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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 décembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 219) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des cultivateurs et éleveurs de chevaux dans la Flandre orientale demandent le rétablissement d'une station d'étalons à Tronchiennes. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Des cultivateurs du canton de Roeulx demandent le maintien du haras de l'Etat. »

- Même renvoi.


« M. de Sécus, retenu par une indisposition, s'excuse de ne pouvoir assister aux séances. »

- Pris pour information.

Projet de loi relatif au service de navigation à vapeur entre la Belgique et l’Orient

Rapport de la section centrale

M. M. T'Kint de Naeyer dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant l’établissement d'un service de navigation à vapeur entre la Belgique et l'Orient.

- La Chambre ordonue l'impression et la distribution de ce rapport et fixe la discussion du projet à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. Lesoinne. - Messieurs, après tout ce qui a été dit dans cette discussion, il est évident que, pour la grande majorité de la Chambre, l'inefficacité de la prohibition à la sortie comme moyen d'abaisser le prix des denrées alimentaires, est à peu près démontrée.

L'honorable ministre de l'intérieur lui-même a dit, que les faits avaient donné raison à ceux qui soutenaient qu'elle ne produirait pas les résultats qu'on en attendait, et il a cité des chiffres pour prouver que la mesure adoptée l'année dernière avait pu faire baisser les prix au commencement, mais qu'ils s'étaient relevés ensuite.

Je pense, moi, que le prix n'ont pas baissé à un taux inférieur à ceux des marchés libres et j'en ai la preuve dans le tableau des importations de chacun des mois qui ont suivi la promulgation de la loi. Ainsi en décembre 1854, le premier mois après la promulgation de la loi, nous avons reçu en froment : (la présente version numérisée ne contient pas le tableau appuyant ce commentaire).

On a reçu également du seigle, mais je crois que nous ne devons nous occuper que du froment.

Cependant, d'après les documents fournis par M. le ministre de l'intérieur, les prix moyens étaient plus élevés sur le marché de Rotterdam et de Londres que sur le marché belge.

Alors, messieurs, j'ai peine à comprendre comment nous avons pu continuer à recevoir du froment provenant de marchés où le prix aurait été plus élevé que chez nous. Jo pense, moi, que les prix ont toujours été plus bas sur les marchés libres que sur le marché du pays.

Messieurs, cela se conçoit parfaitement. Les opérations du commerce en grains sont, en général, d'une réalisation lente. Si le négociaul n'a pas la libre disposition de sa marchandise à l'arrivée, ill sera naturellement porté à agir avec beaucoup de circonspection.

Ainsi, il se peut qu'au moment de l'arrivée de la marchandise, l'opération présume une perte, et si le négociant n'est pas libre de la diriger vers un marché où elle peut se vendre avec bénéfice, naturellement il deviendra plus timide ou même cessera un commerce qui lui présente trop de chances de perte.

Nous serons donc réduits, comme nous l'avons été, à nons approvisionner de seconde main, sur les marchés libres et nous aurons à payer, outre le bénéfice du négociant qui aura fait venir les grains, le prix du transport de ces marchés jusqu’au lieu de consommation.

On ne défend plus la mesure de la prohibition à la sortie que par la crainte d’amener de l’agitation dans le pays. On cède à un préjugé, bien que ce préjugé soit nuisible aux populations qui en sont imbues. Selon moi, c’est une marche dangereuse ; car si on cède à la pression du préjugé pour les transports vers le smarchés extérieurs, il n’y aura pas de raison de ne pas céder au même préjugé, quand il s’agira de transports d’un des marchés intérieurs de la Belgique à un autre marché intérieur ; les populations qui verront partir le blé d’un marché qui est dans leur voisinage, seront alors aussi fondées à se palindre.

Je pense donc qu'il vaudrait beaucoup mieux que le gouvernement eût le courage de dire aux populations : « La mesure que vous avez réclamée est funeste : elle vous a été nuisible, l'expérience l'a démontré vous n'avez donc aucune raison de persister dans l'opinion que vous aviez ; il est prouvé que cette opinion est erronée, et par conséquent vous ferez sagement, dans votre propre intérêt, de l'abandonner.

L'honorable M. Dumortier, à l'occasion du projet de loi en discussion, est venu attaquer les principes de la liberté commerciale ; c'est l'habitude de l'honorable membre. Mais à l'appui de son opinion, il a cité des faits qui ne sont pas exacts ; il a dit que l'Angleterre, qui avait proclamé la première les principes de la liberté commerciale, avait conservé des droits extrêmement élevés sur beaucoup d'objets, notamment sur les chaussures. Selon l'honorable membre, il y aurait en Angleterre un droit de 18 fr. par paire de bottes.

L'honorable membre a dit qu'il avait puisé ses renseignements dans un journal, je ferai observer à l'honorable membre qu'il a puisé ses informations à une source erronée, car d'après le tarif anglais que je tiens à la main, le droit dont sont frappées les chaussures est établi par douzaine de paires ; ainsi je vois dans le tarif : bottes, souliers, 7 schellings par douzaine de paires ; le droit augmente selon lahauteur de la tige de la botte, et varie de 7 à 14 schellings, toujours par douzaine de paires. L'erreur dans laquelle est tombé l'honorable membre m'a d'autant plus étonné que l'industrie des chaussures n'est pas une industrie qui doive craindre la concurrence étrangère, car elle travaille généralement sur mesure.

L'honorable membre a dit encore que personne n'oserait établir les principes du libre échange dans sa famille. J'ignore ce que l'honorable membre entend par établir les principes du libre échange dans une famille ; mais s'il établissait le principe de la protection dans la famille, chaque famille devrait fabriquer elle-même tout ce qui sert, soit à son alimentation, soit à la confection de ses vêtements.

Et je ne sais pas si la chose serait possible ; en tout cas elle ne serait pas profitable aux familles qui voudraient tenter d'en faire l'expérience. Il n'y a qu'un moyen de protéger le travail national, de donner du travail aux ouvriers, c'est d'avoir les relations les plus multipliées possible, c'est d'avoir un marché d'approvisionnement qui rayonne le plus loin possible ; pour cela il faut se mettre dans les conditions de produire à bon marché. Voilà le seul moyen efficace de donner du travail aux ouvriers.

L'honorable membre qui se constitue toujours le défenseur de l'agriculture est venu vous dire qu'elle faisait maintenant des bénéfices usuraires et que, par conséquent, elle peut bien, en ce moment, faire le sacrifice d'une partie de ces bénéfices usuraires, pour satisfaire aux besoins de l'alimentation publique.

Il est vrai qu'il lui promet, plus tard, une compensation ; quand les denrées seront à bon compte, il viendra proposer un droit à l'entrée sur les céréales.

Je crois que les populations agricoles de notre pays, et je m'en félicite, sont assez éclairées pour savoir que ce qui leur est le plus utile, le plus favorable, c'est la liberté des transactions et surtout la libre disposition de leurs produits. Elles demanderont avec raison qu'on applique ce système aux autres industries du pays ; dans les démarches qu'elles feront pour obtenir ce résultat, je les aiderai de tous mes moyens, parce que j'ai la conviction que c'est le moyen le plus certain d'assurer la prospérité de l'industrie aussi bien que celle de l'agriculture.

Il faut, messieurs, pour le commerce des denrées alimentaires ; établir une législation fixe ; on en a fait assez l’expérience ; si l'on veut que le pays soit convenablement approvisionné, il faut que le commerce puisse compter sur la sécurité la plus complète.

Comme l'a dit l'honorable M. Osy, le commerce des grains est un commerce tout à fait spécial ; il exige des connaissances spéciales et de grands capitaux ; il n'est exercé généralement que par des maisons qui ne s’occupent pas d'autre chose. Il vous a dit qu'une maison puissante avait voulu établir une succursale à Anvers, mauis qu'elle avait dû renoncer à ce projet à cause de l’intabilité de notre législation en matière de céréales. Je convie le gouvernement à profiter de l’expérience que nous venons de faire et à nous présenter une loi fixe, sur laquelle il n'y ait plus à revenir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - L'honorable M. Lesoinne vient de dire qu'il ne faut jamais céder à un préjugé, gouvernementalement parlant, je ne crois pas que l’assertion de l’honorable membre soit juste ; il ne faut jamais céder à un préjugé quand ce préjuge est contraire à un grand principe de moralité ou de politique générale, je suis de son avis ; mais quand ce préjugé n’attaque qu'un intérêt matériel, je crois que le gouvernement entre deux inconvénients, entre deux maux, doit choisir le moindre.

Je crois que le gouvernement doit céder au préjuge quand il croit que les conséquences du préjugé ont moins d'inconvénients que la résistance qu’il faudrait lui opposer si l’on voulait le vaincre d’une maniere immédiate et violente.

Une nation, messieurs, n'a jamais que les lois qu’elle mérite, qu'elle mérite par sa moralité, par sa probité, par le degré d’instruction auquel elle est parvenue.

Pourquoi le peuple belge pratique-t-il, depuis vingt-cinq ans, et sans grands embarras, la Consiitution qui nous régit ? Parce que, à une raison saine et à un jugement froid, il joint une longue expérience des libertés provinciales et communales, une expérience de trois siècles qui lui a donné, non pas seulement l'amour de la liberté à son (page 220) profit, mais le respect de la liberté de son voisin, condition essentielle du maintien de la liberté politique.

Pourquoi nos lois d'impôt sont-elles en général dégagées de ces mesures de fiscalité, de ce luxe d'employés, de toutes ces rigueurs qui entourent les lois d'impôts dans d'autres pays ? Parce qu'en Belgique, outre un très grand fonds d'honnêteté et de moralité, il y a le respect de la loi. Le dernier habitant de nos villages est parfaitement convaincu que les finances de l'Etat sont, sinon bien administrées, il ne va pas jusqu'à cet examen, mais du moins sont administrées honnêtement. Il est convaincu que pas plus le percepteur du village qui reçoit les impôts, que les ministres, que les représentants qui votent les lois, ne mettent pas son argent en poche. C'est pourquoi il apporte sans difficulté l'impôt qu'il est obligé de payer. Il est instruit soûs le rapport financier.

Maintenant pourquoi, sous le rapport économique, avons-nous tant de peine à faire comprendre à la nation certaines questions sur lesquelles je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre qui vient de se rasseoir ? Messieurs, nous sommes nés sous l'empire français. C'était le régime prohibitif porté à sa plus haute expression. Le gouvernement des Pays-Bas a voulu introduire en Belgique la liberté du commerce plus ou moins restreinte. La Belgique s'est levée comme un seul homme contre cette tentative du gouvernement néerlandais.

Nous avons été tous plus ou moins élevés dans ces idées, et le peuple, le peuple des campagnes surtout, ne comprendrait en aucune façon dans ce moment que nous levassions la prohibition de sortie des grains. On le comprendrait dans les environs des ports de mer ; je crois que la province d'Anvers le comprendrait. Dans les environs d'Ostende on le comprendrait aussi, parce qu'on verrait arriver plus de grain qu'il ne s'en exporterait.

Mais allons à la frontière de France. Si nous levions brusquement la prohibition à partir du 1er janvier prochain, qu'arriverait-il ? Le grain est plus cher sur les marchés de Lille et de Valenciennes que sur les marchés de Mons et de Tournai. Immédiatement les agriculteurs chargeraient leurs grains sur des charrettes et iraient les porter aux marchés français, à Lille et à Valenciennes. Avant que ces grains fussent remplacés par le commerce, le prix s'élèverait de 3 à 4 fr. Croyez-vous que dans les provinces où cela se passerait, on laisserait faire tranquillement ? Je l'espère ; mais j'avoue que je puis admettre le doute. Je crois que dans l'un ou l'autre village, il serait possible que des charrettes de grains fussent arrêtées, que des charrettes de grains fussent pillées, et je préfère à cette possibilité éventuelle la prohibition.

