(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. de Naeyer, vice-président.)
(page 999) M. Calmeyn procède à l'appel nominal à 5 heures.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Calmeyn présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Le sieur Robitaille, demeurant à Molenbeek-Saint- Jean, né à Reneème (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Tichon propose une réforme relative à la série des poids légaux qui sont actuellement en usage. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les poids et mesures.
« Par dépêche du 30 avril, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre deux exemplaires des livraisons 1 à 3 du tome III des Annales de la la commission royale de Pomologie. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« La Société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut adresse à la Chambre le'volume de ses mémoires et publications pour l'année académique 1854-1855. »
- Même décision.
M. de Perceval dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit de 2,455,000 fr. au département de la guerre.
M. Manilius dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au département de la guerre un crédit de 1,571,000 fr.
M. Moreau dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de budget des recettes et dépenses pour ordre pour l'exercice 1856.
M. T’Kint de Naeyer dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de budget du département des finances pour l'exercice 1856.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles le 27 février 1855, les détenus pour dettes demandent l'abolition ou du moins la révision de la loi sur la contrainte par corps en matière civile et commerciale.
Ils allèguent plusieurs considérations à l'appui de leur demande et disent que la loi actuelle n'est plus en harmonie avec le système de nos institutions libérales.
Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de leur demande à M. le ministre de la justice.
M. Lelièvre. - Messieurs, la pétition dont nous nous occupons est digne de l'attention spéciale de M. le ministre de la justice. Il est certain que la législation actuelle sur la contrainte par corps est vicieuse et n'est plus eu harmonie avec nos institutions libérales. En France déjà on a révisé les lois qui régissent encore le Belgique sur la matière dont il s'agii ; il est temps de réformer un ordre de choses que l'équité repousse.
C'est donc là un objet urgent et important sur lequel j'appelle la sollicitude du gouvernement.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Bruxelles, le 21 février 1855, le sieur Vandenbossch, blessé de septembre et décoré de la Croix de fer, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la pension dont jouissent quelques décorés de la Croix de fer.
Le pétitionnaire dit qu'il est père de famille, se trouvant dans un état de gêne voisin de la misère, et termine en faisant un appel à votre patriotisme.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa demande à M. le ministre de l'intérieur.
M. Rodenbach. - J’attire l'attention de M. le ministre de l’intérieur sur cette pétition. Il paraît que le pétitionnaire est un père de famille qui a dix ou douze enfants. Une somme est allouée au budget de l'intérieur pour venir en aide aux décorés de la croix de Fer qui sont dans un état nécessiteux. Je crois qu'il y a lieu d'accorder sur cette allocation un secours au pétitionnaire.
Plusieurs veuves de décorés de la croix de Fer se trouvent aussi dans une position malheureuse ; je citerai notamment la veuve du major Kessels, qui réclame sur le fonds des décorés de la croix de Fer une modeste pension.
Je prie M. le ministre de l'intérieur, puisque des fonds sont mis à sa disposition, de bien vouloir venir au secours des décorés et des veuves de décorés de la croix de Fer qui se trouvent dans la gêne.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée d'Eysden, le 28 février 1855, le conseil communal demande que le gouvernement leur accorde un bac de passage sur le canal de Maestricht à Bois-le-Duc au lieu-dit le petit bassin d'Eysden.
A l'appui de leur demande les pétitionnaires font valoir les considérations suivantes ;
Considérant que, par la construction dudit canal, les habitants de cette commune ont été privés de tous les chemins conduisant à la campagne située derrière le canal, et mesurant 155 hectares de terre labourable et une bruyère de 390 hectares, très convenable à défricher en bonne terre, qui est également située à une très petite distance de leurs habitations et qu'ils doivent laisser inculte à défaut de moyens de communication convenables ;
Considérant que, par suite de la construction du canal et par le défaut de chemins de communication, toutes ces terres ont perdu plus que la moitié de leur valeur à cause de la grande distance qu'ils ont maintenant à franchir pour exploiter cette campagne.
Considérant que notre commune a beaucoup de chemins vicinaux à entretenir et que la carrière de gravier est également située derrière le canal, ce qui rend toutes ces réparations presque impossibles ou occasionne de très grands frais de transport ;
Considérant que le pont construit sur le territoire de la commune d'Eysden ne sert nullement à l'exploitation de leur campagne, mais seulement pour la grande route de Maestricht vers Maeseyck, vu qu'il est situé à une grande distance du centre de la commune ayant à faire un détour de plus de 16 hectomètres ;
Considérant qu'il n'existe aucune commune le long du canal qui a été si loin séparée de ses propriétés par la construction dudit canal, sans avoir obtenu un pont, pour les indemniser du dommage qu'ilsont subi ;
« A résolu ;
« De s'adresser à vous, messieurs les représentants en vous suppliant de vouloir leur accorder aux frais de l’Etat un bac de passage sur ledit canal au lieu du petit bassin d'Eysdcn.
« La commune s'oblige à intervenir dans les frais de construction, pour une somme de mille francs, qui sera épargnée sur les revenus de la commune et par la vente d'une partie de la bruyère et par des dons volontaires des habitants de la commune. »
Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
Il est procédé au tirage au sort des sections du mois de mai.
Il est procédé au vote par appel nominal, sur l'ensemble des vingt-quatre projets de loi de naturalisation ordinaire adoptés par assis et levé dans la séance d'hier.
Ces projets de loi sont adoptés à l'unanimité des 71 membres présents.
Ce sont : MM. Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Thiéfry, Thienpont, T’Kint de Naeyer, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Allard, Boulez, Calmeyn, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, F. de Mérode. de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Frère-Orban, Goblet, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Magherman, Manilius,Mascart, Matthieu et de Naeyer.
(page 1003) M. Verhaegen. - Messieurs, après avoir attentivement examiné l'arrêté du 18 avril relatif à la mise à la retraite des officiers, j'ai conçu des scrupules sur sa légalité et je viens communiquer ces scrupules à la Chambre. J'ai eu l'honneur d'informer hier M. le ministre de la guerre de mes intentions à cet égard, pour qu'il pût rencontrer mes observations.
Messieurs, nous avons une loi sur les pensions militaires, c'est la loi du 24 mai 1838 : elle détermine d'une manière claire et précise les conditions de mise à la retraite et pour me servir des expressions dont s'est servi M. le ministre de la guerre dans son rapport au Roi, elle ne renferme aucune disposition qui fixe les limités d'âge auxquelles les officiers des différents grades seraient censés avoir atteint le terme de leur service.
La loi de 1838 détermine dans son article premier quelles sont les conditions exigées pour qu'il y ait de plein droit mise à la retraite et, dans son article 2, il donne au Roi une faculté pour mettre à la retraite dans certains cas et sous certaines conditions.
