(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Rousselle, vice-président.)
(page 183) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est adoptée.
M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal de Neufmaison prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand et Terneuzen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Paifve prient la Chambre d'accorder au sieur de Bruyue la concession d'un chemin de fer de Liège à Bois-le-Duc, Hasselt et Maestricht. »
- Même renvoi.
« Le sieur Desforges, cultivateur à Zoersel, se plaint de sa cotisation personnelle, et demande à jouir de l'exemption accordée par le paragraphe premier de l'article 38 de la loi du 28 juin 1822. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Mons prie la Chambre de statuer sur sa pétition qui a pour objet la charge des convois et transports militaires. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Gand, intéressés dans l'industrie de l'imprimerie, demandent qu'on fasse une édition flammde des Annales parlementaires. »
- Même renvoi.
« Les administrations communales de Leeuvergem, Hillegem, Elene, Oombergem, Sottegem, Godveerdegem, Erwetegem, Velsique, Ruddershove, Strypen, Essche-Saint-Lievin et Grootenberge demandent la révision de la loi sur le domicile de secours. »
- Même renvoi.
« Les bourgmestres des communes du canton de Fléron présentent des observations sur la nécessité de réviser la législation relative à la mendicité. »
- Même renvoi.
« Le sieur Meynders, ancien curé, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Pagna, candidat notaire à Seraing, demande qu'il n'y ait qu'une seule classe de notaires, que les notaires actuels soient répartis par canton, qu'ils puissent instrumenter dans tout l'arrondissement judiciaire de leur résidence et que les candidats notaires soient appelés au notariat par ordre d'ancienneté. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Dour prie la Chambre d'accorder à la Société Hertogs-Hoyois la concession d'un chemin de fer de Thulin à Gand, par Peruwelz, Leuze, Renaix et Audenarde, en lui imposant la condition d'exécuter en même temps l'embranchement sur Bavay, par Dour et subsidiairement de donner la préférence à la ligne proposée par la compagnie Maertens, moyennant de lui imposer la même condition d'un embranchement par Dour sur Bavay ou du moins d'un embranchement sur Dour. »
- Même renvoi.
« Le sieur Wangermée, vétérinaire de deuxième classe, demande que le projet de loi relatif à la pension de quelques officiers soit rendu applicable aux officiers de santé qui ont rendu des services réels et qui se trouvent trop avancés en âge pour atteindre le maximum de la pension. »
M. Rodenbach. - La section centrale s'est déjà occupée de cette question. Il me semble que les officiers de santé qui ont pris part à la révolution de 1830 doivent être mis sur le même rang que les officiers combattants. Je demande le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la pension des officiers qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution de 1830.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Defooz, Evrard et Thonon demandent que le projet de loi relatif à la pension de quelques officiers contienne une disposition qui permette au gouvernement d'accorder une indemnité aux volontaires de la révolution non pourvus d'emploi. »
- Même renvoi.
« Le sieur Griel demande que le projet de loi relatif à la pension de quelques officiers soit amendé en ce sens que ceux à qui les dix années d'augmentation ne sauraient profiter qu'en partie, jouiront de l'excédant jusqu'à concurrence du maximum de la pension, y compris dix années de grade. »
- Même renvoi.
« Plusieurs éleveurs, cultivateurs de la province de Liège, prient la Chambre d'augmenter l'allocation proposée au budget de l'intérieur en faveur du haras et demandent un plus grand nombre de stations dans cette province et la suppression des stations permanentes. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Des éleveurs, cultivateurs de la province de Liège, demandent qu’il y ait deux stations d'étalons de plus dans cette province et qu’on supprime les stations permanentes. »
- Même renvoi.
« Des fermiers et éleveurs de chevaux dn pays de Waes demandent une station d'étalons à Saint-Nicolas. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Kennes et de Deken, président et secrétaire de la société des typographes dite « de Plantynnisten d'Anvers, prient la Chambre de voter le crédit de 100,000 fr. qui a été proposé en faveur de l'industrie typographique. »
- Dépôt sur le bureau pendant le vote définitif du projet de loi relatif au crédit de 100,000 fr.
« Le conseil communal d'Ostende prie la Chambre de rejeter la proposition de la section centrale qui a pour objet la libre entrée du poisson étranger. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.
« Par sept pétitions, un grand nombre d'habitants de Tournai présentent des observations sur la nécessité de prendre des mesures contre la spéculation et l'agiotage dans le commerce des grains, et demandent que l'Etat achète des grains étrangers pour les répartir au prix de revient entre tous les indigents du pays ou du moins qu'il nourrisse avec ces grains l'armée, les prisonniers et tous ceux aux besoins desquels il doit pourvoir. »
- Même décision.
« Les sieurs Van Baelen et comp. prient la Chambre de rejeter la proposition relative à la libre entrée du poisson. »
- Même décision.
« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale prie la Chambre d'augmenter le crédit destiné à la rémunération des employés de l'administration provinciale. »
« Même demande de la députation permanente du conseil provincial du Hainaut. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget du département de l'intérieur.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Coppieters, forcé de s'absenter par suite de la mort d'un de ses parents, demande un congé de quelques jours. »
- Ce congé est accordé.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non, M. le président.
M. le président. - En ce cas, la discussion s'établit sur le projet du gouvernement.
La discussion générale est ouverte.
M. Osy. - Messieurs, je suis d'accord avec le gouvernement quant à l'article premier du projet de loi, et je crois que toute la Chambre partagera son opinion que dans les circonstances actuelles il faut donner autant de liberté que possible à l'entrée des denrées alimentaires.
Quant à la libre entrée du poisson qui vous est proposée par la section centrale, je l'ai aussi votée. Mais je vous avoue franchement que j'ai entendu tant d'observations sur la libre entrée de tout le poisson, que j'attendrai la discussion générale ou celle de l'article même, pour prendre un parti sur la question de savoir s'il faut effectivement, dans l'intérêt de nos consommateurs, décréter la libre entrée de tout le poisson sans distinction, sauf le droit différentiel que l'on conserve par suite du traité fait avec la Hollande et l'Angleterre.
Mais j'ai principalement demandé la parole pour combattre l'article 2.
L'année dernière, le gouvernement lui-même vous avait proposé la libre sortie du froment ; ce n'est que sur les instances de la Chambre et sur une demande venue de quelques provinces que le gouvernement a fini par se rallier à la prohibition du froment en même temps qu'à celle du seigle.
Moi-même, à la session dernière, j'étais plus ou moins ébranlé, et je me suis abstenu sur la question de la sortie du froment. Mais nous avons aujourd'hui une année d'expérience, et nous avons la preuve évidente que cette prohibition a fait plus de mal que de bien. Aussi, non seulement je ne voterai pas l'article 2, mais je ferai tous mes efforts pour décider la Chambre à voter la libre sortie.
Je vous disais, messieurs, à la session dernière, à l'occasion de la loi sur les denrées alimentaires, que vous pouviez être persuadés que le commerce ferait tout ce qui dépendrait de lui pour vous procurer ce qui vous manquait pour l'alimentation du pays. On parlait alors d'un déficit de 750,000 hectolitres.
Eh bien. consultez les renseignements statistiques qui ont été publiés, il y a peu de jours, au Moniteur, et vous verrez que dans les onze premiers mois de l'année nous avons importé et mis en consommation (page 184) un million d'hectolitres de froment, 200,000 hectolitres de seigle, 500.000 hectolitres d'orge et 42 millions de kilos de riz.
Vous voyez que les importations ont été plus considérables que le déficit présumé.
Voyons maintenant si dans les pays qui nous avoisinent, le Zollverein, la Hollande et l'Angleterre, où l'on a maintenu la libre sortie, les prix ont été plus élevés que chez nous.
On nous disait : Prohibez le froment à la sortie. Les blés qui ne sortiront pas serviront à l'alimentation de la population, et nous aurons des prix plus bas. Or, c'est précisément le contraire qui est arrivé. C'est en Belgique que les prix ont été les plus élevés pendant toute l'année. Je prendrai pour exemple le dernier mois sur lequel le gouvernement nous a donné des renseignements, le mois d'octobre, parce que c'est le mois où les prix des céréales ont été les plus élevés chez nous et dans les pays voisins. Ce n'est que depuis dix à quinze jours qu'il y a partout une certaine diminution de prix, parce que les importations ont été très considérables.
L'Angleterre a importé cette année déjà 1,400,000 quarters de froment d'Amérique outre une quantité considérable de farine.
Messieurs, je vois dans la statistique du gouvernement qu'en Belgique la moyenne des prix a été pendant le mois d'octobre de 37 fr. 50 pour le froment et de 24 fr. 78 pour le seigle.