Je crois que la prohibition de la sortie des grains produira en moyenne pendant l'année une hausse de 50 centimes à l'hectolitre. Ce n'est pas un fait parfaitement avéré ; mais je le crois. Eh bien, je préfère une hausse moyenne de 50 centimes par hectolitre de grain que le renversement d'une seule charrette de grain dans un village de la frontière de France. Ce serait un mal réel, un mal beaucoup plus grave que de céder au préjugé dont vous a parlé l'honorable préopinant.

Voilà, messieurs, pourquoi je me suis associé à mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur pour proposer de continuer encore pendant un an la prohibition de la sortie des grains.

Je crois cependant que depuis l'année dernière de grands progrès ont été faits dans l'opinion publique. Je crois que les faits qui se sont produits, que cette circulaire qu'en a tant reprochée à l'honorable M. Piercot et dont j'avais été le prosélyte, ont fait beaucoup de bien sur l'opinion publique. Je crois qu'il faut marcher dans cette voie, qu'il faut éclairer la nation. Mais je ne crois pas que l'on puisse vaincre immédiatement un préjugé très répandu.

M. Mascart. - Messieurs, il est une chose sur laquelle on est à peu près unanimement d'accord, c'est que la prohibition de sortie décrétée en 1854 n'a produit aucun résultat utile, et que, s'il y a eu une différence de prix, elle a été plutôt à notre désavantage. Les chiffres de l'honorable M. Osy sont restés debout, et pourtant la récolte de 1854 avait été bonne.

Je ne connais, messieurs, qu'un seul motif qui pourrait, dans certaines limites, justifier la prohibition. Si nous avions des denrées alimentaires en quantités suffisantes pour satisfaire aux besoins de la consommation jusqu'à la récolle de 1856, la fermeture hermétique de nos frontières nous sauverait peut-être de la disetite. Dans cette situation extraordinaire et exceptionnelle je voterai la mesure dans l'intérêt de nos compatriotes malheureux. Mais quand il est constant que nous avons un déficit et un déficit considérable, la prohibition ne peut que nous être fatale.

En 1854, le gouvernement croyait que nous étions à peu près en équilibre, et la section centrale qui avait examiné le projet de loi pensait que nous avions un excédant tel, que nous pouvions prohiber sans hésitation.

Je n'étais pas de leur avis : je croyais à un déficit et je dus voter contre la prohibition. Le produit de la récolte de 1854 avait été exagéré, singulièrement exagéré.

Il y avait une bonne récolte en froment, et en prenant tous les produits qui entrent directement ou indirectement dans la consommation, je ne pensais pas qu'elle excédât d'un huitième celle de 1853 qui avait été mauvaise. Il y avait une récolte ordinaire, c'est-à-dire insuffisante.

Les renseignements recueillis trop tôt, au mois de juillet, firent croire au gouvernement que le produit de la récolte aurait été extraordinaire. On s'attendait à une baisse, on la prédisait avec une assurance incroyable. Sur la foi desdonnées que le gouvernement avait reçues, on fit si bien que les spéculateurs cessèrent de faire arriver des céréales des pays étrangers, dans la prévision d'une baisse prochaine. Elle n'eut lieu ni alors ni plus tard, parce que la situation, la force des choses la rendait impossible. On était dans l'erreur quand on supposait que la récolte de 1854 et les déclarations en consommation nous auraient permis d'atteindre en dehors des prix anglais la récolte de 1855. Si en prohibant, à la suite d'une bonne récolte, nous avons eu des prix supérieurs aux prix des marchés voisins, il serait absurde de supposer que la même mesure prise à la suite d'une mauvaise récolte puisse jamais nous donner des prix inférieurs. Appliquer le même remède à des situations différentes n'est pas le fait du médecin, c'est le procédé de l'empirique.

Quoi que nous fassions, messieurs, nous aurons les prix généraux, car, dans l'état actuel, je ne dis pas de l'Europe mais du monde entier, lorsqu'il s'agit de denrées alimentaires, tout se tient, tout s'enchaîne. L'excédant ou le déficit d'un pays fait sentir partout son influence parce que la somme de nourriture est inférieure à celle des besoins. L'Amérique qui a seule des excédants sera le véritable marché régulateur. Selon qu'elle exporte plus ou moins, nous aurons des prix plus ou moins élevés.

La cherté des denrées alimentaires est attribuée à plusieurs causes, qui, par leur coïncidence, ont produit les hauts prix actuels, contre lesquels nous ne pouvons rien ou peu de chose. Il y a l'augmentation de la population, la découverte des mines d'or, l'augmentation de la production industrielle, le déficit de la production agricole, due à des causes atmosphériques. Toutes, la dernière surtout, ont contribué à amener la situation calamiteuse dans laquelle nous nous trouvons et dans laquelle se trouve l'Europe tout entière. De là, les prix actuels et une perspective peu rassurante pour l'avenir. Nous aurons inévitablement les prix généraux parce que notre déficit nous oblige à acheter des céréales à l'élranger.

Avec la liberté, en les payant, nous sommes sûrs d'avoir ce qui nous manque : avec la prohibition, nous vivrons au jour le jour et nous n'aurons pas même cette assurance.

On a demandé que le beurre et les œufs payent un droit de sortie de 15 p. c. Si on adoptait une pareille proposition, on viendrait en aide aux gourmands au détriment des affamés.

Il ne faut pas perdre de vue que ces produits spéciaux, au moins pour une très grande part, ne sont pas consommés par ceux qui les produisent, à cause de leur haut prix comparé à leur valeur nutritive. C'est un produit industriel pour un grand nombre de gens, au moyen duquel à l'aide de l'échange ils se procurent les choses les plus indispensables à la vie, des pommes de terre, du grain, un peu d'huile, du savon, etc.

Tout paysan a des poules, et beaucoup ont une vache. S'il appartient à la classe des petits cultivateurs, des journaliers plutôt, il ne faut pas croire, je le répète, que les produits qu'il en obtient contribuent directement à son alimentation. Il en consomme très peu, le lait, le beurre et les œufs sont portés chaque semaine au marché voisin. C'est une précieuse ressource pour les familles pauvres. Je ne sais pas ce que peut manger de grain une poule en un jour, mais la prohibition des œufs n'en fera pas baisser le prix, car déjà bon nombre de petites gens vendent leurs poules, parce que les hauts prix des céréales n'est même plus en rapport avec le prix des œufs.

On semble croire que les œufs poussent comme les champignons mais c'est avec du grain qu'on en fait. La transformation n'a lieu que quand il y a bénéfice. Ainsi quoi que vous fassiez, s'il y a baisse ou hausse sur les céréales vous aurez hausse ou baisse non seulement sur les œufs, mais sur toutes les autres denrées alimentaires indistinctement.

On croit parfois, et on le disait récemment, que les campagnes profitent du haut prix des céréales. C'est une erreur complète. Je suis convaincu d'une chose, c'est que les villes en profitent tout autant, parce que c'est là qu'on trouve les propriétaires du sol. Il n'y a pas 10 p. c. de la population rurale qui soient intéressés a avoir des prix élevés, et avec les prix actuels, il n'y a pas plus de 10 p. c. qui n'aient pas restreint leur consommation de pain. La crise alimentaire atteint donc plus ou moins les 84 p. c. restant. Cela résulte des statistiques fournies par le gouvernement depuis 1846, et des données incontestables que je me suis procurées.

Un dernier mot, messieurs.

Si dans l'intérêt des classes nécessiteuses la prohibition à la sortie des céréales est une bonne chose, la prohibition des charbons, au moins pendant trois mois d'hiver, ne serait pas une mauvaise mesure ; car nous ne sommes pas dans le paradis terrestre où il suffirait d'une feuille de vigne pour se préserver du froid. Les charbonniers, à la vérité, en pâtiraient, mais les cultivateurs et les ouvriers en profileraient largement de leur côté.

En prohibant les céréales à la sortie, on ne croit pas même qu'on en fasse baisser le prix ; c'est donc une atteinte gratuite à la propriété, sans profit pour ceux en faveur desquels on prend la mesure ; tandis qu'en prohibant les charbons, il est impossible de nier que la baisse n'ait lieu immédiatement. On obtiendrait un résultat certain qui profiterait aux pauvres gens.

Je sais bien qu'on ne prendra pas cette mesure, et je ne désire pas trop qu'on la prenne ; mais il est impossible de ne pas être frappé de la différence de traitement appliqué à deux industries dont les produits sont indispensables à notre existence.

(page 221) L'agriculture est, dit-on, le premier des arts. J'aimerais mieux pour elle que ce fût un vil métier et qu'on lui laissât la libre disposition de ses produits ; mais on est accoutumé dans les temps ordinaires à lui prendre le plus clair et le plus net de son revenu pour en faire cadeau à quelques industries qui vivent de privilèges et de faveurs, comme les industries houillères et sidérurgiques, et on se plaint ensuite que l'industrie agricole ne réalise pas les mêmes progrès que les autres, que ses produits ne sont pas assez abondants pour satisfaire à tous les besoins !

Mais quel est l'homme instruit, intelligent, ayant le sentiment de sa dignité personnelle, qui ira placer ses capitaux dans une industrie traitée avec un pareil sans-façon, et, on peut dire, qu'on maltraite gratuitement ? Car la prohibition des céréales à la sortie ne peut produire aucun bien.

J'ai dit.

M. Lelièvre. - La discussion principale qui occupe la Chambre me semble épuisée. Les opinions sont formées, et je crois inutile de prolonger le débat ; mais je dois soumettre au gouvernement une observation qui a un but direct au projet en discussion. Dans les circonstances où le pays se trouve, il est indispensable de veiller à la pureté des substances alimentaires. Aujourd'hui non seulement les boissons mais la plupart des aliments sont altérés par le mélange de substances nuisibles. J'appelle sur ce point l'attention du ministère en le priant de prendre des mesures efficaces pour faire cesser tes inconvénients sérieux résultant de ces fraudes qui compromettent la santé publique.

Je dois aussi à cette occasion reproduire l'invitation que j'ai souvent adressée au gouvernement de s'occuper d'un projet de loi relatif à la sophistication des substances alimentaires. La législation en vigueur sur ce point ne présente que des dispositions éparses qui ne répondent pas aux besoins de l'époque et à la nécessité d'une répression efficace. Cet objet étant urgent, il convient de ne pas attendre le vote des dispositions du Code pénal, pour décréter des prescriptions que réclament les intérêts les plus importants.

J'espère que le gouvernement comprendra qu'il est impossible de résister plus longtemps au vœu que j'ai déjà exprimé et que je ne puis que réitérer dans les circonstances graves qui pèsent sur la situation

M. Calmeyn. - Messieurs, la section centrale, en vous proposant la libre entrée du poisson, n'a consulté que sa sollicitude pour l'alimentation de la classe indigente et ne me paraît pas s'être assez préoccupée des conséquences graves que peut entraîner cette mesure.

L'intérêt même que chacun de nous porte à la situation de l'ouvrier dans ces temps decrise, doit nous rendre plus difficiles dans le choix des moyens à prendre pour venir à son aide.

Ne serait-il pas regrettable, en effet, d'exposer toutes nos populations du littoral au découragement et à la misère, sans avoir la certitude d'obtenir une amélioration sensible dans la situation générale du pays ? Or, cette amélioration est-on sûr de la réaliser ?

Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait que la mesure proposée pût amener une réduction notable dans le prix auquel le poisson se vend sur les marchés de l'intérieur.

Mais cette réduction on ne l'obtiendra pas ; car le haut prix du poisson ne tient pas tant aux droits modérés qui protègent la pêche depuis 1846 qu'aux frais nombreux que supporte cette denrée avant de parvenir au consommateur. Quand on aura aboli les droits de douane, aura-t-on affranchi le poisson des droits d'octroi, des droits de minque et des frais de transport, qui équivalent ensemble au double et au triple des droits de douane ?

