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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 7 mai 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. de Naeyer, vice-président)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1039) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Jean-Mathieu Bongers, cabaretier à Bruxelles, né à Weert (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Christiaen se plaint d'une décision de M. le ministre des finances qui assujettit à la formalité de l'enregistrement les certificats constatant les publications et non oppositions au mariage. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Blanchard, ancien militaire, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Le conseil des prud'hommes de Termonde demande la révision de la législation sur les conseils des prud'hommes. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Waret-la-Chaussée demandent qu'on examine s'il n'y a pas lieu de décider que les fabriques de produits chimiques suspendront annuellement leurs travaux du 1er avril au 1er octobre. »

« Mêmes demandes d'habitants de Taviers, de Bovesse et de Leuze. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, une demande de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Heller adresse à la Chambre 108 brochures au sujet de l'agrandissement de la ville d'Anvers. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. de Liedekerke demande un congé de trois jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi prorogeant la loi sur le tarif des télégraphes

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - J’ai l'honneur de soumettre à la Chambre un projet de loi prorogeant la loi du 1er mars 1851 concernant le tarif des correspondances télégraphiques.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi autorisant la cession à la ville de Lierre de fortifications

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre un projet de loi qui autorise le gouvernement à céder de la main à la main, à la ville de Lierre, moyennant une somme de 18,408 fr., quelques terrains des fortifications de cette place.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi sur la police des irrigations

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, pour la parfaite intelligence de la question des irrigations, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau deux modèles d'actes de vente, tels qu'ils étaient passés avant les concessions des prises d'eau, plus trois modèles se rapportant aux trois divers régimes par lesquels les irrigations ont passé depuis lors.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ces pièces qui resteront déposées sur le bureau pendant la discussion.

M. Julliot. - Monsieur le président, j'ai déposé un article supplémentaire. Je pourrai le développer à l'occasion de la discussion générale aussi bien que dans la discussion des articles.

M. le président. - Je vais en donner lecture. Voici la proposition additionnelle déposée par M. Julliot ;

« Art. 24. Les dispositions de la présente loi conservent intacts tous les droits et les obligations résultant des contrats divers. »

M. Julliot. - Messieurs, le projot de loi sur les irrigations de la Campine fournit une preuve nouvelle de l'incapacité des gouvernements dans les entreprises industrielles.

Une des plus belles et des plus fécondes pratiques agricoles est en train de se discréditer complètement par cela même que l'Etat y a mis la main.

L’eau fait défaut, le gouvernement a cru qu'il avait beaucoup plus d'eau disponible qu’il n'en a réellement, parce que, probablement, ceux qui servent de conseil à l’Etat ont cru avoir plus de génie disponible qu'ils n'en ont en réalité ; tout effet doit avoir sa cause, et ici je n'en trouve pas d'autre.

Quand le gouvernement d'un petit Etat s'entoure de corporations et de commissions permanentes pour guider sa marché, il s’expose à mettre le trésor au pillage, en faisant autant de bévues qu'il fait d'entreprises et cet entourage le force à en faire beaucoup.

Les irrigations de la Campine, l'affaire de Dendre-et-Waes et les faits qui se passent à Anvers ne prouvent que trop que j'ai raison et constatent que nous nageons en plein dans ce funeste système.

Pour le moment, je me bornerai à faire appel à la prudence de la Chambre, afin que par le vote de la loi qui nous est soumise, nous ne portions aucune atteinte au droit sacré de la propriété, me réservant de traiter la question dans ses détails, lorsqu'on viendra nous proposer de nouvelles dépenses pour continuer cette entreprise si mal menée.

Messieurs, à l'époque où cette idée fut mise en avant, on fit croire au gouvernement que les eaux disponibles suffiraient pour irriguer convenablement 25,000 hectares debruycrcs ; on imprimait même officiellement que le système des irrigations, quaud il serait complet, promettait l'arrosage de toute la Campine.

Ce conte fut donc pris au sérieux, parce que rien n'est plus crédule qu'un gouvernement, attendu que les membres qui le composent ne mettent rien du leur dans les entreprises officielles.

Ils opèrent sur le corps social comme in anima vili, font parler d'eux dans les gazettes et se font, à tort, la réputation d'avoir été les bienfaiteurs de leur pays.

C'est la cause principale de l'intervention démesurée, irréfléchie et inopportune de l'Etat.

Et j'avoue qu'il faut de la force de caractère pour que l'occasion de se faire une réputation de générosité avec les fonds du contribuable ne soit pas une tentation permanente pour les ministres.

D'ailleurs n'a-t-on pas vu, en France comme en Belgique, des hommes de 40 ans arriver au pouvoir, n'ayant jamais rien entrepris pour leur propre compte, s'associer le lendemain au nom du gouvernement aux entreprises les plus hasardeuses, pour ne pas dire plus, alors que dans ces mêmes entreprises ils n'auraient pas risqué un écu à eux ?

Bref, je tiens pour vrai, qu'en Belgique, le ministre qui aura dévoré le plus de millions improductivement, surtout pour ceux qui les auront payés, sera celui qui laissera après lui le plus grand nombre de médailles et de bustes à son effigie.

Je recommande cette considération aux méditations du public bénévole qui préfère la politique de plein vent à l'examen de la gestion de ses finances.

Messieurs, après donc que le gouvernement se fut décidé à se charger du fardeau des irrigations, il fit exciter le public à acquérir, et ces excitations ne réusssireht que trop, car c'est cette réussite qui cause son embarras.

Soyons logiques avant tout.

La production des herbes en Campine est utile ou elle ne l'est pas ; si elle est utile, elle doit pouvoir supporter les frais qu'elle occasionne et dans ce cas c'était aux acquéreurs à faire face à tous les frais, comme le fait celui qui sème un bois ou cultive la bruyère.

Si au contraire cette propriété ne peut supporter les frais de sa création et de son entretien, c'est un capital mal appliqué qui doit se perdre, et alors l'Etat ne devait pas se livrer aux excitations.

Mais une troisième hypothèse est ouverte, et je crois que c'est la vraie.

L'irrigation des bruyères faite avec économie et intelligence par des personnes directement intéressées, peut supporter les frais qu'elle occasionne, et c'est ainsi que cela aurait dû se passer ; mais le gouvernement a préféré y engager sa responsabilité en comptant, au besoin, sur le budget.

On dira peut-être que cela n'a encore rien coûté à l'Etat ; mais c'est une grave erreur ; je pense que l'année dernière nous avons voté un crédit pour amener un supplément d'eau, puis le chef de ce service spécial nous promet dans son rapport deux nouveaux millions de dépense. Ce n'est pas tout. Une forte partie des eaux des irrigations ne faisant pas retour au canal, s'est jetée dans la Petite-Nèthe qui ne s'y attendait pas ; elle a inondé ses voisins ; ces riverains et la province d'Anvers se sont mis à crier ; on a joint à cette rivière l'Yser et quelques autres, et on les a endossés à l'Etat.

La Chambre, qui souvent accepte ce qu'on lui présente et donne ce qu'on lui demande, a accepté ce bouquet pour l'Etat, et de ce chef un million est nécessaire pour la Petite-Nèthe seule ; tous ces subsides seront donc indirectement acquis aux acquéreurs, c'est-à dire que ceux qui n'ont pas de bruyères irriguées payeront des impôts pour assurer plus tard de bons revenus à ceux qui en ont.

Voilà la position qu'on nous a faite.

C'est ainsi qu'au lieu de réserver l'étiage nécessaire à la navigation et de vendre au plus offrant les eaux restant disponibles dans les canaux, comme cela aurait dû se faire, le gouvernement a placé les prises d'eau au-dessous de cet étiage.

Au lieu de ne donner des eaux que dans des conditions où elles pussent faire retour au canal, il en a donné beaucoup qui se perdent en (page 1040) inondant les propriétés voisines et à l'égard desquelles il est obligé de nous proposer de nouvelles dépenses, précédées de quelques procès ; il faut un canal colateur.

Aujourd'hui 2,000 hectares seulement sont concédés et déjà il y a pénurie d'eau et pour la navigation et pour les irrigations.

Le gouvernement a fait des contrats divers ; par les uns l'Etat lui-même vendait les bruyères avec une prise d'eau déterminée.

Par d'autres, le gouvernement se joignait aux communes, préparait le terrain et cédait dans la vente une prise d'eau. On reconnaîtra que les prises d'eau de cette catégorie ont été acquises à titre onéreux.

