(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 619 procède à l'appel nominal à deux heures et un quart ; la séance est ouverte.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des facteurs de la poste, à Binche, demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit extraordinaire de 400,000 fr.
« Le sieur Michiels demande que le projet de loi concernant les jurys d'examen comprenne une disposition qui dispense de l'examen devant le jury les candidats notaires en titre avant la publication de la loi du 15 juillet 1849. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« L'administration communale de Gand demande que l'enseignement agricole dans les contrées flamandes soit donné en flamand. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’enseignement agricole.
« Le sieur Tulpinck réclame l'intervention de la Chambre pour entrer en possession des biens dont sa famille se dit évincée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par sept pétitions, des fermiers, cultivateurs, marchands de bestiaux gras et commerçants à Zwevezeele, Avelghem, Staden, Thielt, Pitthem, Moen, demandent que les artistes vétérinaires non diplômés soient admis à continuer l'exercice de leurs fonctions. »
M. Vander Donckt. - Messieurs, cette pétition offre un intérêt réel pour l'exercice de l'art vétérinaire et pour l'agriculture. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants d'Opbrakel prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain sur Gand, Eccloo et Terneuzen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des employés expéditionnaires au greffe du tribunal de première instance de Tournai demande que la loi accorde aux tribunaux de première instance le droit de présenter au choix du gouvernement trois candidats pour la nomination des greffiers de justice de paix. »
- Même renvoi.
« Le sieur Beumers, ancien militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une place. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Callebert, Blieck et autres membres de la société littéraire, dite « de Vriendschap », établie à Roulers, demandent qu'il y ait autant d'écoles vétérinaires, d'agriculture et d'horticulture dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes, que l'enseignement y soit donné dans la langue maternelle, et que si, pour l'une ou l'autre branche de l'enseignement, on n'établissait qu'une seule école pour tout le pays, les élèves reçoivent les leçons dans la langue parlée dans leurs provinces. »
« Même demande d'habitants d'une commune non dénommée. »
M. Rodenbach. - Je demanderai que cette pétition, qui vient de ma localité, soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement agricole.
- Cette proposition est adoptée.
« Les bourgmestres, échevins et d'autres habitants de Resseghem, Letterhautem, Bambrugghe, Zonneghem, Herzeele et le bourgmestre de Berbeke demandent une loi qui accorde aux médecins vétérinaires non diplômés un nouveau délai deux ans pour subir leur examen. »
« Même demande contenue dans 26 pétitions faites par d'anciens praticiens de la Flandre orientale, les bourgmestres, échevins et des habitants d'Oosterzeele, Gyzenzeele, Oombergen, Landscauter, Eeeke, Saint-Gilles-lez-Termonde, Olsene, Audeghem, Dickelvenne, Waterland-Oudeman, Okeghem, des habitants de Zele, Zwjndrecht, Saint-Paul, Nazareth, Pamel, Denderleeuw, Denderhautem, Tamise, Basele, Caprycke, Saint-Jean-in-Eremo, Saint-Laurent, Peteghem, Wieze, Moorsel, Saffelaere, Laerne, Assenede, Bouchaute, Hilleghem, Renaix, Sulsique, Watripont, Russeignies, Oostacker, Destelbergen, les échevins et des habitants de Melsele, Zeveneecke, Herderssem, Mendonck, Moerbeke, Sinaye, Gavere, Vurste, Zwyndrecht, Welle, Idderghem, le bourgmestre et des habitants de Semmerzaeke, Maesdonck, Zelzaete, Oosterzeele, Gyzenzeele, Oomberghen et Landscauter et des artistes vétérinaires de Pitthem. »
M. Rodenbach. - Nous avons reçu de Thielt, Roulers et autres communes de la Flandre, peut-être cinquante pétitions sur le même objet ; une foule de vétérinaires réclament la faculté de pouvoir subir un nouvel examen dans un temps déterminé.
Je demande que toutes ces requêtes soient renvoyées à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
Il est procédé au tirage au sort des sections de février.
M. Coomans. - La section centrale s'est réunie hier pour examiner le projet de loi qui alloue un crédit extraordinaire aux employés inférieurs de l'Etat, et elle m'a chargé de vous présenter un prompt rapport. J'ai l'honneur de déposer ce rapport sur le bureau.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. le président. - Ce projet de loi est assez urgent, on pourrait le mettre à l'ordre du jour après le vote définitif du budget de l'intérieur.
- Cette proposition est adoptée.
M. Visart. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur une pétition concernant des droits qui frappent l'introduction des engrais en Belgique.
M. Lesoinne. - Je viens déposer, au nom de la commission permanente d'industrie, les rapports sur deux pétitions, l'une du comice du quatrième district agricole de la province du Hainaut, l'autre de plusieurs industriels qui demandent que la Chambre prenne des mesures pour faire baisser le prix des charbons.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution des rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le président. - Le projet de loi se compose d'un article unique ainsi conçu :
« Article unique. L'amende prononcée par l'article 13 du décret du 20 juillet 1831 est applicable à l'éditeur du journal non quotidien, pour chacun des jours qui s'écoulent entre celui où l'insertion devrait avoir lieu et celui où elle a été faite. »
La section centrale adopte au fond l'opinion du gouvernement, mais elle propose une autre rédaction ainsi formulée ;
« Article unique. L'article 13 du décret du 20 juillet 1831 est interprété de la manière suivante :
« Si le journal n'est pas quotidien, la réponse sera insérée dans le numéro ordinaire qui paraîtra, selon la périodicité du journal, deux jours au moins après celui du dépôt, à peine contre l'éditeur de 20 florins d'amende pour chaque jour de retard. »
Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je me rallierai volontiers à la rédaction proposée par la commission, si la commission consent à introduire une légère modification dans le texte primitif. Voici, messieurs, la modification que je propose :
« Si le journal n'est pas quotidien, la réponse est insérée dans le numéro ordinaire qui paraîtra, selon la périodicité du journal, deux jours au moins après celui du dépôt, à peine, contre l'éditeur, de 20 florins d'amende par chaque jour qui s'écoule depuis l'omission d'insérer jusqu'à l'insertion. »
Ces derniers mots, messieurs, je les ai tirés du deuxième arrêt de la Cour de cassation et ils expriment de la manière la plus nette, l'objet à interpréter par la loi en discussion.
