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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 juin 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1291) M. Maertens procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs d'Erckenteel et Delforge demandent la libre entrée du zinc en Belgique ou du moins, provisoirement, la restitution, à la sortie du royaume, du droit perçu sur le zinc acheté à l'étranger sous forme brute et laminé dans le pays. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Les employés inférieurs du service actif de la douane attachés au poste de Membach, demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par messages du 31 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« Le projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 271,986 fr.

« Le projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit de 17,000 fr., pour travaux destinés à obvier aux inondations de la vallée de la Haine. »

- Pris pour notification.

Rapports sur des pétitions

M. Maertens, rapporteur. - Par pétition datée de Ghlin, le 9 mai 1855, plusieurs habitants de cette commune réclament contre la cession des droits de paissage, faucillage, bois mort et feuilles, autorisée par un arrêté royal en date du 20 février dernier.

Voici, messieurs, dans quelles circonstances cet arrêté a été pris :

Un procès était pendant devant le tribunal de Mons entre la commune de Ghlin et le prince de Croy, relativement aux droits contre la cession desquels protestent les pétitionnaires.

Les parties mirent fin aux débats par une transaction qui semble sauvegarder les intérêts de la commune, puisque les autorités appelées à en connaître donnèrent un avis favorable.

Dans cet état de choses, le gouvernement autorisa la conclusion définitive de la convention transactionnelle, sauf l'approbation de la députation permanente.

Votre commission, messieurs, ayant pris connaissance de ces faits, est d'avis qu'il n'y a pas lieu de provoquer la révocation d'un arrêté, intervenu après une instruction administrative régulière et environnée des garanties que la loi réclame, et a, par conséquent, l'honneur de vous proposer l'ordre du jour

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Des propriétaires, à Gand, demandent la construction des chemins de fer de Saint-Ghislain à Gand, Eecloo et Terneuzen et de Marchienne à Jurbise, dont la concession est sollicitée par les sieurs Delaveleye et Moucheron, de Haussy et Rasquin.

Même demande d'autres habitants de Gand et du conseil communal de Roulers.

Les sieurs Delaveleye et Moucheron prient la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à leur accorder la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand, par Ath et Sottegem.

Les pétitionnaires ajoutent :

« En conséquence, les soussignés vous prient, MM. les représentants, de vouloir bien autoriser M. le ministre des travaux publics à leur accorder, même dans l'intervalle des sessions de la législature, la concession qu'ils sollicitent depuis si longtemps de St-Ggislain à Gand, en ligne directe, ainsi que les annexes qui seraient jugées utiles au pays. »

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

Pièces adressées à la chambre

M. Rodenbach. - Messieurs, j’ai, dans la séance d'hier, demandé un prompt rapport sur les diverses pétitions de Gand et de Roulers dont l'honorable M. Vander Donckt vient de vous rendre compte. Je vous ai dit que l'enquête était terminée, que les demandeurs en concession étaient prêts à verser le cautionnement d’un million. D'autre part, il paraît qu'outre la demande en concession des sieurs Delaveleye et Moucheron, il y en a une autre des sieurs Hertogs. Messieurs, il est plus que temps que M. le ministre prenne une décision sur cette question. Je l'engage à examiner dans le plus bref délai quelle est celle de ces demandes en concession qui offre le plus d'avantages dans l'intérêt de nos Flandres. Car, je vous l'ai déjà dit dans d'autres circonstances, depuis trois ans la houille, ce combustible précieux pour nos fabriques et pour les consommateurs, a doublé de prix. Voilà déjà plus de cent pétitions que la Chambre reçoit en faveur de la demande de MM. Delaveleye et Moucheron et peu de requêtes nous arrivent pour le projet concurrent. Je me plais à croire que M. le ministre des travaux publics, qui me paraît d'une grande activité, voudra bien terminer promptement cette affaire.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, j'accepte volontiers le renvoi qui est proposé par la commission des pétitions. Ce n'est pas la première pétition de cette nature qui est envoyée à mon département. Le ministre ne peut que répéter ici ce qu'il a eu l'honneur de vous dire dans des circonstances analogues, que son plus grand désir est d'arriver à une prompte solution de cette question.

Je suis tout à fait de l'avis de l'honorable membre ; ces questions sont à l'instruction depuis assez longtemps et il est utile de leur donner une solution.

S'il avait dépendu de moi de vous saisir dans le courant de cette session d'un projet de loi tranchant toutes les questions de chemins de fer, soyez persuadés que je n'aurais pas manqué à mon devoir. Si je ne l’ai pas fait, c'est qu'il y a eu impossibilité matérielle. Soyez certains que tous mes soins seront portés sur cette affaire et qu'à la rentrée des Chambres, le gouvernement vous saisira d'un projet de loi réglant définitivement les relations de la ville de Gand avec nos principaux centres de production charbonnière.

M. Lelièvre. - Je remercie M. le ministre des explications qu'il vient de donner et je le prie de vouloir s'occuper sans délai de l'objet énoncé à la pétition que le gouvernement lui-même reconnaît fondée sur de justes motifs.

M. Manilius. - J'avais également demandé la parole pour provoquer en public cette promesse que M. le ministre des travaux publics m'avait déjà fait connaître. Je ne puis qu'applaudir à sa résolution ; car nous devons désirer que le gouvernement examine mûrement la question, grandie par de nouvelles demandes de concessions, et que la résolution qu'il prendra réponde le mieux aux véritables besoins du pays.

M. Lesoinne. - Messieurs, j'ai toujours considéré la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand, bien qu'elle ne concerne pas la province que j'ai l'honneur de représenter, comme devant amener la construction d'une voie de communication tellement utile pour les Flandres que j'ai cru pouvoir en toutes circonstances lui donner mon appui. C'est ainsi que j'ai accompagné plusieurs députations qui se sont rendues auprès du ministre des travaux publics précédent, l'honorable M. Van Hoorebeke, pour l'engager à accorder la concession de ce chemin de fer.

La dernière fois que nous avons été en députation avec nos honorables collègues des Flandres auprès de l'honorable M. Van Hoorebeke, il a dit aux demandeurs : Prouvez-moi que vous êtes à même de remplir les conditions d'exécution de ce chemin de fer et je signerai alors un contrat provisoire. Il paraît qu'aujourd'hui ces messieurs ont réuni les capitaux nécessaires pour l'exécution de ce chemin de fer et ils offrent de déposer le cautionnement. Ils demandent en même temps que le gouvernement leur accorde un contrat provisoire, sauf ratification des Chambres à la prochaine session. Comme les capitaux sont réunis et qu'ils ne peuvent rester oisifs, j'engagerai M. le ministre à presser la solution de cette affaire autant qu'il le pourra.

- Le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics est ordonné.


M. le ministre de la justice (M. Nothomb) (pour une motion d’ordre). - Aux termes de la loi du 18 juin 1850, le gouvernement doit soumettre chaque année aux Chambres législatives un compte rendu sur la situation des établissements d'aliénés du royaume.

Malgré toutes les lettres de rappel émanées du ministre de la justice, et toute l'activité déployée pour préparer ce travail, je me vois dans l'impossibilité de le déposer sur le bureau. Cependant, toutes les annexes sont rentrées au département, et M. l'inspecteur général s'occupe de mettre la dernière main au rapport.

Je prie la Chambre de bien vouloir considérer ce travail comme déposé et d'ordonner qu'il soit imprimé dans l'intervalle des sessions. Cela s'est passé ainsi l'année dernière.

- La Chambre décide que ce rapport sera imprimé dans l'intervalle des sessions et qu'il sera envoyé aux membres à domicile.

Rapport sur des pétitions

(page 1292) M. le président. - Les deux commissions qui se sont occupées des pétitions pour la reprise des travaux du chemin de fer du Luxembourg proposent l’une le renvoi à M. le ministre des travaux publics, l'autre le renvoi à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

- Ces conclusions sont adoptées.

Motion d'ordre

Extradition d'un étranger

Interpellation relative à une demande d’extradiction formulée par le gouvernement français

M. Verhaegen. - Messieurs, l'opinion publique s'est émue à juste titre de la position qui est faite à deux étrangers, sur le sol hospitalier de la Belgique, par suite d'une demande d'extradition dont ils sont l'objet de la part du gouvernement français.

Il s'agit de savoir si ces étrangers qui ont subi une détention préventive de près de six mois, contre lesquels on a épuisé toutes les rigueurs d'une instruction criminelle sans en excepter le secret, seront aujourd'hui livrés à la police d'un pays voisin en contravention à la loi du 1er octobre 1833 et contrairement à l'atvis unanime de la cour d'appel de Bruxelles, seule autorité compétente pour apprécier en fait et en droit le mérite de l'accusation qui sert de prétexte à la demande d'extradition.

La responsabilité du gouvernement belge serait gravement engagée, si dans les circonstances que je crois devoir lui rappeler, il allait se mettre en opposition avec l'autorité judiciaire qui est la première sauvegarde de nos libertés et de la protection due aux étrangers.

Voici les faits ;

Le sieur Jules Jacquin est un industriel des plus honorables qui, au mois de septembre 1852, est venu fonder librement et spontanément, à Schaerbeek-lez-Bruxelles, une fabrique de métiers à tricoter.

Cette industrie est toute nouvelle pour la Belgique, et permet aujourd'hui, aux nombreux fabricants de bonneterie de Bruxelles, Gand, Anvers, Tournai, etc., avec lesquels le sieur Jacquin est en relation, de trouver dans le pays des machines pour lesquelles ils étaient auparavant tributaires de la France. Depuis un an ou deux, la fabrication indigène commence même à lutter sur les marchés étrangers avec l'Angleterre et la Saxe, lutte qu'elle n'aurait pu soutenir avant l'introduction de l'importante industrie du sieur Jacquin.

L'exercice de cette industrie nécessite l'emploi d'appareils de physique et de chimie et notamment de piles galvaniques ; ces piles sont d'un usage vulgaire, usuel dans toutes les sciences qui font l'application de l'électricité et du galvanisme. Il y en a trois cents à la seule station du Nord pour le télégraphe électrique.

Néanmoins, le sieur Jacquin ayant acheté de semblables objets à quelques marchands de la capitale, sa qualité de mécanicien et de chimiste l'a fait soupçonner d'être l'auteur de la machine infernale de Lambersart dans la composition de laquelle il entrait des piles galvaniques pour déterminer l'explosion de la matière fulminante.

