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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 février 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 713) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Anvers prient la Chambre de statuer sur la pétition du sieur Mertens, concernant un crédit foncier pour le défrichement des bruyères. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Melle prie la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleye et Moucheron la concession d'un chemin de fer direct de Saint-Ghislain à Gand, Eecloo et Terneuzen, et aux sieurs de Haussy et Rosquin celle du chemin de fer de Marchiennc à Jurbise. »

- Même renvoi.


« Par deux pétitions, des fermiers, cultivateurs, engraisseurs et marchands de bestiaux à Ootcghem et Meulebeke demandent que les artistes vétérinaires non diplômés soient admis à continuer leur profession. »

- Même renvoi.


« Le sieur Devuyst, ancien facteur rural pensionné, entrepreneur de dépêches à Alost, demande une augmentation de traitement ou un subside. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dary, médecin vétérinaire à Nivelles, demande que le gouvernement régularise sa position. »

- Même renvoi.


« Le sieur Condrotte, ancien volontaire du premier corps franc luxembourgeois, demande à être décoré de la croix de fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Sacré prie la Chambre de statuer sur sa demandé tendant à ce qu'il soit pris des mesures efficaces pour empêcher la fraude à laquelle donne lieu l'enlèvement temporaire des entrepôts des fils de lin pour être tissés en toiles unies. »

M. Verhaegen. - Cette pétition a un caractère d'urgence. Elle signale une fraude qui se pratique sur une grande échelle pour l'introduction des fils de lin anglais, Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. »

- Cette proposition est adoptée.


« Il est fait hommage à la Chambre, par la direction de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale, de 112 exemplaires du compte rendu des opérations de cette Société pendant l'armée 1851. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi prorogeant la loi sur les étrangers

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Faider). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi tendant à proroger jusqu'au 1er mars 1858 la loi du 22 septembre 1835 concernant les étrangers.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi révisant le tarif des douanes

Rapport de la section centrale

M. Mercier. - J'ai l'honner de présenter à la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la révision du tarif des douanes.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.,

Projet de loi sur les jurys d’examen

Rapport de la section centrale

M. de Decker. - Messieurs, j'ai été chargé de vous présenter un rapport de la section centrale qui est chargée d'examiner le projet de loi qui apporte des modifications à la loi du 15 juillet 1849.

La section centrale a commencé l'examen de ce projet de loi. Mais dans l'impossibilité d'arriver de si tôt a des conclusions positives, la section centrale propose à la Chambre de proroger purement et simplement, pour une année, la loi du 15 juillet 1849. Mais elle reste saisie de l'examen du projet de loi qu'elle est décidée à poursuivre immédiatement.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport et décide qu'elle s'en occupera avant l'examen du projet de loi modifiant le tarif des douanes.

Projet de loi sur l’enseignement agricole

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Rodenbach. - Messieurs, il y a déjà plusieurs années que j'ai combattu les écoles d'agriculture, parce que ces écoles coûtaient au pays énormément d'argent. Dans l'origine on en a organisé jusqu'à douze, mais ce nombre est réduit à huit, et probablement à sept, car il paraît certain qu'il y a quelques jours, professeurs et élèves ont déserté une de ces écoles dans la province deNamur.

Ces divers établissements ont coûté, chiffre rond, à l'Etat, 800,000 fr.

Cette somme représente, par élève diplômé sorti de nos écoles, une moyenne de 8,000 francs. L'honorable comte de Liedekerke vous a fait connaître d'autres chiffres d'où il résulte que dans certaines écoles le gouvernement a dû dépenser par élève 6,000 francs, dans d'autres 8,000 francs et dans une d'elles, celle de Chimai, jusqu'à 16,000 fr.

Je vous le demande, messieurs, le résultat de cette énorme dépense a-t-il répondu à l'attente du pays ? Je ne le crois pas. Je ne pense pas que sur tous les élèves sortis des écoles d'agriculture, il y en ait quatre qui soient à la tête d'exploitations ou qui soient agriculteurs.

Je sais bien qu'ils ont acquis dans ces établissements quelques connaissances en agriculture, mais en définitive c'est aux frais du contribuable. Que sont-ils devenus, ces élèves ? On ne leur confie point de fermes à exploiter ; la plupart d'entre eux sont dénués de fortune, ont étudié gratis à l'aide de bourses ; ils se font solliciteurs, ils aspirent aux emplois publics pour gagner des moyens d'existence, parce que la demi-science agricole qu'ils ont acquise ne leur rapporte rien. Voilà en réalité ce qu'ont produit les écoles d'agriculture ; elles n'ont nullement rempli le voeu du pays, et je crois qu'il est plus que temps de ne plus affecter d'aussi fortes sommes à ce genre d'instruction.

Messieurs, en Angleterre, en Ecosse, en Allemagne, et surtout en Suisse, il y a des institutions ou associations particulières qui se chargent de répandre la science agricole. Moi aussi, je suis partisan de cette science, mais sans empirisme ; je ne veux pas surtout qu'elle soit acquise officiellement avec les deniers du contribuable ; les associations particulières dont je viens de parler ont un grand nombre d'élèves et prospèrent.

Or, l'amendement présenté par l'honorable M. de Liedekerke peut servir à amener un pareil résultat dans notre pays. Qu'une association vienne organiser un institut agronomique où les deux langues soient en usage et vous verrez y affluer les fils de propriétaires ; quant aux fils de (page 714) fermiers, rarement ils fréquenteront les écoles d'agriculture ; nous en avons l'expérience.

Messieurs, nous ne sommes pas dans notre pays aussi arriérés en agriculture qu'on voudrait le faire croire. Je rappellerai un fait : il y a peu d'années, nous avons vu arriver dans ce pays un homme qui passe pour avoir un mérite assez éminent, je veux parler de M. de Fellemberg, qui habite la Suisse et qui possède une des plus grandes institutions agronomiques de l'Europe. Qu'a-t-il fait ? Il est allé dans les Flandres ; il s'est installé, dans les environs de Dixmude, chez l'agronome distingué, M. Degraeve, qui n'a pas été puiser la science agronomique dans des écoles, mais qui l'a étudiée sur le terrain et qui exploite plusieurs centaines d'hectares ; eh bien, c'est là que M. de Fellemberg a étudié la science pratique.

Je voterai pour l'amendement de l'honorable M. de Liedekerke, parce que cet amendement me paraît devoir amener un résultat positif ; il ne coûtera au pays que 44,000 fr. par an. Cette somme pourra être portée annuellement au budget. Que le gouvernement ait un certain contrôle sur l'établissement qui sera créé, je le veux bien, puisqu'il accordera un subside annuel ; mais que cet établissement soit fondé par une association particulière, à l'instar de ce qui se passe dans d'autres pays, et que cette association fasse tous les frais, tant pour l'enseignement que pour le matériel.

Au reste, je dois combattre le projet de loi du gouvernement tout aussi bien que celui de la section centrale. Je le répète, nous marchons annuellement de déficit en déficit, et devons-nous encore augmenter nos embarras financiers en votant chaque année 119,000 fr. pour des écoles qui n'ont produit jusqu'ici aucun résultat satisfaisant ?

Pour tous ces motifs je voterai contre le projet de loi du gouvernement et contre celui de la section centrale ; et j'appuierai de tout mon pouvoir l'amendement de l'honorable M. de Liedekerke qui se borne à demander annuellement 44,000 fr. ; cela est plus que suffisant.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, la nécessité d'un enseignement agricole n'est contestée par personne dans la discussion du projet qui vous est soumis. On varie seulement sur le mode d'après lequel l'enseignement doit être donné aux populations agricoles. Les uns ne veulent pas du tout de l'intervention du gouvernement, les autres veulent que cette intervention soit limitée ; et l'honorable comte de Liedekerke, par l'amendement qu'il a proposé, ne veut qu'un institut supérieur.

La section centrale, au contraire, propose d'écarter du projet du gouvernement l'école supérieure et de se borner aux écoles d'un ordre inférieur.

La discussion démontrera bientôt de quel côté est la vérité, quelles sont les nécessités qu'il faut rencontrer dans un enseignement de cette nature.

Un mot d'abord à ceux qui ne veulent pas de l'intervention du gouvernement en cette matière. Je pourrais me borner à les renvoyer à la discussion qui a eu lieu dans cette Chambre même sur l'utilité de l’enseignement agricole et sur la nécessité de faire donner cet enseignement par l'Etat.

C'est ainsi qu'en 1843, lors de la discussion du budget le gouvernement fut accusé d'indifférence à l'égard des populations agricoles, parce qu'il laissait nos campagnes sans enseignement ; et il fut sommé de présenter au plus tôt un projet qui réalisât pour elles ce bienfait. En 1846, l'honorable M. de Theux présenta son système ; il instituait, pour l'enseignement agricole, comme le projet que le gouvernement vous propose un institut central supérieur, et pour l'enseignement secondaire une école par province.

Des événements politiques ne permirent pas à la Chambre de discuter immédiatement ce projet. Bientôt une nouvelle administration survint, et celle-ci présumant que le temps n'était pas venu de présenter un système d'enseignement agricole définitif, proposa de procéder par voie d'essai. L'honorable M. Rogier fit connaître qu'il avait l'intention d'organiser sur divers points du pays un enseignement agricole reposant sur les besoins de la contrée où il serait établi.

Ce système fut goûté ; un crédit fut voté par la Chambre pour le mettre en pratique. Au budget de 1849 ce crédit prit sa place, et immédiatement après des conventions furent conclues entre le gouvernement et différentes villes du royaume pour l'établissement d'écoles moyennes agricoles ; ensuite des conventions analogues furent faites avec des particuliers pour organiser la partie pratique de l'enseignement, c'est-à dire l'exploitation proprement dite.

Plusieurs conventions lient le gouvernement pour douze ans ; les essais commencés en 1849 se poursuivent ; il s'agit de savoir s'ils sont suffisants et quel système définitif il convient de substituer au provisoire.

Vous avez entendu l'honorable comte de Liedekerke faire la critique du système d'enseignement introduit en 1849 ; il a présenté des calculs, desquels il résulterait, d'une part, que ces écoles ont occasionné des sacrifices considérables et que les résultats, au point de vue de l'instruction pratique, ont été à peu près nuls.

C'est pour prévenir l'opinion erronée qu'on pourrait se former d'après les calculs qui ont été produits que je crois devoir immédiatement soumettre à la Chambre des rectifications qui feront justice de toutes les appréciations défavorables présentées par l'honorable comte de Liedekerke pour éloigner la Chambre du système proposé dans le projet de loi.

La première objection qu'a présentée l'honorable comte de Liedekerke consiste en ce que le résultat des essais faits jusqu'à présent serait trop onéreux au trésor. L'honorable membre estime la dépense occasionnée jusqu'à présent, pendant six années, pour les écoles d'agriculture à 700,000 francs environ. C'est aussi le chiffre indiqué par la section centrale, mais pour une durée de sept années.

Messieurs, ce chiffre n'est pas exact.

