(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1055) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Plusieurs habitants de Meux demandent qu'on examine s'il n'y a pas lieu de décider que les fabriques de produits chimiques suspendront annuellement leurs travaux du 1er avril au 1er octobre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vermeersch, ancien militaire, congédié pour infirmité contractée au service, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Damry réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une indemnité du chef des pertes qu'il a éprouvées en 1845 sur ses fournitures de vivres à la garnison et à l'hôpital militaire de Bruxelles. »
- Même renvoi.
« M. Boulez, obligé de s'absenter pour un service public, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Wasseige, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. le président. - La Chambre est restée à l'article 16.
M. Lelièvre a proposé un paragraphe 3 nouveau, ainsi conçu ;
« En cas de réclamation, la députation permanente du conseil provincial statue comme en matière de contributions directes. »
M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, le troisième paragraphe de l’article 16 est ainsi conçu :
« La part afférente aux terrains non encore irrigués dans les frais d'entretien et de curage des colateurs est à la charge de l'Etat. »
Je remarquerai d'abord que cette disposition a été introduite dans le projet de loi par suite d'une note fournie par le gouvernement. On a omis ici de dire que, pour qu'il y ait lieu d'appliquer cette disposition, il faut que le colateur ait été construit par le gouvernement. Il est évident que si le colateur avait été construit par des particuliers, le colateur serait alors entretenu par les particuliers qui l'ont construit.
Je proposerai donc de substituer ce qui suit au troisième paragraphe.
« Les terrains non encore irrigués de la même zone supportent leur part dans les frais d'entretien et de curage des colateurs construits par l'Etat. »
J'ai ajouté les mots : « de la même zone », parce qu'il y avait une seconde lacune dans le troisième paragraphe. Il n'était pas dit qu'il fallait que ce fût de la même zone pour que les terrains non irrigués intervinssent dans les frais d'entretien du colateur. Cela était entendu ; cependant on n'en disait rien dans l'amendement ; je crois rendre cet amendement plus clair, en proposant de le rédiger dans le sens que je viens d'indiquer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je ne puis pas me rallier entièrement à la rédaction que propose l'honorable rapporteur. On ne dit pas à charge de qui seront les frais d'entretien.
- Un membre. - A charge des terrains.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Mais ces terrains sont une propriété communale, et les colateurs dont il s'agit ici sont construits par l'Etat. Or, à qui, de l'Etat ou de la commune, incombe la charge de l'entretien des colateurs ? Le gouvernement et la section centrale, dans son premier projet, avaient proposé de mettre les frais d'entretien à la charge de l'Etat ; et c'est de toute justice. Les communes sont ici complètement désintéressées.
On a fait des travaux sur le domaine de la commune. La commune a été très souvent expropriée contre son gré ; les eaux qui lui arrivent proviennent du fait des irrigations auxquelles elle est est restée étrangère.
On ne peut donc pas charger la commune de l'entretien de ces colateurs, pour la partie de la zone irrigable qui n'est pas encore irriguée. Cela n'est pas juste.
L'Etat au contraire a été le premier intéressé à la construction des colateurs. Ils présentent un intérêt général, d'abord pour la mise en valeur de ces propriétés ; car sans ces colateurs l'Etat n'eût pas pu faire de concessions de vente de terrains susceptibles d'irrigations.
Un autre intérêt s'attache pour l'Etat à ces colateurs, c'est que, par ce moyen, il ramène les eaux à un autre bief du canal et les utilise de nouveau pour la navigation.
Les colateurs construits par l'Etat présentent donc un intérêt général pour l'Etat, les communes n'y ont pour ainsi dire aucun intérêt.
On ne peut donc pas mettre l'entretien de ces colateurs à la charge des communes, on doit en faire une charge du gouvernement.
Du reste, je ferai remarquer à la Chambre que cet engagement ne conduit pas loin ; car à l'heure qu'il est, un seul colateur appartient à l'Etat ; les autres ont été construits par des particuliers, ou s'ils ont été construits par l'Etat, la dépense a été remboursée par les propriétaires des terrains successivement concédés et irrigués.
En ce moment, il n'y a qu'un seul colateur qui appartienne encore pour une partie à l'Etat, c'est celui qui a été construit sur le territoire des communes de Moll, Baelen, Esschen et Rethy. La zone que traverse ce colateur est de 1,600 hectares ; les deux tiers de terrains irrigables ont déjà été vendus ; les deux tiers des frais de construction du colateur ont donc été remboursés. Un tiers appartient encore à l'Etat.
C'est de ce chef que l'Etat est encore chargé de l'entretien de cette partie du grand colateur. Il en résulte une dépense de 500 ou 600 fr. par an.
On le voit, l'engagement n'est pas considérable.
Il est juste, du reste, il faut bien le dire, que l'Etat ne puisse être responsable que pour autant que les colateurs soient propriété de l'Etat.
Je propose donc de modifier l'article dans le sens que voici :
« La part afférente aux terrains non encore irrigués, dans les frais d'entretien et de curage des colateurs, est à la charge de l'Etat, pour autant qu'il en soit propriétaire. »
Remarquez que cet article stipule aussi pour l'avenir. Il se peut que l'Etat doive encore construire des colateurs. C'est une œuvre qui doit être continuée si on ne veut pas mettre l'Etat dans l'impossibilité de trouver des concessionnaires, des acquéreurs ; car si l'Etat ne ménage pas l'écoulement des eaux, tout'espoir de vendre les terrains irrigables disparaît.
Il faudra donc probablement construire des colatcurs, à moins qu il n'y ait des ruisseaux naturels qui, moyennant quelques travaux, puissent, en faire l'office.
Lorsque l’Etat construira ces colateurs, il sera, pour la partie non encore concédée, mais susceptible d'irrigation dans la même zone, obligé de pourvoir à l'entretien.
Il va sans dire qu'en concédant successivement les terrains irrigables, le gouvernement récupérera les frais de construction de ces colateurs dont l'entretien retombera sur les concessionnaires en proportion des terrains à eux concédés.
Il me semble qu'après ces explications il ne peut plus y avoir le moindre doute sur l'étendue des obligations de l'Etat.
M. Deliége, rapporteur. - Pour intercaler dans l'amendement le paragraphe dont vient de parler M. le ministre de l'intérieur, je propose de le rédiger de la manière suivante :
« Lorsqu'un canal colateur a été construit par le gouvernement pour recueillir les eaux d'une zone de terrain, la part afférente aux terrains non encore irrigués de cette zone dans les frais d'entretien et de curage du colateur est à la charge de l'Etat. »
En présence des renseignements que vient de donner M. le ministre de l'intérieur, je n'hésite pas à modifier mon amendement en ce sens.
Je n'entends pas du tout, la Chambre le comprendra facilement, mettre à la charge des communes une dépense qui ne leur incombe pas. Mais j'avais cru que les colateurs avaient été faits principalement dans l'intérêt des communes, pour que celles-ci pussent aliéner leurs terrains (page 1056) et dans l'intérêt des irrigations mêmes, parce que d’après le principe déposé dans la loi, les irrigations profitent du surplus des eaux qui sont au-dessus de l'étiage.
Or, c'est pour que les eaux se maintiennent constamment au-dessus de l'étiage qu'on a fait les colateurs. Je croyais donc encore que c'était dans l'intérêt des irrigations qu'on avait fait les colateurs ; par conséquent, que c'était les communes intéressées à vendre leurs terrains le plus cher possible, qui devaient supporter la dépense.
Du reste, la question n'est pas importante, parce que les colateurs sont faits.
Lorsque les communes vendront les terrains, il est évident que le gouvernement devra compter les frais d'établissement des colateurs dans ceux de préparation des terrains et qu'alors ces frais seront remboursés.
Je crois que M. le ministre de l'intérieur doit tenir la main à ce que l'Etat rentre dans ses fonds.
M. le président. - La parole est à M. Coomans.
M. Coomans. - Puisque l'honorable M. Deliége modifie son amendement dans le sens des explications qui ont été données par M. le ministre, je n'ai rien à ajouter.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'amendement de l'honorable M. Deliége exprime ma pensée ; je m'y rallie, sauf à revoir la rédaction d'ici au second vote.
- Le paragraphe 3, nouveau, proposé par M. Lelièvre, est adopté.
Le paragraphe 4, modifié comme le propose M. Deliége, est adopté.
L'ensemble de l'article 16 est adopté.
« Art 17. Les contraventions aux dispositions de la présente loi et aux prescriptions réglementaires faites pour en assurer l'exécution sont punies des peines comminées par l'article premier de la loi du 18 mars 1818. »
M. Lelièvre. - A l'occasion de l'article en discussion, il s'élève une question qui doit être résolue.
Dans un document remis à chacun des membres de la Chambre, on demande si les faits prévus par le projet seront déférés aux tribunaux de simple police conformément à la loi du 1er mai 1849. La négative me semble évidente. En effet, la loi de mai 1849 ne défère aux tribunaux de simple police que certaines contraventions qui ne peuvent être réprimées que par un emprisonnement de huit jours au plus et par une amende qui ne peut excéder 200 francs.
Or, le projet en discussion comminant des peines plus élevées et se référant à la loi du 18 mars 1818 considère nécessairement comme délits les contraventions énoncées au projet, et par conséquent, les faits délictueux tombent sous la juridiction des tribunaux correctionnels.
Je désire savoir si mon opinion est conforme à celle du gouvernement.
D'un autre côté, je dois signaler une lacune que présente le projet, au point de vue de la répression des contraventions qu'il prévoit. Les articles 17 et 18, proposés par la section centrale, doivent être mis en harmonie avec les principes de la législation générale. En conséquence, il est important de décréter qu'en cas de non-payement de l'amende, celle-ci sera remplacée par un emprisonnement dont la durée sera déterminée par la loi. Il s'agit, en un mot, d'adopter une disposition semblable à celle admise par le code forestier.
Je pense, toutefois, que le code forestier présente sous ce rapport une lacune qui pourrait être comblée en ce qui concerne le projet en discussion.
Il serait essentiel d'énoncer dans quel délai l'amende doit être payée, sous peine d'être remplacée par l'emprisonnement. La loi devrait, à mon avis, porter ; « qu'à défaut de payement dans les deux mois, à dater du jugement, s'il est contradictoire, et de sa notification, s'il est par défaut, cette amende soit remplacée par un emprisonnement dont la durée sera déterminée par le législateur. »
Cette observation s'applique aussi à l'article 19 du projet sur les poids et mesures.
