(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 722) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent qu'il y ait autant d'écoles vétérinaires d'agriculture et d'horticulture dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes, que l'enseignement y soit donné dans la langue maternelle et que si, pour l'une ou l'autre branche de l'enseignement, on n'établissait qu'une seule école pour tout le pays, les élèves reçoivent les leçons dans la langue parlée dans leur province. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement agricole.
« Des habitants de Hachy demandent qu'il soit établi dans l'arrondissement d'Arlon une école d'agriculture où les leçons se donnent en allemand. »
- Même décision.
« Quelques habitants de la Flandre occidentale demandent que l’enseignement agricole soit donné en flamand dans les contrées flamandes. »
- Même décision.
« Le sieur Clerck, décoré de la croix de Fer, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la pension dont jouissent quelques décorés de la croix de Fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Hauchamps demande que la pharmacie soit enseignée par un pharmacien diplômé. »
M. Lelièvre. - La pétition est appuyée sur des motifs sérieux dont je recommande l'appréciation à la Chambre ; elle mérite l'examen particulier de la section centrale. Il est important, en effet, qu'on puisse apprécier en connaissance de cause s'il y a lieu à admettre dans le projet en discussion la disposition signalée par les pétitionnaires. Si donc la section centrale est appelée, dans le cours de la discussion, à émettre son avis sur quelque proposition ou un amendement quelconque, je demande qu'en même temps elle s'occupe de la pétition dont il s'agit et sur laquelle elle émettra un avis spécial. En tout cas et dès maintenant, je demande le dépôt, sur le bureau, de la pétition pendant la discussion du projet de loi. Je demande également le renvoi à la section centrale dans l'hypothèse ci-dessus énoncée.
- Adopté.
« Des propriétaires à Anvers prient la Chambre de statuer sur la pétition du sieur Mertens, concernant un crédit foncier pour le défrichement des bruyères. »
« Même demande des habitants de Cappellen. »
- Même renvoi.
« Par trois pétitions, des fermiers, cultivateurs, engraisseurs et marchands de bestiaux à Leke, Schoorc, Keyein, Zande, Vladsloo et Lichtervelde, demandent que les artistes vétérinaires non diplômés soient admis à continuer leur profession. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Mechelen-Kennis demande que le tarif des douanes, quant aux produits chimiques, soit mis sur un pied de réciprocité équitable avec les tarifs des pays voisins. »
M. Vander Donckt. - Messieurs, cette pétition intéresse surtout l'introduction de nouvelles industries dans le pays. Sous ce rapport, elle offre un degré d'importance plus grand que la plupart des autres pétitions.
J'en demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion sur la révision de notre système douanier.
- Cette proposition est adoptée.
« M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre les explications qu'elle lui a demandées sur diverses réclamations des communes voisines du camp de Beverloo, lesquelles se plaignent des logements militaires qu'elles ont à supporter chaque année à l'époque des manœuvres. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Coomans (pour une motion d’ordre). - M. le président, je consulterai votre expérience pour savoir de quelle manière je dois m'y prendre pour présenter à la Chambre quelques observations sur les explications fournies par le département de la guerre.
J'ai à rectifier certains faits graves et à demander des explications complémentaires. Peu m'importe, du reste, le jour que la Chambre voudra fixer pour entendre ces explications.
M. le président. - On peut faire prévenir M. le ministre de la guerre que vous vous proposez de l'interpeller.
M. Thiéfry. - Je demande que les explications de M. le ministre de la guerre soient insérées dans les « Annales parlementaires ». L'honorable M. Coomans pourra ensuite faire des interpellations à M. le ministre.
M. Coomans. - J'y consens volontiers.
- Cette proposition est adoptée.
« M. Ed. Lacomblé fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du Dictionnaire de la comptabilité générale. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. L. André fait hommage à la Chambre d'une brochure qu'il vient de publier sur la législation des pensions. »
- Même disposition.
La discussion générale continue.
M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, je crois avoir démontré hier que le besoin de l'instruction agricole qui se manifeste aujourd'hui ne vient aucunement de ce que notre agriculture a ralenti sa marche dans la voie du progrès, mais que ce besoin doit être attribué à un fait nouveau qui ne s'est produit que depuis peu d'années seulement, à savoir l'alliance conclue entre l'agriculture et la science.
J'ai démontré, je crois, que l'instruction agricole doit répondre aux besoins résultant de cette alliance ; en d'autres termes, qu'elle est nécessaire pour faire vivre le cultivateur dans une certaine communauté d'intérêt avec la science. J'en ai conclu que l'instruction agricole, quelques progrès qu'elle fasse, ne pourra jamais être considérée que comme un auxiliaire de l'agriculture et que c'est l'éducation qui doit former avant tout le cultivateur ; en outre que cette éducation peut être gâtée dans des conditions artificielles, mais qu'elle ne peut se faire véritablement que dans les réalités de la vie agricole, dans la ferme.
Ces propositions, je les maintiens. Elles forment la base des considérations qui me restent à développer.
Je vais examiner deux points : d'abord, quelles sont les connaissances que doit embrasser l'instruction agricole réellement utile ; ensuite quels sont les moyens qui peuvent servir à les propager parmi les populations rurales.
Messieurs, le programme d'un enseignement quelconque doit être approprié avant tout aux besoins des élèves. Or, pour l'enseignement agricole, je me trouve en présence de deux catégories d'élèves tout à fait différentes. J'ai d'abord ceux qui seront un jour appelés à être cultivateurs par état, c'est-à-dire à cultiver pour vivre ou au moins pour gagner de l'argent.
J'ai ensuite une autre catégorie ; ce sont ceux qui, sans être appelés à cultiver sérieusement, peuvent cependant retirer de grands avantages de l'instruction agricole, à cause de leurs rapports avec l'agriculture ; et cette catégorie, je la subdivise comme suit : d'abord ceux que j'ai appelés agriculteurs-artistes, qui cultivent pour s'amuser, qui recherchent des produits immatériels, à peu près comme ceux qui vont au théâtre ; j'ai ensuite les propriétaires qui ne veulent pas cultiver réellement, mais qui, comprenant qu'il est de leur intérêt d'améliorer leurs propriétés, peuvent concourir aux progrès de l'agriculture.
J'ai, en troisième lieu, les administrateurs de biens ruraux.
Enfin, messieurs, il y a les savants qui ne cultiveront pas, mais qui, par suite de l'alliance contractée entre l'agriculture et la science, doivent s'occuper de l'industrie rurale, afin de faire progresser la science.
Voilà donc deux catégories d'élèves bien distinctes, ceux qui cultiveront un jour, ceux qui auront seulement des rapports avec l'agriculture sans devenir des cultivateurs proprement dits.
Eh bien, je dis que l'enseignement ne saurait pas être le même pour ces deux catégories. A ceux qui sont appelés à cultiver, à exercer la profession de cultivateur, il faut des connaissances positives, des connaissances certaines. Des problèmes non résolus sont inutiles et ne pourraient servir qu'à embrouiller leurs idées et même les engager dans, des opérations ruineuses.
Quant aux autres, certainement il faut aussi leur enseigner ce qui est sanctionné tout à la fois par la pratique et par la science comme chose certaine.
Mais en même temps on peut aussi les initier aux problèmes non résolus, puisque ces élèves ne sont pas appelés à se livrer à la pratique agricole proprement dite ; d'ailleurs, ces problèmes non résolus ne peuvent pas être négligés, sans quoi on n'arriverait jamais à une solution. Le cultivateur n'a guère le temps de s'en occuper, devant donner tous ses moments à la direction de sa culture. Mais les autres catégories d'élèves que je viens de signaler ont le temps de s'occuper de ces problèmes non résolus et de chercher à arrivera leur solution.
Messieurs, la question qui se présente naturellement ici est celle-ci : Quels sont les jeunes gens qui exerceront un jour la profession de cultivateur ? Ma réponse, la voici : en règle générale, sauf de très rares exceptions, je dis que ce sont les campagnards par droit de naissance, les enfants de fermiers ou de cultivateurs. Et, messieurs, nous ne devons avoir aucune crainte sur l'insuffisance de ce personnel.
(page 723) Les cultivateurs ne laisseront pas périr leur race, soyez-en certains ; ils sauront toujours la tenir au niveau des besoins.
« Vous voulez donc, me dira-t-on, exclure les citadins. » Messieurs, je ne suis pas exclusif de ma nature ; mais je constate ici des faits. Suivez le mouvement d'émigration qui se manifeste dans le pays, et dites-moi si ce mouvement a lieu des villes au plat pays, ou si ce n'est pas en sens inverse. Pourquoi cela ? Ce fait s'explique par une loi générale de l'humanité : la sociabilité. Il en est de même de tous les pays qui ont fait quelques progrès dans la civilisation. Les populations rurales affluent toujours vers les populations industrielles, commerciales, savantes des villes.
Je sais bien que le mouvement peut être plus ou moins accéléré par certains faits particuliers, mais il est de toute impossibilité de faire naître un mouvement inverse, à moins d'un véritable cataclysme social. Permettez-moi une comparaison : il y a des moments où les habitants de Bruxelles sont excessivement tourmentés par les eaux de la Senne, et ils les feraient volontiers alors remonter vers la ville de Hal ; mais la chose est tout à fait impossible ; eh bien, le mouvement inverse dont je parle est tout aussi impossible.
L'honorable M. de Steenhault a manifesté le désir de voir un certain nombre de propriétaires ou de fils de propriétaires devenir cultivateurs proprement dits. Je dirai d'abord qu'il y a un concours tout naturel des propriétaires à l'industrie rurale ; c'est lorsqu'il s'agit de grands travaux d'améliorations foncières, lorsqu'il s'agit de faire des avances de capitaux, et nous pouvons dire que sous ce rapport le concours des propriétaires fait des progrès dans le pays. Si vous voulez aller plus loin, vous tombez infailliblement dans le système de culture par régisseurs, et, à mon avis, ceux qui désirent sérieusement le progrès de l'agriculture ne peuvent désirer le développement de ce système.