A Londres la moyenne du froment a été, pendant ce même mois, de 33 fr. 87, ainsi 4 francs plus bas qu'en Belgique.
A Rotterdam, la moyenne du froment indigène a été de 33 fr. 71 et celle du seigle de 24 fr. 45.
A Amsterdam la moyenne a été la même.
Vous voyez donc qu'en Angleterre et en Hollande, pays d'où nous avons tiré les plus grandes quantités de céréales, la moyenne, pendant le mois de la plus grande cherté, a été environ quatre francs plus basse qu'en Belgique.
Je ne vous parle pour la Hollande que du froment indigène, parce que vous savez que nous importons principalement le froment de la Zélande et des îles de la Sud-Hollande.
On me dira. En France on a prohibé la sortie, et le prix moyen pour toute la France, pendant le mois d'octobre, n'a été que de 32 fr. 64 c. Mais, messieurs, vous savez qu'en France il y a trois zones, et que les communications n'étant pas encore très faciles partout, il en résulte que dans certaines zones les prix restent très bas. C'est ce qui explique comment la moyenne pour toute la France n'a été que de 32 fr. 64 c.
Mais voyons les marchés qui nous avoisinenî le plus ; c'est bien Paris, Lille et Valenciennes. Eh bien, je vois qu'à Paris la moyenne a été de 37 fr. 44 c, ainsi le même que chez nous. Mais à Lille, la moyenne a été de 42 fr. 35 c, et à Valenciennes de 40 fr. 50 c.
Vous voyez donc que sur les marchés du département de la Seine les prix ont été aussi élevés qu'en Belgique et que sur les marchés du département du Nord, ils ont été plus élevés.
Ces faits vous prouvent qu'avec la prohibition de sortie vous aurez des prix plus élevés. Soyez persuadés que si vous n'aviez pas défendu la sortie du froment, le commerce se serait montré plus hardi ; il se serait dit : Il faut que je travaille non seulement pour la consommation, mais aussi pour remplacer ce qui pourra être exporté. Mais la défense à l'exportation a plus ou moins retenu le commerce, quoiqu'il ait été bien actif.
Je sais que par cette mesure on a voulu rassurer le pays ; que la Chambre s'est laissé influencer par des pétitions de plusieurs provinces et par les discussions qui ont eu lieu. Mais je crois que ce qui peut le mieux rassurer les populations, ce sont les discussions de la Chambre. Ces discussions doivent avoir plus d’influence que les articles de quelques journalistes et les pétitions que font signer quelques personnes. En présence de l'expérience que nous venons de faire, je dis que nous commettrons une faute si nous défendons la libre sortie des céréales.
Je ne parlerai pas des propositions qui ont surgi en sections, pour imposer un droit a la sortie du bétail, des œufs, du beurre.
Vous connaissez ce que dit la section centrale de ces propositions. Mais les arguments qu'elle emploie pour défendre la libre sortie des orges, des avoines et du bétail, sont précisément ceux dont je me sers pour demander la libre sortie de toutes les céréales.
Voyons maintenant, messieurs, d'où nous avons tiré les plus grandes quantités de froment cette année, et que j'ai énumérés.
Nous ne connaissons jusqu'à présent que la statistique des dix premiers mois.
Dans les dix premiers mois nous avons importé 68 millions de kilog. de froment Nou» en avons reçu 37 millions du Zollverein, 18 millions des Pays-Bas, 2 millions et demi de l'Angleterre, ce qui fait à onze millions près, toute l'importation.
C'est donc des pays limitrophes libres que nous avons tiré 57 millions pour alrmenter nos populations. Ce n'est que depuis la récolle, assez abondante en Amérique, que nous, ainsi que les Anglais, les Hollandais et les autres peuples qui font un grand commerce, nous sommes allés chercher des grains.
Mais on dira que les Anglais ont des grains importés dans leurs entrepôts ; certainement, on achète en Angleterre des grains qui sont en entrepôt, cependant, pour le mors de novembre, nos arrivages ne venaient pas des entrepôts de Londres, mais des petits ports d'Angleterre où il n'y a pas d'entrepôt. En un jour nous avons reçu à Anvers, d'un de ces petits ports, Ipswich, 10,000 heciolilres de froment. Les arrivages de tous ces petits ports, avec du froment indigène anglais, n'ont pas cessé de continuer et continueront aussi longtemps que les glaces n'y mettront pas obstacle.
Puisque maintenant nous avons la preuve que la prohibition fait plus de mal que de bien, je crois qu'il est temps d'en revenir, et que nos discussions au moins rassureront les populations.
Celles-ci pourront être persuadés qu'elles ne manqueront absolument de rien. Il n'est pas donné à l'homme de donner à vivre à bon marché, lorsque dans le monde entier les grains sont à des prix élevés ; mais je vous prouve que les importations ont été beaucoup plus considérables que la différence présumée de la récolte de 1854.
Messieurs, j'ai parlé de la pression qui s'est fait sentir ici l'année dernière ; eh bien, cette année-ci, il s'est présenté un fait qui prouve la fâcheuse influence qu'exercent les pressions et de mauvais conseils ; beaucoup de journaux avaient conseillé au gouvernement de ne faire adjuger que des grains étrangers pour nos prisons et pour notre armée.
J'avoue franchement que quand j'ai lu la première annonce du département de la justice, tendant à demander des soumissions pour des grains étrangers, j'en ai ri, car enfin n'est-il pas certain que les grains étrangers offerts au gouvernement auraient été acquis à la consommation et auraient remplacé les grains indigènes qu'on aurait consommés dans les prisons et dans l'armée ?
Vous voyez donc qu'il n'y a aucune différence.
Mais, comme je le disais dernièrement, en réponse à l'honorable M. Dumortier, lors de la discussion du projet d'adresse, et alors je ne connaissais pas encore le résultat, cette mesure ne peut avoir qu'un effet : c'est que le gouvernement payera plus cher. Ce que je disais alors s'est vérifié trois jours après. Si je ne me trompe, il y a eu à Anvers, le 21 novembre, une adjudication de grains étrangers pour les prisons ; permettez-moi de vous en faire conuaître les chiffres, cela prouve une fois de plus ce que peuvent la pression et les mauvais conseils. Les prisons avaient à adjuger 133,000 kil. de froment et 411,000 kil. de seigle.
L'adjudication approuvée par le gouvernement, s'est élevée à fr. 43 17 les 80 kilogrammes de froment, à fr. 28 les 70 kilogrammes de seigle.
Le prix moyen, inséré au Moniteur le même jour, prouve que la moyenne en Belgique pendant la semaine qui a précédé le 21 novembre, à été de fr. 38 68 pour le froment, et de fr. 25 85 pour le seigle. Il y avait donc augmentation de 5 fr. pour les froments adjugés pour les prisons.
Maintenant on me dira : La moyenne du prix du pays ne fait rien pour les prisons qui se trouvent dans un certain pays. Je veux bien convenir qu'il y a là du vrai. Où sont les grandes prisons ? A Gand pour la maison de force, à Anvers pour Saint-Bernard, à Alost pour la prison militaire, à Bruxelles pour Vilvorde ; eh bien, à Gand le 18 novembre le prix du froment était de 38 fr. 66 c, à Anvers 40 fr. 50 c., à Alost 37 fr. 97 c. et à Bruxelles 39 fr. 88 c. Le gouvernement a payé 43 fr. 17 centimes.
Vous voyez que le marché où le prix était le plus élevé est celui d'Anvers, le prix était de 40 fr., eh bien, le gouvernement a payé 3 fr. au-delà et si vous prenez le marché où le prix était le plus bas, celui d'Alost où il était de 37 fr. 98 c., vous trouvez que le gouvernement a payé cinq francs et demi plus cher.
Je ne blâme pas pour cela le gouvernement ; il a cru bien faire ; mais maintenant qu'il a la preuve qu'il a payé trop cher, j'espère qu'il ne suivra plus de semblables conseils. Il est certain que si nous adjugions pour l'armée et les prisons des grains tels quels et que l'adjudicataire fournit des grains du pays, les grains étrangers viendraient remplacer ceux que l'armée et les prisons auraient consommés. Je viens de prouver que les conseils donnés au gouvernement et la pression qu'on a exercée sur lui ont eu pour résultat de causer un préjudice au trésor.
Ceci vient à l'appui de mon argument qu'avec la liberté vous aurez beaucoup plus de grains et que dans les fluctuations qui se manifestent sur les différents marchés vous profiterez des moments de baisse, tandis que si on n'introduit chez vous que les quantités strictement nécessaires à cause de la prohibition de la sortie, les prix seront chez vous stationnaircs.