Elle est du reste fondé sur une disposition analogue de la loi de 1846 sur la chasse. L'addition proposée a son importance. Lorsque aucun délai n'est établi par la loi pour le payement de l'amende, le ministère public avant de faire exécuter le jugement pour l'emprisonnement subsidiaire, est obligé de mettre le condamné en demeure d'acquitter l'amende, ce qui occasionne des frais et des difficultés pour l'exécution.des jugements. Je pense donc qu'il est préférable de se conformer à ce qui a été décrété en matière de chasse.
Il est aussi indispensable d'admettre, en ce qui concerne la contrainte par corps pour le payement des frais de la poursuite, une disposition semblable à celle proposée par M. le ministre de la justice, relativement au projet de loi sur les poids et mesures.
En conséquence, je propose d'énoncer dans la loi les dispositions suivantes :
« En condamnant à l'amende, le juge ordonnera qu'à défaut de payement dans les deux mois, à dater du jugement, s'il est contradictoire, et de sa notification, s'il est par défaut, cette amende soit remplacée par un emprisonnement qui pourra être porté à trois mois, si l'amende excède 26 francs, et à sept jours si elle n'excède pas cette somme.
» Dans tous les cas le condamné peut se libère de cet emprisonnement en payant l'amende.
« En ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, la durée de la contrainte par corps sera déterminée par le jugement ou l'arrêt sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours ni excéder trois mois.
« Néanmoins les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité, suivant lemode prescrit par les lois ordinaires de la procédure criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte, quand les frais n'excéderont pas 25 fr.
« La contrainte par corps n'est exercée ni maintenue contre les condamnés qui auront atteint leur soixante et dixième année. »
M. le président. - Cet amendement est-il destiné à remplacer l'article 17 ?
M. Lelièvre. - Non, M. le président, c'est un article nouveau.
M. le président. - En ce cas nous nous occuperons d'abord de l'article 17.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'article 17 a été introduit dans le projet primitif du gouvernement par la section centrale, mais d'après les renseignements fournis par le gouvernement.
Messieurs, jusqu'à présent c'était la loi du 18 mars 1818 qui était appliquée. C'est à cette loi qu'on se référait dans le règlement administratif qui a été fait sous la date du 13 mai 1854.
Et voici pourquoi. Comme il n'y avait pas d'agents légaux chargés de constater ces contraventions spéciales aux irrigations, on a cru que l'arrêté du 18 mars 1818 s'appliquant aux canaux devait par voie d'analogie s'appliquer également aux irrigations. J'avoue cependant, messieurs, qu'il y aurait peut-être lieu d'invoquer plutôt la loi du 1er mai 1849. Jusqu'à présent toutes ces contraventions étaient de la compétence des juges de paix ; je ne vois pas qu'il y ait lieu de changer cette compétence.
Or dans la loi du 1er mai 1849 les pénalités ont été réduites ; elles ne sont plus que de 200 fr. au maximum et de un à huit jours d'emprisonnement. Je crois que ces pénalités suffisent ; car dans la plupart des cas il ne s'agit que de contraventions aux lois de police. Du moment que la contravention est de nature à nuire au point de vue de la propriété, elle rentre dans la compétence des tribunaux civils.
Presque toujours il ne s'agit que de contraventions de police ; il vaut donc mieux appliquer la loi de 1849, plutôt que la loi de 1818. Cette dernière établit une pénalité de 10 à 100 florins d'amende et de un à quatorze jours d'emprisonnement, tandis que la loi de 1849. réduit l'amende de 1 à 200 francs, et l'emprisonnement de un à huit jours.
Si nous sommes d'accord sur ce nouveau système, il conviendrait de le dire dans la loi même, plutôt que de renvoyer aune autre loi. Je proposerai un amendement dans ce sens.
M. Lelièvre. - Messieurs, M. le ministre de l'intérieur proposant un amendement à l'article 17, il s'agit d'y statuer, puisque l'amendement changé complètement les pénalités dont nous nous occupons.
D'après cet amendement qui établit les peines conformémenlà la loi du 1er mai 1849, il est évident que les contraventions prévues par le projet doivent être déférées aux tribunaux de simple police, et il conviendrait d'énoncer à cet égard dans la loi une disposition formelle pour régler la juridiction qui connaîtra des contraventions.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je proposerai tout à l'heure une rédaction.
Article 18 (nouveau)
M. le président. - Nous arrivons donc à l'article 18 proposé par M. Lelièvre.
M. Lelièvre. - D'après l'amendement de M. le ministre de l'inférieur, les contraventions prévues par la présente lii ne constituent plus que des contraventions du ressort des tribunaux de simple police et non des délits soumis aux tribunaux correctionnels.
En conséquence, mes amendements doivent nécessairement être modifiés en ces termes :
« Art. 17 nouveau. En condamnant à l'amende, le juge ordonnera qu'à défaut de payement dans les deux mois à dater du jugement, s'il est contradictoire, et de sa notification, s'il est par défaut, cette amende soit remplacée par un emprisonnement de simple police qui ne pourra excéder le terme de sept jours, et que dans tous les cas le condamné peut faire cesser en payant l'amende. En ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, la durée de la contrainte par corps sera déterminée par le jugement ou l'arrêt, sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours, ni excéder un mois.
« Néanmoins, les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité, suivant le mode prescrit par les lois ordinaires de la procédure criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte, quand les frais n'excéderont pas 25 fr.
« La contrainte par corps n'est exercée ni maintenue contre les condamnés qui auront atteint leur soixante et dixième année. »
Les amendements que j'ai déposés supposaient que les faits prévus par la loi constituaient des délits du ressort de la juridiction correctionnelle.
En conséquence l'emprisonnement subsidiaire et la durée de la contrainte par corps étaient déterminés dans cette supposition. Si les faits dont il s'agit ne constituent plus que des contraventions soumises aux tribunaux de simple police, les peines doivent nécessairement être modifiées.
(page 1057) En tout cas, les dispositions que je viens d'énoncer suffisent pour sauvegarder les intérêts de la société, même abstraction faite du caractère légal des faits à réprimer.
M. Coomans. - Messieurs, je crois que nous devons ajourner la discussion de l'article 18 nouveau, proposé par l'honorable député de Namur, jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur l'amendement proposé à l'article 17 par M. le ministre de l'intérieur ; je ne sache pas que la Chambre ait déjà accepté le principe de l'amendement du gouvernement ; or, comme l’amendement de l'honorable M. Lelièvre est une conséquence de celui du gouvernement, nous devons en ajourner la discussion.
M. le président. - L'amendement de M. Lelièvre est un article 18 nouveau.
M. Frère-Orban. - L'amendement se rattache à l'article 18, mais il dépend du principe de l'article 17.
M. Coomans. - Je viens de le dire.
M. Deliége, rapporteur. - Je me suis mis d'accord avec M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre de la justice sur la nouvelle rédaction de l'article 17.
M. Delfosse. - On pourrait des lors reprendre l'article 17 ; M. le ministre de l'intérieur me dit qu'il a formulé son amendement et qu'il va le faire passer au bureau. L'article 18 viendrait ensuite ; il se combine avec l'article 17, puisqu'il commine les mêmes peines.
Il y a lieu de s'occuper de l'article 17, puis de l'article 18, avant d'aborder les articles nouveaux proposés par l'honorable M. Lelièvre.
Article 17
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Voici l'article 17 modifié que je propose de commun accord avec l'honorable rapporteur de la section centrale :
« Les contraventions aux dispositions de la présente loi et aux prescriptions réglementaires faites pour en assurer l'exécution sont punies d'une amende de un à 200 francs et d'un emprisonnement d'un à huit jours, séparément et cumulativement. »
- L'article 17, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Viennent maintenant les articles nouveaux proposés par M. Lelièvre.
M. Delfosse. - Messieurs, je crois qu'avant tout on devrait s'occuper de l'article 18 du projet de la section centrale ; les articles nouveaux proposés par l'honorable M. Lelièvre s'appliquent à l'article 18 comme à l'article 17 ; ces articles nouveaux ne peuvent venir qu'après l'article 18.
- La proposition de M. Delfosse est adoptée.
En conséquence la Chambre passe à la discussion de l'article 18 du projet de la section centrale.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 18. Sont punis des mêmes peines ceux qui entraveront d'une manière quelconque l'usage des eaux concédées pour l'arrosage des terrains d'autrui et notamment ;
« 1° En les arrêtant dans les rigoles par des barrages on terre, des engins de pêche ou autrement ;
« 2° En les faisant écouler par des emprises ou de toute autre manière ;
« 3° En les employant, sans autorisation, à un usage non prévu par les actes de concession ;
« 4° En effectuant aux prises d'eau des manœuvres, sans l'intervention des agents commis à cet effet ;
« 5° En creusant, le long des rigoles d'alimentation et d'évacuation, ainsi que des colaleurs, des contre-fossés dont l'existence donnerait lieu à des filtrations ;
« 6° En faisant stationner des bateaux devant les prises d'eau. »
M. Coomans. - Messieurs, je ferai une observation sur laquelle, du reste, je n'insiste pas beaucoup ; c'est qu'on pourrait simplifier les n° 1° et 2° et dire simplement au n° 1 : « En les arrêtant dans des rigoles » et au n° 2° ; « En les faisant écouler. » A quoi bon énumérer dans le n° 1°, par exemple, deux cas ; et puis ajouter ; « ou autrement ». Disons simplement : « En les arrêtant dans des rigoles ». Le rédacteur de l'article n’a énuméré que deux cas : les barrages en fer et les engins de pêche. ; mais il y a bien d'autres moyens d'arrêter les eaux, et c'est pour cela que le rédacteur a ajouté les mots : « ou autrement ».
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, il est certain que l’émunération faite aux numéros 1° et 2° de l'article 18 n'est pas obstative à d'autres moyens d'arrêter les eaux, Mais je crois qu'il est bon de spécifier quelques cas qui ont été suggérés par l'expérience en cette matière. La spécification contenue dans l'article n'est pas limitative, car il y a mille moyens d'arrêter les eaux dans les rigoles, qu'on ne peut pas prévoir ; il est bon d'en indiquer quelques-uns.