D'abord, il ne faut pas opérer, comme on l'a fait hier, sur six écoles d'agriculture seulement, pour en faire ressortir que ces six écoles ont coûté, par élève diplôme, une somme véritablement exorbitante. Il faut prendre l'ensemble des écoles d'agriculture qui se sont élevées jusqu'à douze, et qui, toutes ensemble, ont occasionné jusqu'à présent, y compris l'exercice 1854, une dépense de 612,000 francs.

C'est en prenant pour base la somme de 700,000 fr. et d'autre part le nombre d'élèves diplômés sortis des six écoles d'agriculture et que l'honorable comte de Liedekerke évalue à 39, qu'il est arrivé à cette conséquence qu'à l'école de Chimai, par exemple, chaque élève diplômé aurait coûté la somme de 16,800 francs ; à Leuze, 8,600 francs, et ainsi des autres.

Messieurs, il est nécessaire, pour éclairer la Chambre sur les résultats obtenus, de rectifier ces calculs.

Ainsi que je l'ai tout à l'heure énoncé, la dépense générale des douze écoles d'agriculture s'est élevée à 612,000 francs.

Ensuite il ne faut pas tenir compte seulement des élèves diplômés qui sont sortis de nos écoles, mais de tous ceux qui ont été admis à ces écoles. Or, messieurs, le chiffre des élèves admis aux douze écoles d'agriculture depuis 1849, s'élève à 1,421.

M. Coomans. - Il en est qui sont restés 15 jours à l'école.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il en est qui sont restés je ne sais combien de temps ; mais le chiffre des admissions s'est élevé à 1,421, et il ne faut pas supposer que les fermiers, que les propriétaires envoient leurs enfants à l'école pour y passer une quinzaine de jours. Cela peut être une rare exception ; mais personne ne croira que c'est la règle.

La moyenne des élèves admis dans nos écoles moyennes d'agriculture, qui sont au nombre de six, a été de 25 élèves par année et par école.

Dans les écoles pratiques, la moyenne a été de 20 élèves. Dans les écoles d'horticulture (nous en avons deux), la moyenne a été de 24 élèves.

A l'école mécanique des instruments aratoires, la moyenne a été de 18 élèves.

Enfin à l'école ou pensionnat d'Oostacker, la moyenne a été de 26 élèves.

L'absence d'un plus grand nombre d'élèves diplômes s'explique facilement.

La généralité des élèves admis dans les écoles d'agriculture ne se destinent pas précisément à occuper des postes officiels, soit dans l'enseignement, soit dans une autre position où le diplôme est requis. Mais une grande partie des élèves, fils de propriétaires, fils de fermiers, sont envoyés à l'école uniquement pour acquérir les notions qui leur sont nécessaires pour diriger chez eux de grandes exploitations. Ceux-là, on le conçoit, peuvent se passer, dans la plupart des circonstances, d'un diplôme officiel. Les examens d'ailleurs sont libres. Ne prend de diplôme que celui qui croit en avoir besoin pour retirer de ce diplôme un avantage quelconque.

Je citerai un exemple qui prouve que l'on peut parfaitement bien, sans diplôme, recevoir, de l’enseignement qui se donne dans nos écoles, une instruction telle que l'on se trouve appelé à occuper une position honorable. Un de nos élèves non diplômés a été placé en Portugal à la tête d'une vaste exploitation. Plusieurs sont placés avantageusement en Belgique.

L'honorable comte de Liedekerke a cité le nombre des élèves diplômés ; il a énoncé qu'il s'en était trouvé 39. Mais il n'a opéré que sur six écoles d'agriculture. Or, quand on veut apprécier l'ensemble des résultats produits par nos écoles, il faut les prendre toutes, et en faisant cette opération, les documents officiels publiés avec le projet de loi démontrent que dans les douze écoles du gouvernement, il y a eu, pendant les six ans, 121 élèves diplômés et non 39.

Ainsi, messieurs, ce n'est pas le chiffre de 612,000 fr. qu'il faut prendre pour base de l'appréciation de la dépense que chaque élève diplômé a causée, mais le chiffre dépensé pour six écoles d'agriculture seulement, soit 319,000 fr. Le restant de la dépense a été consacré aux autres écoles horticoles, mécaniques, etc.

Dans les écoles pratiques, comme celles de Rollé, d'Ostin, voici quels ont été les résultats relativement au nombre des élèves qui en sont sortis. Nous avons eu dans ces écoles 25 élèves diplômés, et ces 25 élèves ont coûté, si l'on calcule toute la dépense que ces écoles ont occasionnée, une somme de 107,000 fr., mais non compris les élèves admis à l'école et qui n'ont pas demandé de diplômes.

(page 715) Le nombre des élèves diplômés sortis des écoles d'horticulture est de 49. A l'école de Haine-Saint-Pierre, où l'on s'occupe des instruments perfectionnnés, il n'y a eu que 8 élèves diplômés. Ce chiffre est moindre que dans les autres écoles, parce que l'école de Haine-Saint-Pierre n'existe que depuis peu de temps et que l'on n'y admet au maximum que 18 élèves. Les nécessités de l'enseignement pratique à Haine-Saint-Pierre ne permettent pas de dépasser ce chiffre.

Messieurs, pour bien apprécier ce qu'ont coûté nos écoles d'agriculture, il serait juste de calculer les frais de premier établissement et de défalquer cette somme du chiffre total.

La dépense normale de l'enseignement est en effet indépendante des frais dont il s'agit, et qui se répartissent sur un grand nombre d'exercices.

Ces frais se sont élevés à environ 100,000 fr. pour nos 12 écoles.

Reste une somme de 512,000 francs dont il faut tenir compte pour apprécier ce qu'ont pu coûter pendant six années 12 écoles et non pas 6 ; ce qu'ont pu coûter 121 élèves diplômés et non pas 39 ?

Vous le voyiez, sous ce rapport, il y a une très grande différence entre les calculs que l'honorable comte de Liedekerke a présentés et les résultats réels que constatent les documents officiels. Il résulte de la rectification que j'ai puisée à des sources certaines, que chaque élève diplomé, sorti de nos écoles en prenant le chiffre de 121 comme la réalité, aurait coûté, non la somme indiquée par l'honorable comte, mais une somme d'environ 5,000 francs. J'ajouterai que pour apprécier les bienfaits que répandent les écoles d'agriculture, il faut se souvenir qu'il y a eu 1,400 élèves admis qui ont fréquenté pendant un temps plus ou moins long nos écoles. Répartissez la dépense générale sur un nombre d'élèves tel que celui que je viens d'indiquer, et au lieu d'obtenir une dépense de 5,000 francs environ par élève, vous arrivez à des résultats infiniment moindres.

On se demandera peut-être comment il se fait que nos 12 écoles d'agriculture n'ont produit jusqu'à présent que 121 élèves diplômés. La raison en est simple. Ces écoles ne sont établies que depuis peu de temps. Il faut trois années d'études complètes pour pouvoir se présenter à l'examen.

Ensuite, parmi ceux qui fréquentent les cours il en est, je le répète, qui ne se destinent pas à occuper dans le monde une position officielle pour laquelle un diplôme est requis ; et dans nos écoles moyennes, au nombre de six, on remarque principalement des fils de fermiers, des fils de propriétaires qui ne se destinent pas à faire de la carrière agricole une profession, mais qui se destinent à se placer, comme directeurs ou comme propriétaires à la tête d'établissements agricoles.

On a fait une autre objection pour jeter la défaveur sur le système pratiqué jusqu'à présent par le gouvernement. Vos écoles, a-t-on dit, ne produisent que des résultats insignifiants ; ceux que vous voulez y appeler n'y viennent même pas. Les fils de propriétaires, les fils de fermiers en sont absents. Ce sont des élèves que vous recrutez à grands frais et que vous n'obtenez qu'à force de bourses. Voilà le seul élément dont se peuplent vos écoles.

C'est encore là une appréciation erronée. Les renseignements qui ont été donnés à l'honorable comte de Liedekerke manquent, sous ce rapport, complètement d'exactitude.

La vérité, messieurs, constatée par des documents officiels, c'est qu'en 1853 et 1854, il y a eu dans les écoles moyennes d'agriculture 72 élèves sur 100 dont les parents sont ou cultivateurs ou propriétaires. Cette proportion est même de 74 p. c. si l'on compte à la fois les élèves des écoles moyennes et les élèves des écoles inférieures.

Vous le voyez donc bien, messieurs, les populations rurales ont compris parfaitement l'avantage qu'on peut retirer d'un enseignement agricole proportionné aux besoins divers qui existent dans le pays.

On a dit que les écoles d'agriculture n'obtiennent des élèves qu'à force de bourses ; cela n'est pas plus exact que l'assertion à laquelle je viens de répondre. La proportion entre les élèves boursiers et les autres n'a pas dépassé le taux de 41 p. c.

Cela prouve que l'utilité de l'enseignement agricole commence à être comprise dans les campagnes, puisque les familles qui en ont les moyens, s'imposent des sacrifices et ne font appel à l'Etat que dans des limites excessivement modérées.

Maintenant, voulez-vous savoir ce que c'est que ces bourses qu'on accorde aux élèves des écoles d'agriculture ? Elles sont excessivement modestes : les unes sont de 100 fr., les autres de 200 fr., les plus élevées sont de 500 fr.

Voilà, messieurs, à quoi se réduisent les avantages que l'Etat accorde à ceux qui ne peuvent pas, par eux-mêmes,aborder l'enseignement agricole,

En tout on a employé pour cet objet 8,500 fr. par année. Peut-on dire que cette somme est exagérée, et que l'Etat n'obtient des élèves qu'à force de distribuer des bourses ?

Voulez-vous connaître, messieurs, ce qu'on pensait en 1846 de la nécessité d'affecter des bourses à l'enseignement agricole ? L'honorable ministre de l'intérieur de cette époque, en présentant le projet de loi qui créait un institut supérieur d'agriculture, déclarait dans l'exposé des motifs qu'il fallait un subside annuel de 10,000 fr. à distribuer en bourses affectées au seul institut central ; et il en donnait une excellente raison : il disait que c'était une erreur grave de croire que nos campagnes sont suffisamment éclairées pour suivre les progrès de la science agricole.

L'honorable comte de Theux déclarait sans détour qu'il fallait porter la vie dans les campagnes, en leur donnant l'instruction qui leur manque, que les campagnes manquaient surtout d'initiative et que cette initiative devait leur venir par les soins du gouvernement, dans de justes limites. C'est pour cela qu'il proposait une allocation à titre de bourses pour les enfants qui fréquenteraient l'institut supérieur.

Messieurs, je pense avoir fait apprécier d'une manière exacte par la Chambre les observations critiques qui ont été soumises hier à son examen par l'honorable comte de Liedekerke. Il me reste maintenant à dire quelques mots sur le système auquel l'honorable membre donne la préférence par son amendement.

