demande une indemnité de ce chef.
La commission propose l'ordre du jour.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Grammont, le 21 février 1855, le sieur de Lil demande une loi sur l'établissement des machines à vapeur, et réclame l'intervention de la Chambre pour que la députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale diffère jusqu'à ce moment de statuer sur la requête d'un industriel, qui veut établir une machine à vapeur à proximité de sa blanchisserie.
La commission propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Hasselt le 30 décembre 1855, la sieur Willems présente des observations contre le rapport de la commission qui a été instituée pour examiner sa découverte relative à l'inoculation dé la pleuropneumonie des bêtes à cornes. Le pétitionnaire se plaint des procédés de la première commission à son égard et du rapport qui vous a été soumis qu'il prétend être entaché d'hostilité personnelle envers lui, d'omissions calculées et de fausses allégations et c'est pour empêcher le renouvellement de semblables rapports qu'il s'est adressé a la Chambre pour lui soumettre les observations qui précèdent, il termine en disant qu'il s'est adressé à M. le ministre dans le même sens par lettre datée de Hasselt le 4 décembre 1855. Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa pétition à M. le ministre de l'intérieur.
M. de Renesse. - Messieurs, en appuyant la pétition de M. le docteur Willems, à qui la Belgique doit l'heureuse invention de l'inoculation de la pleuropneumonie exsudative des bêtes bovines, ce que l'on paraît ne pas vouloir reconnaître officiellement, je dois de nouveau exprimer mes regrets de ce que le gouvernement semble rester impassible à l'égard de cette question si importante pour les intérêts agricoles, et qu'il se retranche toujours derrière les rapports de la commission qui a été chargée d'examiner cette méthode préservative ; rapports qui paraissent présenter plutôt des observations hostiles à ce (page 1153) moyen prophylactique ; cependant dans le troisième rapport de cette commission qui nous a été distribué l'année dernière, elle a dû constater par l'enquête faite chez les principaux distillateurs et engraisseurs de bétail du Brabant, que par l'inoculation, d'après la méthode de. M. le docteur Willems, l'on a obtenu les résultats les plus favorables, et ces principaux distillateurs et engraisseurs se sont montrés très partisans de l'inoculation.
C'est ainsi que MM. Claes frères à Lembecq, ont déclaré que le nombre des bêtes mortes par suite de l'inoculation, ou qui n'ont pas été préservées, ne s'élève pas au-delà de 4 1/2 p. c., tandis que le total des bêtes non inoculées, affectées de la maladie, s'est élevé à 30 p. c. environ. MM. Claes prétendent, du reste, qu'avant l'inoculation, ce chiffre s'élevait quasi toujours à 25 p. c, et que sans l'inoculation, ils n'auraient pas recommencé à exposer de grands capitaux dans l'engraissement du bétail. Ils sont convaincus que, bien que certain nombre d'animaux inoculés deviennent encore malades, le chiffre en serait bien plus considérable, s'ils ne recouraient pas à cette opération, ils achètent annuellement de 400 à 600 têtes de bétail.
Les accidents consécutifs à l'opération sont, du reste, moins fréquents, depuis qu'ils font usage d'une aiguille à inoculer, inventée par le vétérinaire Sticka de Cologne.
M. Wittouck, distillateur à Leeuw-Saint-Pierre, déclare qu'il est favorable à l'inoculation, et assure que, si une seule bête venait à être frappée de la maladie, il ferait à l'instant même inoculer toutes celles qui se trouvent dans son exploitation ; du reste, la maladie n'a plus reparu dans ses étables depuis deux années, et il y a dix-huit mois qu'il a cessé d'inoculer ; les animaux qui ont été engraissés dans ses étables, depuis cette époque, s'élèvent à 1,400.
MM. Nerinckx frères, distillateurs à Hal, déclarent être favorables à la pratique de l'inoculation, attendu que, depuis son introduction dans leurs étables, ils ont vu disparaître la pleuropneumonie exsudative.
MM. Vanvolxem, distillateurs à Hal, « déclarent pareillement, qu'ils sont favorables au préservatif, attendu que depuis sa mise en pratique dans leurs étables, qui contiennent ordinairement 300 bêtes, ils ont pu constater la disparition presque totale du fléau. »
M. Vandendaelen, distillateur à Boitsfort, « est favorable à l'inoculation et il a déclaré que si la maladie envahissait de nouveau ses étables, il inoculerait immédiatement son bétail. »
Cette enquête, si formelle, faite par la commission auprès des principaux distillateurs du Brabant me paraît cependant devoir être prise en considération et être d'une certaine importance ; elle démontre que l'inoculation de la pleuropneumonie exsudative a produit de très bons effets, que l'on ne doit pas traiter cette méthode préservative d'utopie, et chercher à l'amoindrir ou à jeter de la déconsidération sur ce moyen prophylactique de cette grave maladie du bétail.