Pour qu'il y ait mise à la retraile de plein droit, il faut deux conditions : il faut un certain nombre d'années de service et un certain âge.
Les militaires de tout grade et de toute arme qui ont 40 années de service et qui sont âgés de 55 ans accomplis, ont droit à une pension de retraite (article premier).
Ainsi pour qu'un militaire, quel que soit son grade, ait droit à une pension de retraite, il ne suffit pas qu'il ait l'âge de 55 ans accomplis, il faut encore qu'il ait 40 années de service. Il ne suffit pas qu'il ait 40 ans de service, il faut encore qu'il ait accompli l'âge de 55 ans ; d'où la conséquence que pour l'âge seul, et abstraction de toute autre condition, il n'y a pas dans la loi de limites auxquelles on puisse s'arrêter pour mettre un militaire à la retraite. Le militaire n'est présumé incapable de rendre service à son pays que pour autant qu'il ait 40 années de service et 55 ans d'âge. C'est la seule présomption légale qui se trouve dans la loi.
Mais comme toute présomption doit céder à la vérité, dans son article 2, la loi a établi à cette règle certaines exceptions, et il a donné une faculté au gouvernement.”
Cet article 2 est ainsi conçu :
« Le Roi a la faculté de mettre à la pension de retraite :
« 1° les militaires qui comptent 30 années de services effectifs et qui sont reconnus hors d'état de continuer à servir ;
« 2° Ceux qui ont 40 années de service et qui en forment la demande ;
« 3° Ceux qui ont atteint l'âge de 55 ans accomplis”.
Ainsi le Roi peut user de la faculté qui lui est donnée par cet article 2, de mettre à la retraile les militaires qui ont 55 ans accomplis, sans que d'autres conditions soient requises.
Mais pour user de cette faculté et mettre à la retraite, il faut un arrêté, et l'article 26 de la même loi porte ce qui suit :
“ Les pensions de toute nature sont accordées par un arrêté royal précisant les motifs pour lesquels elles ont été données.
“ Ces arrêtés sont insérés textuellement au Bulletin officiel. »
De la combinaison de ces articles, il résulte que le militaire qui a 55 ans accomplis et à l'égard duquel ne se rencontre pas la seconde condition exigée par l'article premier, est présumé de par la loi capable de servir encore son pays. L'incapacité est l'exception ; il est laissé au gouvernement la faculté de faire cette exception, mais pour la faire il faut un arrêté, et il faut, dans cet arrêté, mentionner les motifs.
Voilà donc le système de la loi : la règle, c'est la capacité ; l'incapacité, c'est l'exception. Eh bien, messieurs, par l'arrêté qui a soulevé mes scrupules, on fait précisément le contraire : ce qui était la règle devient l'exception, et ce qui était l'exception devient la règle. C'est ce que je vais avoir l'honneur de démontrer à la Chambre.
Ce n'est pas, messieurs, que je veuille, du moins quant à présent, attaquer le système de M. le ministre de la guerre ; je ne sais pas (c'est ce que nous examinerons plus tard) lequel de ces deux systèmes doit prévaloir.
La seule question que je soulève aujourd'hui est celle de savoir si M. le ministre de la guerre, tout en supposant qu'il eût raison au fond, n'était pas tenu de présenter un projet de loi à la législature pour faire sanctionner son système ; ce n'est pas dans l'intention de faire de l'opposition au gouvernement que je présente mes observations, c'est uniquement dans l'intérêt de la loi ; car il importe aujourd'hui plus que jamais que la loi conserve son empire ; on ne peut pas combler par arrêté des lacunes législatives.
Voici, messieurs, l'arrêté du 18 avril, mais il convienne vous lire tout d'abord le rapport au Roi qui le précède :
« La loi du 24 mai 1858, dit-il, permet d'admettre à la pension de retraite tous les officiers qui ont atteint l'âge de 55 ans.
“ Jusqu'à ce jour, aucune disposition n'a fixé les limites d'âge auxquelles les officiers des différents grades seraient censés avoir atteint le terme de leur service. »
C'est justement ce que j'avais l'honneur de dire, je suis parfaitement d'accord sur ce point avec M. le ministre de la guerre, car jusqu'à présent aucune disposition n'a fixé les limites d'âge auxquelles les officiers de différents grades seraient censés avoir atteint le terme de leur service.
En, effet, dans la loi de 1838, on a beau chercher, on ne trouve aucun article qui dise qu'à tel âge un officier sera considéré comme incapable de continuer son service ; l'âge n'est pris en considération que pour autant qu'à l'âge se joigne un certain nombre d'années de service.
“ Cette lacune, continue le rapport (ceci est plus fort), a donné ouverture à des illusions de toute espèce, à des espérances fréquemment déçues, et elle a placé les' officiers dans un état d'incertitude auquel il me semble utile de mettre un terme. »
Je suis de nouveau d'accord sur ce point avec M. le ministre, il y a lacune dans la loi, soit ; mais s'il y a lacune, il faut la combler ; nous examinerons, quand un projet de loi nous sera présenté, si le système du ministre de la guerre doit prévaloir sur tout autre système. Je ne veux pas m'expliquer à cet égard ; je laisse la question intacte.
M. le ministre dit dans son rapport qu'il n'y a aucune disposition qui fixe les limites auxquelles les officiers des différents grades sont censés avoir atteint le terme de leur service. Plus loin, il dit qu'il convient de combler cette lacune. Et cette lacune, il la comble par arrêté royal ! alors que moi j'aurais voulu la combler par une loi.
Cet arrêté, qui est du 18 avril, porte :
“ Art. 1er. Les officiers de l'armée seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite (ce qui veut dire qu'ils ont droit à la pension ; ce sont les termes dont la loi s'est servie) lorsqu'ils auront atteint l'âge fixé ci-dessous, savoir : les lieutenants généraux 65 ans, etc., les capitaines,, lieutenants et sous-lieutenants 55 ans. »
Ainsi, d'après cette disposition principale, ceux qui d'après la loi avaient la présomption de capacités sont présumés incapables d'après l'arrêté. Mais on va faire des exceptions.
L'article 2 porte :
« Art. 2. Nonobstant la disposition contenue dans l'article premier du présent arrêté, nous nous réservons la faculté de faire l'application exacte de la loi sur les pensions aux officiers à l'égard desquels leurs infirmités ou d'autres circonstances particulières rendraient cette mesure nécessaire.
S'il m'était permis de faire un argument “a contrario”, je dirais, que puisqu'on voulait faire une application exacte de la loi, on ne l'a pas faite très exacte, quant au point dont on s'est occupé.