Il est à remarquer que le sieur Jacquin n'avait nullement été désigné par les autorités françaises aux recherches de la police belge. Jamais il ne s'était occupé de politique ; jamais non plus la moindre plainte n'avait surgi contre lui. C'est, au contraire, la police belge qui s'est émue, uniquement parce que le sieur Jacquin avait acheté quelques piles de Bunsen, c'est la police belge qui l'a désigné aux autorités françaises.

Jacquin a été arrêté le 15 décembre 1854, à Schaerbeck ; le 6 janvier suivant on arrêtait son ouvrier, contre-maître, qui porte par hasard le même nom que lui et qu'on croyait son frère et son complice.

L'instruction la plus minutieuse fut faite en Belgique à charge de Jacquin, Deux juges instructeurs se succédèrent ; il fut procédé à des interrogatoires, à des auditions de témoins, à des confrontations, à des perquisitions domiciliaires, et enfin Jacquin fut soumis fort longtemps au secret le plus rigoureux.

De toutes ces mesures, la loi n'en autorise qu'une seule ; on lit, en effet, dans la loi sur l'extradition (article 3) : « Après l'ordonnance de l'arrestation, le juge d'instruction est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87 et 90 du Code d'instruction criminelle, » c'est-à-dire à faire des visites domiciliaires pour saisir le corps du délit, ce qui exclut tout autre acte d'instruction.

Mais enfin, puisqu'une instruction complète avait été faite en Belgique, puisque le parquet de Bruxelles s'était chargé de la besogne du parquet de Lille, cette instruction aurait dû être soumise à la chambre des mises en accusation, appelée par la loi à donner un avis sur l'extradition, et par suite à examiner, non seulement en droit si la loi du 1er octobre 1833 est applicable à l'espèce, mais encore à peser tous les faits qui peuvent établir l'innocence des accusés.

Les sieurs Jacquin avaient dès le mois d'avril réclamé de M. le procureur général de Bavay communication des pièces pour préparer leur défense. Cette communication essentielle leur fut refusée. La lettre de M. le procureur général, en date du 7 avril, en réponse à la demande qui lui avait été adressée, porte en termes.

« Bruxelles, 7 avril 1855.

« Le procureur général, soussigné, croit devoir informer les détenus Jules Jacquin et Célestin Jacquin, en réponse à leur lettre de ce jour, qu'il a transmibe au parquet de Lille, par sa dépêche du 6 février et en exécution d'une invitation écrite de M. le ministre de la justice, en date du 5 février, toutes les pièces de l'information à laquelle a procédé M. le juge Ambroes, par suite d'une délégation de son collègue de Lille. Il serait donc impossible au procureur général soussigné de mettre ces pièces sous les yeux de la cour, alors même qu'elle pût examiner autre chose que le texte même de l'arrêt de renvoi, qui sert de base à la demande d'extradition.

« Signé : de Bavay. »

Il semble vraiment, d'après la marche suivie, que la Belgique et la France ne fassent plus qu'un seul et même pays soumis à une seule et même volonté ! Quoi ! un juge d'instruction de Lille pourra envoyer des délégations à un juge instructeur de Bruxelles pour entendre des témoins, pour mettre des prévenus au secret, pour faire chez eux des visites domiciliaires même en leur absence, pour saisir des papiers, les envoyer en France, et porter ainsi atteinte au droit de souveraineté nationale, et pour agir ainsi il ne faudra pas même recourir à la voie diplomatique ! Cela est inouï dans un pays libre comme le nôtre. La mesure dont les sieurs Jacquin sont les victimes pourrait frapper chacun de nous si on se permettait de la sanctionner, car il n'y a à cet égard aucune différence entre les étrangers et les régnicoles.

Aussi cette mesure, loin d'avoir été sanctionnée, a-t-elle été flétrie, comme elle méritait de l'être, par la chambre des mises en accusation de Bruxelles, dans son avis du 19 mai dont voici les termes ;

« Quant aux antécédents des défendeurs,

« Attendu que le ministère public n'a rien produit qui leur soit défavorable ;

« Quant aux circonstances de l'accusation,

« Attendu que l'instruction, en ce qui concerne les défendeurs, a été faite en Belgique ; que toutes les pièces de cette instruction, et notamment les papiers saisis, ont été soumis à la police de France sans que la cour en ait eu communication, et que par suite il lui est impossible d'apprécier ici la nature et la portée des circonstances révélées par ladite instruction, ce qui est au moins regrettable dans une affaire de cette gravité ;

« Par ces motifs, la cour, à l’unanimité, est d'avis, en droit, que la loi d'extradition s'oppose à la demande formée contre Jules et Célestin Jacquin, et déclare, en outre, que le défaut de pièces la met dans l'impossibilité de tssprononcer sur les circonstances de fait qui peuvent militer en leur faveur. »

Cette leçon, donnée officiellement au parquet et au ministère, honore la magistrature belge.

Si les pièces avaient été soumises à la cour de Bruxelles, nul doute que l'innocence des Jacquin ne fût devenue évidente ; absorbé tout entier par les soins de son industrie, Jules Jacquin ne s'est jamais occupé de politique jusqu'à ce jour ; il n'a pas mis le pied en France à l'époque où aurait eu lieu le complot qu'on lui impute ; il a voyagé en Suisse et en Italie à l'époque de l'attentat ; parti de Bruxelles le 20 juillet 1854, c'est à-dire longtemps avant qu'il ne fût même question du voyage de l'empereur Napoléon en Belgique, il n'est revenu que le 21 septembre, c'est-à-dire onze jours après l'événement. Son passe-port, visé dans toutes les localités qu'il a traversées attestait son voyage ; il a été envoyé en France avec toutes les autres pièces, et il est, comme les autres pièces, à la merci de la police française. C'est dans cet état qu'on voudrait livrer les Jacquin au gouvernement étranger qui les réclame, tout en les laissant dépourvus de leurs moyens de justification.

Enfin, le seul indice qui pouvait être invoqué contre Jacquin s'évanouit devant les dépositions nettes et précises des témoins qui ont été entendus en Belgique ; Jacquin avait acheté des piles galvaniques et des fils de cuivre recouverts de coton qui en sont l'annexe indispensable, chex M. Staadz, quincailler, Melotte, passementier, et Sacré, mécanicien ; eh bien, appelés devant le juge d'instruction, ces messieurs n'ont pas reconnu les objets saisis à Lambersart pour avoir été vendus par eux à Jacquin ; ils n'ont même pas pu dire si ces objets provenaient réellement de leurs magasins.

Toute accusation est en résumé bâtie sur une erreur évidente ; les antécédents, la position sociale, la fortune, le caractère du sieur Jacquin, suffisaient pour en démontrer l'inanité, et la cour d'appel l'aurait vraisemblablement reconnu, si' l'appréciation des circonstances de fait lui avait été déférée comme elle aurait dû l'être d'après le vœu de la loi ; j'ajouterai : si les dispositions protectrices de la défense n'avaient pas été violées.

Et voyez, messieurs, quelle est aujourd'hui la position faite au sieur Jacquin.

Si le sienr Jacquin venait à être livré au gouvernement français, il serait privé des moyens de défense que la loi garantit à tout accusé, il n'aurait aucune ressource pour faire contrôler en France par des dépositions orales les dépositions écrites, recueillies contre lui avec la plus grande partialité.

Pour prouver cette partialité, je citerai les faits suivants ;

1° M. Spauoghe, juge d'instruction, qui avait commencé l'information, a été bientôt remplacé par un autre juge, M. Ambroes, ce qui ne se fait jamais. Pourquoi cette mesure exceptionnelle ?

2° Le sieur Jacquin a été soumis à un secret rigoureux pendantceinq semaines, alors que la loi n'autorise pas cette mesure en matière d'extradition.

3° Les visites domiciliaires pratiquées chez lui ont été faites hors sa (page 1293) présence malgré ses réclamations, ce qui constitue une violation formelle des articles 39 et 59 du Code d'instruction criminelle.

4° Les objets saisis ont été envoyés en France sans avoir été soumis préalablement à la chambre du conseil, sans l'autorisation de cette chambre, sans que les prévenus aient été entendus ; ce qui constitue une violation formelle de l'article 3 de la loi sur l'extradition ainsi conçu ;

« La chambre du conseil décidera également, après avoir entendu l'étranger, s'il y a lieu ou non de transmettre en tout ou en partie les papiers et autres objets saisis au gouvernement étranger qui demande l'extradition. »

5° Une instruction complète a été faite contre les prévenus alors que la loi sur l'extradition (article 3) n'autorise que des perquisitions domiciliaires. Ce point est excessivement grave si l'on réfléchit qu'une fois livré, le sieur Jacquin sera jugé uniquement sur cette procédure écrite.

6° Dans l'instruction faite en Belgique, on n'a fait déposer que des témoins à charge et pas un seul témoin à décharge. On n'a pas même fait appeler les personnes qui eussent pu établir l'alibi des accusés à l'époque de l'attentat, et notamment M. Philippe Dekepper, de Hamme, qui voyageait en Suisse avec les Jacquin, quelques jours avant cette époque. Or, il est impossible que les accusés obligent ces témoins à aller compléter en France l'instruction faite en Belgique d'une manière si peu équitable.

7° Les pièces de cette instruction illégale ont été expédiées en France sans qu'on les ait communiquées en original ou en copie à la chambre des mises en accusation spécialement chargée par la loi d'entendre la justification des accusés et d'examiner toutes les circonstances du crime. L'instruction faite en Belgique devait être soumise à la cour qui, dans son avis motivé, a blâmé énergiquement la conduite tenue par le parquet sur ce point.

8° Un ouvrier du sieur Jacquin, du nom de Morris, a été, au mois d'avril, arrêté chez lui, à 6 heures du matin, séquestré pendant toute une journée au palais de Justice, et remis seulement le soir en liberté, après avoir subi une confrontation avec deux agents de la police française. On ne lui a remis aucun mandat d'amener ou de dépôt, et on ne pouvait pas lui en remettre, car la loi s'y opposait formellement.

Comment qualifiera-t-on cet acte que je signale au pays du haut de cette tribune ?

Ainsi ni la liberté individuelle, ni l'inviolabilité du domicile, ni la dignité nationale n'ont été respectées dans cette procédure.