Messieurs, ce qui soulève dans cette Chambre le plus d'objections contre le système que le gouvernement propose en matière d'enseignement agricole, c'est l'intervention de l'Etat ; car je ne puis pas croire qu'il se rencontre dans cette enceinte un seul homme, non seulement qui serait adversaire de l’enseignement agricole, mais qui ne serait pas d'avis que cet enseignement doit être à la fois pratique et théorique.

J'insiste sur cette dernière observation. Si on le contestait, je n'aurais pas de peine à démontrer par des documents irrécusables qu'à toutes les époques la Chambre a été d'avis que tel devait être le caractère de l'enseignement agricole.

Maintenant que faut-il faire pour réaliser la pensée qui a présidé aux discussions de la Chambre à d'autres époques ? En 1846 notamment ?

Selon le gouvernement, le système provisoire a assez duré. Je sais que la section centrale, qui paraît ne pas avoir encore tous ses apaisements sur la bonté du système proposé par le gouvernement, soumet à la Chambre l'avis qu'il y aurait lieu de continuer le provisoire. Messieurs, je dois déclarer franchement que ce système ne peut conduire à rien de bon ; que le provisoire a assez duré et que, sous peine de tuer l'enseignement agricole, il faut en sortir. J'aime beaucoup mieux qu'on déclare une bonne fois qu'on ne veut plus d'enseignement agricole que de le voir remettre en question tous les ans, et de voir détruire ainsi toute l'autorité morale de cet enseignement et les avantages que nous en attendons.

Ainsi, messieurs, examinons une bonne fois ce qu'il faut proposer à titre définitif.

Selon le gouvernement, il faut deux genres d'écoles parce qu'il y a deux espèces d'intérêts qu'il faut rencontrer : il y a l'intérêt de la grande culture, représenté par les propriétaires et par les fermiers ; il y a l'intérêt de la petite culture, disséminé dans tout le pays et qu'on ne peut pas non plus laisser sans instruction.

Pour les enfants des propriétaires, pour les enfants des fermiers, il faut les préparer à se mettre à la tête de leurs propres établissements, de diriger leurs cultures dans la voie du progrès, d'inspirer autour d'eux toutes les améliorations soit qu'elles viennent de l'étranger, soit qu'elles surgissent dans le pays.

Il faut les habituer à connaître tous les secrets d'une exploitation agricole aussi bien dans ses détails matériels que sous le rapport de l'administration, sous le rapport de la comptabilité. Ces représentants de la grande culture ne peuvent pas se passer, je le sais, d'une certaine instruction pratique qui doit être jointe à la théorie, mais il est évident que cette catégorie de propriétaires n'est pas obligée (et elle ne le ferait pas), de se livrer par eux-mêmes aux travaux qui incombent aux petits cultivateurs qui exploitent par eux-mêmes.

Il faut donc, si vous voulez que les enfants des propriétaires et des fermiers viennent à vos écoles, leur donner un enseignement qui soit suffisant au point de vue de la science et qui, au point de vue pratique, leur donne les notions les plus indispensables.

Eh bien, messieurs, cet enseignement, le gouvernement le trouve dans l'école supérieure qu'il vous propose d'organiser, et cet enseignement n'est autre chose, avec certaines améliorations, que le régime existant depuis quelques années, dans quelques-unes de nos écoles, et dont j'ai démontré que la base était bonne.

A cette école supérieure, messieurs, il faut certainement attacher une exploitation, et tout à l'heure on verra que le gouvernement n'est pas si éloigné qu'on le pense d'abandonner cette intervention dans les affaires qui ne le concernent pas. 3

En deuxième lieu, messieurs, le gouvernement, se préoccupant des besoins des petits cultivateurs et des petits propriétaires qui exploitent par eux-mêmes et pour eux-mêmes, croit qu'il faut établir dans le pays deux écoles du degré inférieur ; deux écoles lui paraissent suffisantes, et leur nécessité se fonde sur l'expérience acquise et sur la situation môme de nos contrées agricoles.

Il y a, en effet, en Belgique trois grandes masses de terrains qui représentent assez bien les intérêts auxquels répondent les trois écoles (page 716) dont je viens de parler ; il y a le terrain du centre qu'on appelle le « limon hesbayen » et qui est occupé en grande partie par ce que j'appelle la grande culture. A ce besoin répondra l'enseignement supérieur.

Il y a en second lieu les terrains sablonneux des Flandres et de la Campine. Il y a enfin la contrée ardennaise.

Les deux écoles du degré inférieur répondront aux besoins de la culture dans ces deux dernières catégories de terrains.

La section centrale, messieurs, n'admet pas l'institut supérieur, et je n'hésite pas à dire qu'elle laisse, sous ce rapport, une lacune considérable. Si vous supprimez l'institut supérieur, il est évident que vous enlevez à la grande culture le moyen d'instruction dont elle a besoin. En effet, on se plaint généralement que l'agriculture ne reçoit pas l'impulsion que les grands capitaux peuvent seuls lui donner ; cela est vrai, messieurs ; notre pays, sous ce rapport, est un peu arriéré ; il n'est pas à comparer à l'Angleterre où les capitaux abondent, où les grands propriétaires s'empressent de réaliser en agriculture toutes les améliorations que la science indique.

Mais là, messieurs, les grands propriétaires ont à côté d'eux, soit dans leur famille, soit parmi leurs fermiers, des hommes capables de les seconder et d'appliquer utilement les capitaux qu'ils veulent consacrer aux améliorations agricoles.

En Belgique, il n'en est pas ainsi ; en Belgique, les grands propriétaires, les fermiers ne possèdent pas les moyens d'acquérir l'instruction qui leur manque. C'est à cette catégorie de personnes que l'institut supérieur serait destiné, et du moment qu'elles seraient assurées d'y rencontrer de bonnes conditions d'études appropriées à leur position, elles n'hésiteraient pas à venir y puiser les connaissances nécessaires pour introduire dans l'agriculture toutes les améliorations possibles.

Au contraire, supposez que cette instruction disparaisse au degré supérieur, à l'instant vous tarissez la source de ces grandes améliorations que vous demandez à l'agriculture.

Il s'agit maintenant de s'entendre sur le système d'intervention du gouvernement et de rechercher comment il convient de réaliser le mode d'exploitation rurale indispensable pour compréter les écoles théoriques d'agriculture.

D'après le projet de loi, voici le système auquel le gouvernement s'est arrêté ; il demande à la Chambre de l'autoriser à exploiter par lui-même toutes les fois que cela lui semblera nécessaire, ou bien à traiter avec des propriétaires, pour que ceux-ci se chargent de la partie pratique de l'exploitation.

C'est ce système facultatif que le gouvernement a suivi dans l'école de Rollé ; le gouvernement exploite pour son compte ; il a loué une ferme considérable, il a acheté du matériel ; tous les travaux se font pour le compte de l'Etat. Dans d'autres écoles, le gouvernement a traité avec des propriétaires qui se chargent de tout ce qui est relatif à l'exploitation.

Les deux systèmes sont bons, et je n'hésite pas à dire que je donnerais la préférence au second, si ce système était toujours praticable.

Mais, ainsi que l'expérience l'a démontré, très souvent le gouvernement vient se heurter à des difficultés pratiques qui rendent le concours de l'exploitation agricole, sinon impossible, du moins fort difficile dans ses rapports avec l'élément scientifique.

Il est fort difficile, en effet, de trouver des propriétaires qui consentent à traiter avec le gouvernement pour se placer sous le régime d'une exploitation qui n'est pas entièrement libre dans leurs mains ; il faut bien que le propriétaire se soumette à certaines obligations sous le rapport de l'enseignement que le gouvernement doit donner sur le terrain même des expériences qu'il doit entreprendre.

Mais en supposant qu'on ait trouvé un propriétaire dispose à traiter avec le gouvernement, il est arrivé très fréquemment que des difficultés survenues dans l'exécution des obligations imposées au propriétaire sont venues troubler toute l'économie des conventions et ont rendu dans certaines circonstances la tâche du gouvernement fort difficile. C'est pour éviter ces conflits que le gouvernement demande la faculté d'adopter l'un ou l'autre des deux systèmes.

Cependant, je reconnais que dans cette Chambre les opinions deviennent tous les jours plus hostiles au système d'intervention de l'Etat dans les affaires que l'on s'accorde généralement à regarder comme pouvant être traitées par les particuliers, et quelque nécessité qu'il y ait à subir sous ce rapport dans bien des circonstances, chaque jour le système d'intervention directe du gouvernement perd du terrain.

Cependant on devrait se rappeler qu'à une autre époque ce système a eu dans la Chambre des partisans très prononcés, et que notamment quand il s'est agi de donner à notre industrie languissante, les encouragements qui lui étaient devenus indispensables, on n'a pas manqué de faire un appel non seulement au système des subsides, mais à l'intervention directe du gouvernement pour venir en aide à nos ateliers en souffrance.

Je ne veux pas dire que ce soient des exemples dont il ne faille jamais s'écarter, mais je les cite pour engager ceux qui critiquent parfois d'une manière trop sévère l'intervention du gouvernement dans les choses utiles ; pour les engager, dis-je, à faire état des difficultés que le gouvernement rencontre partout sur sa route, des obstacles qu'il faut vaincre, ici pour relever une industrie, là pour empêcher une autre industrie de mourir, en un mot pour mettre toutes nos industries en état de lutter avec l'étranger.

Maïs j'admets qu'il soit possible de trouver un système qui permette au gouvernement de se borner à une intervention indirecte dans l'exploitation agricole ; j'admets qu'on rencontre un propriétaire disposé à traiter avec le gouvernement de telle manière que tous les besoins pratiques de l'enseignement agricole pourront être satisfaits. Le gouvernement ne se refuse pas à faire des tentatives nouvelles, et à entrer dans cette voie, si, dans l'opinion de la Chambre, c'est un moyen à la fois de simplifier les rouages administratifs, de concilier les opinions et de donner à l’enseignement agricole une consolidation qu'il attend depuis longtemps. Seulement je ferai remarquer que l'amendement de l'honorable M. de Liedekerke ne conduit pas tout à fait au résultat que je viens d'indiquer. Selon moi, le gouvernement, dans l'organisation de l'enseignement, ne doit pas se dessaisir de la partie scientifique de cet enseignement ; tout ce qui appartient à l'instruction proprement dite, le gouvernement doit le faire par lui-même, il doit organiser l'école, nommer et diriger le personnel sans l'intervention de qui que ce soit.

Cela n'est pas seulement une nécessité gouvernementale, c'est même une nécessité constitutionnelle. La Constitution veut en effet que l'instruction publique payée par l'Etat soit réglée par la loi et dirigée par l'Etat. Il n'est donc pas possible d'admettre dans l'organisation d'une partie quelconque de l'instruction publique l'intervention d'un tiers sans porter atteinte à un principe constitutionnel et sans compromettre dans l'avenir, peut-être, toutes les parties de l'instruction publique.