L'article 3 porte :
« Notre ministre de la guerre nous fera un rapport particulier sur les officiers qu'il pourrait y avoir lieu de maintenir exceptionnellement dans les cadres d activité, au-delà du terme fixé par l'article premier, en nous soumettant les propositions auxquelles ces circonstances pourraient donner lieu. »
Quelle est donc la portée de l'arrêté ? La portée de l'arrêté est celle-ci, tous les officiers qui ont atteint l'âge de 55 ans, abstraction faite de toute autre condition, sont présumés incapables de servir leur pays. Mais exceptionnellement le ministre pourra les relever de cette incapacité, en soumettant au roi les motifs qu'il y aurait et en provoquant un arrêté.
Voilà le sens de l'arrêté. Il ne présente aucune équivoque.
D'après la loi,.au contraire, il faut un arrêté énonçant les motifs pour lesquels on considère l'officier comme incapable.
Grande est la difference ; elle n'est pas sans importance, elle est énorme. Déclarer qu'un homme, à l'âge de 55 ans, est considéré de par la loi comme incapable de rendre des services au pays est une chose extrêmement grave.
Mettre dans l'exception celui qui, en raison de circonstances, peut encore rendre des services au pays, c'est faire céder la présomption à la vérité. C'est ce qui résulte de l'arrêté ; il n'y a pas à équivoquer sur les termes.
L'article premier est bien formel. On peut d'autant moins équivoquer sur les termes que le rapport au Roi ne laisse pas l'ombre d'un doute. Vous avez dit : il y a une Iancune dans la loi, et vous avez voulu la combler.
Je ne veux pas critiquer votre manière de voir, nous l'examinerons en temps et lieu. Mais ce que je ne puis admettre, avec la meilleure volonté possible, c'est que la lacune puisse être comblée par un arrêté.
Tel était l'objet de l'interpellation que j'ai annoncée hier. Je désire que M. le ministre puisse me convaincre que mes observations ne sont pas fondées.
(page 1000) M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, dans la séance du 16 avril 1845, l'honorable M. Verhaegen disait, dans la discussion d'uù projet de limites d'âge, présenté par la section centrale ;
« Qu'on soit juste, c'est ce que je demande depuis longtemps, c'est ce que j'ai toujours demandé ; que le mérite l'emporte sur toute autre considération, c'est ce que je veux, c'est ce que j'ai toujours voulu, c'est ce que je voudrai toujours, c'est pour cela qu'il faut exécuter franchement la loi sur l'avancement, c'est pour cela que j'insiste pour que le choix ne soit dicté que par le mérite, en d'autres termes, que la faveur et l'intrigue se séparent enfin du gouvernement. »
Messieurs, cette profession de foi est la mienne ; ce que voulait alors l'honorable membre, je l'ai toujours désiré, soit comme homme, soit comme militaire ; aujourd'hui ministre du Roi, je prétends la mettre en pratique.
Que sont en effet les arrêtés du 6 et du 18 avril dernier ? La consécration du principe de la plus rigoureuse justice, de la plus stricte égalité.
M'occupant plus spécialement de l'arrêté qui fait l'objet de l'interpellation, je vais avoir l'honneur de faire connaître à la Chambre les motifs qui m'ont déterminé à le provoquer.
Depuis longtemps, déjà même avant l'époque où l'honorable M. Verhaegen prononçait les paroles que je viens de citer, l'admission à la pension était considérée, non pas comme une récompense, mais comme une punition, ou tout au moins comme une disgrâce.
Nul n'était satisfait du sort qui lui était fait par l'arbitraire, qu'il considérait toujours comme de l'injustice, et la plupart des officiers en retraite devenaient des mécontents alors qu'ils devaient être les obligés du gouvernement et au besoin ses défenseurs.
Trop fréquemment peut-être, des considérations personnelles ont pris la place des intérêts généraux, et l'armée, espérant peu dans un avenir qui dépendait du caprice d'un ministre, voyant quelques-uns de ses chefs résister avec peine aux fatigues d'un camp, se préoccupait de ce qu'elle aurait à en attendre dans les travaux plus sérieux que les éventualités de la guerre peuvent nous réserver.
Si l'année perdait la confiance, elle deviendrait inutile, et la sécurité de la Belgique serait compromise.
Voilà pour le côté moral de la question.
Quant au droit :
Il me semble ressortir du texte même de la loi, et l'arrêté, en réglant l'emploi des droits qui sont conférés au Roi, a bien pu restreindre l'arbitraire ministériel, mais il n'a pu porter atteinte ni à la prérogative royale ni aux droits des officiers.
Quant à la question financière, elle devait avoir peu d'influence sur mes résolutions.
Lorsqu'il s'agit d'intérêts moraux de cette importance, les considérations pécuniaires s'effacent. Les charges qui résulteront d'ailleurs de l'exécution de la mesure seront essentiellement transitoires ; et dans peu d'années, la situation normale sera rétablie, avec d'autant plus d'avantage qu'elle ne sera plus sujette aux fluctuations et aux secousses qui résultaient de l'incertitude du système précédent.
Au surplus, la législature de 1838 a dû se préoccuper des conséquences financières de la loi qu'elle a portée ; et le ministre de 1855 ne peut être responsable de ces conséquences, alors qu'il ne fait pas, à beaucoup près, tout l'usage qu'il pourrait faire des latitudes que cette loi lui accorde.
Ce n'est qu'à la suite de longues et sérieuses observations, qu'après avoir examiné l'état moral de l'armée, et les conditions physiques de quelques-uns de ses membres, que j'ai senti le besoin d'y porter remède, et je ne me suis décidé à arrêter la mesure énergique et radicale qui m'est reprochée aujourd'hui par l'honorable représentant qu'après avoir imposé silence à mes sympathies personnelles, à quelques intérêts d'affection qui ont dû s'effacer devant les grands intérêts de la patrie et de l'armée.
Si mes convictions, d'ailleurs, n'avaient point été faites depuis longtemps, des événements tout récents se seraient chargés de vaincre mes doutes et mes scrupules.
Une grande nation, trop confiante dans une organisation militaire, que la paix avait fait considérer comme suffisante, a payé chèrement son attachement aux vieilles institutions et son système trop rétréci d'économie pour les choses et de respect pour les intérêts.
Le ministre a peut-être reculé devant la crainte des interpellations parlementaires, et il n'a pas pris les mesures qu'il aurait pu prendre.
Des événements militaires, suffisamment connus, sont venus juger la question et dire ce qu'on aurait dû faire.
Le ministre est tombé alors, il est tombé sous le poids de la réprobation qu'il avait peut-être méritée, pour n'avoir pas osé braver l'impopularité d'un moment, qui accompagne toujours les grandes mesures gouvernementales, alors qu'elles contrarient les intérêts ou les passions des hommes.