Je ne crois pas qu'on revienne cette année sur la prohibition à la sortie du froment, mais je n'en persiste pas moins à soutenir que ce serait un grand bien pour le pays de jouir de la liberté à la sortie comme à l'enuée du froment.
En Angleterre, c'est autre chose. Quand sir Robert Peel a introduit le système qui régit l'Angleterre, les producteurs ont beaucoup crié. Ils allaient être ruinés ! Depuis que'ce système existe, que le froment n'est soumis qu'au droit minime d'un schelling par quarter ce qui répond à 42 c. par hectolitre, jamais une réclamation ne s'est fait entendre soit parmi les consommateurs, soit parmi les producteurs.
On jouit de la liberté et avec cette liberté on ose faire beaucoup d'affaires. L'Angleterre a poussé si loin l'esprit d'entreprise sous la protection de ce système de liberté qu'à l'heure qu'il est, on attend des chargements de froment qui s'élèvent, je crois, à 34 millions de quarters, ce qui répond à 100 millions d'hectolitres.
On charge des céréales à Calcutta, à Liverpool, on en attend de Valparaiso et de Californie ; vous voyez que quand le commerce est libre, qu'on a la liberté d'exporter, quand on peut espérer de trouver un prix plus élevé à l'étranger, le commerce est beaucoup plus actif, il ose (page 185) entreprendre davantage que quand il est soumis à des restrictions, parce que dans un temps donné il pourrait éprouver des pertes.
On a crié beaucoup contre les accapareurs et les spéculateurs ; mais les premiers spéculateurs ce sont les fermiers ; depuis quelques années ils ont fait de très bonnes affaires. Allez dans le pays wallon ou dans les Flandres, la première chose que vous demanderont les fermiers, sera : Croyez-vous que la guerre durera encore quelque temps ? C'est là-dessus qu'ils comptent pour garder leurs grains, dans l'espoir de les vendre à des prix élevés. Mais il peut survenir tout à coup telles circonstances qui fassent baisser considérablement ces prix. De manière qu'alors vous comprenez fort bien que tous ceux qui ont retenu leurs grains pourraient souffrir de la baisse.
Je crois que le véritable système, c'est la liberté. Avec la liberté, le commerce, en 1846, en 1847 et encore cette année, vous a prouvé qu'il n'y a jamais déficit à redouter pour le consommateur ; car, dans les onze premiers mois de l'année nous avons importé 250 mille hectolitres de plus que le chiffre indiqué par M. Piercot comme déficit dans la consommation. L'année n'est pas finie, et je vous prédis que l'Amérique ainsi que tous les petits ports de l'Angleterre dont je viens de parler vous enverront beaucoup de grains. Au premier janvier, si les circonstances atmosphériques ne changent pas, vous pouvez être assurés qu'il y aura assez de grains pour l'alimentation du pays.
L'honorable ministre de l'intérieur vient de dire qu'il ne se rallie pas à la proposition de la section centrale. Je pense que c'est surtout à l'amendement que la section centrale propose à l'article 3. Dans ce cas, je serai obligé d'en parler.
Le gouvernement vous propose par cet article de restituer les droits de tonnage payés sur toutes les importations de denrées alimentaires qui auront lieu en 1856.
En 1847 également on nous avait fait la même proposition. Mais nous avons compris qu'avec la rédaction du gouvernement la restitution du droit n'était pas à l'avantage du consommateur, que ce serait un cadeau fait à l'armateur.
Je vous citerai les navires qui sont affrétés pour nous importer du riz. Nous attendons 40,000 à 50,000 kilogrammes de riz pour l'an prochain, par de grands navires de l'Inde qui ne viennent qu'une fois par an, en moyenne, en Belgique. C'est un cadeau de 80 mille francs que vous faites à l'étranger, car qui paye le droit de tonnage ? C'est le capitaine du navire étranger ; ce ne sont pas les importateurs, les propriétaires de la marchandise qui pourraient la donner à meilleur compte.
En 1847, on nous avait fait la même proposition, et nous avons fait admettre que le droit de tonnage aurait été restitué à l'importateur qui pourrait donner à meilleur compte au consommateur.
La section centrale, sur ma proposition, a adopté ce système qui est véritablement rationnel ; car le but à atteindre c'est de donner à bon marché.
La proposition du gouvernement, au contraire, c'est en réalité de vider le trésor, sans que personne en profite dans le pays. Je ne pense pas que ce soit l'intention de la Chambre. J'espère bien que, si l'on ne perçoit pas le droit de tonnage, vous accepterez la rédaction de la section centrale qui admet la restitution à l'importateur, et qui ainsi profilera au consommateur.
S'il en était autrement, je demanderai le rejet de l'article ; ne pouvant faire prévaloir l'intérêt du consommateur, je me préoccuperais de l'intérêt du trésor.
On dit que c'est difficile pour la douane. Mais, en 1847, on l'a bien fait. Après l'année écoulée, la douane fait connaître au consommateur la somme à restituer.
Je connais des imporlateurs qui ont reçu de 15 à 16 mille francs en restitution de ce qu'ils avaient perdu en vendant à meilleur compte.
J'engage le gouvernement à retirer l'article 3 ou à adopter la proposition de la section centrale qui atleiut le but qu'il veut atteindre qui est de donner la nourriture à meilleur compte.
J'attendrai les explications du gouvernement à l'article 3, pour voir s'il se rallie à la proposition de la section centrale. Il a, j'en suis convaincu, le même but que nous, mais il va contre ce but.
Je voterai donc pour l'article premier, sauf à attendre des éclaircissements pour ce qui concerne le poisson. Mais, d'après l'expérience qui a été faite cette année, je suis décidé à ne plus voter la prohibition de sortie. J'espère qu'il y aura un appel nominal pourvoir si les opinions ne sont pas changées. Le pays ne doit pas rester dans l'incertitude sur ce point important.
Quant à l'article3, j'attendrai les explications du gouvernement pour voir si je maintiens l'amendement de la section centrale ou si je demanderai le rejet de l'article.
M. Moreau. - Messieurs, la loi sur les denrées alimentaires soumise en ce moment à notre examen, consacre, selon moi, un système bâtard que je ne puis adopter.
D'un côté, on proclame la libre entrée de presque toutes les substances qui servent à la nourriture de l'homme, l'on veut donner au commerce de grandes facilités, des faveurs exceptionnelles pour qu'il puisse approvisionner abondamment nos marchés.
D'un autre côté, on propose des mesures qui ralentiront son action bienfaisante et diminueront nécessairement son développement.
C'est assez vous dire, messieurs, que je donnerai mon assentiment à l'article premier du projet de loi, mais que je refuserai mon vote à l'article 2, et je suis heureux d'être aujourd'hui d'accord avec l'honorable M. Osy.
Toutefois, je regrette que notre législation sur les céréales ait si peu de fixité. Je regrette que, chaque année, les questions qui se rattachent à l'alimentation publique doivent être l'objet de nos délibérations.
Cette instabilité dans nos lois sur les substances alimentaires est plus nuisible qu'on ne le croit généralement.
D'abord ce régime éphémère agite souvent plus ou moins le pays et y fait naître des inquiétudes pénibles.
Il enchaîne en second lieu le commerce qu'il place dans un état d'incertitude continuelle, il lui crée des déceptions et le prive de la sécurité dont il a tant besoin pour s'étendre et s'exercer sur une vaste échelle.
Car, craignant avec raison qu'on n'apporte chaque jour des modifications à ces lois, les producteurs restreignent leurs opérations et les commerçants risquent plus difficilement leurs capitaux dans des transactions lointaines.
Je désirerais donc beaucoup qu'une bonne fois, on décrétât la libre entrée et la libre sortie des céréales.
En Angleterre, comme vous le savez, on perçoit un droit très modéré à l'importation des céréales ; là cependant on s'est bien gardé d'y toucher, même dans ce temps de crise, et grâce à la liberté entière, à la sécurité qu'on y laisse au commerce, il ne paraît exercer, comme l'expérience le démontre, aucune influence fâcheuse sur les prix.
Je n'ignore pas qu'il faudrait quelque courage pour proposer et pour adopter des mesures semblables, parce que, malheureusement, on a trop habitué les populations à croire qu'il dépend du gouvernement et des Chambres de faire baisser le prix du pain.
Celui qui souffre, celui qui doit s'imposer des privations ne reconnaît pas leur complète impuissance à cet égard, on ne le lui a pas appris ; au contraire, naturellement porté à rechercher tous les moyens rationnels ou non d'alléger ses souffrances et de recouvrer le bien-être qu'il a perdu, que fait-il ? Comme nous ne le voyons que trop souvent par les nombreuses pétitions qui nous arrivent de toute part, il s'adresse au gouvernement pour en recevoir le remède qui, d'après sa croyance, doit terminer ses maux, et comme celui-ci ne peut le lui donner, il lui impute ses misères.