D'après un mémoire adressé par M. le docteur Willems à. l'Académie de médecine de Belgique, en 1855, où il énumère les résultats de trois années de pratique de l'inoculation, il est constaté qu'il y a eu 24,807 bêtes inoculées ; la proportion des bêles morts des suites de l'inoculation est de 0.96 pour cent (258) et celle des bêtes devenues malades malgré l'inoculation de 1.30 pour cent (322).
Ainsi, du résumé général des inoculations faites en Europe, il ressort que 238 bêtes ont succombé aux suites de l'inoculation sur un total de 24,807 (soit10-96 pour cent), tandis que la pleuropneumonie, quand on lui laisse suivre son cours naturel, en tue 8 1/2 pour cent, d'après les expériences faites par la commission française ; et 80 pour cent, d'après les expériences officielles de la commission hollandaise.
M. Yvart, inspecteur général des écoles vétérinaires en France, évalue, en moyenne, dans son rapport officiel sur la peripneumonie du Cantal, de l’Aveyron, de la Lozère, la mortalité des bêtes atteintes de la pleuropneumonie à 35 p. c.
La commission d'agriculture de la Flandre orientale, dans son rapport de 1853, porte la moyenne de la mortalité des bêtes atteintes de cette maladie à 62 p. c. (Bulletin du conseil supérieur d'agriculture, tome VII, 2ème partie, p. 241.)
D'après le même bulletin, p. 570, 2,349 bêtes à cornes ont été reconnues officiellement atteintes de la pleuropneumonie, en 1853, dans toute la Belgique, et l'Etat a payé 99,745 fr. 61 c. d'indemnités ;' de ce chiffre 1,350 bêtes ont succombé à la maladie, ou ont été abattues par ordre.
La mortalité s'est donc élevée, cette année, à 57.47 p. c. pour la Belgique entière.
Il résulte de ces chiffres, que si l'inoculation était généralement appliquée là où règne le fléau, la perte au lieu d'être, en moyenne, de 35 p. c, se réduirait à environ 2 p. c., à part quelques accidents, dus à l'imperfection des procédés, etc.
Dans le mémoire de M. Willems, est, en outre, constatée l'efficacité, de l'inoculation, par un grand nombre de personnes, dans les étables desquelles elle a été pratiquée sur une grande échelle, et qui ont donné aux faits observés la garantie de leurs signatures ; ce sont tous de grands distillateurs engraisseurs, et éleveurs de bêtes bovines de différentes parties du pays.
Aussi à Hasselt, tous les distillateurs, dont l'industrie a quelque importance, font inoculer leur bétail et, après trois années d'expériences, ils reconnaissent que c'est le seul moyen préservatif qu'ils aient employé avec efficacité.
Il paraît aussi démontré, par des rapports, qu'à l'étranger le procédé de l'inoculation ferait des progrès et qu'en France, en Italie, en Hollande et en Prusse, les commissions gouvernementales ont pu constater les bons résultats de cette méthode prophylactique.
En Hollande, la confiance dans l'inoculation est telle, que le gouvernement vient d'inviter les autorités des provinces de Frise, de la Hollande du sud et du nord, du Brabant septentrional, à engager les éleveurs de soumettre leur bétail à l'inoculation, leur assurant, pour toutes les pertes causées par l'opération, une indemnité proportionnelle, puisée dans la caisse provinciale.
En Belgique, après que la première commission a cru sa mission terminée, en remettant son dernier rapport au gouvernement, et que les membres de cette commission ont exprimé leur désir d'en être déchargés, M. le ministre de l'intérieur, considérant qu'il importe que l'administration soit tenue au courant des faits qui peuvent se reproduire relativement à la pleuropneumonie et à l'inoculation, a jugé nécessaire de nommer une nouvelle commission.
Cette nouvelle commission, d'après mon opinion, aurait dû être composée de personnes nouvelles, n'ayant pas siégé dans la première commission, dont les rapports paraissent plutôt hostiles au procédé de l'inoculation ; elle n'aurait surtout pas dû comprendre des membres de la première commission qui, par leurs écrits et par leurs paroles, se sont fortement prononcés contre l'inoculation.