Je me suis mis d'accord, messieurs, avec l'honorable M. Malou sur cette modification.
M. le président. - Voici une proposition de M. Orts :
« L'article 13 du décret du 20 juillet 1851 est interprété en ce sens :
« Par jour de retard on entend les jours de publication de l'écrit périodique auquel la réponse a été adressée et qui se sont écoulés entre le jour où l'insertion était obligatoire et celui où cette insertion est effectuée. »
Cette proposition ne peut pas être considérée comme un amendement ; c'est le système contraire à celui du gouveniemant et de la commission.
M. Orts. - Messieurs, la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer contient, comme vient de le faire observer M. le président, un système diamétralement opposé au système proposé par le gouvernement et par la commission. Ce n'est donc pas, à proprement parler, un amendement, c'est une proposition nouvelle, contraire à la proposition principale. Mais j'ai cru devoir proposer une rédaction opposée à celle du gouvernement plutôt que de me borner à le combattre, en m'autorisant des précédents de la Chambre en cette matière. En effet, si lorsqu'il s'agit de voter une loi interprétative, les adversaires de l’interprétation proposée ne proposent pas à leur tout autre chose que le rejet de cette interprétation, il arriverait qu'en cas de triomphe de l’opposition la question ne serait pas résolue et la loi ne serait pas interprétée.
La Chambre, pour ne pas se trouver dans une impasse, a toujours (page 620) admis la marche que j’ai suivie, c’est-à-dire que les adversaires du projet du gouvernement propose une interprétation contraire.
Voici, messieurs, la différence entre les deux interprétations.
La loi actuelle sur la presse, dans son article 13, accorde à toute personne citée dans un journal, le droit d’y faire insérer une réponse.
D'après l'article 13 du décret que vous avez à interpréter, la réponse que la personne citée adresse au journal à fin d’insertion doit être publiée par ce journal, au plus tard le surlendemain du jour où le dépôt en a été fait dans les bureaux à peine, contre l'éditeur du journal, de 20 florins d'amende pour chaque jour de retard. Voilà le texte.
La difficulté qui s'est présentée dans l'application et qui nécessite la loi interprétative, est celle-ci :
Un journal de Bruxelles, qui n'est pas quotidien, avait désigné une personne dans ses colonnes. Cette personne, usant du bénéfice de la disposition contenue dans l’article 13 du décret, a déposé une réponse au bureau. Le journal ne paraît que les dimanches. De l'aveu de tous, quel que fût le jour de la semaine où la réponse a été déposée, elle ne devait être publiée que le premier dimanche qui suit le jour du dépôt de la réponse ; tout le monde est d'accord sur ce point, les tribunaux, le gouvernement, la, commission spéciale qui a examiné le projet de loi. Or le premier dimanche, c'est -à-dire le premier jour de la publication après le dépôt de la réponse, le journal n'a rien inséré, il a omis d'insérer pendant une période de plusieurs semaines.
De là des poursuites. On est venu, au nom de l'article 13 du décret qui punit le défaut d'insertion d'une amende de 20 fl. pour chaque jour de retard, demander à la justice de frapper d'amende l'éditeur du journal en retard de publier la réponse, amende calculée sur chacun des jours matériels, physiques, si je puis m'exprimer ainsi, qui se sont écoulés entre le moment où la réponse devait être insérée et celui où elle l'a été réellement.
L'éditeur a répondu : «Vous me traitez comme un journal quotidien ; vous n'en avez pas le droit ; vous ne pouvez me considérer comme étant en retard d'accomplir une obligation pour les jours où il m'a été impossible de l'accomplir, c'est-à-dire pour les jours où mon journal ne se publie pas ; je ne suis donc passible de l'amende que pour chacun des dimanches qui se sont écoulés entre le jour où je devais insérer la réponse aux termes de la loi, et le jour où j'ai fait réellement l'insertion. »
La cour d'appel de Bruxelles, saisie la première de ce débat, a décidé que le journaliste avait raison et qu'il ne devait pas subir d'amende pour les jours où il ne publie pas de journal.
Sur le pourvoi du ministère public, la cour de cassation a décidé le contraire.
Renvoi devant la cour d'appel de Liège. Cette cour, par un arrêt très longuement et très soigneusement motivé, qui est annexé au projet de loi, et que vous avez lu, a adopté le système de la cour d'appel de Bruxelles. Enfin, la cour de cassation, toutes chambres réunies, a persisté dans sa jurisprudence, et de là nécessité d'une loi interprétative.
Il y a donc à décider aujourd'hui si d'après le décret du 20 juillet 1831 le journaliste non quotidien doit, lorsqu'il a omis d'insérer une réponse, autant d'amendes de 20 fl. pour chaque jour de retard qui s'est écoulé matériellement depuis l'époque où il devait insérer la réponse, ou, comme le pensent les cours d'appel, s'il ne doit payer l'amende que pour les jours où il paraît sans avoir rien inséré.
Messieurs, je crois qu'il suffit de très courtes réflexions pour vous démontrer que le système que j'ai l'honneur de vous proposer est le plus conforme au texte et au véritable esprit de la loi que vous avez à interpréter.
Il est d'abord un point préliminaire qu'il importe de ne pas perdre de vue : c'est qu'il s'agit aujourd'hui de l'interprétation d'une loi en matière pénale.
Or, pour l'interprétation des lois en matière pénale, l'autorité chargée d'interpréter, législateur ou juge, a moins d'arbitraire qu'en matière civile, il a un guide pour éclairer sa marche.
