(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. de Naeyer, vice-président.)
(page 1047) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Rixensart demande que le gouvernement donne à la compagnie du chemin de fer du Luxembourg l'autorisation d'ouvrir la section de Gembloux ou du moins celle d'Ottignies. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Anciaux et Fallon, avocats à Namur, prient la Chambre de décider si les conseils de milice et les députations permanentes des conseils provinciaux appelés par la loi à apprécier tous les motifs d'exemption qui sont produits devant eux et à contrôler les certificats délivrés dans les formes légales, sont également juges des motifs qui ont pu faire refuser ces certificats. »
-Même renvoi.
M. Lelièvre. - J'appuie cette pétition qui est motivée sur des considérations irréfragables. Des miliciens qui ont obtenu gain de cause en cassation se trouvent néanmoins sous les drapeaux jusqu'à ce qu'il ait été statué par suite de l'interprétation législative de la loi sur la milice concernant les certificats ; il est donc urgent que la loi interprétative soit soumise aux Chambres, et j'appelle sur ce point l'attention de monsieur le ministre de la justice. La pétition ayant un caractère d'extrême urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions qui sera invitée à déposer son rapport dans le plus bref délai.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Muelenaere (pour une motion d’ordre). - Messieurs, en lisant ce matin le compte rendu de la séance d'hier, je me suis aperçu que j'ai fait emploi d'une expression impropre, qui rend fort mal ma pensée.
J'ai voulu dire qu'il était sans exemple qu'on eût abandonné à des particuliers la manœuvre des écluses, et qu'on leur eût permis de faire, selon leur bon plaisir, des prises d'eau à un canal, dont le but principal est de servir au transport des matières pondéreuses, lors même que les eaux dans ce canal n'atteignaient pas la cote de navigation. C'est la manœuvre des écluses et non leur placement que j'ai eu en vue.
M. Vander Donckt présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi de prorogation du délai fixé par la loi pour l'imputation des dépenses sur le crédit d'un million pour construction d'écoles.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à arrêter un règlement de police sur les irrigations faites au moyen de prises d'eau pratiquées aux canaux et aux cours d'eau navigables et flottables de la Campine, ainsi qu'à leurs dérivations.
« Ce règlement aura pour objet de déterminer, en conformité de la loi et des droits des propriétaires résultant des contrats, tout ce qui concerne la concession, la construction, l'entretien et la manœuvre des prises d'eau, la répartition des eaux d'arrosage entre les propriétaires intéressés, la construction, l'entretien et le curage des rigoles d'alimentation et d'évacuation, ainsi que des canaux colateurs. »
M. de Perceval. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur s'est rallié au projet de loi de la section centrale, et je l'en félicite, car la matière a été traitée par elle, et l'œuvre qu'elle soumet à notre examen présente au moins un caractère sérieux, tandis que le projet primitif était d'une insignifiance rare en lui-même, outre qu'il accordait à l'administration, par un règlement en 29 articles, une omnipotence exorbitante.
Je lis dans le rapport de la section centrale, que la première section désire savoir si, au moyen des mesures qu'il prendra, le gouvernement peut garantir qu'il conservera assez d'eau pour les irrigations.
M. le ministre a répondu que le gouvernement peut donner cette garantie en tant que les canaux eux-mêmes recevront toujours le minimum d'eau nécessaire aux besoins de la navigation.
Que signifie cette réponse ? Le gouvernement nage dans le vague le plus complet et le moins rassurant.
A la page 4 du rapport de la section centrale, paragrapje 5, je lis que la 4ème section estime qu'au lieu de nommer de nouveaux agents pour manoeuvrer les écluses sur les bords du canal, le gouvernement doit charger de cette besogne les employés qui reçoivent déjà des traitements et qu'il ne convient pas d'en mettre la dépense à la charge des irrigations.
Le gouvernement a répondu que par suite de la modification proposée à l'article 13 du règlement, l'état actuel des choses serait maintenu. Seulement les propriétaires, ayant des terrains irrigués au moyen d'une ou de plusieurs prises d'eau communes, devraient nommer un ou plusieurs irrigateurs à agréer par le ministre de l'intérieur, ce qui serait à la fois une garantie pour eux et pour le gouvernement.
Ainsi, messieurs, nous aurons des employés du gouvernement préposés à la manœuvre des écluses ou prises d'eau, d'un coté ; de l’autre, des employés des propriétaires, nommés irrigateurs, affectés aux mêmes offices.
Pourquoi ne pas établir un système unique, une bonne organisation ? Il est évident que les écluses de prise d'eau ne devraient être manœuvrées que par des employés des travaux publics, et les irrigaleurs des particuliers n'auraient qu'à s'occuper de la distribution des eaux sur les terrains arrosés.
La cinquième section demande ; 1° s'il ne serait pas préférable de diviser les deux parties du règlement en deux chapitres ; 2° si, au lieu de créer des irrigateurs et de donner plus d'extension au service des irrigations, il ne serait pas préférable de constituer les propriétaires en wateringues, et de se borner à fixer le volume d'eau dont jouirait chaque hectare de terrain, ce qui serait possible au moyen des vannes établies.
M. le ministre a répondu à ces questions négativement.
Dans mon opinion, il n'est pas impossible de réunir tout ce service en wateringues, sous la surveillance, sous le contrôle du gouvernement. Je vais plus loin, et je dis que la constitution de wateringues devient indispensable en Campine pour la juste répartition des eaux destinées à l'arrosage des prairies.
Les droits de l'Etat, les droits des propriétaires doivent être clairement définis dans la loi ; malheureusement cela n'est pas, et cette lacune provoquera une foule de procès que l'Etat aura à soutenir.
Comment le gouvernement pourvoira-t-il aux besoins de la navigation, etc., et comment distribucra-t-il l'eau disponible ?
Si c'est conformément aux règles de la justice distributive, il faut au moins une base ou des règles déterminées, pour agir d'après celles de la justice dislributive.
La loi ne fixe aucune quantité, et d'ailleurs comment fixerait-elle des quantités ? Le gouvernement ne sait pas aujourd'hui quel volume d'eau le canal charrie ; il ne sait pas quel volume est nécessaire à la navigation ; il ne sait pas du tout quelle quantité d'eau est nécessaire pour l'arrosage des prés aujourd'hui existants.
Il sait donc encore moins quel volume d'eau pourrait être nécessaire dans un avenir peu éloigné pour une navigation un peu plus active. Il n'a aucune donnée sur la quantité d'eau qui pourrait être nécessaire pour une plus grande surface de prés.
Dans le présent comme dans l'avenir, le gouvernement vit du vague à l'inconnu, et il formule avec ces éléments un projet de loi.
Triste conséquence de la manière dont les choses ont été conçues et arrêtées pour la Campine !
L'eau sera distribuée d'après les règles de la justice dislributive ; mais quelle quantité d'eau et pour quelle surface ? Limitera-t-on cette surface irrigable ?
Si oui, où sera la justice vis-à--vis des propriétaires riverains du canal ? Et alors renoncez au défrichement.
Si non, vous compromettez l'avenir des prés existants, car si la surface s'étend, il peut se faire et il se fera indubitablement que les prés actuels n'auront plus assez d'eau, n'auront que des quantités infiniment moindres que celles sur lesquelles les propriétaires comptaient. Il fallait donc, et il faut encore determiner la quantité d'eau maximum accordée pour les prés, d'abord pour la première année, puis pour la seconde, et enfin pour les autres années, en se réservant toutefois la faculté de diminuer ou même de supprimer l'eau en cas de nécessité publique ou générale.
Mais, dit-on, il serait assez difficile d'imposer au gouvernement des règles précises pour la distribution des eaux qui doivent servir à l'arrosage. L'expérience acquise n'est pas assez complète pour que ces règles puissent être déterminées.
Au moyen de tels arguments, on se tire aisément d'affaire, mais alors on ne doit pas faire une loi pour régler tout ce qui concerne la concession, la construction et la manœuvre des prises d'eau, la répartition des eaux d'arrosage, etc.... Cependant comme garantie, l'ingénieur tient un registre des manœuvres d'eau. Chaque intéressé peut le consulter et y consigner ses observations. Cette mesure a produit de bons résultats ; elle doit être conservée.
Du moment qu'on se contente de tels arguments et de telles mesures pour la répartition des eaux d'arrosage, tout est dit, et je me demande alors à quoi bon une loi ?
La section centrale établit que les concessions de prises d'eau ne sont pas gratuites, parce que le gouvernement a prescrit que les bruyères susceptibles d'irrigation seraient converties en prés ; comme compensation, le gouvernement fournit l'eau nécessaire à ce genre de culture le plus utile, le plus fécond en résultats.
(page 1048) Cette argumentation est difficilement acceptable ; la reconnaissance de ce principe pourrait nous mener fort loin en matière d'économie sociale et industrielle.
La législature a décrété le défrichement des bruyères quand même, et si le gouvernement est intervenu pour la création des prés, c'est qu'il fallait nécessairement qu'il intervînt pour la distribution des eaux. D'ailleurs cette intervention reposait sur la pensée de la création de 25,000 hectares de prés, tandis qu'en ce moment il n'existe pas même 2,000 hectares, et toutes les ressources sont épuisées, c'est-à-dire qu'on ne sait plus fournir l'eau nécessaire à leur irrigation, quoique avec une navigation très faible, et que, pour remédier à cet état de choses, on a exécuté des travaux coûteux, et projeté d'autres travaux considérables, tels que rehaussement des digues, établissement de travaux pour les fortifier, etc...
Messieurs, le projet de loi soumis à nos délibérations est loin d'être complet, et s'il veut régler pour le présent et pour l'avenir tout ce qui se rapporte à la cession et à la distribution des eaux entre tous les intéressés, il devrait contenir au moins des dispositions relatives à cette distribution, c'est-à-dire déterminer les règles en vertu desquelles la répartition des eaux aura lieu, et ne pas abandonner exclusivement à l'administration le droit de faire cette répartition sans règle fixe.
D'ailleurs, sous ce rapport, l'administration présente-t-elle toute garantie ? Examinons.
Depuis 1847, elle a le pouvoir de régler tout ce qui concerne les prises d'eau ; et ce pouvoir est si étendu, si complet, que c'est elle-même qui a construit les divers ouvrages non seulement pour les prises d'eau, mais encore les fossés d'écoulement et de répartition des eaux aux différents lots. Si donc aujourd'hui on se plaint du gaspillage des eaux, etc., ce sont là des faits imputables à l'administration elle-même.