De tous ces faits, il résulte que le sieur Jacquin a été l'objet d'une•série de mesures arbitraires et illégales, que ses moyens de défense ont été paralysés et qu'ils le seront encore s'il est livré. Son extradition serait donc une iniquité en fait.

Mais elle serait encore une monstruosité en droit, et c'est ce que la chambre des mises en accusation, dans son avis du 19 mai, a démontré à la dernière évidence ; dans l'impossibilité où elle était placée par le parquet d'examiner les faits, elle s'est bornée à traiter la question de droit et à démontrer que la loi d'extradition ne peut pas être appliquée dans l'espèce.

Je ne vous lirai pas, messieurs, le texte de l'avis du 19 mai ; il se trouve dans la « Belgique judiciaire » du 24 mai. C'est un document qui fait honneur à la magistrature belge et qui mérite d'être lu avec attention.

En résumé, la chambre des mises en accusation établit que la loi du 1er octobre 1835 ne permet l'extradition que pour certains crimes privés, mais qu'elle ne la permet jamais pour des crimes où délits politiques, des crimes privés, fussent-ils même connexes à ces crimes ou délits politiques ; elle démontre ensuite que les faits dont les sieurs Jacquin sont accusés, tels qu'ils sont qualifiés par l'arrêt de la chambres des mises en accusation de la cour de Douai, ne constituent et ne peuvent constituer que des crimes politiques.

En vain voudrait-on, à l'avis de la chambre des mises en accusation de Bruxelles, opposer l'arrêt de la cour de cassation et l'arrêt de la cour d'appel de Liège, car ces derniers arrêts ont été rendus dans une espèce tout à fait différente.

Quand le sieur Jacquin a demandé sa mise en liberté provisoire par voie d'arrêt, la cour de cassation a décidé, il est vrai, que la prévention d'attentat contre l'Empereur et de tentative d'assassinat contre les personnes de sa suite, tombent sous l'application du terme « assassinat » employé dans la loi sur l'extradition et qu'ainsi il y avait lieu à maintenir l'arrestation provisoire des prévenus.

Mais déjà alors, dans le réquisitoire qu'il prononçait devant la cour de cassation, l'honorable M. Delebecque, avocat général, reconnaissait que si l'attentat contre l'empereur eût été un délit politique dans le sens de la loi, la tentative d'assassinat contre les personnes de sa suite aurait été un fait connexe à ce délit politique, et que l'arrestation n'aurait pu alors avoir lieu ni pour l'un ni pour l'autre de ces deux crimes.

Or, aujourd'hui cette hypothèse se réalise ; la prévention de tentative d'assassinat a fait place, depuis l'arrêt de la cour d'appel de Douai, à une accusation de complot tramé avec neuf personnes. Voilà certes un délit politique et c'est avec infiniment de raison que la cour de Bruxelles a reconnu à l'unanimité qu'une accusation de complot et de tentative d'attentat tombe sous la prohibition de l'article 6 de la loi qui interdit l'extradition pour délits politiques et faits connexes à de semblables délits.

En outre, la cour de Bruxelles a déclaré que d'après l'ensemble de l'arrêt de renvoi rendu par la cour de Douai, d'après les faits articulés dans cet arrêt, il s'agit dans l'espèce d'une véritable conspiration, ayant pour but de changer le gouvernement français, conspiration ourdie par un grand nombre de personnes dont neuf sont nommées dans l'arrêt.

Enfin, il faut remarquer que l'arrêt de renvoi, rendu par la cour de Douai, ayant éliminé l'accusation de tentative d'assassinat articulée à l'origine dans le mandat d'arrêt, il s'ensuit nécessairement qu'il ne s'est pas rencontré, dans l'espèce, les éléments nécessaires pour constituer la tentative légale d'assassinat ; il n'y a eu dans ce qui s'est passé sur le chemin de fer de Lille que des faits préparatoires, ce qui suffit pour qu'il y ait un attentat contre le prince, à cause de l'élasticité de l'attentat du Code pénal, mais non pour qu'il y ait une tentative d'assassinat contre les particuliers.

En deux mots, l'accusation se réduit à ceci ; il y a eu une conspiration dans le département du Nord pour changer la forme du gouvernement, il y a eu un complot formé contre l'empereur, il y a eu un commencement de mise à exécution ; mais le complot n'ayant jamais existé qu'à l'état de projet, tout s'est réduit à des actes préparatoires connexes à un délit politique, à une conspiration. Accorder l'extradition, ce serait aller directement contre le vœu et le texte de la loi de 1833.

Le ministère était tellement convaincu de la force des arguments qui servent de base à l'avis du 19 mai, qu'il a cherché à faire revenir la cour de Bruxelles de sa première opinion. Il a donc chargé le chef du parquet d'adresser un nouveau réquisitoire à la chambre des mises en accusation sous le vain prétexte que le premier avis serait frappé de nullité parce qu'il ne mentionne pas la présence des accusés devant la cour, alors que ces accusés ont été extraits de la prison à la réquisition même de M. le procureur général, et ont été interrogés par lui dans le sein de la chambre des mises en accusation.

Mais la cour de Bruxelles, qui ne donne que des avis marqués au coin de la plus complète indépendance, qui rend des arrêts et non des services, s'est bornée, tout en constatant que les accusés avaient été entendus devant elle, a persévéré dans son premier avis.

Maintenant, que le ministère y songe sérieusement. Il s'agit pour lui de poser un acte grave qui est de nature à compromettre la dignité du pays, en se mettant, en opposition formelle avec l'autorité judiciaire. J'aime encore à croire qu'il n'engagera pas sa responsabilité à ce point.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, mon honorable collègue, M., le ministre de la justice répondra, s'il lui convient, à la discussion des points de droit à laquelle vient de se livrer l'honorable M. Verhaegen. Je me bornerai à donner à la Chambre connaissance des faits et de la résolution du gouvernement.

Les sieurs Jacquin, vous le savez, messieurs, ne sont pas des réfugiés politiques ; ils ne sont pas exilés de leur pays. Sortis spontanément de France, ils sont venus, de leur plein gré, habiter Bruxelles. Sont-ils venus s'y fixer pour pouvoir, plus à leur aise, conspirer contre le gouvernement français ? M. le procureur général près la cour de Douai les en accuse, et la chambre des mises en accusation de cette cour donne raison au réquisitoire du magistrat, puisqu'elle somme les Jacquin de venir se justifier, devant le jury du département du Nord, du crime d'attentat contre la vie de l'Empereur.

Les Jacquin protestent de leur innocence. Nous allons leur fournir le moyen de faire éclater cette innocence au grand jour.

M. le ministre de France à Bruxelles vient de m'informer officiellement que le gouvernement de l'Empereur, tout en réservant, en principe, les droits qu'il tient de la convention d'extradition intervenue entre la France et la Belgique, n'insiste plus sur la demande d'extradition de Célestin Jacquin et de Jules Jacquin.

Ce soir, les portes de la prison s'ouvriront devant eux ; ils seront libres.

En présence de cet acte de bon voisinage, qui atteste à un haut degré les relations amicales qui existent entre les deux pays, le gouvernement du Roi a des devoirs à remplir, et il les remplira dans l'intérêt de la dignité du pays et du renom belge à l'étranger.

Il ne faut pas qu'on puisse dire en Europe.que la Belgique est une citadelle inexpugnable, ouverte à tous les étrangers qui voudront s'y installer pour guetter le moment le plus favorable à un crime, le plus propice à un assassinat sur la personne de leur souverain.

Il ne faut pas qu'on puisse dire, et ce langage, messieurs, on le tiendrait inévitablement, il ne faut pas qu'on puisse dire que des étrangers, qui ne sont pas exilés de leur pays, qui peuvent y rester et y conspirer à leurs risques et périls, viennent, s'abritant derrière une loi obscure comme derrière un rempart, faire de la Belgique le centre de leurs menées homicides et le dépôt de leurs munitions de guerre.

Les Jacquin seront donc rendus à la liberté aujourd'hui ; demain je leur écrirai, pour les informer du désistement du gouvernement français. Je les engagerai en même temps à nous prouver leur innocence autrement que par des protestations ; je leur demanderai que, forts du témoignage de leur conscience, ils fassent ce que chacun de nous ferait certainement à leur place, qu'ils aillent se constituer librement et volontairement prisonniers à Douai, pour y être jugés par leurs concitoyens, par le jury de leur pays.

(page 1294) Après leur acquittement, ils seront les bienvenus en Belgique, si leur volonté est d'y rentrer. Mais si, après dix jours, à dater de demain, les Jacquin n'ont pas satisfait au désir que je leur aurai, exprimé, ils seront mis en demeure de désigner eux mêmes le côté de la frontière, autre que la frontière de France, par lequel ils voudront quitter la Belgique ; sinon, ils seront expulsés.

A l'ouverture de la session prochaine, le gouvernement pour lever toute espèce de doute sur le sens de la loi d’extradition, présentera aux Chambres un projet de loi, qui assimilera purement et, simplement l'assassinat d'un souverain étranger à l'assassinat de toute autre personne.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - essieurs, devant la déclaration que vient de faire mon honorable collègue, M. le ministre des affaires étrangères, la portée pratique de cette discussion s'est considérablement affaiblie. Je pourrais donc me dispenser de répondre à l'honorable M. Verhaegen. Je pourrais dire encore que les actes dont il s'agit et que l'honorable membre a incriminés si vivement, sont l'œuvre du cabinet qui nous a précédé, et que dans toute cette procédure un seul acte dont je parlerai tantôt, appartient au cabinet dont j'ai l'honneur de faire partie. Mais je ne décline pas la solidarité des actes posés par mon honorable prédécesseur.

Je crois ces actes justes, légaux, conformes aux précédents et aux intérêts du pays, j'en accepte, je le répète, toute la solidarité.

L'honorable M. Verhaegen a débuté par la discussion des faits ou charges qui peuvent peser sur les deux Jacquin.

Il m'est impossible de le suivre sur ce terrain qui nous est inconnu. J'ose dire que ce terrain, l'honorable M. Verhaegen n'a pas pu le parcourir en connaissance de cause ; il lui a été interdit, parce que les charges qui pèsent sur les Jacquin résultent d'une instruction qui s'est faite en pays étranger au principal et accessoirement chez nous.