En effet, un principe que tout le monde s'accorde pour reconnaître, le gouvernement comme la Chambre, comme les corps judiciaires qui ont été appelés à se prononcer en cette circonstance, domine la question. En matière pénale, du moment où il y a doute sur un texte et lieu à interpréter, l'autorité chargée d'interpréter, législateur ou juge, doit se prononcer pour le système le moins sévère ; le doute doit profiter à la partie poursuivie.
Ce principe, on ne le conteste pas dans le rapport de votre commission, on reconnaît que si un doute sérieux existe, la balance doit pencher en faveur du prévenu, et la pénalité la moins rigoureuse être appliquée, parce qu'il s'agit de matière pénale. Mais on ajoute, avec beaucoup de raison en principe, quoique faisant, à mon avis, une fausse application du principe aux faits, que, pour admettre l'applicabilité du principe, il faut trouver le doute dans le texte de la loi à interpréter, que ce doute ne soit pas l'œuvre du caprice des juges.
Je ne nie point cette vérité : s'il plaisait à des magistrats, si haut placés qu'ils soient dans l'estime publique, fût-ce les cours de Bruxelles et de Liège auxquelles on a demandé de faire l'application de la loi, fût-ce la cour plus haut placée encore qui a réformé leurs arrêts, de qualifier par caprice pur un texte de douteux, ce ne serait pas une raison pour nous de prendre comme chose incontestable, comme une vérité hors de controverse l'existence de ce doute de fantaisie.
Mais tout en reconnaissant le principe proclamé par là commission, je dis qu'un doute sérieux existe, que le texte du décret n'est pas le moins du monde clair, que c'est une erreur profonde de croire à l'évidence des termes.
Si j'établis que j'ai raison sur ce point, la question est tranchée en faveur du système que je propose, elle est tranchée de l'avis de tout le monde, car l'honorable rapporteur de votre commission, la cour de cassation et l'honorable et savant magistrat qui a porté là parole devant elle, l'ont dit : S'il y avait un doute dans le texte, l'interprétation favorable au prévenu devrait prévaloir.
Remarquons-le tout d'abord, sans attacher à la remarque une valeur exagérée.
Il semble difficile de contester l'existence d'un doute quand des corps aussi nombreux, aussi éminents que ceux qui se trouvent en présence n'arrivent pas à apprécier un texte de la même façon.
Je trouve le doute passablement justifié, par ce fait seul que les cours de Bruxelles et de Liège entendent un même texte, simple, conçu en termes usuels, dans un sens et la cour de cassation dans un autre. Je ne m'empare pas de cette considération comme d'un argument décisif, quoique grave, vous en conviendrez.
L'obscurité que j'invoque existe dans le texte même du décret de 1831, en dehors du conflit qu'il a soulevé. Remarquez-le bien, les adversaires de l'opinion que je défends soit à la Chambre soit ailleurs, le rapport de la commission comme l'arrêt de la cour de cassation ét le procureur général reconnaissent que le texte prête au doute, à l'interprétation. Ils le reconnaissent tellement, que pour l'appliquer raisonnablement aux journaux non quotidiens, il leur faut suppléer aux termes qui s'y trouvent et détourner ces termes de leur sens apparent. : Voici en quelles circonstances cela est reconnu par toutes les autorités que je viens de citer devant vous.
D'après le décret sur la presse, la réponse doit être déposée au bureau du journal pour en obtenir l'insertion, et cette insertion doit être faite au plus tard le surlendemain du jour où la réponse est déposée. Eh bien, le texte est tellement douteux, ouvre si largement la porte à l'interprétation, que, de l'aveu de toutes les autorités que j'ai rappelées tout à l'heure et qui me sont contraires, ob dit : Cette disposition doit être entendue autrement que dans le sens évident des termes pour devenir applicable aux journaux non quotidiens. En effet, s'il fallait prendre les termes à la lettre, comme on veut le faire pour la dernière partie de l'article, voici la conséquence où l'on arriverait, et elle serait absurde.
Il faudrait que lorsqu'une réponse est déposée dans le bureau d'un journal qui ne paraît que le dimanche, par exemple, et que cette réponse est déposée le lundi, le journal avançât sa publication et parût le mercredi, de façon à pouvoir insérer la réponse le surlendemain du jour où elle aurait été déposée.
Cela serait absurde. Exiger que, pour insérer une réponse un journal changeât son ordre de publication, ce serait infliger à ce journal une pénalité nouvelle qui n'est pas écrite dans la loi, ce que personne n’a le droit de faire. Le législateur peut corriger la loi pour l'avenir, mais ne peut rien ajouter à la loi existante.
Ce serait de plus une chose parfaitement contraire à l'esprit de la loi. Car, pourquoi cet article ouvre-t-il le droit de réponse à la personne calomniée ou simplement désignée dans un journal ? C'est pour que la défense parvienne à ceux qui ont connu l'attaque, c'est-à-dire aux lecteurs ordinaires et aux abonnés du journal. Si vous obligez un journal à déranger son ordre de publication, à faire, pour insérer la réponse de la personne désignée, un numéro supplémentaire qui ne paraît pas dans l’ordre de périodicité, mais quatre ou cinq jours plus tôt, vous permettez de mettre la réponse dans un numéro qui ne sera peut-être pas adressé à tous ceux qui ont lu l’attaque. Rien ne garantit qu’un supplément extraordinaire parviendra à tous les abonnés.
Aussi tout le monde est-il d'accord que, quoique le texte soit bien clair quand il dit que la réponse sera insérée au plus tard le surlendemain du jour où elle sera déposée au bureau du journal, le journal non quotidien ne doit insérer cette réponse que dans son plus prochain numéro ; et c'est pour lever ce doute que votre commission, qui croit qu'il n'y a pas de doute sur le sens de l'article, vous propose néanmoins une rédaction autre que celle du gouvernement, et en dehors de l'interprétation que le conflit judiciaire nécessite.