M. Thiéfry. - J'ai entendu avec plaisir la déclaration que vient de faire M. le ministre de la guerre ; je rends hommage à ses bonnes intentions ; je suis persuadé qu'il a le désir de redresser les abus. Il en a donné la preuve par le premier acte qu'il a posé en arrivant au ministère et qui a eu pour effet de réparer une injustice commise dans l'avancement au choix.
L'arrêté relatif aux pensions militaires a eu aussi pour objet d'empêcher par la suite les actes arbitraires qui ont eu lieu ; M. le ministre vient de développer les raisons qui l'ont engagé à prendre cet arrêté ; il nous a dit que la mise à la pension avait été considérée jusqu'aujourd'hui comme une punition, que les officiers pensionnés faisaient autant de mécontents etc., etc ;
Je n'ai pas à discuter les motifs allégués, puisque cela n'a aucun rapport avec la question soulevée par l'honorable M. Verhaegen ; il s'agit seulement de voir si l'arrêté du 18 avril est contraire à la loi.
L'article premier de la loi de 1838 accorde aux militaires de tous grade qui ont 40 années de service et qui sont âgés de 55 ans accomplis, le droit à une pension de retraite.
Et l'arrêté du 18 avril accorde ce droit à tous les officiers subalternes lorsqu'ils ont atteint l'âge de 55 ans. Cet arrêté ne rend donc plus obligatoires les 40 années de service voulues par la loi, il change par conséquent la loi de 1838.
Cet arrêté a évidemment pour but de prévenir tous les officiers qu'à un âge fixé ils seront mis à la retraite ; le rapport au Roi et le préambule de l'arrêté le disent positivement ; le signe affirmatif que fait maintenant M. le ministre ne laisse aucun doute à ce sujet.
Eh bien, messieurs, cette question a été soulevée lors de la discussion de la loi d'organisation en 1845, dont M. le ministre vient de rappeler une partie du discours prononcé alors par l'honorable M. Verhaegen. Beaucoup de membres de cette Chambre ne voulurent pas admettre en principe l'obligation de mettre forcément à la retraite un officier à un âge fixé d'avance, alors qu'il serait encore capable de rendre des services, et sur l'observation de l'honorable M. d'Huart, la Chambre a décidé que cela devait être inséré dans la loi sur les pensions.
M. le ministre règle donc par arrêté royal ce qui a été reconnu appartenir au pouvoir législatif. Il s'est trompé sur la marche qu'il avait à suivre. S'il pense que les officiers doivent avoir le droit de demander leur retraite à 55 ans sans aucun égard à leurs années de service, il n'a qu'à déposer un projet de loi ; les membres de cette Chambre présenteront des observations sur lesquelles on statuera.
On examinera surtout s'il n'y a pas une différence à faire, relativement aux pensions militaires, entre un pays qui, comme la France, a besoin d'une armée toujours prête à porter la guerre au loin, et la Belgique où l'armée doit être uniquement employée à la défense du territoire.
Le moment de discuter l'utilité de cette mesure n'étant pas venu, je me bornerai à dire qu'outre son illégalité, l'arrêté du 18 avril aura pour résultat d'augmenter considérablement les dépenses, alors que M. le ministre de la guerre a réclamé plus de 42 millions pour l'exercice 1855, en y comprenant ce qui est nécessaire pour les pensions ; ces conséquences méritent de fixer l'attention de la Chambre.
M. Rodenbach. - Si j'ai bien compris l'arrêté du 18 avril, il n'impose pas au ministre l'obligation de mettre à la retraite les capitaines, lieutenants et sous-lieutenants à 55 ans, les majors à 58 ans, les colonels à 60 ans, les généraux à 65 et à 65 ans. Il donne simplement une faculté.
Je crois que dans l'application de cet arrêté, l'honorable général qui est à la tête du département de la guerre doit se préoccuper de la question d'économie, car nous sommes menacés cette année d'un déficit de 12 à 15 millions.
Sans doute, et nul ne le contestera, nous devons avoir une bonne armée, capable de soutenir dignement la réputation d'éminente bravoure que nos ancêtres ont attachée au nom belge.
Mais, messieurs, notre armée jusqu'à présent n'a pas à se plaindre pour l'avancement. Je ne crois pas qu'il y ait en Europe une armée qui ait obtenu un avancement plus prompt.
Nous avons beaucoup d'officiers et même de généraux qui n'ont jamais été dans le cas de faire la guerre. Il y a eu dans notre armée un avancement incroyable.
Messieurs, je dis qu'il y a des hommes qui à 55 ans, qui même à 65 ans sont très capables de commander, qui ont autant de force et d'énergie que des hommes de 40 ans, qui souvent dans les garnisons ont escompté leur jeunesse par l'inconduite.
Mais, je le répète, l’arrêté dit que le ministre peut mettre à la retraite. Cette disposition est facultative, et l’on doit espérer que le gouvernement n'en abusera pas.
Il faut que notre armée soit bonne, qu'elle n'ait pas des invalides pour généraux et pour capitaines. Mais je dirai à M. le ministre qui a paru faire peu de cas des économies, que l’économie est la vertu des gouvernements, et qu'elle doit être aussi la vertu d'un ministre de la guerre.
Messieurs, en 1847, les pensions militaires ne se montaient qu'à un million et demi. En 1855, elles ont atteint le chiffre de 2,940,000 francs. C'est une augmentation réellement effrayante ; elle est d'au-delà de 1,400,000 francs en huit années.
Nous avons d’autres pensions à payer pour un chiffre énorme. Nous avons ce matin examiné en sessions le budget de la dette publique ; vous avez pu voir que les pensions nous coûtent au-delà de 5,500,000 francs et les pensions militaires, je le répète, figurent dans ce chiffre pour 2,940,000 francs.
(page 1001) D'autre part, on nous demande 9,400,000 pour les travaux de défense d'Anvers. On nous demande aussi une somme considérable pour les lits militaires. (Interruptions.)
- Plusieurs membres. - A la question !
M. Rodenbach. - En parlant économie, je suis dans la questien. Je puis citer des faits à l'appui de ce que j'énonce. Les rumeurs ne sont pas parlementaires ; elles ne me paraissent pas dictées en cette circonstance par la justice.
Du reste, je crois en avoir dit assez et puisqu'un membre ne paraît pas satisfait de mes observations, je me borne à répéter que je veux, comme la Chambre et tout le pays, une bonne armée. Mais il faut aussi de l'économie et beaucoup d'économie, aussi bien de la part du ministre de la guerre que de la part de tous les ministres.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Deux honorables membres viennent de vous soumettre, à propos de l'arrêté royal du 18 avril, des scrupules de légalité. Il n'est pas de scrupules plus sacrés, et ils sont dignes de toute la sollicitude de la Chambre. Aussi ai-je apporté la plus grande attention à écouter les développements de ces honorables membres, surtout de l'un d'eux, à raison de ce que commande son talent de jurisconsulte.