L'Etat doit être seul chargé d'organiser l'instruction proprement dite ; quant à l'exploitation, il peut s'en remettre à des conventions à faire avec des tiers ; mais l'amendement de l’honorable M. de Liedekerke n'est pas, dans ses termes, en harmonie avec les idées que je viens d'exprimer. En effet, l'article premier de cet amendement porte :

« Le gouvernement est autorisé à traiter avec une ou plusieurs personnes associées pour l'établissement d'une école d'agriculture du degré supérieur, en assurant une allocation fixe par année. Cette somme sera affectée au traitement du personnel administratif et enseignant, à la location des bâtiments de pensionnat et à l'amortissement des dépenses du premier établissement.

« La ferme-école aura une étendue de cent hectares au moins.

« Les arrangements conclus en vertu du présent article n'auront d'effet qu'après l'approbation des Chambres. »

Messieurs, l'amendement, par la généralité de ses termes, semble autoriser le gouvernement à traiter avec des associations ou des particuliers pour tout ce qui appartient à l'enseignement en général.

Je sais bien que, dans les développements donnés à l'appui de son amendement, l'honorable membre a restreint les effets de la proposition qu'il présente en ce sens que l'exploitation seule devrait être abandonnée exclusivement à un tiers, et que le gouvernement créerait, nommerait son personnel. Mais, messieurs, si c'est là le but que l'honorable comte a eu en vue, s'il se borne à séparer d'une manière bien nette l'exploitation de l'enseignement, il n'était pas besoin pour cela de présenter un amendement, car c'est le système de la section centrale, sauf qu'elle n'admet pas l'institut supérieur, qu'elle se borne à deux écoles secondaires. Quant au système d'organisation de l'enseignement et de l'exploitation que la section centrale propose, il est le même que celui que M. de Liedekerke a développé dans les considérations qu'il a présentées à l'appui de son amendement.

En ce qui concerne le gouvernement, et pour arriver à un rapprochement entre les partisans de l'enseignement agricole et ceux qui ne veulent que d'une intervention limitée de l'Etat, je donnerais volontiers mon adhésion à une organisation d'après laquelle l'Etat serait chargé d'organiser l'enseignement théorique et traiterait avec des tiers pour l'enseignement pratique.

Messieurs, je pense que, pour le moment, j'ai accompli ma tâche, d'une part en démontrant que les essais auxquels le gouvernement s'était livré n'avaient pas été aussi infructueux qu'on l'a prétendu, d'autre part en justifiant que ces essais n'avaient pas été aussi onéreux pour le trésor public qu'on l'a dit.

Je crois également avoir établi, à l'appui du système du projet, que l'enseignement doit être donné à deux degrés ; que, sous ce rapport, le projet du gouvernement répond à tous les intérêts qu'il s'agit de rencontrer dans l'enseignement agricole Quant au mode d'exécution, je ne fais pas de difficulté de séparer d'une manière complète la partie scientifique de la partie théorique, et de borner pour l'Etat l'intervention dans l'organisation de l’enseignement théorique du point de vue de la science, laissant le surplus à l'intervention des particuliers ou des sociétés avec lesquelles le gouvernement pourra s'entendre.

J'attendrai, pour entrer plus avant dans les détails du projet du gouvernement, que la discussion des, articles nous y amène.

M. Thibaut. - Messieurs, je ne me constituerai pas juge entre les calculs produits à la séance d'hier par mon honorable ami, M. le comte de Liedekerke, et ceux présentés à la séance d'aujourd'hui par M. le ministre de l'intérieur, pour évaluer d'une manière plus ou moins approximative le mérite des écoles agricoles fondées par M. Rogier.

Je ne prends dans cette partie du discours prononcé par M. le ministre de l'intérieur que cette déclaration, à savoir, que des douze (page 717) écoles qui ont existé pendant 7 ans il est sorti 121 élèves diplômés, c'est-à-dire 10 élèves par école et que chacun de ces élèves a coûté 5,000 fr., pour reconnaître qu'à mon sens, M. le ministre a bien fait de déclarer qu'il fallait à tout prix sortir du provisoire et de l'ordre de choses établi.

Il faut donc sortir du provisoire. La section centrale a cependant proposé un ajournement. Si j'ai bien compris le sens du rapport, le motif principal sur lequel elle se fonde est tiré de l'existence de divers contrats qui lient le gouvernement pour un certain nombre d'années encore quant à quelques écoles.

Ces écoles sont au nombre de quatre : Ostin, Rollé, la Trapperie et Thourout.

Je ne pense pas que cette circonstance puisse faire obstacle à ce que la Chambre s'occupe dès maintenant de l'organisation de l'enseignement agricole.

Si les renseignements qui sont parvenus à l'un de mes honorables collègues de la province de Namur sont exacts, la question pour Ostin serait facile à résoudre, car il paraît que là aujourd'hui professeurs et élèves n'existent plus que sur le papier. Quant à l'école de Rollé, si sa suppression est reconnue nécessaire, le propriétaire de ce domaine s'empressera, je n'en doute pas, à consentir à la résiliation pure et simple du contrat qui le lie au gouvernement. Resteraient les écoles de Thourout et de la Trapperie sur lesquelles je ne suis pas renseigné.

Quoi qu'il en soit, je ne verrais pas grand inconvénient à maintenir ces écoles pendant le temps que les contrats ont encore à courir.

Nous sommes donc en présence de trois systèmes, le système du gouvernement qui propose une école supérieure et deux écoles moyennes ; le système de la section centrale qui propose deux écoles d'agriculture moyenne ; ce dernier mot même disparaîtrait, puisqu'il n'y aurait plus d'école supéiieure. Et, dans mon opinion, le programme de ces écoles que propose la section centrale devrait être conforme au programme que le gouvernement a arrêté pour l'école du degré supérieur ; enfin, le troisième système a été développé par mon honorable ami M. de Liedekerke.

Le système présenté hier par l'honorable comte de Liedekerke me paraît rès habilement conçu ; il réalise un des vœux souvent émis dans cette Chambre, c'est-à-dire qu'il diminue l'intervention de l'Etat. Ce système, sans doute, serait applicable en ce qui concerne l’intervention de l'industrie privée, soit au projet du gouvernement, soit à celui de la section centrale ; la diiférence entre son projet et les deux autres consiste en ce que cet honorable membre ne veut qu'un seul établissement.

Mais je ne pense pas que la proposition de M. de Liedekerke puisse être admise telle qu'elle est présentée. Sa forme se rapproche beaucoup de celle employée par M. le ministre des travaux publics quand il nous propose d'accorder une concession de chemin de fer, mais M. le ministre des travaux publics ne présente ces projets de loi que lorsqu'ils sont accompagnés d'un contrat provisoire signé par une compagnie.

Si, dans le cours d'une discussion, il arrive qu'on produise par amendement une autorisation d'accorder quelque concession alors qu'il n'existe point de contrat avec une compagnie, c'est que la concession n'est pas d'une urgence absolue ; on peut attendre, mais ici notre position est différente. Puisqu'on veut sortir du provisoire, nous ne pouvons pas attendre, il faut faire quelque chose de nouveau et la société qui pourrait se charger de la création d'une école agricole du degré supérieur n'a pas donné signe de vie, que je sache. Quant au système du gouvernement, il me paraît trop vaste ; trois objections, selon moi, peuvent lui être adressées ; d'abord je crains que l'établissement d'enseignement supérieur, qui ne serait pas seul, ne coûte trop, pour les résultats qu'on pourrait en attendre.

D'après une annexe insérée à la suite du rapport de la section centrale, cette école supérieure coûterait 60,500 fr. sans la déduction de la pension des élèves. Comme il n'est pas possible d'exiger une pension très élevée, et qu'on ne peut pas compter sur un très grand nombre d'élèves dans les commencements, il est à supposer que la dépense annuelle serait de 55,000 fr.

Cette dépense, si l'on y ajoute ce qui sera nécessaire pour les deux écoles du degré inférieur, arrivera probablement au chiffre porté au budget pour toutes les écoles qui existent, chiffre qui est reconnu trop élevé.

Ensuite, je crains que le système que le gouvernement préconise ne rencontre cette autre difficulté, c'est-à-dire qu'on ne trouve pas dans le pays un personnel enseignant convenable pour placer l’enseignement à la hauteur qu'il doit atteindre ; et si malheureusement on a recours à des professeurs incapables, inhabiles, nous aurons encore créé à grands frais des établissements qui plus tard viendront à déchoir et à tomber, comme nous avons vu certaines écoles qui promettaient beaucoup disparaître pour ne plus se relever.

Enfin, je crains que les établissements que le gouvernement se propose de créer ne réunissent pas dans chacun d'eux un nombre d'élèves suffisant pour qu'il y ait de l'émulation entre eux, et pour encourager le zèle des professeurs. Rien de pire pour le progrès des études que de voir une classe fréquentée par deux ou trois élèves seulement.

Il n'y a pas d'émulation, et le professeur se décourage ; il donne mal son cours, et il en résulte en définitive de très minces résultats.

Je suis donc porté à voter pour la proposition de la section centrale, qui se prononce en faveur de deux écoles d'agriculture : l’une pour les provinces wallonnes, l'autre pour les provinces flamandes.

Je n'ai pas trop bien compris l'honorable M. de Steenhault, dans son discours d'hier, lorsqu'il voulait établir une ligne de démarcation absolue et infranchissable entre les élèves des écoles supérieures et ceux qui seraient appelés dans les écoles d'un degré inférieur.

Je ne considère pas une exploitation de 25 ni même de 20 hectares dans une certaine partie de nos provinces comme petite culture ; j'appelle proprement petite culture celle qui se fait sans l'aide d'attelages, ou qui ne se fait qu'à l'aide des attelages d'autrui. C'est, il faut bien le reconnaître, dans les familles qui s'occupent de petite culture, ou qui louent leur travail aux grands cultivateurs que les écoles qui existent ont recruté presque exclusivement leurs élèves. L'expérience condamne ce système. Je pense que pour faire quelque chose de durable et d'utile, il faut avoir en vue surtout la classe de jeunes gens appartenant à des familles de propriétaires qui cultivent eux-mêmes et de fermiers qui s'occupent de grande culture, jouissant d'une certaine aisance et pouvant payer leur pension. Quelques bourses seulement, si l'on voulait en conserver, seraient accordées à des jeunes gens qui montreraient une aptitude extraordinaire et seraient décernées sur la proposition des comices. Je ne fais du reste qu'indiquer cette idée.

Aujourd'hui, les jeunes gens qui appartiennent à cette classe de la société à laquelle j'ai fait allusion sont privés de l'enseignement qui leur convient. Ils sont placés dans des collèges, dans des athénées, dans de petits séminaires. Ils apprennent sans doute des choses utiles dans tous les états, mais ils étudient aussi le grec et le latin, et pour ne pas perdre le fruit de leurs premières années d'études, quelques-uns achèvent leurs humanités et passent ensuite, soit dans les grands séminaires, soit dans les universités.