Or, dans l'espèce le droit de prendre de l'eau, droit déterminé par la dimension et le placement de l'écluse, est un droit civil acquis plus important que la bruyère elle-même, puisque l'eau constitue le principal élément de ces propriétés.

D'autres prises d'eau ont été concédées à titre précaire, même quelques-unes sous réserve de pouvoir les retirer.

Le projet de loi qu'on nous propose aura pour effet de restreindre les droits acquis des uns, et de fortifier les droits des autres, à moins qu'on n'établisse bien ses réserves.

Dans un contrat, le régime intérieur des eaux est libre ; dans d'autres contrats, le gouvernement s'est réservé ce régime afin de prescrire autant de remplois d'eau que possible.

Aujourd'hui on nous présente un projet de loi qui confond toutes ces positions si diverses ; on veut passer le niveau sur tous les contrats diversement faits, pour jeter un voile sur toutes les bévues.

Or, il me paraît évident qu'en adoptant ce niveau par une loi, vous porterez atteinte, au piofit de l'Etat, aux droits de ceux qui ont obtenu le plus ; et vous augmenterez, contre l'Etat, les droits de ceux qui ont obtenu le moins ; une réserve me semble donc indispensable, et cette réserve doit se rapporter aux deux situations respectives. Car en augmentant les droits des uns contre l'Etat, vous ouvrez la porte à de nouvelles dépenses qui s'appuieront sur la loi que nous allons voter.

Selon moi, il ne faut pas que l'Etat s'engage plus qu'il ne l'est, il l'est déjà assez. Et d'autre part, il faut que partout où il a engagé sa responsabiilité, cette responsabilité reste entière, après comme avant la loi en discussion.

Nous allons voter une loi réglementaire de police. Or, on sait, et j'en appelle aux jurisconsultes de la Chambre, qu'à l'aide d'une loi pareille on peut confisquer des droits acquis, et plus j'examine les articles de la loi, plus je suis pénétré de la nécessité d'écrire notre intention à cet égard en toutes lettres. Car il est des acquéreurs qui ont acquis, à titré onéreux, le droit de prendre l'eau nécessaire.

Eh bien, l'article 2 du règlement substitue l'administration à l'acquéreur ; ainsi, voilà un droit acquis qui sera maintenu ou paralysé d'après l'arbitraire d'un agent public. Cela me semble en opposition avec l'article 92 de la Constitution.

L'article 5 prescrit le maintien de tous les remplois deau actuellement existants, tandis que certains actes ne contiennent pas un mot de cette prescription, par la raison fori simple que, lors des premières ventes, il ne s'agissait que d'eau primitive, afin d'allécher d'autant plus les amateurs.

L'article 13 s'exprime d'une manière trop générale sans dire s'il comprend ou s'il excepte le cas où le gouvernement aurait lui-même créé les moyens d'écouler les eaux avant d'exposer en vente la zone de bruyère, ou aurait posé, avant la promulgation de cette loi, d'autres faits de nature à engager sa responsabilité.

L'article 14 résume toute l'économie des étranges principes que le gouvernement veut faire prévaloir, il rend les agents de l'administration omnipotents et met les irrigateurs à leur merci sans aucun égard résultant des actes de ventes, et cet article ne pourra s'appliquer à certaines acquisitions qu'en les expropriant.

Je ne suis, du reste, pas le premier à m'effrayer des conséquences de cette loi ; la députation permanente du Limbourg, la mieux à même de juger, exprime dans le remarquable rapport joint au présent projet les impressions fâcheuses que ce projet produit dans le pays même.

Voici entre autres la première de ses observations ;

« Art. 1 et 2. Ces articles ne peuvent avoir en vue que les concessions à faire à l'avenir ; en leur assignant une portée rétroactive, l’on porterait atteinte à des droits acquis. Les concessions déjà faites sont régies par les actes de concession même, actes qui lient le gouvernement aussi bien que les concessionnaires. Ces concessions constituent les contrats bilatéraux auxquels rien ne peut être changé que du consentement des deux parties.

« Bien qu'il soit dit dans l'exposé des motifs que le règlement devra en tout cas respecter rigoureusement les droits des propriétaires tels qu'ils dérivent de la loi et des actes de concession et qu'il n’aura d'autre effet que de donner une sanction pénale au contrat, il faudra rendre plus clair et plus formel à cet égard le texte de l'article premier, parce que ces expressions, les propriétaires qui « veulent se servir des eaux, etc. », doivent en demander l'autorisation... prises dans le sens littéral, s'appliquent aussi bien aux concessions faites qu'à celles à faire. »

Je reproduis donc les appréhensions d'un corps désintéressé et des mieux informes sur la situation.

Le règlement-loi qui nous est soumis soulève plus d'une question de propriété qui sont du ressort des tribunaux ; il s'agit de contrats de vente, or un n'interprète pas législativemént les contracts de vente. Ce serait la confusion des pouvoirs.

On dira peut-être que le projet se borne à compléter les contrats ; mais en complétant les contrats, on peut en bouleverser toute l'économie.

Néanmoins le projet interprète et complète les contrats passés avec le gouvernement.

Selon moi, le gouvernement demande à être autorisé à interpréter les clauses d'un contrat alors que cette interprétation appartient aux tribunaux seuls.

Nous voterons néanmoins la loi dans l'espoir que le gouvernement admettra mon amendement. Si le gouvernement le repoussait, cela ferait un très mauvais effet sur les contrats futurs ; mon amendement est inoffensif ; il exprime en toutes lettres la pensée du gouvernement lui-même ; quand on veut une chose utile il faut la dire, on imprime tant de phrases inutiles, ce ne seront donc pas ces quelques mots que je juge nécessaires qui développeront trop les documents de la Chambre.

D'ailleurs il ne me serait pas difficile de démontrer que ce point de départ sera aussi utile à la position du gouvernement qu'à celle des acquéreurs.

Je convie la Chambre à considérer que mon amendement n'a d'autre but que celui de prévenir que plus tard on n'emprunte la loi en discussion pour enlever des droits qui aujourd'hui sont légalement acquis.

Je répète, messieurs, que.si cet article qui ne préjuge rien, qui laisse la question tout entière, était repoussé, je serais en droit d'en inférer qu'on se méfie des tribunaux et qu'on se trouve dans la fâcheuse nécessité de devoir faire disparaître par un expédient des droits légalement acquis. Cette attitude ne sera pas celle de M. le ministre de l'intérieur ; il sera le premier à reconnaître que la question de propriété est trop délicate pour ne pas lui accorder toute la réserve à laquelle elle peut prétendre, je voterai donc la loi avec cette ajoute, car il est important que le gouvernement conserve la confiance du public dans les actes qu'il pose et que le plus léger soupçon ne plane sur ses intentions.

C'est aussi la pensée de la section centrale, mais il me semble très utile de formuler cette pensée d'une manière plus ostensible qu'elle ne figure dans le rapport. Voilà le but de ma proposition.

Je reconnais que le gouvernement doit chercher à sortir de cette impasse, mais il doit y procéder avec loyauté et ne pas faire payer ses fautes par des innocents.

Mon amendement ne peut créer l'ombre d'un droit qui n'existe pas, mais dans le doute cet article est nécessaire pour conserver intacts ceux qni ont reçu la consécration légale.

Tel est le but dans toute sa sincérité de l'article 24 additionnel que je vous propose.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, nous aurons occasion de discuter en temps et lieu l'amendement que vient de développer l'honorable préopinant.

Mais avant de passer à la discussion des articles, je crois utile de rencontrer quelques-unes des observations générales que vient d'émettre l'honorable député de Tongrcs, parce je crois qu'il est nécessaire, pour la Chambre comme pour le dehors, que les positions respectives du gouvernement, et des propriétaires soient bien fixées.

Messieurs, pas plus que l'honorable préopinant, je ne veux l'intervention abusive, l'intervention exagérée du gouvernement en matière de travaux publics. Je suis en général d'avis que là où l'intervcntion du gouvernement n'est pas nécessaire, elle est nuisible ; mais je pose en fait que précisément en cette matière cette intervention est des plus nécessaires.

L'honorable membre ne semble se préoccuper que de la question des irrigations. Or, l’irrigation n'est que le but accessoire des canaux de la Campine. Il perd complètement de vue le premier but, le but essentiel et principal des canaux de la Campine ; la navigation. Un canal destiné à relier la Meuse à l'Escaut, voilà un grand but qui a été poursuivi depuis plusieurs siècles.