Peut-il en être autrement, messieurs, aussi longtemps que nous continuerons à perpétuer ce fâcheux état de choses, en remaniant continuellement nos lois sur les denrées alimentaires et en prenant des mesures en réalité inefficaces et que l'on préconise cependant comme une espèce de panacée ?
Ainsi, à entendre les partisans de la prohibition, n'est-ce pas vouloir affamer le peuple que de permettre la sortie des céréales ?
N'est-ce pas pour se donner la vaine satisfaction de ne pas faire fléchir certains principes devant les considérations les plus puissantes, devant la misère du peuple, qu'on persiste à proposer un régime qui n'est propre qu'à faire renchérir de plus en plus les choses les plus nécessaires à la vie ?
Il faut donc tout prohiber, prohibons, disent-ils, le froment et le seigle, prohibons le bétail, la viande et le beurre, n'épargnons pas même les œufs.
Si nous avons un déficit dans les substances alimentaires, commençons par garder ce que nous avons.
Si nous les laissons sortir du pays, et notamment les céréales, tout sera exporté à l'étranger, tout nous sera enlevé, principalement par l'Angleterre.
La prohibition est donc le moyen le meilleur de maintenir les prix des grains au taux le moins élevé, de procurer certain bien-être à la classe nécessiteuse.
Voilà le langage que l'on tient aux masses, langage spécieux qui n'est pas exempt de danger, car il impressionne ceux qui ne se rendent pas bien compte de la manière dont se passent les choses et répand les idées les plus erronées parmi le peuple.
Et cependant comment ceux qui le tiennent, quoique de très bonne foi, ne s'aperçoivent-ils pas qu'ils se trompent, en voyant les faits si concluants qui se passent sous leurs yeux ?
S'il est vrai que la prohibition soit un moyen si efficace pour faire diminuer le prix des céréales, qu'ils me disent donc comment il se fait que, depuis un an, nous jouissions de cet immense bienfait et que cependant le pain reste ici aussi cher qu'ailleurs !
Comment il se fait que son prix ne diminue pas, quoique nous ayons gardé nos froments et nos seigles !
Comment il se fait, en un mot, que là où la prohibition n'existe pas, le prix du blé se soit maintenu à un prix moins élevé que là où elle a été décrétée !
Comme vient de le dire l'honorable M. Osy et on ne saurait trop le répéter au pays, en Angleterre, en Hollande, en Prusse on a laissé au commerce ses allures franches et dans ces pays les grains se vendent à meilleur compte qu'en Belgique et dans le nord de la France où on lui a forgé des entraves.
Tandis que dans notre pays, en octobre dernier, le prix moyen du froment était de 37 fr. 30 c, celui du seigle de 24 fr. 78, en Angleterre, en Hollande et à Cologne le froment ne se vendait respectivement que 33 fr. 36, 37 fr. 05 et 36 fr. 49, et le seigle, 21 fr. 68, 24 fr. 69 et 24 fr. 88 ou 26 fr. 05, suivant qu'il était indigène ou étranger.
(page 186) A Lille, à Valenciennes, à Bailleul et à Cambrai au contraire le prix du froment variait alors entre 39 fr. 16 et 42 fr. 35 l'hectolitre.
N'est-ce pas là, messieurs, un enseignement précieux dont nous devrions tenir compte et ces faits ne parlent-ils pas plus haut que tous les faux raisonnements des défenseurs du système prohibitif ?
Maintenant si en Angleterre, si dans ce pays dont on s'effraye tant et qui devait nous dépouiller de tous nos grains, les prix sont moins élevés qu'en Belgique, je ne conçois pas vraiment pourquoi elle viendrait nous acheter ce qu'elle paye moins cher sur son propre marché, je ne conçois pas pourquoi elle nous enlèverait des céréales qu'elle trouve chez elle à un prix moins élevé, sans payer de fret, ni de frais de transport.
Vous voyez donc, messieurs, que nos prédictions de l'année dernière se sont réalisées et que la prohibition à la sortie n'a eu d'autre résultat que celui de faire renchérir les denrées qui y sont soumises.
Il ne peut, en effet, en être autrement.
Quand il y a déficit dans la production d'un payvs, il ne suffît pas, comme on l'avance, de garder ce qu'on a ; il faut surtout se procurer ce qu'on n'a pas, sous peine de mourir de faim.
Or, c'est dans ces circonstances que le commerce doit faire sentir son action pour combler ce déficit avantageusement, c'est alors qu'il doit être l'intermédiaire nécessaire entre les producteurs et les consommateurs. Et que faites-vous ? Vous choisissez le moment où son rôle devient le plus utile, le moment où il a besoin de toute son activité, pour l'enrayer et pour arrêter ses opérations.
Les conséquences de cette conduite ne sont pas bien difficiles à déduire ; aussi elles ne tardent pas à se faire sentir.
Lorsqu'il y a prohibition à la sortie des céréales, les commerçants, peu rassurés sur les résultats de leurs spéculations, restreignent leurs opérations ; ils se bornent à faire des transactions soit avec les cultivateurs, soit avec les pays les plus rapprochés, et encore celles-ci ne s'étendent-elles pas au-delà des besoins du moment, des besoins près sanls de la consommation ; ils se contentent en un mot d'approvisionner quasi au jour le jour nos marchés, non pas en faisant venir le blé des pays lointains de production, mais en les achetlant de seconde main, en Angleterre, en Hollande par exemple.
Dans ce cas, naturellement, le prix des grains en Belgique se forme d'après celui du marché anglais ou hollandais, auquel il faut ajouter toutefois le coût du transport et le bénéfice que doit réaliser le premier acheteur.
Voilà, messieurs, la cause principale pour laquelle les grains se vendent en Belgique plus cher que dans les pays que je viens de citer.
Voulez-vous la preuve de ce que j'avance, consultez les documents produits à l'appui du projet de loi.
Du 10 novembre 1854 au 31 décembre suivant, on a importé dans le pays 7.840,000 kil. de froment et il en est arrivé par les bureaux des douanes de la province d'Anvers seulement 1,490,000 kil., et par ceux de la province de Liège, 4,415,000 kil.
Du 1er janvier au 15 octobre 1855, la quantité de froments entrés en Belgique est de 62,970 000 kil ; eh bien, il n'en a été importé par les bureaux de la province d'Anvers que 17,273,000 kil. ; tandis qu'on en a introduit 34,810,000 kil. par ceux de la province de Liège ; c'est-à-dire que la quantité de froment importée par terre et par rivières et canaux est plus du double de celle qui est arrivée par mer dans le pays, c'est-à-dire, en d'autres termes, que, comme je viens de le dire, les opérations lointaines de notre commerce de grains ont été singulièrement restreintes et qu'elles n'ont eu lieu qu'avec des pays pour ainsi dire limitrophes.
Une deuxième conséquence de cet état de choses, c'est que les cultivateurs et les marchands de grains indigènes n'ont plus à craindre la concurrence des grands commerçants, qui se gardent bien de faire affluer les grains dans un pays où la sortie leur est interdite, lorsque surtout ils peuvent ailleurs disposer librement de leurs marchandises, sans les entreposer et être assujettis à des formalités coûteuses et tracassières.
Maîtres du marché intérieur d'un pays où ils savent que la production n'est pas suffisante pour ses besoins, les cultivateurs et les marchands de grains ont la quasi-certitude de trouver toujours un placement avantageux, de dicter la loi aux consommateurs, sans redouter des arrivages considérables de grains des pays lointains ; aussi savent-ils tous attendre le moment opportun pour se défaire de leurs marchandises.
Est-il donc étonnant qu'ils soient intéressés à faire augmenter les prix ? Peut-on équitablement se plaindre de leur manière d'agir s'ils profitent de la position avantageuse que leur donne la prohibition à la sortie ?
Mais qu'ai-je besoin, messieurs, de vous prouver davantage que la prohibition à la sortie des céréales est une chose détestable, lorsque je puis invoquer, en faveur de mon opinion, toutes les considérations, sans en excepter une seule, que vous présente la section centrale pour la rejeter, lorsqu'elle a examiné s'il faut défendre l'exportation de l'orge, du bétail, etc., etc.
Ainsi, par exemple, savez-vous pourquoi la section centrale permet que l'on exporte l'orge et l'avoine ? C'est, dit-elle, parce que ce serait une nouvelle restriction à la propriété ; c'est, parce que le pays n’en produit pas la quantité nécessaire à sa consommation, et qu'elle craint que la prohibition ne fasse prendre au commerce de ces denrées un autre cours, une autre direction, ce qui, dans son opinion, les ferait renchérir.