- L'article 18 est mis aux voix et adopté.
« Art. 18 nouveau (proposé par M. Lelièvre). En condamnant à l'amende, le juge ordonnera qu'à défaut de payement dans les deux mois, à dater du jugement s'il est contradictoire et de sa notification s'il est par défaut, cette amende soit remplacée par un emprisonnement de simple police qui ne pourra excéder le terme de sept jours et que, dans tous les cas, le condamné peut faire cesser en payant l'amende. »
M. Delfosse. - On pourrait supprimer les mots : « de simple police » ; il suffit que l'on sache que l'emprisonnement ne peut excéder sept jours.
- L'amendement de M. Lelièvre, sous-amendé, est mis aux voix et adopté.
« Art. 19 nouveau, proposé par M. Lelièvre :
« En ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l’Etat, la durée de la contrainte par corps sera déterminé par le jugement ou l’arrêt, sans qu’elle puisse être au-dessous de 8 jours ou excéder un mois.
« Néanmoins, les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité, suivant le mode prescrit par les lois ordinaires de la procédure criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte quand les frais n'excéderont pas 25 francs.
« La contrainte par corps n'est exercée ni maintenue contre les condamnés qui auront atteint leur 70ème année. »
- Cet article 19 nouveau est mis aux voix et adopté.
« Art. 19. Les agents du service de la Campine, désignés a cet effet par le Roi, auront le droit de constater les contraventions et les delits en matière d'irrigation. Avant d'entrer en fonctions, ils prêteront serment entre les mains du juge de paix de leur résidence. »
M. Delfosse. - On pourrait supprimer les mots : « du service de la Campine » ; il n'est pas sûr qu'il y aura toujours un service de la Campine. Il suffit dedire ; Les agents désignés à cet effet par le Roi, etc. »
- L'article 19, amendé par M. Delfosse, est mis aux voix et adopté.
« Art. 20. Les procès-verbaux-feront foi jusqu'à preuve contraire. Ils seront affirmés dans un délai de trois jours, soit devant le juge de paix du canton ou l'un de ses suppléants, soit devant le bourgmestre ou un échevin de la commune, et transmis dans un semblable délai de trois jours, à partir de l'affirmation, à l'officier duministère public chargé de requérir, s'il y a lieu l'application de la peine. »
M. Delfosse. - Les procès-verbaux feront foi jusqu'à preuve contraire, c'est trop vague ; il faut préciser les procès-verbaux dont on entend parler. Je propose de dire : « les procès- verbaux dressés en vertu de l'article précédent feront foi jusqu'à preuve contraire. »
- L'article 20, tel que M. Delfose propose de le modifier, est mis aux voix et adopté.
« Art. 21. Si un propriétaire, qui, en conformité d’un jugement ou d’une décision de l’autorité compétente, doit exécuter des travaux quelconques par suite d’une concession de l’Etat, s’abstient de les terminer dans le délai voulu ou dans la forme prescrite, le gouvernement peut les faire exécuter ou reconstruire d'office.
« Les dépenses sont recouvrées contre le propriétaire, comme en matière de contributions directes, à la diligence du gouverneur de la province. »
- Adopté.
« Art. 22. Le propriétaire des terrains arrosés en suite d'une concession doit avoir, dans le canton où ils sont situés, un domicile élu, auquel les actes et les décisions de l'administration sont, au besoin, signifiés.
« Cette signification est valable comme si elle était faite au propriétaire même.
« L'élection de domicile sera notifiée au gouverneur de la provinceoù les irrigations sont établies, au moyeu d'une lettre chargée à la poste.
M. Lelièvre - L'article 22 du projet présente une omission qui doit être réparée. En effet, il est essentiel d'énoncer qu'à défaut d'élection de domicile de la part du propriétaire, les actes et décisions de l'administration pourront être signifiés valablement à un domicile que la loi déterminera ; par exemple, au greffe de la justice de paix du canton.
Cette addition me paraît nécessaire pour compléter la disposition.
Nous avons adopté semblable système dans la loi hypothécaire. Celui qui requiert inscription doit élire un domicile dans l'arrondissement, et à défaut de cette élection, les significations sont valablement faites au procureur du roi.
Nous devons suivre la même marche dans l'espèce actuelle. Il faut, du reste, qu'il y ait une sanction à la disposition que nous discutons. Par conséquent, il est indispensable qu'on trace la voie à suivre pour les significations, si le propriétaire n'a pas élu un domicile conformément à la loi. En ce cas, il doit y avoir dans le canton un domicile auquel on puisse faire les notifications. Tels sont les motifs qui m'engagent à demander l'addition de la disposition suivante :
« A défaut d'élection de domicile, les actes et décisions énoncés au paragraphe premier seront signifiés valablement au greffe de la justice de paix du canton où les biens sont situés. »
M. Coomans. - Je ne me lève pas pour appuyer l'amendement de M. Lohèwe, il ne sera contredit par personne, mais pour demander s'il est bien entendu que le domicile élu ne doit pas être autre que le domicile réel. Dans la plupart des cas le propriétaire de terrains concédés sera domicilié dans le canton même où les biens sont situés. Il est entendu que dans ce cas son domicile réel suffira, et que les significations y seront faites.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je conçois peu qu'il soit convenable de prévoir le cas où le propriétaire n'a pas élu de domicile, il rentre dans le droit commun, il a un domicile réel. C'est là qu'il faut l'assigner, lui signifier le procès-verbal.
(page 1058) M. Orts. - Si je comprends bien l'honorable ministre de l'intérieur, en cas de défaut d'élection de domicile, la signification devra être faite au domicile réel du propriétaire. Si telle est la pensée du gouvernement, le but de la loi est manqué. Personne n'élira de domicile, s'il conserve la faculté d'exiger que les significations, pour être valables, soient faites à son domicile réel. Le propriétaire élisant domicile dans de pareilles conditions serait par trop naïf de prendre gratuitement' cette peine.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il est évident que pour atteindre le but de la loi, car il y a souvent des travaux à faire urgents, dont l'exécution pourrait amener de grands désastres, il faut pour cela que le propriétaire fasse élection de domicile dans le canton. Si en absence d'une élection de domicile, il y a un moyen plus prompt que l'assignation à ce domicile, je ne demande pas mieux que de l'admettre.
M. Deliége, rapporteur. - Je crois qu'on pourrait faire comme dans la loi sur les hypothèques, aux termes de laquelle, quand on n'a pas élu de domicile dans l'inscription, la signification se fait valablement au greffe.
M. le président. - M. Lelièvre propose un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« A défaut d'élection de domicile, les actes et décisions, énoncés au paragraphe premier seront signifiés au greffe de la justice de paix du canton où les biens sont situés. »
M. Deliége, rapporteur. - C'est cela. Je me rallie complètement à cet amendement.
Je crois qu'il est impossible de forcer un propriétaire à élire un domicile. On ne peut forcer quelqu'un, lorsqu'on lui a fait une concession, à élire un domicile. On pourrait seulement dire qu'en cas de non-élection de domicile, les actes seront signifiés au greffe. C'est le but de l'amendement de M. Lelièvre.
Je crois qu'il y aurait lieu d'ajouter quelques mots au premier alinéa qui devait être rédigé comme suit : « Le propriétaire des terrains arrosés ensuite d'une concession doit, s'il n'est pas domicilié dans le canton où ils sont situés y avoir un domicile élu, auquel les actes et et les décisions de l'administration seront au besoin signifiés. »
M. de Muelenaere. - Mes observations deviennent sans objet après ce que vient de dire l'honorable rapporteur.
Je voulais seulement faire remarquer que la disposition du projet impose au propriétaire l'obligation d'avoir un domicile élu ou réel dans le canton. Sinon il faut dire dans la loi où les significations doivent avoir lieu. C'est le but de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, qui est indispensable.,
M. Lelièvre. - Le sens de l'article 22 ne peut, à mon avis, présenter aucun doute. Il est évident que d'après la disposition en discussion, il ne s'agit d'élire un domicile dans le canton que dans le cas où le propriétaire n'y a pas un domicile réel, tel est l'esprit évident de l'article en discussion et l'amendement de l'honorable M. Deliége ne fait qu'énoncer plus clairement l'intention du législateur. Si le propriétaire a un domicile réel dans le canton, c'est à ce domicile que doivent nécessairement se faire les notifications.
Jamais il n'y a de domicile élu qu'à défaut de domicile réel. Ainsi le veut la nature des choses ; et par conséquent l'amendement de l'honorable M. Deliége n'énonce que ce qui résultait déjà implicitement de la saine interprétation de l'article 22.
- L'amendement proposé par M. Deliége au premier alinéa de l'article 22 et le paragraphe additionnel proposé par M. Julliot, sont successivement adoptés.
L'article 22, ainsi amendé, est adopté.
« Art. 23. Le produit des amendes prononcées contre les délinquants sera versé au trésor. »
- Adopté.
M. le président. - Il reste à statuer sur l'article additionnel proposé par M. Julliot. Il est ainsi conçu ;
« Art. 24. Les dispositions de la présente loi conservent intacts tous les droits et obligations résultant des contrats divers. »
M. Julliot. - Si l'honorable rapporteur ne croit pas devoir se rallier à mon amendement, je le prierai de prendre la parole avant moi pour que je puisse rencontrer ses observations,
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - J'avais promis, dans une séance précédente, de me livrer à un examen ultérieur de l'amendement proposé par l'honorable M. Julliot. J'avais commencé par dire qu'au nom des intérêts du gouvernement, je ne voyais aucun motif de m'opposer à l'admission de cet amendement.
Cette opinion, je la maintiens.
Au nom du gouvernement, je n'aurais aucun motif de m'opposer à l'amendement de l'honorable M. Julliot. Mais j'espère vous prouver en quelques mots qu'il est absolument incompatible avec l'ensemble de la loi. Je vous démontrerai ensuite que cet amendement va à rencontre de la pensée de son honorable auteur et du but qu’il poursuit, c'est-à-dire qu'il tournerait au détriment des concessionnaires.
Messieurs, il résulte d'un rapide examen de la loi en discussion que cet amendement est incompatible avec les principales dispositions de cette loi. En effet, la loi dispose dans beaucoup d'articles, non seulement pour l'avenir, mais pour le passé, et tous les articles qui disposent pour le passé devraient disparaître. Les dispositions de la loi, pour ce qui concerne le passé, deviendraient un véritable non-sens.