Vous voyez donc que la porte est très large ouverte au doute, de l'aveu même de mes adversaires, dans la disposition que vous avez à interpréter. Une seconde observation que je veux vous faire, démontrera l'existence du doute à un autre point de vue, dans le même article. Il est assez douteux, en effet, que ses rédacteurs au Congrès national aient pensé à donner le droit de réponse aux personnes citées dans un journal, à l'égard des écrits non quotidiens. A s'en tenir au texte, pour moi il est évident qu'ils n'y ont pas même songé. Il y à donc encore une fois un doute sur le point de savoir si la disposition doit être appliquée à ces journaux non quotidiens. La disposition que j'ai citée tout à l'heure et qui contient l'obligation d'insérer le surlendemain du jour où la réponse aura été déposée, suppose un journal paraissant tous les jours.
(page 621) Mais il y a plus. D'où vient l'article que vous avez à interpréter ? Où est sa source ? Chez qui s'est-on inspiré pour importer dans la législation belge une disposition qui était une innovation, quand on l'a inscrite dans la loi de 1831 ? On avait trouvé cette disposition dans une loi française sur la presse du 25 mars 1822, et la loi du 25 mars 1822, en France, quant à cet article, s'exprimait ainsi dans son article 11.
« Les propriétaires ou éditeurs du journal ou écrit périodique (mots que vous ne trouvez plus dans la législation belge) seront tenus d'y insérer dans les trois jours de la réception ou dans le plus prochain numéro (nouveaux mots disparus du texte belge) s'il n'en était pas publié avant l'expiration des trois jours, la réponse de toute personne nommée ou désignée, dans le journal ou écrit périodique sous peine d'une amende de 50 fr. à 500 fr., sauf préjudice. »
Ainsi la source où l'on avait puisé l'article à interpréter parle clairement, des écrits périodiques et dispense l'écrit périodique d'insérer la réponse ailleurs que dans son plus prochain numéro ; cela disparaît dans la rédaction du Congrès.
Il est donc permis de douter si l’omission des écrits périodiques et des termes différents fixés par la loi française aux journaux et aux écrits périodiques en raison de leur mode différent de publication, pour acquitter leur obligation d’insérer une réponse, s’est faite en vue de les exempter de l'obligation d'insérer, ce que je ne crois pas, ou pour tout autre motif. Encore une fois le doute est là ; il faut donc interpréter en faveur du prévenu ce que le législateur n'a pas suffisamment exprimé.
On me dira peut-être que ce doute résulté des termes incomplets de là disposition s'explique assez facilement, lorsqu'on se rappelle l'histoire de la loi belge. Le décret sur la presse a été fait, messieurs, par le Congres national en une séance. Le gouvernement avait déposé, dès le mois de mai 1831, si je ne me trompe, un projet de loi sur la presse, contresigné par M. Barthélémy, alors ministre de la justice. Ce projet de loi est encore dans vos archives et vous pouvez l'y retrouver. Il fut envoyé à l'examen d'une commission spéciale ; mais le Congrès, absorbé par d'autres travaux plus importants pendant les mois de juin et de juillet 1831 (certainement je n'ai pas besoin de les rappeler, vous les connaissez tous), se vit à la veille de se séparer, sans avoir fait de loi sur la presse, sans avoir examiné le projet du gouvernement.
Deux ou trois jours avant le 21 juillet 1831, c'est-à-dire avant l'inauguration solennelle du Roi et la dissolution du Congrès, le Congrès se souvint de cette tâche oubliée ; on pressa très fort la commission de déposer son travail. C'était le 17 ou le 18 du mois de juillet. On voulait une loi sur la presse avanlde se séparer. La commission se réunit et fit un rapport par l'organe de l'honorable M. de Theux. Ce rapport concluait à des modifications très légères aux lois hollandaises de 1825 et 1830 encore en vigueur. Ces demi-mesures ne satisfirent pas le Congrès qui remplaça cette commission par une autre nommée séance tenante. Celle-ci eut jusqu'au soir pour élaborer un projet de loi. Elle s'acquitta de sa tâche et vint à la séance du soir avec le décret actuel sur la presse qui fut discuté très rapidement et adopté à peu près comme il avait été présenté.
On me dira : Si la rédaction d'un projet de loi ainsi improvisée laisse à désirer, cela tient sans doute, non pas à ce que la volonté du législateur était incertaine, mais parce qu'il n'avait pas eu le temps de choisir ses expressions. Cela s'explique par l'empressement, par la précipitation.
Cette raison ne peut être acceptée pour la disposition dont il s'agit, parce que cette disposition se trouve tout entière dans le projet de M. Barthélémy telle qu'elle a passé dans le décret sur la presse, c'est-à-dire que le gouvernement a rédigé l'article 13 du décret sur la presse, dans le silence du cabinet, à tête reposée, en pesant les mots et les expressions, comme se rédigeaient alors tous les projets de loi, comme ils se rédigent encore aujourd'hui. La commission improvisée du Congrès n'a eu autre chose à faire pour cet article que de copier le projet de M. Barthélemy ; c'est ce qu'elle a fait.
Ainsi la rédaction de l'article 13 est une rédaction mûrie, si les termes qui s'y trouvent exigent l'intcrprétation ; le doute existe dans la pensée non dans l'emploi de termes qu'on n'aurait pas eu le temps de choisir, de peser convenablement avant de les employer.
Ainsi donc il est incontestable que la disposition de l'article 13 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse prête matière à interprétation, qu'elle n'est pas suffisamment claire et complète dans plusieurs de ses parties, et que je suis parfaitement autorisé à vous dire, messieurs : La Chambre est en présence de termes douteux qu'il faut interpréter.
Dès lors, ne l'oubliez pas, - c'est le point de départ de mes adversaires comme le mien - il est de principe que le doute doit profiter à celui sur qui retombera la peine à la suite de votre interprétation législative.