Sous ce rapport déjà l'intervention du gouvernement est nécessaire. Le gouvernement, lui, doit se préoccuper de poursuivre ces deux buts. Il faut d'abord que les intérêts de la navigation soient garantis. Les propriétaires ne s'en préoccuperaient pas ; ils ne verraient que leur intérêt d'irrigateurs. Le gouvernement doit intervenir pour sauvegarder les intérêts de la navigation qui sont les premiers.

Au point de vue des irrigations mêmes, l'intervention du gouvernement est nécessaire. S'il n'intervenait pas, il est évident que, par la nature même de ces propriétés, il y aurait a chaque instant des contestations.

Ces propriétés sont de telle nature qu'il est impossible que, sans un défenseur des intérêts communs, on ne soulève à chaque pas des questions entre propriétaires. Chaque fois que des propriétés de cette nature doivent être réglées, il faut une intervention commune, que ce soit celle du gouvernement ou celle d’une espèce de république des propriétaires eux-mêmes constitués sous forme de wateringue. Mais il est impossible, alors qu'il y a des fonds supérieurs, des fonds inférieurs, des servitudes entre les diverses propriétés, d'abandonner celles-ci à elles-mêmes.

Le système des wateringues est-il possible dans le cas actuel ? Un rapide examen de la question la résoudra. Une wateringue suppose des intérêts réellement communs.

Or, ici l’intêrêt n'est pas tout à fait commun, en ce sens que les propriétaires qui sont ic plus rapprochés des prises d'eau dans les canaux, (page 1041) n’ont aucune espèce d'intérêt de faire de ces sortes de conventions avec les propriétaires des fonds inférieurs. Leur position est bien meilleure. Les acquéreurs qui sont venus tardivement ont à faire valoir des droits que les propriétaires primitifs respecteraient difficilement, parce que ceux-ci ont tous les avantages de la concession primitive, étant plus près du canal, et qu'ils ne sont pas très disposés à céder leur droit d'user et d'abuser des eaux pour le bon plaisir des propriétaires inférieurs. D'ailleurs, il est rare qu'il y ait plus d’un propriétaire (erratum, page 1047) pour chaque prise d'eau.

Là où une prise d'eau, est à l'usage de plusieurs propriétaires, il est impossible que le gouvernement n'intervienne pas, tant pour la direction de ces prises d'eau que pour la construction et l'entretien des canaux colateurs, des rigoles d'alimentation et d'écoulement ; il faut que, pour tous les travaux en général, il y ait une direction unique, qui consulte les propriétaires, mais qui décide dans l'intérêt commun.

Il faut donc une pensée d'ensemble dans ces travaux. Il faut, de plus, une pensée d'avenir.

La zone irrigable s'étend bien au-delà des propriétés jusqu'ici concédées. Or le gouvernement, qui doit se réserver dans l'avenir la concession des propriétés comprises dans cette zone irrigable, doit diriger les travaux dans le sens des futures concessions qui doivent se faire. Les constructions des rigoles, des voies d'écoulement, des canaux colateurs doivent être faites dans une pensée d'ensemble et d'avenir.

Cette intervention du gouvernement est tellement nécessaire qu'elle est, en général, demandée par les propriétaires. Chaque fois que plusieurs propriétés ressortissent à la même prise d'eau, il y a collision et à peine cet état de choses se produit-il, que les propriétaires viennent réclamer l'intervention du gouvernement comme étant chose utile à tous, car si elle n'est pas utile à chacun des propriétaires, elle est utile à tous ceux qui appartiennent à la même zone. C'est de ces vues d'ensemble que le gouvernement doit se préoccuper.

Maintenant, messieurs, l'intervention du gouvernement en matière d'irrigations a-t-elle été nuisible ? Je crois qu'elle a été nécessaire, et qu'elle sera toujours nécessaire, à cause de la nature toute spéciale de ces propriétés, et à cause de l'intérêt de la navigation qu'il s'agit de sauvegarder avant tout.

D'où sont nées les difficultés ? Elles sont nées du manque d'eau. Le gouvernement a usé du droit, qu'il s'est toujours réservé, de faire des concessions nouvelles, et il s'est trouvé que, par des circonstances indépendantes du gouvernement, il y a eu pénurie d'eau. Ce manque d'eau n'est pas imputable au gouvernement ; le gouvernement n'a jamais concédé une quotité d'eau déterminée ; le gouvernement a concédé les eaux en tant que le tirant d'eau fût suffisant pour la navigation et que l'excédant d'eau pût être mis à la disposition des irrigateurs. Les propriétaires ont parfaitement connu et accepté ces conditions, ils s’y sont soumis et ils doivent subir les conséquences de leur acceptation. S'il y a moins d'eau qu'il en faudrait, le gouvernement ne peut pas en être responsable ; car il s'est engagé seulement à donner ce qui excéde le tirant d'eau nécessaire à la navigation et à le répartir entre les concessionnaires.

Une chose singulière, messieurs, c'est que les propriétaires, qui aujourd’hui se montrent les plus difficiles, ont souffert, non pas du manque d’eau, mais de l'abus de l'eau. Tous les rapports des ingénieurs sont d'accord sur ce point, lis ont tellement abusé de l'eau que leurs propriétés sont presque devenues des marécages.

Le gouvernement, dit-on, a séduit les propriétaires et a surexité leurs espérances. J'avoue, messieurs, qu'où a peut-être un peu trop exalté ce mode de défrichement dans les premiers temps ; on a fait naître des illusions ; mais ici encore, le gouvernement n'est pas tout à fait responsable. Il est lui-même l'esclave des faits.

Il eût agi prudemment en n'exaltant pas autant qu'il l'a fait les avantages du système des irrigations ; mais je crois que par les mesures qu'il va prendre il aura, autant que cela est en son pouvoir, amélioré la condition des propriétaires en augmentant la prise d’eau de Bocholt, d’élargir et peut-être d’approfondit le canal de la Campine et d'établir un barrage dans la Meuse ; tout cela pour augmenter le volume d'eau dans le canal de la Campine.'

Le gouvernement se préoccupe de ces questions dans l'intérêt de la Campine, dans l'intérêt des travaux d'irrigation auxquels il s'est associé, de plein coeur.

L'honorable M. Julliot s'effraye de la portée de la loi en discussion. D'après ce qu'il nous a dit, il semble qu'il préférerait la continuation du régime conventionnel sous lequel le gouvernement a concédé les propriétés dont il prend la défense.

C'était le plan primitif du gouvernement. Le gouvernement avait proposé seulement quelques mesures de police très accessoires, mais il laissait toutes les propriétés sous le régime conventionnel. C'est la section centrale qui a substitué à ce régime conventionnel un régime légal, et précisément dans l'intérêt des propriétaires.

C'est en se préoccupant de cet intérêt que la section centrale a cru nécessaire d'introduire dans la loi même toutes les dispositions réglementaires et de police ; c'est dans l'intérêt des propriétaires que vous êtes saisis de la loi, telle qu'elle a été amendée par la section centrale. Le gouvernement s'y rallie, parce qu'il n'a aucune espèce d'arriére-pensée ; il accepte volontiers ce régime légal, parce que ce régime maintient quant au passé tous les droits saufs, tant ceux du gouvernement que ceux des particuliers, et qu'il les garantit mieux dans l'avenir.

L'honorable M. Julliot sepîaint de ce que l'article premier paraisse devoir avoir un effet rétroactif. Oui, il aura un effet rétroactif, en ce sens que les dispositions législatives et de police vont aussi être applicables aux propriétaires anciens. Mais la rétroactivité ne résulte pas de la loi, elle résulte des conventions ; les propriétaires se sont formellement engagés à se soumettre à toutes les dispositions législatives et administratives qui pourraient intervenir plus tard.

En ce sens, la loi qui est en discussion aura un effet rétroactif ; mais, je le répète, cette rétractivité était prévue, dès la passation de l'acte de vente où les propriétaires se soumettaient d'avance à toutes les mesures de police que le gouvernement prendrait ultérieurement.

L'honorable M. Julliot, se préoccupant d'un seul acte de vente d'une forme un peu particulière, proteste contre l'article 2, aux termes duquel le gouvernement fait manœuvrer lui-même les écluses d'irrigation ; l'honorable membre dit que la manœuvre des prises d'eau, dans l'acte duquel il fait allusion, est laissée aux propriétaires.

Ici encore quelques mots suffiront pour prouver que rien n'est changé à l'état de choses conventionnel.

