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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 mars 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 915) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Fafchamps demande qu'il lui soit alloué, à titre de récompense nationale, une somme qui lui permette de donner suite à des perfectionnements dans l'industrie et à de nouvelles inventions. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Poelcapelle présentent des observations contre la demande tendant à ce que le hameau de la commune de Langemarcq en soit séparé pour être érigé en commune distincte. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jossart, pharmacien à Isque, se plaint de ce que le bureau de bienfaisance et l'administration centrale lui ont retiré la livraison des médicaments qu'il faisait aux pauvres de cette commune, pour la confier à un médecin récemment établi à Isque. »

- Même renvoi.


« Le conseil de pru'dhommes de la ville de Renaix demande la réforme de la législation relative aux conseils des prud'hommes. »

M. Magherman. - Cette pétition présente un grand intérêt.

J'en demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi prorogeant la loi sur les concessions de péages

Vote de l’article unique

M. le président. - Ce projet de loi se compose d'un article unique ainsi conçu :

« Article unique. La loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages (Bulletin officiel, n° 519), est prorogée au 31 décembre 1857.

« Néanmoins, aucun canal, aucune ligne de chemin de fer, destinés au transport des voyageurs et des marchandises, de plus de dix kilomètres de longueur, ne pourront être concédés qu'en vertu d'une loi. »


- Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur ce projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 73 membres présents.

Ce sont : MM. Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Moreau, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussellc, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Allard, Boulez, Brixhe, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Bronckart, Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Deliége, Della Faille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Theux, de T'SercIaes, Devaux, de Wouters, Dumon et Delfosse.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

M. Lelièvre. - A l'occasion du projet dont nous nous occupons, je dois renouveler la recommandation faite au gouvernement dans le rapport de la section centrale, de faire tout ce qui sera possible pour ne pas engager l'Etat dans des contesiations judiciaires. C'est ainsi qu'en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, les frais irrécouvrables que doit supporter le trésor public en honoraires d'avocats, etc., excèdent de beaucoup le bénéfice qu'on peut attendre du gain du procès.

Je ne puis que conseiller au gouvernement de ne rien négliger pour terminer amiablement les contestations qui ne présentent pas un intérêt sérieux et important.

Il est inouï de voir l'Etat engagé dans des procès dispendieux pour des objets de peu d'importance, procès qui ont pour conséquence de grever le trésor public de dépenses considérables qui contrastent avec l'exiguïté du litige.

J'appelle aussi l'attention du gouvernement sur l'abus des remises de cause que subissent certaines affaires concernant l'Etat belge. Nous voyons qu'une cause peu compliquée, ne présentant qu'une question de fait très simple, a été remise soixante et douze fois et que les frais de ces remises multipliées restent à la charge du trésor public.

Ce sont là des abus qui ne doivent plus se renouveler, et j'appelle sur ce point toute la sollicitude du gouvernement.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre, un crédit de quatorze mille trois francs 20 centimes (fr. 14,003-20), applicable au payement de créances qui se rapportent à des exercices, qui restent à liquider et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi. »

- Adopté.


« Art. 2. Cette allocation formera l'article 35, chapiptre XIII, du budget de la guerre pour l'exercice 1855, et sera couverte au moyen des ressources ordinaires de cet exercice. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 76 membres présents.

Ce sont : MM. Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Allard, Boulez, Brixhe, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Decker, de Haerne, Delehaye, de Liedekerke, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon et Delfosse.

Ordre des travaux de la chambre

M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre l'ajournement des travaux parlementaires. Il y a d'autant plus de raison pour prononcer cet ajournement qu'il n'y a rien d'urgent à l'ordre du jour, et que le cabinet, à la séance d'hier, a témoigné le désir de ne pas discuter de projets de lois de quelque importance. Par ces diverses raisons, je propose d'ajourner nos travaux et de prier M. le président de nous convoquer à domicile quand le moment sera opportun.

M. Dumortier. - Ne pourrait-on pas examiner les budgets qui sont libres ? Il y a des budgets qui ne sont pas politiques, comme le budget des dotations, par exemple ; ne pourrait-on pas s'en occuper ?

M. le président. - Les rapports ne sont pas faits.

M. Rodenbach. - Comme vient de le dire l'honorable président, les rapports ne sont pas faits ; mais il y a un autre motif, c'est que le ministère, dans une précédente séance, a déclaré qu'il ne restait pas et qu'on ne peut pas voter de budget en l'absence de ministère. Quand il y aura un cabinet formé, c'est-à-dire quand le moment sera opportun, M. le président nous convoquera.

Les budgets s'élèvent à plusieurs millions et pour voter des millions il faut avoir devant soi des ministres. Je n'en dirai pas davantage.

- La proposition de M. Rodenbach est mise aux voix et adoptée. En conséquence la Chambre s'ajourne après la séance jusqu'à convocation.

Motion d'ordre

Situation financière de la Banque nationale

M. Dumortier (pour une interpellation). - Messieurs, j'ai vu dans un journal il y a deux ou trois jours un article très important au sujet de la situation de la Banque Nationale. Dans cet article on parle des efforts du gouvernement pour décider cette institution à opérer le versement des deux derniers cinquièmes du montant des actions. Je crois que le gouvernement a parfaitement bien agi en cette circonstance. Mais si je suis bien informé, cet incident a été soulevé à l'occasion d'une demande de cette institution afin de pouvoir augmenter encore de 10 millions l'énorme chiffre de papier de petite coupure qu'elle a en circulation.

Ce point, messieurs, est à mes yeux d'une gravité extrême, j'ai déjà eu l'honneur d'en entretenir plusieurs fois la législature. Nous marchons maintenant dans le régime du papier, comme si la Belgique ne devait jamais être exposée à aucune crise politique soit par des événements étrangers, soit par les événements commerciaux eux-mêmes, qui périodiquement aussi amènent des crises. Je verrais pour mon compte un, danger extrême, un immense préjudice à la chose publique dans l'augmentation du chiffre du papier-monnaie qui déjà aujourd'hui surpasse de plus de quatre fois le chiffre le plus élevé que nous ayons eu avant 1830.

Loin de désirer l'augmentation de cette circulation qui n'a qu'un seul résultat, celui de faire fuir la monnaie elle-même de notre pays, dans mon appréciation il serait désirable qu'elle fût restreinte.

Je désirerais donc savoir s'il est vrai que la société dont il s'agit est en demande auprès du gouvernement pour une nouvelle émission de petites coupures et pour quelle somme est cette demande.