Il y a plus ; dans la disposition du décret une expression ôte toute valeur à l'interprétation contraire à celle que je présente. Cette expression a une valeur juridique, une signification légale, consacrée en jurisprudence. Ce sont les mots : « jour de retard ». Une amende par jour de retard est une locution à signification, à définition légale, juridique dans le langage de la loi, comme dans le langage des arrêts. Cette signification, la voici :
Une pénalité, une amende par jour de retard, est une peine que le juge ou le législateur applique à la désobéissance envers une prescription qui n'a pas été accomplie, lorsqu'on est en position d'y obéir tous les jours de façon que si le débiteur le condamne, l’obligé n’a pas ce que le juge lui prescrivait de faire, on comptera autant de jours de retard qu’il s’est écoulé de jours où ce débiteur pouvait accompli son obligation et a négligé de l’accomplir.
Si une réponse est adressée à un journal paraissant le dimanche, il ne peut accomplir l'obligation que lui impose la loi, tous les jours, quand il lui plaît. S'il laisse paraître un numéro, un dimanche, sans y insérer cette réponse, il ne pourra pas la publier, le lundi, le mardi, le mercredi et ainsi de suite, jusqu'au dimanche suivant.
L'exécution de l'obligation n'est pas possible, de l'aveu de tout le monde ; il a été jugé aussi, par tous les tribunaux dont la division de sentiment rend votre interprétation nécessaire, précisément dans la cause actuelle où l'éditeur a vainement tenté de se tirer d'affaire en publiant un numéro extraordinaire. Cette jurisprudence est parfaitement rationnelle.
Un éditeur de journal du dimanche fait chose complétement inutile s'il publie le lundi un numéro extraordinaire pour y insérer la réponse qu'il n'a pas insérée dans son numéro du dimanche. Je vous en ai dit tout à l'heure la raison. Le vœu de la loi ne serait pas accompli. Le but de la loi ne serait pas atteint à l'aide d'un numéro extraordinaire ou d'un simple supplément publié le lundi ; lorsque le journal paraît régulièrement le dimanche, parce que, de cette manière, la réponse ne parviendrait pas sûrement à tous les lecteurs du journal, à tous les abonnés, à tous les habitués. La fraude serait facile. Or la loi a voulu, par le droit de réponse, mettre la justification sous les yeux de ceux qui ont connu l'attaque.
Il est reconnu, sans conteste, que la réponse doit être insérée dans un numéro régulier du journal, et non pas dans un numéro extraordinaire.
Evidemment, en équité, en raison, comme en droit, messieurs, l'amende par jour de retard ne peut s'appliquer aux jours où l'on n'a pas inséré, non pas parce qu'on ne voulait pas insérer, mais parce qu'on ne pouvait pas insérer.
J'ai dit que cette signification des mots « jour de retard » est incontestée et incontestable. Voulez-vous que j'en demande la preuve à la langue des arrêts et à la langue des auteurs ? Quant aux arrêts, je vais demander cette preuve à une autorité qui n'est pas suspecte, à l'autorité que je combats, à l'autorité de la cour de cassation de Belgique elle-même.
La cour de cassation a dit elle-même qu'il fallait entendre ces mots « jour de retard » en ce sens que la pénalité s'aggrave tous les jours où on est libre de remplir l'obligation imposée, et où on ne l'accomplit pas, et elle l'a dit précisément à l'occasion du même article 13 du décret sur la presse.
Permettez-moi de vous lire un seul considérant d'un arrêt de cette cour en date du 9 août 1839, vous y verrez ma définition acceptée comme vérité pure.
« Attendu qu'il est généralement admis au jurisprudence que la peine pour retard dans l'exécution d'une obligation court du jour de la mise en demeure, soit légale, soit judiciaire et qu'elle ne s'arrêle qu'au jour de cette exécution si, comme dans l'espèce, elle consiste dans la prestation d'un fait que la personne obligée peut exécuter à volonté. »
Eh bien, messieurs, s'agit-il ici d'une obligation que l'éditeur peut exécuter à sa volonté ? Il ne peut, tout le monde le reconnaît, insérer valablement la réponse qu'au jour où il a coutume de paraître d'après son ordre de périodicité.
Les jurisconsultes parlent, messieurs, le langage de la cour de cassation, et cela n'est pas étonnant, car vous connaissez son éclatante composition.
Je trouve dans Dalloz, par exemple, une définition parfaitement concordante avec le considérant que je viens de citer. Voici comment s'exprime cet auteur. Après avoir parlé du pouvoir qu'a le juge d'ordonner à une partie de prester un fait à peine d'une somme par jour de retard, il ajoute :
« Ici, comme on voit, la pénalité n'arrive pas fatalement en une seule fois et n'accable point un débiteur ou une partie qui a pu se bercer de l'espoir de remplir dans le délai, la condition qui lui était imposée : c'est une situation moins rigoureuse qui lui est faite. La pénalité ou la condamnation qui pèse sur elle est successive et ne s'aggrave qu'en raison directe de son obstination à ne pas se conformer au prescrit des juges.
C'est-à-dire, messieurs, que d'autant plus on est obstiné à désobéir, d’autant plus on payera d’argent, et comme l’obstination consiste à ne pas insérer quand on peut insérer, il faut aggraver la peine en raison du nombre de fois qu’on a refusé d’insérer quand on pouvait insérer.
Je voulais citer le langage de la loi pour me compléter. J'ai, messieurs, je l'avoue, difficilement rencontré un texte de loi autre que le décret sur la presse, mentionnant des pénalités par jour de retard ; je n'en connais qu'un seul, l'article 107 du Code de procédure civile qui, lorsqu'un avoué a retiré des pièces du greffe, lui enjoint de les réintégrer dans un délai de ..., sous peine de 10 fr. pour chaque jour de retard. Jugeons d'après ce texte ; je suppose le délai expiré un samedi, viendra-t-il à l'idée d'un juge quelconque de condamner le malheureux avoué en retard à dix francs pour le jour du dimanche, où le greffe est fermé, où l'avoué trouverait porte de bois s'il se présentait pour réintégrer ses pièces ?
(page 622) Evidemment pas un juge sensé n'appliquerait ainsi l'article 107. Et c’est là pourtant ce qu'on fait pour le journaliste.