Toutefois je suis, messieurs, resté convaincu, malgré les observations de ces deux honorables membres, que l'arrêté auquel il est fait allusion est conçu dans les termes les plus stricts de la légalité.
Messieurs, dans toute législation qui règle la position des militaires, il y a deux intérêts qui doivent toujours et par dessus tout être sauvegardés. C'est, d'un côté, l'intérêt des militaires, c'est, de l'autre, l'intérêt du pouvoir exécutif qui se confond avec l'intérêt de la défense nationale.
La loi du 12 mai 1838 a soigneusement fait cette distinction. L'article premier consacre le droit des officiers, et l'article 2 répond à l'intérêt du gouvernement. Il ne faut pas confondre ces deux dispositions dont chacune se meut dans un ordre d'idées différent ; elles ne peuvent pas être mêlées et on vient tant soit peu les confondre.
Je vais établir, messieurs, en quelques mots combien la légalité est restée entière.
Dans l'arrêté du 18 avril dernier, il n'est pas un mot qui se rapporte à l'article premier de la loi. Le droit des officiers, droit formel, droit immuable à avoir une pension lorsqu'ils ont accompli l'âge de 55 ans et qu'ils ont 40 ans de service, ce droit reste intact. L'arrêté n'en parle pas ; il ne pouvait pas en parler. Ce droit, comme tel, est au-dessus de toute discussion.
Mais à côté du droit des militaires vient se placer la prérogative du gouvernement et il ne pouvait en être autrement. Mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, vous a présenté des considérations qui justifient combien il est indispensable qu'il y ait des dérogations au principe général, écrit dans l'article premier, en faveur des officiers.
Ce sont ces dérogations que l'article 2 a eu en vue de consacrer au profit du gouvernement.
Elles sont au nombre de trois ; 1° en ce qui concerne les militaires qui comptent 30 années de service effectif et qui sont reconnus hors d'état de continuer à servir ; 2° ceux qui ont 40 années de service et qui en font la demande. Enfin, 3° ceux qui ont atteint l'âge de 55 ans accomplis.
Pour ceux-ci, messieurs, il n'y aurait pas encore le droit strict et acquis à la pension ; mais il y a, pour le gouvernement, à raison souvent d'un intérêt supérieur de défense nationale, la faculté de les mettre à la retraite, de les enlever aux cadres de l'armée active, parce que, soit a cause de l'âge, selon le grade, soit pour infirmités, ou enfin pour d'autres motifs ils sont reconnus impropres au service.
C'est donc une faculté que possède le gouvernement et qui est corrélative au droit qu'a l'officier dans la situation prévue par l'article premier de la loi d'obtenir une pension.
Je n'ai pas, messieurs, à m'occuper ici des n°1 et 2 de l'article 2 de la loi. Il n'est question, je pense, que du n°3, qui permet au Roi de mettre à la pension les officiers qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis. Toute la question se réduit à savoir si l'arrêté du 18 avril modifie de quelque manière que ce soit cette disposition, cette limite écrite dans l'article 2.
Je dis, messieurs, que sous ce rapport il n'est en rien dérogé à cette limite. Que fait en effet l'arrêté du 18 avril dernier ? Il réglemente cette faculté, c'est-à-dire son propre droit, car, c'est en définitive un droit, qui appartient au gouvernement, de mettre à la pension les officiers qui ont atteint 55 ans d'âge accomplis. Il ne fait rien de plus. Il n'aggrave pas, veuillez, messieurs, le remarquer, la position des officiers. Cette position reste la même ; on peut même affirmer qu'elle est améliorée.
Le minimum d'âge reste acquis aux officiers ; il faut qu'ils aient 55 ans accomplis pour que le gouvernement puisse user de la faculté de les mettre à la retraite.
Tandis que jusqu'ici le gouvernement statuait pour chaque cas spécial, maintenant il se lie pour l'avenir et dit ; Généralement, pour moi, la limite d'âge de 55 ans sera reculée graduellement jusqu'à un âge plus avancé. Et en effet, on touche si peu à la position des officiers, on empiète si peu sur les dispositions de la loi, que celle limite d'âge, qui est de 55 ans, se trouve, pour une catégorie d'officiers, étendue jusqu'à 65 ans.
Jusqu'ici le gouvernement se guidait d'après chaque cas particulier, maintenant il dit ; Voilà la limite d'âge dans laquelle, désormais, je vais me mouvoir. Peut-il résulter de là une dérogation à l'article 3 de la loi ? Evidemment non ; loin d'étendre son cercle, le gouvernement le rétrécit plutôt.
L'honorable M. Verhaegen, nous disait qu'il eût été nécessaire de demander une dérogation pareille par une loi nouvelle, ou qu'il eût fallu saisir la législature de la question. Je crois, messieurs, que cela n'est pas fondé ; on ne saisit la législature d'une loi nouvelle que quand on veut déroger à la loi existante, ici cette loi reste entière et intacte. Le gouvernement ne pourra appeller facultativement à la pension que les officiers qui ont 55 ans accomplis ; seulement le gouvernement, se montrant très large, déclare qu'en règle générale il n'appellera désormais à la pension que les officiers qui auront 65, 60, 58 ou 55 ans d'âge suivant les grades. On ne touche pas ainsi à l'économie de la loi ; il était donc inutile de venir proposer une loi nouvelle alors qu'il ne s'agissait pas de modifier la loi existante.
Le gouvernement, messieurs, entend si peu innover à la loi actuelle, il entend si peu aggraver la position des officiers, que, dans les articles 2 et 3 de l'arrêté, il apporte lui-même des tempéraments ; d'un côté il ne veut pas trop se lier ; en disant qu'il attendra toujours que l'officier ait atteint l'âge de 55 ans, il déclare qu'il se réserve cependant la faculté d'appliquer exactement la loi, c'est-à-dire d'appliquer strictement l'article 2, n°3, en imposant la pension à un officier général, par exemple, qui n'aurait pas atteint l'âge de 65 ans.
Le gouvernement devait rester maître de ce droit. Aussi il a soin de le dire. Sous ce rapport, il prend donc une position plus ferme vis-à-vis des officiers qui sont dans le cas d'être pensionnés. Mais d'autre part, à l'article 3, il leur fait des concessions et en déclarant qu'il se réserve également le pouvoir de maintenir dans les cadres d'activité certains officiers à raisons de circonstances exceptionnelles.