Il est à craindre que cette commission, comme la première, plus ou moins influencée par les membres qui se sont constamment montrés défavorables à la belle invention de M. le docteur Willems, ne produise encore aucun résultat, pour que le gouvernement puisse prendre une décision à l'égard de ce généreux inventeur, qui a montré son désintéressement, en livrant gratis au public cette heureuse découverte ; c'est donc avec raison que M. le docteur Willems croit devoir se plaindre de ce qu'en Belgique l'autorité supérieure semble prendre si peu en considération sa méthode préservative contre la pleuropneumonie exsudative des bêtes bovines, qu'elle paraît y rester indifférente, tandis que, dans d'autres pays, les gouvernements cherchent à propager l'inoculation.
Si un très grand nombre de distillateurs, d'engraisseurs et d'éleveurs de bêtes bovines, ont par l'expérience acquise depuis plusieurs années, pu constater que la méthode de l'inoculation a produit les plus heureux effets, en préservant leur nombreux bétail de la grave maladie de la pleuropneumonie exsudative qui, depuis de longues années, affectait leurs étables, et leur faisait éprouver des pertes très considérables, et qu'ils ont même déclaré que sans le procédé de l'inoculation, ils n'auraient plus osé exposer des capitaux pour l'engraissement et l'élève des bêtes bovines, je crois que le procédé prophylactique inventé par M. le docteur Willems mérite d'obtenir non seulement l'appui du gouvernement, mais aussi de tous ceux qui s'intéressent au bien-être de l'agriculture.
M. Rodenbach. - Messieurs, je remercie l'honorable préopinant du discours judicieux qu'il vient de prononcer, et dans lequel il a présenté des observations frappées au coin de la vérité ; il a cité notamment des chiffres qui sont très éloquents. Je disais, il y a deux ans, que cette question était plutôt une question de fait qu'une question scientifique. Cette assertion est confirmée par les chiffres que vous a fait connaître l'honorable préopinant. Il résulte de certificats délivrés par les plus grands distillateurs, de Belgique, MM. Claes de Lembecq, Wittouck, Van Daele, Neerinckx, Van Volxem, et les distillateurs de Hasselt, que tous ces industriels sont d'accord pour déclarer que quand la maladie règne dans les étables, il n'y a plus que 2 ou 2 1/2 p. c. de perte, tandis que la proportion allait autrefois à 30 p. c.
Messieurs, lorsque des hommes qui consacrent des capitaux immenses à engraisser le bétail viennent déclarer que l'invention dont il s'agit est éminemment utile, je ne comprends pas pourquoi une commission, composée de vétérinaires, d'hommes peut-être très savants, repousse ce système.
Mais incarnés, sans doute, dans leur profession, ils en veulent conserver tous les profits et s'obstinent à lutter contre les faits. Le ministre ne devrait pas épouser les haines, les jalousies de métier ; il ferait mieux de tenir compte des faits constatés par les distillateurs assez intéressés dans la question pour ne pas se prononcer à la légère.
Je demande pourquoi, quand on accorde si facilement des distinctions honorifiques, on n'en donne pas à un homme qui a rendu des services à l'agriculture et au fisc ; car quand des cultivateurs perdent leur bétail, ou leur donne une indemnité. On devrait propager par tous les moyens l'usage de cette méthode. Une distinction honorifique accordée à son auteur serait une recommandation puissante.
M. Vander Donckt. - Je ne conteste pas le mérite de la découverte de M. Willems, mais je dois justifier le gouvernement de la réserve prudente qu'il apporte à statuer sur le rapport des hommes de l'art qui en connaissance de cause décideront, en définitive, si le moyen présenté est ou non efficace. Jusqu'à présent, le problème n'est pas résolu, car il y a une forte controverse. Dans cette situation, que peut faire le gouvernement, sinon ordonner des expériences et en attendre le résultat avant de se prononcer ?
Quant aux distinctions honorifiques, s'il y a quelque chose à dire, c'est qu'il en accorde trop facilement. Jusqu'à ce que les expériences aient constaté l'efficacité du remède, j'engage les honorables membres (page 1154) à modérer leur impatience et à attendre les rapports des hommes compétents qui, seuls, peuvent résoudre la question.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Bruxelles, le 27 avril 1855, le sieur Lefebvre, médecin vétérinaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un subside qui le mette à faire une publication française de sa méthode préservatrice et curative de la pleuropneumonie épizootiquc. Le pétitionnaire critique l'invention de l'inoculation qu'il qualifie d'absurde et faisant beaucoup de victimes même à Hasselt ; il prétend que grand nombre de bêtes déjà inoculées contractent la maladie et que cette opération supprime le lait chez les vaches.
Il se plaint qu'on lui ait enlevé la propriété de son ouvrage et sollicite un subside pour en publier une édition française. Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa pétition à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Matthieu, rapporteur. - Par pétition sans date, le sieur Vermeersch, ancien militaire congédié pour infirmité contractée au service, demande une pension.