Au surplus, outre qu'elle fixait les dimensions des écluses, aqueducs, fossés et rigoles, elle avait le pouvoir d'être prévoyante et de prendre des mesures pour tout ce qui concerne l'usage des eaux ; cela résulte formellement des actes de vente.
La Chambre, dans mon opinion, ne saurait donc admettre l'article premier du projet de loi, si la loi ne renferme point des dispositions directes et spéciales relatives à la répartition des eaux.
Il en est de même d'une autre disposition (article 14), qui donne au gouvernement le droit le plus étendu et le moins défini de répartir entre les concessionnaires les eaux qui ne sont pas indispensables à la navigation.
Nous venons de voir que l'administration a été jusqu'ici inhabile pour cette répartition. En effet, dejà dans un rapport de décembre 1849, l'administration déclare s'être livrée à des expériences, pour constater le volume des eaux nécessaires à l'irrigation d'un hectare, et ces expériences avaient déjà coûté environ 3,000 fr. en 1850. Elle affirme dans le même rapport, qu'avant de préparer à l'irrigation de nouvelles zones de bruyères, on aura résolu le problème du volume d'eau indispensable à l'arrosage.
Cependant nous sommes en 1855, et le gouvernement ne craint pas de déclarer dans l'article 19 du règlement annexé au projet de loi qu'en attendant que la quantité d'eau dont les propriétaires auront la faculté de disposer puisse être déterminée, elle sera provisoirement fixée par l’ingénieur en chef, ou par son délégué....
On ne saurait donc s'en remettre à l'administration pour la fixation de la quantité d'eau à distribuer ; et d'ailleurs, on ne peut, me semble-t-il, faire une loi pour laisser dans le provisoire la disposition la plus importante, on ne peut faire une loi, enfin, où l'on déclare qu'on n'a pas les éléments essentiels pour la décréter, on ne peut faire une loi dont le législateur se reconnaît incapable de poser les bases.
En outre, comment veut-on que l'ingénieur en chef ou son délégué fixe provisoirement, à chaque instant, la répartition des eaux, puisque depuis huit ans on n'a pu déterminer le volume d'eau dont les propriétaires auront la faculté de disposer ; puis, on ajoute que chaque répartition aura lieu après des expériences directes sur le terrain. Or, depuis six ans des expériences entreprises dans ce but n'ont pas encore abouti.
Cette disposition est dérisoire ; elle met à nu tout le vice de l'organisation des défrichements, tout le vague, tout le désordre qui règne en cette matière et dans ce service.
La loi projetée est donc entachée de nullité, et elle n'a pas de caractère réellement législatif. Elle consacre, au contraire, des pouvoirs exorbitants au profit de quelques fonctionnaires publics, voire même au profit de délégués de fonctionnaires.
Je ne puis assez m'élever contre une telle manière de procéder, surtout lorsqu'il est facile d'arrêter des dispositions fixes et positives. Si, encore, la matière était neuve ; mais non, depuis un temps immémorial on pratique les irrigations ; daus tous les pays qui nous entourent, il y a des règlements fort bien conçus, il y a des données certaines sur le volume d'eau nécessaire à l'arrosage. Et dans notre pays, dans cette partie de notre territoire pour laquelle on demande une loi spéciale, on a procédé depuis huit ans à l'irrigation des prés ; des ingénieurs ne sauraient pas le premier mot des opérations qu'ils dirigent et que le gouvernement veut régler législalivemement aujourd'hui. Cela n'est pas admissible.
Il faut que la répartition des eaux entre les arrosants soit déterminée pour que la création et la conservation des prés ne soit pas chose illusoire.
En effet, l'irrigation rationnelle demande un certain volume d'eau, et ce volume ne peut diminuer considérablement sans compromettre l'existence de ces opérations.
Ainsi, messieurs, il importe de prévoir dans la loi un minimum et un maximum d'eau à distribuer à ceux qui ont entrepris, ou qui entreprendront la création des prés en Campine.
Le maximum sera facilement fixé ; le minimum devra être déterminé en restreignant la superficie de terrain irrigable.
Les propriétaires qui veulent se servir, pour l'irrigation de leurs propriétés, des eaux des canaux de la Campine ou de la Petite-Nèthe doivent en demander l'autorisation à M. le ministre de l'intérieur.
Comment se fait-il que ces demandes seront adressées au département de l'intérieur, alors que les canaux et les rivières rentrent dans les attributions du département des travaux publics ? Il y aura là confusion dans les attributions ; il serait plus rationnel que ces demandes fussent adressées au ministre des travaux publics.
Comment les actes d'autorisation détermineront-ils les dimensions de la prise d'eau, alors qu'on ne sait pas quelle est la quantité d'eau qui sera accordée aux arrosants ? Or, l'ingénieur (article 19) fixera provisoirement cette quantité, de sorte que l'autorisation fixera définitivement des dimensions pour des quantités provisoires indiquées par l'ingénieur, ou son délégué.
C'est là une manière de procéder fort irrégulière et très singulière.
Les actes d'autorisation émanés du ministre de l'intérieur indiqueront des constructions à faire sur des canaux et rivières qui sont dans les attributions du ministre des travaux publics.
Cela est-il possible en bonne administration publique ?
Les concessionnaires doivent supporter tous les frais relatifs à l'instruction de leur demande et de la surveillance des travaux qu'ils sont tenus d'exécuter.
Ainsi, les employés qui sont spécialement affectés au service des irrigations et qui sont probablement sur les lieux, devront encore être payés par les arrosants ; et si ces derniers ne payent pas les frais des ingénieurs, la concession sera révoquée. Il faut avouer que c'est attacher une bien grande importance au payement de ces frais. On dirait, en vérité, que c'est la partie la plus essentielle des conditions imposées par l'acte d'autorisation.
Lorsque des travaux aux voies navigables seront exécutés par suite des dispositions adoptées par le ministre des travaux publics, ce sera le ministre de l'intérieur qui prendra les dispositions pour faire modifier les ouvrages établis sur ces voies navigables par les arrosants. C'est encore là une conséquence de la fausse voie où l'on entre par la confusion d'attributions.
Vous voulez faire un règlement pour régler tout ce qui concerne l'arrosage, vous le déclarez d'une urgence extrême, vous proposez des dispositions législatives ayant les prétentions spécifiées à l'article premier du projet de loi, vous dites qu'il y a des abus, vous demandez à la législature de pouvoir arrêter ce règlement, et puis, vous venez déclarer dans ce même règlement, qui a force de loi, que vous ne savez pas quelle est la quantité d'eau dont chaque propriétaire aura le droit de disposer, vous affirmez ne pouvoir déterminer ce que vous proposez par une loi de déterminer ; et vous laissez à un fonctionnaire, ou même à uu délégué, la faculté de fixer provisoirerement ce que vous demandez à réglementer par une loi. Ce fonctionnaire arrêtera provisoirement l'ouverture à donner à chaque prise d'eau ! Que devient alors votre autorisation ? Vous obligez, en conséquence, les arrosants à faire aussi des travaux provisoires.
Mais le fonctionnaire réglera-t-il définitivement l'ouverture à donner à chaque prise d'eau ? Dans ce cas, sur quelle base, puisque la quantité d'eau à accorder par hectare n'est pas déterminée ? Fixera-t-il lui-même, et pour chaque cas, cette quantité ? Alors il fera la loi lui-même ; mais vous ne lui accordez ce droit que provisoirement.
Nous tombons ainsi dans les contradictions les plus manifestes et nous consacrons, en outre, des pouvoirs arbitraires, omnipotents à des fonctionnaires publics aux prises avec des intérêts particuliers.
Et le gouvernement veut faire intervenir la législature pour consacrer de pareilles énormités économiques et administratives !...
Ce règlement, qui découle de l'article premier du projet de loi, ne contient donc rien de précis, rien de déterminé.
Il est, au contraire, vague ; il consacre l'arbitraire et peut s'appliquer à la Chine aussi bien qu'a la Campine.
Cependant il était facile de faire un règlement spécial, particulier, inhérent aux terrains irrigués de la Campine. Dès aujourd'hui, on pouvait régler exactement et définitivement tout ce qui a rapport aux arrosages.
En effet, les terrains qu'il est possible d'irriguer au moyen des eaux dont on dispose, sont soumis à l'irrigation ; on ne peut aujourd'hui, et on ne pourra dans l'avenir, avec les eaux fournies par le canal de la Campine, arroser une surface beaucoup plus considérable. Ainsi, le projet de loi et le règlement pouvaient être conçus et rédigés pour des choses existantes ; la distribution, l'emploi et l'écoulement des eaux pouvaient être déterminés jusque dans leurs moindres détails, et il était facile de présenter à la législature un travail sérieux et complet, définissant exactement les droits et les devoirs des diverses parties.
Le modèle des actes de concession peut également donner lieu à plus d'une critique.
(page 1049) Cet acte ne spécifie absolument rien de ce qu'il devrait spécifier ; il se maintient dans les nuages des conditions générales, il n'éclaire en rien l'intéressé, mais dans chaque article la répression se montre très vigilante.
Les ingénieurs devraient, dans cet acte, éclairer l'arrosant sur ses devoirs, sur ses droits, sur ses intérêts, déterminer les conditions d'usage des eaux, enfin les différentes dispositions spéciales concernant sa propriété dans ses rapports avec l'arrosage.
On trouve, en outre, dans cet acte un article 7 fort peu intelligent, fort peu progressif, mais en revanche très arbitraire. Le gouvernement n'accorde de l'eau que pour des prairies, à l'exclusion de toute autre culture ; c'est textuel, il ne veut que du foin, pas d'autre fourrage que des herbes. Ni culture industrielle, ni culture maraîchère, ni culture de céréales, ni culture améliorante ; rien, absolument rien que des prés. La classique prairie irriguée est le seul champ sur lequel les agriculteurs peuvent innover et s'enrichir.
Pourtant, peu importe pour quel produit l'eau cédée serait employée, si ce produit est utile à la société.
On peut s'en rapporter à l'intérêt des propriétaires ; évidemment ils ne cultiveront pas des produits de nulle valeur ni sans emploi. Laissez donc à chaque arrosant la faculté de se livrer aux cultures qu'il désire, qu'il trouve les plus convenables et les plus lucratives.