Il suffit, messieurs, de l'inspection des articles 4, 5, 7, 8, 10, 14, 15, 21 et 22 pour voir que ces articles supposent que la loi doit aussi régir le passé.
Mais, dit l'honorable membre, la loi a donc, un effet rétroactif. Les droits restent saufs en ce sens que les contrats obligent. Mais les contrats ont prévu les dispositions législatives et administratives qui interviendraient plus tard pour la police des irrigations. Ces dispositions ont donc, sous ce rapport, un effet rétroactif, puisqu'elles étaient prévues dans les actes de vente et de concession.
Maintenant, est-il vrai que l'amendement de l'honorable membre va à rencontre du but qu'il se propose, la défense des intérêts des propriétaires ?
Il est évident que la loi a pour effet de restreindre, de limiter l'action de l'Etat. C'a été la pensée première de la section centrale lorsqu'elle a rédigé son projet de loi. L'article 4 surtout, qui stipule que le régime intérieur des irrigations est libre, est une grande conquête faite par les propriétaires. Je le prouverai en quelques mots.
Aujourd'hui, le gouvernement a, quant au régime intérieur des irrigations, des droits qu'il peut faire valoir d'un jour à l'autre, et qu'il n'aura plus quand l'article 4 aura force de loi.
Je ne citerai que trois ordres d'actes que le gouvernement pourrait poser en vertu des conventions et qu'il ne pourra plus poser quand la loi sera adoptée et mise à exécution.
D'abord le gouvernement a le droit d'exiger que chaque propriétaire ait un appareil jaugeur pour sa prise d'eau particulière. Jusqu'à pressent la plupart de ces appareils n'existent pas.
Le gouvernement a actuellement le droit, qui est très considérable, de forcer les propriétaires à conserver leurs rigoles étanches. Si le gouvernement usait de ce droit, et il le devrait peut-être dans l’intérêt des irrigations, chaque propriétaire serait obligé à une dépense considérable. Aujourd'hui beaucoup d'eau s'infiltre dans le terrain, parce que les rigoles ne sont pas étanches.
En troisième lieu le gouvernement peut encore aujourd'hui, d’après les actes de concession, forcer les propriétaires à suivre, pour tous leurs travaux intérieurs sur leur fonds d'irrigation, les plans de l’administralion. Ce régime intérieur étant déclaré libre par l'article 4, le gouvernement n'aura plus le droit d'imposer telle ou telle forme de travaux.
Ainsi l'article 4 qui constitue la grande garantie que la section centrale a voulu accorder aux propriétaires, et qui est une immense conquête pour ces derniers, cet article 4, en présence de l'amendement de l'honorable M. Julliot, disparaîtrait complètement.
Si les propriétaires insistaient tant pour la conservation de leurs droits contre le gouvernement, le gouvernement devrait aussi conserver ses droits contre les propriétaires.
Dès lors tous ces droits que je viens d'énumérer et qui, dans la pratique, peuvent devenir très onéreux pour les propriétaires, le gouvernement pourrait les faire valoir sous le régime conventionnel. Il ne le pourra plus si l'art. 4 est maintenu.
Il est d'autres motifs par lesquels je pourrais prouver que la loi actuelle est tout à fait favorable aux propriétaires.
Mais il me suffit de ces trois grands faits pour démontrer que l'honorable membre, en demandant l'adoption de son amendement, va à rencontre des intérêts des propriétaires.
Il n'y a donc pas lieu d'admettre cet amendement qui est d'ailleurs, comme je l'ai dit, formellement en opposition avec les principales dispositions de la loi, qui se rapportent aussi au passé.
M. Julliot. - Messieurs, l'article additionnel que j'ai proposé a été accepté une première fois par le gouvernement sans restriction.
Maintenant l'honorable ministre de l'intérieur n'est plus du même avis ; j'espère que quand l'honorable ministre m'aura entendu une seconde fois ; il reconnaîtra qu'il est utile d'adopter définitivement l'article additionnel que je propose.
L'honorable ministre a dit qu'au point de vue du gouvernement, il persiste à ne pas voir d'inconvénients dans l'adoption de mon amendement, mais que dans l'intérêt des propriétaires, il doit le repousser. Voilà donc que les rôles sont intervertis. Je croyais, moi, que je défendais les intérêts des propriétaires, et le gouvernement m'apprend que je me trompe et que c'est lui, gouvernement, qui défend ces intérêts. Nous verrons plus tard.
Je vais démontrer que mon amendement est nécessaire et qu'il a un double but.
Il a pour but, d'abord, de conserver les droits acquis aux propriétaires respectifs, conformément au contrat de chacun d'eux.
Il a encore pour but de garantir l'Etat et ses finances contre tout droit nouveau que le projet de loi contient en faveur de ceux qui n'ont que des concessions à titre précaire.
Je dis que la loi, sans cette réserve, enlèvera des droits acquis aux uns pour les donner à d'autres qui n'en ont pas, d'après les concessions gratuites et temporaires qui leur ont été faites. Cela ne peut être admis.
On me dira que les réserves que je propose sont de droit. Oui. en règle générale, mais non, quand il s'agit d'une loi réglementaire de police, comme celle qui nous est soumise, et je vous en ferai la démonstration.
Messieurs, je n'impute de faute à personne, tous ont eu de bonnes (page 1059) intentions, le ministère actuel n'y a pas encore touché, il est pour ainsi dire hors de cause pour le passé, mais l’irrigation de la Campine au point où elle est arrivée, est la question la plus embrouillée qui puisse se présenter, et la dernière tribulation n'est pas passéé.
Pour comprendre cette question, il faut être voisin de ces localités, les connaître et bien les connaître, et la preuve je la trouvé dans le petit nombre de députés qui prennent part au débat. Si un honorable député de Hasselt inspire de ce chef à juste titre beaucoup de confiance à la Chambre, j'espère qu'elle voudra bien m'en accorder un peu aussi, car personnellement désintéressé dans ce débat, je demande qu'on laisse intacts les droits acquis des uns et qu'on n'augmente pas gratuitement ceux des autres, c'est-à-dire que je défends l'Etat contre ceux qui obtiendraient gratuitement des droits qu'ils n'ont pas et que je défends contre l'Etat ceux qui ont des droits bien et dûment acquis dont le projet de loi ferait bon marché si ma réserve n'était pas inscrite.
Il me semble qu'en présence des nouvelles dépenses dont nous sommes menacés, ce double but de rester justes et d'être prudents contre les nouveaux engagements par l'Etat, doit être assez du goût de la Chambre.
C'est ainsi que l'Etat, dans les premiers contrats, a vendu de la bruyère avec une prise d'eau à faire par les acquéreurs eux-mêmes, ou leur a aliéné le droit de manœuvrer l'écluse, le volume de cette prise d'eau est déterminé par la dimension et le placement de l'écluse, ainsi, la bruyère, l'eau à prendre, la manœuvre de l'écluse, la dimension et le placement de l'écluse, constituent ensemble la propriété vendue par contrat bilatéral entre l'Etat et les acquéreurs.
Ce contrat en mains, ces acquéreurs ont le droit incontestable de manœuvrer l'écluse et de prendre de l'eau autant qu'il en faut pour pousser la production de l'herbe au maximum.
Le tout sous la surveillance et le contrôle de l'Etat. Nous y voilà !
Le contrôle de l'Etat est établi pour qu'on ne gaspille pas l'eau, or tant que l'eau sert à augmenter le produit des herbes, elle est employée utilement et légalement, elle n'est pas gaspillée, et on n'en demande pas plus.
Le gaspillage commence quand l'eau n'ajoute plus à la récolte ou la détruit ; or on n'acquiert pas une propriété pour la détruire, mais certes pour la faire prospérer.
Le meilleur appréciateur de ses intérêts est l'intéressé lui-même.
Il y aurait encore gaspillage, si on cédait l'eau à des tiers, si ou l'employait à faire un étang ou autre création semblable ; mais tant que l'eau est employée à sa destination, elle peut être prise, aux termes du contrat, et ce contrat est large, j'en conviens, mais ce n'est pas une raison pour spolier les propriétaires par une loi réglementaire de police ; les contraventions à constater par le contrôle sont énumérées à l'article 18 et resteront applicables à tous les acquéreurs.
A côté de ces concessions légalement acquises à prix d'argent, figurent des concessions à titre gratuit dont quelques-unes même sous réserve de pouvoir être retirées, différence que je ne m'explique pas trop ; eh bien, le croirait-on ? la loi confond toutes les positions les plus dissemblables, elle réglemente législativemcnt d'une manière uniforme ceux qui ont acquis les droits les plus étendus et ceux qui n'ont rien qu'une promesse temporaire, tous passent sous le même niveau.
Le projet consacre des droits définitifs pour ceux qui n'ont que des droits temporaires, et enlève des droits acquis à ceux qui les ont achetés.
Il est évident pour moi que, dans l'état actuel des choses, les tribunaux condamneraient l'Etat à laisser prendre l'eau par ceux qui l'ont payée avant d'en donner une goutte à ceux qui n'ont aucun droit à faire valoir. Eh bien, si nous ne votons pas l'article additionnel, il n'en sera plus de même, la loi réglementaire de police aura placé toutes les concessions sur la même ligne ; le projet ne distingue pas entre les eaux vendues et les eaux promises temporairement à titre précaire, c'est-à-dire que le projet admet implicitement que l'Etat, après avoir vendu l'eau, peut en retenir une partie pour la donner en cadeau à d'autres. Messieurs, si cette doctrine pouvait prévaloir, il faudrait modifier les dispositions du code de commerce qui n'admet pas qu'après avoir vendu une marchandise à gauche on puisse encore en disposer pour la donner à droite.
Il faut espérer que nos appétits socialistes n'iront pas jusque-là. La société qui a le contrat le plus avantageux a des clauses supplémentaires que n'ont pas les autres, ces clauses supplémentaires lui donnent le droit de prendre elle-même, par la manœuvre des écluses, toute l'eau qu'elle peut utiliser.