Il est vrai que les acquéreurs de la propriété dont il s'agit avaient la manœuvre de la prise d'eau ; mais d'après un article de l'acte de vente, cette manœuvre ne pouvait se faire que sous la surveillance et la direction des agents du gouvernement. Ainsi, en définitive, ces propriétaires n'avaient pas la libre disposition des prises d'eau.

Que stipule la loi en discussion ? L'article 2 dit que la manœuvre des prises d'eau sera abandonnée au gouvernement ; mais aux termes de l'article 3, il pourra abandonner, jusqu'à révocation, cette manœuvre aux propriétaires, à charge par eux d'observer les règlements ayant pour objet d'assurer le service de la navigation et la distribution des eaux d'arrosage.

Ainsi rien n'est changé. Les propriétaires dont il s'agit avaient nominalement la manœuvre de la prise d'eau, mais à charge de se soumettre à la surveillance des agents du gouvernement. Par le projet de loi, le gouvernement se réserve en général la manœuvre des prises d'eau, mais il peut, aux termes de l'article 3, l'abandonner sous certaines conditions. La position des propriétaires est donc restée la même.

L'honorable M. Julliot se récrie encore, et à tort selon moi, contre l'intervention du gouvernement, que l'article 5 consacre, en ce qui concerne les remplois d'eau.

La cause de tous les maux qui affligent les propriétés, dit-on, gît dans le manque d'eau. Or, plus vous manquez d'eau, plus vous devez faire un emploi judicieux de l'eau dont vous pouvez disposer.

C'est précisément là le but qu'on s'est proposé ; c'est afin de pouvoir avec le même volume d'eau rendre plus de services, opérer plus de défrichements ; c'est dans une pensée d'intérêt commun, dans l'intérêt même des propriétaires que le gouvernement s’est réservé le remploi de l'eau. Il est évident que sans le remploi de l'eau, l'insuffisance ferait plus grande encore qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Ce remploi est un immense bienfait, bien loin d'être un abus. Il est important de le maintenir, et l'Etat ne peut à aucun prix en permettre la suppression.

Je dirai la même chose des dispositions des articles 13, 14 et 15 relatives au curage des canaux d'arrivage et d'écoulement. Ces articles ont été inspirés par l'intérêt général des propriétaires.

Cela peut contrarier quelques-uns des propriétaires ; mais la généralité y trouve un grand avantage.

Messieurs, j'ai tenu à rendre compte à la Chambre de la position du gouvernement et des propriétaires quant à l’ensemble des travaux d'irrigation, cela était nécessaire après les craintes, manifestées au-dehors par des propriétaires, craintes dont l'honorable membre s'est fait l'écho dans cette enceinte.

Nous aurons occasion à chaque article de démontrer la nécessité de l'intervention du gouvernement au point de vue de l'intérêt général, et l'utilité même de cette intervention, pour tous les propriétaires intéressés.

L'honorable membre propose un amendement pour réserver les droits de chacun. C'est bien là l'intention du gouvernement aussi bien que de la section centrale. Si vous voulez le dire par une disposition expresse, je ne m'y oppose pas. Toutes les questions de propriété, de responsabilité et d'indemnité sont du ressort des tribunaux ; il continuera à eu être ainsi. Nous ne pouvons pas interpréter législativement des contrats, en déterminer la portée ; les tribunaux seuls peuvent connaître de ces questions et les résoudre.

M. de Theux. - Après les observations que vient de présenter l'honorable ministre de l'intérieur, il me reste peu de chose à dire.

Je ferai remarquer que le grief principal de l'honorable M. Julliot, si toutefois je puis appeler son observation un grief, retombe, non sur le projet de la section centrale, mais sur l'arrêté du 13 mai 1854, par lequel le gouvernement a repris la manœuvre de toutes les écluses. Si dans cette reprise de la manœuvre des écluses il y a atteinte aux droits des propriétaires, c'est par l'arrêté du 13 mai 1854 qu'elle a été portée.

J'ajouterai que si les propriétaires des irrigations d'écluses ont ete lésés par cet arrêté, ils ne sont pas les seuls, car la plupart des propriétaires sont dans le même cas, attendu que le gouvernement, en leur vendant les propriétés à défricher, ne s'était pas réserve le droit de manœuvrer les écluses ; les acquéreurs qui avaient acheté des terrains ou des travaux préparatoires avaient été faits et des écluses établies, en avaient inféré qu'ils avaient le droit de manœuvrer ces écluses ; cette (page 1042) circonstance a donné lieu à un procès que les propriétaires d'Arendonck ont perdu en instance d'appel ; je ne sais ce qui en est avenu depuis. Ainsi ce n'est pas au projet de là section centrale que l'honorable membre doit imputer son grief principal, mais à l'arrêté du 13 mai 1854.

Je dirai que le projet de la section centrale, loin de créer une position plus mauvaise aux irrigateurs, leur crée une position meilleure, en ce sens qu'elle pose des limites positives à l’intervention du gouvernement, qu'elle fixe d'une manière régulière les droits des irrigateurs, de manière que ces propriétés pourront avoir une valeur commerciale comme les autres. Ceux qui acquerront ces terrains auront une position à peu près égale à celle des acquéreurs d'autres terrains, tandis que, dans le système qui a été suivi jusqu'ici personne ne sait à quoi s'en tenir.

Je crois donc qu'il n'y a aucun grief contre le projet de la section centrale ; je dois dire qu'en particulier, quoique président de la commission des irrigations, je n'ai pas reçu de plaintes relativement au projet de la section centrale. Seulement quelques irrigateurs auraient désiré qu'on ne mît pas en première ligne les intérêts de la navigation. La section centrale a examiné la question, et elle a cru que le canal ayant été décrété comme canal de navigation, il fallait bien qu'il rendît ce service, que le service des irrigations devait être subordonné à celui de la navigation.

La section centrale s'est d'autant plas décidée en ce sens que le gouvernement, notamment lorsque l'honorable M. Rogier était à la tête du département de l'intérieur, a promis d'augmenter l'alimentation du canal de manière à pourvoir aux besoins des irrigations.

Quant à la situation des irrigations, elle a été désastreuse en 1854. Il n'est pas un propriétaire qui n'ait perdu la moitié de sa récolte par suite du manque d'eau. Quelques-uns ont manifesté l'intention de se pourvoir en justice, se fondant sur ce fait que le gouvernement ayant fait des ventes de terrains irrigables, s'est engagé à fournir de l'eau, et sur ce qu'étant intervenu dans les contrats passés avec les communes pour obliger les propriétaires à faire des prés, il avait assumé l'obligation de fournir de l'eau.

La manoeuvre des écluses est accessoire. La fourniture de l'eau en quantités désirables est le point principal.

En résumé, je ne pense pas que l'honorable M. Julliot puisse articuler aucun grief contre le projet de la section centrale.

S'il y a d'autres observations à faire dans la discussion particulière de l'amendement de l'honorable M. Julliot, nous les ferons.

M. Julliot. - Le gouvernement ayant adhéré à ma proposition, ce dont je le remercie, je ne ferai que quelques courtes observations à l'occasion du discours de l'honorable ministre de l'intérieur, et des quelques mots de l'honorable comte de Theux.

M. le ministre de l'intérieur a dit que le gouvernement devait se préoccuper avant tout de la navigation. En effet. Mais il a eu tort de ne pas s'en préoccuper en temps et lieu quand il a commencé les irrigations

Ainsi, certains propriétaires ont acquis le droit de prendre de l'eau au-dessous du niveau d'étiage de navigation. Ils étaient donc certains d'avoir toujours assez d'eau. M. le ministre de l'intérieur vient de dire qu'ils gaspillaient l'eau, qu'ils prenaient de l'eau de manière, non pas à obtenir la récolte, mais à la détruire. Mais il faut supposer que des gens sensés cherchent à améliorer leur récolte, non à la détruire.

M. le ministre de l'intérieur a dit que je devais être partisan du remploi de l'eau ; oui ; mais à quel prix ? dans quelles conditions ? La Société liégeoise, qui la première a fait des acquisitions, qui a acheté des terrains, les a acquis pour ne pas faire de remploi d'eau ; car ces terrains n'en sont pas susceptibles, ou bien il faudrait qu'ils fussent entièrement bouleversés. M. le ministre de l'intérieur ne prétend pas sans doute qu'il y aura remploi d'eau dans ce cas ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non !