Je termine, messieurs, par une dernière considération. Je trouve singulier que le gouvernement propose à la législature une loi et un règlement pour fixer une chose, et que les dispositions de cette loi et de ce règlement déclarent qu'on ne connaît point cette chose que l'on veut cependant régler et déterminer. Je trouve étrange aussi que nous allons voter une loi qui porte, le cachet du provisoire, et ce qui m'étonne au plus haut point, c'est que nous conférons à un ingénieur et même à son délégué des pouvoirs étendus, qu'il exercera sans contrôle, sans responsabilité et dont il pourra user et abuser à sa guise.
L'avenir de la Campine, le défrichement des bruyères et les intérêts de la navigation sont sérieusement engagés dans la question qui nous occupe ; comme je désire les sauvegarder tous, et que, dans mon opinion, le projet de loi ne réunit point toutes les conditions voulues pour atteindre ce but, j'aurai l'honneur de proposer à la Chambre l'ajournement de cette discussion. Nous donnerons ainsi au gouvernement le temps nécessaire pour élaborer une loi sur la police des irrigations plus complète et moins vague que celle que nous examinons en ce moment.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je regrette que l'honorable préopinant n'ait pas présenté ses observations dans la séance d'hier, alors qu'on s'occupait de la discussion générale du projet de loi. Cependant comme il a fait une motion d'ajournement, je désire dire quelques mots pour la combattre.
Je ne comprends pas que le discours que vient de prononcer l'honorable membre ait pu aboutir aux conclusions qu'il vient de formuler.
D'après l'honorable membre, la loi que nous proposons consacre le vague, le désordre de l'administration et l'arbitraire des fonctionnaires ; et que propose-t-il ? De perpétuer l'état actuel des choses.
Je demande si l'état de choses actuel lui paraît préférable. Est-ce que le désordre cessera quand nous n'aurons pas de loi et que nous resterons sous le régime des conventions ? Est ce que l'arbitraire sera moindre quand la loi sera ajournée ?
La loi, dans la pensée du gouvernement et de la section centrale, a pour but de limter ce que l'honorable membre appelle l'arbitraire des agents de l'administration, de sortir du régime conventionnel et de le remplacer par un régime légal qui présente plus de garanties aux propriétaires.
Si le résultat de l'ajournement était de faire cesser les inconvénients dont se plaint l'honorable membre, je comprendrais sa motion ; mais il aura pour effet de perpétuer l'état de choses actuel qui ne doit pas lui plaire beaucoup, à en juger par le tableau qu'il vient de vous en retracer.
Messieurs, toutes ces réclamations, toules ces plaintes qui viennent d'être formulées par l'honorable préopinant, sont-elles fondées ?
Des fautes peuvent avoir été commises dans la première application du système des irrigations ; j'ai été le premier à le reconnaître hier. Il est évident que si l'on observe les débuts de notre administration dans l'organisation de ces irrigations, ces débuts ont révélé beaucoup d'hésitations et de tâtonnements. Mais j'ai eu l'honneur de dite à la Chambre que la nature particulière de cette entreprise, les questions toutes neuves devant lesquelles l'administration se trouvait, son manque d'expérience et de pratique en cette matière, expliquent parfaitement ce qu'il a pu y avoir d'un peu décousu dans sa marche.
Cet aveu n'implique en aucune façon la pensée de vouloir jeter le moindre blâme sur l'administration du chef de cette inexpérience qui s'explique par les faits. Cette administration a rencontré les obstacles de tout genre qu'auraient rencontrés également les propriétaires particuliers. Il n'y avait pas de précédents administratifs à invoquer ; il fallait, pour ainsi dire, improviser une administration nouvelle.
Mais les erreurs et les fautes commises sont-elles aussi étendues, aussi graves que le dit l'honorable préopinant ? Y a-t-il réellement autant d arbitraire, autant de vague qu'il le dit, dans l'administration et surtout dans la répartition des eaux, question dont il s'est surtout préoccupé ?
L'administration, dit l'honorable membre, s'est arrogé des droits exorbitants. Cela pourrait être vrai ; mais la question est de savoir si, dans l'état actuel de cette partie de l'administration, ces droits étaient nécessaires. La question est de savoir si, dans l'intérêt de la navigation d'abord, qu'il fallait sauvegarder avant tout, mais aussi dans l'intérêt des irrigateurs, il ne fallait pas une autorité indépendante et forte, capable de résister aux entraînements de toutes les prétentions particulières, de défendre leurs intérêts communs contre les intérêts privés, et de faire dominer, dans ce service, une pensée d'ensemble.
Ce qui me porterait à le croire, c'est que là où l'administration est le plus directement intervenue, ce sont les parties des irrigations qui ont le mieux réussi ; et l'on peut soutenir que presque partout où l'on a voulu marcher sans l'administration, où l'on a voulu résister à son intervention, on a obtenu bien moins de succès. Voilà des faits.
L'honorable membre se plaint de la confusion qui peut résulter du service spécial qui a été affecté à l'administration les irrigations. Mais quelle confusion y a-t-il ? Il faut bien, en définitive, un service spécial, qu'il ressortisse au département de l'intérieur ou au département des travaux publics. La nature toute spéciale de ces propriétés, je ne saurais trop le répéter, implique aussi la nécessité d'une administration toute spéciale, ayant fait une étude toute particulière des questions qui se rattachent au système des irrigations.
Voulez-vous que ce service spécial ressortisse au département des travaux publics plutôt qu'au département de l'intérieur ? C'est une question qui ne peut exercer aucune influence sur l'administration même.
Mais ici encore l'honorable membre se trompe ; il est beaucoup plus naturel que ce service spécial se rattache au département de l'intérieur. Le département de l'intérieur a dans ses attributions l'agriculture. Le défrichement constitue un intérêt agricole de premier ordre.
Les irrigations ne sont qu'un mode spécial de défrichement. Il est donc très naturel que le service des irrigations ressortisse au département de l'intérieur. Si, par cela seul qu'il faut quelques connaissances en matière de travaux publics, il était nécessaire de rattacher ce service spécial au département des travaux publics, il y a beaucoup d'autres services qui devraient ressortir à ce dernier département, notamment le service de la voirie vicinale.
Mais l'intérêt principal en jeu dans la question est un intérêt agricole, et de ce chef elle se rattache au département de l'intérieur. Aussi toutes les questions qui concernent les irrigations se décident au département de l'intérieur. L'administration des travaux publics est consultée, au besoin, mais elle n'a pas à y intervenir. Elle intervient que pour ce qui concerne la direction et la surveillance des travaux relatifs aux canaux mêmes. Mais quant aux irrigations proprement dites, depuis les prises d'eau jusqu'aux canaux collateurs qui emportent les eaux pour les remplois, elles concernent uniquement le département de l'intérieur.
Celui qui dirige ce service est un homme spécial qui a été détaché du département des travaux publics, et sous ce rapport il offre, au point de vue des travaux, toutes les connaissances spéciales qu'on peut exiger d'un semblable fonctionnaire. Mais il a de plus, ainsi que ses subordonnés, acquis toutes les connaissances spéciales nécessaires pour la direction de ce service.
L'honorable membre se plaint de l'arbitraire qui paraît régner dans ce service. Cet arbitraire serait beaucoup plus à redouter, si les propriétaire étaient abandonnés à l'action de fonctionnaires qui n'entendraient rien à la direction des travaux d'irrigation ; les fonctionnaires actuels ont une véritable autorité dans la matière, parce qu'ils ont l'expérience acquise depuis 5 ou 6 ans.
D'ailleurs les propriétaires sont toujours entendus. L'administration ne s'impose pas ; elle ne marche pas en aveugle ; elle entend les propriétaires, et c'est conformément aux avis émis qu'elle prend ses décisions. Elle n'a aucun intérêt à défendre qui soit hostile à celui des propriétaires.
L'honorable membre a parlé d'une bonne administration à donner aux irrigations ; je serais curieux de savoir sur quelles bases il l'établirait ; je voudrais surtout savoir en quoi cette administration serait meilleure si elle était, comme il le désire, rattachée au département dei travaux publics, plutôt qu'au département de l'intérieur.
Ma raison ne m'indique pas quelles seraient les conditions pour ce que l'honorable préopinant appelle une bonne administration. Je n'entrevois pas la possibilité de ces nombreuses et profondes améliorations dont la perspective devrait nous faire ajourner le vote de la présente loi.
L'honorable membre est revenu sur l'institution des wateringues. J'ai déjà parlé hier de ce point, et peut-être n'ai-je pas assez insisté sur l’argument de fait qui coupe court à cet essai. L'idée d'une wateringue n'est pas applicable dans l’espèce, et cela pour un bon motif ; c'est que sur les 20 grandes concessions, il n'y en a que trois où il y a plus d'un propriétaire intéressé à la même prise d'eau. Il serait, il faut en convenir, très difficile à un propriétaire de se constituer seul en wateringue, qui suppose nécessairement un certain nombre de propriétaires réunis d'intérêts.
J'arrive à la répartition des eaux. J'avoue qu'ici il y a un certain vague. Mais je voudrais savoir de l’honorable préopinant ou de quelque propriétaire que ce soit, s'il y a un moyen de sortir de ce vague ; s'il est possible actuellement et s'il sera possible, d'ici à quelques années, de (page 1050) dire exactement sur quelles bases fixes doit se régler cette distribution des eaux pour l'arrosage.
Le projet de loi n'a rien pu proposer à cet égard ; la section centrale avoue son impuissance à formuler des dispositions sur cette base ; le gouvernement recule devant cette détermination.
Je crois, messieurs, que tout en réservant l'avenir, nous devons nous contenter de l'application des principes qui ont dirigé jusqu'ici cette répartition des eaux.
Je ne vois pas qu'en général les propriétaires aient lieu de se plaindre. Ils peuvent se plaindre cependant. Il y a des registres de manœuvres et l'on peut dire que ce moyen, sans être absolument efficace, offre des garanties, surtout dans un pays de publicité comme le nôtre. S'il y avait abus d'autorité de la part des agents du service des irrigations, alors que cette autorité s'exerce sous les yeux de tant de propriétaires, il est certain qu'ils seraient bien vite signalés.
L'honorable membre a parlé encore des travaux qu'il y aurait à faire ultérieurement. Messieurs, ces travaux ultérieurs, j'en reconnais la nécessité ; mais les veut-on ou ne les veut-on pas ? On se plaint du manque d'eau. Veut-on abandonner ces expériences d'irrigation qui ont été jusqu'à présent considérées comme une chose heureuse ? Veut-on abandonner la grande pensée qui a présidé à l'organisation de ces irrigations considérées à bon droit comme principal moyen de fertilisation ? Si on ne veut pas l'abandonner, il faudra bien en venir aux moyens nécessaires pour avoir des irrigations normales.