Eh bien, les articles 2 et 14 du projet annulent ce droit par voie de police, l'article 2 réserve au gouvernement la manœuvre de toutes les écluses d'irrigation sans exception aucune. L'article 14 défend à tous de prendre l’eau, c'est le gouvernement qui la répartit, et comment le fera-t-il ? Il ne distingue pas, il place toutes les concessionssur la même ligne, il ne réservera pas l'eau, d'abord, pour la livrer à ses acheteurs, il la distribuera au marc l'hectare probablement, et comme il n'en a pas assez, il spoliera ceux qui ont des droits acquis et payés.
Les tribunaux devront appliquer cette loi de police et la mettre en concordance avec le Code civil ; voyons ce que dit l'article 544 de ce Code.
« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements. »
Or, les acquéreurs ont le droit de prendre toute l'eau nécessaire, et à cet effet, ont la manœuvre de l’écluse ; les articles 2 et 14 les dépouilleront de l’une et l’autre de ces droits acquis ; leur écluse sera manœuvrée par un agent de l’Etat qui leur donnera la ration comme il l’entend.
L'Etat reprend donc par une loi des droits qu’il a vendus par contrat bilatéral.
Et cela serait ainsi, car l'honorable ministre de l'intérieur a dit, dans une séance précédente, qu'en effet le droit de prendre l'eau était enlevé à ces propriétaires, mais que l'Etat pouvait leur restituer la manœuvre de l'écluse s'il trouvait la chose utile.
Messieurs, le droit de prendre l'eau suffisante constitue l'élément principal de ces propriétés ; ils ont le droit, or la loi enlève ce droit acquis pour le remplacer par le bon vouloir des agents du gouvernement, et on dit que la propriété est sauve. Autant vaudrait leur prendre la bruyère et nous dire que cela ne fait rien, parce que l'Etat est autorisé à la leur rendre quand il le trouvera bon.
Je ne connais pas de propriétaires disposés à se laisser convertir à ce nouveau principe sur la propriété.
Si quelques-uns de ces contrats où le gouvernement s'est fourvoyé l'embarrassent trop, ils ne sont pas nombreux et au besoin ils pourraient procéder par indemnité, revendre ces terrains sous d'autres conditions, mais il ne doit pas enlever par une loi des droits qu'il a librement donnés par contrat.
On espère avoir l'eau pour tous les propriétaires, mais je crois que l'imagination joue son rôle dans ces espérances, car les documents que nous avons sous la main nous disent qu'il faut élargir l’écluse de Hocht attendu qu'il n'y a pas assez d'eau pour pouvoir naviguer.
Tout ce qui nous reste donc à faire, c'est de voter les réserves nécessaires pour sauvegarder les intérêts des acquéreurs qui ont des droits acquis, et de garantir l'Etat contre les nouvelles charges que l'application de la loi nouvelle pourrait créer au profit des titres purement précaires, car se serait inscrire le principe de nouvelles dépenses futures et obligées, ce que nous devons éviter.
Mon amendement résume ces deux réserves et satisfait à la situation.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je tiens à présenter immédiatement quelques observations en réponse à celles que vient de formuler l'honorable préopinant.
Je me demande encore, que l'honorable membre me permette de le dire, quels intérêts il entend défendre.
Ceux de l'Etat ? Au nom du gouvernement je les déclare saufs.
Ceux des concessionnaires ? Ils sont encore parfaitement intacts, et, la preuve, c'est que sinon l'unanimité, au moins l'immense majorité des propriétaires se déclare satisfaite du projet de loi que nous discutons en ce moment.
L'honorable M. de Theux, dont l'autorité a été invoquée tout à l’heure à juste titre dans cette question, l'honorable M. de Theux, qui a été président de la commission des principaux irrigateurs de la Campine, a déclaré que ceux-ci sont complètement satisfaits. En effet, il est évident que l'article 4 est, à lui seul, un immense bienfait pour les propriétaires.
Maintenant quel intérêt l'honorable membre représente-t-il ?
Il ne faut pas se le dissimuler, il représente l'intérêt d'une seule propriété ; il représente l'intérêt d'une société qui se trouve dans une position particulière.
Cette société a obtenu les premiers terrains irrigables, et elle se trouve dans une situation différente de celle des autres irrigateurs. Pourquoi ? Parce que quand elle a obtenu sa concession, l’administration n'avait aucun antécédent pour se guider, qu'elle se trouvait devant une matière entièrement nouvelle.
Plus tard le gouvernement a cherché à mieux sauvegarder ses intérêts. Puis, quand il n'y avait qu'un seul concessionnaire, on ne s'était pas préoccupé de l'intérêt général d'un grand nombre de concessionnaires. Voilà ce qui explique la différence entre le régime fait à cette société et le régime sous lequel se trouvent ceux qui ont obtenu des concessions ultérieurement.
L'honorable membre se trompe lorsqu'il pense que les droits de cette société sont froissés. Ces droits il les fait consister surtout dans la manœuvre des écluses et dans l'obtention des eaux dont elle pouvait disposer au début.
Messieurs, j'ai déjà entretenu la Chambre de ces deux droits. Il y a eu, à cet égard, un malentendu ou plutôt un véritable jeu de mots. La société qui a acquis le terrain d'Eelen et de Neeroeteren pouvait elle-même manœuvrer la prise d'eau.
Mais ce droit était-il tellement complet que cette société pût manœuvrer sa prise d'eau en toute liberté, au gré de ses désirs ? Mais évidemment non. Ce droit se trouve limité dans l'acte de concession. Il est formellement restreint par l'article 17 de cet acte, où il est dit que cette manœuvre ne pourra se faire que sous la surveillance et le contrôle de l'administration.
Eh bien, aujourd'hui encore que demande-t-on ? C'est de laisser manœuvrer l'administration, mais évidemment, au point de vue de l'intérêt général ; or le gouvernement n'a jamais entendu concéder à la société en question le droit de manœuvrer sa prise d'eau à sa guise. Eu vertu de la loi que nous discutons, le droit de manœuvrer des prises d'eau est réservé au gouvernement, mais il peut l'abandonner aux propriétaires.
La société dont il s'agit n'a jamais eu le droit de manœuvrer sa prise d'eau d'une manière arbitraire.
(page 1060) Ainsi le droit d'user que l'honorable membre invoquait tout à l'heure en vertu du Code' civil, ce droit n'est en rien entamé ; mais ce qui n'est pas admis, c'est le droit d'abuser. Là commenee non seulement le droit, mais aussi le devoir du gouvernement. Le gouvernement a le droit de voir comment la manœuvre s'opère et il a l'obligation de le faire, parce que le gouvernement représente l'intérêt général de la navigation d'abord, et l'intérêt général de tous les irrigateurs. A cet intérêt général tout a été et tout doit être subordonné.
Mais, dit l'honorable membre, il y a droit acquis d'obtenir de l'eau. Oui, messieurs, il y a droit acquis d'obtenir de l’eau, mais non pas d'obtenir une quantité a'èau déterminée ; jamais le gouvernement n'a concédé telle ou telle quantité d'eau. Du reste, messieurs, toute cette discussion est parfaitement inutile ; la question est du ressort des tribunaux.
Que vous adoptiez l'amendement ou que vous ne l'adoptiez pas, les tribunaux n'en seront pas moins seuls compétents. L'honorable membre n'a donc aucun motif, dans l'intérêt de la société, dont il est ici question, de chercher à faire admettre son amendement.
La loi ne peut exercer aucune influence sur les tribunaux ; les tribunaux savent parfaitement que tous les droits doivent être réglés conformément aux contrats.
Ainsi, messieurs, nous avons à considérer l'intérêt général des irrigations ; cet intérêt est parfaitement sauvegardé par la loi.
La société dont il s'agit se trouve dans une situation particulière ; eh bien, elle n'a qu'à poursuivre la défense de ses droits devant les tribunaux.
L'article final de l'honorable membre n'exercera sous ce rapport aucune espèce d'influence.
Je m'oppose donc à l'adoption de l'amendement de M. Julliot, parce qu'il est en opposition avec les principaux articles de la loi. Toutes les dispositions de la loi qui exercent plus ou moins d'influence sur le passé devraient être modifiées et la loi ne devrait concerner que l'avenir.
A moins de renverser de nos mains tout l'édifice que nous venons d'élever, il n'y a pas lieu d'admettre l'amendement de M. Julliot.
M. Lelièvre. - L'amendement de l'honorable M. Julliot me paraît inadmissible. En effet, s'agit-il de maintenir intacts des droits véritablement acquis, des droits hors du domaine d'une législation future, l'amendement est inutile et l'article 2 du Code civil sauvegarde suffisamment les intérêts que M. Julliot veut protéger.
S'agil-il, au contraire, de soustraire, à l'aide de contrats antérieurs, certains individus aux lois de police à établir par le gouvernement, l'amendement présente de graves inconvénients, même des dangers sérieux.
En effet, il est ici question de canaux et cours d'eaux navigables et flottables, en un mot, de dépendances du domaine public, Dès lors le gouvernement a, relativement aux eaux des canaux et rivières dont il s'agit, un droit d'administration et de police que jamais il n'a voulu aliéner. Il n'aurait même pu l'abdiquer d'après les règles qui doivent présider à sa mission gouvernementale.
En conséquence, quels que soient les contrats intervenus, il est évident que le gouvernement doit conserver les prérogatives énoncées au projet en ce qui concerne la manœuvre des prises d'eau, etc.
Les eaux constituent une propriété particulière qui de tout temps a été soumise à l'action spéciale de l'autorité administrative, action à laquelle on n'a pu renoncer par aucun acte quelconque.
Il s'agit ici de lois d'ordre public, concernant des dépendances du domaine public, lois qui, dès lors subsistent et régissent la matière sans qu'il ait pu y être dérogé par aucun acte.
L'honorable M. Julliot ne peut donc échapper au dilemme que nous posons.
S'il s'agit de sauvegarder des droits acquis antérieurement à la loi, l'amendement est inutile ; s'il a pour but d'aller au-delà et de faire respecter un état de choses antérieur qui n'a créé pour personne aucun droit irrévocable, en ce cas il est dangereux et serait de nature à renverser toute l'économie du projet.
M. de Theux. - Messieurs, je me permettrai de demander à l'honorable M. Julliot s'il serait satisfait dans le cas où la loi fût retirée par le gouvernement ou rejetée par la Chambre ?