La différence sur le prix du poisson se fera à peine sentir dans les grands centres où s'opère la consommation et ne profitera guère qu'au commerce de détail : elle sera énorme dans les ports de mer.

Quel sera, en effet, le marchand qui consentira à payer le poisson venant d'Ostende à un prix plus élevé que le poisson hollandais ? Ce sera donc le prix du poisson en Hollande qui fixera le prix du poisson sur nos côtes. Tout le poids de la mesure que propose la section centrale retombera sur les populalious déjà si pauvres qui se livrent à la pêche dans notre pays.

Et quel sera le résultat d'un si pénible sacrifice ? On obtiendra une baisse à peine appréciable sur le poisson dans les villes et une augmentation à peu près insensible dans la consommation : car chacun sait que la consommation n'augmente pas quand les prix restent les mêmes. Et qu'on ne se fasse pas illusion, quand le gouvernement autoriserait la libre entrée du poisson frais et de la morue qui seuls sont protégés, les quantités de ces poissons qui entreraient en Belgique en vertu de cette mesure seraient si faibles comparées à la somme totale des approvisionnements du pays en blé, en pommes de terre, en viandes et en denrées de toute espèce que le niveau général des subsistances n'en ressentirait aucun effet, et cependant la libre entrée du poisson réduirait à la misère toute une classe de travailleurs qui retirent à peine de leur industrie un moyen d'existence.

Messieurs, la mesure qui vous est proposée est toute transitoire, ses effets ne doivent pas s'étendre au-delà d’une année. C'est donc en vue d'un soulagement momentané, que l'on s'expose à compromettre le sort d'une industrie dont le développement a exigé de longs et persévérants efforts, et qui n'est parvenue au degré de prospérité dont elle jouit, que grâce à l'action soutenue d'une législation sage et prudente.

Pour faire apprécier l'importance de la pêche sur nos côtes, il suffit de dire qu'elle ne comprend pas moins de 360 bâtiments et occupe près de 2,000 marins. J'ajouterai que dans une seule localité, à Nieuport, deux sociétés viennent de se constituer au capital de 100,000 fr. chacune, dans le but de créer de nouveaux armements pour la pêche à la morue. L'effet immédiat de la libre entrée du poisson sera de décourager ces entreprises particulières, de détourner les capitaux de la pêche et de faire tarir la principale source de travail des habitants de nos côtes.

Ne serait-ce pas une anomalie étrange, de voir le gouvernement se préoccuper avec raison du sort de l'ouvrier pendant l'hiver, reconnaître que le travail manque, chercher à en créer par tous les moyens, même par les plus onéreux, les crédits extraordinaires et en même temps ruiner une industrie qui occupe des milliers de bras ? Comment le gouvernement viendra-t-il ensuite en aide à ces populations découragées, et quel autre travail leur offrira-t-il en retour de celui qu'il leur aura enlevé ?

Vous le savez, messieurs, la Flandre occidentale est, de toutes nos provinces, celle qui est le plus cruellement éprouvée par la misère ; elle ne possède aucune des riches industries des provinces wallonnes ; depuis la chute de son industrie linière, elle n'a d'autres ressources que l'agriculture et la pêche ; sa position à l'extrémité du pays, loin de tous les centres d'activité, augmente encore pour elle, par les frais de transport, la valeur des produits qui lui sont les plus nécessaires ; et cependant par ses ports ouverts sur l'Océan elle pourrait s'approvisionner à l'étranger aux conditions les plus avantageuses ; ne s'impose-t-elle pas de véritables sacrifices pour se procurer le fer ainsi que les tissus de laine et de coton ? Quant au charbon, l'entrée n'en a-t-elle pas été interdite aussi longtemps que nous avons eu quelque avantage à le prendre au-dehors. Veut-on supprimer d'une manière absolue le système protecteur en Belgique, la Flandre sera la première à s'en réjouir, elle ne réclamera pas en faveur de la pêche.

Ce qu'elle perdra d'une part elle le regagnera de l'autre au décuple par l'augmentation de son commerce maritime avec l'Angleterre et l'abaissement du prix des marchandises qu'elle en recevra.

Dès lors quelle justice y aurait-il à enlever à la Flandre le droit de protection qui favorise la pêche, lorsqu'on laisse subsister les droits de protection qui favorisent toutes les autres industries ? Il est vrai que la pêche a pour but de pourvoir à l'alimentation du pays, mais la protection dont jouissent les autres industries ne tend-elle pas directement à rendre le pain plus cher, à entraver l'alimentation du peuple par le renchérissement de tous les objets de première nécessité ? Ce renchérissement, qui est une taxe prélevée sur le salaire de l'ouvrier flamand, n'est-il pas aussi une taxe prélevée sur son pain ? Que ceux, qui, à propos de la libre entrée du poisson, viennent préconiser le système de la liberté commerciale, aient le courage d'attaquer le système protecteur dans son application la plus vaste, au sein des grands centres d'industrie. Qu'ils ne fassent pas parade de leurs principes, lorsqu'il s'agit seulement d'écraser une faible industrie, dans une province déshéritée.

Sans doute il serait plus grand de repousser la protection au lieu de la réclamer, et de donner nous-mêmes l'exemple du dévouement en nous immolant à la rigueur des principes ; mais, messieurs, un si bel exemple serait peu compris, et si nous hésitons à nous précipiter les premiers dans cette voie, c'est parce que uous sommes sûrs de n'y être suivis par personne.

Messieurs, il ne me reste plus qu'une considération à vous soumettre. A l'industrie de la pêche se rattache un intérêt national considérable, celui de notre commerce maritime qui demande à la pêche les matelots dont il a besoin pour l'équipement de ses navires. Tous les pays ne jouissent pas du privilège de voir la mer s'étendre sur une grande partie de leur frontière et de posséder dans la navigation commerciale un élément de richesse et de prospérité.

Un avantage aussi précieux ne doit pas être compromis à la légère : nous devons craindre d'exposer les populations de nos côtes à manquer de travail dans ces moments de crise, ce serait les repousser de notre sol et les engager à profiter des conditions plus favorables qui leur sont faites par les armateurs français pour aller remplir, sur les navires de commerce les vides qui y ont laissés les enrôlements de la marine de guerre. Le gouvernement appréciant toute l'importance qu'a pour le pays la conservation de notre pêche, n'a pu se décider à souscrire à la proposition de la section centrale. Il a réclamé le maintien des droits qui protègent la pêche à la morue et celle du poisson frais. Mais en même temps, il a fait largement la part des circonstances, en déclarant libres à l'entrée, le stokfisch, les plies séchées et les poissons de mer fumés et séchés, non spécialement tarifés.

Personne ne contestera que c'est surtout ces espèces de poisson qui entrent dans l'alimentation du pauvre ; et s'il en est ainsi, qui pourrait blâmer le gouvernement d'avoir ménagé, dans une certaine mesure, les intérêts du trésor et ceux de notre pêche nationale, après avoir satisfait aux nécessités les plus urgentes de la crise alimentaire ?

Quant à la pêche aux harengs, qui est exercée par les populations les plus pauvres et les plus industrieuses de notre pays, elle mérite aussi quelque intérêt. Depuis dix ans que les premiers essais de cette pêche ont été tentés en Belgique, cette industrie a prospéré au point de doubler l'importance maritime des localités où elle est en vigueur ; ce premier succès la destine à un grand développement, sur toute l’étendue de notre littoral, depuis la Panne et Nieuport jusqu'à Heyst et Blankenberghe.

(page 222) Le hareng qui longe les côtes de notre pays se pêche dans les mêmes conditions que sur les côtes de France et d'Ecosse : pourquoi cette industrie n'aurait-elle pas droit chez nous surtout dans son enfance, aux mêmes privilèges dont elle joint dans ces deux pays ? Toutefois, messieurs, les circonstances graves dans lesquelles nous nous trouvons nous obligent à faire tous les sacrifices qui dépendent de nous pour venir en aide à l'alimentation générale, et je m'empresse de déclarer que malgré le tort qui en résultera pour les pêcheurs de notre pays, je suis prêt à consentir à la libre entrée du hareng de toute nature au moins jusqu'au 1er septembre 1856, époque à laquelle commence la pêche aux harengs sur nos côtes.

Je me contente de réclamer le droit, pour le gouvernement, de faire cesser, quand il le jugera convenable, les effets de la loi, quant à la libre entrée du hareng.

Dans l'espérance, où nous sommes de voir une bonne récolte mettre un terme, l'année prochaine, à la crise alimentaire dont nous souffrons en ce moment, il est inutile d'étendre dès à présent une mesure défavorable à la pêche, au-delà du terme où elle peut être rigoureusement nécessaire. Je proposerai donc, avec la confiance de voir le gouvernement appuyer mon amendement, d'ajouter à l'article 4 qui porte : « Les dispositions qui précèdent sortiront leurs effets jusqu'au 31 décembre 1856. Toutefois le gouvernement pourra, avant cette époque, faire cesser les effets de l'article 2, » je propose, dis-je, d'ajouter les mots suivants : « et de l'article premier en ce qui concerne le hareng. »

M. Tack. - Dans deux sections la question de savoir s'il faut prohiber la sortie des orges a été soulevée et résolue affirmativement ; la section centrale a été d'avis, au contraire, qu'il fallait maintenir la libre exportation des orges. Mais je ferai remarquer que sa décision n'a été prise qu'à la simple majorité d'une voix. Dans la discussion générale, les orges ont été perdues en quelque sorte de vue. C'est à peine si l'on en a fait mention. Je pense cependant, messieurs, que la question des orges mérite un instant votre attention. C'est afin de mieux la provoquer que, conjointement avec un honorable député de Roulers, j'ai cru devoir vous présenter un amendement tendant à faire décréter la prohibition de la sortie de cette denrée importante.

Je tâcherai de justifier en peu de mots ma proposition. Mais avant tout, messieurs, j'éprouve le besoin de déclarer que, sans être partisan des restrictions douanières et moins encore des prohibitions, je ne suis par pourtant de ceux qui n'admettent aucun tempérament, dans aucune circonstance, aux théories du laisser-faire.

Je ne connais point, en matière d'économie politique, des principes absolus, exclusifs, inflexibles. L'expérience me démontre que les déductions, les plus rigoureuses en théorie, sont parfois controuvées en pratique, renversées par des situations exceptionnelles, anormales, nées en dehors de toutes les prévisions humaines.

Nous nous trouvons, selon moi, en ce moment, devant un de ces cas de force majeure, en présence de conjonctures calamiteuses qui imposent une prudente réserve à ceux qui voudraient traduire en fait les enseignements de la science.

C'est mû par ces considérations, messieurs, que, pour ma part, je voterai les restrictions qu'on vous propose d'apporter à la libre sortie des denrées de première nécessité. Je ne puis m'imaginer, messieurs, qu'en cela je me rende coupable d'un acte de spoliation quelconque, soit au détrimeut de l'agriculture, soit au détriment de la propriété. On vous l'a dit hier, l'agriculture, comme la propriété, seraient mal avisées de venir se plaindre du léger sacrifice, hypothétique à tout prendre, qu'on exige, d'elles dans un but d'ordre public, en vue du salut commun, en vue de ce que j'appellerai une véritable raison d'Etat.

N'est-ce pas, au surplus, à titre de mutualité, à titre de réciprocité, s'il y a lieu, que le consommateur vient demander aujourd'hui une protection à laquelle l'opinion publique, l'opinion des masses, l'opinion du grand nombre de nos commettants attache la plus haute importance ? Et à quelle époque a-t-on jamais songé à faire considérer sérieusement de simples mesures douanières comme des confiscations, comme des expropriations pour cause d'utilité publique ?

Mais, messieurs, à ce compte tout notre système douanier n'aurait été dans le passé et ne serait dans le présent que la consécration solennelle d'une longue et irréparable iniquité ? Je ne puis accepter une pareille conséquence. Ce serait vous faire injure à tous. Elle m'obligerait de douter de la légalité, de l'équité, du fondement de notre régime douanier, de notre système d'impôts tout entier.