Je n'ai pas d'avis à donner au ministère qui se retire. J'en ai moins, encore à donner à celui qui viendra. Mais pour mon compte je forme le vœu le plus sincère pour que l'on arrête cette production immodérée de papier-monnaie dans la Belgique, et qu'on cherche à ramener dans notre pays les métaux précieux qui commencent dans certaines circonstances à faire défaut.

(page 913) >M. le ministre des finances (M. Liedts). - Il est vrai qu'il y a cinq ou six mois environ, l'administration de la Banque Nationale m'a adressé une demande pour augmenter de dix millions l'émission de billets au porteur. J'ai répondu que je n'examinerais la demande qu'après que la Banque aurait complété son capital social ; de telle sorte que, lorsque le capital sera complété, la question de savoir s'il y a lieu ou non d'accorder à cet établissement l'émission qu'il réclame, reste complètement sauve et intacte.

Je suis le premier à reconnaître qu'il faut des bornes pour l'émission de papier d'une banque dont le capital est limité. La Belgique ne se trouve pas dans la même situation que la France ou que l'Angleterre quant à l'émission. Nous avons topographiquement, politiquement une position tout exceptionnelle. Nous vivons à côté d'un pays ou l'imprévu n'arrive que trop souvent. Dans l'état où se trouve la Banque, dont le capital n'a sans doute pas été fixé à 25 millions en vue d'une émission sans borne, la prudence commande de limiter l'émission du papier, dût-on quelque peu gêner les demandes du public. J'ajoute à dessein cette dernière expression pour faire comprendre que c'est le public qui insiste le plus vivement pour l'augmentation des émissions ; et sans sortir de cette enceinte, pas un mois ne se passe sans que messieurs les questeurs se plaignent de ce que la Banque ne leur donne pas assez de billets.

Eh bien, ce qui arrive pour MM. les questeurs arrive tous les jours de l'année dans les bureaux de la banque.

Du reste, je le répète, cette question est très grave et mérite d'être examinée par mon successeur. Elle est complètement sauve. La chose sur laquelle j'ai insisté en dernier lieu auprès de la Banque, c’est le complément de son capital. Je crois être en droit de le réclamer, et j’engage mon successeur de ne pas perdre de vue cet objet. Si le public à réellement besoin d’émissions plus considérables, il faut que la Banque se mette financièrement en position de supporter une circulation plus forte.

Je dis que je suis en droit de le réclamer, parce que lors de la discussion de la loi sur l'institution de la Banque Nationale, on a parlé comme d'un chiffre maximum, de l'émission de 75 millions de francs, et c'est dans cette prévision que son capital n'a été porté qu'à 25 millions dont 15 millions seulement sont versés. Aujourd'hui que cette émission maxima est dépassée, je dis qu'il est plus que temps que la Banque complète son capital.

Je crois devoir me borner à ces simples observations. Il y a beaucoup d'autres questions très sérieuses, très graves qui se rattachent à la question de la Banque ; mais cette discussion ne trouverait pas sa place dans ce moment-ci.

M. Frère-Orban. - Je n'entends pas émettre en ce moment d'opinion sur le point de savoir s'il convient de réclamer de la banque le complément de son capital fixé à 25 millions de francs. C'est une question sur laquelle il y aurait beaucoup des choses à dire. Il y a, en faveur de l'avis que vient d'exprimer le gouvernement, de très bonnes raisons, non pas au point de vue de l’intérêt public, mais plutôt au point de vue de l’intérêt des actionnaires, car si l’on ne prend en considération que les intérêts généraux, il est permis d’avoir des doutes fort sérieux sur l'utilité d'ajouter dix millions au capital de la Banque.

Si l'on contraint, eu effet, et si l'on a le droit de contraindre, ce qui est une question à examiner, sur laquelle je ne me prononce en aucune façon, si l'on a le droit de contraindre la Banque à compléter son capital et à le porter à 25 millions effectifs, il faudra bien que l'on prenne les 10 millions quelque part. Ces 10 millions ne sont pas sans emploi dans le pays. Ceux qui les détiennent les affectent à une destination utile.

Lorsqu'on enlèvera ces 10 millions à l'emploi utile et productif auquel ils sont appliqués, non seulement on pourra causer certaine gêne, certains embarras, mais réussira-t-on à leur donner une meilleure destination ? Que veut-on que la Banque fasse de ces 10 millions ? Elle n'a pas essuyé de pertes, assurément, elle a fait les plus brillantes affaires, et, d'autre part, les capitaux loin de lui manquer pour remplir son office, surabondent dans ses caisses. Que fera-t-elle donc de 10 millions de plus ?

D'un autre côté, au point de vue des actionnaires de la Banque, on peut dire avec grande raison que leurs titres n'étant pas entièrement libérés, que l'appel de fonds pouvant être fait et même instantanément, on déprécie par cela même la valeur de leur propriété et qu'il y aurait intérêt pour eux, au risque de voir une faible et insignifiante réduction dans la quotité des profits, il y aurait un grand avantage pour eux à voir leurs titres complétés.

Mais ce n'est pas de cela que paraît se préoccuper M. le ministre des finances. Il veut obtenir pour le public des garanties plus grandes encore que celles qui lui sont offertes aujourd'hui, et sous ce rapport, il est très problématique que l'on arrive à un résultat un peu satisfaisant par la mesure que l'on vient d'indiquer.

Le capital d'une banque, ainsi que je l'ai dit, du reste, dans la discussion du projet de loi, ne sert pas au payement de ses billets. Le capital d'une banque est une garantie supplémentaire pour couvrir des pertes éventuelles. Mais les billets d'une banque sont couverts et par son portefeuille et par son encaisse métallique.

Voilà ce qui couvre la circulation, ce qui donne pleine garantie au public.

La Banque n'émet pas de papier gratis, pour le seul plaisir de donner du papier à tout venant. Elle émet du papier contre des valeurs. Elle escompte des billets. Elle émet une obligation immédiatement exigible, qui est son billet à vue et au porteur, contre une obligation à terme. Elle a en portefeuille des valeurs qui doivent être encaissées dans un délai déterminé, dont l'échéance moyenne n'excède pas six semaines, si mes souvenirs sont exacts...

- Un membre. - Trois mois.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur. Le terme légal que la Banque ne peut excéder lorsqu'elle escompte un billet qui lui est présenté, est de trois mois. Mais la moyenne des échéances ne va pas au-delà de six semaines d'après les comptes rendus de la Banque.

Ce qui revient à dire que dans un délai de six semaines au plus et dans la supposition impossible que l'on réclamât de la Banque le payement de tous ses billets, sans en excepter un seul, elle ferait face à toutes les demandes de remboursement.