M. Julliot. - Fort bien ! C'est acquis.

On dit qu'il est indifférent que les propriétaires prennent l'eau ou que le gouvernement la leur donne. La différence est grande. Prenant l'eau, ils prendront toujours la quantité d'eau dont ils auront besoin, tandis que si c'est le gouvernement qui la leur donne, le gouvernement qui est paternel, et qui voudra donner à tous, donnera à tous des quantités d'eau insuffisantes, et créera la misère générale.

D'autre part, on a dit que le gouvernement mettra sur la même ligne tous les propriétaires. Ceux qui ont le droit de prendre de l'eau, on les en empêchera, ou leur dira ; Vous recevrez l'eau que je vous donnerai.

C'est donc le droit acquis le plus considérable qu'on enlèvera aux premiers acquéreurs pour le distribuer aux derniers venus.

C'est-à-dire qu'aux uns on prendra des droits et qu'on fortifiera les droits très faibles des autres.

L'honorable M. de Theux a dit que je critiquais l'arrêté de mai, parce que le gouvernement avait, en effet, par cet arrêté porté atteinte à des droits acquis. Si l'honorable membre reconnaît que le gouvernement a porté atteinte à des droits acquis par son arrêté de mai, je puis craindre qu'il se livrera au même exercice dans l'avenir. C'est une raison de plus pour que je demande des garanties.

On nous dit ; Votez nous des fonds et nous vous fournirons de l'eau de manière à contenter tout le monde. Je demande qui payera cela ? Est-ce que ceux qui n'ont rien à voir dans les irrigations voudront donner de l'argent pour que les propriétés en Campine donnent les plus hauts produits possible ?

J'en doute. Je persiste à demander à la Chambre qu'elle adopte mon amendement qui maintient le statu quo. M. le ministre de l'intérieur, dont la loyauté est généralement appréciée, m'inspire de la confiance ; mais les ministres passent et la loi reste. C'est donc à la loi que je demande mes apaisements.

M. Coomans. - Je dois appuyer le projet dans son ensemble ; les explications très claires, données par l'honorable ministre de l'intérieur m'ont confirmé dans ma manière de voir. Cependant l'honorable M. Julliot vient de soulever ici une question sur laquelle je me proposais moi-même de demander des explications au gouvernement.

Nous sommes tous d'accord sur un point, c'est que l'eau manque, et c'est la cause principale de la présentation du projet de loi. L'eau manque, non seulement pour irriguer les 10 à 20 mille hectares de bruyères irrigables, mais pour irriguer les 2,000 hectares déjà mis en exploitation. Il s'agit de savoir si le gouvernement distribuera l'eau au prorata des hectares exploités aujourd'hui, et 2° si le gouvernement se réserve de donner des prises d'eau pour des mises en exploitation futures.

Dans ce dernier cas, il est clair qu'il faudrait réduire la part des premiers propriétaires. Je ne tranche pas définitivement la question, je la pose et je crois que la Chambre en saisira toute l'importance.

En faveur des anciens propriétaires, on peut dire que le gouvernement, leur ayant vendu les terres pour être irriguées, a pris, de ce chef même, l’engagement de leur fournir de l'eau.

Que le gouvernement dise qu'il ne peut pas donner ce qu'il n'a pas, qu'il y a ici un cas de force majeure et que la part de chacun sera réduite au prorata des hectares exploités, je le conçois, et il me semble que les tribunaux auraient tort de se prononcer dans un autre sens.

Mais le gouvernement aurait tort à son tour, s'il venait augmenter encore la disette d'eau par des concessions nouvelles. Je demande quelle sera l'attitude que prendra le gouvernement devant des défricheurs qui viendront lui demander des prises d'eau.

Je demande si le gouvernement donnera ces prises d'eau ou s'il ajournera les défricheurs à une époque plus ou moins prochaine, où l'eau sera plus abondante dans le canal, soit par l'élargissement de la grande écluse de Bocholt, soit par l'élargissement du canal même, élargissement projeté et en quelque sorte promis par différents ministres.

A cet égard je crois qu'il est bon que nous obtenions des explications, tant pour fortifier le gouvernement contre les futurs demandeurs, que pour régler d'avance la situation des défricheurs actuels.

Dans l'article premier, je vois que la répartition des eaux est confiée au gouvernement. Si l'on me donne la réponse que j'espère, je crois qu'on pourrait dire ; une « juste » répartition ; ce serait décider un principe.

J'attendrai les explications du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je dois quelques mots d'explication en réponse aux deux honorables préopinants.

L'honorable député de Tongres ne se préoccupe que de cette seule concession, de ce seul acte de vente qui est d'une nature un peu exceptionnelle, je l'avoue, et qui concerne les propriétés de la Société liégeoise. En effet, pour cette société se présentent des questions qui ne se rencontrent pas pour d'autres concessions. Mais je crois qu'interprétant sainement le projet de loi tel qu'il a été formulé par la section centrale, cette société conserve tous ses droits. C'est ma conviction.

L'honorable membre demande si telle société aura la manœuvre des prises d'eau ; je dis que d'après l’article 3, on peut, au besoin, lui abandonner cetie manœuvre.

M. Julliot. - Elle l'a.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Elle l'a ; mais comment l'a-t-elle ? L'a-t-elle complètement libre avec l'arrosage arbitraire de sa propriété ? Non. Il résulte formellement de son acte de vente qu'elle n'a la manœuvre de sa prise d'eau que sous la surveillance et la direction des agents de l'administration. Eh bien, l'article 2 de la loi dit que les agents de l'administration auront la manœuvre des prises d'eau, mais l'article 3 stipule qu'ils pourront au besoin l'abandonner aux propriétaires. Ainsi rien n'est changé.

Quant aux remplois d'eau, l’honorable M. Julliot demande si les concessions dans lesquelles il n'y a pas eu de remploi d'eau seront obligées, en vertu de la loi, de faire ces remplois. Evidemment, non. On a peut-être eu tort de ne pas stipuler dans le commencement des obligations pour les remplois d'eau. Mais le gouvernement n'aura pas le droit de prescrire, aux anciens concessionnaires, de faire des frais considérables pour établir ces remplois d'eau. L'honorable membre doit donc encore avoir sous ce rapport ses apaisements.

On se plaint du manque d'eau et quand il s'agit de travaux projetés dans le but d'augmenter le volume des eaux pour les canaux de la Campine, l'honorable membre est le premier à dire : Qui va payer ? Messieurs, s'il y a réellement un intérêt général en jeu, c'est la nation qui devra payer. Qui a payé le canal de la Campine ? C'est bien la nation.

Maintenant le mode de défrichement par voie de l'irrigation répond-il à un intérêt général ? J'affirme que oui. Il est évident qu'il y a ici un intérêt général. Favoriser le défrichement de la Campine, conquérir (page 1043) pour ainsi dire toute une province au pays, c'est bien agir dans un but d'intérêt public.

Et quand, pour atteindre ce but, il faudra élargir l'écluse de Bocholt, élargir d'une partie du canal, approfondir une autre partie, barrer la Meuse, la Chambre comprendra qu'il s'agira encore d'un intérêt général.

L'honorable membre devra convenir que cette appréciation est exacte.

Deux mots de réponse à mon honorable ami M. Coomans.

L'honorable M. Coomans voudrait que je lui donnasse des explications positives relativement à la répartition des eaux pour l'arrosage. Il croit qu'il faudrait stipuler une quantité d'eau par étendue de terrain à arroser, et il appelle cela une juste répartition.

M. Coomans. - J'ai demandé si l'intention du gouvernement est de distribuer l'eau au prorata des hectares mis en exploitation. Je ne détermine pas la quantité d'eau, mais je demande pour chacun une juste et égale part.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Le gouvernement donnera à chacun une juste et égale part. En dehors de la grande prise d'eau, il y aura, lorsque plusieurs propriétaires aboutiront à la même prise d'eau, des vannes spéciales, pour qu'à chacun il soit donné d'après les besoins de son exploitation. Mais c'est une erreur de croire que les besoins ne sont pas en rapport avec l'étendue des terrains. Ces besoins d'eau varient d'après la nature des terrains, d'après l'organisation des remplois d'eau et d'après la date des irrigations. La première année, le besoin d'eau est bien plus grand que les autres années.

Le besoin d'eau diminue en raison de l'âge de la prairie. La première année il faut bien plus d'eau parce que le terrain en absorbe davantage ; mais à mesure que le terrain a été imbibé et que les herbes ont poussé, la terre absorbe beaucoup moins d'eau ; de manière qu'au bout de 5 à 6 ans, la quantité d'eau nécessaire est beaucoup diminuée.