En effet, il ne faut pas se le dissimuler, les grandes fortunes auront toujours leur siège principal dans les grands centres de population ; et s'il s'agissait de fortunes ébréchées, ceux qui se trouveraient dans cette triste position ne feraient en général que de tristes cultivateurs.
D'ailleurs, si un certain nombre de propriétaires allaient se faire réellement cultivateurs, croyez-vous que ce fût une chose si merveilleuse ?
Je dis d'abord qu'ils gêneraient les populations rurales, car déjà aujourd'hui il y a une masse de fils de fermiers qui ne trouvent plus de fermes à louer et qui sont ainsi célibataires malgré eux.
Ensuite, avec ces propriétaires devenus cultivateurs, vous auriez, il est vrai, des fermes tenues avec plus de luxe, des apparences plus grandioses, plus élégantes ; mais à la fin de l'année, les bénéfices réalisés seraient-ils plus considérables ? Pour ma part, je crois tout le contraire ; et nous ne devons pas perdre de vue qu'après tout ce sont les bénéfices réalisés par les particuliers qui véritablement enrichissent la nation.
Messieurs, il y a un proverbe flamand qui dit que d'un paysan on peut faire un monsieur ; sans doute il faut quelquefois raboter un peu, mais enfin il y a de l'étoffe. Or, le même proverbe dit que dans un monsieur, il n'y a pas l'étoffe nécessaire pour fairc un paysan. Les Flamands sont quelquefois un peu absolus.
Cela se dit aussi dans le pays wallon, dit-on à mes côtés ; je croyais que c'était un proverbe absolument flamand. Supposons que ce soit un peu absolu, toujours est-il vrai de dire que, pour bien cultiver, il est bon d'être né paysan ; cela fait qu'on est véritablement du pays, et la qualification après tout n'est dédaignée que par les niais. Or, l'agriculture a trop de bon sens pour s'inquiéter de ces dédains-là.
Je crois donc qu'il est bien entendu, comme je le disais en commençant, que ceux qui cultiveront un jour sont ceux qui sont nés dans les fermes, les fils, les enfants de cultivateurs ; il n'y aura à cette règle que des exceptions excessivement rares et dont, par conséquent, il ne faut pas s'occuper,
Voilà donc l'auditoire des écoles d'enseignement agricole : d'une part les campagnards qui cultiveront un jour, et d'autre part ceux auxquels cette instruction peut être utile à cause des rapports qu'ils peuvent avoir avec l'agriculture sans devenir cultivateurs proprement dits.
Je m'occupe d'abord des campagnards proprement dits, parce que je leur appartiens par les liens du sang.
Qu'enseigner à ces cultivateurs futurs ? Je commence par écarter d'abord la théorie agricole proprement dite.
A cet égard, je dois faire remarquer qu'il règne une grande confusion dans les esprits. Quand, en parlant de la théorie agricole, beaucoup de personnes comprennent sous cette dénomination toutes les notions scientifiques s'appliquant d'une manière quelconque aux opérations de l'industrie agricole, eh bien, cette opinion est complètement erronée.
La théorie agricole proprement dite, en d'autres termes, la science agronomique est une science nouvelle, née des autres sciences, mais ayant cependant une existence distincte, elle a pour objet un ensemble de principes enseignant a priori comment les végétaux et les animaux utiles a l'homme peuvent être produits de la manière la plus parfaite et la plus économique.
Cette science, comme je viens de le dire, ne vient que de naître ; le cadre de ses attributions est formulé, la plupart des problèmes à résoudre sont posés, mais les solutions sont encore très inccriaines.
Sous ce rapport je suis, en me plaçant à ce point de vue, je suis d'accord avec l'honorable rapporteur de la section centrale, quand il dit : « L'on ne saurait contester que la physique, la chimie, la physiologie végétale dans leurs rapports avec l'agriculture ne sont pas assez avancées pour éclairer d'une manière complète, certaine, les opérations agricoles ». Cela est vrai dans un sens et complètement erroné dans un autre, cela est vrai en ce qui concerne les applications de ces sciences qui ont pour objet d'enseigner a priori les procédés et les méthodes de la production agricole, cela est vrai, en un mot, en ce qui concerne la science agronomique, proprement dite. Mais j'aurai bientôt occasion de démontrer que cela est inexact, erroné à l'égard d'autres notions qui peuvent éclairer les cultivateurs sans avoir la prétention d'enseigner les méthodes et les procédés. L'honorable rapporteur de la section centrale, après avoir constaté cet état d'incertitude, en ce qui concerne les applications des sciences, admet cependant ces notions incertaines dans le programme de l'enseignement à donner aux cultivateurs, car il veut que l'agriculture soit enseignée pratiquement et théoriquement. Je crois être plus logique en disant que cette science nouvelle doit être abandonnée aux investigations et aux expérimentations des savants auxquels il appartient de la compléter, de la développer et de lui donner un jour un caractère de certitude suffisant pour qu'elle puisse être enseignée avec fruit aux cultivateurs.
Ainsi, messieurs, le véritable siège de cette science nouvelle est dans les universités ; il faut que là elle croisse, se développe, grandisse au contact des autres sciences techniques dont elle ne forme, après tout, qu'une nouvelle branche. Et permettez-moi de faire observer que c'est cette même pensée qui avait présidé à la création de l'institut supérieur de Versailles que l'honorable comte de Steenhault a presque tourné en ridicule, mais dont le comte de Gasparin, agronome qui en vaut bien un autre, déplore amèrement la chute.
Je crois, messieurs, avoir justifié les motifs qui me déterminent à éliminer de mon programme la théorie agricole proprement dite, en d'autres termes : la science agronomique de l'enseignement destiné aux jeunes cultivateurs.
Maintenant, messieurs, faut-il enseigner l'agriculture pratique ? Je réponds encore négativement, et je prouverai tout à l'heure que, tout en écartant l'agriculture théorique et pratique, j'enseignerai cependant quelque chose et quelque chose d'utile.
Messieurs, on admet généralement comme un axiome que la pratique ne peut s'apprendre que par la pratique, et cependant on peut faire une exception à cette règle pour l'agriculture. Cela est réellement étrange, car la pratique agricole est le moins susceptible d'être enseignée, parce qu'elle varie, pour ainsi dire, d'un champ à un autre. On parle toujours de l’enseignement pratique et ou croit avoir tout dit quand on a affirmé que l'agriculture doit être enseignée pratiquemen. Mais, messieurs, personne n'est plus convaincu que moi de l'importance de la pratique en matière d'agriculture ; la pratique constitue tout l'art agricole, et cela est également vrai en industrie.
En définitive, l'instruction ne tend pas à former des praticiens savants, elle a uniquement pour objet d'avoir des praticiens habiles et intelligents ; mais la question n'est pas là, il s'agit de savoir si cette pratique, qui est tout est susceptible d'être enseignée directement, et surtout si un gouvernement est apte à donner cet enseignement.
El c'est à cette question-là que je réponds négativement. Afin de ne pas discuter dans le vague, j'ai cherché à préciser un peu les points, les éléments auxquels cet enseignement pratique pourrait s'appliquer.
S'appliquera-t-il aux travaux manuels, exécutés dans les fermes ? Eh bien, je crois que l'honorable M. Mascart a tellement fait justice de cet enseignement, que personne ne cherchera à le relever ; je me permettrai d'ajouter une citation du comte de Gasparin dans son dernier ouvrage intitulé : « Principes de la science agronomique », et qui est conçu comme suit :
« Les élèves de vos écoles pratiques, dit-il, en retournant chez eux, trouveront un grand nombre de cultivateurs qui, restés dans leurs champs paternels, manieront mieux qu'eux la bêche, la houe, la charrue. »
Ainsi, messieurs, je crois qu'il est bien entendu qu'on ne recommencera plus cette triste comédie ; je ne puis pas l'appeler autrement.
Apprendra-t-on des méthodes, des procédés de culture, déjà sanctionnés par l'expérience dans le pays ? Mais, si ce sont des choses déjà connues dans le pays, il y a des fermes où on peut les apprendre. Je ne vois pas qu'il faille pour cela une institution spéciale.
Puis soyez bien persuadés que ce qui a bien réussi sur tel et tel point ne réussira pas ailleurs. Ce n'est pas seulement la nature du sol qu'il faut prendre en considération. Il faut tenir compte aussi des aptitudes et des usages des habitants que l'agriculteur doit employer comme agents, des ressources qu'il peut trouver dans les localités environnantes, des marchés où il peut vendre ses produits et d'une foule d'autres circonstances.
On a parlé des zones agricoles ; mais c'est de la théorie toute pure. Je prends la zone hesbayenne. Croyez-vous qu'on cultive de la même manière dans toute cette zone ? Croyez-tous que l'on cultive de la même manière à Hannut et à Ypres et dans toutes les localités intermédiaires ? Evidemment cette classification exacte des méthodes de culture d'après les zones est inadmissible.
(page 724) Qu'aura-t-on en vue, je le demande encore une fois, dans cet enseignement pratique ? Sera-ce la direction d'une ferme, en un mot l'entreprise agricole en vue de réaliser les plus grands bénéfices possible, cela est-il sérieux ? Le gouvcrnement a la prétention d'enseigner aux cultivateurs à gagner de l'argent, lui qui, toutes les fois qu'il a été en concurrence avec l'industrie privée, a été battu par elle à plate couture ; comment donc viendra-t-il proposer sous ce rapport des modèles à imiter et pouvant servir de moyen d'instruction ?