C'est un fait sur lequel je crois que personne, dans cette enceinte, s'occupant de finances, ne sera en désaccord avec moi.

Il faut donc examiner si les valeurs facilement réalisables que la Banque reçoit en échange de ses billets présentent des chances de perte telles que ces valeurs ajoutées à la réserve métallique ne suffiraient pas pour couvrir entièrement sa circulation et ses dettes immédiatement exigibles. La question, ainsi posée, se trouve résolu pour tout homme raisonnable. Il suffit de jeter le coup d'oeil le plus superficiel sur les états de situation de la Banque pour se convaincre qu'il n'est guère possible d'admettre que son capital de quinze millions soit insuffisant pour répondre à toutes les éventualités.

Beaucoup de personnes peu initiées à ces sortes d'opérations s'imaginent que c'est le capital de la Banque qui garantit la circulation. Mais une grande partie du capital de la Banque ne pourrait pas même servir à un remboursement immédiat.

Qu'a-t-on fait, en effet, du capital de 15 millions et que ferait-on des 10 millions qui seraient encore réclamés des actionnaires ? Mais la Banque les emploie ; et comment les place-t-elle ? Elle les affecte à des achats de valeurs diverses. Elle les emploie en achats de fonds publics. Or, si l'on suppose uu événement qui viendrait restreindre d'une manière très notable la circulation, évidemment ce n'est pas avec un capital placé en fonds publics que la Banque pourrait faire face aux demandes de remboursement.

Maintenant, messieurs, je ne puis pas laisser passer ce qui vient d'être dit par l'honorable M. Dumortier et répété par M. le ministre des finances, qu'il s'agit ici d'un papier-monnaie.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - D'une monnaie de papier.

M. Frère-Orban. - C'est bien différent. Il s'agit d'un titre volontairement accepté, d'un billet qui peut être immédiatement converti en espèces, que l'on prend ou que l'on ne prend pas, et qu'on va faire rembourser quand on le veut.

C'est, comme vient de le dire l'honorable ministre des finances, c'est le public qui réclame une circulation plus forte. C'est-à-dire que les besoins sont beaucoup plus grands que ce qu'on avait prévu lors de l'institution de la Banque.

Il est bien clair que lorsqu'on a vu, pendant un grand nombre d'années, la circulation limitée à 16 millions, au maximum à 20 millions, personne n'a pu penser que, dans un temps très court, il y aurait une circulation aussi considerable que celle qui est maintenant constatée. J'avais pensé, pour ma part, que si la circulation arrivait à 60 millions, c'était tout ce qu'on pouvait espérer en faveur de la banque. Eh bien, ces espérances ont été dépassées de beaucoup par suite de diverses circonstances, par les besoins de la circulation, par l'extension des affaires, par le développement de l'industrie, par la suppression de l'or, mais surtout par la confiance méritée que la Banque inspire et les services signalés qu'elle rend au pays. (Interruption.)

La suppression de la circulation de l’or a rendu plus nécessaires les billets de banque, mais, encore une fois, c'est pour les besoins du public que ce papier est émis, c'est dans l'intérêt du public qu'il circule, c'est le public qui le réclame.

Le danger dont parle M. le ministre des finances, je ne le vois pas, il m'est impossible de l'apercevoir. Si la Banque n'émet du papier que contre de bonnes valeurs contre des valeurs réalisables dans un temps très court et si la réserve métallique s'élève au tiers de la circulation et des autres dettes exigibles, la banque est évidemment à l'abri de toute espèce d'événement, hormis un cataclysme impossible à prévoir.

Et remarquez-le, messieurs, bien loin qu'une circulation étendue soit à craindre, elle offre beaucoup plus de sécurité qu'une circulation restreinte. Supposons, en effet, une circulation de 15 millions ; une réserve de 5 millions répondrait aux exigences de la loi et de ce que la théorie indique ; mais on aurait bientôt remboursé 5 millions, ou n'aurait pas le temps de réaliser le portefeuille et la banque se trouverait embarrassée. Mais avec une circulation de 100 millions et une réserve de 33 millions, le portefeuille serait réalisé avant que la réserve fût épuisée. Avant que la banque eût pu matériellement rembourser 33 millions de billets, elle aurait eu le temps de réaliser des valeurs, de réescompter, au besoin, sur les places étrangères.

Il n'y a donc aucune espèce de crainte à concevoir du chef de l'extension de la circulation, et comme il s'agit ici d'une question de crédit extrêmement délicate, d'une question qu'il faut traiter avec (page 917) beaucoup de ménagement pour ne pas inspirer au public des craintes sans fondement, je pense qu'il faut s'abstenir de faire entendre que la circulation de la Banque, au point où elle est portée aujourd'hui, pourrait présenter quelque inconvénient pour l'intérêt général.

M. Dumortier. - Messieurs, je commence par remercier M. le ministre des finances des efforts qu'il a faits pour que les actionnaires de la Banque Nationale versent l'intégralité du capital de leurs actions. Je l'en remercie vivement parce que je suis loin de partager la quiétude de l'honorable orateur qui vient de se rasseoir. Et ici je n'entends en aucune manière jeter le moindre discrédit sur les opérations de la Banque Nationale, dont la solidité est connue de nous tous. Si sa solidité était douteuse, je croirais devoir me taire, mais c'est parce qu'elle est à l'abri de toute espèce de soupçon qu'il faut examiner les chances de l'avenir.

L'honorable membre expose d'une manière très belle toute l'organisation financière de la Banque Nationale et je reconnais que quand on se place au point de vue de l'état normal de la société, ses observations sont parfaitement justes ; mais je ne puis croire qu'elles soient applicables aux époques de crise.

L'honorable membre ne considère pas le capital social comme formant la garantie des billets.

M. Frère-Orban. - C'est une garantie supplémentaire.

M. Dumortier. - C'est la garantie première des billets ; car si vous aviez une banque sans capital social, personne ne voudrait de son papier.

C'est le capital social qui, en cas de crise, doit garantir avant tout les porteurs de billets.

L'honorable membre dit que la garantie se trouve dans les effets en portefeuille, que si une crise arrive, ces effets se négociant, la banque réalisera immédiatement des fonds pour faire face aux demandes de remboursement. Eh bien, c'est justement là que je m'arrête : un moment de crise arrive, vous négociez votre papier, mais que recevez-vous en payement ? On vous donne des billets de banque avec lesquels vous ne pouvez pas rembourser d'autres billets de banque, et ou doublera par là l'arrivée des billets de banque dans sa caisse.