Les travaux à faire pour augmenter les dimensions de l'écluse de Bocholt, pour élargir et approfondir au besoin le grand canal de la Campine, n'ont pas exclusivement pour but de favoriser les irrigations ; ils sont, au contraire, rendus surtout nécessaires par les compléments à exécuter pour compléter les voies navigables de la Campine.
Tels sont le canal projeté vers Beverloo, le canal vers Hasselt, le canal d'Herenthals à Anvers et peut-être le canal direct de Turnhout vers Anvers. Tous ces travaux sont conçus au moins autant dans l'intérêt de la navigation que dans l'intérêt des irrigations.
Les irrigations ne constitueront jamais que la partie accessoire ; la navigation sera toujours la partie principale. J'insiste fortement sur ce point, messieurs, parce qu'il ne faut pas que les travaux qu'on se propose d'exécuter paraissent avoir pour but exclusif l'amélioration du système général des irrigations.
Messieurs, le projet de loi peut n'être pas complet. Je ne pense pas qu'on puisse jamais avoir la prétention de présenter à la Chambre un projet de loi complet, où tout soit prévu, où l'avenir soit complètement sauvegardé. On adapte les lois aux faits qui se présentent, pour satisfaire aux besoins du moment. Eh bien, la loi satisfait aux besoins du présent. On améliore ce qui a été fait ou essayé successivement. D'ailleurs, si le projet de loi n'est pas complet, le régime conventionnel qui fait actuellement la loi des parties, est-il plus complet, plus rassurant ? Or, il y a à choisir entre le système de la loi et le système conventionnel qui existe aujourd'hui, et je demande de nouveau à l'honorable membre s'il y a là moins d'inconvénients, si ce dernier système est plus digne de ses suffrages, à lui qui veut que tout soit déterminé, qu'il n'y ait rien de vague, qu'il n'y ait aucune confusion de pouvoirs, aucun arbitraire administratif.
Messieurs, l'ajournement de la loi ne se justifie donc pas en principe ; en fait, je dois dire que cet ajournement serait une chose funeste.
La loi a pour but de limiter les pouvoirs du gouvernement ; en dehors des dépendances directes des canaux mêmes de la Campine, à commencer par la prise d'eau, et pour les travaux d'irrigation proprement dits, il n'y a pas eu jusqu'à présent de dispositions législatives de police. Or, il est indispensable d'établir sur des bases fixes ces dispositions de police. Cela est d'autant plus nécessaire que dans la plupart des actes de vente et de concession, on fait appel à ces futures dispositions législatives. Il n'y a presque pas d'acte de concession où le concessionnaire ne s'engage à se soumettre à toutes les mesures législatives ou administratives que le gouvernement se trouverait dans la nécessité de provoquer ou de prendre plus tard. Eh bien, la loi qui est en discussion est nécessaire pour la parfaite intelligence de la situation réelle de toutes les concessions ; il faut que chaque concessionnaire sache, pour apprécier l'étendue de ses droits, en quoi consistent les mesures de police que le gouvernement se croit autorisé à prendre pour régler les irrigations.
Il y a une autre considération pratique qui milite en faveur du vote immédiat de la loi. C'est que dans ce moment-ci il n'y a pas d'agents constitués par la loi pour constater les contraventions en matière d'irrigation. Le règlement administratif du 13 mai 1854 se trouve frappé d'impuissance, parce qu'il n'y a pas de disposition législative qui ait donné aux agents du service spécial des irrigations qualité pour consiater les contraventions.
Ainsi, messieurs, il y a des motifs sérieux pour voter, le plus tôt possible, cette loi. Elle améliore l'état actuel des choses ; elle rend toutes les positions plus fixes ; elle est destinée à consacrer les mesures de police auxquelles la plupart des actes de concession se réfèrent. Il y a plus ; elle a été demandée par tous les propriétaires, à l'exception peut-être d'un ou de deux d'entre eux. A plusieurs reprises, ils ont manifesté généralement le désir de sortir du régime conventionnel et de voir consacrer, par des dispositions législatives, tous les droits, ceux du gouvernement comme ceux des propriétaires.
J'estime en conséquence qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la motion, d'ajournement faite par l'honorable préopinant.
M. le président. - Voici la proposition de M. de Perceval :
« J'ai l'honneur de proposer l'ajournement, à la session prochaine, de l'examen du projet de loi sur la police des irrigations en Campine. »
M. de Perceval. - Messieurs, malgré les considérations présentées par l'honorable ministre de l'intérieur, je persiste dans ma proposition, et je pose à la Chambre cette question ; Faut-il faire une loi bonne ou mauvaise ? Et après toutes les observations émises, depuis deux jours que nous discutons ce projet de loi, peut-on affirmer que les dispositions qu'il renferme soient bonnes ?
La loi renferme-t-elle des défectuosités, oui ou non ? Mais sa base fait défaut. Elle ne détermine pas ce qu'il importe surtout de fixer ; le maximum et le minimum d'eau que l'on donnera aux propriétaires.
C'est là ce qui doit constituer la partie essentielle de votre loi.
Nous faisons une loi afin d'autoriser le gouvernement à prescrire les dispositions réglementaires pour les irrigations, et qui dit irrigations, dit eau à distibuer. Vous ne savez pas comment vous ferez cette distribution, et vous donnez un droit illimité à un agent qui ne connaît pas le nombre de litres d'eau nécessaire par hectare de prairie à irriguer.
Vous faites une loi pour sanctionner le provisoire et vous déposez vos pouvoirs entre les mains d'un agent qui marché lui-même dans l'inconnu pour ce qui concerne les irrigations.
Je dis : ne votez pas cette loi, laissez la question à l'étude ; depuis sept ans on fait des expériences, on en fera encore pendant six mois, attendez-en le résultat.
Si le corps des ponts et chaussées ne peut être d'aucune utilité pour fixer le volume d'eau nécessaire à l'irrigation d'un hectare, à quoi bon un corps de ponts et chanssées ? M. le ministre me dit : Déposez un amendement dans lequel vous fixerez le maximum et le minimum d'eau à distribuer.
Je ne suis pas compétent pour le faire, mais je réponds à M. le ministre : Adressez-vous à nos ingénieurs, au corps des ponts et chaussées.
Ils sont payés per l'Etat pour étudier des questions de cette nature ; et ils vous présenteront un travail complet sur la matière le jour où vous l'exigerez bien sérieusement. Ils vous présenteront, quand vous leur intimerez l'ordre, un système de distribution rationnelle des eaux.
Il me paraît très élémentaire que le projet de loi fixe la quantité d'eau à accorder gratuitement aux arrosants. En établissant un maximum on prévient le gaspillage des eaux, c'est-à-dire qu'on met les eaux à la disposition du plus grand nombre de propriétaires possible et on favorise l'extension du défrichement dans une juste mesure. Par le minimum on arrive à la conservation des prés dans un ordre de droits acquis, c'est-à-dire qu'on prévient le manque absolu de récoltes, lesquelles seraient évidemment compromises si les prés ne recevaient pas dans le cours d'une année le volume d'eau minimum qui leur est nécessaire.
Il ne faut pas, dit-on, ajourner un projet de loi de cette importance.
Mais la Chambre n'a-t-elle pas ajourné la discussion sur le tarif des douanes ? Et là des intérêts bien plus graves, bien plus sérieux étaient en jeu. N-a-t-elle pas ajourné également le projet de loi sur l'enseignement agricole ?
Ce projet de loi et celui qui est en ce moment soumis à notre examen sont deux enfants jumeaux, aussi mal constitués l'un que l'autre. L'amour-propre de M. le ministre de l'intérieur est sauf, car c'est un triste legs qui lui a été laissé par son prédécesseur.
L'honorable ministre aurait tort de faire, de la question d'ajournement, une question d'amour-propre.
L'honorable M. de Muelenaere a fait ressortir, dans la séance d'hier, jusqu'à quel point les intérêts de la navigation primaient ceux des propriétaires.
Ne perdons pas de vue que le canal a été créé d'abord pour desservir la navigation et subsidiairement les irrigations en Campine. Si je demande que ce service soit placé dans les attributions du département des travaux publics, c'est parce que les intérêts de la navigation dominent ceux des irrigateurs, et que par conséquent il est nécessaire de faire subir au service des irrigations le contrôle du ministre des travaux publics plutôt que celui du ministre de l'intérieur.
M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, d'après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, je serai très court. L'honorable M. de Perceval vous a dit que depuis sept ans la question est à l'étude. Après un tel laps de temps, la Chambre aboutirait à quoi ? A un ajournement après sept ans d'étude. Ce serait là un bien pauvre résultat, il ne ferait honneur ni à la Chambre, ni au gouvernement, ni au régime représentatif.
Remarquez que ceux qui sont juges compétents dans cette affaire, ce sont les irrigateurs eux-mêmes.
Or, qu'a-t-on fait lorsque le premier projet a été présenté par le gouvernement, projet que la section centrale a rejeté ? Les irrigateurs se sont émus ; ils se sont assemblés, tous ont été d'avis que ce projet avec le projet de règlement qui y était joint ne pouvait obtenir l'assentiment des Chambres.
Une commission a été nommée ; cette commission a choisi un président et ce président a fait partie de la section centrale. Nous sommes parfaitement d'accord avec le président et tous les membres de la commission ; je pourrais même dire avec tous les propriétaires irrigateurs à l'exception peut-être, je n'en suis pas bien certain, d'un seul ; parce (page 1051) qu'il prétend avoir acheté le terrain sans condition. Il en infère qu'il peut mettre le canal à sec, empêcher la navigation, qu'ayant acheté sans condition, il peut faire tout ce qu'il veut.
Ce propriétaire est une société. Je crois que ses prétentions ne sont pas sérieuses. Cette société fait ce qu'elle peut faire pour avoir les meilleures conditions possible. Je crois qu'elle est dans des conditions spéciales, elle est une des premières qui aient entrepris des irrigations, elle a droit à certains égards ; je dois dire que quand on parle individuellement aux membres de cette société, on les trouve très raisonnables.
Aucun n'attaque le projet comme on l'a fait dans cette enceinte.