Mais, messieurs, avons-nous donc, en Belgique, assez de froment, assez de seigle ? Et que la section centrale veuille bien nous dire pourquoi, lorsqu'il s'agit du froment et du seigle, elle ne craint plus les effets désastreux qu'elle signale comme devant être la conséquence de la prohibition de l'orge et de l'avoine ?
Est-ce que par hasard de hautes considérations d'ordre public ne doivent pas nous déterminer à prendre les mesures les plus propres à faire baisser le prix des grains et à procurer autant que possible à meilleur compte le pain aux classes nécessiteuses ?
Qu'ai-je besoin, je le répète, encore de m'étendre davantage sur ce point, en voyant le gouvernement lui-même reconnaître implicitement l'inefficacité de la prohibition, ses désavantages, ses dangers !
En lisant l'exposé des motifs du projet de loi, je vous l’avoue franchement, je croyais, messieurs, que peu satisfait du résultat des mesures restrictives aujourd'hui en vigueur, le gouvernement ne viendrait plus vous en demander le maintien.
Je croyais qu'éclairé par l'expérience, il n'en mépriserait pas les conseils ; qu'au lieu de nourrir de fâcheux préjugés, il aurait eu courage de s'en affranchir, de les combattre, enfin de tâcher de les vaincre et de les surmonter.
Mes espérances se fondaient sur ce que le ministère reconnaissait les bienfaits d'un système commercial libéral pour les denrées alimentaires, sur ce que dans l'exposé des motifs il invoque les considérations les plus justes et les plus puissantes en faveur de la liberté commerciale.
En effet, il constate d'abord que la Belgique ne produit pas la quantité de céréales nécessaires à sa consommation, que le déficit est assez notable cette année, et en cette occurrence il se demande naturellement ce qu'il y a de mieux à faire pour le faire disparaître, il recherche quel est le remède le plus efficace pour alléger les souffrances de la classe nécessiteuse, et après avoir jeté ses regards en arrière, après avoir consulté l'expérience du passé, cette source féconde d'enseignements utiles, que répond-il à la question qu'il s'est posée ?
Il se dit, avec raison, que le commerce « agissant avec l'énergie que donnent la liberté et la sécurité, a comblé jadis un déficit considérable que toujours on l'a vu pourvoir amplement aux besoins de la consommation, quand on a eu la sagesse de ne pas le troubler dans ses combinaisons » et il conclut logiquement « qu'il convient avant tout de donner à l'action du commerce la liberté la plus étendue et la sécurité la plus complète. »
Et, chose quasi incroyable, après ces préliminaires si vrais, si sages, le ministère vous propose de continuer à prohiber à la sortie les céréales et savez-vous pourquoi il vous fait cette proposition ? Ce n'est pas parce que par elle-même elle est bonne, elle est avautageuse ; non, il ne veut pas, dit-il, examiner si la prohibition a eu les effets qu'on s'en est promis, il la maintient uniquement parce qu'elle existe !
N'est-ce pas là, messieurs, se mettre évidemment en contradiction avec soi-même ?
Eh quoi ! vous demandez, pour que l'action du commerce des grains soit salutaire aux populations, que celui-ci jouisse de la liberté la plus étendue et que faites-vous ? Vous la lui donnez cette précieuse liberté, en maintenant les entraves qui doivent paralyser son activité et affaiblir l'énergie que vous réclamiez tantôt.
Vous savez que la prohibition à la sortie n'a pas produit les effets qu'on en attendait, vous admettez donc implicitement ce que j'ai prouvé tantôt, que la mesure est mauvaise ; mais quand le mal existe, il faut bien se garder d'employer le remède héroïque propre à le guérir, le moyen de l'extirper ! Que diriez-vous du malade qui tiendrait un pareil langage ? Vous diriez sans doute qu'il manque de fermeté, qu'il n'a pas la force nécessaire pour améliorer sa position, vous diriez enfin qu'il a peur.
Eh bien, messieurs, quant à moi je regarde la peur comme ne pouvant donner que de très mauvais conseils ; la main qui tremble au gouvernail du vaisseau rarement lui fait atteindre heureusement le port.
Je crains que si, au lieu de faire pénétrer les vérités à travers les préjugés populaires, nous les nourrissons, en les flattant, nous ne soyons entraînés insensiblement à faire des choses bien regrettables.
Déjà depuis quelque temps nous marchons à grands pas dans cette voie mauvaise ; on a commencé par demander timidement la prohibition des pommes de terre, puis celle du seigle, ensuite celle du froment ; aujourd'hui il s'agit de l'orge, du bétail, du beurre, des œufs ; où s'arrêtera-t-on ? Dieu le sait !
Il en sera toujours de même lorsque à l'appui d'une mesure on n'a d'autres motifs à invoquer que celui de la section centrale ; c'est-à-dire de hautes considérations d'ordre public.
C'est ainsi, messieurs, que jadis on a justifié les lois les plus mauvaises et la loi du maximum ; et un honorable collègue vous l'a dit l'année dernière, la prohibition n'est qu'une loi de maximim, moins la franchise.
M. Janssens. - Messieurs, j'appuierai de mon vote le projet de loi qui nous occupe. Pourtant, je n'y vois pas un remède bien efficace contre les privations (page 187) que la cherté des subsistances impose à une si grande partie de nos concitoyens.
Le pain est cher, et nous ne pouvons guère en diminuer le prix. Celui-ci tient à des causes qui échappent à notre action et dont il ne nous est donné d'atténuer les conséquences que dans une bien faible mesure. Cette vérité, messieurs, il est utile de la répéter afin que les populations qui attendent le résultat de nos délibérations n'éprouvent pas bientôt des déceptions nouvelles et afin qu'elles cessent de nous attribuer une puissance dont nous ne pouvons porter la responsabilité.
Le gouvernement, messieurs, nous propose deux espèces de dispositions dans le but de diminuer, pour la Belgique, les effets de la crise alimentaire que nous traversons. Les unes sont des dégrèvements de droits de douane, des exemptions de droits de tonnage tendant à favoriser l'entrée des denrées alimentaires : elles sont inscrites dans les articles 1, 3 et 6 du projet de loi ; les autres prohibent à la sortie certaines denrées servant à l'alimentation des classes les plus nombreuses ; elles forment l'article 2.
Les premières ou les mesures libérales, je les vote avec empressement, et quoiqu'elles ne puissent exercer une influence bien grande sur le prix des subsistances, je me plais à reconnaître que le gouvernement est allé dans cette voie aussi loin qu'il le pouvait sans trop compromettre le trésor public.
Les secondes ou les mesures restrictives de la liberté consacrant des théories que je ne puis croire vraies quant au grain surtout, ne peuvent, à mon avis, produire aucun bien par elles-mêmes ; cependant je les accepte comme des nécessités du moment, et ici encore je donne mon approbation au projet du gouvernement parce que dans cette voie il n'est pas allé plus loin qu'il ne devait.
A l'égard de la première partie de la loi, nous sommes unanimes, tout développement serait superflu. C'est à l'égard de la seconde partie que nos opinions diffèrent, que nos votes se partageront. Parmi les honorables membres de cette Chambre, les uns ont foi dans l'efficacité des mesures prohibitives et les votent ; les autres n'en attendent rien de bon et les repoussent. Il en est d'autres encore qui croient la prohibition des grains à la sortie une mesure fausse et qui pourtant l'adoptent.
Je l'ai déjà dit, messieurs, c'est parmi ceux-ci que je viens franchement prendre place au risque de me brouiller et avec les prohibitionnistes et avec les partisans de la liberté.
C'est pour justifier cette opinion que j'ai demandé la parole, et j'espère vous prouver que mon vote n'est ni une inconséquence ni un acte de faiblesse.
Lorsque, pendant la session dernière, le ministère précédent est venu nous demander d'interdire les exportations de céréales, il faisait lui-même violence à ses doctrines économiques, il comptait dans son sein un homme qui avait défendu devant vous la liberté du commerce des grains avec talent et succès.
C'est que des circonstances graves étaient venues changer la nature de la question. En effet, messieurs, le prix des denrées alimentaires s'était élevé à un taux exorbitant et le pays s'en était vivement ému. La question des subsistances est par sa nature de celles qui occupent le plus l'opinion publique parce qu'elles concernent tout le monde, et l'on peut ajouter qu'elle est de celles à propos desquelles les préjugés s'accréditent le plus facilement, parce qu'elle intéresse au premier chef la classe la moins instruite, la moins éclairée de la société.