Vous le voyez, messieurs, la position des militaires n'est pas entamée ; elle est plutôt améliorée ; l'incertitude qui pesait sur eux fait place à une véritable sécurité ; le principe de la loi demeure entier. Cette loi renferme une faculté pour le gouvernement ; il trace lui-même, par l'arrêté nouveau, les limites dans lesquelles il entend en user. C'était son droit. Il n'étend pas sa prérogative qui reste ce qu'elle était ; seulement plus définie, elle assure mieux les intérêts de tous. Une loi nouvelle ne devait donc pas vous être présentée.
M. Van Overloop. - Messieurs, la légalité de l'arrêté du 18 avril ne me semble pas le moins du monde contestable. Aux termes de l'article 78 de notre Constitution, le Roi n'a d'autres droits que ceux que lui attribuent la Constitution on les lois portées en vertu de la Constitution. Voilà le principe. Il s'agit donc uniquement d'examiner si l'arrêté du 18 avril a été porté en vertu de la constitution ou en vertu d'une loi conforme à la Constitution. Eh bien, messieurs, prenons la loi du 24 mai 1838. Son texte est on ne peut plus clair.
« Le Roi a la faculté de mettre à la pension de retratle » ; donc la loi du 24 mai 1838 accorde au Roi l'attribution de mettre à la pension de retraite, qui ? Le paragraphe final le dit eu termes exprès, ceux qui ont atteint l'âge de 55 ans accomplis. Comment, dès lors, peul-il rester le moindre doute dans l'esprit de qui que ce soit ?
Si le Roi a l'attribution de mettre à la retraite les officiers qui ont atteint l'âge de 55 ans, comment voulez-vous contester la légalité de l'arrêté du 18 avril ? Cet arrêté n'est que l'application de l'article 2 de la loi de 1838.
Quant au fond, messieurs, quel a été le but de l'honorable ministre de la guerre ? Mais quiconque connaît un peu l'armée doit bien convenir que c'est un but éminemment utile au point de vue de l'armée, pourquoi ? Parce qu'il ne faut pas qu'il y ait dans l'armée des officiers qui se fassent illusion ; parce que, lorsque les mises à la pension ne sont pas réglées, lorsque l'un est mis à la retraite à tel âge et l'autre à tel autre âge, l'armée croit au favoritisme et le public crie à l'injustice.
Or, il n'est pas digne du gouvernement qu'on puisse crier à l'injustice, et on ne le pourra plus en présence de l'arrêté du 18 avril.
Messieurs, cet arrêté laisse la prérogative royale parfaitement intacte ; mais ce qu'il ne laisse plus intact, c'est l'arbitraire ministériel. Le Roi n'a pas les mains liées, mais qui a les mains liées ? C'esl le ministre de la guerre. Cela n'est-il pas dans l'intérêt de l'armée ?
Est-il bien vrai de dire, messieurs, comme l'ont soutenu deux honorables députés de Bruxelles, est-il bien vrai de dire que l'arrêté du 18 avril accorde aux officiers qui ont 55 ans accomplis le droit de demander leur retraite, comme le peuvent les officiers qui se trouvent dans les conditions de l'article premier de la loi de 1838 ? Evidemment non, l'arrêté dit : « Seront admis à faire valoir leurs droits à la retraile. » Je crois, moi, que ces mots ; « Seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite » permettent au ministre de la guerre de ne pas les admettre à la retraite.
La rédaction de l'arrêté du 18 avril est toute diifcrcnte de la rédaction de l'article premier de la loi de 1838. Je puis me tromper, messieurs, mais il me semble que quand un officier est admis à faire valoir ses droits à la retraite, celui qui a le droit de le mettre à la retraile reste juge du point de savoir s'il doit user ou ne pas user de ce droit.
Je crois, messieurs, que la question de légalité, la seule qui ait été agitée, ne peut pas donner lieu à des doutes sérieux. Quant au fond je ne veux pas l'examiner. Je ne me crois pas compétent. Je n'ajouterai qu'un mot, c'est que sous le rapport du fond, j'ai la plus entière (page 1002) confiance dans la sagesse, l'énergie et surtout les sentiments de justice de l'honorable ministre de la guerre.
(page 1003) M. Verhaegen. - Messieurs, les quelques paroles que vient de prononcer l'honorable M. Van Overloop, ont pour but d'établir que l'arrêté dont il s'agit est inutile. Je ne sais pas si le ministère est d'accord avec l'honorable membre sur ce point. Si telle était l'opinion de l'honorable ministre de la guerre et de l'honorable ministre de la justice, il ne s'agirait que d'annuler l'arrêté du 18 avril, il ne devrait plus en être question. Mais je ne pense pas que telle ait été la manière de voir de l'auteur de l'arrêté, non plus que le sens du rapport au Roi. Il a dû avoir un but sérieux; il ne serait pas digne d'un ministre de soumettre à la signature du Roi un arrêté pour ne rien dire du tout. Je ne réponds donc pas à l'honorable M. Vau Overloop.
(page 1004) Messieurs, j'ai à répondre à MM. les ministres de la guerre et de la justice.
M. le ministre de la justice nous a dit que la question est grave, chaque fois qu'il s'agit de la légalité d'un arrêté ; je suis parfaitement d'accord avec lui ; aussi mérite-t-elle de fixer toute l'attention de la Chambre.
Je n'ai pas, ainsi que semble le croire un honorable préopinant, fait de reproche à M. le ministre de la guerre ; bien loin de là : la discussion a été et restera dans des termes convenables ; il n'entre pas dans mon intention de faire opposition systématique au chef du déparlement de la guerre ; sous tous les cabinets, quelle que fût leur couleur, j'ai toujours défendu ce département, parce qu'en le défendant, je croyais servir les intérêts du pays.
Mais, messsieurs, tout en ne marchandant pas quand il s'agit de dépenses pour l'armée, je désire cependant aussi que lorsque, par des mesures administratives, et sans nuire aux besoins du service, on peut faire quelques économies, on les réalise. Or, le but que j'ai voulu atteindre, en présentant mes observations, a été, outre mon désir de rester dans la légalité, de provoquer une de ces économies, sans qu'elle pût léser les intérêts de qui que ce fût.
Messieurs, moi, comme vous le voyez, je n'ai fait de reproche à personne, et il eût convenu que l'honorable ministre de la guerre suivît mon exemple.
Il paraîtra peut-être extraordinaire qu'à l'occasion d'un débat qui se rattache exclusivement à nos intérêts intérieurs, on soit venu mettre en scène un ministre étranger qui est récemment tombé, parce qu'il n'aurait pas soigné suffisamment les intérêts de l'armée ; pour ma part, encore une fois, je ne critique personne, pas plus le ministre de la reine d’Angleterrc que le ministre du Roi des Belges; je cherche seulement à m'éclairer sur une question importante : je désire qu'on n'entre pas dans cette mauvaise voie, de mettre de côté une loi ou de combler, au moyen d'un arrêté, une lacune qui se trouverait dans la loi. La question se réduit donc à des termes extrêmement simples.