Quel est le grand argument de M. de Perceval ? Je mets à l'écart cette circonstance que les irrigateurs acceptent la loi comme un bienfait, et demandent qu'elle soit adoptée au plus tôt ; l'honorable membre dit que la loi manque de base, qu'elle ne détermine pas comment il faut répartir l'eau pour l'arrosage. Il est impossible de tracer des règles à cet égard. Il y a différentes espèces de terrains, il y a des terrains très secs et des terrains assez humides ; il y a des irrigateurs qui irriguent par versement ; d'autres par infiltration ; d'autres veulent établir des fermes comme en Hollande ; d'autres irriguent au moyen d'une quantité de rigoles ; d'autres en emploient moins ; suivant le système adopté par le propriétaire, il faut plus ou moins d'eau. On ne peut donc déterminer par la loi les quantités d'eau qui seront distribuées.
Le projet, comme je le disais en commençant, a été généralement accepté, et nous ferons chose utile, tous les irrigateurs le disent, en discutant et votant ce projet pendant le cours de cette session.
M. Coomans. - Je ne dirai que deux mois. Je regrette que l'honorable M. de Perceval ait insisté sur sa motion, après les explications lucides données par le gouvernement. Une chose me frappe ; dans l'intérêt de qui l'honorable membre demande-t-il l'ajournement ? Est-ce dans l'intérêt de l'administration ? Non. Est-ce dans l'intérêt du défrichement ? Non. Est-ce dans l'intérêt des irrigateurs ? Non, non, car je suis en mesure d'affirmer qu'une prolongation de deux ans du régime actuel ruinerait les irrigations en Campine ; nous n'aurions plus à nous en occuper. L'honorable membre désire l'ajournement afin que le ministre puisse présenter à la prochaine session un projet de loi plus complet, plus parfait. Je doute en vérité que ce but puisse être atteint.
Je l'ai dit, je ne suis pas admirateur systématique de toutes les dispositions du projet de loi. Il en est quelques-unes que je trouve trop minutieuses. D'autres peuvent prêter à l'arbitraire. Mais je dois cependant reconnaître que le projet est le résultat de toutes les observations utiles qui ont été présentées. Je sais que les irrigateurs s'en disent satisfaits ; à ma connaissance tous en sont contents ; et devant cette vérité que le prolongement du provisoire serait ruineux pour les irrigations, je ne puis concevoir l’ajournement.
Il y a dans les observations de l'honorable député de Malines une partie qui est fondée et que j'avais indiquée moi-même. J'ai d'abord insisté sur une difficulté sérieuse, l'intervention trop vague du gouvernement en ce qui concerne la distribution de l'eau.
J'avoue que c'est là une lacune fâcheuse qui peut surtout devenir grave, si les agents de l'administration ne se comportent pas avec impartialité et justice. Mais après les explications qui m'avaient été données, après la conviction que j'ai acquise que la réglementation préalable de la distribution d'eau est très difficile, après surtout la promesse qu'a faite le gouvernement d'avoir égard à l'équité, d'interdire à ses agents toute espèce d'acte de favoritisme, j'ai dû me déclarer satisfait sur ce point. Il est vraiment le seul qui puisse créer quelques difficultés ; car je ne pense pas que l'honorable M. de Perceval puisse nous indiquer en dehors de l'article premier des raisons suffisantes pour motiver sa demande d'ajournement.
Je me résume donc ; le régime provisoire sous lequel sont les irrigations depuis sept ans est intolérable ; il est ruineux, donne lieu à des procès et à un très grand nombre de difficultés qui n'arrivent pas même devant les tribunaux. Les inconvénients de ce provisoire sont évidents pour tout le monde, et je répète que la Chambre en y mettant un terme fera droit à des réclamations générales et qui me semblent très fondées.
- La discussion est close.
La proposition d'ajournement, faite par M. de Perceval, est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
L'article premier est adopté.
« Art. 2. Le gouvernement fait manœuvrer, à ses frais, les écluses d'irrigation établies sur les bords des canaux et des cours d'eau mentionnés à l'article premier. »
- Adopté.
« Art. 3. Il peut cependant en abandonner, jusqu'à révocation, la manœuvre aux propriétaires, à charge par eux d'observer les règlements ayant pour objet d'assurer le service de la navigation et la distribution des eaux d'arrosage. »
- Adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'article 2 stipule un principe général. L'article 3 indique les exceptions qu'il y a lieu de faire. Ne serait-il pas plus régulier de réunir les deux articles en un seul ? J'en fais la proposition.
M. Deliége, rapporteur. - Appuyé !
- La Chambre décide que les articles 2 et 3 feront un seul article.
« Art. 4. Le régime intérieur des irrigations est libre, sauf les dispositions de la présente loi.
« Chaque concessionnaire peut, sous la même réserve, librement créer des prés ou les modifier et disposer des eaux dans les limites de sa propriété, pourvu qu'il ne les emploie qu'à l'arrosage, et qu'il les rende à leur cours à la sortie de son fonds, à l'endroit et au niveau déterminés par l'administration. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'article dit « pourvu qu'il ne les emploie qu'à l'arrosage. » Je crois que la loi doit prévoir tous les cas, et qu'elle doit s'appliquer à tous les genres de concessions qui existent dans la Campine. Il n'y a pas seulement des irrigations ; il y a aussi des concessions pour former des étangs, qui successivement sont asséchés et livrés à la culture.
Je crois donc qu'il faudrait remplacer le mot « arrosage » par les mots « l'usage déterminé par l'acte de concession. »
M. Coomans. - On propose de dire : « l'emploi déterminé par l'acte de concession. » Mais si ensuite le gouvernement acquiert la conviction que l'on peut employer l'eau utilement d'une autre manière, il se priverait lui-même de la liberté de faire un semblable avantage aux irrigateurs. Je voudrais laisser le gouvernement libre à cet égard. Par la rédaction proposée, nous nous lions les mains, ce me semble. Dans un règlement, il n'y aurait pas d'inconvénient. Mais dans un article de loi c'est plus grave.
M. de Theux. - Je crois que l'observation de l'honorable préopinant est juste au fond. Mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de modifier la rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur. Les concessions émanent du département de l'intérieur ; il est évident que si le ministre de l'intérieur trouve qu'un autre usage est désirable dans l'intérêt public il peut modifier la concession.
M. Coomans. - Je n'insiste pas.
- L'article 4 est adopté avec la modification proposée par M. le ministre de l'intérieur.
« Art. 5. La construction de prises d'eau, de rigoles d'alimentation etd'écoulement, ainsi que de canaux colaleurs établis en vertu d'actes de concession antérieurs à la présente loi, ne peut être modifiée sans l'autorisation du gouvernement.
« Les remplois d'eau établis ou prescrits ne peuvent être supprimés sans la même autorisation. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il est bien entendu que les remplois d'eau établis ou prescrits non seulement ne peuvent être supprimés sans autorisation, mais qu'ils ne peuvent être changés d'une façon notable ; car il est évident que de tels changements équivaudraient à une suppression. La section centrale fait à ce sujet une réserve, à laquelle je déclare adhérer, pour que ce soit bien entendu.
On consacre la liberté du régime intérieur des irrigations et l'on permet par conséquent un changement peu important qu'un propriétaire ferait à son remploi d'eau. Mais du moment que ces remplois d'eau deviendraient assez importants pour équivaloir à une suppression, ils sont tout aussi interdits que la suppression même.
- L'article 5 est adopté.
« Art. 6. Les travaux nécessaires pour préparer le terrain à l'irrigation ensuite d'une concession de l'Etat, ne peuvent être entrepris qu'après que le gouvernement a réglé, les propriétaires entendus, ce qui est relatif, d'une part, à la construction de prises d'eau, des rigoles d'alimentation et d'évacuation ainsi que de coteteurs, et, d'autre part, aux remplois d'eau que les terrains comportent. »
- Adopté.
« Art. 7. Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains aliénés en plusieurs lots à l'intervention du gouvernement, le Roi peut, à défaut d'entente entre les propriétaires, déterminer, par un règlement, l'usage des eaux et prescrire la construction et l'entretien des ouvrages, qu'il serait utile d'établir dans l'intérêt commun. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je propose un changement de rédaction qui ne modifie pas l'essence de l'article :
« Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains aliénés en plusieurs lots à l'intervention du gouvernemental. » Je crois que la disposition devrait aussi s'appliquer à des terrains qui n'ont pas été primitivement aliénés en lois, mais qui pourraient être vendus par parcelles ou qui, par suite d'une succession, pourraient se trouver partagés entre plusieurs héritiers. Il ne faut donc pas, pour que cet article 7 soit applicable, que primitivement les terrains aient été aliénés en plusieurs lots. Il faut, je le répète, prévoir le cas où un propriétaire viendrait à les vendre par parties et celui où un propriétaire viendrait à décéder et où sa propriété serait divisée en plusieurs lots. Il suffirait de dire, au lieu de : « aliénés en plusieurs lots à l'intervention du gouvernement », ces mots : « irrigués en vertu a'une concession du gouvernement. »
M. Deliége, rapporteur. - Je crois que l'on pourrait employer le mot « divisés ». Cependant j'attendrai l'amendement de M. le ministre de l'intérieur.
Voici la pensée de la section centrale. S'il y a une convention, ou s'il y a entente entre les propriétaires, le gouvernement ne doit pas intervenir, son action ne peut pas se produire. S'il n'y a pas de convention ou s'il n'y a pas d'entente, alors évidemment c'est au gouvernement à. régler.
Voilà ce qu'a voulu la section cntrale d'accord avec M. le ministre de l'intérieur.
(page 1052) L'honorable ministre a déposé un amendement à l'article 7. Je crois que cet amendement ne présente pas le moindre inconvénient, il rend au contraire la rédaction plus claire, mais je demanderai à la Chambre la permission de lui présenter également une légère modification à l'article 7. Je crois qu'il ne suffit pas qu'il y ait défaut d'entente entre les propriétaires pour que l'action du gouvernement puisse se produire, que lorsqu'il y a une contravention entre les propriétaires, et qu'il n'y a pas entente entre eux, ce n'est pas au gouvernement à interpréter la convention ; c'est aux tribunaux.
Ainsi je dirais ; « à défaut d'entente ou de convention entre les propriétaires ».
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je crois qu'il faudrait dire : « Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains divisés en plusieurs lots. » Quant à l'amendement de l'honorable M. Deliége, je crois pouvoir m'y rallier.
M. de Muelenaere. - Si je comprends bien les observations de M. le ministre de l'intérieur, il veut prévoir le cas où des terrains aliénés à l'intervention du gouvernement deviendraient par suite de succession ou d'une division postérieure la propriété de plusieurs. Il veut pourvoir à ce cas qui, d'ailleurs, sera assez fréquent.