Quoiqu'il en soit, personne dans cette Chambre ne peut méconnaître qu'à propos de l'importance de nos exportations en grains et de leur influence sur les prix dans le pays les opinions les plus extravagantes, les exagérations les plus incroyables avaient cours et que l'opinion se prononçait pour la défense de ces exportations avec une unanimité et une énergie qui ne pouvaient plus échapper à l'attention du législateur. Dieu me préserve de rechercher jamais la faveur du peuple en flattant ses préjugés, quoiqu'il en advienne pour lui. J'aime cent fois mieux lui déplaire et le servir. Des considérations de cette nature ne sont entrées pour rien dans ma détermination,
Je désire même laisser de côté les arguments tirés de l'ordre public Et plusieurs d'entre vous le savent pourtant, ils n'étaient plus étrangers à la question. Je ne veux m'occuper que des souffrances à soulager.
Eh bien, messieurs, j'avais pu remarquer que chez les ouvriers, chez les pauvres, et j'en connais beaucoup et de bien près, des souffrances morales étaient venues se joindre à des privations de toute espèce. L'inquiétude tourmentait ces malheureux autant que la faim ; dès lors je me suis dit que si l’on pouvait rendre le calme à cette population sans aggraver sa position matérielle, il y avait du bien à faire, il y avait un devoir à remplir.
La mesure qu'on nous demandait devait-elle augmenter le mal ? C'était toute la question. Et voici la solution que j'ai cru devoir lui donner. En principe oui, en fait non. Et en principe même, messieurs, je crois que tous nous sommes d'accord à dire que pour les grains nous ne devons ni espérer des prix beaucoup plus bas, ni craindre des prix beaucoup plus élevés que ceux qui se payent chez nos voisins. En fait, je crois qu'en présence de l'état de l'opinion publique le maintien de la liberté commerciale menaçait d'augmenter pour nos classes laborieuses la difficulté qu'elles trouvaient à se nourrir.
D'un côté nous avions déjà vu que l'agitation des esprits commençait à exercer une influence défavorable sur l'approvisionnement de certains marchés, et je n'hésite pas à croire qu'elle eût fini par être une entrave plus sérieuse à la liberté des transactions commerciales, que la défense même d'exporter. Du reste, l'idée même qui était généralement répandue que le maintien de la liberté d'exporter causait la hausse suffisait pour exercer une influence sur les prix.
D'un autre côté, messieurs, et cette considération me paraît importante, l'inquiétude publique devait inévitablement diminuer le travail industriel qui forme la principale ressource des classes dont nous nous occupons surtout.
Cette remarque, messieurs, ne peut vous avoir échappé : ce que l'ouvrier doit dépenser n'est qu'un côté de la question ; ce qu'il gagne, c'est l'autre, et il est aussi important. Or, je le disais tout à l'heure, pour assurer son salaire, le calme, la confiance publique sont la première condition.
Voilà les motifs qui ont dicté mon vote l'année dernière.
La question se présente-t-elle dans les mêmes termes aujourd'hui ?
On peut soutenir que l'opinion publique est moins agitée, et certes après l'expérience peu favorable d'une année de prohibition, il est permis de croire que bien des illusions se sont dissipées.
Cependant, messieurs, les pétitions qui vous parviennent et qui se couvrent de signatures dans les villes même les plus éclairées, prouvent que ce système inspire encore beaucoup de confiance.
D'ailleurs un argument nouveau et bien puissant en faveur de la prohibition des grains à la sortie se trouve dans l'existence actuelle de ce régime.
Si je crois que presque toujours il est avantageux de conserver la complète liberté du commerce des grains, je crois que bien rarement il est prudent de l'établir en temps de crise.
Si nous devions retourner aujourd'hui à un système libéral, les exportations que nous permettrions pourraient se faire immédiatement et en toute saison, tandis que les arrivages plus considérables que nous pourrions provoquer, ne nous parviendraient que plus tard et pourraient être empêchés pendant une partie de l'hiver.
Messieurs, si nous avons été obligés de gêner ou d'éloigner en partie de chez nous, un commerce bienfaisant, celui des importations directes et des consignations, ne croyons pas que nous ayons le pouvoir de le rappeler dès demain et de lui inspirer immédiatement une confiance aussi grande que.les nations qui sont constamment restées fidèles à la liberté. Pour nous qui nous sommes vus obligés de l'abandonner un instant, si nous devions la rétablir aujourd'hui, je crains fort que nous n'aurions que les désavantages des deux systèmes.
Ces considérations, messieurs, me font encore adopter les mesures restrictives de la liberté que contient le projet de loi, malgré la conviction qui me reste que la liberté complète et permanente du commerce des grains serait, pour la Belgique, le système qui offrirait le plus de garanties d'un approvisionnement suffisant et de prix relativement bas.
Je forme des vœux pour qu'un avenir meilleur et prochain nous permette de l'appliquer.
M. Rodenbach. - Messieurs, les deux premiers orateurs que vous avez entendus sont grands partisans de la liberté du commerce des grains. Je suis, comme eux, partisan de la liberté du commerce, en général ; je ne veux pas d'entraves aux relations commerciales, et j'en ai plus d'une fois donné la preuve.
Mais lorsqu'il s'agit de la nourriture des hommes, il faut bien quelquefois transiger avec les principes et admettredes mesures restrictives, c'est ici le cas.
L'honorable M. Moreau nous a dit : La liberté du commerce à l'entrée et à la sortie amènera infailliblement plus de grain et le pain sera à bon marché. Mais les chiffres vont vous prouver que c'est là une erreur.
J'ai lu dans le Moniteur français que, du 1er au 15 novembre, le pain se vendait en Angleterre à 67 centimes le kilog. Or, à Bruxelles, dans le même moment, il se vendait 58 centimes, c'est-à-dire avec une différence en moins de 9 centimes ; et dans nos provinces, il se vendait encore à meilleur marché.
Vous voulez, en proclamant la liberté du commerce, faire baisser le prix du pain, mais les chiffres vous prouvent que vous arriveriez à un résultat contraire.
Dans les pays, comme l'Angleterre, la Hollande et même la France, où les arrivages sont très considérables, on comprend que ces arrivages puissent exercer une grande influence sur le prix des céréales. Mais ce n'est pas dans un pays comme le nôtre, où il entre fort peu de grain, que vous pouvez compter que les mêmes résultats se produiront.
Je le répète donc, les chiffres réfutent vos arguments.
Je prendrai encore pour exemple les pommes de terre. Vous avez voté l'année dernière la libre sortie des pommes de terre. Deux ou trois membres seulement s'y sont opposés et se sont montrés ainsi conséquents avec leurs principes.
Eh bien, je puis vous assurer que si vous n'admettiez pas la prohibition des pommes de terre, la moyenne des prix, qui est maintenant de 7 à 8 francs les 100 kilogr., s'élèverait, avant trois mois, à 15 francs, parce que certains pays voisins et notamment la Hollande vous en enlèveraient immédiatement de fortes quantités. En effet dans le Limbourg la pomme de terre se vend 7 à 8 francs, et à Maestricht elle vaut 14 fr, les 100 kilog.
Voilà donc vos grands principes de liberté qui tombent devant les faits.
(page 188) On vous a aussi parlé de la sortie du bétail. En France la sortie du bétail est prohibée et point en Belgique. Or, que vaut la viande à Paris ?
Le Moniteur français nous apprend que pour la première quinzaine de novembre la viande est taxée à Paris à 1 fr. 36 centimes le kilog. Combien se vend-elle à Bruxelles ? 1 fr. 45 centimes, et la première qualité 1 fr. 60 centimes. En Belgique le bétail est libre à la sortie et la viande est plus chère que dans le centre de la France.
L'honorable député d'Anvers a dit que le grain est à meilleur marché en Angleterre et en Hollande qu'en Belgique. Cela est exact pour le haut commerce, mais avant que le grain ait passé par deux ou trois mains, avant qu'il arrive au boulanger pour nourrir le peuple, il a considérablement renchéri, et c'est pour cela que le pain est plus cher en Angleterre et en Hollande que chez nous.
La section centrale demande la libre entrée de toute espèce de poisson. J'y consentirais volontiers s'il s'agissait du hareng seul. La Hollande pourrait nous fournir du hareng qui augmenterait la nourriture de la classe ouvrière. Mais vous voulez laisser entrer sans droits le turbot, laisser entrer librement les huîtres, laisser entrer librement les écr-visses ; est-ce que la classe ouvrière mange du turbot, des huîtres, des écrevisses ? Voilà comment la section centrale est conséquente dans ses propositions !