M. Julliot. - Messieurs, je n'éprouve pas le moindre embarras à répondre à la question que me pose l'honorable préopinant. Je désire qu'on fasse une bonne loi. « Mais, me dit l'honorable M. de Thcux, voulez-vous qu'on révise la loi ? » Oui, sans doute, si la loi est mauvaise. Mais si elle est bonne, je l'accepte. Il y a entre l’honorable M. de Theux et moi une différence ; c'est que moi je veux une bonne loi, et que ce que veut l’honorable M. de Theux est un mystère pour moi.
M. de Theux. - Messieurs, je suis complètement satisfait de la réponse de l'honorable membre, et la Chambre va être convaincue de l'utilité de la question que je me suis permis d'adresser à l'honorable M. Julliot. En effet, si l'honorable membre avait dit ; Je ne veux pas de loi, je lui aurais répondu ; Dans ce cas, les propriétaires dont vous prenez la défense se trouveront en présente de l'arrêté du 13 mai 1854, qui a reçu sa pleine exécution et en vertu duquel le gouvernement a repris la manœuvre des écluses.
Je ne sache pas que jusqu'à présent les propriétaires d'Eelen aient intenté un procès au gouvernement du chef de la reprise des manœuvres de leurs écluses.
Mais s'il y a une lésion à leurs droits dans la loi que nous discutons,, cette lésion existe dans l'arrêté du 13 mai 1854 ; cet arrêté est une mesure de police générale que le gouvernement avait droit de prendre, et que l'honorable M. Julliot ne voudrait pas certainement proposer à la Chambre d'abroger par une disposition expresse.
Si cet arrêté n'est pas conforme à la Constitution, dans, ce cas, les propriétaires d'Eelen n'auraient qu'à formuler leurs plaintes devant les tribunaux ; les tribunaux n'auraient qu'à ne pas en faire l'appréciation ; les propriétaires manœuvreraient les écluses, malgré des injonctions contraires des agents du gouvernement, ; mais si l'arrêté est légal, la loi que nous faisons n'y ajoute rien, ; car l'article premier, qui est la base des griefs de l'honorable préopinant, n'est que la confirmation de l'arrêté du 13 mai 1854.
Messieurs, la discussion porte sur un contrat, quoique dans mon opinion on ait tort de s'occuper d'un contrat ; l'appréciation des contrats est du ressort des tribunaux, et nos débats pourraient peut-être avoir quelque influence sur l'interprétation des clauses du contrat ; mais puisqu'on a invoqué un contrat en faveur d'un concessionnaire contre le gouvernement et d'autres concessionnaires, force est d'en communiquer le contenu à la Chambre ; elle pourra apprécier jusqu'à quel point les plaintes sont fondées.
« Clauses supplémentaires.
« Art. 1er. Les adjudicataires jouiront aussi complétement que possible de l’eau nécessaire a l'irrigation des lots qu’ils auront acquis. Seulement, et ainsi qu'il est dit à l'article 17, ils se conformeront au règlement généram pour tous les riverains du canal... »
Vous le voyez, messieurs, on ne fait pas une position exceptionnelle aux adjudicataires, ils sont soumis au règlement général, comme tous les autres riverains.
« ...ils se conformeront au règlement général pour tous les riveraîns du canal, qui interviendront ultérieurement, afin d'éviter tous abus ou gaspillage des eaux. »
L'article 2 est encore bien plus explicite.
« Art. 2. Il sera loisible aux adjudicataires de confier à l'un d'eux la manœuvre de la prise d'eau ; cette manœuvre restera néanmoins soumise à la surveillance et au contrôle de l'administration à qui il incombe de sauvegarder les intérêts généraux. »
D'après l'honorable préopinant, il semble que les adjudicataires peuvent en tout temps tenir les écluses ouvertes à leur gré ; que le droit de manœuvrer les écluses est un droit de propriété qui n'est soumis à aucun contrôle. Il n'en est pas ainsi ; voyez les limites de la clause ;
« Cette manœuvre restera néanmoins soumise à la surveillance et au contrôle de l'administration à qui il incombe de sauvegarder les intérêts généraux. »
Vous l'entendez : le gouvernement doit sauvegarder les intérêts généraux. Ainsi, le gouvernement doit se réserver le droit d'empêcher qu'on n'ouvre les écluses, lorsque l'ouverture n'en est pas compatible, soit avec les besoins de la navigation, soit avec les besoins généraux du service des irrigations. L'intérêt général que le gouvernement a eu en vue était double ; d'abord, le service de la navigation, puis celui des irrigations.
Admettre l'amendement de l'honorable M. Julliot, avec les interprétations qu'il y a données, ce n'est pas sauvegarder le contrat, c'est l'interpréter législativement dans le sens de la partie réclamante. Or, c'est ce que nous n'avons pas à faire. S'il y a une interprétation à donner à ce contrat, elle doit être donnée judiciairement. S'il y a lésion, dans les mesures générales de police que le gouvernement a prises et qu’il avait le droit de prendre d'après ses attributions, c'est devant les tribunaux qu'on doit articuler ses griefs ; si on croit avoir droit à des dommages-intérêts, qu'on en réclame ; si on croit avoir le droit de résilier le contrat, qu'on intente une action contre le gouvernement.
L'honorable M. Julliot établit une distinction entre les divers propriétaires d'irrigations. Cette distinction est purement arbitraire. Pourquoi le gouvernement a-t-il fait la concession d'une prise d'éau aux irrigateurs d'Eelen ? C'est qu'il leur a imposé l'obligation de fair1 les travaux complémentaires indispensables à la mue en culture des terrains qui leur ont été concédés. Cette obligation, le gouvernement l'a imposée à tous les autres concessionnaires, dans tous les contrats, soit que le gouvernement ait fait lui-même directement l'adjudication, soit qu'il ait approuvé les ventes faites par les communes ; dans tous les contrats, il impose aux propriétaires de faire des prés endéans un délai déterminé ,sous peine, d'abord, de fortes amendes, et finalement, de déchéance de la propriété.
Or, il a pris envers les propriétaires qui se sont soumis à cette obligation, l'engagement de leur fournir de l'eau, mais dans une mesure équitable, dans une mesure proportionnelle au besoin que les diverses propriétés ont de l'eau pour leur création et pour leur entretien. Toute autre interprétation n'est compatible ni avec la nature du service public, ni avec les clauses spéciales du contrat.
L'honorable M. Julliot dit en troisième lieu qu'il veut éviter les procès. Eh bien, loin de prévenir les procès, son amendement en ferait naître de nombreux. Veuillez, messieurs, le remarquer, les propriétaires d'Eelen n'ont pas intenté de procès au gouvernement, malgré l'arrêté du 13 mai 1854, mais d'autres propriétaires d'irrigations en ont intenté, et mêmes ont intenté des procès considérables.
De quoi se plaignent-ils ? Ils se plaignent de ce que le gouvernement, (page 1061) après leur avoir imposé l'obligation de faire des prés d'irrigation, ne leur fournit pas de l'eau en quantité suffisante. Eh bien, je suppose l'amendement de l'honorable M. Julliot adopté, qu'en rësultera-t-il ? Quelle est la cause des procès actuels ? C'est la pénurie de l'eau dans le canal pour le service des irrigations.
Tous les autres propriétaires vont intenter un procès au gouvernement pour qu'il leur fournisse l'eau qui leu -manque ou qu'il reprenne les propriétés.
Ainsi l'amendement serait une source de procès au lieu d'être un moyen de les prévenir
Plusieurs propriétaires ont agi différemment ; il ont cru qu'en présence des sympathies que les départements des travaux publics et de l'intérieur n'ont cessé de montrer au système d'irrigation, ils devaient faire de grands efforts pour suppléer à l'insuffisance de l'eau, ils se sont abstenus de lui intenter des procès. Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Parce que le gouvernement par l'arrêté du 13 mai 1854, a pris une mesure utile pour tous en répartissant l'eau dont il pouvait disposer ; ils attendent l'exécution des promesses qui leur ont été faites d'augmenter le volume d'eau du canal, au lieu de lui intenter des procès et de lui susciter des grands embarras. Ils ont suppléé au manque d'eau par des engrais qu'ils se sont procurés à grands frais.
Ces motifs sont plus que suffisants pour laisser interpréter les contrats par les tribunaux et rejeter l'amendement de M. Julliot, de crainte de donner à ces contrats une interprétation judiciaire qu’ils peuvent réclamer des tribunaux, comme tous les propriétaires qui se sont engagés à créer des prés sous la condition d’obtenir de l’eau en quantité raisonnnable.
Voilà la question nettement, exposée. On a parlé des propriétaires ayant des droits précaires que le gouvernement pouvait retirer. Il est possible que des propriétaires ayant des prés anciens aient obtenu des prises d'eau ; si le gouvernement a fait quelques concessions gratuites, c'est à lui à apprécier s'il doit les maintenir ou les retirer.
Mais ce qui est certain,c'est que tous les propriétaires qui ont assumé l'obligation de créer des prés sont dans une position identique, ont les mêmes droits.
Je suppose que le gouvernement juge à propos de laisser manœuvrer les écluses par un propriétaire, il l'assujettira à des dispositions réglementaires, d'après lesquelles il n'aura pas plus d'eau qu'il n'en a aujourd'hui ; seulement il devra payer l'ouvrier chargé de faire la manœuvre, et il aura près de lui un agent du gouvernement, chargé de dresser procès-verbal si l'ouverture de l'écluse a lieu aux jours prohibés ou au-dessus des limites fixées par l'administration.
Je ne vois aucun avantage pour les propriétaires d'écluse dans l'adoption de l'amendement de M. Julliot, et j'y vois un principe dangereux en ce qu'il fixerait législativement le sens d'un contrat et leur servirait de base s'il leur prenait envie d'intenter au gouvernement une action en résiliation avec dommages intérêts. Telle ne peut être son intention, tel ne sera pas le sentiment de la Chambre.