Maintenant, je sais, messieurs, que les arrêts de notre cour suprême exercent une juste et légitime influence, non seulement sur vos convictions, mais sur l'opinion de tous ceux qui ont à les apprécier, sur l'opinion publique tout entière, et cette influence ne s'arrête pas même à nos frontières. Mais dans une matière où il s'agit d'interpréter une disposition faite par le Congrès national belge, il faut aussi attacher une juste et légitime importance à l'opinion émise par deux cours d'appel au sein desquelles siégeaient deux jurisconsultes des plus éminents parmi ceux qui firent partie du Congrès, deux jurisconsultes ayant voté le décret sur la presse, qui ont pu dès lors en peser et en apprécier mûrement les expressions.
Ouvrez les documents imprimés comme annexes au projet actuel, vous y verrez, sous l'arrêt de Bruxelles, le nom de M. Blargnies, que j'avais le droit d'appeler à l'avance un des jurisconsultes les plus éminents du Congrès national, comme il est encore un des jurisconsultes les plus éminents de la cour d'appel de Bruxelles, de M. Blargnies, sur le rapport de qui l'arrêt de cette cour a été rendu ; poursuivez cette recherche, et sous l'arrêt de Liège vous lirez le nom de M. Fleussu, dont vous connaissez tous la brillante carrière parlementaire et au Congrès et dans les législatures qui ont suivi. Ainsi l'opinion que je défends trouve des appuis parmi ceux que je pourrais appeler les auteurs de la disposition.
On me répondra saus doute. A la cour de cassation siégeait également un membre du Congrès national qui a été, lui aussi, le rapporteur de l'un des arrêts de cette cour, et ce membre est un jurisconsulte non moins distingué. Messieurs, je rends un hommage complet au caractère, à l'autorité scientifique du magistrat auquel je fais ici allusion ; ce n'est pas d'aujourd'hui que cet hommage lui est rendu publiquement par moi.
Que faut-il conclure de cette divergence d'avis entre hommes de si haute valeur ? Que cette lutte d'opinion entre trois jurisconsultes également distingués, ayant appartenu tous trois au Congrès national, ayant tous trois voté le texte controversé, démontre l'existence du doute, que ce doute doit être levé et que j'ai, par conséquent, le droit de réclamer, au nom des principes les plus certains, qu'il soit levé en faveur du prévenu.
Je pense, messieurs, que ces considérations suffiscut pour justifier l'interprétation présentée par moi.
M. Lelièvre. - Messieurs, la question soulevée par le projet de loi est née d'un conflit existant entre la cour de cassation et les cours d'appel de Bruxelles et de Liège, relativement à l'interprétation que doit recevoir l'article 13 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse.
Il s'agit de savoir quel sens il faut donner aux expressions « pour chaque jour de retard » qu'en rencontre dans cette disposition. En ce qui me concerne, je partage l'opinion de la cour de cassation et je pense, comme le corps judiciaire, que même, lorsqu'il s'agit d'un journal non quotidien, les mots « chaque jour de retard » doivent être entendus daus leur sens usuel et qu'en conséquence l'amende est encourue rpur chaque jour de retard qui s'écoule entre le jour où l'insertion doit avoir lieu et celui où réellement elle a été faite.
Une considération me paraît péremptoire. C'est un principe d'interprétation que le même mot employé dans une seule et même phrase ne peut avoir une double signification ; donc les expressions « chaque jour de retard » doivent avoir le même sens dans toutes les hypothèses. Elles doivent, par conséquent, avoir la même portée, soit qu'il s'agisse d'un journal quotidien ou non quotidien. Or, quand il est question d'un journal quotidien, les mots ci-dessus énoncés ont bien certainement la valeur que leur prête l'arrêt de la cour de cassation. D'où je condus qu'ils ne peuvent avoir une autre signification lorsqu'il s'agit d'un journal non quotidien.
Ce n'est pas tout ; les expressions d'une loi doivent toujours être entendues dans leur sens naturel. Or, je le demande, les mots « chaque jour de retard » n'indiquent-ils pas clairement le sens qu'il faut leur donner ? L'interprétation admise par les cours d'appel tend à attribuer aux expressions dont il s'agit un sens forcé, une portée contraire à la signification naturelle des mots, et sous ce rapport encore elle ne me paraît pas admissible.
Il y a plus, le système que nous combattons est contraire aux premiers principes du droit. L'éditeur qui n'a pas inséré la réponse au jour déterminé par la loi est en retard de remplir ses obligations. Or, cette demeure légale continue d'exister jusqu'au moment où l'obligation est remplie : elle existe donc à chaque instant jusqu'à ce que l'éditeur pose un fait qui la fasse cesser.
En conséquence on conçoit l'amende par chaque jour de retard, parce que la demeure une fois encourue subsiste chacun des jours qui s'écoulent entre le jour où l'insertion devait avoir lieu et celui où elle a réellement en lieu. Cette demeure, pour me servir des expressions légales, ne peut être arrêtée que par un fait du contrevenant. Sous ce rapport le système des cours d appel de Liège et de Bruxelles n'est pas juridique.
Il est d'ailleurs repoussé par l'esprit de la loi. Qu'a voulu le législateur ? Comminer une peine afin que le préjudice moral qu'éprouve la société entière par l'atteinte portée aux droits de l'un de ses membres, préjudice qui s'accroît chaque jour, soit réparé efficacement.
Or, du moment que l'éditeur est en retard de remplir l'obligation légale, l'ordre public est lésé à chaque instant et le préjudice ne cesse d'exister jusqu'au moment où l'obligation est remplie. En conséquence l'amende, qui forme la réparation du tort moral résultant du délit, est encourue par chaque jour de retard, parce que, non seulement le préjudice causé au citoyen lésé s'accroît chaque jour par le fait volontaire de l'éditeur, nonobstant la non-publication du journal, mais il en est de même du dommage moral qu'éprouve l'ordre public par suite du délit.