M. Vilain XIIII. - Si elle a des billets dans sa caisse, elle n'aura pas à les rembourser.

M. Dumortier. - Elle ne pourra pas avec cela rembourser les billets qu'on lui présentera.

En cas de crise, on demande le remboursement des billets de banque ; pour cela il faut de l'argent.

M. Frère-Orban. - La banque payera avec ses écus.

M. Dumortier. - Vous reconnaissez doue que le versement intégral du montant des actions est nécessaire !

La Banque négocie son papier, elle paye avec le produit ; elle paye avec sa réserve, avec son encaisse, mais elle ne peut pas le faire avec l'encaisse de l'Etat qui en forme une notable partie.

Mais en cas de crise, si elle négocie son papier elle subira une perte certaine, d'un autre côté si elle négocie ses valeurs au porteur, que recevra-t-elle ? Des billets de banque, ce n'est pas avec des billets de banque que vous pourrez rembourser les billets en circulation, il faut du numéraire ; or il fait défaut en temps de crise. Vous êtes dans un cercle vicieux, en voulant rembourser les billets et n'ayant que des billets à votre disposition. Il faut en revenir à l'encaisse métallique de la société ; il est considérable, je le reconnais, mais l'Etat y figure pour une somme considérable, cette somme ne peut pas servir à rembourser les billets de banque de la société. Il n'est pas juste que l'Etat ait plus de confiance que les particuliers en cas de crise dans les billets de banque. En cas de crise vous ne pouvez pas empêcher qu'on ne demande le remboursement des billets en circulation. Il est donc évident que cette circulation est immodérée. Dans le projet présenté par M. Frère elle ne devait pas dépasser 75 millions ; et nous étions effrayés, nous nous rappelions que quand il n'existait que 20 millions de billets en circulation dans le pays, il avait fallu donner cours forcé aux billets de banque ; quand vous en aurez pour 100 millions, en cas de crise, ne serez-vous pas dans l'obligation de leur donner cours forcé ? Un membre du cabinet a cherché à restreindre l’émission autant qu’il a pu, mais il s’est trouvé débordé, les événements ont été plus forts que lui.

En présence d'un pareil état de choses, je crois qu'il est nécessaire -e forcer la banque de compléter son capital et d'empêcher l'augmentation du papier de circulation dans le pays. Mais, dit-on, c'est le pays qui le réclame. Pourquoi ? Parce que vous avez supprimé la monnaie d'or.

Rétablissez-la, à l'instant même on préférera l'or au papier. On craint d'être exposé à perdre 25 centimes par 25 francs et ou s'expose à devoir donner un cours forcé à 100 millions de papier.

Il y a nécessité de restreindre cette circulation.

Je suis heureux d'avoir fait mon interpellation, car quelles que solides que soient les institutions de ce genre, elles ne peuvent faire face au danger d'une circulation en cas de crise.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, comme l'a fait observer l'honorable M. Frère-Orban, cette question est d'une très grande délicatesse, elle se rattache au crédit d'un établissement qui rend d'immenses services au pays ; aussi je ne dirai que ce que je croirai absolument nécessaire pour répondre à deux observations qui ont été présentées par l'honorable député de Liège.

La question de l'augmentation du capital doit être considérée à différents points de vue. Au point de vue de la Banque, des actionnaires, elle sera plutôt utile que nuisible à ceux qui sont porteurs d'actions et qui ont toujours une espèce d'épéc de Damoclès suspendue sur la tête. Les porteurs doivent être disposés à faire ce versement, car ils savent que leurs titres au lieu de subir une baisse constante, recevront une augmentation de valeur. Au point de vue de la richesse publique, je ne puis adopter l'opinion de M. Frère. Ne voyez-vous pas, a t-il dit, qu'en exigeant le versement du complément du capital, vous allez enlever à la fortune publique 10 millions que vous frapperez de stérilité ? Il était plus simple alors de n'exiger aucun capital des actionnaires de la Banque si les 10 millions qu'on leur demande de verser comme complément de leur obligation doivent être enlevés à la richesse publique et frappés de stérilité dans les mains de la Banque. L'argument s'applique au capital entier et prouve trop. Si le capital est versé, il sera employé, utilisé ; seulement la créance à résulter son emploi, au lieu d'être en quelque sorte immobilisée, sera facilement réalisable. La Banque aura des contre-valeurs. S'il en était autrement, si le capital versé ne devait pas être en harmonie avec le capital papier circulant, la nécessité d'un capital quelconque n'existerait pas. Je défie qu'on me cite dans l'univers entier une Banque qui fonctionne avec un capital versé et avec un encaisse métallique moindres que notre Banque.

Je n'en excepte pas même les banques américaines, si l'on cumule, comme cela doit être, les comptes courants avec les billets, et cependant il ne se passe pas de trimestre sans que les journaux nous annoncent quelque cataclysme. En Amérique, en Hollande, en Prusse, à Gênes, à Paris, en Autriche, à Londres, partout l'encaisse métallique est plus élevé qu'en Belgique.

Est-ce à dire que le législateur a été trop modéré dans ses exigences en demandant que l'encaisse soit au moins du tiers de l'émission du papier ? Je dis que pour un établissement bien administré, cela peut suffire, mais à la condition que cet encaisse lui appartienne au moins en grande partie.

Tout l'exposé des motifs de la loi prouve à l'évidence que telle a été l'intention ; sans cela je ne comprendrais pas pourquoi il eût fallu un capital de 25 millions, en vue d'une émission probable de 75 ou même de 100 millions.

Or, l'encaisse métallique n'appartient pas à la Banque ; donc, il ne peut servir à garantir la convertibilité quels que soient les événements. Cependant n'a-t-on pas dit qu'une Banque devait être infaillible ?

Aujourd'hui, l'encaisse métallique est loin d'être la propriété de la Banque. Je ne connais pas la situation en ce moment, mais dans la dernière les comptes courants, y compris l'encaisse du trésor|, figuraient pour près de 40 millions ; de manière que si vous déduisez cette somme de l'encaisse métallique, je dis que ce n'est pas un encaisse qui réponde à un tiers de l'émission des billets de banque.

Que voyons-nous à Amsterdam ? Qu'un encaisse de 100 millions de florins répond à une émission de billets de 100 millions de florins.

En France, à une circulation de 400 millions répond un encaisse beaucoup plus fort que chez nous. Il en est de même à Londres, en Prusse et à Gènes.

Dans ces divers pays, l'on observe le principe que les banques centrales surtout, devant être le réservoir des espèces métalliques, il ne faut pas qu'elles contribuent trop, comme cela arrive presque toujours sous l'empire du cours forcé, à chasser le numéraire ; mais elles doivent se borner à le remplacer dans certaines mesures par des billets qui sont un agent de circulation plus commode.