Mais, pour un de ces élèves qui arrive au but, c'est-à-dire qui parvient à se créer par ses études une position convenable et utile à la société, combien y en a-t-il qui, par défaut de persévérance ou d'aptitude, par défaut de ressources pécuniaires, abandonnent les établissements d'instruction après quelques années !

Combien y en a-t-il qui, à force de sacrifices de la part des parents, acquièrent un diplôme et sont ensuite réduits à végéter malheureusement dans le monde ! Combien y en a-t-il encore que les parents retirent vers l'âge de 15 à 18 ans, pour les employer à leurs travaux des champs ! Ils s'aperçoivent alors, et trop tard, qu'ils ont consumé des années précieuses à des études inutiles pour eux, quand elles ne leur ont pas inspiré le dégoût de la profession de leurs pères.

Je voudrais donc qu'à cette jeunesse de la campagne, on offrît des écoles d'agriculture, comme à la jeunesse des villes et du pays industriel, on offre des écoles de commerce et d'industrie.

Ce complément de l'instruction publique me paraît nécessaire. Il en résulterait ce bien pour la société que les professions libérales seraient déchargées des trop nombreux prétendants qui sont un danger politique.

Il en résulterait ce bien pour l'agriculture, dont nous nous occupons spécialement en ce moment, que tous ceux qui sont appelés à la faire progresser dans l'avenir, parce qu'ils pourront opérer sur de grandes cultures, parce qu'ils pourront disposer de capitaux, et parce que leur position leur donnera de l'influence sur les classes agricoles moins élevées ; il en résulterait, dis-je, que cette génération serait initiée à toutes les connaissances agricoles utiles et pourrait les appliquer avec intelligence.

L'exemple est tout-puissant.

Ceux qui accusent les cultivateurs d'un esprit opiniâtre de routine ne les connaissent pas. Ils observent beaucoup. S'ils n'adoptent pas toujours des procédés nouveaux qu'ils connaissent, c'est pour éviter des mécomptes ; c'est parce qu'il ne leur est pas démontré que le bénéfice récompensera les innovations.

Un membre de la section centrale a dit avec beaucoup de raison que, bien loin de remarquer une antipathie des cultivateurs peu éclairés contre les exploitants qui ont une culture perfectionnée, l'on peut constater chez eux un esprit d'imitation bien prononcé, lorsque ceux-ci ont obtenu des résultats avantageux.

Je voterai donc pour la création de deux écoles : une dans les provinces flamandes, une dans les provinces wallonnes.

M. Laubry. - On est généralement d'accord sur l'utilité et l'importance d'un enseignement professionnel de l'agriculture en Belgique. Un honorable député d'Alost, qui hier a pris la parole, n'est pas de cet avis ; selon lui, l'exemple et les traditions suffisent pour faire prospérer cette industrie qui a atteint un haut degré de perfection dans les Flandres sans avoir besoin du secours de la science.

Si les Flandres sont avancées, est-ce à dire qu'elles n'aient plus rien à faire ? Mais il faut reconnaître, et vous aurez dû vous en convaincre, messieurs, en parcourant le pays qu'il existe encore des contrées où les meilleures pratiques de culture sont inconnues et, il faut bien le dire, leur ignorance est le seul obstacle à leur application.

Si on laissait l'agriculture abandonnée à elle-même, à ses tâtonnements, elle ne réaliserait que des améliorations lentes ; c'est en marchant sous la direction de la science qu'elle peut faire des progrès rapides.

Vous savez tous, messieurs, quels résultats ont été obtenus à l'étranger par l'enseignement agricole ; des peuples qui nous suivaient de loin dans la voie du progrès, sont aujourd'hui nos égaux s'ils ne nous ont devancés dans certaines branches de cette industrie.

(page 718) Il importe donc à l'intérêt général du pays que l'agriculture qui est la principale branche de notre richesse nationale ne demeure pas stationnaire alors que tout marche et avance autour de nous.

L'on se plaint que l'agriculture ne fournisse pas aux besoins de la consommation du pays ; nous sommes tributaires de l'étranger, la population augmente, les denrées renchérissent.

Nous demandons tous à l'agriculture qu'elle produise davantage.

Eh bien, messieurs, tous les hommes compétents reconnaissent que le seul moyen d'accroître la production, c'est de propager les bonnes méthodes par l'instruction, c'est en initiant les cultivateurs aux meilleures pratiques que l'expérience a consacrées, c'est en leur apprenant les sciences physiques et naturelles dans leurs applications à l'agriculture ; c'est en leur expliquant les faits qui se passent sous leurs yeux qu'ils peuvent raisonner et se rendre compte des phénomènes de la nature et que l'on peut espérer avoir des cultivateurs instruits, et progressifs et parvenir ainsi à donner à l'agriculture tout le développement dont elle est susceptible.

Il y a déjà longtemps qu'au sein de la législature, des hommes très versés dans la science agricole réclamaient avec de vives instances l'enseignement professionnel de l'agriculture comme un besoin de l'époque. Ils faisaient un grief au ministère de laisser l'agriculture abandonnée à elle-même, alors que les arts, l'industrie et le commerce avaient des écoles subventionnées par l'Etat. Ils pensaient qu'il était juste et que l'agriculture, la principale industrie du pays, avait des droits pour être traitée sur le même pied. Ils faisaient valoir que les sciences physiques et naturelles, dans leur application à l'industrie en général, avaient contribué à son développement et à sa prospérité ; elles étaient aussi destinées à rendre des services immenses à l'agriculture qui n'est que l'application des lois de la nature : organiques et inorganiques.

Mais ils étaient d'accord, en recommandant cet enseignement, que, pour être utile, il fallait que la théorie marchât de front avec la pratique, que l'élève eût constamment le fait à côté de la doctrine, l'exemple à côté du précepte, seul moyen d'empêcher de lui faire faire fausse route.

En présence de recommandations aussi pressantes, l'honorable prédécesseur de M. Piercot, qui a donné en tant de circonstances tant de preuves de sa sollicitude pour les grands intérêts de l'agriculture, a pensé qu'avant de proposer une organisation définitive de l'enseignement professionnel de l'agriculture, il devait faire des essais dans les conditions qui lui étaient indiquées et suivre les meilleurs types d'écoles de l'étranger, sauf plus tard à s'arrêter au meilleur système.

Les six écoles qu'il a fondées, quoique ayant vécu au milieu de difficultés inséparables d'une organisation ayant à vaincre des répugnances, des préjugés, se sont cependant maintenues dans une situation relativement prospère et ont donné quelques résultats.

Un grand, à mon avis, c'est que ces écoles, répandues dans diverses contrées du pays, ont donné accès à un grand nombre d'élèves, familiarisé les pères de famille avec l'idée de l'enseignement agricole et fait taire ainsi des préventions. Aujourd'hui que cet enseignement est mieux compris, je connais des cultivateurs qui niaient l'importance de cet enseignement, et qui sont les premiers à en reconnaître les bons effets.

Mais il faut cependant le reconnaître, les quatre écoles établies dans les villes n'ont pas répondu au but de leurs fondateurs.

Il est constaté dans les documents que nous avons eus sous les yeux, que, dans les écoles établies dans les villes, la pratique était insuffisante, quand elle, ne faisait pas défaut.

La théorie sans pratique ne pouvait aboutir à de bons résultats, et un honorable député si compétent en fait d'agriculture en était si convaincu, qu'il disait que vouloir enseigner la théorie sans la pratique, autant vaudrait enseigner la musique instrumentale sans instrument.

Les écoles établies à la campagne, au contraire, ont eu des éléments de succès, et ont répondu au but de leur institution ; mais d'après le projet de loi, elles seront, ainsi que celles des villes, remplacées par une seule école du degré supérieur.

Tous les hommes compétents sont d'accord et l'expérience l'a démontré qu'aucune combinaison artificielle ne peut remplacer ce qu'exige la nature des choses, que pour étudier la science agricole, il faut maintenir constamment l'élève dans une atmosphère qui rappelle son art ; qu'il ait à chaque instant le fait à côté de la doctrine et l'exemple à côté du précepte, et pour les initier à toutes les allures d'un bonne exploitation dirigée dans des conditions normales et économiques ; il faut que l'école soit confondue avec la ferme.

A mon avis, une école supérieure d'agriculture créée en vue des intérêts généraux du pays, à laquelle serait annexée une ferme établie dans les meilleures conditions, placée autant que possible dans une localité où l'on rencontrerait diverses natures de sol pour expérimenter leur traitement, dirigée par des professeurs de mérite.

Une école ainsi constituée rendra plus de service au pays que les écoles sur lesquelles on a eu à s'expliquer et dont on nous a signalé les vices. Là vous aurez des fils de propriétaires, de riches fermiers qui viendront y faire leurs études, et rentrés chez eux, ils seront à même d'expérimenter les procédés sanctionnés par la science. Ils auront des imitateurs, et les bonnes méthodes se propageront.

Messieurs, on s'est demandé quel était le meilleur système. Faut-il laisser au gouvernement le soin de l'exploitation de la ferme à annexer à l'école supérieure ? Faut-il qu'il intervienne seulement par voie de subside ? Pour moi, je suis partisan de la voie des subsides ; il me répugne de voir le gouvernement intervenir dans une exploitation rurale ; je préfère que l'intérêt privé s'en charge. Du reste, le gouvernement, en sera heureux, ce sera une complication de moins pour lui.

Avec le système d'intervention par voie de subsides, vous avez deux maîtres : le gouvernement qui enseigne et le fermier qui exploite. Lorsque l'on a enseigné la théorie et que l'on est disposé à l'appliquer sur le terrain, on rencontre le propriétaire du sol, qui dit : Il vous convient de faire telle chose, mais cela ne me convient pas. On a des conventions ; mais ces conventions sont mal exécutées. Et qu'arrive-t-il ? C'est que souvent la pratique ne se fait pas ; et par suite les écoles ne peuvent pas atteindre le but qu'on se propose.

C'est pour parer à cet inconvénient que le gouvernement a proposé l'annexion à l'école d'une ferme exploitée par lui. Mais je crois qu'on peut obtenir les mêmes avantages en renforçant les conditions, en se mettant en garde contre leurs infractions. Ainsi nous réduisons considérablement la somme que nous aurions à porter à notre budget, et nous ne devrons pas subir toutes les dépenses qu'entraîneraient les premiers frais d'emménagement et d'appropriation d'une école modèle.

Quant aux écoles du degré inférieur, je crois qu'elles sont utiles. Elles sont destinées à des fils de petits cultivateurs qui ne sont pas appelés à recevoir une instruction complète de la science agricole. On leur enseignera les bonnes méthodes que l'expérience aura consacrées. Mais, quant à ces écoles, je voudrais aussi que le gouvernement n'intervînt que par voie de subsides.

La section centrale a proposé de maintenir le statu quo. A mon avis après l'expérience qui a été faite, ce qu'il y a de plus opportun, c'est d'adopter le projet du gouvernement, sauf les modifications jugées nécessaires en ce qui concerne le mode d'intervention de l'Etat.