Au point de vue de l’influence que la prohibition peut avoir exercée sur le prix des grains, tout compte réglé, à ne consulter que les tableaux statistiques qui nous ont été fournis parl e gouvernement, il est évident pour qui examine les choses sans prévention que le prix des céréales en 1855 n'a pas été sensiblement plus élevé en Belgique qu'en Angleterre.

Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer la moyenne des mercuriales pour toute l'Angleterre à la moyenne des prix pour la Belgique.

Il y a plus, messieurs, c’est que la légère différente qu'on peut signaler pour 1855 entre les prix de la Belgique et ceux de l'Angleterre, se manifeste cg dément pour les prix de 1854. Cette différence, messieurs, comme l'a parfaitement démontré l'honorable M. de La Coste, tient autant à d'autres causes qu'à celle tirée de la distinction du régime sous lequel nous avons vécu en 1854 et de celui qui a été appliqué au pays pendant l'année 18535 Pour moi, la prohibition a eu au moins cet avantage qu'elle nous a conservé nos bonnes qualités de grains et, qu'en outre, elle a contribué puissamment à calmer les souffrances morales de nos populations, au sort desquelles nous portons tous le plus vif intérêt.

Ces réserves faites, messieurs, j'aborde la question spéciale des orges.

L'honorable M. Moreau, se plaçant au point de vue des défenseurs de la libre sortie des grains, a démontré de la manière la plus évidente que les mêmes raisons que l'on peut invoquer avec la section centrale contre la prohibition de sortie des orges, devraient faire repousser également la prohibition de sortie du froment et du seigle. En sens inverse et me plaçant au point de vue de ceux qui préfèrent l'interdiction de sortie du froment et du seigle, je dis que les mêmes raisons qui doivent faire adopter cette interdiction militent également en faveur de la prohibition de sorîie des orges.

Et, en effet, dans les temps de crise, dans les temps de disette, de pénurie, l'orge, c'est un fait avéré, entre, pour des quantités considérables dans l'alimenlalion publique. Il est reconnu aussi que l'emploi de l'orbe dans les usages de la vie domestique n'est point nuisible à la santé ; c'est ce que la science a constaté. Seulement, il convient, il importe que l'autorité veille à ce qu'il ne se commette point de substitutions, de falsifications ; il importe que I'autorité prenne des mesures pour empêcher qu'on ne vende au consommateur, à son insu, des mélanges de farines d'orge, de riz et de froment comme farines de froment pur. Il va de soi que des manœuvres pareilles doivent être réprimées sévèrement, et punies selon toute la rigueur de nos lois pénales.

Mais à part les tromperies d'une « fabrication déloyale », la consommation de l'orge comme aliment propre à la nourriture de l'homme, doit être encouragée. Plusieurs administrations communales sont entrées dans cette voie. En fait, la consommation de l'orge, comme aliment, prend une extension notable. Je n'en veux pour preuve que les documents statistiques que nous avons sous les yeux. Comment se fait-il si, comme nous l'indiquent ces documents, la récolte de l'orge a été bonne, excellente, abondante même dans certaines contrées de la Belgique, que les prix de l'orge continuent toujours à être aussi élevés ? On peut raisonnablement supposer, ce me semble, que la consommation de l'orge, comme aliment, n'est pas étrangère à cette espèce d'anomalie.

Est-il besoin de dire que l'orge entre encore dans l'alimentation publique sous d'autres formes que celle de la panification, notamment sous la forme de boissons nutritives, bienfaisantes. Si le pain est la nourriture principale de nos populations, la bière est leur boisson de prédilection. C'est la boisson la plus usuelle, la plus hygiénique, la plus économique que nos populations consomment. A ce sujet, messieurs, comme à l'occasion des demandes qui nous sont adressées par des brasseurs de diverses localités du pays, qu'il me soit permis d'appeler un instant l'attention de la Chambre sur la situation précaire, vraiment désastreuse dans laquelle, depuis trois années consécutives, se trouve une industrie qui fut jadis l'une des plus florissantes da pays, et qui a toujours fourni au trésor public comme à nos octrois communaux, d'abondants revenus.

Je veux parler, messieurs, de l'industrie des brasseurs. Chose étrange ! le prix des orges est actuellement plus du double de ce qu’il est dans une année ordinaire. Et cependant les brasseurs, à de rares exceptions près, ne parviennent pas à faire augmenter le prix de leurs bières. Le consommateur leur dicte la loi, s'obstine à ne pas vouloir payer plus cher, et se coalise, au besoin, pour empêcher le renchérissement du produit des brasseries. Nous eu avons eu des exemples dans plusieurs villes du pays.

On conçoit combien cette pression exercée sur l'industrie des brasseries lui est funeste et combien elle pâlit de cet état de choses, tiraillée qu'elle est d'un côté par les prétentions des cultivateurs et des marchands de grains et de l'autre, par la résistance opiniâtre du consommateur ; aussi la position des petits brasseurs à la campagne est-elle devenue intolérable.

Des brasseurs de différentes localités du pays, entre autres de l'arrondissement de Courtrai et de ses environs, ont adressé à la Chambre des pétitions dans lesquelles ils réclamaient avec instance la prohibition de la sortie de l'orge, si pas comme un moyen essentiellement et infailliblement efficace, du moins comme une mesure très utile.

On objecte contre cette prohibition l'insignifiance de l'exportation comparée aux mises en consommation dont nous sommes redevables au commerce d'importation ; et l’on ajoute que si on prohibe la sortie des orges, par cela même on entravera l’importation de cette denrée.

Cet argument est le même que celui qui a été produit l'année dernière en ce qui concerne le froment et le seigle. Je me demande, d'ailleurs, si tant est que l'exportation esl aussi insignifiante qu'on le prétend, quel tort pourrait faire à l’agriculture l, et quelles entraves la prohibition pourrait apporter sans cette hypothèse au commerce d’importation ? Mais là n'est pas du reste la question. Il y a des motifs spéciaux qui réclament d'une manière toute particulière la prohibition de la sortie des orges.

L'orge qui passe la frontière de France est une orge de première qualité, connue sous le nom d'orge des polders ou vulgairement sous le nom d'escourgeon. Or, c'est précisément cette orge qui convient plus particulièrement à la panification. La France nous en enlève, à des prix exagérés, des quantités considérables qui vont approvisionner les marchés de Valenciennes, de Lille et de Bergues, par Mons, Courtrai et Furnes.

(page 223) Il se fait, en outre, que les existences de cette espèce d'orge sont forcément limitées à la production du pays ; elle ne peut, en effet, pour l'usage des brasseries des Frandres, pas être remplacée par l'orge de provenance étrangère. Les bières spéciales des Flandres sont fabriquées uniquement au moyen de l'orge et au moyen du houblon comme appoint, et c'est pour quoi les orges de première qualité leur sont indispensables.

Les orges étrangères sont plutôt employées dans les autres provinces où s'effectue, dans la fabrication des bières, un mélange de froment, de seigle et d'avoine ; mais dans les Flandres, l'industrie de la brasserie ne peut pas se passer de l'orge des polders, de l'orge dite escourgeon, dont il sort des quantités considérables, comme je l'ai fait observer, par la frontière de France. On soutient que le chiffre de ces exportations est insignifiant. Mais pour ne citer qu'un fait, je ferai remarquer que la moyenne des exportations en orge, pour les années 1850 à 1852, n'a été que de 161,000 kilog., tandis que pour 1854, cette exportation s'est élevée à 3,859,000 kilog. ; différence, 3,687,000 kilog ; c'est une proportion de 1 à 25.

Je terminerai en rappelant à la Chambre ce qui s'est passé l'année dernière. Vous vous souviendrez, messieurs, que plusieurs des honorables membres qui avaient voté la prohibition de sortie du froment et du seigle, afin de pouvoir rester conséquents avec eux-mêmes, auraient voulu, lors du second vote, faire adopter aussi la prohibition de la sortie des orges ; leurs efforts n'ont pas réussi, parce que la Chambre a décidé que le règlement s'opposait, en termes exprès à ce qu'on revînt sur un amendement non adopté au premier vote.

On avait signalé trop tard une inconséquence, une contradiction évidente de la loi sur les céréales avec celle sur les distilleries. En effet, messieurs, comment était-il possible d'admettre que les orges seraient libres à la sortie, tant qu'elles existeraient en nature, mais que l'exportation en serait prohibée, conformément aux dispositions de la loi spéciale sur les eaux-dc-vie, après que ces mêmes orges auraient passé par les manipulations de la distillerie pour être converties en alcool, et seraient devenues un produit de l'industrie du pays.

Cette contradiction existe encore dans la loi, je crois qu'il serait raisonnable de la faire disparaître aujourd'hui, surtout si on tient compte des analogies frappantes qu'il y a entre le froment, le seigle et les orges au point de vue de l'alimentation publique.

- L'amendement de M. Tack, tendant à la prohibition de la sortie des orges, est appuyé.

M. Van Cromphaut. - Messieurs, sans être trop partisan de la prohibition à la sorlie des denrées alimentaires, je ne comprends pas comment la section centrale qui adopte la prohibition de certaines denrées, ait cru devoir exclure de cette mesure, l'orge, l'avoine, le bétail, le beurre et les œufs. Cette exception n'est pas admissible : ou il faut abroger la loi de prohibition en général, ou il faut prohiber tout ce qui constitue l'aliment du peuple ; cela me paraît rationnel ; c'est là la conséquence d'une mesure dont l'effet, si effet il peut y avoir, serait détruit par des exceptions.

Je suis parfaitement de l'avis de la section centrale que la prohibition de l'orge et de l'avoine est une nouvelle atteinte portée à la propriété ; mais pourquoi frapper plutôt telle denrée que telle autre ? Cela ne doit-il pas paralyser l'effet de la loi ?

Le rapport de la section centrale dit que nous exportons de l'orge en France, et il en conclut que, si demain nous prohibions cette denrée, le prix hausserait immédiatement chez nos voisins du Sud, et il suppose qu'il ne baissera pas chez nous. A coup sûr, dit-il, si une baisse se manifeste, elle sera de très courte durée.

On pose ensuite la question de savoir ce qui doit en résulter, et la conclusion du rapport est, que le commerce, qui cherche à obtenir le plus de bénéfices possible, dirigera directement vers la France les chargements d'orge que, sans la baisse produite par la prohibition à la sortie, il aurait importés chez nous. Il augure de là que le prix de l'orge se relèvera en Belgique avec d'autant plus de vigueur, que cette denrée aura pris un autre cours. C'est là une supposition qui me paraît un peu hasardée.

Le commerce a toujours intérêt à diriger directement les expéditions de quelque nature qu'elles soient, et l'étranger ne passera pas par la Belgique pour le bon plaisir de donner quelque gain à des intermédiaires.

Mais, messieurs, ce qui serait vrai pour l'orge et pour l'avoine, pourquoi ne le serait-il pas aussi pour le froment, pour le seigle et pour tout article prohibé ? Avez-vous vu dévier les importations à cause de la loi qui prohibe ces articles à la sortie ? Je répondrai franchement non, parce que les négociants qui importent des denrées trouvent leur avantage dans cette importation, et il en serait de même à l'égard de l'orge et de l'avoine, si ces denrées étaient soumises à la loi commune.

Puisqu'on fait tant que de prohiber, pourquoi le bétail, le beurre et les œufs ne seraient-ils pas soumis à la même mesure que les autres denrées ? Le beurre esl tellement cher, qu'il n'est plus accessible pour l'ouvrier, je dirai même pour la petite classe bourgeoise qui vit aujourd'hui de grandes privations.