Sera-ce pour enseigner de nouveaux procédés non encore sanctionnés par l'expérience ? Alors vous n'avez plus besoin de fermes modèles, mais de fermes expérimentales. Il y a là une énorme difficulté : les fermes expérimentales n'ont pas un caractère pratique proprement dit, mais un caractère scientifique ; on y fait des expériences à peu près comme dans les cours de chimie et de physique pour démontrer la science. Il s'agit là de cultures exceptionnelles, et une ferme consacrée avant tout aux expériences serait le plus singulier de tous les modèles. D'ailleurs ici encore ces nouvelles méthodes et ces nouveaux procédés qu'on expérimentera pourront réussir dans telles localités et échouer dans telles autres par les motifs que j'ai déjà exposés ; cet enseignement expérimental plutôt que pratique, dans la véritable signification des mots, pourrait convenir jusqu'à un certain point aux élèves que j'ai rangés dans la seconde catégorie et qui ont le temps et les moyens de se livrer à l'étude des problèmes non résolus ; mais pour les cultivateurs proprement dits, il n'est pas sans danger de les habituer à vivre ainsi dans une atmosphère expérimentale ; cela pourrait avoir pour résultat de leur faire perdre trop de vue les opérations réellement fructueuses, et dont les résultats sont connus d'avance.
D'ailleurs ce système de fermes expérimentales proprement dit n'existe ni dans l'organisation des écoles actuelles ni dans l'organisation qui nous est proposée. Ce qu'on veut établir, ce sont des fermes modèles, destinées à enseigner aux cultivateurs les moyens de réaliser le plus de bénéficc possible. Je dis que, sous ce rapport, le gouvernement est le plus incapable de tous.
Messieurs, personne ne soutiendra, je pense, que notre agriculture est encore dans son état d'enfance. Dès lors n'est-il pas étrange que le gouvernement dise aux cultivateurs : Vos méthodes de culture sont vicieuses ; vous ne retirez pas de la terre tout ce qu'elle peut produire. Envoyez-moi vos enfants ; je leur apprendrai à cultiver.
Mais sans faire injure au gouvernement, puisqu'il s'agit ici d'un objet étranger à ses véritables attributions, je lui dirai qu'il est le plus mauvais de tous les cultivateurs ; cela est vrai en principe et l'honorable M. Mascart a démontré que des faits incontestables viennent à l'appui des principes.
On dira : Le gouvernement en Belgique enseigne à peu près toutes les connaissances sans avoir la prétention de posséder l'omniscience. Ainsi il enseigne la chimie sans être chimiste, la médecine sans être médecin, l'astronomie sans être astronome. Mais il y a une grande différence entre l'enseignement des sciences proprement dites et l'enseignement de la pratique agricole ou industrielle ; quand il s'agit d'enseigner les sciences le gouvernement a toujours à sa disposition les savants qui ont étudié les connaissances humaines dans le but de les communiquer aux autres.
L'enseignement est leur occupation naturelle, c'est en quelque sorte le seul moyen de rendre leur science véritablement, matériellement productive.
Il n'en est pas de même pour l'industrie et l'agriculture. Là les hommes d'élite ne sont plus à la disposition du gouvernement, leur mission à eux n'est pas d'enseigner, toute leur activité, toute leur intelligence est concentrée sur un seul point : Produire beaucoup, produire au meilleur marché possible et surtout avec le plus grand bénéfice possible ; et s'ils excellent dans cet art, ils apprécieront trop leur valeur et la valeur de leur indépendance pour échanger leur position contre la position d'employé de l'Etat.
Le gouvernement n'aura donc à choisir qu'entre les cultivateurs médiocres et les savants. Avec les premiers on ne fera jamais que des modèles de culture très médiocres. Quant aux seconds, je dirai que les savants devenus entrepreneurs d'industrie, surtout avec les deniers de l'Etat, seront des astres jetés hors de leur orbite, et qui, au lieu d'éclairer, ne feront plus que ravager.
Ce que je dis ici concernant l'impossibilité d'enseigner la pratique, mais c'est reconnu formellement en matière d'industrie par les hommes les plus compétents.
Une commission de douze membres, présidée par l'honorable M. Prévinaire, a été chargée, en 1851, d'étudier les questions concernant l'enseignement professionnel de l'industrie. Eh bien, le rapport de cette commission, rapport très remarquable, proclame à chaque page cette vérité que les notions scientifiques destinées à éclairer les procédés d'un art ou d'un métier doivent s'enseigner à l'école, mais que l'apprentissage pratique ne peut se faire qu'à l'atelier.
Je pourrais, à cet égard, faire une foule de citations. Ainsi, dans le plan d'organisation proposé au gouvernement, la même commission dit en termes formels : « que l'Etat ou les administrations publiques ne cherchent donc pas à faire de l'industrie normale plus avancée que l'industrie libre. »
Eh bien, je dis également que l'Etat et les administrations publiques ne cherchent pes à faire de l'agriculture plus avancée que l'agriculture libre.
J'écarte donc et la théorie proprement dite et la pratique. Mais vous allez me dire : Vos élèves ne sauront rien ; ils ne connaîtront ni pratique ni théorie. Eh bien, oui, messieurs, ils ne sauront rien, comme agriculteurs, et je crois que c'est une bonne chose. Car les élèves sortant des écoles d'agriculture du gouvernement ne savent rien comme agriculteurs proprement dits et ont la prétention de savoir beaucoup : or, il n'y a rien de plus funeste que cette prétention dans un jeune homme. Je ne dis pas qu'ils ne savent rien comme théoriciens ou comme versés dans les sciences naturelles et physiques ; mais comme agriculteurs, comme hommes capables de diriger utilement une ferme, je dis qu'ils ne savent rien et qu'ils ont assez souvent la prétention de tout savoir.
Ce que je veux, messieurs, dans le programme que je propose, ce n'est pas d'enseigner directement à cultiver ; il faut que cela s'apprenne par la pratique ; mais c'est de préparer les jeunes gens à apprendre à bien cultiver, c'est de leur donner des moyens qui les mettent à même de mieux apprécier les faits et de se former plus facilement eux-mêmes par la pratique.
Messieurs, tout en écartant et la théorie proprement dite et la pratique, il me reste un programme assez étendu, qui comprendrait :
1° La comptabilité agricole, réduite, bien entendu, à ses éléments les plus simples et beaucoup moins compliqués que celle qui a été publiée par la Bibliothèque rurale.
2° Des principes élémentaires de géométrie, d'arpentage, de nivellement et de mécanique. Je n'ai pas besoin, pour enseigner cela, d'une ferme modèle. Car notez bien que je ne veux donner aux élèves que des notions générales ; il faut s'arrêter là.
Si vous voulez que l'agriculture progresse réellement, la condition première, c'est la division du travail. Voulez-vous des agriculteurs géomètres, des agriculteurs arpenteurs, des agriculteurs mécaniciens ? Vous aurez de mauvais cultivateurs. Cela est compris dans l'industrie et cela doit être compris également dans l'agriculture.
Il y a un troisième ordre de connaissances, répondant plus directement aux besoins qui résultent de l'alliance de la science avec l'agriculture.
M. le comte de Gasparin, qu'on ne saurait trop lire et trop méditer sur ces matières, dit avec vérité que le cultivateur se meut au milieu des phénomènes physiques, chimiques et physiologiques, en d'autres termes que, quoi qu'il veuille ou quoiqu'il fasse, il fera toujours de la chimie, de la physique et de la physiologie.
M. Coomans. - Sans le savoir.
M. de Naeyer, rapporteur. Il en fait sans le savoir, et je voudrais bien qu'il pût en savoir au moins quelque chose.
Je voudrais qu'à l'aide des notions empruntées aux sciences on lui expliquât les lois régissant tous les phénomènes qui se produisent constamment sous ses yeux, afin de lui donner la conscience de ses opérations et de le mettre à même de diriger d'une manière plus raisonnée les forces qu'il doit employer dans l'œuvre de la production.
Or, heureusement sous ce rapport, déjà aujourd'hui les sciences sont assez avancées pour donner aux cultivateurs une foule de notions utiles ayant un caractère de certitude absolue, et ici je ne suis plus d'accord avec l'honorable rapporteur de la section centrale, lorsqu'il dit, dans un autre passage, que la physique, la chimie, les mathématiques, dans leurs applications à l'industrie, ont un caractère de certitude qu'elles n'ont pas dans leur application à l'agriculture ; cela n'est pas exact d'une manière absolue.
D'abord il est vrai de dire que les applications de la science aux procédés de l'industrie sont loin d'avoir toujours un caractère de certitude absolue. Parlez aux fabricants, aux industriels, et ils vous diront qu'ils se ruineraient s'ils suivaient aveuglément tous les enseignements que l'on trouve dans les livres. Tous ont certains secrets, propres à leur art, inconnus souvent aux savants ou qu'ils ne parviennent pas toujours à expliquer.
Cela n'empêche cependant pas que les notions certaines qui sont enseignées par la science ne leur soient éminemment utiles, pourvu qu'ils sachent faire la distinction entre ce qui est reconnu certain et ce qui ne l'est pas. Or, c'est là une affaire de jugement, et telle est la qualité qui doit distinguer tout entrepreneur d’industrie agricole ou autre.
Eh bien, il en est à peu près de même à l'égard de l'agriculture. Il y une foule de problèmes non résolus : ce sont ceux qui constituent surtout la science agronomique, dont je ne veux pas dans les écoles qui doivent être fréquentées par les jeunes cultivateurs. Mais il y a aussi des notions scientifiques qui ont déjà acquis un degré de certitude absolue et qui sont éminemment propres à éclairer les cultivateurs sur une foule de faits qui se produisent dans la production agricole.
Ainsi je demanderai aux savants qui siègent dans cette enceinte, si déjà aujourd'hui la science ne peut pas donner aux cultivateurs une foule de notions certaines sur le rôle que plusieurs agents naturels, tels que l'eau, l'atmosphère, la chaleur, la lumière, remplissent dans les phénomènes de la production agricole. Il y a là encore des problèmes non résolus ; mais il y en a une foule qui le sont et qu'il est utile de faire connaître au cultivateur, parce qu'alors il se rend mieux compte des faits et des opérations qui constituent son industrie.
Il en est encore de même quant aux éléments constitutifs du sol. Ces connaissances ne lui suffiront pas toujours pour bien apprécier les qualités du sol ; d'autres circonstances devront souvent être prises en (page 725) considération. Mais toujours est-il qu'il y a là des notions utiles qui peuvent lui venir en aide.