Certainement un petit cataclysme, une perturbation ne peut ébranler un établissement aussi bien fondé, aussi bien administré que la Banque Nationale ; mais il peut en résulter un état de gêne extrêmement nuisible aux affaires, préjudiciable à tous les intérêts. Or, la position d'une banque doit être telle, qu'elle puisse atténuer les effets des crises, et ce n'est certes pas avec un encaisse métallique qui ne lui appartient pas, qu'elle sera en mesure de le faire.

Rappelons-nous 1848, à Dieu ne plaise que je prévoie de tels événements ; mais enfin, il faut tout prévoir. Qu'arriverait-il ?

Le portefeuille de la Banque se compose de divers éléments.

Il y a du papier belge, du papier français, du papier de Londres, du papier allemand. Si une révolution éclatait à nos portes, quelle en serait la conséquence ? C'est que tout le portefeuille de ce pays serait frappé de stérilité. Je vous défie de citer une révolution dont la première conséquence n'ait pas été de suspendre l'exigibilité de toutes les valeurs, même des valeurs notariées.

Ainsi, en 1848 on a accordé à tous les débiteurs, même à ceux qui devaient en vertu de titres authentiques une suspension de trois mois. Ainsi, voilà pour trois mois le portefeuille en quelque sorte irréalisable.

Comme aujourd'hui, avec la facilité des communications, les révolutions sont contagieuses, vous êtes exposés à voir frappé de stérilité le portefeuille des pays voisins.

Ainsi la Banque aura dans son portefeuille une partie du portefeuille étranger réalisable, une partie qui ne le sera pas ; elle aura un (page 918) encaisse d'où l'on verra sortir à grands flots l'encaisse du trésor et les dépôts des particuliers.

Il restera une somme insuffisante pour faire face au remboursement de ses billets. Si le gouvernement était obligé de disposer de son encaisse, la Banque serait-elle encore dans les conditions de ses statuts ? Vous voyez que la Banque est dans une situation dépendante du gouvernement. Sans l'encaisse du trésor, elle ne serait plus dans les conditions légales.

Est-ce là une situation normale ? Les intérêts d'une banque d'actionnaires ne doivent-ils pas être entièrement séparés, indépendants des intérêts de l'Etat ?

Je désire, je le répète en finissant, que jamais de tels événements ne se réalisent. Mais je dis que la Banque doit compléter son capital, pour que le pays soit à l'abri d'une législation qui donnerait cours forcé à ses billets.

Quant à moi, si j'étais resté au pouvoir, j'aurais insisté, comme j'engage mon successeur à insister, pour forcer la Banque à compléter son capital.

M. Vermeire. - Je désirerais beaucoup qu'une discussion approfondie sur les opérations de la Banque Nationale pût avoir lieu dans d'autres conditions que celles où elle se présente aujourd'hui.

Je commence par déclarer que je partage entièrement l'opinion qui a été exprimée par l'honorable M. Frère. Je crois qu'une banque qui ne s'occupe que de l'escompte ne peut courir aucun danger alors même que son émission en billets de banque dépasserait de trois fois son encaisse métallique.

Cela dit, examinons quelle est la situation de la Banque Nationale.

Au 28 février cette situation accuse :

Au passif, billets de banque, fr. 95,500,000

Les comptes courants, 27,500,000.

Total : fr. 123,000,000

Pour faire face à ses obligations on trouve à l'actif :

1° Un encaisse métallique de fr. 52,081,000

2° Un portefeuille renfermant des effets échéant en moyenne à 6 semaines de date : fr. 73,212,000

Soit : fr. 125,293,000

Et accessoirement : 1° Fonds publics et bons du trésor, fr. 9,137,000

2° Avances sur fonds publics, fr. 5,397,000

3° Capital versé : fr. 15,000,000.

4° Capital non versé mais exigible au besoin : fr. 10,000,000

Soit : fr. 39,734,000.

Ensemble : fr. 165,027,000.

De manière que, pour payer 95,500,000 - de billets, la banque dispose de valeurs promptement réalisables, dont le montant dépasse cette somme dans une forte mesure — et, pour apurer les comptes courants, y compris celui du gouvernement, elle trouve encore des ressources suffisantes dans ces mêmes valeurs, et cela sans compter 43,000,000 de fr. qu'elle pourrait faire rentrer, si elle en sentait le besoin.

Je demande donc comment, avec des ressources pareilles, il pourrait jamais y avoir la moindre crainte que la Banque Nationale ne pût satisfaire promptement à tous ses engagements ?

Il me semble, messieurs, qu'il n'y a aucune analogie entré la situation de 1848 et la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui. Le danger des banques anciennes consistait dans une trop grande émission de billets de banque comparativement aux ressources promptement réalisables et dans l'immobilisation des capitaux.

Or, tout ce que la Banque Nationale peut immobiliser temporairement ne consiste que dans des avances sur fonds publics pour lesquelles elle doit être autorisée par le gouvernement et dans l'achat de fonds publics et de bons du trésor.

Ainsi est-ce pour ce motif que je ne porte que comme ressources accessoires les articles qui concernent ces opérations. Toutes les opérations de la Banque consistent donc principalement dans la circulation du papier provenant de l'escompte d'effets qui représentent à leur tour des transactions commerciales réelles.

Lorsque nous avons institué la Banque, quel est le but principal que nous avons eu en vue ? N'est-ce pas celui d’asseoir le crédit sur des bases stables et solides pour parvenir à une diminution du taux de l'intérêt ? Je crois que nous avons atteint ce but au-delà de toute prévision.

La Banque a obtenu comme escompte 2.80 1/2 p. c. pendant le dernier exercice. Je demande si, donnant le crédit à un taux si bas, et, d'autre part, en laissant de si beaux bénéfices aux actionnaires, il ne doit pas y avoir une garantie réelle dans les opérations de la Banque.

Mais si, d'une part, on semble croire que la Banque agit imprudemment en ayant une si grande émission de billets de banque, d'autre part on lui reproche de ne pas courir assez de chances de perte, en un mot de procéder avec trop de circonspection.

On dit : Voyez la Banque : elle a fait des opérations pour des sommes énormes, pour de nombreux millions et quelle est le montant de la perte qu'elle a essuyée ? Vingt-cinq mille francs en deux ans.

D'autres, allant plus loin encore, lui reprochent de n'avoir fait aucune perte ; et on en tire la conséquence que puisqu'elle a opéré d'une manière si sûre la Banque n'a pas fait les affaires du pays. Si la première mérite quelque considération, à coup sûr, la dernière observation devient sans objet.