Dans des circonstances exceptionnelles, le gouvernement peut prendre des mesures exceptionnelles, et il y est en quelque sorte obligé pour témoigner de l'intérêt qu'il prend au bien-être moral et matériel du peuple.

Un malade qui menace de mourir se sent heureux de l'espoir que lui donne son médecin, alors même que celui-ci n'ose pas espérer sa guérison. Il en sera de même du peuple qui verra dans la sollicitude du gouvernement le désir dont il est animé de mettre en pratique tous les moyens possibles pour atténuer en partie les maux qui résultent du prix excessif des vivres.

Quant à ce qui concerne la libre entrée du poisson en général, je pense que cette mesure n'aurait pas pour résultat une diminution quelque peu sensible sur le prix de cet aliment pour le consommateur ; le trésor y perdrait, et tout l'avantage tournerait en faveur des négociants qui exploiteraient cette branche de commerce.

Ainsi qu'un journal d'Ostende l'a parfaitement démontré, la cherté du poisson ne provient pas du tarif de douanes en faveur de la pêche nationale, mais bien évidemment des droits d'octroi trop élevés dans ces villes.

Abolir les droits de douanes dans un but de faire baisser le prix du poisson, c'est compromettre gravement une industrie du pays qui fournit des moyens d'existence à un si grand nombre de pêcheurs du littoral.

Ostende, Nieuport, Blankenberghe, Adinkerke et d'autres localités maritimes y verraient une cause de ruine, et nul effet salutaire ne se produirait pour le pays. Je ne rencontre cependant pas une cause de grande perte pour la pêche nationale dans l'amendement de l'honorable ministre de l'intérieur, et je suis disposé à y donner mon appui.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Dumortier et de l'honorabïe M. Rodenbach, je le crois complètement inadmissible. Ce serait mettre des entraves considérables au commerce que de fixer au même jour, à la même heure, tous les marchés de céréales du pays. Dans mon opinion, cettle mesure produirait justement l'effet contraire de ce qu'en attendent les honorables membres.

Je repousse donc leur amendement, et je les engage à le retirer, puisqu'il ne paraît avoir aucune chance de succès dans cette enceinte.

Messieurs, le pays souffre et a l'attention fixée sur nos délibérations. Le peuple voit avec anxiété nos hésitations. Je suis aussi ami que qui que ce soit de la liberté du commerce dans des temps ordinaires. Mais songez bien que nous nous trouvons dans une crise accablante, et dans cette position extraordinaire, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, acceptons les mesures extraordinaires proposées par le gouvernement. Si elles ne sont pas de nature à atténuer le mal, elles rassurent néanmoins le peuple et elles produiront toujours sous ce rapport un grand bien sur le moral de la classe souffrante, si digne de notre attention. Soyez persuadés, messieurs, que s'il fallait consulter le pays, les sept huitièmes des voix se prononceraient pour la mesure proposée par le gouvernement. Pourquoi ne pas leur donner cette satisfaction qui ne peut point nuire au pays ?

M. Verhaegen. - Messieurs, la discussion générale a déjà été fort longue et je crains de la prolonger encore en vous demandant la permission de motiver mon vote en peu de mots.

Nous avons entendu un très grand nombre d'orateurs et j'ai prêté à leurs discours la plus scrupuleuse attention. Je puis classer les différents systèmes que ces discours exposent en trois systèmes principaux.

Les raisons qui ont été données de part et d'autre se résument dans les discours de l'honorable M. Osy, de l'honorable M. Dumortier et de l'honorable ministre de l'intérieur.

L'honorable M. Osy se pose comme le partisan énergique d'une liberté absolue ; l'honorable M. Dumortier se pose comme défenseur quand même de la prohibition à la sortie, et l'un et l'autre de ces honorables membres appuient leur opinion sur des mercuriales, sur des chiffres statistiques. L'honorable ministre de l'intérieur ne partage ni l'opinion de son honorable ami, M. Osy, ni l'opinion de son honorable ami, M. Dumortier, mais il arrive cependant à la conséquence du système défendu par M. Dumortier, qui est la prohibition à la sortie.

Il trouve lui, M. le ministre de l'intérieur, que la défense de sortît n'a produit ni bien, ni mal, et qu'on peut admettre la liberté tout aussi bien que la prohibition. Il appuie cette opinion aussi sur des mercuriales et sur des chiffres statistiques.

Messieurs, cela me prouve une chose, c'est que dans toutes les opinions on trouve moyen de s'appuyer sur des mercuriales et sur des statistiques ; cela me prouve ultérieurement que les statistiques dépendent des lieux, des temps et des circonstances, et que chacune des opinions qui en a besoin en fait abus.

L'honorable ministre de l'intérieur admet la prohibition à la sortie quoique dans son opinion elle ne fasse ni bien ni mal.

Pour moi j'admets aussi la prohibition à la sortie ; je l'ai admise l'année dernière et à plus forte raison, je l'admettrai aujourd'hui, mais je ne l'admettrai pas par les raisons que nous a données l'honorable M. de Decker, je n'entends pas céder à un préjugé, je n'entends pas non plus céder à la peur ; je ne vote la prohibition à la sortie que parce qu'il y a de bonnes raisons pour la voter.

Messieurs, il est excessivement dangereux pour un gouvernement de faire valoir des raisons telles que celles qu'a fait valoir M. le ministre. Que dirait-on d'un tuteur chargé des intérêts d'un mineur qui agirait de manière à faire plaisir à son pupille et pour éviter qu'il ne regimbe ! Eh bien, le gouvernement n'est qu'un tuteur en grand chargé de gérer (page 224) les intérêts de tous les membres de la grande famille ; il doit les gérer avec fermeté, avec courage. M. le ministre des affaires étrangères a lâché un mot bien imprudent : Si on levait la prohibition, a-t-il dit, on verrait bientôt refluer en France des quantités considérables de céréales et il serait à craindre que des voitures de transport ne fussent arrêtées et qu'il n'en résultât des émeutes et des pillages. C'est très grave de la part d'un gouvernement que de s'exprimer ainsi à la face du pays qui l'écoute.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - J'ai dit que cela pourrait arriver dans un seul village.

M. Verhaegen. - Dans un seul village, dites-vous maintenant, mais c'est beaucoup trop ! Quoi ! ce peuple belge dont un instant auparavant vous vantiez avec raison la moralité, la sagesse, qui a su user avec tant de circonspection des libertés qui lui ont été accordées par la Constitution, ce peuple ou une partie de ce peuple se porterait à des excès comme ceux que vous avez signalés, à des tumultes, à des pillages ! Réellement vous n'y avez pas songé.

Quant à moi, j'ai meilleure opinion du peuple belge ; j'ai trop de foi dans sa moralité, dans son attachement à nos institutions, dans son obéissance aux lois pour nourrir de pareilles craintes. Du reste, s'il se trouvait des populations assez malavisées pour se porter à des excès, le gouvernement serait, je l'espère, assez fort et assez énergique pour les réprimer.

Si on pouvait en agir ainsi pour les céréales, on en ferait autant dans d'autres circonstances, et, par exemple, si l'on venait un jour nous demander des mesures contrariant plus ou moins les houillères, le gouvernement aurait peur des ouvriers du Borinage et reculerait de même.

Pour ma part, je proteste contre les paroles sorties de la bouche des membres du cabinet.

Je suis partisan de la prohibition à la sortie, mais non par les motifs qu'on a fait valoir ; je suis partisan de la prohibition par les motifs que j'ai développés l'année dernière et qui sont plus forts aujourd'hui qu'ils n'étaient alors.

Voici à peu près le résumé des raisons que j'ai fait valoir l'an dernier : il y a une nation voisine qui ne laisse rien sortir de chez elle, en fait de céréales, cette nation c'est la France, ses frontières sont fermées quand il s'agit d'exporter des céréales et nous, nous laisserions nos frontières ouvertes !

D'après ce que vient de dire M. le ministre des affaires étrangères lui-même, si nos frontières étaient ouvertes, immédiatement nous verrions nos grains s'écouler vers la France ; s'il n'y avait pas défense de sortie, nous verrions aussi nos grains s'exporter en Angleterre.

Et j'ajoute que ce seraient nos meilleurs grains : car on y tient. Nous en recevrions eu retour (la question reste encore de savoir si nous en recevrions en aussi grande quantité), nous en recevrions de très mauvais. Nos grains iraient donc d'un côté en France, d'un autre côté en Angleterre.

Ou a beaucoup parlé de mouvement commercial et de statistique. Mais ce que j'ai trouvé de plus clair et ce qui m'a inspiré le plus de confiance au milieu de toutes ces assertions, c'est la comparaison qui s'est faite pour notre pays entre ce qui s'est passé sous le régime de la liberté et ce qui se passe sous le régime de la prohibition.

Je crois que je ne recevrai pas de démenti à cet égard. Il paraît constaté que les importations ont été à peu de chose près les mêmes sous le régime de la prohibition et sous le régime de la liberté.

Il paraît que tout le monde est d'accord sur ce point-là. Je ne veux pas entrer dans le détail des chiffres posés par les honorables MM. Osy, Dumortier et le ministre de l'intérieur ; car, ainsi que je l'ai dit tantôt, la statistique dépend beaucoup des lieux, des temps et des circonstances. Mais il est, je le répète, un point sur lequel ils sont d'accord, c'est que les importations ont, à peu de chose près, été les mêmes sous le régime de la prohibition et sous ie régime de la liberté.

M. Frère-Orban. - On dit même qu'elles ont été supérieures.

M. Verhaegen. - Peu m'importe. La question, pour moi, est la même.

M. Dumortier. - C'est une question démontrée.

M. Verhaegen. - Fort bien. Il paraît aussi être démontré que pendant que nous avons fait usage de nos propres céréales, les prix n'ont pas été aussi élevés que quand nous avons dû avoir recours à des céréales étrangères. On est encore d'accord sur ce point.

Mats une autre assertion a été faite par l'honorable M. Osy, c'est que nous aurions eu un déficit de 750 mille hectolitres de froment, et qu'il y aurait eu une importation d'un million. Il a sans doute trouvé ces chiffres dans des documents officiels. Eh bien, quelle est la conséquence que je tire de là ?

Je dis que s'il est vrai que sous le régime de la prohibition de sortie nous avons eu autant d'importations que sous le régime de la liberté, et si alors il y a eu un déficit de 750,000 hectolitres et des importations s'élevant à un million d'hectolitres, que serait-il arrivé si ce déficit s’êtait accru de ce qui aurait été importé en France et en Angleterre ? Qu'on veuille bien me dire cela.

On me dira : C'est de la théorie. Si nous avions envoyé des grains en Angleterre, il en serait revenu le double. C'est possible, mais ce n'est pas clair : car les importations n'ont pas été plus grandes sous le régime de la liberté que sous le régime de la prohibition. Ne vaut-il pas mieux tenir, pour le consommer, ce qu'on a, et pour ce qui manque, donner le prix que l'on demandera ?

S'il y a, comme on le dit à mes côtés, des greniers d'abondance en Angleterre et en Hollande, nous en profiterons, et il ne nous manquera jamais rien dans le système de ceux qui nous combattent. Vous ne risquez rien en gardant ce qui est bon pour le consommer et en allant demander ailleurs ce qui manque. Il n'y a rien de plus simple.

Vous nous répondez par des théories. Les théories sont extrêmement bonnes ; cela peut se discuter. Mais j'aime mieux des faits que des théories.

Voilà pourquoi je veux maintenir la prohibition de sortie. Je pourrais ajouter à cela beaucoup d'autres raisons. Mais je crois que la Chambre est fatiguée de cette discussion. Je n'en dirai donc pas davantage.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Voici le squelette de mes paroles :

Je répondais à l'honorable M. Lesoinne qui disait que le gouvernement ne devait pas céder devant un préjugé. Voici ma réponse :

Théoriquement parlant, l'honorable orateur a peut-être raison. Gouvernementalement parlant, je crois qu'il n'a pas raison. Il, faut, quand vous êtes en présence de deux maux, choisir le moindre.