Il me semble dès lors que l'amendement devrait être à peu conçu en ce sens ;
« Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains aliénés à l'intervention du gouvernement et appartenant à plusieurs propriétaires... »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il ne faut pas la phrase incidente « aliénés à l'intervention du gouvernement ».
M. de Muelenaere. - Mais si la zone de terrains n'a pas été aliénée à l'intervention du gouvernement, le gouvernement ne peut intervenir dans le règlement définitif. Il faut qu'il y ait eu intervention préalable du gouvernement dans la vente ou dans la concession. Au fond, je ne voudrais que voir rendre d'une manière plus claire la pensée de M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il y a toujours eu une concession primitive, alors même qu'il n'y avait qu'un seul propriétaire. Ce propriétaire vient à mourir ; ses propriétés sont divisées entre ses enfants. Alors aussi l'action du gouvernement pourrait être réservée pour, à la prière de ces propriétaires, intervenir dans le règlement de l'usage des eaux.
M. de Theux. - Je crois que la rédaction proposée primitivement par M. le ministre de l'intérieur était préférable. Il vaudrait mieux de dire : « Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains irrigués en vertu d'une concession du gouvernement, le Roi peut à défaut d'entente (alors viendrait l'amendement de l'honorable M. Deliége), ou de convention entre les propriétaires, déterminer, etc. ».
L’honorable M. de Muelenaere veut dire que le gouvernement ne sera pas appelé à s'ingérer dans des irrigations qui seraient étrangères à son action au moins primitive. Lorsqu'il s'agit de terrains qui ont été irrigués en vertu d'une concession du gouvernement, celui-ci a un titre pour intervenir, puisque l'irrigation se fait en vertu d'un acte qu'il a lui-même posé.
Il me paraît que la rédaction proposée d'abord par M. le ministre de l'intérieur avec l'addition de l'honorable M. Deliége doit satisfaire à tous les cas qui peuvent se présenter.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il faut cependant dire qu'il s'agit du cas où il y aura division ; sans cela l'article 7 n'a pas de sens.
M. de Theux. - La rédaction de l'article suppose la division. On pourrait dire : « Une zone de terrains divisés entre plusieurs propriétaires, irrigués en vertu d'une concession du gouvernement. »
M. le président. - Voilà l'amendement de M. Deliégc ;
« Au lieu de « aliénés » dire « divisés ». Ensuite après les mots : « A défaut d'entente », ajouter : « et de convention » ».
M. de Theux. - Je proposerai dedire : « Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains divisés entre plusieurs propriétaires et irriguée ensuite d'une concession du gouvernement, le Roi peut, etc. ».
M. Lelièvre. - Je propose de dire : « Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains, irrigués en vertu d'une concession du gouvernement et divisés entre plusieurs propriétaires, etc. » La rédaction me semble plus correcte.
M. de Theux. - Je pense que ma rédaction est plus large.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je me rallie à la rédaction de l'honorable comte de Theux qui rend parfaitement le sens des observations que j'ai eu l'honneur de présenter.
M. Deliége. - Je renonce à la première partie de mon amendement.
M. Lelièvre. - Je me rallie à l'amendement de M. de Theux.
M. le président. - L'article serait donc ainsi conçu ; « Lorsqu'une prise d'eau sert à l'arrosage d'une zone de terrains divisés entre plusieurs propriétaires et irrigués en suite d'une concession du gouvernement, le Roi peut, à défaut d'entente et de convention entre les propriétaires, déterminer par un règlement l'usage des eaux et prescrire la construction et l'entretien des ouvrages qu'il serait utile d'élablir dans l'intérêt commun. »
M. de Theux. - Le Roi peut déterminer par un règlement l'usage des eaux et prescrire la construction et l'entretien des ouvrages qu'il serait utile d'établir dans l'intérêt commun.
Cette disposition, messieurs, est extraite de tous les cahiers de charges des ventes qui ont eu lieu. Mais comme le gouvernement n'a pas de fonds pour faire les avances nécessaires au payement des ouvrages dont il s'agit, il va de soi que le règlement pourra prescrire les versements préalables à faire par les copropriétaires intéressés. Ce prélèvement de fonds devra se faire d'après les principes posés à l'article 21 pour les dépenses relatives à ces sortes de cas.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je me rallie à l'observation de l'honorable comte de Theux. Il est certain qu'il faut mettre l’article 7 en rapport avec l'article 21. A l'article 21, il s'agit d'un seul propriétaire qui se refuse à faire les travaux nécessaires ; à l'article 7 il s'agit de plusieurs propriétaires auxquels le gouvernement impose la construction de certains travaux. Il est évident que, dans ce cas, le gouvernement doit également avoir les pouvoirs nécessaires pour faire verser préalablement les fonds destinés à couvrir la dépense.
- L'article 7, tel qu'il a été amendé par MM. de Theux et Deliége, est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. Le gouvernement peut disposer en tout temps des eaux qui ont servi à l'irrigation de terrains arrosés en vertu de son autorisation.
« Il peut, après avoir entendu les propriétaires, employer les rigoles d'alimentation et d'évacuation de ces terrains, ainsi que des colateurs, afin d'opérer d'autres irrigations, pourvu qu'il n'en résulte aucun préjudice pour les concessionnaires primitifs, quant à l'arrosage de leurs propriétés, et qu'il ne soit apporté aucune entrave à l'écoulement des eaux ou à l'assèchement des prés ; le tout sauf indemnité, s'il y a lieu. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je proposerai un changement de rédaction. Je crois qu'il faudrait dire au paragraphe 2 : « concéder l'usage des eaux des rigoles d'alimentation, etc.
Les rigoles sont des propriétés particulières sur lesquelles le gouvernement n'a aucune action ; il peut concéder l'usage des eaux, mais il ne peut pas concéder les rigoles mêmes.
Ensuite il faudrait supprimer à la fin du paragraphe les mots : « Le tout sauf indemnité, s'il y a lieu. » Si le gouvernement ne fait que concéder l'usage des eaux, il ne peut jamais y avoir lieu à indemnité.
Plus tard les propriétaires qui feront usage des rigoles se devront des indemnités l'un à l'autre, mais c'est une question à régler entre eux.
M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, voici quelle a été la pensée de la section centrale. La question a été discutée dans cette section. Le gouvernement ainsi qu'un nouveau concessionnaire a évidemment le droit de se servir des ouvrages d'un concessionnaire antérieur pour irriguer d'autres terrains.
Il peut, à cet effet, se servir du terrain d'autrui pour y faire passer les eaux et par conséquent des rigoles établies.
Il en est de même pour le drainage. Dans la loi sur le drainage, il y a une disposition dont on infère que le propriétaire supérieur peut faire passer ses eaux dans les tuyaux placés dans le fonds inférieur.
Dans certains cas le gouvernement devra employer les rigoles d'alimentation. Il ne suffit pas de lui donner le droit de concéder l'usage des eaux. En effet, le gouvernement a plusieurs fois préparé des terrains à l'irrigation, et quand il prépare des terrains inférieurs aux terrains déjà irrigués, il doit nécessairement faire des coupures dans les rigoles ; il doit donc pouvoir se servir des rigoles mêmes du terrain où ces rigoles sont creusées. La disposition ne présente pas le moindre inconvénient. Elle est en parfaite harmonie avec la loi sur les irrigations. Un article de cette loi dit que c'est aux tribunaux à prononcer, si un propriétaire se refuse à la coupure d'une rigole et à fixer, s'il y a lieu, le chiffre de l'indemnité à payer au propriétaire.
M. Coomans. - Messieurs, je crois que M. le ministre de l'intérieur restreint trop ici l'action du gouvernement et qu'au fond l'observation faite par l'honorable rapporteur est juste. Voici ce qui est arrivé et ce qui arrivera encore ; le gouvernement qui a préparé le fonds, a construit des rigoles d'un certain développement. Ces rigoles étaient suffisantes pour l'arrosage de 200, 300 hectares et resteront suffisantes, si cet arrosage se trouve limité ainsi.
Mais le cas prévu par l'article 8 est celui d'une irrigation nouvelle qui vient se joindre à la première. Dans ce cas, il faut que le propriétaire primitif se prête à l'agrandissement de sa rigole, sauf indemnité bien entendu. C'est pour cela que l'indemnité doit être maintenue. Si on adoptait l'amendement proposé par l'honorable ministre, l'action du gouvernement, comme je le disais tout à l'heure, serait restreinte, et il se trouverait souvent dans l'impossibilité absolue de faire droit aux justes réclamations d'irrigateurs nouveaux. Il est même des cas où il serait impossible de pratiquer une nouvelle prise d'eau et d'exécuter l'agrandissement de la rigole d'alimentation ; car, par exemple, le fonds à irriguer plus tard se trouverait enclavé dans d'autres propriétés et même dans des propriétés déjà irriguées. Il faut donc que le gouvernement, en cas de nouvelles concessions, puisse imposer aux propriétaires primitifs l'obligation d'agrandir les rigoles ; il faut dès lors que l'usage des rigoles appartienne au gouvernement ; il faut enfin maintenir le principe de l'indemnité.
Tel est l'état des choses, d'après l'expérience que j'ai eue moi-même de ces opérations.
(page 1053) M. de Theux. - Messieurs, je crois que l'observation de l'honorable M. Coomans est juste. Il vaut mieux conserver les mots : « employer les rigoles ». En effet, il peut arriver que, dans l'intérêt public, 'e gouvernement ait à décider que les rigoles d'alimentation serviront à l'irrigation de zones de terrains plus considérables ; il doit donc avoir le droit d'employer les rigoles d'alimentation et d'évacuation des terrains arrosés en vertu de son autorisation.
Quant à la suppression des mots : « sauf indemnité, s'il y a lieu », je ne pense pas qu'elle doive être prononcée. Il y a pour cela deux motifs. D'abord, dans le cas que nous venons de prévoir, il peut y avoir lieu à indemnité ; ensuite, il est d'autres circonstances où il peut encore y avoir lieu à indemnité. Ainsi, par exemple, si l'on fait écouler par une rigole d'alimentation et d'écoulement une plus grande masse d'eau dans l'intérêt d'un tiers qui n'a contribué en rien à son établissement, il est juste que tout au moins il contribue dans la dépense d'entretien qui devient plus forte, car un volume d'eau plus considérable peut occasionner des dégâts.