Cependant lorsqu'on se rend compte du chiffre des effets qui ont été escomptés par la Banque, ou s'aperçoit bientôt qu'il n'est pas insignifiant, mais qu'il s'élève, pour 1854 seulement, à près de 400,000,000 de francs.

M. le ministre des finances demande s'il y a une banque au monde qui travaille avec un capital inférieur à celui de la Banque Nationale, eu égard à sa circulation. Je crois avoir lu il y a quelque temps (et je crois me rappeler parfaitement le chiffre) qu'en 1837 la Banque dp France n'avait qu'un capital de 68 millions, que son mouvement général était de plus de 14 milliards, et qu'elle a escompté en une année pour plus de 1,800 millions. Je crois que, relativement au capital, les opérations de notre Banque restent inférieures à celles de la Banque de Fiance à cette époque.

Lorsque la Banque Nationale n'était pas encore instituée, n'avons-nous pas vu qu'à la moindre crise alimentaire on était obligé d'escompter sur les places étrangères ? Il y avait alors de grandes oscillations dans le taux de l'escompte lequel s'élevait souvent jusqu'à 5 et 6 p. c. Depuis l'établissement de la Banque Nationale, rien de pareil n'est arrivé ; le taux de l'escompte a toujours tendu à baisser, et nous n'avons eu aucune crise financière à subir quoique nous ayons eu de fortes crises alimentaires.

Je croîs, messieurs, que la prudence qui présidé aux opérations de la Banque Nationale doit être une garantie suffisante, et n'était-ce que les mots d'émission immodérée ont été prononcés dans cette enceinte, mots qui pourraient exercer une influence fâcheuse dans le pays, s'ils n'étaient relevés, je n'aurais pas pris la parole dans ce débat, surtout aujourd'hui qu'il se présente d'une manière aussi inopportune qu'inattendue.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je suis assez étonné, je l'avoue, des idées qui ont été émises par l'honorable ministre des finances. L'honorable ministre des finances nous a fait un tableau sinistre des inconvénients qui pourraient résulter de la circulation telle qu'elle existe aujourd'hui, si un nouveau cataclysme comme celui de 1848 venait à éclater ; et comme remède, comme remède souverain à ce mal éventuel qu'il redoute, il propose quoi ? D'obliger les actionnaires de la Banque à ajouter 10 millions aux 15 millions qu'ils ont déjà versés. Mais je voudrais bien que l'on m'expliquât comment les 10 millions versés viendraient empêcher les effets du cataclysme dont on a parlé.

Que fera-t-on des 10 millions ? Va-t-on les remettre à M. le ministre des finances pour qu'il les conserve jusqu'au moment du cataclysme, afin que dans ce moment, sur-le-champ, ils servent à payer les billets ? Mais si l'on ne les remet pas à M. le ministre des finances, s'il ne les conserve pas sous scellés, s'il les laisse à la Banque, la Banque en fera quelque chose. Et qu'en fera la Banque ? Elle ne peut pas les employer dans les affaires, puisqu'elle a déjà trop d'argent.

Il faudra bien qu'elle en fasse quelque chose. Qu'en fera-t-elle ? Elle les emploiera en fonds publics.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Elle a besoin d'une autorisation pour cela.

M. Frère-Orban. - Si elle a des fonds absolument sans emploi, vous ne pourrez pas lui refuser cette autorisation.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Pardonnez-moi.

M. Frère-Orban. - Comment ! il se trouverait en Belgique un financier quelconque qui dirait à la Banque : Voilà 10 millions ; vous n'en pouvez rien faire ; ils resteront improductifs dans vos caisses.

M. Dumortier. - Comme garantie de cent millions de circulation, oui.

M. Frère-Orban. - Mais je demanderais sur-le-champ que la Chambre prît une mesure pour empêcher de pareils actes de se commettre par le gouvernement. Les capitaux sont nécessaires au pays ; il faut en laisser l'emploi utile. Vous joueriez le rôle de l'avare ; vous auriez recueilli de l'argent et vous l'enterreriez. Il faut que cet argent reçoive sa destination. Lorsque la Banque se trouve dans les conditions déterminées par la loi et qui ont été reconnues nécessaires pour assurer sa sécurité, vous n'avez rien à exiger d'elle.

Sa circulation et ses dettes exigibles sont-elles couvertes d'une part par de bonnes valeurs réalisables dans le terme voulu par la loi, d'autrep art par l'encaisse métallique ? Voilà les deux conditions. Si ces deux conditions se rencontrent, vous ne pouvez rien exiger de plus de la Banque.

Vous vous préoccupez de dangers, mais desquels ? La circulation se contracte, on vient réclamer le remboursement à raison d'événements quelconques.

Mais la Banque paye à bureau ouvert. Elle a son encaisse métallique, plus de 30 ou 40 millions. Si elle a une circulation de 100, millions, elle possède un encaisse et les valeurs qui lui sont dues.

Vous allez jusqu'à admettre l'hypothèse où personne ne paye. Mais je (page 919) dis que dans cette hypothèse le capital qu'elle a déjà et qui est employé en partie en fonds publics et les 10 millions que vous y ajouteriez ne serviraient à rien. Dans cette hypothèse tout est suspendu, il y a paralysie générale.

Vous faites une autre objection. Vous nous dites : Mais cet encaisse se compose de l'encaisse de l'Etat, et des comptes courants.

Permettez. Il se compose de l'encaisse de l'Etat et des comptes courants, oui. Mais il faut que l'encaisse réponde au tiers de la circulation, et au tiers des comptes courants ; de telle sorte qu'il est aussi facile à la Banque de faire face au payement de ses comptes courants qui sont immédiatement exigibles, qu'au payement de ses billets en circulation et de l'encaisse de l'Etat. La position est exactement la même, et l'Etat n'a rien à craindre.

Cette question a été agitée à l'époque de la discussion de la loi. L'Etat n'aurait pu, sans commettre une absurdité économique, exiger que la Banque tînt constamment à sa disposition son encaisse tout entier. L'encaisse de l'Etat, comme les comptes courants, comme la valeur des billets, sont représentés par l'encaise métallique et le portefeuille. Si ces valeurs sont bonnes, tout est dit.

Il est facile de concevoir en théorie, qu'une banque n'a pas besoin de capital pour opérer ; qu'une banque purement et simplement de circulation peut opérer sans capital, parce qu'elle n'opère pas avec ce capital, parce qu'on l'immobilise complètement ; elle opère avec son crédit, elle change des billets immédiatement exigibles contre des billets à terme. Voilà toutes ses opérations. Le capital sert à quoi ? A couvrir des pertes éventuelles.