Si l'on adoptait la proposition de la section centrale, la marche du gouvernement serait toute tracée : il existe dans des villes des écoles qui n'ont pas d'utilité ; la marche naturelle c'est de les supprimer. Les deux autres, quoique ayant répondu au but de leur institution, n'auront pas le même but d'utilité que l'institut supérieur. Voulez-vous maintenir le provisoire ? Mais c'est maintenir les abus, c'est maintenir dcs dépenses qui n'ont pas de but, c'est rester dans une position dont la Chambre paraît vouloir sortir au plus tôt.

Pour moi, messieurs, je ne puis admettre la proposition de la section centrale, et je voterai le projet du gouvernement, mais sous la réserve qu'il n'interviendra que par voie de subsides.

M. Mascart. - Messieurs, l'enseignement agricole est in thème qui a donné lieu ici et ailleurs à bien des dissertations. Si chaque phrase avait eu le don de faire pousser un seul épi, nos granges auraient été remplies chaque année et nous aurions maintenant ce qui nous manqué, le pain à bon marché. Malheureusement tout cela n'a jamais eu rien de bien fécond. Est-ce la faute des créateurs de cet enseignement, ou est-ce celle de ceux en faveur desquels cet enseignement a été créé ?

Je crois que ceux-ci peuvent avoir la conscience tranquille. Il n'y a pas de leur faute : il eût été beaucoup trop dur pour les parents, après avoir fait, comme contribuables, une partie de la dépense, de devoir envoyer leurs enfants dans des écoles pour apprendre ce qu'ils savaient déjà ou ce qu'ils apprendront plus tard, sans frais et sans déplacement. Payer et perdre son temps, c'est trop de moitié au moins.

Nous avons la prétention d'indiquer aux paysans ce qu'ils doivent faire ; mais, à ce propos, je crois que gros Jean pourrait en remontrer à son curé et lui dire : Vous possédez aux portes de Bruxelles la magnifique forêt de Soignes, d'une étendue de 4,300 hectares d'excellentes terres, valant de 15 à 20 millions. Cette forêt vous donne annuellement 40,000 ou 50,000 francs, ou 10 francs par hectare : cette terre que vous administrez ne vous donne donc que 25 centimes au lieu de 5 francs par 100 francs que nous obtenons par notre travail. Nous comprendrions votre intervention dans la production, si on intervertissait les rôles, si nous arrivions à d'aussi piètres résultats que vous ; mais nous, nous faisons donner à la terre 5 ou 6 p. c. de sa valeur, vingt fois plus qu'elle ne produit dans vos mains. Au lieu de monter en chaire pour instruire les gens, vous avez besoin vous-même d'être chapitré. Mêlez-vous donc de vos affaires et ne nous rompez pas la tête davantage.

Comme le gentilhomme limousin de Molière, on poursuit nos paysans pour leur administrer un remède dont ils ne veulent pas, parce qu'ils sont imbus de l'idée qu'ils se portent bien. Ceux qui les poursuivent de leurs obsessions sont aussi routiniers, aussi peu novateurs en matière de pratique agricole ou forestière, que des habitants du Céleste empire.

Messieurs, on est d'accord sur un point : c'est que les écoles d'agriculture actuellement existantes n'ont pas produit de résutat assez satisfaisant pour que l'on continue à les maintenir au prix de 119,000 fr. par an ; le discrédit dans lequel elles sont tombées en très grand nombre, malgré la protection dont le gouvernement les entourait et malgré les sacrifices considérables faits en leur faveur, prouve à l'évidence qu'il est temps d'entrer dans une autre voie, si toutefois on veut encore que l'Etat continue à faire les frais d'un enseignement agricole.

Je crois que les partisans de l'enseignement de l'agriculture par l'Etat doivent nécessairement revenir sur leurs pas et restreindre le plus possible cet enseignement, et par le nombre des établissements à créer, et (page 719) par les matières à y enseigner. Si l'on ne parvient pas à y attirer des élèves payants, les seuls, à mes yeux, qui justifieraient l'utilité des écoles d'agriculture, si on essuie un nouvel échec, ce sera la mort de tout enseignement agricole en Belgique pendant longtemps.

La majorité de la section trouve que l'expérience que nous faisons n'est pas encore complète, que les contribuables ont encore quelques centaines de mille francs à dépenser à l'expérimentation après en avoir dépensé 700,000 en cinq ou six ans. La Chambre partagera-t-elle son avis ? Il est permis d'en douter, quand on se rappelle la répugnance qu'elle a toujours montrée à voter les allocations qui nous ont été demandées depuis 1849 et les plaintes qui se sont produites sur la pauvreté des résultats.

L'échec ou la non-réussite de l'enseignement agricole peut être attribué à plusieurs causes. Il en est une qu'on a déjà signalée et sur laquelle j'appelle votre attention.

Les programmes de nos écoles d'agriculture prescrivent à l'élève, pendant tout le temps de son séjour, un travail manuel ou qu'il a exécuté ou qu'il a vu exécuter, s'il est fils de fermier, pendant qu'il a habité la maison paternelle, selon la position sociale de sa famille.

Vous pouvez être sûrs qu'il a battu en grange, fait des fossés, nettoyé les étables, fauché les prés, labouré la terre, pansé les vaches, tararé les grains, etc., etc., en un mot qu'il a exécuté tous les travaux manuels qui tiennent tant de place dans les programmes et auxquels on tient tant.

Il en saura là-dessus autant que ses professeurs, et alors comprend-on qu'il exécute ces rudes travaux, volontairement, au profit d'un étranger quand il pourrait les exécuter chez lui, à son profit ou à celui des siens ? Prenez un jeune homme de seize ans, qui a fait des études primaires complètes, s'il est fils de fermier il saura exécuter, s'il ne le sait déjà, en un mois, tous les travaux pratiques ou manuels qu'on enseigne pendant deux ans aux élèves de nos écoles d'agriculture. S'il appartient à une famille de cultivateurs riches ou aisés, jamais il ne consentira à exécuter volontairement ces travaux, travaux avilissants à ses yeux et qui sont l'attribut des manouvriers, des domestiques et valets de ferme.

M. l'inspecteur des écoles d'agriculture, dans son rapport sur l'année scolaire 1851-52, disait, en parlantdc l'école d'Ostin : « Les fermiers dans l'aisance motivent leur abstention sur la répugnance qu'ils éprouvent à voir leurs enfants soumis à un travail manuel à titre d'ouvriers, et c'est probablement pour le même motif et pour faire cesser cette répugnance que M. Mathelin, au sein de la commission, voulait supprimer les travaux pratiques des élèves qui ne sont pas nécessaires à leur instruction. »

Ceux qui ont organisé l'enseignement agricole, comme la majorité de la section centrale, sont partis de l'idée que cet enseignement devait être complet, qu'il devait comprendre tout ce qu'un agriculteur doit savoir, sciences et travaux manuels. Cette idée serait juste, si les écoles d'agriculture devaient recevoir les enfants des citadins. Pour eux il faudrait évidemment commencer par le commencement et tout démontrer, théoriquement et pratiquement ; mais les fils de paysans sont dans des conditions tout autres. A partir de l'âge où l'on commence à leur apprendre à lire, commence aussi leur apprentissage comme cultivateurs, il se poursuit sans interruption et marche avec le développement de leur intelligence.

Il en résulte que le fils de paysan qui arrive dans une école d'agriculture n'a que faire d'une grande partie de l’enseignement qu'on y donne. C'est là la véritable cause pour laquelle les écoles d'agriculture ne sont pas fréquentées par eux.

Il est vrai que les renseignements fournis par le gouvernement indiquent un certain nombre d'élèves des écoles d'agriculture comme fils de cultivateurs, mais cette qualification de cultivateurs a quelque chose de fort élastique. On est cultivateur quand on exploite un hectare et moins encore, comme quand on en exploite 500 ; et pour ma part, parmi ces prétendus fils de cultivateurs, j'en connais plusieurs qui auraient trop d'un petit mulet pour exécuter tous les labours de la ferme de M. leur père.

Mais si les fils de fermiers véritables ne fréquentent pas les écoles d'agriculture à cause des travaux qu'on y exécute, que sera-ce des fils des grands propriétaires ? Comment peut-on supposer, comme le fait la section centrale, après avoir été occupé jusqu'à l'âge de 17 à 18 ans, à recevoir une instruction littéraire, comment supposer qu'ils viennent pendant plusieurs années exécuter des travaux pénibles et rebutants, afin de pouvoir plus tard les diriger et juger de leur exécution ? Cela est impossible. Ces jeunes gens auront, du reste, acquis dans les établissements où ils auront fait leurs études, des connaissances physiques, chimiques et mathématiques, au moins aussi étendues que celles qu'on enseigne dans les écoles d'agriculture.

Je veux croire que les professeurs qu'on placera dans ces établissements seront des gens capables et zélés ; mais pour enseigner il ne suffit pas de savoir, il faut encore avoir des élèves, des élèves payants surtout.

Si on ne trouve à enseigner qu'à des élèves boursiers, ou à ceux qui n'ont ni champ ni capitaux, vous aurez fait une chose oiseuse, parfaitement inutile pour notre agriculture, car, que voulez-vous qu'ils fassent en sortant de là ? Ils trouveront peut-être à se placer en Espagne, en Italie, en Portugal en qualité de régisseurs agricoles, comme le disait l'honorable ministre de l'intérieur, dans une réponse qu'il adressait à la section centrale qui a examiné le dernier budget de son département ; mais ce n'est pas pour faire progresser l'agriculture de ces pays, ou pour l'avantage particulier de ceux qui y trouveront un emploi que nous devons dépenser annuellement 119,000 francs. Jamais la Belgique ne fera une grande consommation de régisseurs agricoles parce que la constitution de notre agriculture ne s'y prête pas et qu'il est plus avantageux et surtout plus amusant de cultiver la terre soi-même, directement sans intermédiaire. Les jeunes gens sortant de ces écoles ne trouveront pas plus à se placer dans l'avenir qu'ils n'ont trouvé à se placer dans le passé.

Je le répète, c'est parce qu'on s'est imaginé que l’enseignement agricole pouvait être donné comme celui de toutes les autres connaissances humaines que cet enseignement a échoué.

Si la Chambre ne le supprime pas, il est essentiel qu'elle revienne sur ses pas eu restreignant infiniment et le nombre des établissements et le choix des matières.

Il ne faut pas se préparer un nouvel échec.

Si on se bornait à créer un seul grand établissement dans lequel les fils de propriétaires et de cultivateurs aisés recevraient une instruction littéraire et scientifique qui ne s'écarterait de celle donnée dans les autres établissements d'instruction que par une application plus directe, je dirai plus pratique des sciences physiques, chimiques et mathématiques à l'agriculture, on réussirait peut-être.

L'enseignement aurait principalement pour objet d'éclairer par des notions scientifiques les opérations agricoles et non de donner une science toute faite, d'une seule pièce, ne trouvant son application que dans une partie du rayon de l'école.