Il en est de même quant à la connaissance des substances qui peuvent servir comme engrais à la nutrition des plantes. Il en est encore de même quant aux substances qui, sous le nom d'amendements, peuvent servir à mieux approprier le sol à l'habitation des plantes.
Quant aux deux parties principales qui constituent l'industrie agricole, la production des végétaux et l'élève des animaux, ici encore la science, si elle ne peut tout éclaircir, peut cependant répandre des lumières sur les opérations du cultivateur. Ainsi elle peut lui apprendre quelles sont les différentes phases de la vie végétative, quels sont les éléments constitutifs des plantes, quelle est la masse de matières organiques qui s'élaborent sous l'influence de la vie dans les plantes.
Quant à l'élève du bétail, ici encore la science peut expliquer quel est l'organisme des animaux, quelles sont les conditions requises pour que cet organisme fonctionne régulièrement et comment il contribue à la production des matières animales servant à l'alimentation de l'homme ou propres à être utilisées dans l'industrie.
Je ne fais qu'indiquer sommairement, mais ces indications suffisent pour démontrer que, sans enseigner directement des méthodes ou des procédés de production, les sciences sont assez avancées pour fournir à l'agriculteur une foule de notions certaines et qui sont éminemment propres à lui servir d'instruments d'observation pour apporter d'après ses propres expériences des perfectionnements dans son industrie.
Messieurs, pour enseigner toutes ces connaissances, je n'ai pas, encore une fois, besoin d'une ferme modèle, pourquoi ? Parce que l'enseignement s'adresse à des jeunes gens élevés à la campagne, qui ont vu dès leur enfance tous ces phénomènes qu'il s'agit de leur expliquer, qui sont familiarisés avec les faits dont on leur fait connaître la raison d'être.
On me dira, messieurs : Cela n'apprend pas à cultiver. Non cela n'apprend pas directement à cultiver, et je ne veux pas apprendre directement à cultiver, mais cela éclaire le cultivateur, cela lui permettra d'apprécier les phénomènes qui se passent autour de lui et d'introduire des perfectionnements dans sa culture.
Vous voyez donc, messieurs, qu'en laissant de côté la théorie proprement dite et la pratique proprement dite, il reste encore un programme très étendu.
Il me reste à examiner comment cette instruction agricole ainsi caractérisée pourra être répandue parmi les populations rurales, quelles seront les écoles affectées à cet enseignement.
Voyons avant tout quelle est la situation actuelle en faisant abstraction toutefois des écoles actuelles d'agriculture qui s'écroulent sans que personne vienne les étançonner, quels sont les moyens d'instruction ?
D'abord je ferai remarquer que depuis plusieurs années on a donné l'instruction agricole à l'école vétérinaire ; ce n'est pas dans le but de former des cultivateurs, mais cette instruction n'en présente pas moins un certain avantage, parce que les vétérinaires étant ensuite disséminés sur les différentes parties du terrritoire et se trouvant en relations journalières avec les cultivateurs, ils auront souvent l'occasion de reclilier les idées erronées et de provoquer des améliorations.
Ensuite, il y a une partie importante de l'agriculture qui rentre plus spécialement dans les attributions des vétérinaires, c'est la zootechnie ou l'art d'élever les animaux domestiques.
Je crois que, sous ce rapport, il serait à désirer que quelques vétérinaires des plus instruits donnassent, dans les communes rurales les plus importantes, des cours qui seraient fréquentés très utilement par les adultes déjà employés dans l'industrie agricole.
Il y a, en second lieu, messieurs, l'enseignement agricole qui se donne dans les écoles normales. Sans doute il n'a pas produit jusqu'ici de grands résultats, mais aucun enseignement quelconque ne pourrait produire des résultats instantanés, alors surtout qu'il ne s'adresse pas directement aux cultivateurs, mais à ceux qui doivent plus tard le communiquer aux cultivateurs. Les résultats doivent donc se faire attendre malheureusement. Le gouvernement a perdu de vue le véritable caractère de cet enseignement ; ainsi j'ai vu qu'on avait annexé à ces écoles normales des exploitations rurales.
Il paraît qu'on a inventé dans les régions gouvernementales une agriculture administrative tellement supérieure à tout ce qui existe dans le pays, qu'on veut absolument la propager ; partout on a donc annexé aux écoles normales des exploitations où l'on apprend aux élevés à cultiver, si je ne me trompe, des ananas, des melons, etc. ; on les initie à tous les détails de la culture maraîchère et de l'agriculture proprement dite. Eh bien, messieurs, je crois que cela est tout à fait contraire à ce que le législateur a pu avoir raisonnablement en vue.
Il ne s'agit pas de faire des instituteurs, des cultivateurs, des jardiniers, car s'ils deviennent cultivateurs, jardiniers, ils seront de mauvais instituteurs, ils négligeront leur école pour leur culture ou leur jardinage ; ce qu'on a voulu c'est que les instituteurs eussent des notions générales sur l'agriculture, qu'ils comprissent l'importance de l'agriculture et en même temps qu'ils eussent des notions vraies et assez étendues, au moins complètes, sur toutes les opérations qui ont lieu dans une ferme ; pourquoi ? Pour qu'ils fassent aimer l'agriculture aux enfants dès leur jeune âge, et qu'ils fassent comprendre à leurs élèves que l'agriculture n'a pas seulement besoin de bras et de forces musculaires, mais qu'elle peut aussi occuper les intelligences. Au moyen de ces notions générales, les instituteurs peuvent remplir un rôle plus important encore, c'est de servir en quelque sorte d'intermédiaires entre la science et les cultivateurs.
Ainsi l'instituteur qui sera depuis quelques années dans une commune aura nécessairement de l'influence sur les cultivateurs, qui seront ses anciens élèves ; il pourra leur donner des conseils utiles, leur indiquer les nouveaux ouvrages qui se publient, les nouvelles découvertes, raisonner avec eux sur l'applicabilité de ces découvertes eu égard aux circonstances locales.
Voilà, messieurs, le véritable caractère de cet enseignement agricole qui doit être donné dans les écoles normales, et je crois qu'on l'a complètement perdu de vue quand on a voulu leur enseigner ici également l'agriculture pratique dans tous ses détails.
Mais, messieurs, croyez-vous qu'en présence du besoin d'instruction qui se manifeste, la liberté soit restée absolument les bras croisés ? Il y a des établissements particuliers, des pensionnats principalement, fréquentés par les jeunes gens de la campagne et où l'on donne un enseignement spécialement destiné aux cultivateurs dans le sens du programme que j'ai eu l'honneur d'indiquer ; cela ne fait que commencer, à. la vérité, mais cela indique que la liberté a aussi compris le besoin d'instruction dont il s'agit ; en outre, je connais des fermiers qui ne veulent à aucun prix envoyer leurs enfants dans les écoles du gouvernement, précisément parce qu'ils ne veulent pas de cet enseignement pratique qu'on vante comme une merveille, mais qui les envoient dans les athénées et collèges où il y a des sections industrielles, pourquoi ? Pour apprendre directement à cultiver ? Evidemment non, mais pour acquérir les connaissances scientifiques qui les mettront à même de raisonner leur culture, de se rendre compte des phénomènes au milieu desquels ils seront obligés de se mouvoir et pour pouvoir lire aussi avec fruit les ouvrages sur l'agriculture.
Maintenant, à côté de cela, vous avez un changement considérable dans les idées des propriétaires. Aujourd'hui, en général, ils ne se bornent plus, comme autrefois, à toucher leurs fermages, se faisant presque gloire d'ignorer où leurs propriétés étaient situées ; ils vont plus loin, ils sentent le besoin de s'associer aux efforts des cultivateurs ; eux aussi tâchent de s'instruire de ce qui se passe dans le monde agricole ; eux aussi tâchent de se tenir au courant des découvertes ; ils les communiquent aux fermiers, ils en raisonnent avec eux ; c'est là une nouvelle source, une source féconde d'instruction agricole, parce qu'elle va droit aux faits.
Nous avons ensuite une foule d'associations qui se forment, toujours en vue du progrès agricole, et la science vient réellement donner la main à la pratique ; nous avons les comices subsidiés par le gouvernement ; nous avons, en outre, d'autres sociétés qui se sont créées spontanément sans l'intervention du gouvernement, et je dirai même qu'en général ce sont celles-là qui ont le plus de vitalité, qui contribuent le plus efficacement aux progrès de l'agriculture. Nous pouvons dire dès lors que le besoin est compris ou du moins qu'on commence à le comprendre.
Maintenant cela est-il suffisant ? Non, sans doute, si nous devions en rester là ; mais, comme je le disais tout à l'heure, un mouvement dans le sens du progrès agite le pays, et ce mouvement produira quelque chose.
Messieurs, je n'ai pas l'honneur de porter le beau titre de libéral, mais j'ai une confiance immense dans la liberté, et en Belgique surtout. Je la crois assez puissante pour réaliser, dans le domaine de l'activité privée, tout ce qui est reconnu réellement utile.
Maintenant veut-on aller plus loin, veut-on que le gouvernement intervienne dans l'enseignement agricole par voie de subsides ou autrement ? Pour ma part, je crois que le gouvernement n'a pas à y intervenir, et que même son intervention ne fera que paralyser les efforts des associations et les efforts individuels ; cependant, dans l'éventualité que la Chambre ne partage pas cette opinion, je prendrai la liberté de présenter quelques observations.
D'abord, je pense que pour l’enseignement pratique aux frais du gouvernement, il n'en sera plus question.
Je voudrais que le gouvernement se pénétrât de cette idée-ci, c'est qu'il lui est absolument impossible de satisfaire à tous les besoins de l'instruction agricole.
Voici ce qui existe pour l'enseignement industriel ; il se donne d'abord dans la section professionnelle des athénées, ensuite dans une foule d'établissements libres calqués sur le même patron. Vous avez ensuite 50 écoles moyennes où l'enseignement est en partie porté vers l'industrie.