Comment dès lors peut-on prétendre qu'il n'existe aucune charge contre eux ? C'est une appréciation qui échappe à tout le monde ; elle n'est possible que pour la magistrature française. Elle nous a dit ce qu'il faut croire des charges qui existent contre les Jacquin, elle déclare par un arrêt formel rendu par la Cour impériale de Douai, sur le réquisitoire du procureur général le 19 février dernier, qu'il résulte de l'instruction charges suffisantes contre les Jacquin, d'avoir, en 1854, à Lambersart, commis une tentative d'attentat contre la vie de l'empereur, laquelle tentative, manifestée par un commencement d'exécution, n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de ses auteurs.

Voilà les présomptions qui pèsent contre les Jacquin, nous ne pouvons pas en connaître d'autres.

L'honorable M. Verhaegen a invoqué à l'appui de son opinion l'avis de la cour d'appel de Bruxelles ou plutôt celui de cinq magistrats de cette cour, qui composent la chambre des mises en accusation. A côté de l'arrêt de ces cinq magistrats, il est juste de mettre en regard les arrêts émanés de la cour de cassation et de la cour de Liège. C'est même mon devoir de le faire.

L'honorable M. Verhaegen a compris que cette opinion consacrée par la cour suprême et la cour de Liège, devait singulièrement affaiblir la portée qu'il faut attribuer à l'avis de la cour de Bruxelles ; il a tenté de démontrer que les questions ne se ressemblent pas ; qu'autre chose est la question soumise à la cour de cassation, autre chose est la question soumise à la cour d’appel de Bruxelles. Il n'en est rien.

La question est la même ; dans le mandat d'arrêt décerné contre les Jacquin, il est question d'attentat et d'assassinat contre les personnes de la suite impériale. Il est vrai que dans l'arrêt de renvoi la tentative d'assassinat a disparu, mais l'attentat contre la vie de l'empereur est maintenu. Il s'agit de savoir si l'attentat est un crime politique ou un crime de droit privé.

Je soutiens, avec la cour de cassation et avec la cour de Liège, qu'en présence de la législation française, non de la législation du Code pénal de 1810, mais de celle de 1832 et de la loi de 1853, l'attentat contre la vie du souverain est un crime de droit commun, c'est-à-dire un assassinat.

Il est donc indispensable que pour contrôler l'avis de la cour d'appel de Bruxelles, vous connaissiez celui de la cour de cassation. Voici comment s'exprime cette cour :

« Considérant qu'il résulte de la combinaison, des lois du 1er octobre 1833 et 30 décembre 1836, et des motifs qui, dans la discussion de cette dernière loi ont fait rejeter la disposition exceptionnelle relative aux délits politiques, que les faits spécialement prévus par l'article premierde la loi de 1833 peuvent donner lieu à l'extradition ou à des poursuites en Belgique, d'après les distinctions et sous les conditions établies par le législateur, toutes les fois qu'ils constituent par eux-mêmes des infractions aux lois naturelles et immuables de la conscience humaine, et sont punis comme tels par les lois pénales de toutes les nations ;

« Qu'il est évident dès lors que le législateur, dans l'article 6 de la loi précitée du 1er octobre 1833 n'a pu entendre par délit politique que les faits dont le caractère exclusif est de porter atteinte à la forme et à l'ordre politiques d'une nation déterminée, et par faits connexes à ces crimes, que les faits dont l'appréciation, sous le rapport de leur criminalité, peut dépendre du caractère purement politique du fait principal auquel ils se rattachent ;

« Mais que, dans aucun cas, cette disposition ne peut s'appliquer à des faits, quel que soit le but que l'auteur ait voulu atteindre, et quelle que soit la forme politique de la nation oùh le fait a été commis, sont réprouvés par la morale et doivent tomber sous la répression de la loi pénale, dans tous les temps et chez toutes les nations ;

« Considérant que d'après l'arrêt attaqué lui-même les faits qui ont motivé l'arrestation provisoire du défendeur constituent un attentat contre la vie de l'empereur des Français, et une tentative d'assassinat contre les personnes qui eussent fait partie du convoi impérial ;

« Considérant qu'il est impossible d'envisager ces faits comme ayant, exclusivement un caractère politique, dans le sens de l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833 ;

« Et qu'ainsi en ordonnant la mise en liberté du défendeur, en vertu de ce dernier article, l'arrêt attaqué a fait une fausse interprétation de cette disposition, et formellement contrevenu à l'article premier de la même loi ;

« Par ces motifs, etc. »

Telle est l'opinion de la cour de cassation, et elle est partagée par la cour d'appel de Liège.

Voici un des considérants de l'arrêt de cette dernière cour ;

« Considérant que l'article premier de la loi du 1er octobre 1833 comprend nominativement l'assassinat parmi les crimes qui peuvent donner lieu à l'extradition ; que les faits tels qu'ils sont qualifiés dans le mandat d'arrêt prérappelé constituent une tentative d'assassinat envers l'empereur des Français et les personnes de sa suite ; que ces crimes rentrent dans la catégorie des délits communs, et ne sauraient être envisagés comme délits politiques ou connexes en l'absence de tout acte tendant à changer ou détruire le gouvernement établi en France ; qu'en supposant même qu'une telle pensée eût animé les auteurs de l'attentat, elle ne pourrait enlever aux faits dont il s'agit, le caractère de criminalité qui leur appartient et les rend passibles des pénalités comminées contre l'homicide par les lois de toutes les nations. D'où il suit que l'exception prononcée par l'article 6 de la loi précitée pour les crimes politiques et délits connexes n'est pas applicable à l'espèce. »

Il y a une considération pratique qui doit vous frapper ; c'est que si la doctrine que je combats était admise, il en résulterait que les Jacquin, s'ils étaient Belges, seraient poursuivis en vertu de la loi de 1836, pour tentative d'assassinat commise à l'étranger par des Belges. Nous les poursuivrions en vertu de cette loi, parce que le crime qui leur serait imputé constitue d'après nos lois un crime du droit commun. L'avis, de la cour d'appel de Bruxelles reconnaissait qu'il en est ainsi, et par une étrange contradiction, elle émet une opinion contraire à l'extradition. Pourquoi ? Parce que la cour a méconnu les dispositions législatives actuellement en vigueur en France.

En France, aujourd'hui, le fait d'avoir attenté à la vie du souverain n'est plus un crime politique ; c'est un crime du droit commun ; c'est un assassinat. C'est la disposition du Code pénal français de 1852 ; c'est la disposition formelle de la loi française de juin 1853 où il est stipulé que l'attentat contre la vie du souverain est un crime du droit commun, soumis à toutes les règles qni régissent ces crimes, et puni de la peine du parricide.

Ainsi, sous l'empire du Code de 1810, un acte simplement commencé était qualifié d'attentat. On faisait à ce crime une position extraordinaire, aggravante à tous égards. D'après la nouvelle législation française, il n'y a attentat que s'il y a commencement d'exécution, dans le sens de l'article 2 du Code pénal, comme pour toute espèce de crime. Donc, en France, ce crime est maintenant considéré comme une tentative d'assassinat contre des individus déterminés, c'est-à-dire qu'il rentre dans la catégorie des crimes communs.

A l'avis des magistrats de la cour d'appel de Bruxelles, j'oppose donc celui de la cour de cassation et de la cour de Liège. Cette dernière opinion se fortifie de la conscience universelle du genre humain, dont la voix unanime répond qu'un assassinat reste un assassinat, quel que soit le mobile de son auteur. Je n'admettrai jamais qu'il puisse exister une loi qui, sous le prétexte de délit politique, accorde l'impunité à des faits punis chez toutes les nations et dans tous les temps, ainsi que le disent les arrêts que je viens de lire. Et j'applique ici ces paroles célèbres : « Il n'y a pas de droit contre le droit. »

Il est essentiel de ne point perdre de vue que c'est la loi du pays qui demande l'extradition qu'il faut ici considérer. Autrement on méconnaîtrait tous les droits du pays avec lequel est conclue la convention d'extradition.

Si le pays qui doit faire l'extradition trouve que l'autre pays modifie la loi en l'aggravant, il lui reste à dénoncer la convention. Mais aussi longtemps que le contrat existe, il faut l'exécuter dans tous ses termes.

Or, notre convention de 1833 avec la France stipule positivement dans son article premier :

« Le gouvernement belge et français s'engagent à se livrer réciproquement les individus mis en accusation ou condamnés, pour l'un des crimes ci-après énumérés, par les tribunaux de celui des deux pays où le crime aura été commis, savoir... assassinat.... etc. »

Telle est la convention ; elle fournit la preuve légale, matérielle de ce que j'avais l'honneur de dire, à savoir qu'en matière d'extradition ce qu'il faut peser, c'est la législation du pays qui demande l'extradition. Il ne suffit pas que la législation belge qualifie le fait d'assassinat ; il faut que la loi du pays qui demande l'extradition le qualifie ainsi. Or, j'ai établi que le fait est qualifié par la cour de Douai de (page 1295) crime contre le droit commun, conformément à la nouvelle législation de la France.

J'ai donc, messieurs, le droit de dire que les Jacquin ne sont pas, comme l'a prétendu l'honorable M. Verhaegen, seulement soupçonnés d'un attentat contre la vie de l'empereur des Français, ils en sont accusés, ce qui est bien différent, d'après les lois et par la magistrature de leur pays dans toutes les formes solennelles qui doivent protéger les citoyens.

L'honorable M. Verhaegen s'est livré à des récriminations, à des accusations graves, si elles étaient fondées, et que je regrette réellement d'avoir entendu sortir de sa bouche. Il nous a déclaré que c'est la police belge qui a désigné les Jacquin à la police française.

Où est la preuve d'une pareille assertion ? Prouvez-la. Quant à moi, j'ai parcouru le dossier ; je n'ai pas trouvé la moindre preuve du reproche que vous émettez ; et quand vous le faites, j'ai le droit de vous sommer de le justifier.

Cette preuve, j'attends que vous la fassiez.

Tout ce qu'il y a d'abord dans le dossier, messieurs, c'est un mandat d'arrêt, émanant des magistrats de Douai, qui demande qu'on arrête Jacquin, puis un autre Jacquin et un nommé Moris. Mais la trace que la police belge aurait indiqué Jacquin à la police française n'existe pas.