A mon avis, la prohibition de sortie des grains produira une hausse de 50 c. par hectolitre. Proclamer immédiament la libre sortie à dater du 1er janvier prochain (car ce sont toutes circonstances dont j'ai entouré mon argument), ce serait opérer une hausse sur toute la frontière de France, puisque dans ce moment les prix sont plus élevés sur les marchés de Lille et de Valenciennes que sur ceux de Tournai et de Mons.

Immédiatement et probablement pour six semaines ou pour deux mois, ce changement amènerait une hausse de 2 ou 3 francs par hectolitre dans les provinces limitrophes de la France.

Dès lors, il serait possible (je n'ai pas dit que cela sera), il serait possible que, dans l'un ou l'autre village, on renversât une charrette de grains qui serait dirigée sur les marchés de Lille ou de Valencienncs ; or, le pillage d'une seule charrette de grains, dans un village quelconque de la Belgique, serait, à mon avis, un mal bien supérieur à une hausse de 50 c. par hectolitre.

Voilà mon raisonnement. Il ne me semble pas qu'il puisse donner lieu au reproche que m'a adressé le préopinant, et je le maintiens.

M. Frère-Orban. - C'est très fâcheux !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Avant la clôture de la discussion générale, je tiens à répondre quelques mots aux divers orateurs que vous avez entendus dans la séance d'aujourd'hui.

L'honorable M. Verhaegen a prouvé, en quelques mots, que trois systèmes sont en présence : le système de ceux qui, par conviction, préfèrent la liberté de sortie des céréales ; le système de ceux qui, par conviction, préconisent le système de la prohibition de sortie des céréales, et le système de ceux (et je suis du nombre) qui, tout en défendant, à une époque normale, le principe de la liberté de sortie, croient que, pour certaines circonstances exceptionnelles, il y a des motifs de suspendre, si je puis dire ainsi, l'application de ce principe.

En effet, l'application de ce principe n'apporterait pas de résultats d'une certaine portée, au point de vue de l'économie.

Or, pour ces résultats, en définitive, insignifiants, faut-il négliger imprudemment les puissantes considérations d'ordre public, dont un gouvernement doit tenir compte ? Voilà, au fond, toute la question.

Je n'ai pas parlé, quant à moi, du danger de troubles dont le pays pourrait être menacé. Mon honorable collègue M. le ministre des affaires étrangères vient du reste d'expliquer parfaitement sa pensée. Mais ce que j'ai voulu dire, c'est que le gouvernement, dans ces sortes de questions, doit aussi poursuivre l'effet moral à produire par la législation sur l'opinion publique ; c'est qu'il doit calmer les esprits. Nous savons tous que partout, jusque dans le moindre village, la question des céréales est la grande préoccupation du jour, le sujet de toutes les conversations dans les lieux publics comme dans les familles.

La mission du gouvernement dans de telles circonstances est de rassurer les populations et d'éviter les dangers d'une panique irréfléchie. La prohibition à la sortie est, sous ce rapport, un calmant efficace.

Tout le monde ne comprend pas, comme les personnes qui sont versées dans ces sortes de questions, le jeu des principes économiques dans leur application quotidienne. Il y a là des questions d'une nature brûlante et irritante dont la discussion crée des nécessités qu'un gouvernement prudent doit forcément subir.

Pour ma part, je ne crois pas devoir rougir de céder, dans cette circonstance, à ce qu'on appelle la pression de l'opinion publique. Je suis convaincu que la plupart des membres qui semblent trouver cette conduite peu courageuse, à ma place en feraient autant.

D'ailleurs, messieurs, est-ce que la Belgique est la seule à pratiquer ce système ? Ne voyons-nous pas, au contraire, que la plupart des nations, à l'exception de deux, la Hollande et l'Angleterre, qui ont à beaucoup d'égards un système commercial tout exceptionnel, appliquent le même principe ? Je ne vois donc pas que la Belgique se trouve |dans une (page 225) condition si exceptionnelle et que la conduite du gouvernement belge soit sous ce rapport si extraordinaire.

D'ailleurs, messieurs, le gouvernement a-t-il donc tant cédé à ce que vous appelez les préjugés populaires ? Mais, messieurs, ce que vous appelez le préjugé populaire n'est pas circonscrit dans la seule demande de prohibition à la sortie du froment et du seigle.

La liste des préjugés n'est malheureusement que trop longue. Je ne vois pas que pour les autres propositions qui ont été mises en avant, et qui sont discutées dans le pays, le gouvernement ait cédé.

Ainsi, dans presque toutes les parties du pays, je dirai même dans la plupart des commissions d'agriculture et des chambres de commerce, du moins dans un grand nombre, on a demandé la fermeture des amidonneries et des féculeries.

Dans d'autres, on a demandé l'interdiction de la distillation des grains et des pommes de terre. Est-ce que le gouvernement a cédé à ce préjugé, à cette pression de l'opinion publique ?

Dans certaines villes, non pas à la campagne, mais dans des villes très importantes, presque toute la bourgeoisie a demandé, sinon la prohibition complète de la sortie du bétail, du beurre, des œufs, des lapins, au moins un droit fort élevé. Le gouvernement a-t-il cédé à cette pression ?

Dans une grande partie du pays, on a demandé des mesures contre le commerce intérieur des grains, contre les opérations des facteurs et des commissionnaires dans le plat pays ; on a demandé la tenue des marchés le même jour. Le gouvernement a-t-il cédé à cette pression de l'opinion publique ?

Dans un certain nombre de journaux, on a demandé que le gouvernement se fît lui-même marchand de grain, fît pour le pays des approvisionnements. Est-ce que le gouvernement a cédé à cette pression de l'opinion publique ?

M. Frère-Orban. - Vous n'aviez pas d'argent !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Ce n'est pas seulement par le manque d'argent, c'est par conviction aussi que le gouvernement aurait reculé devant l'immense responsabilité d'une pareille entreprise.

Je n'en finirais pas, messieurs, si je devais dire jusqu'à quel point d'exagération s'est portée, sous ce rapport, l'opinion publique, si je vous disais le grand nombre de projets que j'ai reçus. Le gouvernement n'a pas cédé à toutes ces instances.

M. Delfosse. - La plupart de ces projets sont des opinions individuelles.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Ce sont des opinions individuelles, dit-on, vous êtes dans l'erreur. Ainsi dans quelques-unes de nos villes des Flandres, des sociétés bourgeoises ont fait parvenir au gouvernement, par l'intermédiaire de leurs administrations, entre autres la demande, avec un projet formulé en articles, d'établir en Belgique une régie pour les grains, comme il existe, en France, une régie pour les tabacs.

D après ce projet, le gouvernement indiquerait au commencement de la saison, à chaque fermier, quelle serait la quantité de terre à cultiver en froment, en seigle, en pommes de terre.

Le gouvernement ferait surveiller par les agents la récolte de ces produits et en réclamerait une part déterminée. Il aurait dans toutes les villes et dans tous les villages des magasins publics, où il entreposerait les parties qu'il se réserverait dans le produit de ces récoltes. Le gouvernement ensuite, par une vaste administration générale, distribuerait les vivres dans l'ordre des besoins qu il constaterait dans chaque commune. En cas de déficit, lui seul il se chargerait des approvisionnements à l'étranger.

Vous le voyez, messieurs, le gouvernement est loin d'avoir cédé à la pression de l’opinion publique.

M. Frère-Orban. - Ce n'est pas là l'opinion publique.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Cela fait partie de l'opinion publique, qui se manifeste plus ou moins par ces formes spéciales.

Du reste, je constate seulement que le gouvernement a résisté à des demandes qui, d'après lui, étaient exagérées, étaient absurdes ; mais d'une autre part il a cru devoir tenir compte d'une autre fraction de l'opinion publique qui demandait la prohibition à la sortie pour le froment et pour le seigle. En cela il a suivi l’exemple de ses devanciers ; il a suivi l’exemple d un grand nombre de gouvernements qui nous entourent, je puis dire de la majorité de ces gouvernements. Il n’y eût pas eu courage, il y eût eu témérité de la part du gouvernement à agir autrement.

L’honorable M. Tack a demandé d'étendre à l'orge la prohibition de sortie qui est accordée par l'article 2. Messieurs, je ne comprends pas bien le motif qui fait agir l’honorable membre. Il est évident, si vous observez le mouvement de notre commerce extérieur en ce qui concerne les orges, que les importations ont été des plus considérables et que les exportations sont pour ainsi dire nulles.

En 1853, les importations ont été de 500,000 hectolitres et les exportations de 9,000 hectolitres

En 1854, les importations ont été de 400,000 hectolitres et les exportations de 58,000 hectolitres.

En 1855, en onze mois, les importations ont été de 498,000 hectolitres et les exportations de 24,000 hectolitres.

Ainsi la prohibition en fait ne peut se justifier ; elle ne peut amener aucun résultat.

D'ailleurs, vers quel pays exporterait-on ? Vers l'Angleterre ? Mais le prix de l'orge en Angleterre est moins élevé qu'en Belgique. Vers la France ? Mais l'exportation vers la France est presque nulle.

Le peu d'exportation qu'il y a se fait vers l'Allemagne. Or, c'est précisément l'Allemagne qui nous importe la presque totalité des orges que nous recevons de l'étranger.

Elle nous demande seulement une faible quantité d'orge d'une certaine espèce dont elle n'a pas. Et nous irions risquer de perdre l'importation d'une grande quantité d'orge de l'Allemagne pour empêcher l'exportation d'une quantité insignifiante de nos orges !

Et puis, pour les orges il n'y a pas les considérations d'humanité et d'ordre public qui font décréter la prohibition de sortie du froment et du seigle et qui seules légitiment le sacrifice à imposer aux propriétaires agricoles.

L'honorable M. Lelièvre a appelé l'attention du gouvernement sur la sophistication des denrées alimentaires. Cet objet n'a point échappé au gouvernement et déjà depuis deux mois l'affaire s'instruit au département de l'intérieur. Une correspondance a été suivie avec le département de la justice.

La commission spéciale qui s'occupe de la révision du Code pénal va examiner la question. Déjà son honorable président a adressé au gouvernement un premier rapport et un avant-projet sur la matière ; et je pense que d'ici à quelque temps le gouvernement sera à même de présenter à la Chambre un projet de loi destiné à régler tout ce qui concerne ce grand intérêt de l'alimentation publique.

En attendant, messieurs, j'ai appelé l'attention de MM. les gouverneurs sur la nécessité de ne plus interpréter aussi rigoureusement qu'on l'a fait jusqu'à présent la législation qui concerne les mélanges pour la panification. Jusqu'à présent, on a interdit toute espèce de mélange dans les farines.

Or, il est de fait que déjà dans presque toutes nos villes, on ne vend plus de la farine de froment pure ; presque partout cette farine est mélangée et il se trouve que la taxe étant réglée d'après le prix du froment, d'après le prix de revient de la farine de froment pure, ce sont eu définitive les consommateurs qui sont victimes de ce système.

Si, au contraire, les mélanges pouvaient se faire ouvertement, et il n'y a aucun motif pour les empêcher, puisque les mélanges dont il est question, avec des féveroles, avec du riz, avec d'autres substances non nuisibles, ne peuvent causer aucune espèce de mal, si, dis-je, ces mélanges pouvaient se faire ouvertement, ostensiblement, au vu de l'autorité, la taxe serait réduite en raison de l'économie qui résulte de l'emploi de ces mélanges, et le consommateur en profiterait.

Je n'en dirai pas davantage messieurs, dans la discussion générale. Lorsque nous eu serons à la discussion des articles, j'aurai quelques observations à présenter relativement à des amendements présentés par MM. Thibault et Calmeyn.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Prévinaire. - Messieurs, je serai très court. Un honorable membre a dit tantôt : Le pays souffre ; il attend le résultat de nos délibérations. En vérité, messieurs, je ne sais trop si le pays aura beaucoup à se féliciter de nos délibérations. Que voyons-nous en effet ? Nous voyons le ministère défendre une loi avec la conviction qu'elle sera inefficace, qu elle produira des effets désastreux.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non.