Vous avez, en outre, plusieurs pensionnats tout à fait privés, établis spécialement dans le but de donner une instruction industrielle aux élèves ; vous avez encore une trentaine d'autres écoles destinées à l'enseignement professionnel de l'industrie ; en outre, une école d'arts et manufactures à l'université de Gand, et une autre école du même genre à Liége ; vous voyez donc que cet enseignement est organisé sur une bien vaste échelle ; on peut dire sans exagération que le pays possède environ cent établissement où l'enseignement industriel est donné.
Eh bien ! pour l'agriculture les besoins sont bien plus grands. Si vous voulez une iunstruction un peu sérieuse, ne perdez pas de vue que (page 726) cette industrie occupe peut-être les trois quarts de la population, que cette population agricole est disséminée sur tous les points du territoire et qu'il existe plus d'un demi-million d'exploitations rurales en Belgique ; que voulez-vous faire, pour l'amour de Dieu, avec deux ou trois écoles pour faire face à des besoins si grands ? Cela est presque ridicule.
Il faut ici compter avant tout sur les forces du pays. Les besoins sont connus et le pays saura y satisfaire, car le gouvernement est réellement impuissant.
Mais, me dira-t-on, les élèves qui seront formés dans ces quelques établissements, seront les apôtres du progrès ; ils propageront partout les bonnes méthodes, ils transformeront la situation de notre agriculture. Triste illusion ! D'abord, voilà déjà quelques années que ces écoles fonctionnent : je voudrais qu'on m'indiquât un seul progrès qui ait été réalisé par des élèves de ces écoles.
Ensuite, il est à remarquer que certains de ces élèves ne deviendront pas agriculteurs, l'expérience est là pour le prouver ; ils ne trouveront pas à se placer ; d'autres seront employés par l'étranger, car à l'appui du maintien des écoles d'agriculture, on a allégué ce fait que les étrangers se disputent à l'envi nos élèves. Je ne vois pas qu'à l'étranger ces élèves puissent faire progresser l'agriculture belge ; de manière que le nombre des élèves, formés dans les écoles d'agriculture de l'Etat et réellement employés à l'agriculture en Belgique, sera toujours extrêmement restreint.
Maintenant quand ces jeunes gens arriveront dans la ferme de leurs parents, croyez-vous qu'ils voudront y appliquer immédiatement les nouvelles méthodes ? Nullement ; le gouvernement reconnaît lui-même qu'ils auront encore un stage à faire ; eh bien, il s'écoulera encore peut-être bien des années avant qu'ils puissent pratiquer réellement ce qui leur aura été enseigné ; pendant bien des années encore, ils resteront sans influence sur les progrès de l'agriculture.
Maintenant, supposons-les à la tête de fermes ; croyez-vous que tout le monde s'empressera d'imiter ce qu'ils y feront ? Croyez-vous que cela va se communiquer en quelque sorte avec une rapidité électrique à tous les cultivateurs du canton ? II n'en sera rien. Les cultivateurs seront, à leur égard, d'une grande défiance ; les faits sont là ; alors même que le résultat serait bon en apparence, ils diront encore : Il faut voir le revers de la médaille ; il faut voir si cela se solde en boni au bout de l'année.
Il est donc vrai de dire que ces élèves n'auront presque pas d'influence sur les progrès de l'agriculture ; et j'en reviens à la proposition que j'énonçais tout à l'heure, que ce moyen est complètement insuffisant, qu'il sera pour ainsi dire sans efficacité pour accélérer les progrès de l'agriculture.
J'admets ici que les élèves sortant des écoles donnent toujours de bons exemples, mais il arrivera aussi qu'ils iront trop loin dans leurs expérimentations ; et alors, comme je le disais dans le sein de la section centrale, ils ne serviront qu'à renforcer l'empire de la routine.
Ainsi, dans mon opinion, le gouvernement ne doit pas intervenir ; son intervention est impuissante ; mais j'ai confiance dans les forces du pays ; je constate avec plaisir que le besoin de l'instruction agricole se manifeste dans le pays, et la liberté saura y satisfaire.
Si, contrairement à mon opinion, la Chambre engage le gouvernement à intervenir, je l'adjure de se pénétrer de cette idée, qu'il s'agit uniquement de stimuler, d'encourager les efforts des particuliers, de s'associer en quelque sorte à l'action de la liberté.
Messieurs, il me reste à répondre un mot à un argument très fort ou du moins qu'on présente comme tel et qui est tiré de l'existence d'une foule d'établissements agricoles créés par la plupart des gouvernements de l'Europe.
L'honorable rapporteur de la section centrale a inséré dans son rapport une note qu'il appelle sommaire, mais qui est d'une longueur fort raisonnable. Il y a là une longue liste d'établissements existants dans tous les pays de l'Europe, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Russie même.
Cette nomenclature est d'autant plus respectable qu'elle contient une commémoration de vivants et de morts. Ainsi j'ai lu plusieurs fois l'oraison funèbre de l'institut de Versailles, et voilà que je le vois fonctionner encore dans le rapport de la section centrale. Il est possible que l'honorable rapporteur ait ressuscité involontairement quelques autres morts également illustres.
Je ne pense pas qu'il puisse me donner, à cet égard, des assurances bien positives ; car évidemment il n'a pas pu visiter tous les établissements qui se trouvent mentionnés dans son rapport ; il a dû se contenter des renseignements qu'on lui a fournis, et c'est comme cela qu'on est induit à se tromper.
Je ferai remarquer en outre qu'il cite plusieurs établissements qui entrent assez dans mes idées. Ainsi, par exemple, vous avez là des cours qui se donnent aux universités, cela n'est évidemment pas contraire au plan d'enseignement que j'ai eu l'honneur d'indiquer.
Il y a ensuite des cours d'agriculture qui se donnent dans des villes, sauf les localités, je puis admettre cela ; ce n'est pas de la pratique agricole qu'on enseigne, seulement je voudrais qu'au lieu de donner cet enseignement dans les villes on le donnât dans des communes rurales.
Ainsi, la loi sur les écoles primaires a prescrit l'ouverture de cours pour les adultes, c'est une disposition qui pourrait être exécutée de manière à propager spécialement l'instruction agricole dans le sens de ce qui se pratique dans plusieurs pays.
Je ferai les mêmes observations quant aux établissements où l'on donne un enseignement d'application, ce qui encore une fois ne suppose aucunement des fermes modèles ; vous avez encore parmi les établissements cités des fermes expérimentales, et j'ai fait voir que c'est là un enseignement scientifique.
Il y a ensuite une foule d'établissements créés par des associations ou des particuliers, et qui évidemment ne prouvent pas la nécessité de faire intervenir le gouvernement.
Il y aurait donc plusieurs déductions à opérer sur cette liste sommaire passablement longue ; malgré tout cela, je ne me dissimule pas que l'argument a quelque chose d'effrayant au premier abord ; car on dira sans doute qu'il ne faut pas prétendre avoir plus d'esprit que tout le monde ; dans les autres pays les gouvernements créent des fermes modèles, pourquoi la Belgique seule ferait-elle exception ?
Heureusement qu'à côté de l'argument, l'honorable rapporteur a donné une excellente réfutation, je l'en remercie. Voici ce qu'il dit :
« Rien de moins concluant que ces comparaisons et ces exemples au moyen desquels on veut faire régir un pays à l'instar d'un autre. »
Cette réfutation est mieux rédigée que je n'aurais pu le faire. Il me vient très à propos. Cela signifie que les exemples tirés de la France, de l'Allemagne, de la Russie, de la Silésie n'ont pas une très grande valeur comme preuve de la nécessité de faire ici la même chose.
Je sais que ce n'est pas dans ce but-là que l'honorable rapporteur a présenté sa réfutation ; il l'opposait à ceux qui prétendaient qu'il fallait faire comme en Angleterre, laisser tout à la liberté.
Mais si ces exemples ne prouvent rien en faveur de ceux qui veulent faire comme l'Angleterre, ils ne prouvent pas davantage pour ceux qui veulent faire comme la France, l'Allemagne ou la Russie. Je ne vois pas pourquoi, en matière d'agriculture ou en matière d'industrie, nous devrions nous faire Russes, Allemands ou Français plutôt qu'Anglais. Si j'avais à opter, j'aimerais mieux en matière d'agriculture me faire Anglais, mais en définitive j'aime mieux n'être rien du tout que de cesser d'être Belge.
Il y a encore une observation à faire. On nous cite la France dotée par son gouvernement d'établissements d'enseignement agricole, l'Allemagne de même, la Russie encore. Mais est-ce que ces pays sont plus avancés que nous en fait d'agriculture ?
En Angleterre, le gouvernement ne s'en mêle pas, c'est là seulement qu'on prétend que nous avons été devancés en agriculture. Mais, dit-on, l'Angleterre possède des ressources que nous n'avons pas. Est-ce que les écoles d'agriculture vont vous donner ces ressources qu'a l'Angleterre et que vous n'avez pas ?
Il y a, dit-on, encore beaucoup d'améliorations à introduire dans notre agriculture, et il y a des exploitations rurales qui laissent considérablement à désirer, et l'honorable rapporteur de la section centrale entre à cet égard dans une foule de détails. N'en est-il pas ainsi dans les autres pays, même en Angleterre ; mais surtout dans ces pays où les gouvernements se donnent tant de peine pour enseigner l'agriculture pratique ?
On ajoute que, pour la reproduction de nos animaux domestiques nous allons chercher des types dans les pays étrangers. Je l'admets, mais allons-nous dans les pays où il existe des établissements d'enseignement entretenus par le gouvernement ; allons-nous en Allemagne, en France ou en Russie ? Non, nous allons en Angleterre.
Je crois donc qu'il est vrai de dire : Rien de moins concluant que ces exemples au moyen desquels on voudrait faire régir un pays à l'instar d'un autre. Voilà pourquoi je repousse tous ces exemples.
En terminant ces observations, je demanderai à la Chambre pardon d'avoir causé un peu longuement.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. de Bronckart. - Messieurs, je serai très bref, car je sens qu'après deux jours de discussion la Chambre a hâte d'en finir. Je n'abuserai donc pas de la patience de la Chambre. Je ne veux que motiver mon vote en très peu de mots.