M. Coomans. - Messieurs, je l'ai dit au début de la discussion, la grande difficulté provient de la crainte qu'ont les premiers irrigateurs de manquer d'eau bientôt, et du refus du gouvernement de promettre de ne plus accorder de concessions nouvelles. Allons au fond des choses et disons que la difficulté naît du manque d'eau. Je suis convaincu que M. Julliot et ceux dont il prend chaleureusement les intérêts sous son patronage se montreraient satisfaits autant qu'on peut l'être, s'ils ne craignaient pas de voir diminuer leurs avantages par des concessions nouvelles ; c'est pourquoi j'avais prié le gouvernement de promettre aujourd'hui de ne plus étendre les irrigations, jusqu'à ce que le volume d'eau à fournir par le canal ait été augmenté.
Je repousse l'amendement parce qu'il détruit un principe essentiel de la loi ; celui de l'égalité de la répartition de l'eau. Toutefois il faut avoir égard à cet amendement, car il est fondé ; nous ne pouvons, pas nous le dissimuler, il y a eu de la part de l'Etat engagement moral de fournir de l'eau à suffisance, engagement moral qui ne va pas jusqu'à forcer l'Etat de fournir de l'eau par des suppléments de travaux à faire dans la Meuse, mais engagement qui va jusqu'à forcer l'Etat à arrêter les irrigations nouvelles jusqu'à ce que le volume d'eau se soit accru. Il est naturel, et ici je ne suis pas entièrement de l'avis de certains irrigateurs, que l'Etat ne soit pas rendu responsable du manque d'eau. Dans la situation actuelle du canal, l'Etat peut répondre que chacun aura de l'eau au prorata de l'eau disponible et des irrigations qui existent.
Mais je ne concevrais pas que l'Etat, qui a déjà pu acquérir la conviction que l'eau est insuffisante, voulût accorder des concessions nouvelles. Voilà la difficulté, car s'il était bien entendu que le développement des irrigations n'aurait pas lieu tant que l'eau ne viendrait plus à manquer, je suis persuadé que M. Julliot retirerait son amendement. Cet amendement n'a qu'une raisou d'être, c'est la crainte des irrigateurs qui ont des droits acquis, des droits respectables, de manquer d'eau quand le gouvernement fera des concessions nouvelles.
J'ai dit qu'il y avait engagement moral de fournir de l'eau à suffisance ; je le vois par les actes de vente qui défendent aux irrigateurs de consacrer les terrains à autre chose qu'à des prairies ; puisque vous leur défendez de cultiver du seigle, et que vous leur prescrivez de faire des prairies au moyen de l'eau, vous êtes moralement engage à leur fournir de l'eau. Vous n'avez pas le droit d'aggraver encore l'inconvénient dont ils se plaignent en Campine en accordant des concessions nouvelles, en réduisant, comme disait M. Julliot, la ration de chaque défricheur.
J'engage beaucoup derechef le gouvernement à tranquilliser sous ce rapport les défricheurs actuels. Il les tranquillisera, en leur donnant l'assurance qu'il n'y aura pas de concessions nouvelles, jusqu'à ce que le gouvernement puisse fournir raisonnablement de l'eau à tout le monde. Je vous prie de le remarquer, je ne m'opposerais pas à ce qu'il y eût des concessions nouvelles, si les bénéfices réalisés par les premiers défricheurs, par les plus entreprenants, les plus courageuxr étaient tels qu'on pût les diminuer dans une certaine mesure, sans qu'ils eussent le droit de se plaindre. Mais ces bénéfices sont très modestes ; ils sont nuls pour divers propriétaires, je suis fâché de devoir le dire. Eh bien, nous n'avons pas le droit... à la rigueur on me démontrera peut-être que ce droit est entre les mains du gouvernement ; mais moralement nous n'avons pas le droit de diminuer les bénéfices insignifiants des défrichements, de supprimer leurs bénéfices et de les constituer en perte par des concessions nouvelles. C'est là, je crois, le fond du débat.
Cependant, je suis d'accord avec le gouvernement et avec les hohorables MM. de Theux et Lelièvre pour repousser l'introduction dans la loi de l'amendement de l'honorable M. Julliot ; car je veux qu'il y ait égalité de traitement pour tous les défricheurs, et il est certain que l'amendement de l'honorable M. Julliot tend à créer des défricheurs favorisés. Or, je désire l'égalité de traitement.
C'est pour cela que je ne puis accepter un amendement qui détruit un principe essentiel de la loi.
Il n'y a pas égalité dans la position de tous les concessionnaires, dira-t-on. En fait, soit. Mais en droit il ne peut en être ainsi ; car le gouvernement ne peut avoir eu l'intention de donner plus d'eau à un défricheur qu'à d'autres.
Mais le gouvernement ne peut avoir eu non plus l'intention de ruiner les défricheurs qu'il a attirés en Campine.
Si donc le volume d'eau acluellement existant ne suffit pas aux défricheurs actuels, vous devez vous interdire d'accorder à de nouveaux défricheurs des avantages qui ruineraient les irrigateurs et discréditeraient les irrigations.
Si le gouvernement voulait, non renoncer à son droit, mais faire une simple déclaration d'où il résulterait pour les défricheurs la conviction que leurs intérêts ne seraient pas compromis, je crois qu'il serait raisonnable que l'honorable M. Julliot retirât son amendement, et je suis très sûr que d'autres plaintes ne surgiraient pas ; car le reste de la loi est accepté avec reconnaissance par les défricheurs.
M. Julliot. - L'honorable M. Coomans a discuté principalement les intentions du gouvernement. Le gouvernement n'a pas, dit-il, l'intention de favoriser tel ou tel défricheur. Mais là n'est pas la question. Il y a des contrats écrits. A côté de ces contrats écrits les intentions ne signifient rien.
L'honorable M. Coomans s'attache à l'idée que l'égalité est toute la difficulté. Mais pour qu'il y eût égalité, il faudrait égalité de position ; y a-t-il égalité de position entre celui qui a acquis à titre onéreux le droit de prendre de l'eau dans telles proportions, et celui qui étant à côté du canal demande à prendre de l'eau ? Le gouvernement dit ; Oui, pourvu que j'aie assez d'eau pour le canal. Je donnerai le reste.
Je commencerai par prendre acte des paroles de M. le ministre de l'intérieur, qui, si je l'ai bien compris, a déclaré que, quand la loi serait votée, les droits résultants des contrats ne seraient diminués en rien, c'est-à-dire que tout ce qui a été acquis à titre onéreux reste acquis. Je prends acte de cette déclaration. Il résulte de là que ce qui était du ressort des tribunaux reste, après la loi comme avant la loi, du ressort des tribunaux.
- Un membre. - Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Julliot. - Cela veut dire, si je comprends bien, que le gouvernement accepte le principe de mon amendement, c'est-à-dire le principe de la non-rétroactivité, en ce qui concerne les contrats entre le gouvernement et les particuliers. Je demande si l'on veut annuler un contrat bilatéral entre le gouvernement et les particuliers, si le ministre vient déclarer que les contrats ne seront pas affectés par la loi. Je demande qu'on me réponde oui ou non...
M. Deliége, rapporteur. - Cela dépend des cas.
M. Julliot. - Si j'avais cette déclaration, je pourrais peut-êtrem'en contenter. Mais si je ne l'obtiens pas, c'est pour moi un motif pour insister.
M. Dumortier et M. Lelièvre renoncent à la parole.
M. Deliége, rapporteur. - Je crois devoir dire quelques mots pour résumer la discussion.
L'honorable M. Julliot vient d'adresser une question à M. le ministre de l'intérieur qui n'y a pas répondu. Quant à moi, je lui répondrai de la manière la plus catégorique ; Oui, la loi en discussion affecte les contrats, comme loi de police, comme toutes les lois de police affectent ce qui existe. Elle n'a pas pour cela d'effet rétroactif, il est évident qu'une loi de police affecte ce qui existe, et qu'elle a le droit de l'affecter.
M. Coomans. - Sauf indemnité, s'il y a lieu.
M. Deliége. - S'il y a lieu à indemnité, évidemment le propriétaire peut réclamer contre la mesure de police. Mais une mesure de police n'en est pas moins prise pour régler les droits acquis comme les droits à acquérir en vertu du droit du pouvoir législatif.
(page 1062) Quand au principe, que l'honorable Julliot prétend établir dans la loi, ce n'est pas l'amendement qui l'établira ; ce n'est pas nous qui pourrions l’établir.
Il est évident que ce principe existe indépendamment de toute loi. Pourquoi ? Parce que le principe que la loi n'a pas d'effet rétroactif, est un principe qui a existé de tout temps et qui existera toujours. Ce principe est fondé sur le droit de propriété, et ce droit est de droit naturel.
Vous ne pouvez enlever la propriété à personne. Mais les tribunaux sont là et si nous faisions une loi qui enlèverait à quelqu'un sa propriété, les tribunaux ne l'appliqueraient pas. (Interruption.) Je m'explique, si une loi enlevait à quelqu'un sa maison sans indemnité, on appliquerait une loi qui est au-dessus de toutes les autres ; c'est la Constitution qui dit qu'on ne peut enlever à quelqu'un sa propriété sans donner une indemnité préalable.
Je crois donc qu'il est parfaitement inutile de déposer dans la loi que nous votons un principe qui est reconnu par tous les tribunaux et tous les jurisconsultes.
Messieurs, le danger ne serait pas aussi grand, si l'on n'interprétait l'amendement d'une manière qui ferait croire qu'on veut décider une contestation existant entre une société et le gouvernement. Le gouvernement n'a-t-il donc pas assez de procès en Campine pour donner encore à certaines sociétés des armes qui l'aident à en intenter de nouveaux ? Un arrêté a été pris par le gouvernement. Cette société le respecte jusqu'à un certain point. Ainsi que vous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, cette société se trouve dans une position spéciale, je l'ai déclaré moi-même.
Elle mérite des égards parce qu'elle a fait de grands sacrifices, alors que presque personne n'en faisait. Cependant, ce n'est pas une raison pour faire, à l'égard de cette société, ce que le pouvoir législatif ne peut jamais faire.
Il y a, messieurs, comme je l’ai dit dans une séance précédente, un second motif pour ne pas déposer le principe que la loi n'atteint pas les droits acquis. C'est que nous devrions, si nous introduisions ce principe dans la loi actuelle, l'écrire dans chaque loi que nous ferions. Car, remarquez-le, il existe d'autres lois de police, il en existe beaucoup et jamais on n'a déposé dans ces lois de police le principe que l'honorable M. Julliot voudrait introduire dans la loi actuelle.