Dans tous les cas, comme il s'agit ici de l'interprétation d'une clause des actes de concession, je pense que la question d'indemnité doit être réservée. Ce sera aux tribunaux à décider dans quels cas et dans quelle proportion l'indemnité doit avoir lieu.
La section centrale n'a pas voulu dire d'une manière absolue qu'il y aura toujours lieu à indemnité ; mais elle réserve l'indemnité, si le propriétaire des rigoles y a droit, soit en vertu de l'acte de concession, soit par suite du préjudice qui lui est causé.
On a fait observer encore que les mots : « sauf indemnité, s'il y a lieu », ne décident pas à la charge de qui cette indemnité éventuelle tombera. Sera-ce à la charge du gouvernement qui a fait une nouvelle concession ou à la charge du nouveau concessionnaire ? Dans la pensée de la section centrale, c'est à la charge du nouveau concessionnaire. Mais, pour plus de clarté, on pourrait ajouter à la fin de l'article ces mots : « à la charge du nouveau concessionnaire ». Alors aucun doute ne sera possible ; il y aura recours, non pas contre le gouvernement mais contre le nouveau concessionnaire.
M. Lelièvre. - Je crois qu'il faut maintenir les mots : « Le tout sauf indemnité, s'il y a lieu ». En effet, il me paraît rationnel d'abandonner l'appréciation de cette question aux principes du droit commun. Il est impossible que le projet énonce les cas dans lesquels il y aura lieu à indemnité. Nombre de circonstances diverses doivent être prises en considération pour décider les questions qui se présenteront en pareille occurrence. Il me paraît préférable de laisser ce point aux règles générales du droit.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je n'insiste pas en faveur du changement de rédaction que j'ai eu l'honneur de proposer. Cependant je crois qu'en l'adoptant, on aurait évité le doute qui vient de surgir relativement à la question de savoir à qui incombera l'indemnité pour l'emploi des rigoles.
Quelle est la position que vous allez faire aux nouveaux concessionnaires, aux concessionnaires du fonds inférieur ? Qu'est-ce que le gouvernement leur concède en réalité et peut leur concéder ?
Le gouvernement n'a plus le droit d'employer les rigoles des concessionnaires du fonds supérieur ; elles ont été vendues à ces premiers concessionnaires. Le gouvernement ne peut donc pas en disposer.Ces rigoles constituent une propriété privée. Le gouvernement ne peut disposer que des eaux du canal, il ne peut concéder que l'usage de ces eaux et nullement l'emploi des rigoles elles-mêmes.
De leur côté, les nouveaux concessionnaires peuvent se servir de ces rigoles, et ils doivent aux premiers concessionnaires une indemnité de ce chef, s'il y a préjudice causé à ces derniers.
Le gouvernement n'intervient pas dans cette question qui doit se traiter d'un concessionnaire à l'autre.
Il reste dans sa sphère ; il concède ce qu'il peut concéder, une part d'eau ; mais il ne peut pas concéder l'emploi des rigoles qui ne lui appartiennent pas. Il n'a droit de disposer que des eaux, c'est là seulement ce qu'il peut concéder à un concessionnaire nouveau.
Ce concessionnaire donnera, s'il y a lieu, l'indemnité au concessionnaire primitif. Les positions deviendront ainsi plus claires et mieux définies. Le gouvernement ne s'expose pas ainsi à payer des indemnités et à subir, de ce chef, une foule de procès.
M. Coomans. - Au point de vue où se place M. le ministre de l'intérieur, il a raison. Si le gouvernement décide que les rigoles appartiennent absolument aux premiers concessionnaires, qu'il ne s'est pas réservé une sorte de servitude ou droit de les faire agrandir dans un intérêt public, s'il ne s'est pas réservé d'accorder, pour d'autres défrichements, le même avantage qu'au défricheur primitif, mes observations tombent ; mais j'avais raisonné dans la supposition que le gouvernement s'était réservé le droit d'agrandir les rigoles et de les faire servir à d'autres défrichements sauf indemnité.
M. de Muelenaere. - Je n'ai demandé la parole que pour formuler en amendement ce que vient de dire l'houorable M. de Theux, que l'indemnité ne doit pas tomber à la charge du gouvernement, mais bien du particulier. Je crois qu'il importe de le dire dans la loi.
Je propose, en conséquence, d'ajouter à la fin de l'article les mots :
« A la charge du nouveau concessionnaire. »
M. Deliége, rapporteur. - Ce qu'on vient de dire serait excellent s'il n'y avait pas une loi du 27 avril 1848 (sur les irrigations) qui prévoi les cas dont il s'agit. L'article premier porte ;
« Tout propriétaire qui voudra se servir, pour l'irrigation de ses propriétés, des eaux naturelles ou artificielles dont il a le droit de disposer, pourra obtenir le passage de ces eaux sur les fonds intermédiaires, à la charge d'une juste et préalable indemnité. »
Si je puis me servir du fonds d'autrui pour le passage des eaux, je puis aussi me servir des rigoles qui sont établies dans ce fonds, la rigole n'est pas une chose plus sacrée que le fonds, ce n'est que le fonds même creusé ; de ce que vous l'avez creusé, vous n'avez pas changé la nature de votre fonds, vous ne l'avez pas libéré de la servitude légale, dont le frappe l'article premier de la loi que je viens de citer.
Moyennant une juste et préalable indemnité, s'il y a un préjudice causé, le propriétaire doit subir cette servitude, il ne peut pas se plaindre.
Il en est de même dans la loi sur le drainage, le propriétaire du terrain supérieur peut emprunter le terrain inférieur pour faire passer les tuyaux de drainage ; il est admis aujourd'hui que le propriétaire du fonds supérieur peut se servir des tuyaux placés dans le fonds inférieur par cela même qu'il peut se servir du fonds inférieur.
La section centrale a voulu que par la suite, lorsqu'il y aurait de l'eau en suffisante quantité, on pût étendre le défrichement.
Elle a voulu qu'il fût possible de profiter alors des ouvrages établis lorsqu'on peut le faire sans porter trop de préjudice à ceux à qui ils appartiennent.
Le préjudice, quelque minime qu'il soit, donne alors lieu à une indemnité.
C'est ce qui résulte clairement de l'article 7 de la loi du 27 avril 1848, déjà citée. Cet article est ainsi conçu ;
« Les contestations auxquelles pourront donner lieu l'établissement des servitudes mentionnées aux articles précédents, la fixation du parcours de la conduite d'eau, de ses dimensions et de sa forme, la construction des ouvrages d'art à établir pour la prise d'eau, l'entretien de ces ouvrages, les changements à faire aux ouvrages déjà établis, et les indemnités dues au propriétaire du fonds traversera celui qui recevra l'écoulement des eaux ou de celui qui servira d'appui aux ouvrages d'art seront portées devant les tribunaux qui en prononçant devront concilier l'intérêt de l'opération avec le respect dû à la propriété.
« Il sera procédé devant les tribunaux comme en matière sommaire et s'il y a lieu à expertise, il pourra n'être nommé qu'un seul expert. »
En présence de cet article, je crois que toute discussion ultérieure est inutile.
M. Lelièvre. - Voici comment je conçois l'indemnité. Le.nouveau concessionnaire profite des travaux faits par l'ancien concessionnaire. Eh bien, dans ce cas il est naturel que celui-ci reçoive une indemnité à raison des dépenses qu'il a faites et qui profitent au nouveau concessionnaire.
Il serait injuste que celui-ci ne restituât pas des dépenses faites par autrui dont il tire profit, dépenses qu'il devrait faire lui-même, si elles n'avaient pas été faites par le premier concessionnaire. En ce cas les principes du droit commun justifient le droit à l'indemnité et ce sont les principes que nous maintenons par l'article 8.
M. de Theux. - En examinant avec soin le projet de loi, on doit avoir tous ses apaisements. M. le ministre de l'intérieur craint de porter atteinte au droit de propriété, mais il ne faut pas isoler l'article 8 de l'article 12.
D'après l'article 12, quand le gouvernement autorisera un tiers à se servir des rigoles d'écoulement ou d'alimentation établies sur un terrain antérieurement concédé, il faut, aux termes de l'article 12, avoir recours à la loi du 27 avril 1848 qui exige l'intervention des tribunaux, lesquels donnent effet à la concession en autorisant l'exécution du travail sur la propriété d'autrui.
L'article 12, combiné avec l'article 8 obvie à la crainte qui a été exprimée par M. le ministre de l'intérieur.
L'article 8 ainsi expliqué est en harmonie avec la loi du 27 avril 1848, le principe reste sauf par la combinaison des articles 8 et 12.
M. Deliége, rapporteur. - Il est des cas où l'indemnité ne peut pas être payée par le nouveau concessionnaire, par exemple quand le gouvernement prépare des terrains pour l'irrigation et fait des coupures dans des travaux déjà concédés, ou y cause d'autres dommages. Il doit donner une indemnité à l'ancien concessionnaire, sauf à se faire rembourser par celui qui achètera le terrain préparé.
M. Lelièvre. - A mon avis, il faut supprimer les mots « à charge du gouvernement », parce que, dans la plupart des cas, c'est le gouvernement qui sera tenu directement de l'indemnité, comme auteur de l'expropriation. L'ancien concessionnaire a évidemment droit de recourir contre le gouvernement qui exproprie, sauf le droit de celui-ci de recourir en garantie contre le nouveau concessionnaire. Il en sera dans l'espèce comme en matière des travaux publics entrepris par suite de concession consentie par l'Etat. Celui-ci reste obligé vis-à vis des propriétaires expropriés. Il peut en être de même dans plusieurs hypothèses tombant sous la disposition de notre article. Je pense donc qu'il ne faut énoncer aucune disposition restrictive et nous borner à nous référer aux principes généraux.
(page 1054) M. Deliége, rapporteur. - Il faut bien distinguer. Le gouvernement n'est pas tenu, dans tous les cas, à indemnité ; bien loin de là. De deux choses l'une, ou le gouvernement prépare les terrains à l'irrigation pour les revendre, ou c'est un nouveau concessionnaire qui les prépare.
Si c'est le gouvernement il doit l'indemnité, non pas comme gouvernement, mais comme faisant la spéculation de préparer les terrains.
Si c'est un nouveau concessionnaire, le gouvernement ne doit nullement l'indemnité ; le nouveau concessionnaire doit s'adresser à l'ancien pour que ce dernier lui concède la faculté d'user de son terrain et de ses rigoles pour le passage des eaux, etc. Le règlement de l'indemnité peut se faire alors à l'amiable.