D'ailleurs, cela fût-il vrai, j'accepte la position ; n'est-ce pas un acte de bon voisinage que de signaler aux polices étrangères les menées qui s'exercent contre la sécurité de leur pays ? Et vous voyez que ces menées étaient bien sérieuses, puisqu'elles ont abouti à un arrêt de la cour de Douai. C'est un acte de bonne relation réciproque qui se pose tous les jours et il faut en désirer la continuation.

On reproche encore au ministère publie belge, d'avoir fait une instruction complète. D'abord, entendons-nous ; l'instruction a pu être complétée en Belgique ; mais elle n'a pas été faite complètement en Belgique ; elle a été suivie principalement en France. Elle a été complétée chez nous de la manière la plus régulière du monde, la plus conforme à tous les usages, à toutes les règles du droit des gens.

L'honorable M. Verhaegen nous dit que c'est le parquet de Bruxelles qui a fait la besogne du parquet de Lille. Erreur, messieurs ; ce n'est là qu'une accusation hasardée. Qu'a fait le parquet de Bruxelles ? Il a fait ce qui se pratique de temps immémorial ; il a donné cours à des commissions rogatoires émanées des autorités françaises et transmises aux autorités belges par la voie habituelle, par la voie diplomatique. Je sais que l'honorable M. Verhaegen pourrait me dire qu'il n'existe pas de texte formel de loi qui autorise l'exécution de commissions rogatoires. Mais si ce texte n'est pas écrit formellement dans la loi, il est inhérent à la nature des choses ; il tient essentiellement au droit des gens, et il n'y aurait pas de répression possible si les commissions rogatoires, c'est-à-dire les demandes à fin de renseignements émanés d'un magistrat étranger, n'étaient pas susceptibles d'être remplies. Toute espèce de sécurité internationale disparaîtrait et ce serait véritablement, j'ose le dire, l'état sauvage que celui où une pareille commission rogatoire ne serait plus susceptible d'exécution.

Tous les jours, messieurs, nous profitons des avantages que peuvent fournir les commissions rogatoires. Tous les jours nous demandons à la France, à la Prusse, à la Hollande, au grand-duché du Luxembourg que la magistrature de ces pays veuille bien nous prêter aide et assistance pour découvrir des crimes. Aujourd'hui même il s'agit de faire exécuter en France une commission rogatoire sur les faits graves qui, dans la séance d'hier, ont si justement ému la susceptibilité parlementaire ; nous demandons à la France qu'elle veuille bien faire, par une commission rogatoire, des recherches à propos des faits de corruption commis dans l'affaire du chemin de fer du Luxembourg. Nous demandons le bénéfice des commissions rogatoires, et nous repousserions ceux qui nous le demandent !

Je le déclare encore une fois, une pareille doctrine, si elle était admise, nous constituerait à l'état barbare parmi les nations de l'Europe.

Nous avons donc exécuté les commissions rogatoires loyalement, régulièrement. C'est M. le ministre des affaires étrangères de cette époque, l'honorable M. de Brouckere, qui les a adressées à mon honorable prédécesseur. C'est mon honorable prédécesseur qui en a saisi M. le procureur général et c'est ce magistrat honorable, zélé et actif, qui rendre grands services à la chose publique, qui en a saisi le juge d'instruction.

Tout a ainsi, messieurs, été régulier, régulier dans toute la plénitude du mot. C'est le juge d'instruction près le tribunal de Bruxelles, qui a été investi de la commission rogatoire émise par son collègue de Lille et qui dès lors a pu faire et a dû faire, c'était son devoir, tout ce que le Code d'instruction criminelle permet de faire.

Il n'y a pas de distinction du moment où le juge d'instruction est requis, soit en vertu d'une commission rogatoire, soit en vertu d'un autre acte qui saisisse son office, il a droit de faire dans un cas comme dans l'autre, tout ce que lui impose la recherche de la vérité. C'est la recherche de la vérité qui doit le guider, elle est son unique mobile ; il n'a pas à s'enquérir d'où lui vient l'obligation de rechercher la vérité ; qu'elle soit provoquée par un magistrat étranger, qu'elle soit provoquée par un magistrat indigène, peu importe.

Son unique préoccupation doit être la recherche de la vérité, c'est-à-dire aider la société à réprimer les méfaits qui peuvent la léser.

Le juge d'instruction du tribunal de Bruxelles a pu opérer des visites domiciliaires, il a pu même mettre au secret les individus en question, parce que cela tient à l'essence de ses fonctions, au but de l'instruction qu'il lait ; c'est un des moyens d'information, et nul n'a le droit de dire que le juge d'instruction, sous ce rapport, a dépassé son devoir.

L'honorable M. Verhaegen lisant un considérantde l'avis de la chambre des mises en accusation, nous a dit que cette chambre venait de donner une leçon bien méritée au procureur général et au ministère.

J'ignore, messieurs, si la Chambre partagera l'opinion de l'honorable M. Verhaegen. Mais quant à moi, je le déclare, je ne la partage pas. Si quelqu'un devait mériter une leçon, ce ne serait pas le procureur général ni le ministre. Peut-on légèrement énoncer que le procureur général aurait transmis à la police française les documents dont il est question ? Pour énoncer une pareille assertion il fallait en avoir la preuve ; eh bien, cette preuve on ne l'avait pas, on ne pouvait pas l'avoir, car la preuve contraire existe.

Je vais prouver à la Chambre que loin d'avoir communiqué quoi que ce soit à la police française, on a suivi la marche habituelle, et qu'on a renvoyé à la magistrature française l'instruction faite à sa demande, ainsi qu'on le fait toujours en pareil cas.

Le 3 février 1855, le procureur général près la cour de Bruxelles écrivit ce qui suit au ministre de la justice :

« Monsieur le ministre,

« J'ai l'honneur de vous adresser, à telle fin que de droit, l'information faite à Bruxelles au sujet du crime de Lambersart près Lille, en exécution de la commission rogatoire de M. le juge d'instruction de cette dernière ville. »

Et c'est ce magistrat que l'on accuse d'avoir retourné à la police française la commission rogatoire. Mais le procureur général a adressé tout simplement à son chef l'instruction terminée. Il ne s'agit donc pas de la police française, et je demande si le reproche de la chambre des mises en accusation de la cour de Bruxelles peut soutenir un instant l'examen devant cette pièce que je viens de vous lire.

Et que fait le ministre de la justice ? S'adresse-t-il à la police française ?

Ai-jc besoin de vous donner connaissance de sa réponse ? Il suffit déposer la question. Le ministre de la justice de Belgique ne s'adresse pas à une police étrangère.

Il retourne au ministre des affaires étrangères ou, en cas d'urgence, il autorise le magistrat belge à retourner l'instruction au magistrat étranger de qui elle émane. C'est ce qui a eu lieu, car le jour même mon honorable prédécesseur écrivit au procureur général ce qui suit :

« Monsieur le procureur général,

« En vous renvoyant les pièces ci-jointes relatives à l'instruction dirigée contre les sieurs Jacquin et Morris, je vous prie de faire connaître à M. le procureur du roi à Bruxelles que, vu l'urgence, je l'autorise à faire directement le renvoi de ces pièces. »

Or, ces pièces étaient venues du parquet de Douai ou peut-être du parquet de Lille et c'est à l'un ou à l'autre de ces parquets qu'elles ont été retournées.

Vous voyez donc, messieurs, qu'il n'est pas question de l'intervention de la police française et, je le répête, l'assertion de la chambre des mises en accusation est le résultat d'une erreur matérielle ; s'il n'en était pas ainsi j'aurais le droit de dire que c'est un acte d'inconcevable légèreté.

L'honorable M. Verhaegen a dit qu'on avait violé, à l'égard des Jacquin, le droit de défense. C'est encore là une erreur ; on n'a rien violé à l'égard des Jacquin. On a procédé vis-à-vis d'eux tout comme on agit à l'égard des citoyens belges. Ils ont été mis au secret, le juge d'instruction en avait le droit. Ils ont été entendus, l'interrogatoire a même été publié. On leur a représenté les pièces saisies chez eux comme pièces de conviction. On n'a donc violé, à leur égard, aucune espèce de droit de défense. Ils ont eu, devant la chambre des mises en accusation, toute latitude pour se défendre. Nous avons tous lu un mémoire produit en leur faveur. Ils ont donc joui de la liberté de défense la plus entière.

J'arrive, messieurs, à un reproche bien plus grave que l'honorable M. Verhaegen a cru pouvoir adresser à la magistrature ou tout au moins à quelques magistrats belges. Ce reproche me surprend de la part de l'honorable préopinant, qui doit savoir combien la magistrature est au-dessus d'une pareille atteinte.

L'honorable M. Verhaegen a émis cette assertion si grave que les faits auraient été recueillis « avec la plus extrême partialité ». Mais vous reprochez donc presque une forfaiture à un magistrat.

Votre reproche porterait directement sur le juge d'instruction, magistrat honorable. Permettez-moi de croire que c'est d'entraînement que vous avez parlé, que c'est sans réflexion que vous avez émis cette assertion. Car si vous croyez réellement que ce magistrat ait agi avec une extrême partialité, vous deviez le dénoncer publiquement, vous deviez le signaler au ministre de la justice et provoquer sa destitution. Un magistrat qui agit avec partialité est un magistrat indigne qui viole le premier de ses devoirs. Mais, grâce au ciel, le magistrat dont il s'agit est incapable d'une pareille conduite.

L'honorable M. Verhaegen a prétendu qu'on a violé, à l'égard des Jacquin, toute la législation, qu'on les a mis hors la loi, qu'on les a traités avec une rigueur inusitée, qu'on a complètement méconnu à (page 1296) leur égard toutes les règles protectrices des étrangers, et notamment il a reproché au ministère public de ne pas avoir communiqué à la chambre des mises en accusation les pièces de l'instruction première. Eh bien, messieurs, il était impossible au ministère public de produire devant la chambre des mises en accusation les pièces dont il s'agit, par une excellente raison, c'est que ces pièces étaient déjà transmises à la magistrature française.