Ajoutez à cela qu'il est contraire aux principes de suspendre les effets d'une demeure encourue, alors que le délinquant n'a posé aucun acte pour faire cesser les conséquences d'un retard qui se perpétue jusqu'au moment où il a été satisfait aux prescriptions de la loi.
Ne perdons pas de vue que l'arrêt porté en dernier lieu par la cour de cassation, chambres réunies, est rendu sur le rapport de M. le conseiller de Facqz dont le dévouement sincère à nos libertés n'est contesté par personne. Cet arrêt fortement motivé déduit des raisonnements solides qui doivent faire fléchir les convictions les plus rebelles.
Je conçois très bien qu'eu égard aux difficultés de la question le prévenu Joly obtienne la remise des amendes qu'il a encourues à raison des doutes qui ont pu s'élever dans sa pensée sur les conséquences du défaut d'insertion, doutes qui ont été partagés par des corps élevés de l'ordre judiciaire.
Je suis même convaincu que le ministre de la justice appuiera un recours en grâce fondé sur des motifs sérieux, puisque le prévenu a pu se tromper de bonne foi sur le sens de la loi, et les conséquences de la contravention aux obligations qui incombent à l'éditeur d'un journal non quotidien.
Mais, en droit, il m'est impossible de souscrire à une doctrine repoussée par le texte de la disposition et contraire à l'esprit qui a présidé à l'œuvre du législateur.
A cet égard, qu'il me soit encore permis de vous soumettre quelques observations.
L'article 13 en discussion doit èlre interprété dans le sens le plus large et dans toute la portée de ses termes, parce qu'il consacre le droit naturel de légitime défense en faveur de la personne qui a été citée dans un journal nominativement ou indirectement.
Or, pour que le droit décrété par la loi soit sérieusement protégé, pour que la disposition de l'article dont nous nous occupons soit efficace et réponde au but du législateur, il est indispensable que la peine soit comminec à raison de chacun des jours de retard qui s'écoulent à partir de celui où l'insertion devait avoir lieu, quel que soit le caractère de la publication.
En effet, le droit du citoyen dont on refuse de publier la réponse, éprouve une lésion réelle qui s'accroît à raison du retard plus ou moins prolongé. Les conséquences de la non-publication au temps fixé par la loi s'aggravent réellement chaque jour, il est donc naturel que la peine soit élevée à mesure que les jours s'écoulent, le journal fût-il même non quotidien.
Admettre un autre système c'est, selon moi, rendre illusoire le droit sacré que l'article 13 du décret de 1851 a voulu protéger.
L'éditeur d'un journal non quotidien pourrait, au moyen d’une légère amende, étuder les prescriptions légales, et le législateur qui a eu pour but d'arrêter l'effet de l'injure ou de la calomnie, aurait décrété des dispositions sans efficacité.
Je crois, en conséquence, devoir me rallier au système admis par la cour de cassation, sur les conclusions remarquables du magistrat eminent qui remplit les fonctions du ministère public.
Il me reste à dire un mot sur la rédaction proposée par la commission. Cette rédaction est vicieuse en un point capital. Elle ne résout pas la difficulté sur laquelle s'est élevé le conflit que vous êtes appelés à faire cesser. Il s'agit de décider quel est le sens des mots : « chaque jour de retard », énoncés à l'article 13 du décret de 1831. L'interprétation législative doit nécessairement déterminer en termes exprès la valeur de ces expressions.
Or, l'article proposé par la commission est muet sur ce point. Il est donc essentiel de compléter la disposition par des énonciations qui tranchent la question soumise à la législature. C'est pour atteindre ce but que l'on pourrait rédiger l'article en ces tenues :
« Si le journal n'est pas quotidien, la réponse sera insérée dans le numéro ordinaire qui paraîtra, selon la périodicité du journal, deux jours au moins après celui du dépôt, à peine contre l'éditeur d'une amende de 20 florins pour chacun des jours de retard qui s'écouleront entre le jour où l'insertion devait avoir lieu et celui où elle a été faite » Du reste, l'amendement proposé par M. le ministre de la justice a la même portée, et à ce point de vue, je puis m'y rallier.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, l'interprétation qui a été admise par la cour de cassation, et que le gouvernement propose de consacrer par la loi, me paraît à l'abri de toute contestation sérieuse, et je dois dire que te discours de l'honorable M. Orts n'a en aucune façon ébranlé mes convictions à cet égard.
Vous remarquerez, messieurs, que le système de l’article 13 est un système essentiellement moral au point de vue de la liberté de la presse et au point de vue de la douceur des peines que l'on doit comminer contre les excès de la presse, surtout lorsqu'elle jouit d'une liberté absolue comme dans notre pays. En Belgique, le système de la presse est essentiellement répressif pour tout ce qui concerne ses excès : il n'est (page 623) pas préventif. C'est au moyen de la loi pénale que les excès de la liberté sont réprimés, ce n'est pas au moyen de mesures préventives.
Tous les publicistes qui se sont occupés de la liberté de la presse et qui ont plaidé en faveur de la suppression des mesures préventives, se sont constamment trouvés d'accord sur ce point que le système répressif devait être d'autant plus efficace que le système préventif était moins fort, moins étendu.
Or, lorsqu'en 1822 on s'est occupé en France de régler la liberté de la presse et de la consacrer par une loi de principes essentiellement libérale, on a saisi avec empressement cette idée qui a été émise pour la première fois par un membre très éminent de la chambre des députés, en même temps conseiller à la cour de cassation, par M. Mestadier, lequel a proposé à la Chambre d'introduire dans la loi l'article 11 dont il a été donné lecture par l'honorable M. Orts.
Cet article 11 consacre le droit de réponse, droit essentiellement moral, comme je l'ai dit en commençant mon discours. C'est ainsi que le qualifient tous les auteurs qui, en France, ont écrit sur les lois relatives à la presse. En effet, ce droit de réponse dispense d'entrer dans un système répressif sévère, et donne le moyen le plus efficace à ceux qui ont été offensés, insultés, calomniés ou simplement cités par les journaux, de faire parvenir aux lecteurs de ces mêmes journaux la réfutation des calomnies ou des erreurs.