Que rapporte maintenant le poisson qui entre en Belgique ? Il rapporte 250,000 francs. Eh bien, 250,000 francs c'est quelque chose pour le trésor. Mais je demanderai quel est le prix du poisson et nous avons pris à cet égard des renseignements positifs ; quel est le prix du poisson à Ostende, à Nieuport et à Blankenberghe ? Le poisson commun destiné à la classe ouvrière se vend 15 centimes par kilogramme et la morue 25 centimes. Maintenant pourquoi les prix s'élèvent-ils si fortement ailleurs que sur le littoral de la mer ? C'est que vous avez d'abord 10 p. c. de frais de transport ; viennent après cela la minque, les octrois et beaucoup d'autres frais ; enfin à Bruxelles et dans beaucoup d'autres villes on ne peut pas colporter le poisson.
On parle constamment, dans cette enceinte, de liberté de commerce et partout on ne rencontre que des entraves ; dans nos villes, commencez par extirper les vices radicaux qui font renchérir la nourriture des classes laborieuses. Tous ces abus ont pour conséquence que le poisson se vend dans les villes à octroi trois fois plus cher que dans nos ports de mer.
Je regrette, messieurs, que la section centrale n'ait pas adopté ma proposition faite dans la cinquième section, tendant à prohiber l'exportation des œufs, du beurre, de l'orge, de l'avoine, des féveroles, du bétail, ou tout au moins qu'elle n'ait pas admis un droit de 25 p. c. à la sortie sur ces diverses denrées.
En 1854, il est sorti de notre pays pour 1,400,000 fr. d'œufs. Je sais bien que les classes pauvres ne mangent pas d'œufs, mais si les œufs restaient dans le pays, la classe bourgeoise pourraiten faire usage. Dans la même année, il a été exporté 3,260,000 kilog. de beurre, la classe ouvrière ne peut pas atteindre le haut prix du beurre pour aimaliser la pomme de terre, le sel est le seul assaisonnement dont elle peut faire faire usage ; car le beurre coûte approximativement 2 fr. 50 cent, par kilogramme.
L'Angleterre nous enlève tout parce que c'est là que se trouvent les plus grands capitalistes du monde et que les ouvriers y gagnent le double du salaire de l'ouvrier belge. Si on avait frappé la sortie des œufs et du beurre d'un droit de 25 p. c, cela aurait eu au moins pour résultat de procurer un bon revenu au trésor.
La classe pauvre mange des légumes par nécessité et par misère. Eh bien, nos légumes secs et verts partent tous pour l'Angleterre. Il en a été exporté pour 600,000 fr. en 1854.
On a parlé de l'intérêt de l'agriculture. Mais, messieurs, depuis deux ans l'agriculture n'a pas à se plaindre ; elle jouit d'une prospérité considérable. Tous les produits agricoles ont doublé de prix. Ce ne sont pas seulement les grains qui ont haussé ; quand le grain est cher tout est cher ; le café a renchéri ; le sucre a renchéri ; tout ce qui concerne la vie animale a augmenté de prix ; tout jusqu'aux plus petits articles de consommation. Est-ce parce que tout cela manque ? Evidemment non. Mais, je le répète, quand le grain est cher, tout s'en ressent.
Je dis, messieurs, qu'il y a des mesures à prendre et que la liberté illimitée de commerce ne suffit pas dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons. Il est des moments où il faut savoir transiger avec les principes, et c'est ici le cas de le faire.
En terminant, je conjure mes honorables collègues de mûrir cette grave question, car le pays attend beaucoup de nos délibérations.
M. Julliot. - Messieurs, quand on se trouve en présence d'une crise alimentaire, il est parfois permis de recourir aux expédients les plus propres à la traverser.
Il est donc convenu que, pour le quart d'heure, nous mettrons en poche les principes élémentaires de la science pour nous laisser guider, non pas par l'idée et la logique, mais par des faits matériels, par le tact et le toucher ; c'est-à-dire que nous allons cheminer à la lueur douteuse de l'instinct vulgaire et des préjugés avec lesquels on est quelquefois obligé de compter.
A mon avis, néanmoins, nous ne devons pas aller trop loin dans cette voie ; notre système économique déjà est dilficile à comprendre, si nous l'embrouillons davantage nous ne serons plus compris du tout, et on commerce peu avec les peuples qu'on ne comprend pas : la Chine est là pour le démontrer.
En mettant de côté le principe, on peut affirmer que pratiquement, quand on défend l'exportation d'une denrée très abondante chez nous et rare chez les voisins, on la conserve à bon marché ; et la preuve se fait en ma province, car, depuis deux mois, la pomme de terre se vend à 8 1/2 francs le sac au marché de Tongres, tandis que depuis la même époque elle est consommée à 12 et 13 francs à Maestricht, qui n'est qu'à trois lieues de notre marché. En faisant disparaître l'entrave, il est évident que le niveau s'établirait de suite et que dans les deux localités on consommerait à 11 francs. On obtient donc le bas prix par une confiscation de 4 francs par sac exercé sur le producteur de cette denrée.
Or la première chose à faire, c'est de laisser entrer librement toutes les denrées alimentaires quelconques, quand les traités internationaux ne le défendent pas ; et ce principe doit être appliqué au poisson sans distinction, car c'est dans cette direction que le régime le plus absurde régit la matière. Quand le hareng est bon, il paye 60 francs par 100 kilog. de droits d'entrée, et, quand il devient mauvais, il ne paye plus que 15 francs.
Je sais qu'il y aura des clameurs ; il y en a aussi en Hollande où un projet consacrant à peu près la liberté du poisson est présenté depuis35 jours, mais on n'affectera que les armateurs qui feront moins de bénéfices, les pêcheurs ouvriers leur seront nécessaires comme auparavant ; et quand on ne craint pas d'exproprier le producteur de la pomme de terre on ne doit pas craindre de soumettre l'armateur en pêche au régime de la liberté, car la liberté est une justice, et la prohibition à la sortie est une confiscation. Avec la liberté du poisson en Belgique et en Hollande, nous mangerons du poisson hollandais, mais nous expédierons le poisson de l'Escaut et cela se compensera. Et qu'on ne vienne pas me dire que le poisson fin s'adresse aux gens aisés, car quand ces gens mangent du poisson ils laissent la viande à d'autres qui, quand ils ont plus de viande, laissent plus de pain et de pommes de terre à de plus pauvres.
C'est incontestable, je dis moi qu'il est absurde de spolier les uns par la prohibition à la sortie et de protéger encore les autres par des droits à l'entrée alors que tous les deux produisent les denrées alimentaires dont la multiplication doit être notre seul but. Priver l'habitant de Tongres du prix élevé qu'il peut obtenir de sa denrée à Maestricht et surélever la denrée d'Ostende par des droits à l'entrée sont des absurdités que je ne voterai jamais ensemble, ni vous non plus, messieurs.
Messieurs, le gouvernement propose de conserver la prohibition à la sortie des céréales et je ne m'y oppose pas d'une manière absolue, pour les raisons que vous savez.
Mais alors comment est-on arrivé à laisser sortir l'alcool en lui appliquant un correctif qui n'en est pas un ? Et je vais vous le démontrer.
Quand un commissionnaire se trouve à un marché étranger pour approvisionner la meunerie belge et qu'il est combattu en concurrence par un commissionnaire qui achète pour l'alcool belge à exporter, il s'établit la même concurrence qui se ferait sur le marché belge, car que ce soit à Londres, à Amsterdam ou à Bruxelles que ces individus se rencontrent, ils feront partout leur métier et renchériront la denrée l'un pour l'autre en se faisant concurrence.
Il y a plus, c'est souvent le même commissionnaire qui achète pour le meunier et pour le distillateur, et alors le dernier aura la préférence, parce qu'il prendra la cargaison tout entière.
Ce correctif ne serait efficace que s'il y avait assez de grains en Belgique et que la sortie en fût prohibée ; mais on dit : L'alcool exporté fait de la viande en Belgique par la drèche qu'il y laisse. Mais, messieurs, la drèche ne contient pas un dixième de la substance alimentaire du grain et vous prohibez la sortie complète des céréales au naturel qui viennent du dehors, alors que vous permettez la sortie des neuf dixièmes de ces denrées, pourvu qu'on les ait transformées en liquide, et vous leur donnez un gros drawback. C'est une dérision, tranchons le mot. Une demi-douzaine de grands distillateurs ne le veulent pas et on a reculé jusqu'à présent : voilà l'histoire.
Je sais que ceux qui étudient ces questions peuvent me répondre aisément ; ils diront qu'il faut une quantité donnée d'alcool, que si le distillateur belge n'exporte pas, ce sera le Hollandais ou l'Allemand, et, en effet, mais alors nous rentrons dans le principe, et nous reconnaissons tous ensemble que la prohibition de sortie d'une denrée qu'on n'a pas en quantité suffisante est une mesure plus nuisible que profitable en ce que l'élévation du prix seule peut fournir, dans la liberté comme dans la prohibition, la quantité nécessaire à la consommation, avec cette différence que la liberté facilite les échanges et que la prohibition les entrave. Ce n'est ni le lieu de provenance ni la destination qui fait entrer les grains, c'est le prix seul.