M. Verhaegen. - Il ne fallait pas les transmettre.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je dis, moi, qu'il fallait les transmettre et je tiens que la chambre des mises en accusation n'avait pas le droit de demander la production de ces pièces, qu'elle est sortie de ses attributions et qu'elle a méconnu complètement la législation sur les extraditions. Car, messieurs, pour aller jusqu'au bout dans ce système, il faudrait que la chambre des mises en accusation eût non seulement devant elle une partie de l'instruction mais toute l'instruction ; il faudrait non seulement qu'elle se fît remettre l'instruction écrite, mais qu'elle entendît les témoins, en un mot qu'elle jugeât le procès. C'est ce qui est contraire à la nature des choses, contraire aux conventions internationales.

Que dirions-nous si un gouvernement étranger nous demandait l'instruction que nous aurions faite contre le régnicole dont nous exigerions l'extradition ? Nous refuserions infailliblement et avec raison. Ce que l'on doit examiner est le point de savoir si la pièce qu'on produit est régulière dans la forme, si elle émane d'une magistrature régulièrement instituée, enfin si le fait, tel qu'il est qualifié, rentre dans le cadre de la loi d'extradition.

Mais quant à juger le fond du débat c'est impossible, c'est l'office de la magistrature étrangère ; nous l'attribuer ce serait avoir la prétention d'exercer un droit de souveraineté dans un pays étranger. Proclamez donc une pareille doctrine, et vous verrez combien de temps dureront vos conventions d'extradition.

L'honorable M. Verhaegen nous reproche encore d'avoir violé, à l'égard des Jacquin, une disposition formelle de la loi, celle de l'article 3 qui stipule que la chambre du conseil décidera après avoir entendu l'étranger, s'il y a lieu ou non, de transmettre tout ou partie des papiers et autres objets saisis, au gouvernement étranger qui demande l'extradition.

Cela est vrai. Le seul corps qui puisse demander les pièces, c'est la chambre du conseil, au moment de rendre exécutoire le mandat. Si l'individu est déjà arrêté et si on a saisi sur lui ou à son domicile des pièces, des papiers. Pourquoi ? Parce que l'étranger a été arrêté sans l'intervention du juge et qu'il peut y avoir des pièces qui ne concernent pas le fait pour lequel il est poursuivi et qu'il serait équitable de lui rendre.

Voilà ce que la chambre du conseil doit examiner ; la chambre du conseil, mais non pas la chambre des mises en accusation. C'est un objet qui concerne exclusivement la chambre du conseil et qui se rapporte uniquement aux papiers saisis sur l'étranger au moment de son arrestation.

Or, il y avait une raison décisive pour qu'on ne soumît pas à la chambre du conseil des pièces de ce genre, c'est qu'on n'en a saisi aucune chez Jacquin au moment de son 'rrestation. Cela résulte d'une lettre de M. le procureur général, en date du 30 décembre 1834, adressée à son chef, M. le ministre de la justice, et qui porte :

« Monsieur le ministre,

« J'ai l'honneur de vous informer, en réponse à votre lettre de ce jour, qu'une perquisition minutieuse a eu lieu chez Jules Jacquin, au moment de son arrestation, mais qu'elle n'a produit aucune espèce de résultat. »

On ne pouvait donc remettre aucune pièce, puisqu'il n'y en avait pas. Mais plus tard on a fait une instruction plus ample ; la magistrature est intervenue, alors on a pu saisir des pièces. J'ignore en quoi consistent ces pièces ; cette instruction a été faite en Belgique et renvoyée en France, mais elle est nécessairement restée secrète, comme toute espèce d'instruction. Ainsi, le reproche articulé par l'honorable membre n'est pas fondé, et on n'a pas violé à l'égard de Jacquin les dispositions protectrices du dernier paragraphe de l'article 3.

En dernier lieu, l'honorable préopinant nous a reproché, et c'est là le seul acte personnel au cabinet dont je fais partie, d'avoir ces jours derniers renvoyé à la chambre des mises en accusation l'avis qu'elle avait primitivement émis. Nous avons dû faire ce renvoi, parce que l'avis était complètement irrégulier ; il y manquait une formalité substantielle.

D'après la loi sur les extraditions, il faut que la chambre des mises en accusation fasse comparaître devant elle l'étranger et constate son identité.

C'est seulement sur la production d'un avis pareil que le ministre peut décider, c'est là ce qui doit le couvrir ; il lui faut la garantie de l'identité ; sinon, il pourrait être exposé à livrer un homme qui n'est pas poursuivi et à commettre un mal irrémédiable.

Il faut donc que l'avis constate cette formalité et il n'en portait aucune trace. Je pouvais officieusement croire que Jacquin avait été entendu, mais il me fallait la consécration officielle de cette connaissance, il la fallait pour moi, il la fallait pour mes collègues. C'est la condition essentielle d'un avis.

J'ai donc demandé à M. le procureur général de saisir de nouveau la chambre des mises en accusation et de provoquer un avis régulier. Je n'ai pas demandé que la chambre délibérât de nouveau sur la question de droit, j'ai demandé seulement qu'elle se conformât à la loi dans une de ses dispositions fondamentales.

M. Verhaegen. - Messieurs, je félicite sincèrement le gouvernement d'être parvenu à engager le gouvernement français à renoncer à sa demande d'extradition ; mais je ne félicite pas M. le ministre de la justice de la discussion à laquelle il vient de se livrer et qui va directement à l’encontre du but que s'est proposé M. le ministre des affaires étrangères.

Si l'on est parvenu à engager le gouvernement français à renoncer à sa demande d'extradition, c'est que probablement on aura exposé au gouvernement français de bonnes raisons pour cela, c'est qu'on aura invoqué l'avis de la chambre de mises en accusation, et l'on a parfaitement bien fait. Aussi, le langage que nous a tenu tout à l'heure l'honorable vicomte Vilain XIIII peut-il être approuvé de nous tous ; c'est un langage fort sage que son collègue M. le ministre de la justice aurait dû laisser intact.

En effet, l'honorable ministre de la justice veut prouver que c'est à tort qu'on s'est adressé au gouvernement français pour l'engager à renoncer à la demande d'extradition, que cette demande était bien fondée, puisque la loi était applicable et que l'arrêt de la cour de Douai établissait des charges suffisantes contre les Jacquin. Mais, qu'il me soit permis de le dire, l'empereur Napoléon III a respecté l'arrêt de la cour de Bruxelles, alors que le ministre de la justice vient le combattre.

C'est une contradiction qui n'échappera à personne. Comme je viens de le dire, on est parvenu à engager le gouvernement français à renoncer à sa demande d'extradition ; j'en félicite de nouveau M. le ministre des affaires étrangères, mais voilà M. le ministre de la justice qui se lève pour lui dire : « Vous avez eu tort de faire cette démarche auprès du gouvernement français ; il y avait lieu à extradition ; la loi était applicable ; les charges étaient suffisamment établies. »

Messieurs les ministres s'arrangeront entre eux pour expliquer cette contradiction qui est manifeste pour tout le monde. Je n'en dirai pas davantage sur ce point.

Je vais, messieurs, en peu de mots vous exposer ce que M. le ministre de la justice aurait dû vous dire pour venir en aide à M. le ministre des affaires étrangères.

La loi d'extradition n'était évidemment pas applicable, dans l'état où se trouvait l'affaire, lorsque a été porté l'arrêt de la cour de Douai. Je comprends très bien qu'il pouvait y avoir tout au moins lieu à controverse, dans l'état où se trouvait l'affaire, en présence de l'ordonnance de prise de corps décernée par la chambre de conseil du tribunal de Douai.

Le fait était alors qualifié d'attentat contre la personne de l'empereur et en outre de tentative d'assassinat contre les personnes qui auraient fait partie du convoi impérial.

On a prétendu que c'étaient là des crimes privés et non des crimes politiques, crimes privés qui rentraient dans les termes de l'article premier de notre loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions.

La cour de cassation l'a jugé ainsi, la cour d'appel de Liège, après la cour de cassation, a adopté le même système. Eh bien, quelque controverse qu'il puisse y avoir à cet égard, je veux aussi bien me ranger à cet avis ; j'admets la jurisprudence de la cour de cassation et de la cour d'appel de Liège.

Mais l'affaire avait complètement changé de face après l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour de Douai. L'ordonnance de prise de corps avait été annulée sur un point principal ; on avait écarté la tentative d'assassinat sur les personnes qui auraient fait partie du convoi impérial ; par cela même on avait écarté aussi la tentative d'assassinat contre la personne de l'empereur, puisque l'empereur et toutes les personnes de sa suite devaient faire nécessairement partie d'un seul et même convoi.

Mais ne nous arrêtons pas encore à cette observation, qui pourrait paraître spécieuse. Allons plus loin, constatons que l'arrêt de la Chambre des mises en accusation de la cour de Douai, en annulant la première ordonnance de la Chambre de conseil du tribunal de cette ville, a qualifié le fait de complot concerté entre neuf personnes pour arriver au résultat qu'il indique. Or, dans le système des lois françaises, tout comme dans celui des lois belges, le complot est un crime politique.

Mais ici je dois rencontrer une observation de M. le ministre de la justice ; si j'ai bien saisi la portée de cette observation, elle m'étonne fort de la part d'un jurisconsulte.

Comment ! c'est aux lois françaises qu'on doit recourir pour déterminer la qualification du fait à raison duquel on demande l'extradition, et d'après les lois françaises, l'attentat contre la personne du souverain est mis sur la même ligne que l'assassinat ?

Et c'est M. le ministre de la justice qui se permet de pareilles assertions en présence de la loi du premier octobre 1833, qui détermine d'une manière claire et précise les conditions auxquelles l'extradition peut avoir lieu et sans lesquelles elle est interdite !

D'après la loi de 1833, on ne peut extrader que pour des crimes privés, entre autres, pour rester dans l'espèce, pour assassinat et tentative d'assassinat ; mais, d'après nos lois, est-ce que l'attentat contre la personne d'un souverain constitue un assassinat ou une tentative d'assassinat ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - En France.

M. Verhaegen. - Nous ne sommes pas en France, ce n'est pas la loi française qui nous régit, c'est la loi belge qui doit nous servir de guide.

(page 1297) Veut-on encore de nouveau se lancer dans cette voie fâcheuse qu'on a suivie naguère ? Veut-on continuera soutenir une thèse insoutenable par cela seul qu'on s'est hasardé à la présenter ?

Si c'est là l'intention de M. le ministre de la Chambre, je pense, ne le suivra pas.