M. le ministre de la guerre n'a pas répondu aux objections que j'ai eu l'honneur de lui présenter.
Je n'ai pas de parti pris sur le fond de la question. Les deux systèmes peuvent être défendus. Faut-il, oui ou non, considérer comme incapable de droit l'officier qui a atteint l'âge de 55 ans ? Les uns disent oui ; les autres disent non. Nous examinerons la question, lorsqu'elle nous sera régulièrement soumise; je la laisse pour le moment complètement intacte. Dans le discours dont M. le ministre de la guerre nous a donné lecture, il s'est attaché surtout à ce point ; je comprends que ce discours écrit ne pouvait pas répondre aux observations que j'ai faites au début de la séance.
Messieurs, l'armée est certes une grande force pour un pays ; mais pour un pays peu étendu comme l'est le nôtre, il y a aussi une grande force dans le respect de la loi et du droit, et nous devons y tenir. C'est précisément pour cela que j'ai cru devoir adresser mon interpellation à M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la justice trouve que l'arrêté du 18 avril n'est pas illégal ; il a fait valoir à cet égard quelques considérations. Ces considérations ne répondent pas aux arguments que j'ai eu l'honneur de produire devant la Chambre.
“ Il y a, dit l'honorable ministre, une distinction entre le droit des officiers et celui du gouvernement. »
Sans doute, cette distinction se trouve établie par la loi de 1838 (article premier et 2) ; je suis parfaitement d'accord avec M. le ministre de la justice sur cette distinction que je veux conserver.
L'honorable ministre pense que l'article 2 déroge à l'article premier ; c'est une erreur ; l'article 2 donne au gouvernement une faculté, alors que l'article premier donne aux officiers un droit ; l'article 2 donne au gouvernement une faculté, mais sous certaines conditions ; n'y a-t-il pas une différence énorme encore une mesure générale de mises à la retraite et une mesure personnelle, individuelle qui ne peut être prise que par un arrêté spécial motivé, aux termes de la loi? Toute la question est là.
Vous avez, par l'arrêté du 18 avril, déclaré d'une manière générale que tout officier qui a atteint l'âge de 55 ans accomplis est considéré “ipso facto” comme incapable de servir désormais son pays ; qu'il est mis à la retraite ; vous vous réservez des exceptions, c'est vrai. Lorsque vous jugerez à propos de faire une exception, vous prendrez un arrêté ; vous en indiquerez les motifs dans le rapport au Roi qui l'aura précédé. (Interruption.) Mais s'il y a une mesure générale, il ne faudra pas d'arrêté, les officiers ayant atteint l'âge de 55 ans accomplis sont “ipso facto” mis à la retraite en vertu de l'arrêté du 18 avril ; car ils sont, de par cet arrêté, considérés comme incapables.
Et ce qui le prouve à la dernière évidence, c'est ce que dit M. le ministre de la guerre dans son rapport au Roi. L'honorable ministre a dit que « jusqu'à ce jour aucune disposition n'avait fixé les limites d'âge auxquelles les officiers des différents grades seraient censés avoir atteint le terme de leur service ; que cette lacune a donné ouverture à des illusions de toute espèce, à des espérances déçues et qu'elle a placé les officiers dans un état d'incertitude auquel il lui a semblé utile de mettre un terme.
Eh bien, pour ma part, je ne dis pas que vous avez abrogé la loi, mais je prétends que par un simple arrêté royal, vous avez comblé une lacune qui existait dans la loi et dont vous reconnaissez vous-même l'existence dans votre rapport au Roi.
Mais il y a plus : le paragraphe 3 de l'article 2 de la loi de 1838 ne se trouvait pas dans le projet primitif du gouvernement ; c'est la section centrale qui a présenté cette disposition. Savez-vous ce que disait M. le ministre de la guerre à ce sujet ?
J'ai la pasinomie sous les yeux et j'y lis, à l'occasion de cette disposition, le passage qui suit: (L'orateur donne lecture de ce passage.)
C'est donc très exceptionnellement qu'un homme, à l'âge de 55 ans, n'est plus en état de servir son pays. Aux termes de votre arrêté, vous le déclarez incapable, alors que la loi le considère seulement comme pouvant être incapable. Ce qui, dans le système de la loi, est l'exception devient, dans votre arrêté, la règle. Ainsi, il sera dit de par l'arrêté que tout officier qui a atteint l'âge de 55 ans est censé incapable de servir son pays, tandis qu'aux termes de la loi, il est censé capable, sauf l'exception.
Dans le système de la loi, pour mettre à la pension un officier qui a atteint l'âge de 55 ans, il faut, d'après l'article 2, une mesure exceptionnelle, individuelle énonçant les motifs. Le gouvernement ne sera pas dans les dispositions d'user si fréquemment d'une mesure exceptionnelle, personnelle, individuelle, mais il laissera sans difficulté fonctionner la mesure générale.
En effet, rien de plus facile que de dire : Tout le monde est mis à la retraite à 55 ans, il faut rajeunir l'armée. C'est le système de M. le ministre, je ne le blâme pas, c'est un système comme un autre, je ne prétends pas le combattre, je dis seulement qu'il serait plus facile à appliquer qu'une mesure individuelle, personnelle.Avant de mettre tel ou tel officier à la retraite pour tel motif, on y songe à deux fois, tandis que maintenant tous sont mis à la pension dès qu'ils ont atteint l'âge de 55 ans.
Vous comprenez, messieurs, le surcroît de dépense que cela entraîne pour le budget de la guerre.
Je n'ai jamais marchandé quand il s'est agi de la défense du pays, il ne faut pas lésiner sur les dépenses de cette nature, mais quand sans danger on peut faire des économies qui ont leur importance, il ne faut pas les dédaigner.
La mesure peut devoir être prise, mais avant tout il faut qu'elle soit sérieusement examinée. Je supplie le gouvernement de saisir la législature d'un projet de loi qui amène une discussion franche et complète.
Je ne touche pas au fond de la question, je rends justice aux intentions de M. le ministre de la guerre, je m'en tiens à la forme pour le moment, parce que nous ne devons pas permettre qu'on veuille combler par simple arrêté royalties lacunes qui se trouveraient dans la loi.
(page 1002) M. Visart. - Je m'étais inscrit pour présenter les observations que vient de développer l'honorable M. Verhaegen ; je serai donc très bref.