On redoute l'arbitraire du gouvernement dans la répartition des eaux. Mais, messieurs, il est impossible d'indiquer une base exacte pour cette distribution. Je défie l'honorable M. Julliot, je défie les propriétaires de dire d'avance combien il faudra d'eau par hectare pour un arrosage convenable. Cela ne peut se déterminer qu'à mesure que l'arrosage s'opère, et il faut des hommes qui sachent apprécier les besoins de chaque parcelle, besoins qui varient chaque année, d'après la nature des terrains.

Ces besoins varient ainsi d'après l'emploi qu'on fait des eaux. Tel hectare où il existe un remploi judicieux de l'eau exige bien moins d'eau que tel autre hectare où ce remploi n'est pas organisé. Lorsque l'eau peut servir plusieurs fois sur différentes parties d'un hectare, il en faut bien moins que lorsqu'elle ne peut servir qu'une seule fois.

Ainsi, messieurs, la pratique, l'expérience peuvent seules guider l'administration dans la répartition de l'eau. Cette répartition se fera sans accorder aucune espèce de faveur à qui que ce soit ; tous les propriétaires sont entendus ; l'action de l'administration est toujours contrôlée. Il y a un registre des manœuvres ; on sait combien d'eau chacun reçoit ; tout cela est publié, et tout cela est dirigé par des hommes d'expérience qui ont une connaissance spéciale de chaque terrain, et même dec chaque parcelle de terrain.

Mon honorable ami M. Coomans m'a demandé aussi que le gouvernement s'explique sur ses intentions relativement à des concessions ultérieures à faire. Il y a ici une question de droit et une question de convenance.

En droit, messieurs, le gouvernement peut certainement faire des concessions nouvelles.

Le gouvernement, en faisant les concessions qu'il a faites jusqu'à présent, n'a pas du tout entendu aliéner son droit de faire des concessions ultérieures. Ce qui le prouve d'ailleurs, c'est que les travaux ont été préparés pour une zone irrigable bien plus étendue que celle qui a été concédée jusqu'à présent. Le gouvernement a donc incontestablement le droit de faire des concessions à l'avenir.

Mais, messieurs, il y a une question de convenance. A cet égard je dirai qu'il est probable que peu de propriétaires seront disposés à faire des irrigations nouvelles, puisque déjà aujourd'hui l'eau manque. Cependant, ici encore il faut bien fixer les positions. Le gouvernement, dit l'honorable M. Coomans, ne peut pas accorder de l'eau à de nouveaux irrigateurs sans en enlever leur part aux anciens concessionnaires.

Entendons-nous bien, les anciens n'ont aucun droit à une quantité d'eau déterminée. Il faut bien comprendre cela.

On part toujours de cette idée que les concessionnaires primitifs ont droit à une quantité d'eau déterminée ; cela n'est pas, et le gouvernement reste complètement libre d'accorder de nouvelles concessions.

Mais, en revanche, le gouvernement s'engage à augmenter la quantité d'eau dans le canal. Un crédit est demandé pour faire les travaux les plus indispensables et il est à croire que le volume d'eau augmentera. Au fait, le gouvernement n'est pas responsable de la situation des eaux de la Meuse ; il n'est pas au pouvoir du gouvernement de l'augmenter ou de le diminuer. Il s'est engagé à fournir de l'eau, pour autant, bien entendu, qu'il en eût à fournir. Ses obligations ne s'étendent pas au-delà.

M. Vander Donckt. - On a souvent reproché au gouvernement de se mêler de toutes choses qui ne le concernent pas, de se faire, spéculateur, industriel, de se faire négociant ! Ici il s'est fait irrigateùr et même cultivateur. Il aurait beaucoup mieux fait de se borner à surveiller les travaux, à imprimer la direction, et de ne pas faire lui-même les irrigations. La loi tend à engager de plus en plus le gouvernement dans cette voie. Je dis que le gouvernement s'est éclaboussé dans la Campine et s'il persiste dans cette voie, il finira par s'y embourber de plus en plus. Il me semble que le gouvernement pour conserver sa dignité, son autorité, devrait se borner à la surveillance.

On me dira : Mais dans les circonstances présentes, quel moyen proposez-vous ?

Eh bien, ce moyen n'est pas nouveau, on l'a proposé déjà, ce moyeu c'est l'organisation d'une wateringue dans cette localité.

M. le ministre a cru écarter ce moyen en disant que tous les propriétaires ne se trouvent pas dans la même situation, que tous n'ont pas leurs propriétés le long ou à proximité du canal.

Mais, messieurs, je le demande, y a-t-il dans toute la Belgique une seule administration de wateringue dont toutes les propriétés se trouvent dans la même situation ? Comme dans la Campine, les propriétés des différentes wateringues se trouvent les unes rapprochées, les autres éloignées de l'eau ; cela n'empêche pas les propriétaires de se constituer en wateringues et le gouvernement exerce tout au plus la surveillance quand son autorité est légalement requise.

Il me semble que la voie la plus courte, la plus sage, la plus rationnelle, c'est que le gouvernement se retire de cette administration des irrigations le plus tôt possible. Indépendamment de la considération qu'il n'est pas de la dignité du gouvernement de se mêler de pareilles choses, il y a la question financière. Plus le gouvernement s'engage dans cette administration, plus il est amené à nous proposer des crédits extraordinaires pour des dépenses nouvelles à faire dans la Campine ; eh bien, comme l'a parfaitement dit mon honorable ami M. Julliot, il n'est pas juste d'imposer des charges au pays tout entier, pour favoriser une seule localité. Je le répète, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est que le gouvernement se retire de cette affaire.

Messieurs, on a agité la question des remplois d'eau. Je dois faire ici une observation et plusieurs honorables membres qui savent ce que c'est que l'irrigation des prairies, savent aussi que le remploi de l'eau est une très grave question, car l'eau qui a arrosé une prairie ne vaut pas le quart de ce que vaut une eau primitive. Or donc, après avoir irrigué les prairies les plus voisines, lorsqu'on ne peut pas accorder aux propriétaires respectifs la quantité d'eau primitive qui n'a pas servi à l'irrigation, cette eau secondaire ne vaut plus la peine qu'on fasse de nouveaux travaux, qu'on creuse de nouveaux fossés ou des canaux colateurs pour amener cette eau qui est déjà tout à fait épuisée, sur d'autres prairies où elle ne sera que d'une utilité très secondaire.

Voilà l'observation que j'avais à présenter, pour ce qui concerne le remploi d'eau ; quant à ce remploi d'eau, on a dit que le gouvernement, dans les premières concessions, avait accordé l'eau pour certaines prairies qu'il avait vendues en premier lieu.

Eh bien, il est évident que là le gouvernement n'a stipulé aucune réserve, n'a pas imposé la condition à ces propriétaires de faire remploi de l'eau pour d'autres propriétaires inférieurs. Le gouvernement aujourd’hui voudrait intervenir pour faire opérer ces remplois d'eau ; il faudrait donc imposer aux propriétaires des premières concessions la charge de creuser les fossés et de faire exécuter tous les travaux nécessaires pour amener les eaux sur d'autres propriétés. C'est là précisément ce qui va de nouveau donner lieu à des difficultés, à des procès ; aussi, je le répète, le conseil le plus sage qu'on puisse donner au gouvernement, c'est de se tirer de là ; le plus tôt, sera le mieux.

M. Coomans. - Messieurs, quant au premier point sur lequel M. le ministre a bien voulu me répondre, j'avoue qu'il est au moins très difficile de régler d'avance la distribution de l'eau, par les raisons qu'a indiquées l'honorable ministre. Tout ce que je demande, c'est que la répartition en soit faite avec justice, sans aucune espèce de favoritisme, et surtout sans avoir trop égard à la qualité de la terre. En effet, l'acheteur a payé plus cher la terre qui a moins besoin d'être irriguée qu'un autre acheteur n'a payé la terre plus pierreuse et plus sablonneuse qui a besoin de beaucoup d'eau.

Le gouvernement ne doit pas avoir égard à cette circonstance ; il doit, je pense, avoir égard surtout au volume d'eau à distribuer, c'est-à-dire qu'il doit principalement prendre en considération l'éiendue de la propriété.

Sur le second point, je ne suis pas aussi satisfait de la réponse du gouvernement. J'ai demandé si le gouvernement se proposait d'accorder des concessions ultérieures, malgré l'impossibilité où il se trouve de donner de l'eau à suffisance aux propriétaires qui exploitent déjà aujourd'hui et qui ont réellement des droits acquis.