Je croirais me manquer à moi-même en insistant davantage sur ce point ; c'est dans nos lois, et spécialement dans la loi de 1833, qu'il faut chercher la qualification du fait ; or, d'après nos lois, l'attentat contre la personne du souverain est autre chose que l'assassinat et la tentative d'assassinat.

Je n'ai pas, messieurs, à m'occuper de l'odieux qui s'attache à des faits de cette nature ; le premier, je les condamne, mais là n'est pas la question ; la question est de savoir si ces faits rentrent dans la nomenclature de l'article premier.

Je demanderai à M. le ministre de la justice si l'attentat contre les personnes ordinaires est mis sur la même ligne que l'assassinat ? Il doit me répondre négativement, car cet attentat n'est pas puni par nos lois pénales. Maintenant si par exception on punit l'attentat contre la personne du souverain c'est qu'il y a là un crime spécial, un crime sui generis, tel qu'il est qualifié par les articles 86 et 90 du Code pénal mais alors aussi c'est un crime politique. Ce qui tranche la question.

L'avis de la cour de Bruxelles a fait impression en France comme en Belgique, car c'est à la suite de cet arrêt que le gouvernement français a renoncé à la demande d'extradition. Je félicite de nouveau M. le ministre des affaires étrangères d'avoir présenté la question sous son véritable point de vue ; mais j'ai lieu de croire qu'il était loin d'être d'accord avec son collègue de la justice, car autrement la contradiction qui s'est produite entre ces deux membres du cabinet serait inexplicable.

C'est une singulière théorie que celle que nous présente M. le ministre de la justice. D'après lui, la chambre des mises en accusation en donnant son avis sur une demande d'extradition, n'a rien à examiner ; fût-il constant que ceux qui sont l'objet de la demande sont innocents du fait qu'on leur impute, elle ne pourrait pas le constater ; mais alors en quoi donc consiste l'avis ?

D'après nous, la chambre des mises en accusation doit examiner le point de fait aussi bien que le point de droit, et c'est précisément dans cet ordre d'idées que la cour a regretté de n'avoir pas eu sous les yeux les pièces d'où aurait pu résulter, claire comme le jour, la justification des Jacquin.

Messieurs, nous avons fait remarquer à la Chambre que plusieurs irrégularités, plusieurs illégalités avaient été commises dans l’instruction ouverte en Belgique ; en nous répondant, M. le ministre de la justice a voulu justifier le parquet, et en justifiant le parquet il a attaqué la magistrature indépendante et inamovible. Lui, qui s'est toujours proclamé le défenseur de la magistrature, se permet d'attaquer aujourd'hui la chambre des mises en accusation, en lui adressant publiquement une mercuriale au sujet de son avis du 19 mai, qui le place si haut dans l'opinion publique.

D'après l'honorable M. Nolhomb, le parquet mériterait des éloges pour la conduite qu'il a tenue, et il n'y aurait que du blâme à déverser contre la magistrature inamovible. Je laisse à M. le ministre de la justice toute la responsabilité de pareilles assertions. Il pourra s'attirer les sympathies des officiers du ministère public ; mais voilà tout.

Il semble vraiment que quand on a prononcé le mot « commission rogatoire », tout soit dit, et qu'il n'y ait plus de formes protectrices à observer. Un juge instructeur étranger, sous forme de commission rogatoire, demandera à un juge d'instruction belge, non pas seulement de vouloir entendre quelques témoins et de faire ainsi acte de bon voisinage, mais encore de faire chez tout individu, régnicole ou étranger, des visites domiciliaires, de l'interroger, de le mettre en prison, au secret même, et tout cela sera toléré et considéré comme parfaitement légal ! Mais n'est-ce pas là abuser d'un mot ? Pour incarcérer quelqu'un, pour l'interroger, le mettre au secret, pour faire chez lui des visites domiciliaires, il faut autre chose que le désir de faire acte de bon voisinage, il faut l’imperium, il faut l'exercice en tout ou en partie du droit de souveraineté, que certes, le juge instructeur étranger n'a pas chez nous.

Messieurs, j'ai dit ensuite qu'on avait violé toutes les lois protectrices de la défense, qu'on avait violé les principales dispositions de la loi d'extradition.

Oh ! non, dit M. le ministre de la justice. Ainsi, par exemple, on a saisi chez les sieurs Jacquin des pièces, en leur absence, alors qu'ils avaient réclamé d'être présents. On ne sait même pas lesquelles. On sait seulement que parmi ces pièces, il y avait un passe-port portant des visas de toutes les localités de la Suisse où Jacquin avait passé. On équivoque sur les mots « police » et autorités françaises.

On avait envoyé les pièces en France, dit le ministère. On ne pouvait donc plus les soumettre à la magistrature belge. Voilà une belle réponse ! C'est précisément parce que vous avez envoyé les pièces aux autorités françaises, au lieu de les soumettre à la magistrature, que je me plains, et que je soutiens que la loi a été violée. Aux termes de l'article 3 de la loi d'extradition qui est formel, c'est à la chambre du conseil qu'il appartient de décider quelles pièces seront envoyées au gouvernement qui demande l'extradition.

L'article 3, dit M. le ministre de la justice, ne s'applique qu'au cas où les pièces ont été saisies avant que la chambre du conseil ne s'occupât de l'affaire. Or, l'affaire était renvoyée devant la chambre des mises en accusation. Mais l'article 3 s'applique évidemment à la chambre des mises en accusation qui remplit les mêmes fonctions que la chambre du conseil, qui est à la cour d'assises ce qu'est la chambre du conseil au tribunal. C'était donc la chambre des mises en accusation qui devait décider quelles pièces devaient être envoyées au gouvernement français. C'était d'autant plus important qu'il y avait parmi ces pièces un passe-port qui établissait l’alibi de Jacquin. Où se trouve ce passe-port ? On l'ignore ; il a été envoyé en France avec toutes les autres pièces.

Nous l'avons dit, et nous le répétons, en matière d'extradition, il n'y a qu'une visite domiciliaire, en présence du prévenu, qui soit autorisée par l'article 33 de la loi.

Procéder à des enquêtes, à des interrogatoires, mettre des prévenus au secret, c'est agir en dehors des prescriptions de la loi, et par conséquent, ce sont des violations flagrantes de la loi.

Les griefs que nous avons formulés sont donc, quoi qu'en ait dit M. le ministre de la justice, complètement justifiés, et lorsque j'ai dit qu'on aurait bien voulu faire revenir la cour d'appel de son premier avis, qui reste comme document judiciaire, j'ai eu parfaitement raison.

On a dit ; L'avis de la Chambre des mises en accusation était incomplet puisqu'il ne mentionnait pas la présence et l'interrogatoire des prévenus. Je savais bien, dit M. le ministre de la justice, que ces formalités avaient été remplies ; mais il m'en fallait la preuve. Eh bien, vous l'aviez ; car le chef du parquet avait fait extraire les prévenus ; et il avait mentionné dans son réquisitoire que les prévenus avaient été interrogés. Le fait était donc constant. Mais on avait un autre but ; on espérait que la chambre des mises en accusation aurait eu la complaisance de revenir sur son premier avis. On a eu une déception, et l'on a vu que la magistrature belge rend des arrêts et non pas des services. C'est à ce point de vue que j'ai dit que c'était une nouvelle leçon que la magistrature belge avait donnée au parquet et au ministère. Oui, notre magistrature, vénérée à si juste titre, vient de donner un nouveau gage de son respect pour la loi qu'elle est chargée de faire exécuter.

Je n'entrerai pas dans d'autres détails ; car la question devient oiseuse. Je ne tenais qu'à établir une chose (et je l'ai fait dans l'intérêt du gouvernement), c'est que M. le ministre de la justice a eu tort de contredire son collègue des affaires étrangères et de chercher à démontrer aux yeux du gouvernement étranger qui avait renoncé à sa demande d'extradition que cette demande était conforme à la loi, et qu'il y avait des raisons pour la maintenir.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Il n'a pas dépendu de moi d'éviter ce débat. L'honorable M. Verhaegen avait été averti par mon honorable collègue des affaires étrangères que le gouvernement français renonçait spontanément à sa demande d'extradition. L'interpellation manquait désormais son but. Il a tenu cependant à faire je ne dirai pas seulement une sortie, mais une attaque contre l'opinion que je crois la bonne. Il a adressé à des membres de la magistrature belge des reproches immérités. J'y ai répondu ; j'ai fait mon devoir.

L'honorable M. Verhaegen donne à mes paroles une portée qu'elles n'ont pas.

J'ai dit qu'en matière d'extradition il fallait se placer au point de vue de la législation du pays qui la demande. Pourquoi ? Parce que la convention avec la France que je viens de vous lire, ne laisse pas de doute à cet égard.

Or, je dis que les Jacquin, s'ils étaient Belges, seraient poursuivis, en vertu de la loi de 1836, parce qu'alors leur crime serait qualifie non d'attentat, mais d'assassinat contre des personnes déterminées.

J'ai ajouté que précisément en France aujourd'hui l'attentat est assimilé à l'assassinat pur et simple. Ainsi d'après la législation des deux pays le fait est qualifié assassinat.

Voilà en quel sens j'ai soutenu qu'il fallait prendre en considération la législation du pays qui demande l'extradition. Admettez un autre système et il n'y a plus d'extradition possible. Le principe de l'extradition disparaît complétement.

M. le président. - Il n'y a plus aucun orateur inscrit. L'incident est clos.

Rapport sur une pétition

M. Van Iseghem, rapporteur. - La commission d’industrie popose le renvoi à MM. les ministres des finances et des affaires étrangères d’une pétition de la chambre de commerce d’Anvers relative à la nationalisation des navires et à la libre entrée des matières servant à leur construction.

M. Rodenbach. - Je ne m'oppose pas au renvoi que la commission d'industrie propose de faire de cette requête à MM. les ministres des finances et des affaires étrangères. Mais je ne crois pas qu'il y ait lieu de détacher du projet de loi de douanes l'article relatif à la nationalisation des navires et d'en faire l'objet d'une loi spéciale. Rien ne justifierait cet empressement ; car la navigation est assez prospère, il entre au moins deux mille navires à Anvers.

D'ailleurs on a supprimé les primes pour construction de navires, tandis qu'on n'a pas supprimé les droits sur les matières employées dans ces constructions telles que bois, câbles, ancres, cabestans, cuivre.