M. Prévinaire. - Qu'elle produira des effets désastreux, puisqu'elle fera vraisemblablement hausser le froment de 50 centimes comme l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, ce qui sera veritablement désastreux dans les circonstances actuelles.

Nous voyons, d un autre côté, la section centrale conclure à la prohibition et ne présenter que des arguments en faveur de la liberté.

Enfin, à quatre exceptions près, nous voyons tous les membres de la Chambre qui se prononcent pour la prohibition, reconnaître qu'elle sera inefficace.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. Prévinaire. - Je rends justice à l'honorable M. Dumortier-

Il est conséquent, lui et ceux qui ont émis comme lui une opinion absolue en matière de prohibition. Ce que veut l'honorable M. Dumortier, c'est l'échelle mobile. Il veut restituer plus tard à l'agriculture par la prohibition à l'entrée ce qu'il veut lui enlever aujourd’hui par la prohibition à la sortie. Il est conséquent. L’honorable M. de Haerne aussi est conséquent. L'houoiable M. Verhaegen le sera sans doute également en se prononçant plus tard en faveur de mesures restrictives de la concurrence étrangère, sinon il serait injuste.

Je disais, messieurs, que le pays n'aura guère à se féliciter de nos délibérations. En effet, on nous présente la loi connue devant avoir non pas un résultat matériel, mais un résultat moral.

Eh bien, messieurs, n'est-ce pas la une déception ? Cela n'est pas digne d'une législature belge, Cela n'est pas digne d'un gouvernement qui se respecte. Un gouvernement qui se respecte n'offre pas au peuple le mirage mensonger d'une loi qu'il sait devoir produire des résultats funestes ; il maintient rigoureusement la législation qu’il reconnaît propre à contribuer au bien-être des populations et à développer les notions de justice et le respect de la propriété.

Voilà, messieurs, comment je comprends la dignité du parlement, la dignité du gouvernement.

Je sais bien, messieurs, qu'à l'heure qu'il est, il est très difficile d'arriver à la liberté, mais la faute en est aux ministres : ils étaient armés (page 226) de la loi votée l’an dernier, qui leur donnait la faculte de faire cesser la prohibition.

S'ils avaient usé de cette faculté, nous aurions aujourd'hui la liberté et toutes ses conséquences avantageuses.

Si nous décrétons en ce moment la libre exportation, il faut s'attendre, je le reconnais, à un mouvement de hausse dans certaines localités, parce que les approvisionnements s'exporteront dans une certaine mesure, et que ceux qui doivent les remplacer ne pourraient pas arriver immédiatement en quantité suffisante sur ces points. Voila où conduit le défaut de prévoyance.

C'est au nom du travail national qu'on sollicite la prohibition, et l'on ne voit pas que la prohibition contrarie essentiellement ce grand intérêt.

Le régime de la liberté complète aurait redoublé l'activité de nos ports, offert un aliment à des transactions nombreuses, multiplié les transports, détourné au profit de la Belgique ce mouvement commercial qu'engendrent les besoins des départements du nord de la France. Notre métropole commerciale en aurait profité pour développer, pour consolider des relations qui intéressent à un si haut degré le pays.

Les transactions en céréales sous le régime de la liberté auraient assuré des approvisionnements considérables et offert au pays l'avantage de prix inférieurs aux prix étrangers de toute la marge qui résulte des frais de transport à l'étranger.

Une considération qu'il est essentiel que vous ne perdiez jamais de vue, messieurs, c'est l'influence qu'exercent les approvisionnements sur la hauteur des prix ; le déficit dans les approvisionnements ne se borne pas à produire une hausse corrélative dans les prix, de même que l'abondance ne réagit pas en baisse dans une proportion rigoureusement exacte. Il est donc de la plus haute importance de favoriser le libre trafic parce que l'abondance des approvisionnements constitue une concurrence toujours menaçante pour le détenteur.

Il y a une distinction sur laquelle on n'a pas suffisamment insisté. Dans la séance du 19 novembre, l'honorable M. Dumortier avait émis la même théorie qu'il défendait avant-hier et l’honorable vicomte VilainXlIII lui répondit que la prohibition avait pu être efficace en présence d'une récolte abondante, comme celle de l'année dernière, mais qu'il devait en être tout autrement dans une année où la récolte était insuffisante, comme c'est le cas cette année.

Il ajoutait que s'il avait à se prononcer aujourd'hui en faveur de l'un ou l'autre régime, il n'hésiterait pas à le faire en faveur de la liberté, mais que le gouvernement devait se placer à un autre point de vue. J'ai ici les Annales parlementaires et je pourrais citer textuellement les paroles de M. le ministre des affaires étrangènes, mais je n'y vois pas assez pour les lire. Au reste, messieurs, ce raisonnement ne peut êlre contesté ; nous devons tous reconnaître que la prohibition de sortie ne peut avoir d’effet qu'en cas d'abondance ; lorsqu'il y a rareté, les fermiers conservent leurs grains le plus longtemps possible et l'étranger n'importe que lorsqu'il peut réaliser de bons prix.

Je voterai donc énergiquement contre la prohibition parce qu'elle est dangereuse, parce qu'elle est funeste aux intérêts que je veux défendre, parce que vous aurez le pain plus cher avec la prohibition que sous le régime de la liberté, parce que tout le monde est d'accord sur ce point, parce que MM. les ministres eux-mêmes le reconnaissent, je voterai contre la prohibition parce qu'elle constitue une injustice flagrante, un déni de justice, une expropriation.

On voudrait en vain se le dissimuler ; peut-être se familiarise-ton avec ces idées-là, parce que nous avons encore dans notre législation de vieilles lois qui remontent à 1790, à cette époque de réaction sociale. Ces lois contiennent ce germe de l'expropriation et du communisme. Prenez différentes lois, voyez notamment celle de 1790 sur les mines ; cette loi interdisait aux propriétaires la libre exploitation des bois, et cela dans l'intérêt de la production du fer.

Le déboisement même n'était-il pas interdit il y a encore peu d'années. Eh bien, toutes ces lois étaient des atteintes formelles au droit de propriété, et ont dès lors été abolies virtuellement par la Constitution qui consacre de la manière la plus large que nul ne peut être dépossédésans une préalable indemnité.

M. Matthieu. - Messieurs, si je prends, la parole sur la grave question qui absorbe en ce moment toute l'attention de la Chambre et du pays entier, ce n'est pas que j'aie la prétention d'éclairer cet immense débat par des aperçus nouveaux ; non, messieurs, je suis convaincu que tous les arguments pour ou contre la prohibition des denrées alimentaires oni été produits et qu'il est impossible d'aborder cette discussion, sans tomber dans des répétitions, plus ou moins oiseuses, plus ou moins inutiles, car les convictions s'ont faites. Si je soulève un point de la discussion, c'est que je tiens à motiver le vote approbaiif que je me réserve de donner au système de la prohibition des céréales a la sortie et à faire ressortir les motifs qui ont formé ma conviction.

Je dirai d'abord que je considère en principe la prohibition comme une mesure extrême et tout exceptionnelle, commandée par l'impérieuse nécessité des circonstances, mais ce moyen extrême, je l'adopte comme un devoir, en présence de la considération suprême qui doit dominer toutes les autres, l'alimentation publique.

C'est vers ce point que doivent se concentrer tous les efforts de votre sollicitude pour atténuer la situation difficile qui nous est faite par les circonstances.que nous traversons.

Mais, dit-on, ayez foi dans les opérations du commerce, dégagez son action de toute entrave, proclamez le régime de la liberté illimitée du commerce et des céréales et il ne vous manquera rien.

J'avoue que je ne saurais partager cette foi robuste dans l'action du haut commerce alors surtout que depuis plus d'un an nous vivons sous le régime de la prohibition, alors que toutes les prévisions ont été établies en vue de la continuation de ce régime ; si au contraire, la question se réduisait à sortir du régime de la liberté pour adopter des mesures exceptionnelles, je comprendrais qu'il y aurait moins de dangers à conserver une position acquise, parce que le commerce aurait pu prendre de longue main des dispositions pour alimenter les marchés des céréales en Europe au moyen des excédants des pays lointains.

Encore ma conviction se plierait-elle difficilement, dans ce cas, à adopter le régime de la liberté, parce que nous pourrions nous exposer à des échanges très désavantageux en livrant pour l'alimentation d'autres pays nos bonnes qualités de céréales pour recevoir en échange des grains très inférieurs en qualité, souvent avariés et toujours imprégnés de cette odeur particulière contractée dans les navires qui ont tenu la mer pendant longtemps, odeur qui ne disparaît qu'après des mois entiers de travail dans les entrepôts.

Pour moi, messieurs, je considère comme très dangereuse la transition subite du régime de la prohibition au régime de la liberté sans limites.

Je m'explique : proclamez demain le régime de la liberté quel en sera le résultat immédiat. Vous verrez sortir par toutes vos frontières de terre et de mer d'immenses quantités de céréales, c'est surtout vers la France que le vide se fera. La France vivant sous le régime de la prohibition, vous n'aurez à attendre aucune compensation de sa part.

Je suis convaincu en outre que le vide plus ou moins considérable que le régime de liberté à la sortie aura produit dans vos approvisionnements de denrées alimentaires, aura pour effet d'imprimer une panique à l'intérieur. Chacun s'empressera de faire ses approvisionnements, de là encore renchérissement factice sur nos marchés.

Mais vous oubliez, dira-t-on, que le commerce sera là pour vous venir en aide ; le commerce, messieurs, est cosmopolite ; son intérêt est d'acheter aux meilleures conditions possible, et de revendre aux prix les plus rémunérateurs possible. Le commerce, dans l'intelligence de ses intérêts, peut à son gré produire tour à tour la hausse et la baisse.

Messieurs, je ne veux point entrer dans une voie semée d'écueils et de hasards, deux motifs déterminent mon vote.

Malgré le régime de la prohibition, les importations se font en Belgique sur une échelle assez vaste pour combler notre déficit s'il existe réellement ; je dis s'il existe, car il ne m'est nullement prouvé qu'il en soit ainsi ; en effet dans les calculs de l'alimentation de notre population, calculs établis sur des moyennes en temps normal, on ne tient pas assez compte que la consommation des céréales dans les temps calamileux se modifie et se restreint d'une manière très notable, que des quantités considérables de substances alimentaires qui d'ordinaire n'entrent pas dans la consommation ou du moins n'y entrent que pour des quantités minimes, s'y introduisent dans les circonstances extraordinaires et prennent une place assez marquante dans la subsistance publique.

On ne tient pas assez compte surtout de l'abondance de la récolte des pommes de terre qui, cette année, sera le plus précieux allégement à la position des classes nécessiteuses dont ce tubercule constitue l'aliment principal.

Un dernier mot : Je suis convaincu que si vous proclamez la libre sortie des denrées alimentaires, vous ferez les affaires des consommateurs des pays voisins aux dépens des consommateurs belges.

Ces motifs déterminent mon vote approbaiif pour la prohibition à la sortie des denrées indispensables à l'alimentation.

M. Dumortier. - Messieurs, vous avez pu remarquer combien la position qui m'était faite dans cette discussion était anomale. Dans la première séance, deux ou trois discours avaient été prononcés pour combattre le projet du gouvernement ; je me suis levé pour le défendre ; je m'attendais naturellement à voir le gouvernement appuyer la défense que je lui prêtais ; mais à peine étais-je rassis que M. le ministre de l'intérieur s'est levé... pourquoi ? Précisément pour combattre son défenseur. J'avoue, messieurs, que c'est là une situation politique dont je n'avais pas encore vu de précédent dans cette Chambre. M. le ministre se levant pour dire : « Messieurs, vous avez entendu M. Osy, vous avez entendu M. Dumortier ; tous deux ont tort, écoutez ! moi seul, je vais avoir raison. »

Voilà, messieurs, une situation qui est pour moi assez pénible et qui ne doit pas m'encourager beaucoup à prendre dans l'avenir la défense des projets du gouvernement.