J'admets que par suite des opérations que la Banque aura faites, elle vienne à subir une perte et qu'elle ne puisse la couvrir à l'aide de ses réserves accumulées. Il faudra bien qu'elle les couvre avec son capital. Mais c'est une garantie tout à fait supplémentaire, à peu près surabondante ; on peut le dire, parce qu'on a vu opérer la Banque pendant plusieurs années, et qu'on la verra opérer, comme la Banque de France, pendant très longtemps sans subir aucune perte, ou avec une perte insignifiante de quelques milliers de francs par an.

Je pense donc que si l'on se plaçait exclusivement au point de vue ou s'est placé M. le ministre des finances, il serait impossible de donner au gouvernement le conseil de faire verser les dix millions restant à payer sur le capital. Mais je ne me suis pas prononcé sur la question en elle-même. J'ai dit qu'il y avait des raisons en faveur de la proposition et des raisons contre ; mais les raisons en faveur de la proposition, je les trouve bien plus dans l'intérêt des actionnaires que dans l'intérêt public.

L'intérêt des actionnaires est d'avoir des titres plus facilement négociables, bien plus que d'avoir des titres grevés d'une obligation éventuelle soumis à un appel de fonds. A ce point de vue, il serait peut-être désirable pour les actionnaires que le versement se fît. Mais au point de vue de l'intérêt public, j'ai des doutes très sérieux sur l'utilité de la mesure.

Quant au point de savoir si les banques d'autres pays, excepté de l'Amérique, opèrent avee un capital moindre que la Banque Nationale belge, je ferai observer à M. le ministre des finances que, à l'exemple d'un grand nombre d'autres banques, la banque d'Angleterre a entièrement aliéné son capital. Son capital de 14 millions sterling est tout à fait engagé et n'est pas susceptible d'être réalisé ; et l'organisation de la banque d'Angleterre, en vertu de la Charte de 1844, est fondée sur cette immobilisation de 14 millions sterling ; de telle sorte que s'il y avait une comparaison à établir, cette comparaison serait tout à l'avantage de la Banque Nationale.

Quoi qu'il en soit, je n'admets pas la relation que l'on veut établir entre le capital et la circulation, je n'admets pas que l'on fasse dépendre principalement du capital la sécurité que peut présenter cette circulation. Elle a, avant tout, sa garantie dans le portefeuille et dans l'encaisse métallique.

Je crois que ces observations répondent aussi à ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier qui a confondu plusieurs fois le capital et l'encaisse. Ce sont deux choses tout à fait distinctes. Le capital se trouve engagé ; il est placé en fonds qui ne seraient pas même facilement réalisables au milieu d'une crise. L'encaisse métallique est, au contraire, immédiatement disponible.

L'honorable M. Dumortier a demandé avec quoi l'on payerait s'il y avait une crise. Mais on payerait avec les 30 ou 40 millions qui sont en caisse et on payerait avec le produit de la réalisation des effets en portefeuille. (Interruption,) Mais vous comprenez bien qu'il faut du temps pour payer au bureau de Bruxelles, le seul où les billets soient remboursables, qu'il faut longtemps pour payer à ce seul bureau 30 ou 40 millions. Avant d'avoir épuisé cette somme, on serait arrivé à l'échéance des effets, et on en aurait touché le montant. En attendant le public aurait acquis la conviction que la Banque n'hésite pas à payer et toute espèce de crainte aurait disparu.

Mais ce qui est vraisemblable, c'est que dans les crises ordinaires le crédit de la Banque ne subirait aucune atteinte. Chaque huitaine on voit dans les journaux quelle est la situation de la Banque, quels sont ses effets en portefeuille, quel est son encaisse métallique ; or, quand on voit 30 ou 40 millions dans les caisses de la Banque, personne ne conçoit d'inquiétude sur les billets dont il est porteur. Une augmentation du capital social à convertir en fonds publics, à défaut de lui trouver un emploi ulile, n'accroîtrait ni la confiance ni la sécurité du public.

Au surplus, ce sont là des questions qui ne peuvent être convenablement discutées à l'improviste, qui exigent de l'étude et de la réflexion. On s'expose à émettre des notions très fausses en les traitant légèrement et l'on finit par répandre et consacrer des idées qui sont destructives du crédit.

M. Osy. - Messieurs, je crois que tout le monde peut être aussi rassuré que l'honorable M. Dumortier sur la bonne administration de la banque, mais je n'ai pas à en parler puisqu'on y a rendu complètement justice.

Il est certain que la quantité de billets de banque en circulation est très forte.

Lorsque nous avons discuté la loi présentée par l'honorable M. Frère, personne n’aurait pu croire que la circulation s’élèverait à un pareil chiffre. Et cependant la banque n’a jamais fait le moindre effort pour l’augmenter ; ce sont les besoins du pays, les besoins du commerce et de l’industrie qui ont demandé cette grande extension des billetus de banque.

Mais, messieurs, vous avez vu par les comptes rendus qu'il n'est pas un établissement, je puis le dire, en Europe, où les billets de banque soient aussi bien garantis, non seulement par l'encaisse, mais encore par le portefeuille, qui est réalisable dans un très court espace de temps.

Comme l'a très bien dit l'honorable M. Frère, la Banque ne donne pas ses billets pour rien ; elle les donne pour des valeurs et pour des valeurs réalisables, car, aux termes de ses statuts, elle ne peut rien immobiliser. Le capital seul, qui ne doit servir qu'à couvrir les pertes éventuelles, peut être, avec l'autorisation du ministre des finances, converti en fonds publics.

Dans une autre enceinte, je me suis déjà expliqué sur la demande de M. le ministre des finances et je l'ai toujours appuyée, mais ce n'est nullement pour garantir les billets de banque.

Beaucoup d'actionnaires désirent libérer leurs actions et dans un moment où l'argent est très abondant, M. le ministre des finances demande qu'on les mette à même de le faire. Je trouve qu'il fait très, bien, mais, je le répète, il ne s'agit pas de garantir les billets de banque qui n'ont nullement besoin de cette garantie. Le capital social est uniquement destiné à couvrir les pertes éventuelles. Sans doute, si vous aviez une émission de 100 millions, une garantie de 25 millions ne serait pas trop forte, et j'espère que sous ce rapport tous mes collègues dans l'établissement dont il est question partageront cette manière de voir.

Si les besoins du pays exigeaient une émission plus considérable, cette émission augmenterait également le portefeuille, car les billets de banque sont précisément destinés à faire face aux besoins de l'escompte.