Je crois, messieurs, comme beaucoup de mes collègues, qu'un institut central d'agriculture, organisé d'une façon complète, est le seul établissement utile et viable dont nous puissions doter le pays. Pourtant je me rallie franchement au projet du gouvernement, parce que les arguments présentés hier par M. le ministre de l'intérieur, pour prouver la nécessité d'établir deux écoles moyennes à côté de l'institut supérieur m'ont donné l'intime conviction que ces deux écoles moyennes sont vouées à une mort certaine et prématurée. Je suis profondément convaincu, après avoir entendu M. le ministre, que, deux ans après la mise en vigueur de la loi, l'institut central seul restera debout.
Voilà pourquoi, messieurs, je désire voir adopter par la Chambre le projet de loi du gouvernement et voilà pourquoi aussi, je voterai pour l'ajournement proposé par la section centrale. Permettez-moi de m’expliquer, messieurs. Ce n’est point une plaisanterie, et j’ajouterai que ce n’est pas un acte d’imprudence, comme le disait avant-hier l’honorable baron de Steenhault ; je crois, bien au contraire, faire acte d’incontestable prudence.
L'expérience m'a, en effet, démontré, comme elle vous a démontré à tous, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur n'a point assez d'influence dans cette Chambre pour y défendre, avec quelque chance de (page 727) succès, un projet de loi quelconque. Je ne dis pas, veuillez le remarquer, messieurs, que la position faite à M. le ministre de l'intérieur soit méritée ; je constate un fait évident pour tout le monde, et dont le Moniteur, au besoin, donnerait des preuves surabondantes, mais je le répète, je suis bien loin de prétendre que cette position soit méritée. Car, assurément, il n'est point d'homme d'Etat qui travaille autant que M. le ministre de l'intérieur ; il n'en est point qui étudie autant, aussi longuement, aussi consciencieusement, que M. le ministre. Demandez-lui le plus petit renseignement sur la chose la plus chétive du monde, M. le ministre vous répondra toujours que cette affaire fait, en ce moment, l'objet du plus sérieux examen de la part du gouvernement ; que cet examen n'a point encore abouti ; mais qu'il a l'espoir fondé, que sous peu une solution sera donnée qui satisfera tout le monde.
Certes, messieurs, ce sont là des qualités fort estimables et auxquelles je rends, tout le premier, un complet hommage ; mais il faut bien le reconnaître, une véritable fatalité, que je ne puis ni ne veux justifier, s'attache à M. le ministre. Il suffit presque toujours qu'il défende une proposition pour que la Chambre la rejette ; comme il sulfit qu'il la combatte, pour qu'elle soit adoptée.
C'est là ce qui me fait voter l'ajournement ; car je serais très fâché, je le déclare, que le projet de loi sur l'enseignement agricole eût le sort de la loi sur la police sanitaire des animaux et de tant d'autres projets que vous avez rendus à M. le ministre de l'intérieur, amendés, sous-amendés et tellement lacérés que M. le ministre ne pouvait plus y reconnaître ses enfants.
D'ailleurs, messieurs, je ne vois aucun péril dans l'ajournement ; il ne sera point éternel, l'honorable comte de Liedekerke vous a dit, dans l'avant-dernière séance, qu'un ministre ne l'est pas ; et s'il m'était permis de donner un conseil à la Chambre, je lui dirais d'attendre qu'il y ait à la tête du département de l'intérieur, un homme qui lui soit plus sympathique ; je la supplierais de remettre à la session prochaine la discussion du projet qui lui est soumis. Elle pourrait alors l'examiner utilement, tandis qu'à la tournure que prend ce debat, il est aisé de voir que ce projet de loi, comme ses tristes aînés, est venu à une lamentable mutilation, et que nous allons, de nouveau, forger une loi à coups d'amendements, ce qui, à mon sens, est la pire façon de légiférer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je croyais être en présence d'une discussion sérieuse de choses. Je m'attendais à défendre un projet de loi que je crois utile au pays, et que, sans beaucoup de présomption, je pensais pouvoir comprendre aussi bien que l'honorable M. de Bronckart. Mes prévisions, quant à l'honorable membre, ne se vérifient point. C'est un acte d'accusation personnelle qu'il vient de lancer contre moi, en des termes dédaigneux que rien n'autorise de sa part.
L'honorable membre m'accuse d'impuissance à défendre le projet de loi. Je n'ai aucune espèce de prétention à faire prévaloir dans cette enceinte mes propres idées contre le sentiment de la Chambre, moins encore le désir de les imposer au député de Liège, à qui je réponds. Mais je crois avoir fait preuve, dans toutes les occasions où les actes de mon département ont été discutés devant la Chambre, d'un désir consciencieux et sincère d'éclairer toutes les questions qui étaient soumises à votre examen.
L'honorable membre m'impute d'avoir vu repousser la plupart des mesures émanées du ministère de l'intérieur. Je ne sais où l'honorable M. de Bronckart a puisé la preuve de cet accueil défavorable que la Chambre aurait fait aux propositions du gouvernement, défendues par mon organe.
Je sais que j'ai été amené depuis deux ans à défendre dans cette enceinte beaucoup d'aclcs qui ne m'étaient point personnels ; et parmi ces prétendus échecs qui me sont reprochés aujourd'hui, je ne me souviens que d'une loi que la Chambre n'a pas adoptée, et l'on sait dans quelles circonstances, c'est la loi sur la police sanitaire des animaux domestiques, qui a été adoptée une première fois par la Chambre, considérablement amendée par le Sénat, et finalement rejetée par vous.
A l'appui de l'impuissance qu'il vous signale, l'honorable membre dit que des projets de loi qui ont été présentés par le minislrc de l'intérieur ne sortent de cette Chambre qu'avec de nombreux amendements.
Mais je le prie de dire à quelle époque, sous quel ministère, même sous celui qui avait toutes ses sympathies, les lois sont sorties d'ici telles que le ministère les avait présentées, sans aucun amendement ? Je ne pense pas que personne puisse se plaindre de ce que les lois reçoivent ici, par suite de vos discussions, des modifications utiles et de ce qu'elles arrivent ainsi à la perfection relative, autant qu'oeuvre humaine peut y prétendre.
Messieurs, je n'apporte ici aucune autre ambition que celle de remplir avec convenance les devoirs qui m'incombent vis-à-vis du parlement. Je n'ai pas la prétention de faire voter par la Chambre les projets de lois tels qu'ils sont présentés par le gouvernement, j'accepte tous les amendements qui me paraissent compatibles avec l'intérêt qui est en discussion, et j'espère m'acquilter sous ce rapport des obligations qui me sont imposées, je crois les avoir remplies, sinon avec l'intelligence qui m'est refusée par l'honorable membre, du moins avec bonne foi et dévouement.
Quant à l'opinion personnelle de l'honorable M. de Bronckart, il me permettra de n'en pas faire état. J'attache beaucoup de prix à celle de la Chambre, et aussi longtemps qu'elle m'accordera sa confiance, je ferai peu de cas des dédains de M. de Bronckart. Je lui laisse la responsabilité de l'incident qui vient de se passer, et je continuerai à remplir mes fonctions avec liberté, avec indépendance, avec la conscience de mériter l'estime du parlement par mes consciencieux efforts à diriger les aifaires qui me sont confiées.
- Un grand nombre de membres. - Très bien !
M. de Bronckart. - M. le ministre dit assez légèrement à la. Chambre que j'ai lancé contre lui un acte d'accusation ministérielle, lî demande où j'en ai trouvé les éléments. Mais, j'ai eu l'honneur de le dire, je les ai trouvés dans le Moniteur. Lorsque son budget a été discuté, il a été amendé, sous-amendé, lacéré. Du reste, je n'en ai pas fait un grief à M. le ministre. Je crois que c'est là une nécessité de sa position. J'ai au contraire rendu hommage aux qualités estimables qui le distinguent ; j'ai parlé de son aptitude au travail, de son désir d'examiner toutes choses.
Je crois que, comme membre de la Chambre, j'avais le droit de dire ce que j'ai dit. Je crois que j'aurais manqué à ce que je dois à mes commettants si, le pensant, je ne le lui avais pas dit et je compte, à l'avenir, en agir toujours ainsi.
M. Desmaisières. - Après les excellents discours prononcés par les honorables MM. Mascart et de Naeyer, je crois devoir restreindre beaucoup les observations que j'ai à présenter à la Chambre. Mais comme il est plus difficile de restreindre que d'amplifier, je sollicite l'indulgence de mes honorables collègues.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis opposé à l'institution des écoles d'agriculture, telles qu'elles se trouvent organisées actuellement. Déjà, sous le ministère de l'honorable M. de Theux, la députation du conseil provincial de la Flandre orientale, que j'avais l'honneur de présider, a été consultée sur cet objet, et nous avons été unanimes à répondre au gouvernement que, dans notre opinion, du moment qu'il s'agissait d'écoles d'agriculture pratique, nos fermes flamandes étaient non seulement les meilleures, mais même les seules écoles qui fussent possibles.
C'est dans ces fermes que les Anglais et les Français, et d'autres nations encore sont venus étudier l'agriculture, et si tout en admettant que cela est vrai pour les Flandres, qu'effectivement les fermes des Flandres sont les meilleures écoles d'agriculture pratique, on objectait que, dans certaines provinces, il y a des localités, qui ne sont pas assez avancées en agriculture, et que pour celles-là des écoles sont nécessaires, je répondrais que je ne vois pas pourquoi les agriculteurs de ces localités ne viendraient pas, à l'exemple des Anglais et des Français, étudier dans nos fermes des Flandres l'art de la culture.
Evidemment cela leur serait d'autant plus facile, qu'ils n'auraient pas à se transporter aussi loin.
Les résultats obtenus par les douze écoles instituées par le gouvernement sont jugés aujourd'hui, par tout le monde, n'être pas satisfaisants. Le gouvernement le déclare ; il le déclare d'abord en nous proposant de supprimer toutes les écoles et de les remplacer par une école d'agriculture supérieure et par deux écoles moyennes.