Je me résume. Nons en sommes aux expédients et je m'y soumets ; mais ne faisons pas du moins du blanc et du noir dans la même question.
En ce qui me concerne, je ne puis me résoudre à exproprier pour utilité publique, sans indemnité, le producteur de la pomme de terre, denrée alimentaire, en même temps que je conserve des droits d'entrée prohibitifs sur le poisson, autre denrée alimentaire ; je ne puis me livrer à ce double exercice de spolier le producteur de la denrée pommes de terre, puis faire l'inverse, et spolier le consommateur de la denrée poisson ; car c'est bien les consommateurs que nous avons en vue, et non les producteurs ; mettons nous d'accord là-dessus.
(page 189) Je ne puis pas plus voter la prohibition à la sortie des grains étrangers sous forme solide, quand on veut que je vote cette sortie des grains étrangers sous forme liquide.
Nous en sommes aux expédients, mais au moins qu'ils ne hurlent pas entre eux et que nous conservions une apparence de raison à donner à tout ce que nous allons faire, car je ne suis pas ici pour me bander les les yeux et jouer ces questions aux dés.
Je réserve donc mon vote.
M. Boulez. - Messieurs, la section centrale le dit avec raison dans son rapport : dans le peuple règne ce préjugé qu'il dépend du gouvernement de faire baisser le prix du pain ; ce serait un préjugé fatal si, prenant sa source dans un sentiment de méfiance, il poussait à ces émeutes sanglantes, dont la cherté des grains a été trop souvent l'occasion dans d'autres pays. Mais lorsque les populations qui souffrent, considérant le gouvernement comme le représentant de la Providence sur la terre, mettent en lui toute leur confiance et attendent de son intervention le remède à leurs maux, nous n'avons pas à maudire ce préjugé ; il doit plutôt stimuler le zèle du gouvernement et le nôtre, et nous encourager à prendre des mesures telles que la confiance que les populations ont mise en nous ne soit pas trompée.
Dans cette voie, notre premier devoir c'est de faire taire nos propres préjugés.
Au point de vue des doctrines économiques, la Chambre se divise en trois fractions :
Les libre-échangistes qui veulent que notre tarif des douanes perde son caractère protecteur de l'industrie et que des droits légers et purement fiscaux entravent le moins possible l'entrée et la sortie de tous les produits ;
Les protectionnistes qui, persuadés que l'intérêt du producteur est essentiellement lié à l'intérêt du consommateur, veulent que le tarif des douanes soit combiné de manière à protéger efficacement le travail national, fût-ce au prix de droits prohibitifs ou de la prohilîon même ;
Et enfin une sorte de tiers parti qui, réduisant cette question de principe à une question d'avantages et d'inconvénients, s'inspirant des circonstances plutôt que de théories, emprunte à chacune de ces doctrines ce qui lui paraît le plus utile au bien-être public, au risque d'avoir contre soi les partisans du libre échange et de la prohibition.
Je crois que ces derniers sont seuls dans le vrai, car il s'agit ici non pas de principes, mais d'intérêts. Après l'obligation d'être honnête, ce qui est le résumé des lois divines et humaines, et la condition du maintien de l'ordre social, la première nécessité, la plus impérieuse de toutes, c'est celle de vivre. C'est à cette nécessité qu'il faut pourvoir, dût-on, au nom de la science, nous accuser d'inconséquence ; et renversant un mot fameux, je dirai volontiers : Périssent plutôt tous les principes de l'économie politique que les populations de notre chère patrie ! Aussi bien, dans cette matière, il n'y a pas dans la pratique de principes absolus ; il ne peut y en avoir.
Je dis qu'il ne peut y avoir de principes absolus. En effet, supposons un moment que notre législation douanière modifiée ou plutôt supprimée proclame le libre échange, admette la libre entrée et la libre sortie de toute espèce de produits, ne serait-ce pas, avec le voisinage de la Grande-Bretagne, un véritable jeu d'enfants qui pourrait avoir pour nous de terribles conséquences ? Ne serait-ce pas jouer une partie que nous serions sûrs de perdre ? C'est ce qui nous arriverait.
La Grande-Bretagne avec l'abondance de son numéraire, le bon marché de ses capitaux, la supériorité incontestable de son industrie, et le manque de denrées alimentaires, important sans droits des produits fabriqués de toute nature, et exportant nos denrées alimentaires, tarirait dans notre pays les sources du travail et de l'existence et nous amènerait en très peu de temps à la famine et à la banqueroute.
Supposons maintenant le système contraire ; supposons le système protectionniste poussé jusqu'à la prohibition, nous verrions renaître la cherté excessive qu'avait engendrée, dans d'autres temps, le blocus continental, nous verrions toutes les branches d'industrie débarrassées de la concurrence étrangère rivaliser d'exigences au détriment du consommateur.
En dehors de toutes ces exagérations, vient le projet de loi soumis à nos délibérations. Je me joins à la section centrale pour l'appuyer, et je l'appuie parce qu'il est étranger à tout esprit de système. Cet ordre d'idées paraît être celui de la section centrale. En effet, se plaçant, avec son savant rapporteur, au point de vue des principes du droit naturel, elle repousse l'extension de la prohibition de sortie comme une nouvelle restriction à la libre disposition de la propriété, mais elle a soin d'ajouter un argument qui me touche davantage, c'est que cette extension, loin d'être utile aux consommateurs, leur serait, en définitive, préjudiciable.
En résumé je crois que nous devons nous préoccuper du déficit que nous avons en denrées alimentaires et des moyens de le combler, abstraction faite de toute espèce de théories : mettons-le de côté, sauf à les retrouver plus tard. Je puis vous tenir ce langage, car il s'agit de théories et non pas de principes.
Que les libre-échangistes nous concèdent la prohibition de sortie temporaire des denrées indispensables à l'alimentation du peuple, et nous ne nous ferons jamais une arme contre eux de ce vote de circonstance.
D'autre part, à nous qui admettons la libre entrée des céréales, alors que le taux des mercuriales assure aux cultivateurs un prix suffisamment rémunérateur, qu'on ne nous oppose pas non plus notre vote, qu'on ne nous refuse pas un droit protecteur, si un jour la baisse excessive des prix met les cultivateurs dans l'impossibilité de payer leurs fermages et leurs contributions, toutes les charges imposées à l'agriculture, et s'ils se trouvent ainsi menacés d'être pour ainsi dire ruinés par l'abondance même de la récolte.
Faisons-nous mutuellement des concessions ; que chacun abandonne un peu de ses opinions.
Ainsi, pour la sortie du bétail n'admettons ni la libre sortie ni la prohibition de sortie, mais un droit modéré à la sortie, ce sera le moyen de concilier les besoins de l'alimentation publique avec les intérêts du commerce et du trésor qui est aussi un intérêt public.
En terminant, et sans vouloir entamer une discussion qui, comme le fait observer la section centrale, se présentera naturellement lors de la discussion du projet de loi relatif à la prorogation de la loi du 30 novembre 1854, relative aux eaux-de-vie, je crois pouvoir demander à M. le ministre des finances si le gouvernement ne croit pas utile, dans les circonstances où nous nous trouvons, d'obliger les distilleries à fabriquer les eaux-de-vie au moyen des céréales étrangères, d'adopter la même mesure pour les fabriques d'amidon et d'interdire la distillation des pommes de terre.
J'attendrai les explications de M. le ministre avant de proposer uu amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter un amendement relatif à l'entrée du poissoun Voici en quoi il consiste :
« Ajouter, à l'article premier, après les mots : « viandes de toute espèce, ceux-ci :
« le stockfisch, les plies séchées, et les poissons de mer salés, fumés et séchés, non spécialement tarifés.
« Les droits d'importation sur les harengs sont fixés comme suit, savoir :
« Harengs en saumure ou au sel sec :
« Provenant de la pêche néerlandaise et importée sous pavillon belge ou néerlandais : libre ;
« Provenant de la pêche anglaise et importées sous pavillon belge ou anglais : 7 fr. la tonne ;
« De toute autre provenance ou importée d’autre manière : 9 fr. la tonne.
« Harengs secs, saurés, fumés, frais ou braillés :
« Provenant de la pêche néerlandaise et importée sous pavillon belge ou néerlandais : libre ;
« Provenant de la pêche anglaise et importées sous pavillon belge ou anglais :3 fr. les 1000 pièces ;
« De toute autre provenance ou importée d’autre manière : 5 fr. les 1,000 pièces. »
- La séance est levée à 4 heures et demie.