On comprend que tel procédé de culture pratiqué avantageusement dans les Flandres, que ce procédé soit indiqué par la science et sanctionné par la pratique, peut produire ailleurs des résultats malheureux. J'ai vu des fermiers de cette partie du pays venir s'établir dans l'arrondissement de Nivelles, dans des terres excellentes qu'ils payaient beaucoup moins cher et s'y ruiner en peu de temps, parce que leur pratique agricole n'était pas appropriée au sol.

C'est ce qui prouve que les pratiques qu'on considère comme vicieuses ne le sont pas toujours, qu'il faut tenir compte de la nature du sol, du climat et de l'ensemble de la situation des choses au milieu desquelles on opère. D'autres que des paysans peuvent se tromper : j'ai vu un jour les champs d'une école d'agriculture assez en renom et dans laquelle on enseigne les bonnes méthodes agricoles, c'était peu de temps avant la moisson et je dois dire que la récolte était misérable. Il était parfaitement inutile de se faire indiquer les terres de l’établissement : on les reconnaissait de loin et à la première vue, au milieu des terres appartenant aux fermiers de la commune. On peut dire que là le progrès avait marché à reculons.

Sur tous les terrains possibles, dit un auteur, rien n'est moins facile à déterminer que l'usage qu'il est le plus utile de faire d'une certaine étendue de fonds.

« Il ne suffit pas, observe M. de Dombasle, de connaître une ferme en masse, il faut avoir étudié pendant longtemps et tous les jours chacun des champs qui la composent, les avoir observés pendant toutes les saisons de l'année, dans toutes les circonstances de sécheresse et d'humidité et couverts de plusieurs espèces de récoltes ; il faut avoir arrêté son attention sur cent autres circonstances qui ne peuvent être connues que par des observations de chaque instant, pour déterminer les améliorations que l'agriculture y peut recevoir, les espèces de récoltes qu'on y peut récolter avec profit, les assolements qu'on doit adopter, les époques auxquelles doivent être faits les labours, les profondeurs relatives qu'on doit donner à chacun, les instruments qu'on doit employer. » (Annales agricoles de Roville, t. I, p. 73.)

Il y a des écoles d'agriculture en pays étranger, donc il faut en établir en Belgique.

L'enseignement agricole en Russie était une nécessité, parce que dans ce pays, il n'y a pas de cultivateurs, il n'y a que de grands propriétaires et des serfs.

Les premiers se bornent à recevoir les produits de leurs terres et vivent à la cour et dans les pays étrangers.

Les seconds n'ont aucun intérêt à faire produire davantage à la terre, l'excédant de production ne leur profitant pas.

Dans un pareil pays, des cultivateurs formés dans des instituts particuliers, cultivant ou dirigeant de grands domaines pour le compte des propriétaires et disposant de tous les instruments, sans en excepter les hommes, doivent produire certains avantages, l'absentéisme des propriétaires et l’ignorance des serfs empêchant tout progrès.

Ce n'est pas sans nécessité qu'on a établi des écoles d'agriculture en Allemagne et en France où l'agriculture est extrêmement arriérée. J'ai vu dans les environs de Hombourg, il y a quatre ans, couper le blé comme du temps de Cérès, avec une faucille, en laissant la paille sur le sol. Dans le midi et dans l'est de la France on emploie des instruments de labour indescriptibles. On y attelle ordinairement quatre ou cinq bœufs à une charrue tandis que deux suffiraient, s'ils employaient la charrue flamande. Tout le reste est à l'avenant. Lorsqu'on a organisé des écoles d'agriculture dans ces pays, je crois qu'on a eu principalement en vue de communiquer aux populations les bonnes méthodes de culture pratiquées en Belgique.

Messieurs, il ne faut pas croire que le progrès agricole soit impossible sans écoles d'agriculture.

(page 720) Le drainage a très bien fait son chemin dans le monde parce que le drainage est une pratique utile, produisant des résultats excellents, appréciables. Qu'une autre découverte se fasse demain, la presse s'en emparera et le dernier hameau du pays pourra constater son utilité.

On semble parfois croire que les campagnes sont stationnaires, qu'elles restent étrangères au mouvement qui emporte le monde industriel. C'est une erreur : l'immobilité n'est ni de notre temps, ni de notre pays. Je connais quatre communes qui ne recevaient que quatre journaux il y a vingt ans et qui en reçoivent maintenant 71, grâce à leur bas prix. Quoique la plupart soient des journaux politiques à bon marché, ils rendent néanmoins compte de toutes les découvertes qui intéressent la science agricole.

Il résulte de cette situation, qu'une invention ou une découverte utile est connue immédiatement et peut être expérimentée dans les différents sols qui forment la Belgique. C'est à cet enseignement régulier, de tous les jours, c'est à l'amélioration de nos voies de communication qu'il faut attribuer le progrès agricole réalisé et la disparition des préjugés. Maintenons soigneusement cette situation et nous arriverons tout naturellement, sans efforts, au but que nous poursuivons.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, en abordant l'examen du projet de loi soumis à vos délibérations, je me suis demandé avant tout comment il se fait que l'enseignement agricole, dont on ne parlait guère il y a 15 ou 20 ans, fasse maintenant beaucoup de bruit et soit réclamé avec des instances assez vives.

Est-ce par exemple que notre agriculture, qui nous a valu souvent l'admiration de l'étranger, s'est arrêtée tout à coup dans la voie du progrès ?

Est-ce parce que nos populations agricoles sont en quelque sorte abâtardies au point que l'intervention du gouvernement soit devenue indispensable pour les faire sortir de leur état de torpeur ?

Messieurs, je regrette de devoir le dire, mais ces raisons ont été au moins insinuées par quelques partisans trop ardents de l'enseignement agricole. Ainsi dans une brochure qui nous a été distribuée, on va jusqu'à déclarer que depuis les temps les plus reculés l'agriculture belge est restée stationnaire ; que nos cultivateurs, imitant servilement ceux qui les avaient précédés, n'ont su introduire aucune amélioration notable ni dans l'assolement des terres, ni dans l'élève du bétail, ni dans aucune autre branche de l'économie rurale.

Eh bien, je dois prolester contre ces appréciations radicalement fausses. Non, les cultivateurs belges du XIXème siècle n'ont pas dégénéré, ils sont dignes de leurs ancêtres (et c'est dire beaucoup) ; les améliorations qu'ils ont réalisées sont tellement importantes que le rendement des terres est à peu près doublé depuis 50 ans. Aussi, messieurs, lisez les ouvrages publiés dans les pays qui nous environnent, et vous verrez comment aujourd'hui encore l'étranger sait rendre hommage à l'habileté et au génie industriel de nos cultivateurs.

Cela ne veut pas dire, messieurs, qu'il n'y a plus de progrès à faire, que nous avons atteint les dernières limites de la perfection, non, cette idée absurde ne viendra, je pense, à l'esprit de personne, mais je n'hésite pas à dire que dans la situation actuelle nous pouvons accepter la comparaison avec tous les autres pays.

Ainsi, je n'admets pas, messieurs, cette supériorité de l'agriculture anglaise dont l'honorable M. de Steenhault a parlé en termes beaucoup trop pompeux pour l'Angleterre et beaucoup trop humiliants pour nous.

J'ai connu un assez bon nombre de personnes qui, comme l'honorable baron de Steenhault, étaient très enthousiastes de l'agriculture anglaise ; eh bien, elles ne se sont pas bornées à voir le marché de Londres, elles sont allées visiter en détail les ateliers agricoles de l'Angleterre, et à leur retour leurs idées s'étaient singulièrement modifiées ; elles reconnaissaient que sur le sol britannique, aussi, à côté de certaines exploitations rurales qui peuvent être citées comme modèles, il en est d'autres qui laissent infiniment à désirer, que sous plusieurs rapports nous avons su conserver notre supériorité, et que là où les Anglais nous ont réellement devancés, ils doivent cet avantage bien plus à la puissance de leurs capitaux qu'à l'habileté de leurs cultivateurs agricoles.

Je ne trouve pas mauvais qu'on défende ardemment l'enseignement agricole, mais je regrette qu'on pousse l'engouement en cette matière jusqu'à amoindrir notre agriculture qui n'a pas cessé d'être une de nos grandes gloires nationales.

Messieurs, voici, en général, la cause de ces fausses appréciations. Quand il s'agit de commerce ou d'industrie, si l'opération ne donne pas bénéfices, on dit : Elle est mauvaise, alors même qu'elle se présente avec un caractère grandiose et brillant ; il n'en est pas de même en agriculture, et voici pourquoi ; il y a des personnes riches et très honorables qui pratiquent l'agriculture pour le plaisir de cultiver et qui s'imaginent que le progrès consiste à ce qu'on imite leurs pompeuses et magnifiques opérations ; mais comme ils ne voient pas arriver ce progrès-là, ils s'écrient dans un sublime élan vers l'agriculture artistique : « Ah ! le campagnard dort, il faut le réveiller. » Et ce refrain est répété avec enthousiasme par les agents du pouvoir, toujours empressés de faire fonctionner la providence gouvernementale ; il est répété encore par une foule de personnes très capables de cultiver admirablement aux dépens d'autrui ; enfin cela devient de mode et ceux mêmes qui n'ont jamais vu une ferme qu'a une distance très respectueuse font chorus avec les autres en disant : « Oui, le campagnard dort, il faut le réveiller. »

Il va de soi que ces agronomes d'élite ont bien soin de perdre de vuer que ce campagnard endormi vient chaque année avec de bons et gros fermages alimenter les progrès agricoles de ses augustes maîtres, et même solder le déficit de leurs exploitations prétenduement modèles. Mais c'est là le côté prosaïque de la question qu'il faut savoir négliger pour faire de la bonne poésie.

Messieurs, dans ma manière de voir, ce besoin d'instruction agricole qui se manifeste, je suis le premier à le reconnaître, ce besoin tient à un tout autre ordre de faits ; l'agriculture, depuis quelques années, subit une grande transformation ; elle aussi s'efforce de secouer le joug de l’empirisme pour entrer dans le domaine de la science ; cette transformation, je le sais, n'est pas acceptée par tout le monde et c'est précisément pour ce motif que nous parviendrons difficilement à nous entendre ; je dirai même qu'elle est niée par des praticiens très habiles et qui disent que la science n'a rien à faire chez nous. Jusqu'à un certain point, ils ont raison, et je m'en expliquerai tout à l'heure ; mais d'un autre côté toutes les dénégations du monde ne parviennent jamais à arrêter le mouvement des esprits vers un progrès réel.

Depuis Calumelle et Virgile, on a écrit bien des livres sur l'agriculture ; or, si vous comparez les publications agricoles qui ont paru avant le XIXème siècle avec celles que nous avons vues éclore pendant ces vingt dernières années, vous constaterez une différence remarquable ; cette différence est celle-ci : les auteurs de la première époque se bornent à raconter les usages, les méthodes, les pratiques de l'industrie rurale ; ils donnent des descriptions, souvent très éloquentes et très poétiques, de tous les détails de la vie champêtre.