Je lis ensuite dans le rapport de la section centrale, à la page 8, que le ministre de l'intérieur, répondant à une question qui lui avait été posée par cette section, s'est exprime ainsi :
« L'enseignement agricole a été organisé, en 1848, à l'école normale de Lierre, et, en 1850, à l'école normale de Nivelles. Cet enseignement est donné, dans chaque établissement, par un professeur aidé d'un jardinier-démonstrateur. Jusqu'ic ils n'ont pas produit des résultats bien satisfaisants. »
Ainsi, après six années d'expérience, le ministre vient avouer, dans le rapport même de la section centrale, que ces écoles n'ont pas produit des résultats bien satisfaisants.
La section centrale va encore plus loin que le ministre, puisqu'elle propose de ne pas accorder au gouvernement l'autorisation qu'il demande d'instituer une école supérieure d'agriculture.
Messieurs, l'agriculture peut se diviser aujourd'hui en deux branches : l'agriculture expérimentale et l'agriculture scientifique. L'agriculture expérimentale est celle à l'aide de laquelle nos cultivateurs flamands sont devenus eu quelque sorte les premiers agriculteurs du monde.
L'agriculture scientifique est celle qui applique les sciences naturelles et mathématiques, les sciences polytechniques à l'art de cultiver et à toutes les parties de l'agriculture. Mais cette dernière branche n'existe que depuis peu de temps. J'avoue cependant qu'elle a fait aujourd'hui assez de progrès pour que nous ne puissions pas nous refuser à l'étudier.
Mais, messieurs, faut-il pour cela une école supérieure d'agriculture ? Peut-on organiser cette école supérieure de manière qu'elle produise de bons résultats ?
Messieurs, la loi de 1835 sur l'enseignement supérieur a imposé au gouvernement l'obligation d'instituer une école des arts et manufactures près de l'université de Gand. Voici ce que dit l'article 2 de cette loi :
« Les facultés des sciences des deux universités sont organisées de manière que la faculté de Gand offre l'instruction nécessaire pour les arts et manufactures, l'architecture civile, les ponts et chaussées ; et la faculté de Liège, pour les arts et manufactures et les mines. »
Eh bien, messieurs, on lit dans le rapport du 19 décembre 1853 sur l’instruction supérieure donnée aux frais de l’Etat, ce qui suit :
« Aux termes de l'arrêté royal du 18 octobre 1838, l’école des arts et (page 728) manufactures de Gand devait embrasser dans son cadre d'instruction tout le système de l'application des sciences aux fabrications spéciales ; mais jusqu'en 1852, cette école n'a eu qu'une existence purement nominale. »
Ainsi, messieurs, quatorze ans après l'arrêté royal d'institution, cette école n'avait qu'une existence purement nominale. Et pourquoi ? Vous allez le savoir. On lit dans le même rapport, à la page 17 :
« Nous avons dit plus haut que l'école des arts et manufactures de Gand n'avait eu jusqu'en 1852 qu'une existence purement nominale. Ceux qui semblaient appelés à en profiter ne la fréquentaient point et la cause de son abandon résidait dans son organisation même. Cette institution ne fonctionnait pas, par le motif que son cadre était trop large et que le cercle d'études qu'elle embrassait convenait à des savants et non à des industriels. »
Messieurs, si l’écolc des arts et manufactures de Gand n'a pas réussi, c’est, vous le voyez, parce qu'on a voulu qu'elle fût peuplée d'élèves qui ne possédaient pas suffisamment les sciences polytechniques, pour pouvoir se livrer à l'application de ces sciences aux arts et manufactures. Prenons garde qu'il en soit de même quant à l'école supérieure d'agriculture que l'on veut instituer.
L'école supérieure du génie civil au contraire, l'école des mines de Liège, l'école militaire d'application ont parfaitement réussi, parce que dans ces institutions ou a soin d'exiger des élèves les connaissances polytechniques nécessaires pour pouvoir suivre avec fruit les cours donnés dans ces écoles.
Je crois donc, messieurs, que si l'on veut un enseignement agricole supérieur, il vaut mieux le donner dans les écoles du génie civil et des mines de Gand et de Liège. Déjà ces écoles donnent l'enseignement de l'application des sciences polytechniques à l'art de construire des routes, de construire des chemins de fer, de construire des canaux, à l'exploitation des mines, à la construction des machines, à la métallurgie, etc. Il me paraît qu'il serait facile, sans grande dépense, d'ajouter à ces cours donnés à l'école du génie civil et à l'école des mines, des cours d'application des sciences polytechniques à l'agriculture. On rendrait ainsi les ingénieurs de l'Etat, tant des ponts et chaussées que des mines, les architectes qui se forment à l'école du génie c ;vil de Gand, capables d'appliquer les sciences à l'agriculture, et comme les ingénieurs qui quittent ces écoles se répandent dans toutes les parties du pays, le gouvernement pourrait les obliger à faire partie des comices agricoles. Ils seraient donc mis en état de propager dans toutes nos campagnes les fruits des études qu'ils auraient faites aux écoles de Gand et de Liège.
Mais quant à la pratique, je le répète de nouveau en terminant, ce n'est que dans les fermes mêmes qu'elle peut s'apprendre. C'est ainsi, messieurs, que les élèves de l'école du génie civil de Gand, et que les élèves de l'école des mines de Liège qui deviennent sous-ingénieurs, ne se forment à la pratique de leur art que lorsqu'ils sont employés, sous la direction de leurs chefs, aux travaux auxquels ils sont destinés.
M. Julliot. - Messieurs, l'honorable M. de Bronchart, député de Liège, vient de diriger une attaque mordante et injuste contre M. le ministre de l'intérieur. Moi aussi je fais souvent de l'opposition aux lois qu'il nous présente, mais à mon avis, si l'honorable député de Liège et moi nous devons renverser le cabinet, il a chance de vivre longtemps. Ce qui ne nous empêchera pas de parler.
Je trouve que l'honorable ministre de l'intérieur répond toujours avec convenance, et cette forme est la mieux accueillie par la Chambre. Il faut à l'honorable M. de Bronckart un ministère de parti ; eh bien, messieurs, quand les ministères de parti arrivent à leur apogée, ils tombent dans l'absolutisme, et alors entre un despote unique ou une collection de petits despotes, le choix devient embarrassant.
Messieurs, un des points les plus favorables de notre situation, c'est que le cabinet qui est au pouvoir n'est pas un ministère de parti.
Cette situation, où chaque député jouit d'une liberté complète, constitue la représentation du pays dans toute sa vérité ; elle ne peut être ailleurs.
Je dis, même, que l'absence de toute pression d'en haut retrempe aussi l'énergie du député pour résister aux exigences non justifiées de ses commettants, alors que des exigences pareilles se produisent.
Sous un ministère pareil, le rejet d'une loi ne porte pas la moindre atteinte au pouvoir.
Le ministère, dégagé de toute pression de parti, est libre dans sa marche.
La Chambre, de son côté, n'éprouve aucune contrainte ; ou discute les lois au point de vue exclusif du pays, et la majorité décide quel est l'intérêt réel du pays.
Rendons-nous donc compte de la situation qu'un long passé a léguée au gouvernement actuel.
Depuis vingt ans les ministres en Belgique ont été obsédés par des sollicitations continuelles, dans cette Chambre comme en dehors de cette Chambre.
Aujourd'hui les idées se transforment, on veut faire retour aux vrais principes sociaux, les seuls qui ont le droit de prévaloir, et le gouvernement se trouve encore forcément enlacé dans tous les liens qui lui ont été imposés par nous et nos prédécesseurs.
Dans cette situation, le rejet des lois n'est pas un échec pour un ministre, ce sont autant de preuves de la transformation des idées, ce que le pays comprend et MM. les ministres eux-mêmes doivent le comprendre ainsi.
Le cabinet doit applaudir, chaque fois que la Chambre l'encourage à ne s'occuper que des grandes questions gouvernementales en laissant tomber tout le reste, parce que la dignité du pouvoir y est éminemment intéressée ; que la confusion dans les idées cesse, et un ministre ne sera plus obligé de mettre la même énergie dans la défense des vers à soie que dans celle des procureurs généraux, dans la défense des graines de jardins que dans celle des projectiles de nos arsenaux militaires, et nous serions en paix avec le bon sens.
M. le ministre de l'intérieur actuel a forcément une foule de mauvaises causes à soutenir, parce qu'il les a trouvées dans l'inventaire de la succession de ses devanciers. Il fut un temps où, aux yeux du public, ces causes étaient les meilleures, et à ce point de vue il n'y a de reproches à faire, ni à l'honorable M. Piercot, ni à l'honorable M. Rogier, ni à l'honorable comte de Theux qui a pris l'initiative dans beaucoup d'interventions. Ces ministres ont montré, tour à tour, qu'ils étaient consciencieux et dévoués à leur pays, et je ne suis pas le dernier à les défendre quand quelqu'un se sent disposé à leur adresser des reproches immérités.
Selon moi, la Chambre mérite bien du pays par les efforts qu'elle fait pour se dégager des liens interventionistes dans lesquels vingt années d'erreurs économiques l'ont enlacée ; car, c'est le triomphe légitime de l'intérêt de tous sur des intérêts individuels illégitimes, toujours cloués d'une puissance presque irrésistible.
L'honorable ministre a dû nous développer plusieurs projets de loi réglementaires et interventionistes qu'il a trouvés dans ses cartons, la Chambre a mutilé les uns et rejeté les autres, parce qu'elle désire faire le contraire de ce qu'on lui propose.
Ces projets nous ont vexés, et par notre opposition continue, dont j'ai pris ma part, le ministre aura trouvé que nous sommes des amis importuns ; je dis amis, car si le cabinet demain en se dégageant de ce qui peut le gêner, posait la question politique, il aurait probablement l'immense majorité de la Chambre pour lui, parce que l'ensemble de sa politique répond le mieux aux vœux du pays. Il ya toujours des mécontents des deux côtés du pays, mais ils sont en petit nombre et impuissants. L'honorable ministre de l'intérieur a dû reconnaître que la Chambre désire décentraliser l'administration et supprimer les règlements inutiles. Que M. le ministre nous présente donc des projets dans cette direction, et ses propositions seront acclamées. Ce sera moins long et plus agréable à tous ; je suis persuadé que l'honorable ministre saura prendre la position que la situation réclame avec instance.