L'honorable ministre me répond, que le gouvernement a strictement le droit d'accorder des concessions nouvelles, mais que cependant il examinera s'il convient qu'il use de ce droit. Je ne sais pas si ce droit existe aussi clairement que le pense l'honorable ministre. Lorsque le gouvernement a vendu des terres qu'il avait préparées lui-même pour l'irrigation, il a pris l'engagement moral de fournir de l'eau à suffisance.

Ainsi que j'avais l'honneur de le dire tout à l'heure à la Chambre, je conçois que le gouvernement se trouvant devant un cas de force majeure, le manque d'eau, oppose cette impossibilité aux irrigateurs (page 1044) d'aujourd'hui, et leur dise qu'aucune loi au monde ne peut le forcer à fournir ce qu'il n'a pas ; mais je ne concevrais pas que le gouvernement, sachant que l'eau lui manque, qu'il ne peut pas remplir ses engagements, vînt encore aggraver cette situation déjà fâcheuse, en accordant des concessions nouvelles.

Messieurs, je n'ai pas besoin de le dire, je voudrais que les 20,000 hectares irrigables fussent irrigués demain ; mais les restrictions que je voudrais voir apporter à l'exercice du droit du gouvernement me sont dictées par l'intérêt du travail de l'irrigation même.

Je ne suis pas de ceux qui désespèrent de l'irrigation, bien que j'avance que j'ai dû rabattre un peu de mes espérances à ce sujet ; j'espère que les irrigations, non seulement ne seront pas abandonnées, mais qu'elles se développeront bientôt sur une large échelle.

Et c'est parce que je n'ignore pas qu'il existe aussi des préjugés contre les irrigations que je ne voudrais pas que cette bonne œuvre fût compromise ; or, elle le serait si vous mettiez les irrigateurs primitifs, ceux qui ont le plus de titres à la bienveillance du gouvernement, si vous les mettiez dans l'impossibilité d'obtenir de bons effets de leur travail.

Il faut, ce me semble, que le gouvernement examine si le volume d'eau dont il peut disposer actuellement suffit pour les irrigations à peu près complètes des terres préparées aujourd'hui. Si ce volume d'eau suffit, ou même si on peut le diminuer un peu en faveur d'autres terres irrigables, sans cependant compromettre les travaux en exécution, eh bien, dans ce cas, je conçois que le gouvernement accorde des concessions nouvelles. Mais s'il ne peut pas, sans nuire à des droits acquis et à l'intérêt agricole qui se trouve engagé en Campine, réduire le volume d'eau dont il dispose aujourd'hui, je crois qu'il est de son devoir légal, si je puis m'exprimer ainsi, d'ajourner toute nouvelle concession jusqu’à ce que se réalise l'espoir qu'a bien voulu confirmer encore l'honorable ministre, de voir le canal de la Campine élargi, approfondi et de le voir fournir toutes les eaux sur lesquelles ou a compté.

Un mot encore quant aux remplois d'eau. Ainsi que l'a très bien dit l'honorable ministre, le remploi des eaux est indispensable, précisément parce que les eaux manquent aujourd'hui et que les riverains les plus proches du canal ne peuvent pas monopoliser le bienfait créé par le gouvernement.

Mais ce remploi est indispensable pour une autre raison encore, c'est qu'il s'agit d'éviter les inondations, et je vais plus loin que l'honorable ministre, et je dis que les défricheurs qui ne sont pas astreints aujourd'hui au remploi de l'eau, devront cependant exécuter à leurs frais tous les travaux nécessités par ce remploi, s'ils causent le moindre dommage a leurs voisins.

Remarquez que ce remploi des eaux est une question de la plus haute importance, en ce qui concerne les propriétés de l'arrondissement que je représente. Si les irrigations n'ont pas produit des résultats très heureux sur les terrains où elles ont eu lieu, elles ont parfois nui à d'autres par les inondations ; elles ont même fait déborder la Nèthe. C'est ià un principe de droit qui amènera forcément le remploi des eaux ; les défricheurs qui ne sont pas tenus au remploi par leur contrat, seront obligés de l'exécuter quand il s'agira de faire cesser le dommage causé au voisin.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je regrette que les explications que je viens de donner n'aient pas complètement satisfait mon honorable ami. Cependant je ne puis pas aller plus loin que j'ai été ; je ne puis méconnaître le droit du gouvernement d'accorder des concessions nouvelles. Ce droit il ne l'a jamais aliéné, il est entier et je tiens à le conserver intact.

On dit que le gouvernement en accordant des concessions prend l'e-gagement moral de fournir l'eau nécessaire. Sans doute le gouvernement prend cet engagement moral ; mais quand il n'y a pas d'eau il ne peut pas en fournir, ce n'est pas de gaieté de cœur qu'il refuse de l'eau.

Du moins, dit-on, pour l'avenir le gouvernement n'ayant pas assez d'eau pour les concessions déjà faites, ne peut pas accorder de concessions nouvelles.

Le gouvernement ne connaît pas les quantités d'eau dont il aura à disposer dans l'avenir. Cela dépend de mille circonstances.

Le gouvernement ne peut rien dire de la position que les faits lui feront. Tout porte à croire, du reste, qu'il y aura une espèce de point d'arrêt et que peu de propriétaires demanderont des concessions nouvelles. L'action du gouvernement, quant aux concessions ultérieures, se trouvera donc suspendue.

Messieurs, je tiens à dire ma pensée tout entière quant à l'avenir des défrichements par voie d'irrigations. Il ne faut pas s'exagérer, pour l'avenir, les inconvénients qui résultent aujourd'hui de la pénurie d'eau. J'avoue que chez beaucoup de personnes, comme chez l'honorable membre, des espérances ont été déçues, des illusions ont été détruites ; mais ces mécomptes sont passagers. Un avenir prospère est réservé aux irrigations rendues à leurs conditions normales, quand les travaux projetés pour augmenter les eaux dans les canaux de la Campine seront achevés. Et puis, il faut avoir le courage de le dire, même en présence des propriétaires déjà assez malheureux pour n'avoir pas réussi dans leurs spéculations, ce n'est pas le manque d'eau qui a été la principale cause de leurs mécomptes. Beaucoup de propriétaires, en achetant des concessions, n'ont pas compris toute l'étendue des obligations qui leur incombaient. Ils ne possédaient pas les capitaux nécessaires.

Parmi les concessionnaires nous pourrions signaler des propriétaires qui ont fait des travaux intérieurs considérables, et qui ont parfaitement réussi. Les faits sont là, et ces faits sont éloquents ; ils suffiront à prouver que, dans l'avenir, les irrigations, opérées dans des conditions convenables, auront un plein succès.

Je tiens à le dire du haut de la tribune nationale ; lorsque d'ici à quelques années les mesures seront prises par le gouvernement pour augmenter le volume d'eau du canal de la Campine, et que toutes les irrigations seront bien ordonnées et dirigées, un avenir prospère leur est assuré.

Encore un mot sur les remplois d'eau. Le gouvernement ne les imposent pas, mais là où ils existent il doit les maintenir. C'est une chose heureuse.

On sait parfaitement que quand les eaux ont passé une première fois sur les terres, elles n'ont plus les mêmes propriétés fertilisantes ; mais il est prouvé qu'à la deuxième et à la troisième fois, elles exercent encore une heureuse influence.

L'honorable M. Coomans a appelé l'attention du gouvernement sur la nécessité du remploi au point de vue des propriétés voisines des terrains irrigués. En effet, cela s'est présente ; ainsi la société liégeoise a été appelée devant les tribunaux du chef d'inondations causées par ces irrigations et pour lesquelles on réclamait des dommages intérêts.

Ce fait se présentera bien souvent. C'est dans ce but qu'on construit des canaux colateurs destinés à rassembler ces eaux et à les reporter vers le canal, dans un bief, ou dans une section inférieure.

C'est ainsi qu'il est question de faire un canal colateur pour ramasser les eaux de terrains irrigués et pour les reporter à la section du canal de la Campine qui va à Turnhout.

La question du remploi des eaux des irrigations s'est présentée encore sous forme d'une difficulté internationale.

Des réclamations ont été faites par des propriétaires hollandais qui se trouvaient inondés par les eaux qui étaient censées provenir des irrigations.