L'arrêté change la position de l'officier subalterne, il amoindrit sa sécurité ; celui qui a le malheur d'avoir atteint sa cinquante-cinquième année serait, d'après l'esprit de la disposition, nécessairement mis à la retraite, sauf une faveur exceptionnelle de la part du ministre de la guerre ; tandis qu'il ne doit, d'après la loi, subir la réforme que par exception, avec la garantie d'un arrêté motivé. Une telle déviation n'est point sans gravité ; plus qu'auparavant, l'officier qui a blanchi sous le drapeau serait inquiet et pourrait se décourager, et, plus qu'auparavant, le trésor aurait aussi à souffrir.
Je me joins à l'honorable orateur qui vient de se rasseoir, pour engager M. le ministre à aviser de nouveau aux conséquences de l'arrêté dont il s'agit.
Je n'entamerai point la question de la légalité de la mesure, cela incombe à des collègues plus aptes que moi en ce qui concerne cette spécialité ; mais, je le répète, l'intérêt des anciens officiers et ceux du trésor ont assez d'importance pour éveiller notre sollicitude et pour fixer l'attention du gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, le rapport au Roi du 17 avril dit :
La loi du 24 mai 1838 permet d'admettre à la pension de retraite tous les officiers qui ont atteint l'âge de 55 ans.
Jusqu'à ce jour, aucune disposition n'a fixé les limites d'âge auxquelles les officiers des différents grades seraient censés avoir atteint le terme de leur service.
De quelles dispositions est-il question ici ? De dispositions légales ou de dispositions réglementaires ? Il s'agissait d'une disposition réglementaire, il s'agissait de convenir entre le roi et son ministre, entre le ministre et l'armée, des époques auxquelles les officiers des différents grades seraient admis à faire valoir leurs droits à la retraite.
Voilà la lacune qu'il s'agissait de combler ; ce n'était pas une lacune dans la loi, mais une lacune dans les conventions réciproques entre les autorités chargées d'exécuter la loi et ceux qui sont appelés à la subir. Il n'y avait pas lieu de présenter une loi nouvelle, puisque la loi existante satisfaisait à tous les besoins de la situation.
En effet, que dit la loi ?
« Art. 1er. Les militaires de tout grade ayant 40 années de service et 55 ans d'âge sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite. »
Voilà le droit établi d'une manière absolue ; vous avez 40 années de service et 55 ans d'âge, vous avec satisfait tous vos devoirs envers la patrie, vous avez droit à une pension ; le pays doit se charger de vous entretenir.
« Art. 2. Le Roi a la faculté de mettre à la pension de retraite (cette subdivision a 3 catégories) :
« 1° Les militaires qui comptent 30 années de services effectifs et qui sont reconnus hors d'état de continuer à servir ;
« 2° Ceux qui ont 40 années de service et qui en forment la demande ;
« 3° Ceux qui ont atteint l'âge de 55 ans accomplis. »
Ainsi tous les officiers qui font partie de l'armée, quels que soient leur position, leurs antécédents, leur capacité, peuvent être mis à la pension de retraite. Mais entrant dans des considérations générales d'économie, on n'a pas voulu faire un usage absolu de ce droit, on a voulu utiliser les capacités l'expérience de ceux auxquels on n'avait plus à demander autant de force physique. Quand ils ont atteint l'âge de 55 ans, les sous-lieutenants, lieutenants et capitaines ne sont plus en état de faire des étapes de 7 et 8 lieues et de faire la guerre ; s'il en existe, c'est l'exception.
Moi qui les ai vus pendant quarante années, qui ai vécu avec eux, je dois dire que j'ai rencontré peu de ces exceptions. Dans les grades plus élevés, on a un cheval, voire même une voiture ; nous avons fixé la limite d'âge à 58 ans pour les majors, à 60 ans pour les colonels, à 63 et 65 pour les généraux qui dans l'armée peuvent rendre quelquefois par leur expérience des services que l'on ne pourrait attendre du concours de leurs forces physiques.
Quant à la formule « seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite » que veut-elle dire ? Signifie-t-elle que les officiers ont un droit absolu a obtenir leur retraite, alors qu'ils ont atteint l'âge fixé par l'arrêté ? Nullement. Cette formule a été constamment admise ; vous la retrouvez, depuis 1830, dans tous les arrêtés qui concernent les pensions.
Elle constate la mise à la pension, en évitant simplement des expressions qui pourraient paraître moins convenantes à ceux qui en sont l'objet.
M. Van Overloop renonce à la parole.
M. Lelièvre. - J'engage M. le ministre de la guerre à régulariser l'ordre de choses établi par l'arrêté d'avril 1855, parce que je suis l'un de ceux qui pensent que cet arrêté n'est pas conforme à la loi et ne rentre pas dans les attributions du pouvoir exécutif.
En effet, la loi rendant simplement facultative la mise à la pension des officiers qui ont atteint un âge déterminé, le pouvoir exécutif ne peut par une disposition générale décider que cette mise à la pension devra nécessairement et en tout cas avoir lieu dans l'hypothèse prévue par la loi ; sans cela un arrêté ministériel contrarierait directement une disposition législative.
Le pouvoir exécutif n'est appelé qu'à assurer l'exécution de la loi, il ne peut aucunement en changer le caractère ni substituer au régime légal un ordre de choses directement opposé.
En conséquence, ce qui est une simple faculté en vertu de la loi ne peut devenir un ordre impératif en vertu d'un arrêté ministériel. Or, n'est-il pas vrai que dans l'espèce la mise à la pension qui ne devait être qu'une simple faculté dont on pouvait user à l’égard de certains officiers, est devenue la règle commune pour tous, contrairement au texte et à l'esprit de la disposition législative. L'acte de la législature autorisait seulement des mesures particulières à l’égard de certains officiers. L'arrêté ministériel, contrairement à l'esprit de la loi, introduit une mesure générale qui crée un état de choses permanent et suppose dans l'acte législatif une prescription portant qu'à tel âge les officiers seront nécessairement mis à la pension.
En conséquence, l'arrêté contresigné par le département de la guerre, décrétant par disposition générale le contraire de ce qui est énoncé dans une loi formelle, ne peut se soutenir en droit constitutionnel, et, à mon avis, il est frappé d'un vice d'illégalité qu'il est impossible de méconnaître.
Ce n'est pas exécuter la loi que d'on dénaturer l'esprit et de porter des dispositions qui contrarient son texte de la manière la plus explicite.
Remarquons qu'il ne s'agit ici que d'une question de principe. La mesure prise par M. le ministre de la guerre peut être justifiée par des motifs sérieux, mais il s'agit de savoir si ce n'est pas à la législature seule qu'il appartenait de statuer, et c'est à ce point de vue seulement que j'examine la question de droit constitutionnel que nous traitons en ce moment.
- La séance est levée à cinq heures.