La question pratique de l'enseignement agricole par l'Etat a été trailée par les hommes les plus compétents de la Chambre ; les discours des honorables MM. Mascart et de Naeyer resteront sans réponse, parce qu'à l'impossible nul n'est tenu. Ils ont démontré à l'évidence que les sciences puisées dans nos collèges et nos universités peuvent être appliquées dans les champs, comme les sciences sont appliquées dans les ateliers de l'industrie ; l'Etat n'a pas d'ateliers, la ferme ne lui est pas plus nécessaire.
La proposition de l'honorable comte de Liedekerke serait acceptable, si elle se bornait à un subside en abandonnant le tout à la direction de l'intérêt privé ; mais la nouvelle catégorie de fonctionnaires qu'il nous propose, je la repousse.
Le principe en discussion, le voici :
L'Etat belge doit-il encore cumuler une nouvelle fonction avec toute la légende de fonctions dont il s'est déjà emparé ? Car à l'étranger ou ne demande plus ce que fait le gouvernement belge, on demande ce qu'il ne fait pas, et c'est moins long à énumérer.
Il me reste donc à dire quelques mots sur le côté philosophique de cette question.
On dit que nous sommes des ennemis de l'agriculture, parce que nous ne voulons pas que l'Etat enseigne à faire de l'agriculture ; mais alors nous sommes aussi les ennemis des vêtements, car tous nous nous opposons à ce que l'Etat enseigne à faire des habits.
La comparaison est exacte, car s'il faut manger, il faut aussi se couvrir.
Messieurs, le principe de l'absorption par l'Etat des fonctions sociales décrétées libres par la Constitution est trop dangereux pour notre avenir, pour ne pas le repousser. Il est temps de sortir de ces errements, et je vais le démontrer.
Les Belges d'autrefois se préoccupaient autant de leurs devoirs que de leurs droits, et cet équilibre constituait leur force.
Nous, au contraire, nous sommes forts pour conserver nos droits, mais nous chargeons de nos devoirs la personne civile de l'Etat.
Cette omnipotence de l'Etat est une imitation des peuples qui ne savent pas, comme nous, supporter la liberté. Nous explorons tour à tour le Midi et le Nord pour leur emprunter ce qu'ils ont de factice dans leurs institutions.
Selon moi, nous devons éviter de fondre nos moeurs dans celles des autres peuples, nous avons le plus grand intérêt à rester nous.
A quel motif principal devons-nous la reconnaissance de notre nationalité ?
Tout le monde le sait : à l'incompatibilité dans les mœurs et la religion qui existait entre nous et nos associés du Nord.
Nous ne devons pas plus fondre nos mœurs dans celles du Midi que dans celles du Nord ; le danger est le même.
Quand la Belgique laissera absorber son activité par l'Etat, elle n'aura plus de raison d'être.
(page 729) Un peuple qui a des libertés étendues doit conserver une responsabilité proportionnelle, sous peine de s'affaiblir de jour en jour. Dans l'ordre politique, le rôle de l'Etat est fort restreint ? il faut aussi que, dans l'ordre de l'activité sociale, son rôle, qui s'est démesurément largi, se restreigne.
Sous une charte aussi libre, nos droits individuels sont exorbitants ; il faut que notre propre responsabilité serve de contre-poids pour que la liberté ne dégénère pas en licence. Mais conserver et étendre nos droits en chargeant le pouvoir central de toute la responsabilité avec les désaffections que cette dernière fait naître, c'est rendre le pouvoir odieux et préparer de longue main des agitations politiques.
Selon moi, il faut que les puissances qui garantissent notre neutralité puissent constater toujours que les Belges, par leur besoin de liberté et par leur énergie individuelle, forment une nation qui ne peut être fondue dans aucun autre peuple, sans qu'il en résulte un nouveau divorce qui mettrait de nouveaux protocoles sur le tapis. Voilà ma politique, qui, je pense, nous fortifiera le plus à l'extérieur comme à l'intérieur.
Pour le moment je me verrai donc privé de voter avec le gouvernement, en attendant mieux.
M. Dellafaille. - Messieurs, si après les discours que nous avons entendus dans la séance d'hier et d'aujourd'hui, si après les appréciations du gouvernement et de la section centrale même, il pouvait rester quelque doute sur le mérite de l'enseignement agricole, tel qu'il a été donné en Belgique jusqu'à ce jour, et des résultats que cet enseignement a fait obtenir, si la grande majorité de cette Chambre n'était pas pleinement convaincue de l'inefficacité des moyens employés, je croirais de mon devoir de venir combattre énergiquement et le nouveau projet de loi du gouvernement et les propositions de la section centrale.
Si lec appréciations si justes et si complètes de l'honorable comte de Liedekerke n'avaient pas rencontré de nombreuses sympathies dans cette Chambre, et ne me donnaient l'espoir de voir enfin un système, aussi onéreux pour nos finances qu'il est inutile à l'agriculture, céder enfin le pas à une organisation économique et pouvant donner des résultats avantageux au point de vue de l'application et de la propagation de la science en Belgique, je me serais livré à une analyse doedétail des divers inconvénients qui entachent le système d'enseignement actuel, et que le projet de la section centrale ne fait pas à mon point de vue, le moins du monde, disparaître.
Je m'abstiendrai donc, afin d'abréger autant que possible ce débat, de me livrer à des appréciations que les honorables orateurs qui m'ont précédé ont déjà signalées.
Je ne toucherai pas à tout ce qui a été dit relativement à l'enseignement agricole, proprement dit, et que l'honorable comte de Liedekerke vous a signalé dans ses détails comme dans son ensemble avec une incontestable supériorité de vues. Je regrette seulement qu'il n'ait pas accordé à un point essentiel de l'enseignement toute l'importance qu'il mérite, et c'est à l'emploi des langues que je me permets de faire allusion.
J'insiste d'autant plus sur cette partie de la loi, qui doit régler l’enseignement agricole, que je désire donner mon adhésion, toutefois avec une modification, à l'amendement de l'honorable comte de Liedekerke.
Le projet du gouvernement tout en nous présentant divers établissements d'instruction agricole fondés aux frais et avec le concours de l'Etat, parmi lesquels :
Une école vétérinaire,
Une école d'agriculture du degré supérieur,
Deux écoles d'agriculture du degré inférieur,
Une école d'horticulture, et faculté d'en organiser une seconde,
Enfin une école pour l'apprentissage de la fabrication des instruments aratoires.
Le gouvernement avait complètement omis de prescrire l'enseignement de la langue flamande dans ces établissements, et pourtant quelques-uns de ces établissements auraient été inévitablement établis dans les provinces flamandes, dans ces provinces où cette langue est exclusivement employée par la populalion agricole. C'est là, messieurs, un oubli que je ne puis qualifier d'une manière assez sévère. Que diraient en effet les habitants des provinces où le français est exclusivement employé par les populations agricoles, si on venait leur démontrer la science agricole en langue flamande ? Je sais que la section centrale a voulu faire droit, mais d'une manière tout à fait incomplète, à un semblable déni de justice, en prescrivant l'enseignement de la langue flamande à l'article 2 du projet de loi modifié par elle, comme matière de l’enseignement. Non, messieurs, une semblable modification ne peut suffire, ni faire droit aux justes moiifs de plaintes que les populations flamandes ont fait entendre de tous les points du pays.
Si l’enseignement agricole se donnait dans divers établissements du pays, il serait indispensable autant qu'il est rationnel et juste, de donner l’enseignement agricole en langue flamande, tout entier en langue flamande, dans les provinces flamandes, tout comme de le donner en français dans les provinces où cet idiome est employé par ics cultivateurs.
Mais comme je nourris l'espoir de voir la Chambre se rallier à l'amendement de l'honorable comte de Liedekerke, auquel je me rallie complètement, voici en quel sens je me permets de sous-amender sa proposition, en y ajoutant un article 3 ainsi conçu :
« L'école d'agriculture publiera tous les trois mois un journal en langues flamande et française, où elle rendra compte de ses travaux, des découvertes et applications utiles à l'agriculture et à toutes les branches qui en dépendent.
« Ce journal sera remis à toutes les commissions d'agriculture établies en Belgique, aux écoles normales et aux dépôts de mendicité, qui s'occupent d'agriculture.
« Le journal sera fixé à un prix modéré qui le mettra à la portée des écoles communales et de tous ceux qui exercent l'agriculture. »
Je me permets d'insister d'autant plus sur l'adoption de mon amendement, qu'il me semble mieux compléter un système qui a complètement triomphé en Amérique après des essais et des tâtonnements semblables à ceux que la Belgique vient de faire ; on a compris immédiatement en Amérique, ce pays par excellence d'initiative et de liberté, qu'il fallait réserver les recherches scientifiques agricoles, non à de pauvres agriculteurs, non à ces hommes qui appliquent à la culture de leurs champs tous leurs instants, toutes leurs forces corporelles, mais à des hommes d'étude et de loisir qui fussent à même de se livrer à d'utiles expériences, aux applications de la physique et de la chimie à la science agricole.
Ce sont les fruits de ces recherches, ce sont ces heureux résultats obtenus, que des journaux économiques mettent dans ce pays à la portée de toutes les classes de la population.
Ce même système appliqué en Belgique, où souvent le cultivateur manque d'initiative, mais où il imite et applique avec intelligence ce qui lui paraît utile et avantageux, ce même système, dis-je, sans occasionner une dépense notable au gouvernement, sans arracher à la culture les bras qui lui sont si nécessaires, sans déclasser les citoyens, mettrait toutes les découvertes de la science de tous les pays qui nous environnent à la portée de nos populations agricoles et nous ferait, j'en suis persuadé, obtenir les plus heureux résultats.
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 4 heures et demie.