Il y a un troisième inconvénient. Je l'ai signalé en commençant ; si c'est une loi de police que nous faisons, et c'en est une évidemment, les mesures de police affectent les propriétés existantes, et il est impossible de dire, un jurisconsulte ne dira jamais que les lois de police ont un effet rétroactif parce qu'elles règlent ce qui existe.
Il y a un quatrième inconvénient, c'est qu'il n'y a pas de propriétaire qui ait fait des acquisitions en Campine (sauf, peut-être, un, et encore, je ne le croîs pas) qui accepterait l'amendement de l'honorable M. Julliot tel qu'il est formulé. Car ce que demande l'honorable M. Julliot, c'est de renoncer à la loi.
Quel est le principe de la loi ? La section centrale a voulu, la Chambre a voulu renoncer au système conventionnel pour y substituer le système légal. L'amendement de l'honorable M. Julliot, tel qu’il est formulé, nous ramènera complètement au système conventionnel, de manière que tout ce que vous avez fait, vous le déferiez au moyen de l'amendement de l'honorable membre. Hier et aujourd'hui vous avez adopté une quantité de dispositions en vertu d'un principe, émané de la section centrale, introduit sur la proposition d'un membre de cette section, et vous admettriez une disposition diamétralement opposée à ces dispositions.
Je crois, messieurs, qu'il est complétement impossible d'adopter l'amendement de l'honorable M. Julliot.
M. Julliot. - Je prends une troisième fois la parole pour dire que s'il est convenu que tous les droits de propriété qui existent actuellement, en vertu des contrats passés, sont respectés par la loi à voter, voyant qu'il y a de l'opposition sur différents bancs de la Chambre contre mon amendement, je pourrai me résoudre à le retirer.
M. Orts. - L'honorable M. Julliot fait un appel à la Chambre, il demande si telles et telles choses sont convenues ou ne sont pas convenues, et selon la réponse expresse ou tacite de la Chambre, il retirera, dit-il, ou maintiendra son amendement. Devant cette question et en présence des principes qui viennent d'être énoncés par l'honorable rapporteur de la section centrale, je crois bon de produire quelques observations, en vue d'éviter que la Chambre soit engagée vis-à-vis des tribunaux appelés à faire l'application de la loi.
J'ai entendu l'honorable rapporteur émettre d'abord ce principe que si nous votions une loi ayant un effet rétroactif sur la propriété privée, les tribunaux pourraient, au nom de la Constitution, refuser de l'appliquer.
C'est là une véritable erreur échappée à l'honorable rapporteur. Jamais un tribunal, sous un prétexte quelconque, ne peut refuser d'appliquer la loi ; pas même sous prétexte qu'elle serait contraire à la Constitution.
Le pouvoir judiciaire n'a pas le droit de déclarer des lois inconstitutionnelles ; il peut déclarer des arrêtés royaux inconstitutionnels ; jamais des lois.
L'honorable rapporteur a dit aussi que si, par suite de mesures de police, l'exercice du droit de propriété était entravé ou la jouissance dérivant du droit de propriété diminuée, ces mesures emportaient obligation, de la part du gouvernement qui les prend, de payer des indemnités. C'est une second erreur. L'amoindrissement de la jouissance du droit de propriété par l'effet d'une mesure de police prise par le gouvernement dans l'accomplissement de sa mission gouvernementale, comme pouvoir exécutif, n'entraîne à aucune espèce d'indemnité.
Et il ne peut en être autrement, sous peine de méconnaître dans leur essence les prérogatives fondamentales de l'Etat, à tous les degrés. Chaque jour nous voyons un simple pouvoir communal enlever, par des mesures de police, quelque chose d'analogue à cette jouissance de prise d'eau qu'on pourrait être appelé à diminuer en vertu de la loi actuelle, et cela sans indemnité aucune.
Vous avez voté vous-mêmes, et tout récemment, une loi interprétative pour déclarer que les règlements pris par les conseils communaux pouvaient aller jusqu'à exiger la destruction d'ouvrages existant dans l'intérieur des propriétés, parce qu'ils compromettaient la salubrité publique, et que l'exercice de ce droit n'impliquait en aucune manière l'obligation de payer une indemnité au propriétaire, alors même que les ouvrages à détruire avaient été ou autorisés ou légalement construits avant le règlement nouveau.
Les tribunaux ont décidé, sans hésitation, en d'autres circonstances, que si, par exemple, un particulier avait établi légalement un ouvrage touchant à la voie publique, tel qu'un trottoir, une ouverture de cave, on pouvait le faire disparaître après l'avoir toléré pendant 30, 50 ou 100 ans, le temps ne fait rien à l'affaire. L'établissement des servitudes militaires n'engendre pour l'Etat aucune obligation pécuniaire, et vous offre l'exemple d'un cas d'application parfaitement analogue.
Vous avez créé une forteresse à Diest et vous avez dès lors implicitement défendu de bâtir à l'avenir dans un certain rayon de cette place, avez-vous accordé une indemnité aux propriétaires pour la faculté qu'ils ont perdue ? Vous n'en deviez aucune et aucun tribunal ne vous condamnera jamais à payer un sou de ce chef.
Lorsque vous avez voté le Code forestier vous avez mis en interdit de bâtisse une foule de propriétés voisines des bois appartenant aux communes et aux établissements publics, bois qui auparavant n'étaient pas soumis au régime forestier, et dont le voisinage n'entraînait dès lors aucune servitude légale à charge des fonds voisins.
Vous n'avez pas payé d'indemnité, vous n'en payerez pas et vous ne serez jamais condamné à en payer. Personne n'a osé même en réclamer une.
Voilà, messieurs, les véritables principes sur la matière ; j'ai cru devoir les énoncer pour que le vote qui va être émis fût dégagé de l'influence de déclarations qui pourraient rendre douteuse la pensée du législateur. L'honorable M. Julliot fera désormais de son amendement ce qu'il voudra, je n'en discute pas le mérite ; mais quelque parti qu'il prenne ou que prenne la Chambre, il n'y aura dans le vote de surprise pour personne.
M. Deliége, rapporteur. - Je pense que l'honorable M. Orts n'a pris la parole que pour sauvegarder les principes ; il n'a pas entendu combattre la thèse que nous avons soutenue au fond, que l'amendement de M. Julliot est parfaitement inutile.
M. Orts. - Non. Pas le moins du monde.
M. Deliége. - Quant aux principes, l'honorable M. Orts ne m'a pas compris. J'ai parlé d'un seul cas, du cas où une loi serait faite pour autoriser l'expropriation sans indemnité, et j'ai dit qu'alors il y aurait deux lois, la loi faite par la Chambre et la Constitution ; jé crois que s'il en était ainsi j'aurais parfaitement raison devant les tribunaux.
M. Orts. - Nullement.
M. Deliége. - C'est au moins une très grande question, les tribunaux auraient à choisir entre la Constitution et une loi, et je crois qu'ils se prononceraient pour la Constittution.
Cette question, du reste, ne peut pas être traitée incidemment, et je n'ai nullement entendu la décider. J'ai seulement voulu dire qu'il y a impossibilité pour la Chambre de faire une loi qui serait diamétralement opposée au principe de la non-rétroactivité des lois.
Quani à la question d'indemnité, si j'en ai dit quelque chose, c'est parce que j'y ai été amené par une interruption de l'honorable M. Coomans, c'est l'honorable membre qui a pris l'initiative à cet égard. (Interruption.) C'est après l'interruption de M. Coomans que j'ai dit quelques mots de la question d'indemnité.
M. Vervoort. - Puisqu'il s'agit de sauvegarder les principes, je dois appeler l'attention de la Chambre sur une distinction importante. On a parlé d'actes de tolérance et on a dit que dans certains cas le gouvernement peut limiter le droit de propriété sans accorder d'indemnité ; mais lorsqu'une propriété a été vendue à certaines conditions, ces conditions doivent être respectées. Lorsqu'un contrat a été conclu à titre onéreux, le législateur ne peut pas détruire indirectement les stipulations de ce contrat.
Nous sommes tous, j'en suis persuadé, d'accord sur ce point, et nous n'entendons nullement porter atteinte à l'autorité des tribunaux appelés à apprécier les clauses des contrats et la portée de ces clauses.
Je vois dans l'exposé des motifs que le gouvernement admet lui-même ces principes. Il veut respecter rigoureusement,dit-il, les droits des propriétaires tels qu'ils dérivent des lois et des actes de concession.
Ainsi, messieurs, ne confondons pas des actes de tolérance, sur lesquels on peut toujours revenir et des contrats dont on ne peut sous prétexte de prendre des dispositiosn réglementaires, violer ni l’esprit ni les termes ; et qu’il soit bien entendu que les contrats faits avec le gouvernement seront respectés et que les tribunaux seuls auront à en apprécier la portée.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, si jusqu’à présent, je n’ai pas répondu aux diverses questions que m’a posée l’honorable M. Julliot, c’est que je vois un grand danger pour le gouvernement, comme pour la Chambre, à s’aventurer dans de semblables discussions.
Nous n’avons pas le droit et nous ne devons pas avoir la prétention d’exercer la moindre influence sur les tribunaux qui, seuls, sont compétents pour connaître des questions de cette nature.
M. Julliot. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez déjà parlé plus de deux fois ; je ne puis vous accorder la parole sans consulter la Chambre.
- La Chambre, consultée, décide que M. Julliot sera entendu.
M. Julliot. - J’accepte la position de la questiond ans les termes où vient de la placer l’honorable M. Vervoort, et contre laquelle le gouvernement ne s’élève pas.
C’est donc dans ces conditions que je retire mon amendement.
M. Frère-Orban. - dans aucune espèce d’égard aux discussions qui viennent d’avoir lieu.
M. le président. - Nous sommes maintenant en présence d’une propositon de M. Lelièvre, ainsi conçue ;
« Le tribunaux de simple police connaîtront de toutes les contraventions à la présente loi et aux arrêtés pris pour son exécution. »
M. Lelièvre. - Mon amendement est la conséquence de la modification qu’a subie l’article 17 du projet de la section centrale sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur. La Chambre a voulu que les contraventions fussent déférées aux tribunaux de simple police.
- La proposition de M. Lelièvre est mise aux voix et adoptée.
Le vote définitif du projet de loi est fixé à vendredi prochain.
La séance est levée à 5 heures.