Le pétitionnaire fournit à l'appui de sa demande un extrait du registre-matricule du régiment d'artillerie, duquel il résulte : que par suite d'un engagement contracté le 10 janvier 1828 pour un terme de six ans au dépôt général de l'armée, sous le gouvernement des Pays-Bas, il fut envoyé la même année dans les Indes orientales où il fut incorporé dans la 18ème division d'infanterie. Après avoir fait les campagnes de 1828 à 1833, et après avoir reçu la croix de bronze pour les campagnes de Java, il fut embarqué pour la Hollande vers la fin de 1833 et y arriva en mai 1834. Congédié le 7 juin suivant et rentré en Belgique, le pétitionnaire contracta, le 2 septembre de la même année, un nouvel engagement dans l'armée belge, pour le terme de six ans, au premier bataillon de l'armée de siège en qualité de canonnicr de seconde classe.
En 1839 il fut congédié pour cause de santé ainsi qu'il est constaté dans l'extrait du registre matricule qui se termine ainsi :
« Le 23 décembre 1839 congédié par disposition ministérielle du 19 dito, deuxième division, n°55, pour affection pulmonaire chronique acquise au service et par le fait du service, avec une gratification de 120 francs. »
Le pétitionnaire ajoute qu'il a vainement et avec persistance sollicité une pension à cause de ses services et de l'incapacité de travail qui en avait été la conséquence. Seulement à force de démarches il était parvenu à obtenir une pension provisoire d'un an par arrêté royal du 28 octobre 1842, mais cette pension ne lui fut pas continuée.
Et cependant il résulte de la déclaration du bourgmestre de Ruysselede, commune de son domicile, que le pétitionnaire est à la charge du bureau de bienfaisance à cause de l'état déplorable de sa santé qui l'empêche de se livrer à aucune espèce de travail.
La commission des pétitions, en présence des faits énoncés et qu'elle n'entend pas apprécier, a cru devoir appeler l'attention de M. le ministre de la guerre sur la demande de Vermeersch ; en conséquence elle a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de la guerre.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Matthieu, rapporteur. - Par pétition datée de Tirlemont, le 12 novembre 1855, le commissaire de police faisant fonctions d'officier du ministère public à Tirlemont demande une loi qui améliore la position des commissaires de police revêtus des mêmes fonctions.
Par pétition datée de Bouillon, le 21 décembre 1855, les commissaires de police d'Arlon et de Bouillon demandent un traitement du chef des fonctions de ministère public qu'ils remplissent près les tribunaux de simple police.
Même demande des commissaires de police de Gosselies, Chimai, Beaumont, Thuin, Charleroi, Verviers, Spa.
Ces pétitions, rédigées à peu près dans les mêmes termes, tendent vers le même but, celui de voir décréter une loi accordant aux commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police, un traitement supplémentaire a charge du gouvernement en dehors de celui qui leur est alloué par les communes.
A l'appui de cette réclamation, les pétitionnaires font valoir que la loi du 1er mai 1849 a considérablement élargi la sphère d'attributions des tribunaux de simple police, qu'en conséquence il serait juste que le pouvoir central rétribuât ce surcroît de travail.
La commission des pétitions, sans se préoccuper de l'examen de la question que ces demandes soulèvent, considérant qu'un projet de réorganisation judiciaire faii l'objet des méditations de M. le ministre de la justice, a l'honneur de vous proposer de renvoyer ces pétitions au département de la justice comme éléments d'appréciation, mais sans rien préjuger.
M. Rodenbach. - Messieurs, plus de 500 pétitions ont été envoyées à la Chambre depuis 4 ans, par des commissaires de police de diverses villes et communes, notamment de Roulers, d'Ardoye, d'Ingelminster, de Meulebeke, de Moorslede, de Lichtervelde, de Thielt, d’Ypres, etc., etc., pour demander qu'il leur soit alloué une rémunération, à raison des fonctions de ministère public, qu'ils remplissent près les tribunaux de simple police.
Vous n'ignorez pas que ces fonctionnaires sont très peu rétribués dans le plat pays et dans les villes même de 6 à 8 mille âmes ; leur traitement n'est que de 600 à 800 francs, plus 200 francs de frais de bureau, ce qui leur fait en somme 800 à 1,000 francs. Pour ce modique traitement, on les fait siéger comme ministère public, car pour ces fonctions spéciales, ils ne reçoivent absolument rien.
J'espère que M. le ministre de la justice écoutera avec bienveillance les doléances qui sont adressées par des milliers de commissaires de police. Leur service est très pénible. Il serait juste de leur donner une légère indemnité.