S'il n'y a pas eu entente entre le nouveau et l'ancien concessionnaire, l'affairé est portée devant les tribunaux qui règlent le tout. Dans ces deux derniers cas, l'indemnité est acquittée par le nouveau concessionnaire.
M. de Theux. - Je renonce à la parole. M. Deliége a expliqué le sens de l'article.
M. de Muelenaere. - Je comprends que dans le cas indiqué par l'honorable M. Deliége, l'indemnité, s'il y a lieu, et qui n'est pas à proprement parler une indemnité, est a la charge du gouvernement, qui en est remboursé ; mais dans d'autres cas et en général l'indemnité, s'il y a lieu, doit rester à la charge du concessionnaire, si les frais sont faits dans l'intérêt des nouveaux concessionnaires.
Toutefois, comme ce cas peut se présenter, je n'insiste pas sur l'amendement, puisque l'on est bien d'accord sur le sens de l'article.
- L'article 8 est adopté avec la rédaction proposée par la section centrale.
« Art. 9. La demande de prise d'eau prévu par le paragraphe 2 de l’article, accompagnée de l'avis de l'ingénieur en chef et d'un plan des ouvrages à établir, sera signifiée au propriétaire des rigoles, à son domicile réel.
« Le délai pour répondre à cette signification sera de deux mois.
« En cas de modification à la demande primitive, les mêmes règles seront observées. »
M. de Theux. - Je ferai remarquer qu'il faut dire ; « le paragraphe 2 de l'article 7 » au lieu de « le paragraphe 2 de l'article 8. »
- L'article est adopté avec cette modification et avec l'addition proposée par M. le ministre de l'intérieur des mots : « ou du colateur, » après les mots « des rigoles ».
« Art. 10. Les propriétaires des terrains arrosés au moyen des rigoles ont un titre de préférence à l'usage des eaux desdites rigoles pour irriguer leurs propriétés limitrophes. »
- Adopté.
« Art. 11. Dans les cas prévus par les articles 8, 9 et 10, le Roi décidera, la députation permanente du conseil provincial entendue. »
- Adopté avec la substitution de la mention des articles 7, 8 et 9 à celle des articles 8, 9 et 10.
« Art. 12. Les dispositions des articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 9 de la loi du 27 avril 1848 sont applicables aux travaux à exécuter par suite des concessions faites en vertu des articles 8 et 9 de la présente loi. »
M. de Theux. - Nous avons émis dans la section centrale d'indiquer l'article 10 ancien, qui est aussi susceptible de recevoir l'application de la loi du 27 avril 1848. L'article 10 porte : « Les propriétaires des terrains arrosés au moyen des rigoles ont un ritre de préférence à l'usage des eaux desdites rigoles pour irriguer leurs propriétés limitrophes. »
Il pourrait être quelquefois utile dans ce cas d'avoir aussi recours à la loi du 27 avril 1848. Je propose donc de dire : « en vertu des articles 7 8 et 9 de la présente loi. »
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 13. Les concessionnaires sont responsables de tout dommage qui résulte de l'exécution des travaux ou de l'usage de leur concession.
« Ils ne peuvent de ce chef avoir aucun recours contre l'Etat. »
M. Deliége, rapporteur. - Je dois dire un mot de ce qui a été énoncé dans le rapport, quant à la question qui se trouve portée devant les tribunaux entre le gouvernement et une société de propriétaires de terrains dans la Campine.
Il est entendu que la section centrale n'a pas voulu préjuger le procès ; on lui a rapporté des faits qui peuvent être vrais, mais qui peuvent être présentés sous un tout autre jour par la société. Quant à moi, je proteste d'avance contre toute interprétation qui pourrait être donnée au rapport dans le sens des intérêts, soit du gouvernement, soit des propriétaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Cela est entendu. Tous le droits restent saufs.
M. Orts. - Au lieu des mots : « Ils ne peuvent de ce chef avoir aucun recours contre l'Etat », je propose de dire ; « ils ne peuvent de ce chef exercer aucun recours contre l'Etat. »
- L'article, ainsi modifié, est adopté.
« Art. 14. Le gouvernement répartit entre les concessionnaires, sauf les cas de force majeure ou de chômage nécessité par l'intérêt public, les eaux qui ne sont pas indispensables à la navigation. »
M. Coomans. - Je ne comprends pas la signification des mots : « sauf les cas de force majeure ;» puisqu'il est entendu que le gouvernement ne dispose jamais des eaux non indispensables à la navigation ; le cas de force majeure ne peut se présenter. Je voudraisq u'on supprimât ces mots ou qu'on les expliquât.
M. Deliége, rapporteur. - L'explication est facile ; le gouvernement peut avoir besoin du surplus des eaux pour la défense du pays.
- L'article est adopté.
« Art. 15. Les travaux de curage et autres à exécuter aux canaux de la Campine et à ceux qui les alimentent seront faits de préférence et autant que possible à l'époque où l'irrigation cesse habituellement.
« Cette règle est applicable aux rigoles d'alimentation et d'écoulement servant à divers propriétaires. »
- Adopté.
« Art. 16. L'entretien et le curage des rigoles d'alimentation et d'évacuation ainsi que des colaleurs se font par les propriétaires intéressés et à leurs frais.
« Toutefois, lorsque plusieurs propriétaires usent à la fois de ces rigoles ou de ces colaleurs, ils concourent tous aux travaux d'entretien et de curage proportionnellement à l'intérêt qu'ils y ont et en conformité des rôles dressés par l'ingénieur en chef et rendus exécutoires par le gouverneur de la province, après leur avoir été communiqués.
« La part afférente aux terrains non encore irrigués dans les frais d'entretien et de curage des colaleurs est à la charge de l'Etat. »
M. Rousselle. - Je suppose qu'après que le rôle aura été rendu exécutoire par le gouverneur, un propriétaire ait une réclamation à faire contre sa cote. Devant quelle autorité portera-t-il cette réclamation ? Ce devrait être, le paraît-il, devant la députation permanente, comme en matière de contributions directes. Mais cela n'est pas dit dans l'article. Je crois qu'il y a là une lacune à combler.
M. de Theux. - Dans le cas de silence de la loi, je crois que ce serait devant le ministre de l'intérieur, qui est le chef immédiat dè l'administration, que la réclamation devrait être portée. Il me semble, que c'est ainsi que cela a été entendu. Du reste je dois convenir que ce point n'a pas été débattu en section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - On pourrait peut-étre prévoir le cas dans le règlement.
M. Rousselle. - Je demande formellement qu'il soit dit dans la loi que ce sera la députation qui prononcera sur les réclamations.
M. Deliége, rapporteur. - Il y a analogie entre le cas prévu par l'article que nous discutons et celui prévu par l'article 21.
Dans l'un et l'autre cas les dépenses sont recouvrées comme en matière de contributions directes.
S'il y a des réclamations, elles doivent être instruites et jugées également comme en matière de contributions directes.
M. Rousselle. - En matière de contribution, les réclamations, je le répète, sont jugées par la députation permanente. Si l'on veut qu'il en soit de même dans le cas qui nous occupe, il faut le dire dans la loi.
M. Coomans. - Messieurs, quoique je défende très volontiers les intérêts des défricheurs, ceux du trésor ne me sont pas indifférents et je dois faire une observation sur le paragraphe final de l'article 16. Il y est dit : « La part afférente aux terrains non encore irrigués dans les frais d'entretien et de curage des colateurs est à la charge de l'Etat. » Cette rédaction me semble ou vicieuse ou obscure, car il est bien entendu, je pense, que cette part ne sera supportée par l'Etat qu'autant qu'il soit propriétaire des terrains qu'elle concerne.
S'il a aliéné ces terrains non irrigués, ces bruyères nues, c’est l'acquéreur qui aura à supporter la part des frais d'entretien. Aujourd hui c'est l'Etat, parce que, se trouvant propriétaire des terrains non irrigués, il prend provisoirement sa part des frais d'entretien.
Mais d'après ce paragraphe final, l'Etat, quoique ayant aliéné ses bruyères, resterait encore responsable des frais à faire pour l'entretien des travaux.
Je suis certain, messieurs, que mon interprétation sera acceptée par le gouvernement et par la section centrale ; mais, dans ce cas, il y aura un changement à apporter à la rédaction.
M. le président. - Voici un amendement de M. Rousselle ;
« Les réclamations qui s'élèveraient sur les rôles rendus exécutoires seront portées devant la députation permanente du conseil provincial, qui statuera comme en matière de contributions directes. »
Cet amendement formerait le paragraphe 3 de l'article 16.
M. de Theux. - Je dois donner une explication relativement à l'observation de M. Coomans.
Le dernier paragraphe de l'article 16 a été ajouté par la section centrale sur la proposition du département de l'intérieur, mais je pense que l'honorable M. Coomans n'est pas bien renseigné sur les faits prévus par ce paragraphe. Dans la province d'Anvers, le gouvernement a fait creuser au colateur ; tous les propriétaires intéressés à l'irrigation ont dû contribuer en raison de leur intérêt ; mais le colateur traverse en même temps des bruyères communales qui restent provisoirement la propriété des communes ; il est évident que du moment où ces propriétés seront aliénées, comme le gouvernement approuve toutes les aliénations de biens communaux, il devra insérer dans le contrat que le (page 1055) nouveau propriétaire doit rembourser les frais d'établissement du colateur et les frais d'entretien, de manière que le gouvernement soit parfaitement indemne.
C'est ainsi que les choses se sont passées pour tous les travaux que le gouvernement a faits, et c'est ainsi que l'article doit être entendu. Il est certain que si des terrains communaux ont été aliénés sous condition d'irrigation, par le seul fait que l'acquéreur a assumé l'obligation de faire les irrigations, il doit aussi supporter la charge du colateur qui a été établi en vue de cette opération. Je crois qu'il ne peut pas y avoir de doute à cet égard dans la pratique.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. Lelièvre. - Je propose de rédiger en ces termes l'amendement de M. Rousselle :
« En cas de réclamation, la députation permanente du conseil provincial statue comme en matière de contributions directes. »
Cette rédaction présente le même sens que l'amendement.
M. Rousselle. - Je me rallie à cette rédaction.
M. Delfosse. - Il y a quelque chose de sérieux dans les observations de M. Coomans. Je crois qu'il est bon d'y réfléchir et de remettre la discussion à demain.
- La séance est levée à 4 heures.