Ces difficultés sont inévitables. Nous sommes en présence d'un genre d'opérations toutes nouvelles. Les irrigations peuvent entraîner certains inconvénients ; il faudra y parer ; l'expérience en indiquera les moyens. On ne peut pas exiger de la part du gouvernement plutôt que de la part des particuliers qu'il prévoie des cas qui ne s'étaient jamais présentés et que la sagesse humaine ne pouvait pas raisonnablement prévoir.

M. de Muelenaere. - Messieurs, nous n'avons pas à nous préoccuper outre mesure des questions de propriété et des droits qui peuvent être acquis à des tiers en vertu de conventions ou de cahiers des charges passés avec le gouvernement ; ces questions de droit nous ne pouvons pas les décider législativement ; les tribunaux seuls peuvent être appelés à en connaître.

Dans la loi que nous faisons, nous avons néanmoins un double écueil à éviter. Nous devons éviter d'insérer quelque chose qui puisse porter atteinte aux droits de ces propriétaires ou créer des droits nouveaux en faveur d'autres propriétaires.

Au surplus, il a été fait dans cette discussion une révélation fort curieuse.

L'irrigation n'est que le but accessoire. Je demande comment il se fait qu'à un canal dont le but principal est le service de la navigation, les écluses pour procurer de l'eau pour les irrigations ont été placées en dessous de la cote de navigation.

C'est une révélation que vient de faire l'honorable M. Julliot. Je le répète, c'est véritablement sans exemple ; car partout la grande difficulté, c'est de conserver les canaux à la cote nécessaire pour la navigation. Si cela existe, on doit y porter remède le plus tôt possible, si cela peut se faire encore.

Au surplus, l'honorable ministre de l'intérieur nous a dit tout à l'heure que probablement il faudrait aviser aux moyens de porter au canal un plus grand volume d'eau. Si le canal a besoin d'un plus grand volume d'eau, c'est pour donner de l'eau aux propriétés qui sont déjà exploitées.

On s'était flatté de l'espoir que le canal aurait pu fournir de l'eau à 25,000 hectares. Aujourd'hui il y a 2,000 hectares exploités, et déjà les eaux du canal sont insuffisantes. Il en manque considérablement. Vous voyez que nous sommes très loin de nos calculs. Il faudrait donc faire des travaux nouveaux, pour augmenter l'élévation du canal. Mais ces travaux, dit M. le ministre de l’intérieur, doivent se faire dans un intérêt public. Je comprendrais ce raisonnement s'il s'agissait de fournir de l'eau au canal dans le but de le rendre navigable, de le faire servir au commerce. Mais avant tout, les travaux qu'on serait disposé à nous proposer, se feraient surtout dans l'intérêt des propriétaires, pour rendre à la culture des propriétés qui sont aujourd'hui à l'état de bruyères.

Dans ce cas-là, il me semble évident qu'une partie considérable de la dépense devrait être supportée par les propriétaires intéressés, et non exclusivement par le trésor.

C'est une question que nous aurons à examiner, quand les demandes de crédit nous seront adressées.

Je ferai remarquer que, dans beaucoup de parties du pays, notamment dans les Flandres et dans la province d'Anvers, depuis des siècles on a livré à la culture des terres qui étaient entièrement improductives notamment des polders. Ils ont été endigués aux risques et périls des propriétaires.

Le gouvernement, à qui les terrains appartenaient, en a fait la (page 1045) concession, sans intervenir par aucun subside dans les dépenses d'endiguement.

Je me trompe, le gouvernement n'a même pas toujours donné les concessions d'une manière gratuite ; il y a un grand nombre de polders qui ont été concédés, tantôt à la condition de payer une redevance, tantôt à la condition que les polders, dans un certain temps, feraient retour à l'Etat. C'est'ainsi que des polders considérables, concédés par l'empereur Napoléon, vont faire retour au gouvernement hollandais, pour qui ils constitueront de grandes et excellentes propriétés. Vous voyez que les gouvernements précédents se sont montrés beaucoup moins généreux que nous, et dès lors nous devons suivre à peu près le même exemple.

Si les irrigateurs de la Campinc ne trouvent pas leur compte à cultiver des bruyères, c'est que leur culture ne présente pas de grands avantages. Tout ce qu'on peut exiger du gouvernement, c'est qu'il leur prête un appui moral, c'est qu'il leur accorde toute l'eau dont il pourra disposer sans nuire à la navigation. S'il y a un excédant d'eau, qu'il le donne aux propriétaires, rien de mieux ; il leur fera une faveur considérable. Mais lorsqu'il y aura des travaux à faire dans l'intérêt des propriétaires, il faut que ce soit à leurs frais.

Voilà les observations que j'avais à présenter à la Chambre.

Ces questions, nous aurons le loisir de les examiner plus mûrement, lorsque des demandes de crédit seront présentées à cet effet, mais j'étais charmé de rappeler à la Chambre et au gouvernement ce qui s'est fait en d'autres circonstances au sujet de concessions de terrains qui ont acquis une valeur plus grande que ne pourront jamais acquérir ceux dont il s'agit ici.

M. de Theux. - L'honorable préopinant, reprenant une observation de l'honorable M. Julliot, dit que le gouvernement a eu tort d'autoriser des prises d'eau au-dessous du niveau d'étiage du canal. Si l'on veut que les irrigations soient possibles, on sera obligé de faire de même à l'avenir, à moins de donner au canal une élévation considérable au-dessus de l'étiage ; ce qui serait une dépense excessive, et ce qui serait impraticable dans beaucoup de localités.

Mais le remède aux abus qui pourraient résulter du placement des écluses au-dessous de l'étiage se trouve dans l'article premier de la loi que nous discutons, et aux termes duquel le gouvernement fait faire par ses agents la manœuvre des écluses, de manière qu'il maintiendra toujours le niveau d'eau nécessaire pour la navigation.

Voilà la seule réponse que j'aie à faire sur ce point.

On a beaucoup parlé des exagérations des administrations précédentes et des ingénieurs qui auraient exagéré l'estimation des terrains susceptibles d'être convertis en prairies. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait eu exagération. Ce sera éclairci plus tard.

Un des moyens pour étendre les irrigations, c'est de ramener dans le canal les eaux qui ont servi à l'irrigation. M. le ministre de l'intérieur l'a annoncé à la Chambre.

L'honorable membre a voulu établir une analogie entre l'endiguement des polders et le défrichement des bruyères. Remarquez que pour la majeure partie des polders qui ont été concédés, le gouvernement a donné gratuitement les terrains, tandis que les bruyères appartenaient aux communes qui avaient le droit d'en recevoir le prix. Les bruyères ont donc été vendues, première différence. Seconde différence ; la qualité des terres est telle que les bruyères n'avaient pas en moyenne une valeur de plus de 100 francs par hectare. Mises en culture, elles reviendrontde 1,200 à 1,500 fr. par hectare aux propriétaires. Or, je ne pense pas qu'il y ait un seul hectare de polder qui ait amené ce résultat, lorsque l'on prend la dépense des endiguements, et qu'on la répartit sur la masse des propriétés endiguées.

Quelle est la différence de résultat ?

Quand on a endigué un polder, on a un sol immensément riche qui produit immédiatement de belles récoltes, tandis que dans le sable de la Campine, il faut entretenir la fertilité par des quantités d'engrais, ce qui nécessite des dépensés considérables.

On a parlé de l'utilité générale, je pense que ce mot a toujours été compris. Du moins chaque fois que depuis 1830 il a été question du défrichement des landes de la Campine, et sous les anciens gouvernements lorsqu'il s'est agi de la création de canaux, je n'ai jamais vu que l'on n'ait pas considéré le défrichement de landes considérables comme n'étant pas d'intérêt général.

Je crois que la question a toujours été envisagée à ce point de vue, et que si, moyennant une dépense accessoire qu'ont exigée et que nécessiteront encore les canaux pour les irrigations, on parvient à ce résultat, non seulement de défricher 20,000 hectares qui seront convertis en prairie, mais encore de donner lieu à des cultures accessoires, à des cultures de céréales, le grand but que s'est proposé le gouvernement sera largement atteint.

Je pensé que ce n'est nullement dans un intérêt privé que le gouvernement a agi. Aucun particulier ne s'est adressé à cet égard au gouvernement, lui demandant de l'eau pour défricher ses propriétés. C'est au point de vue de l'utilité générale que la création des canaux de la Campinc a été décrétée et que le gouvernement a voulu faire entrer les landes communales, surtout, dans le commerce.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 heures et demie.