Dans tous les cas, messieurs, je désire vivement qu'il n'y ait aucune divergence entre le gouvernement et l'établissement, je désire que l'on marche parfaitement d'accord et que nous n'ayons plus de discussions comme celle qui nous occupe en ce moment.

Maintenant l'honorable M. Dumortier a parlé de l'or. Cette question a été discutée très souvent et la Chambre a décidé à une très grande majorité la démonétisation des pièces de 25 francs. Pour ma part, j'approuve beaucoup cette décision. Avec les mines d'or qui ont été découvertes et celles qu'on découvrira peut-être encore, je crois que la mesure qui a été prise est très sage. On ne peut pas avoir en même temps l'étalon d'or et l'étalon d'argent, et quand l'or se multiplie tous les jours, c'est évidemment à l'étalon d'argent qu'il faut donner la préférence.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, si je prends une troisième fois la parole, c'est parce que je ne puis pas laisser sans réponse l'observation par laquelle a débuté l'honorable M. Frère, que j'aurais fait de la Banque Nationale un tableau trop sinistre.

M. Frère-Orban. - Pas de la Banque, des événements.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je crois avoir rendu pleine justice à la sagesse avec laquelle la Banque est administrée.

J'ai dit également que des crises ordinaires ne pourraient pas atteindre un établissement aussi solidement fondé que celui-là. Mais à côté des crises ordinaires il peut venir s'en placer d'autres contre lesquelles, je le répète, la Banque ne serait peut-être pas aussi bien prémunie.

Messieurs, tous ceux qui ont écrit sur l'établissement des banque»sde circulation ont cherché à établir une certaine corrélation entre le capital de l'établissement et la circulation en papier, et chose remarquable, quand la loi sur la Banque Nationale fut mise en discussion, il y avait deux plans qui tous deux prenaient pour point de départ que le capital devrait être égal au montant de la circulation ; ce n'étaient que des projets, mais ils ont eu assez de retentissement pour qu'on ait cru nécessaire de les combattre dans cette enceinte.

On a soutenu qu'il était absurde de prétendre que le capital devait être égal à la somme de papier circulant, et on a fait partager à la Chambre la conviction qu'un capital de 25 millions pouvait suffire poup garantir une circulation s'élevant même à 75 millions. Voilà ce qui se trouve dans toutes vos discussions. Voilà la conviction que mon honorable prédécesseur a fait partager à l'assemblée, c'est-à-dire qu'au lieu d'un capital de 100 millions pour une circulation de 100 millions, un (age 920) capital de 25 millions suffisait pour une circulation de papier de 75 millions.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur !

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Prenez le Moniteur.

Maintenant l'honorable membre dit : Mais quand vous aurez fait compléter le capital, le versement que vous ferez faire ne pourra jamais servir à payer les billets en circulation, attendu qu'il faudra faire emploi de ce capital ; on l'immobilisera.

J'ai répondu déjà que la Banque aura besoin pour cela d'une autorisation. Je vous prie de faire attention à cette stipulation qui exige, pour transformer le capital versé en obligations d'emprunt, même de l'Etat belge, une autorisation du gouvernement. Si le capital de la société ne devait pas répondre du capital-papier, il serait inutile qu'on demandât l'autorisation du gouvernement pour acheter des fonds belges.

C'est un emploi qu'on autorise pour les communes, les établissements de charité et de toute nature ; la loi aurait dit : Elle fera l'emploi de son capital en fonds belges. Le législateur, dans sa prudence, a voulu une autorisation spéciale du gouvernement. Il est même de principe, les meilleurs auteurs le proclament, qu'une banque de circulation ne doit pas immobiliser son capital, pas même dans la rente ; donc, s'il ne devait servir à garantir la convertibilité des billets, il serait parfaitement inutile, car une banque qui opère dans les conditions tracées par la Banque Nationale ne peut guère faire de pertes.

Veuillez combiner la disposition de l'article 16 de la loi avec cet autre portant que, pour le moment, il ne devra être versé que 15 millions, que les 10 autres le seront quand l'extension des affaires de la société le réclamera.

Je demande si en combinant, ces articles il n'en résulte pas que dans l'intention du législateur le capital social devait être une garantie pour les billets en circulation.

Messieurs, n'y eût-il que ces deux articles, la demande du gouvernement serait fondée quand il exige le versement du complément du capital social. Comment ! vous avez raisonné d'un capital de 25 millions pour garantir 75 millions, on arrive à une circulation de 100 millions et vons ne trouvez pas que l'extension des affaires est assez forte pour exiger le complément du capital ?

Le législateur se mettrait en contradiction s'il trouvait qu'un capital de 45 millions suffit pour garantir une circulation de 100 millions, quand il a raisonné de manière à prouver qu'il fallait 25 millions pour garantir 75 millions de circulation. On a été jusqu'à dire qu'une Banque de circulation n'a pas besoin de capital. Si on pouvait soutenir qu'une société de circulation traversera tous les événements sans encombre, sans voir arrêter ses opérations, sans voir son portefeuille arrêté dans son exigibilité, je suis d'avis qu'une banque de circulation sagement administrée peut marcher sans capital.

Mais le portefeuille est frappé de stérilité en cas de crise, il faut une garantie à côté, c'est pour cela que le capital de la société doit être complété pour venir en aide à l'encaisse devenu insuffisant. Pour la Banque d'Angleterre, quand l'émission dépasse le capital social, elle doit être représentée par un encaisse égal. Loin de trouver là un exemple d'une plus grande tolérance qu'à l'égard de la Banque Nationale, j'y trouve une précaution formidable.

Je dirai, en terminant, qu'une discussion semblable n'aurait pas dû être improvisée. Il serait même à désirer qu'on y mît fin. J'aurais le plus grand regret s'il était sorti de ma bouche un mot qui pût jeter le moindre doute sur la parfaite garantie des billets en circulation, dans l'état actuel des choses. Mais le gouvernement doit prévoir non seulement les circonstances ordinaires, mais les circonstances extraordinaires. Je ne veux pas m'exposer, comme ministre des finances, à rendre nécessaire le cours forcé des billets dans quelque circonstance que ce soit.

Cependant je ne suis pas tellement épouvanté du cours forcé que si dans un moment de crise on devait le déclarer dans certaine mesure, je crusse mon pays perdu ; on pourrait très bien accepter le cours forcé, sauf à reprendre le payement en espèces quand les circonstances auraient changé ; mais il est entré dans l'intention du législateur d'éviter la nécessité du cours forcé dans les plus grandes crises, il est du devoir du gouvernement de prendre des mesures en conséquence.

- La discussion est close.

La séance est levée à 4 heures.

La Chambre s'ajourne jusqu'à convocation du président.