(page 1298) La commission demande que d'emblée nous supprimions les droits qui existent aujourd'hui sur les navires qui se font nationaliser et que l’on se borne à leur faire payer un simple droit de 5 francs par tonneau de mer. Le gouvernement, avant de nous proposer une pareille mesure, doit examiner l'ensemble des droits de douanes.

Je suis tout à fait favorable à la nationalisation des navires, parce que je sais que le bois est très cher en Belgique. Mais nous ne devons pas oublier que nous avons dans le pays des constructeurs de navires, notamment à Boom, à Bruges, à Anvers, et il faut prendre garde d'admettre des mesures qui anéantiraient cette industrie.

Je n'en dirai pas davantage. Je le répète, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'accueillir immédiatement la demande des pétitionnaires ; sinon, d'autres industries auraient le droit de réclamer la même faveur.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, la chambre de commerce d'Anvers, tout en appréciant les motifs qui ont déterminé le gouvernement et la Chambre à ajourner à la session prochaine la discussion du projet de loi sur le tarif des douanes en ce qui concerne les matières premières, a appelé l'attention de la Chambre sur un point qui lui a paru avoir un caractère d'urgence. Elle a demandé la disjonction de l'article qui concerne les navires et bateaux.

Elle s'est appuyée en outre sur deux considérations spéciales.

Elle allègue d'abord que notre marine a fait des pertes considérables depuis quelque temps. Elle ajoute que nous pouvons aujourd'hui acquérir des navires chez les Etats qui sont encore neutres. Mais que si, malheureusement, ces Etats étaient entraînés à prendre part à une guerre générale, nous ne le pourrions plus d'après le droit des gens.

Cette pétition a été renvoyée à la commission d'industrie. Cette commission a donné un avis favorable à la demande de la chambre de commerce à la majorité de 4 voix contre trois abstentions.

J'avais d'abord pensé, messieurs, qu'une proposition de cette nature n'aurait pas rencontré d'opposition dans cette Chambre pourvu que la mesure n'eût qu'un caractère temporaire, ce qui était dans mon intention. De cette manière il me semblait que tous les intérêts restaient saufs. Cependant je me suis assuré que plusieurs honorables membres de cette Chambre se proposaient, si un seul article était disjoint du projet de loi, de faire des propositions de même nature pour beaucoup d'autres, et que par conséquent il s'engagerait une très longue discussion sans issue possible.

La commission d'industrie a d'ailleurs elle-même ouvert la voie à une pareille extension. Elle ne se borne pas à conseiller la disjonction de l'article navires et bateaux, selon le vœu des pétitionnaires ; elle propose en outre de comprendre dans le projet spécial que nous aurions à discuter, une partie de l'article fer, consistant dans les ancres et chaînes pour la marine.

Non seulement elle propose de disjoindre ces deux articles du projet de tarif, mais elle présente deux amendements à ce même projet ; l'un qui concerne le cuivre laminé, et l'autre les cabestans avec leurs accessoires destinés aux navires.

Dans cet état de choses et au point où nous en sommes de la session, le gouvernement ne peut consentir à la disjonction de l'article navires, ni aux ausres dispositions indiquées par la commission d'industrie.

M. Sinave. - Le gouvernement ne consentant pas à disjoindre du projet général l’article « navire » et voulant attendre la discussion de ce projet général, je n’ai plus d’observation à présenter ; je renonce à la parole.

M. Osy. - Je comprends qu'à la veille de la clôture d'une session il serait difficile de discuter une question aussi importante. J'exprime seulement le regret que nous n'ayons pas pu faire une loi qui aurait été très avantageuse pour la navigation.

Dans les circonstances actuelles, nous pourrions encore acheter des navires étrangers. D'autre part, comme un grand nombre de vaisseaux sont employés pour venir en aide à la marine militaire, les frets sont très élevés et il serait très avantageux pour nous d'augmenter notre marine. J'espère qu'à la session prochaine le tarif des douanes sera un des premiers objets dont nous nous occuperons.

M. Manilius. - Je ferai remarquer que la commission d'industrie n'a pas proposé de projet de loi. Elle demande seulement le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances, et elle signale les points capitaux de la demande de la chambre de commerce d'Anvers. M. le ministre des finances vient de nous déclarer qu'il lui était impossible de consentir en ce moment à la disjonction de l'article « navires » ; je crois donc que nous devons nous borner à adopter les conclusions de la commission.

M. Loos. - Messieurs, je ne prendrais pas la parole si M. le ministre des finances n'avait pas fait la déclaration que vous venez d'entendre et que pour ma part je regrette beaucoup. La considération qui le détermine à ne pas consentir à la demande qui nous est faite, c'est que plusieurs membres lui ont annoncé l'intention de demander la disjonction d'autres articles.

Mais je crois que M. le ministre des finances avait à faire valoir, quant à l'introduction des navires étrangers dans le pays, une considération qui n'est pas applicable à d'autres articles du tarif. L'industrie de la navigation n'est pas une industrie comme les autres ; elle sert toutes les autres industries. Plus vous augmentez vos moyens de transport, plus vous rendez service à toutes les industries du pays. Il faut envisager les navires comme vous envisagez les chemins de fer, ce sont des moyens de transport que vous offrez à toutes les industries du pays, et il me semble que toutes les industries du pays ne pourraient que s'applaudir de voir augmenter ce moyen de transport.

Quant aux observations qui auraient été faites relativement à d'autres objets, M. le ministre des finances aurait pu très bien répondre ; Je fais une exception en faveur de la nationalisation des navires parce que c'est un objet qui intéresse toutes les industries ; mais je dois ajourner à la session prochaine des questions qui ne sont pas susceptibles d'être résolues en ce moment.

Je ne comprends pas, messieurs, que par la seule crainte de voir surgir des demandes diverses, on refuse un moyen de transport à toutes les industries du pays.

Depuis le 1er janvier, messieurs, la marine belge, qui est très peu importante, a perdu 9 navires.

Il s'offre aujourd'hui quelques navires pour lesquels on est en marché ; s'ils pouvaient être nationalisés, ils rendraient immédiatement des services au commerce et à l'industrie. Eh bien, vous nous refusez le moyen de profiter de cette occasion pour augmenter la marine belge, la marine belge en faveur de laquelle vous aviez créé des primes. Ce ne sont pas des primes que nous accordons aujourd'hui, nous demandons une simple réduction des droits, et il m'eût semblé tout naturel que M. le ministre se fût réservé de laisser introduire les navires étrangers moyennant un droit réduit, dans l'intervalle des sessions. La marine belge se serait enrichie d'une dizaine de navires et c'eût été un service rendu à toutes les industries du pays.

M. Vermeire. - Messieurs, je crois devoir faire observer que lorsque, dans les premiers jours de notre réunion l'honorable M. Osy, a proposé de disjoindre du projet de loi sur la réforme douanière, l'article concernant la nationalisation des navires, l'honorable M. Loos s'est levé et a dit à la Chambre qu'elle ne pouvait pas examiner isolément cette question, parce que la construction des navires dans le pays est aussi une industrie qui mérite considération. Ce point admis, il est impossible de discuter aujourd'hui un projet de loi sur la nationalisation des navires. La chambre de commerce d'Anvers partage aussi cet avis ; elle dit dans sa pétition que cette nationalisation doit avoir comme corollaire la libre entrée des matières servant à la construction des navires et à leur équipement, tels que ancres, cuivres, cordages, chanvres, etc.

Si donc on mettait en discussion la question de la nationalisation des navires, il faudrait discuter presque tous les articles du projet de loi dont la Chambre a admis l'ajournement.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Formation du comité secret

(page 1299) M. Thiéfry (pour une motion d’ordre) - J'ai appris que l'intention du gouvernement était de demander le comité secret pour la discussion du projet de loi des 9 millions. Je n'ai aucune observation à présenter à cet égard, si M. le ministre de la guerre doit faire à la Chambre des communications qui soient de nature à ne pas être publiées ; mais quant à la discussion du projet, je pense qu'il est de l'intérêt du pays que la plus grande publicité soit donnée à nos débats. Le comité secret dans cette circonstance n'aurait pas d'autre but que d'étouffer la discussion.

(page 1298) M. de Theux. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. - Je dois interrompre M. Thiéfry. L'article 33 de la Constitution est ainsi conçu :

« Les séances des Chambres sont publiques.

« Néanmoins chaque Chambre se forme en comité secret, sur la demande de son président ou de dix membres.

« Elle décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance doit être reprise en public sur le même sujet. »

Voici maintenant quel est l'usage constant de la Chambre.

Lorsque le président a décidé le comité secret, il fait connaître les motifs de sa décision et la Chambre se prononce sur le point de savoir si la séance doit être rendue publique.

C'est là la marche que je me propose de suivre.

La parole est à M. de Theux pour un rappel au règlement.

M. de Theux. - M. le président, l'observation que je voulais faire rentre dans celle que vous venez de présenter. En effet, si l'on suivait la marche dans laquelle est entré l'honorable M. Thiéfry, on éluderait complètement la Constitution. L'honorable M. Thiéfry veut discuter au préalable la question de savoir si le comité secret est utile ou non ; quand il aurait exposé son opinion, un membre du gouvernement ou d'autres membres de cette Chambre qui voudraient justifier la nécessité du comité secret, devraient faire connaître leurs motifs, et ainsi la discussion sur l'opportunité du comité secret aurait lieu en public, tandis qu'aux termes de la Constitution, elle doit avoir lieu à huis clos ainsi que la décision à intervenir.

Du reste, messieurs, les observations que je viens de présenter ne préjugent en rien mon opinion ; en ce moment je ne veux en aucune manière examiner les motifs du comité secret. Je demande uniquement l'exécution du règlement. Il est impossible que M. Thiéfry soit autorisé à développer en ce moment ses motifs d'opposition au comité secret. Je prie la Chambre de statuer sur ce point.

M. Thiéfry. - Je n'insiste pas. Je produirai en comité secret les raisons que j'ai à faire valoir pour que la discussion soit publique.

M. le président. - Conformément à l'article 33 de la Constitution, je déclare que la Chambre se forme en comité secret.

- La Chambre se forme en comité secret à 2 heures 3/4.

Elle se sépare à 5 heures 1/4.