Je suis étonné que depuis six années leurs plaintes soient restées sans effet. Serait-ce parce que ce sont des gens qui ne sont pas très haut placés ? Ils devraient intéresser davantage. J'espère que sur le renvoi qui lui sera fait des pétitions dont il s'agit, M. le ministre examinera avec bienveillance la réclamation des pétitionnaires.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Matthieu, rapporteur. - Par pétition datée d'Oostroosebeke, le 5 décembre 1855, le bourgmestre d’Oostriosebeke demande qu’il soit accordé une indemnité à ceux qui remplissent les fonctions de ministère public près le tribunal de simple police.
Cette pétition ayant beaucoup d'analogie avec les précédentes, la commission a l'honneur de vous proposer de la renvoyer à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Matthieu, rapporteur. - Par pétition datée de Diest, le 11 décembre 1855, le sieur Lorge, ancien lieutenant des douanes, prie la Chambre de statuer sur sa demande relative à la révision de sa pension. La commission propose le renvoi à M. le ministre des finances.
- Adopté.
M. Matthieu, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 2 février 1856, le sieur Blanchart prie la Chambre de statuer sur sa demande relative à la révision de sa pension.
Le pétitionnaire établit ainsi ses états de service. Engagé en 1832 au 1er régiment de cuirassiers, il servit successivement dans ce corps comme brigadier et maréchal des logis jusqu'en 1839, époque à laquelle il fut nommé, par disposition ministérielle, surveillant du génie au fort de Hazegras.
Mis à la retraite en 1854, sa pension fut fixée à 175 fr., plus 100 fr. à titre de gratification.
Le pétitionnaire, qui compte 67 ans d'âge et 26 ans de service, y compris trois campagnes, est convaincu qu'il y a eu erreur dans le règlement de sa pension, et qu'on n'a pas tenu compte de l'incapacité de travail où il était réduit par suite de ses blessures et d'un séjour continu de quinze ans dans un climat insalubre.
La commission des pétitions a l'honneur de vous proposer, messieurs, le renvoi de cette réclamation à M. le ministre de la guerre.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Matthieu, rapporteur. - Par pétition datée de Liège, le 10 mai 1855, le sieur Fanton, ancien employé à la direction du tréspr, à Liège, atteint d'une maladie des yeux qu'il fait traiter à Bruxelles, demande pour lui et pour son guide, jusqu'à guérison, le transport gratuit sur le chemin de fer de l'Etat.
Le pétitionnaire expose qu'après 12 années de services en qualité de deuxième commis dans les bureaux de l'agent du trésor à Liège, il fut atteint en 1847 d'une affection ophthalmique des plus graves qui l'obligea à abandonner son emploi.
Traité pendant 3 ans par les docteurs les plus renommés de Liège, mais sans résultats, il obtint du gouvernement en 1850, la faveur du transport gratuit par le chemin de fer pour lui et son guide, à l'effet d'aller consulter le directeur de l'institut ophthalmique de Bruxelles.
Malheureusement la loi du 12 avril 1851, en interdisant tout transport gratuit sur les chemins de fer de l'Etat, l'a privé de cette ressource.
La commission des pétitions, sans rien préjuger, a conclu au renvoi de la réclamation de MM. les ministres des finances et des travaux publics.
M. Rodenbach. - Je me rappelle que quand des aveugles n'étaient pas bien fortunés et qu'ils voyageaient par le chemin de fer pour se rendre à un institut ophthajmique on leur accordait le transport gratuit. Le pétitionnaire est dans ce cas, mais aujourd'hui la rigidité est si grande que ce malheureux qui ne peut se faire traiter qu'à Bruxelles et n'a pas les moyens de s'y rendre ne peut obtenir qu'on le transporte gratuitement. Quand on accorde des réductions de prix ou de transports gratuits à des corps de musique qui se rendent à des fêtes pour leur plaisir ou le plaisir du public, on pourrait bien en faire autant pour un malheureux ; c'est ici une question d'humanité ; la rigidité du fisc pourrait bien céder un peu sans grand danger pour les revenus du chemin de fer. J'appuie donc de toutes mes forces le renvoi proposé.
- Le renvoi est ordonné.
M. Lebeau. - Il n'y a rien à l'ordre du jour pour lundi. Il vaudrait mieux fixer la prochaine séance à mardi.
M. le président. - En effet, la commission dont nous attendons le rapport pour voter le budget des dotations ne pourra faire son rapport pour lundi. La prochaine séance est donc fixée à mardi. (Adhésion.)
- La séance est levée à 4 heures.