La différence qui se trouve entre M. le ministre de l’intérieur et moi dans ce débat, la voici : j’ai parlé de conviction profonde, et ceux de mes honorables amis qui partagent mes opinions sont dans le même cas, l'honorable M. Prévinaire a bien voulu reconnaître tout à l'heure que notre conviction, est ancienne, qu'elle n’a pas varié, qu'elle n'a subi aucune vicissitude et que nous y persistons.

Messieurs, nous ne cédons ni à la peurr ni au préjugé ; nous avons (page 227) un but, un but unique : avant tout l’intérêt du peuple, avant tout le bonheur du peuple, et, pour arriver à ce bonheur, avant tout le pain à bon marché.

Or, chez M. le ministre de l'intérieur, les convictions sont tout à fai -différentes (interruption) ; vous venez de l'entendre...

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Mes convictions sont aussi des convictions anciennes ; je n'ai pas non plus varié.

M. Dumortier. - Je dis que vos convictions sont tout à fait différentes.

Messieurs, vous avez entendu M. le ministre de l'intérieur dire tout à l'heure que les résultats du projet de loi seront insignifiants ; vous sentez, dès lors, combien les rôles sont intervertis ; c'est M. le ministre de l'intérieur qui a présenté le projet de loi et qui vient développer tous les arguments propres à le faire rejeter ; et c'est nous qui, étrangers à cette présentation, sommes venus défendre la loi et qui, par-dessus le marchés, sommes combattus par M. le ministre de l'intérieur. J'avoue qu'une pareille situation n'est pas heureuse, et je crois, messieurs, que tous, vous le comprenez comme moi.

Les résultats de la loi, dit-on, seront insignifiants ! Et pourtant, M. le ministre de l'intérieur lui-même est venu reconnaître combien était vraie la position que j'avais prise, il est venu déclarer que pendant les cinq premiers mois qui ont suivi la prohibition de la sortie des céréales, les grains ont été à meilleur marché en Belgique que dans les pays voisins. Est-ce là un résultat insignifiant ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il faut voir l'ensemble.

M. Dumortier. - Nous verrons tout à l'heure.

Quoi ! messieurs, pendant les cinq premiers mois de l'année, précisément pendant les mois pendant lesquels l'ouvrier a le plus de peine à se nourrir, le pain a été à meilleur marché en Belgique que chez nos voisins, et c'est un résultat insignifiant ! (Interruption.)

Vous avez, M. le ministre, déclaré vous-même tout à l'heure, que tel avait été le résultat de la loi ; or, je dis que c'est le résultat le plus important qui pût venir établir l'efficacité de la mesure de la prohibition.

L'expérience a donc été faite. A la suite de la prohibition que nous avons obtenue l'année dernière, que s'est-il passé ? Durant les cinq premiers mois de l'année, c'est-à-dire, pendant les mois les plus rudes pour l'ouvrier, vous avez eu le pain à meilleur marché que chez tous vos voisins. Je dis que ce n'est pas un résultat insignifiant, mais que c'est un résultat éclatant. (Interruption.)

Plus tard, il est vrai, nous avons payé le pain plus cher qu'en Angleterre ; mais pourquoi ? D'abord, parce que nous avons eu en Belgique le froment atteint par la gelée ; ensuite, parce qu'en Angleterre, la récolte n'a jamais été plus riche que cette année. N’examinez pas toujours les choses au point de vue de la théorie, descendez dans le monde des faits et vous trouverez à tout une explication que vous chercherez vainement dans les théories.

Pourquoi encore en France le grain a-t-il été plus cher ? Parce qu'en France les gelées ont sévi plus fortement qu'en Belgique sur le froment et qu'à ce désastre est venu se joindre celui des inondations qui ont diminué encore l'abondance de la récolte. Voilà des explications qui sont beaucoup plus claires, beaucoup plus logiques que toutes celles que vous chercheriez vainement dans les théories. La nature et l'homme ne vivent pas de théories, mais ils vivent de faits.

Messieurs, on parle de préjugés populaires. Je dois le dire, j'ai entendu avec un vif regret mon honorable ami, M. Vilain XIIII évoquer devant vous le fantôme des préjugés populaires ; je l'ai entendu avec regret nous dire que le pays n'était pas assez éclairé pour bien apprécier la situation.

Messieurs, je ne fais pas aussi bon marché du pays que M. le ministre des affaires étrangères ; dans mon opinion, un pays est assez toujours éclairé, quand il s'agit pour lui de se prononcer sur des questions qui se rattachent à son alimentation. Je conviens que s'il s'agissait de prendre un parti sur des questions philosophiques, le nombre des élus appelés à opiner serait très peu considérable ; mais pour des questions qui tiennent à la nécessité de vivre et de se nourrir, tous les habitants d'un pays ont toutes les facultés propres à l'examen de ces questions.

Au dire de M. le ministre des affaires étrangères, le pays n'est donc pas assez éclairé, et il faut lui faire des circulaires pour l'éclairer.

Mais, messieurs, que sont en définitive toutes ces circulaires ? Ce sont des instruments qui ne servent qu'à une chose, à alarmer l'opinion publique et à amener la hausse des céréales. Ce qu'il faut au peuple, ce ne sont pas des circulaires, ce ne sont pas des morceaux de papier, ee sont des actes, de bonnes lois qui lui procurent le pain à bon marché.

Je dis que ces morceaux de papier sont beaucoup plus dangereux qu'utiles. Quand je vois le gouvernement repousser toute espèce de mesures que l'opinion réclame, excepté celles qui ont été votées l'an dernier, on ne peut se dispenser de lui dire qu'il est dans une situation fausse.

En pareille matière, il faut un peu écouter l'opinion publique. Mais toutes les mesures qu'on réclame, on les présente comme empreintes d'exagération. C'est un mot commode et facile à prononcer, c'est un moyen facile de faite écarter toutes les mesures réclamées par l'opinion publique ; on ne devrait pas leur faire un pareil accueil.

A ce propos, je dois déplorer certaine phrase sortie de la bouche de M. le ministre de l'intérieur, et qui est, à mes yeux, une très grande imprudence.

Comment, en partant de la situation du pays, M. le ministre de l’intérieur a-t-il pu venir dore qu’il y avait un déficit considérable et qu’on devait s’attendre à une hausse ? Sont-ce là des paroles qui devraient sortir de la bouche des organes du gouvernement ?

- Un membre. - C'est la vérité.

M. Dumortier. - Si c'est la vérité, le gouvernement devrait la taire. Il y aura, nous dit-on, un déficit de 15 p. c. Mais si vous mettez d'un côté ce déficit du froment et de l'autre les marsages dont la production a été considérable, les pommes de terre et tous les autres produits de la terre qui entrent dans l'alimentation publique, on voit que les denrées alimentaires prises dans leur généralité ne présentent pas de déficit.

En tenant ce langage, je crois rendre un plus grand service qu'en parlant comme ceux qui me combattent, parce que ce que je dis est la vérité et qu'il est évident que le déficit du froment est largement compensé par les autres récoltes.

Comment ! quand vous avez une récolte de pommes de terre double de celle des années précédentes, quand vous les avez d'une qualité supérieure à ce que vous avez eu depuis dix ans, quand vous voyez les populations se nourrir de pommes de terre, ne devez-vous pas penser que cela diminue d'autant la consommation du froment ? La place qu'occupe la pomme de terre dans l'estomac laisse disponible le froment qu'on eût dû y mettre, quand il n'y avait pas de pommes de terre.

Voilà comment il faut parler au peuple pour le tranquilliser, il faut lui faire comprendre que le déficit n'est que nominal, que le prix élevé des céréales est complètement anomal et qu'il ne peut tenir devant les faits.

Le système que nous défendons est le système de notre vie politique tout entière, c'est le système de protection à tout ce qui souffre, à tout ce qui est malheureux, à tout ce qui a besoin de protection. Tout ce qui a besoin de protection trouvera toujours en nous un défenseur. Mais nous saurons modifier notre système si les circonstances viennent à changer.

En demandant la prohibition de la sortie des grains, nous savons que nous ne faisons pas chose agréable au plus grand nombre des agriculteurs qui cependant n'ont rien à dire. Quand nous viendrons demander un droit de 10 à 15 p. c. à la sortie du beurre et des œufs, nous ferons encore chose peu agréable aux cultivateurs, mais nous le faisons parce qu'il y a une classe du peuple qui souffre, une classe qui est digne de toute notre attention, de toute notre sollicitude et dont on ne s'occupe pas assez.

Mais le jour où l'agriculture sera en souffrance, ce jour-là nous serons ici pour la défendre. Ce jour-là n'est peut-être pas aussi éloigné que le pensent les libre-échangistes qui viennent voter pour le projet du gouvernement.

Savez-vous à quel prix est aujourd'hui le grain en Russie ? Je crois être bien informé, des négociants de notre pays ont fait de grandes acquisitions de froment en Russie ; par suite des contributions de guerre et des besoins d'argent qui se font sentir dans ce pays, ces acquisitions ont été faites au prix de 3 fr l'hectolitre.

M. Coomans. - La sortie est prohibée.

M. Dumortier. - Nous savons cela ; vous ne nous apprenez rien de nouveau.

Evidemment ces grains, il faudra les tenir jusqu'à la paix ; mais que la paix se fasse, que deviendront ces grains ? Ils seront transporteés dans le pays ; avec les frais de transport, ils reviendront à 8 francs ; croyez-vous que l'agriculture ne viendra pas demander protection et dire : Je ne puis pas me soutenir en présence d'une pareille concurrence ! Alors nous combattrons les partisans du libre échange dans l'intérêt de l'agriculture.

Dans la pensée qui nous a toujours guidé, nous porterons aide à celui qui souffre, comme nous portons aujourd'hui aide à celui qui souffre.

Nous ne croyons pas à ces grands mots d'expropriation, car s'ils étaient vrais, il faudrait supprimer tous les impôts, supprimer le tarif des douanes, qui n'est, selon vous, qu'une spoliation, supprimer tout ce qui grève les populations au profit du trésor ; vous n'aurez plus d’expropriation du moment que vous aurez supprimé les droits d'accises, de douanes, d'octroi, en un mot toutes les mesures fiscales.

Mais, moi je ne vois pas là d'expropriation, je ne vois qu'une protection donnée à celui qui souffre.

Je sais que le grand mot de liberté retentit fortement dans vos cœurs, même quand il s’agit de commerce ; mais la liberté sera menacée, je ne lui ferai pas défaut ; mais, en matière de commerce il n’y a pas de liberté sans égalité, et cette égalité vous ne l’avez pas.

Or, l'égalilé de protection vous ne l'avez que sur 5 ou 6 articles ; il esi impossible de parler de liberté de commerce sans mettre à mort tous les industriels du pays et les nombreux ouvriers qu'ils font vivre. C'est à quoi je ne consentirai jamais. Nous devons voter le projet du gouvernement tout entier non comme contraints par la peur, mais comme convaincus que c'est le meilleur moyen d'arriver à un résultat efficace.

(page 228) Je termine en m'emparant d'une des paroles de M. le ministre des affaires étrangères.

Si vous supprimez la prohibition, à l'instant même vous aurez une hausse sur tous les marchés voisins de la France, parce que tous nos grains s'exporteront vers le département du Nord. Vous avez là une preuve de l'efficacité de la mesure ; votez-la comme le pays l'attend de vous.

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

- La clôture de la discussion générale est prononcée.

La séance est levée à 4 3/4 heures.