Mais les ouvrages qui paraissent aujourd'hui ont un caractère bien autrement important ; on ne se borne plus à exposer les faits, on les interroge, on leur demande leur raison d'être ; à l'aide des sciences naturelles, on étudie, on constate les lois qui régissent le grand phénomène de la production agricole ; au moyen de ces mêmes sciences, on recherche soigneusement les causes des succès obtenus dans telles ou telles circonstances, les causes des revers éprouvés dans telles autres circonstances.

En un mot, c'est la science qui commence à se faire jour, à la suite de l'observation et de l'étude des faits, et vous le savez mieux que moi, telle est la marche naturelle de l'esprit humain. Aussi, que de savants de premier ordre, que d'hommes d'élite initiés aux secrets des sciences naturelles et qui s'occupent avec délices des grands problèmes scientifiques que soulève la production agricole ! Voilà la véritable cause de ce besoin d'instruction qui se fait sentir ; c'est évidemment le mouvement scientifique que je viens de caractériser qui l'a fait naître, et il ne faut pas le chercher dans un prétendu engourdissement de nos cultivateurs.

Vous le savez, messieurs, toutes nos industries ont travaillé très longtemps à l'aide des seules notions enseignées par la routine et la tradition. Et, disons-le à l'honneur de nos populations ; même dans ces conditions, des progrès assez remarquables ont été accomplis, mais vous savez aussi que ces progrès sont devenus bien plus rapides, et en quelque sorte prodigieux, depuis que l'organisme du personnel de la production industrielle s'est complété par le concours des savants, depuis que les industriels ont été inspirés et guidés par les enseignements de la science ; en un mot depuis que les sciences technologiques ont pris naissance ; aussi personne aujourd'hui ne conteste plus l'utilité de l'instruction industrielle.

Pourquoi n'en serait-il pas de même de l'agriculture ?

Quel est, après tout, le rôle que la science peut remplir dans l'œuvre de la production ? Le voici en deux mois : c'est d'indiquer les lois de la nature et la possibilité de leur application à des procédés ayant pour objet d'approprier la matière aux besoins de l'homme. Eh bien, cela étant vrai, je dis qu'il n'est aucune industrie à laquelle les sciences puissent rendre autant de services qu’à l'agriculture.

La raison en est fort simple, c'est que nulle part les lois de la nature ne reçoivent des applications aussi multipliées et aussi variées. Car, remarquez-le bien, le cultivateur ne se borne pas à faire subir des transformations à la matière inerte et brute ; son grand instrument de production, c'est la vie, c'est à l'aide de cet agent qui domine la nature inorganique, qu'il fabrique le grain, la viande, toutes les substances alimentaires et cette quantité innombrable de matières qu'il livre aux différentes industries.

De manière que ce ne sont pas seulement les sciences physiques et mécaniques qui peuvent lui venir en aide, mais encore celles qui traitent des principes de la vie et qui occupent le génie de tant d'hommes d'élite.

Cependant, l'utilité de ce concours scientifique est subordonnée à une condition sur laquelle je crois devoir dès à présent attirer votre sérieuse attention. Il faut de toute nécessité, sous peine de mécomptes, que le cultivateur et le savant se renferment soigneusement dans le cercle de leurs attributions respectives, il faut que le savant se borne à indiquer au cultivateur les lois de la nature et leur applicabilité possible aux opérations agricoles, mais en laissant au cultivateur le soin d'apprécier l'utilité économique de ces applications.

Cette condition n'a pas toujours été observée et il en est résulté souvent que des savants se sont ruinés en voulant cumuler avec leur science les fonctions de cultivateur ; et que des cultivateurs ont fait aussi des opérations ruineuses, en usurpant le rôle de la science.

Ces mécomptes ne sont que les conséquences de la violation d'une loi économique qu'on appelle la division du travail, ce sont des abus (page 721) qui ne prouvent autre chose que la maladresse de ceux qui les commettent ; il n'en est pas moins constant que cette alliance entre l'art agricole et la science est un fait heureux et extrêmement important.

Je dirai que c'est un mariage de raison qui peut être fécond en excellents résultats ; mais pour cela il faut naturellement ayant tout que les nouveaux mariés puissent se comprendre, qu'ils parlent jusqu'à un certain point la même langue.

Eh bien, voilà justement le rôle de l'instruction agricole : elle n'en a point d'autre. Ce rôle, le voici : c'est d'élever en quelque sorte le niveau intellectuel du cultivateur, afin qu'il puisse comprendre le langage de la science, et vivre en communauté d'idées avec elle ; afin qu'il soit mis à même, non seulement de lire, mais d'entendre les ouvrages agricoles qu'on publie, d'apprécier les nouvelles découvertes et inventions et surtout de juger leur applicabilité eu égard aux circonstances, de faire lui-même des expériences, en tenant soigneusement compte de toutes les influences qui peuvent les favoriser ou les contrarier.

Mais, messieurs, en proclamant ainsi hautement l’utilité, la nécessité même de l'instruction agricole, je suis loin de me faire illusion. Je ne crois pas, pour ma part, à l’avènement d'une science nouvelle, inconnue à nos cultivateurs et qui va opérer de véritables prodiges et nous présenter partout des champs cultivés au même degré de perfection. Quoi qu'il arrive, quelque progrès que fasse l'instruction, nous aurons toujours de bons cultivateurs, des cultivateurs médiocres et même de mauvais cultivateurs, et ce seront quelquefois les plus instruits. Il en est de même dans tous les pays du monde.

La raison en est fort simple, c'est que, pour réussir dans la direction d'un train de culture, il faut, avant tout, des qualités que l'instruction ne saurait donner ; il faut au cultivateur un jugement très droit, appréciant sainement toutes les circonstances ; il lui faut une activité infatigable, surveillant les moindres détails et imprimant partout l'impulsion et un même but ; il faut des habitudes d'ordre et la plus sévère économie ; il lui faut aussi une volonté énergique qui, au besoin, ne recule, pas devant les privations et ne se laisse abattre ni par les difficultés ni par le revers. Il lui faut cette conviction profonde, que sa profession est un métier, ressemblant sous certains rapports au métier des armes, et qui n'en est que plus honorable. Je dis que ce sont ces qualités morales qui ont toujours fait et qui font encore la force de l'agriculture belge, et nous pouvons dire aux étrangers qui ont admiré si souvent les progrès de notre industrie rurale : « beneficia mea haec sunt ».

Messieurs, rien ne serait plus funeste, selon moi, que d'accréditer parmi nos populations rurales cette idée radicalement fausse : qu'il appartient au gouvernement de créer des établissements où l'on enseignerait une science capable de remplacer en quelque sorte ces conditions de succès que je viens d'indiquer. Non, cela est impossible ; mais ce qui peut se faire, ce qui est inévitable avec une intervention exagérée de l'Etat, c'est d'ériger des établissements où l'éducation des jeunes cultivateurs sera complètement gratuite, parce qu'ils auront été élevés pour ainsi dire en serre chaude, parce que isolés des dures réalités de la vie agricole, on leur aura appris à vivre dans les conditions du budget, parce que la sainte loi du travail aura perdu pour eux une partie de son importance, et que leur esprit sera imbu de prétentions qui ne pourront être guéries que par des mécomptes. Je le dis franchement : oui, sous ce rapport, nous sommes en présence d'un danger ; il y a des tendances qui m'effrayent.

Dès la première page de l'exposé des motifs le gouvernement nous dit que nos cultivateurs sont dominés par un préjugé lorsqu'ils croient que « l'agriculture ne peut s'apprendre que par la pratiqu »e ; il affirme, au contraire, que l'agriculture est comme la médecine une science qui peut s'enseigner et s'apprendre vite et bien dans des institutions spéciales, et ce qui n'est pas moins remarquable il ajoute : Qu'il est nécessaire d'allécher la jeunesse des campagnes par l'appât des bourses, afin qu'elle vienne puiser dans des institutions spéciales cette agriculture qui peut s'apprendre vite et bien. Messieurs, ce sont là, suivant moi, de véritables aberrations.

En vérité, en lisant l'exposé des motifs, je suis tenté de croire qu'il est plutôt l'œuvre d'un médecin que d'un agronome, car cette comparaison de l'agriculture à la médecine revient à tout moment, et il n'y a pourtant rien de plus faux. Je vais le prouver. La médecine est une profession libérale qui exige quoi ? Un capital immatériel qui est inhérent au médecin, que le médecin porte toujours avec lui, qui est productif pour lui alors même qu'il est très improductif pour ses malades. La profession de cultivateur ne se réduit pas à des rodages aussi simples ; le cultivateur doit s'identifier avec le sol qu'il exploite et en subir en grande partie toutes les conditions ; le capital immatériel ne lui suffit pas ; il lui faut des capitaux matériels et beaucoup, s'il veut faire bien ses affaires ; il lui faut le concours d'agents très nombreux et souvent très difficiles à mener. Enfin, il est toujours la première victime de l’insuccès de ses opérations.

Il s'agit donc là de deux choses dissemblables ; non ; l'agriculture ne s'apprend pas comme la médecine, et un système fondé sur une idée aussi erronée ne saurait être que dangereux.

Si l'on veut, sous le rapport de l'enseignement, établir une comparaison, c'est avec l'industrie qu'il faut comparer l'agriculture ; car le cultivateur est un entrepreneur d'industrie.

Or, l'enseignement professionnel de l'industrie, qui date de plusieurs années, a déjà atteint un certain degré de perfection. Eh bien, je demanderai volontiers si on a déjà trouvé le secret de créer des établissements où l'industrie s'apprend vite et bien ; je ne pense pas que des industriels seraient disposés à confier la direction de leurs affaires à des élèves porteurs d'un diplôme constatant qu'ils ont appris l'industrie dans des institutions où cela s'apprend vite et bien.

En tout cela voilà la vérité, l'instruction en matière d'industrie comme en matière d'agriculture n'est qu'un auxiliaire ; c'est l'éducation qui forme l'agriculteur comme l'industriel, et l'éducation de l'homme pratique ne peut se faire que dans les réalités de la vie, dans les fabriques, les usines, dans les fermes, dans les ateliers des travailleurs soumis aux conditions normales, et tous les autres produits élevés dans un milieu artificiel viendront nécessairement s'étioler au grand air de la concurrence. Heureusement cette vérité est profondément gravée dans l'esprit des populations de nos campagnes, et c'est une des causes de leur antipathie contre cette agriculture administrative où l'on appelle vainement leurs enfants à faire leur apprentissage.

Messieurs, ayant ainsi déterminé d'une manière générale le caractère de l'instruction agricole, ou me demandera quel est le programme des connaissances que je veux répandre parmi les populations rurales.

Je vous ferai connaître mon opinion à cet égard, mais cela demandera naturellement assez de développements,

- Plusieurs membres. - A demain !

M. de Naeyer, rapporteur. - Je préférerais aussi remettre à demain la fin de mon discours.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.