Rien n'est plus moral ; je crois qu'il faut favoriser le droit de réponse et que, dans le doute, bien loin d'amnistier l'auteur de la calomnie, en présence de l'exercice, du droit de réponse, il faut que le doute tourne en faveur de ce droit, qui est un droit de légitime défense, un droit naturel, un droit essentiellement moral, permettez-moi de le répéter encore.
Je pars de cette idée, et je poursuis mon raisonnement.
Voici le système de la loi du 25 mars 1822 en France ; permettez-moi de lire l'article 11 ; il est ainsi conçu :
« Les propriétaires ou éditeurs de tout journal ou écrit périodique seront tenus d'y insérer, dans les trois jours de la réception, ou dans le plus prochain numéro, s'il n'en était pas publié avant l'expiration des trois jours, la réponse de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique, sous peine d'une amende de 50 fr. à 500 fr., sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts, auxquels l'article incriminé pourrait donner lieu. Cette insertion sera gratuite, et la réponse pourra avoir le double, de la longueur de l'article auquel elle sera faite. »
Le droit de réponse a été emprunté à cette loi de 1822 et introduit dans le décret du 20 juillet 1831 sur la presse avec quelques modifications dans les termes, avec un système de pénalités différent de celui qui a été admis dans la loi française.
Mais, messieurs, supposez qu'au lieu d'une pénalité de 20 florins par jour de retard nous ayons dans notre pays pour pénalité une amende de 50 à 500 francs, et réprésentez-vous les tribunaux belges, dans l'affaire qui nous occupe en ce moment, en présence des faits que vous connaissez. Croyez-vous, messieurs, que les tribunaux belges eussent prononcé une peine moindre contre le journal hebdomadaire qui aurait omis d'insérer une réponse que contre le journal quotidien qui aurait également omis d'insérer cette réponse ; croyez-vous que, parce qu'un journal quotidien serait resté vingt jours sans insérer une réponse, il eût eu le maximum, si vous voulez, 500 francs d'amende, et que le journal hebdomadaire qui serait resté trois semaines sans insérer la réponse, n'eût eu qu'une amende de 50 francs et que pour comminer cette amende de 50 francs, le juge aurait dit : Le journal hebdomadaire ne paraît qu'une fois par semaine ; il est resté trois semaines sans insérer la réponse ; il est infiniment plus innocent que le journal quotidien qui est resté vingt jours sans s'exécuter ?
Je crois que l'honorable M. Orts lui-même n'aurait pas tenu un pareil langage et qu'il ne se serait pas borné à prononcer une amende de 50 à 60 francs contre le journaliste fautif, mais qu'il aurait considéré ce journaliste comme tout aussi coupable que le journaliste quotidien.
Pourquoi ? Parce que le préjudice causé par le journaliste, dans les deux cas est le même et que l'obstacle apporté à l'exercice du droit de la personne calomniée, est aussi coupable dans un cas que dans l'autre.
Cependant, si le système de l'honorable M. Orts était vrai, il devrait en résulter, en supposant le système français des pénalités introduit daus le pays, que le journal hebdomadaire payerait le minimum de l'amende, tandis que le journaliste quotidien payerait le maximum.
Raisonnons d'une revue trimestrielle ; il s'en public précisément une en ce moment, à Bruxelles ; cette revue paraît tous les trois mois en un volume in-8°. Supposez qu’on ait laissé passer trois numéros sans insérer une réponse, c’est-à-dire qu’on ait laissé courir une calomnie pendant une année entière ; car la calomnie aura paru aujourd’hui et la répondr ne pourra paraître que dans trois mois ; en n'insérant pas la réponse dans le prochain numéro et en laissant passer trois autres numéros, la calomnie reste sans réponse pendant une année entière : direz-vous encore que ce journaliste n'est pas plus coupable que le journaliste quotidien qui aurait laissé pendant un mois la réponse dans les cartons ?
Encore une fois, je crois que dans le cas d'une revue trimestrielle qui serat restée pendant trois numéros sans insérer une réponse, ce journal serait considéré comme infiniment plus coupable que le journal hebdomadaire.
Si le raisonnement que je viens de baser sur le système de pénalité fixe est juste, le raisonnement analogue qu'on doit baser sur l’article 13 du décret relatif à la presse paraîtra également juste, c'est-à-dire que le système admis par la cour de cassation qui prend pour point de départ la faute commise méchamment, sciemment et qui consiste à refuser de faire paraître la réponse dans le plus prochain numéro. Le raisonnement de la cour de cassation doit vous déterminer à admettre son interprétation.
Messieurs, je respecte assurément, et personne ne mettra en doute mes sentiments à cet égard, je respecte, dis-je, l'autorité des cours d'appel et des jurisconsultes distingués que l'honorable M. Orts a cités ; mais il m'est permis d'apposer à ces autorités les deux arrêts de la cour de cassation si fortement motivés, qui ont été précédés de conclusions qui me paraissent irréfutables, prononcés par le procureur général de cette cour. Dans le développement que vous avez lu, cet éminent jurisconsulte, par la discussion du texte et la recherche de l'esprit du législateur, démontre que lorsque les cours d'appel, et particulièrement la cour de Liège, ont déclaré qu'il y avait doute sur l'interprétation de la loi, ces cours ont commis une erreur fondamentale en déclarant qu'un texte clair, non sujet à interprétation, était douteux.
Dans le doute, dit-on, il faut se prononcer pour l'interprétation la plus douce. S'il en était ainsi, il serait inutile d'interpréter la loi ; si le principe que M. Orts considère comme fondamental pouvait triompher par l'existence même d'un dissentiment entre les cours on devrait se rallier au système des cours d'appel dans le cas qui nous occupe, puisque c'est le système le moins rigoureux. Si on voulait pousser un peu loin ce système, tous les jours on pourrait empêcher la cour de cassation de prononcer sur l'interprétation d'une loi pénale.
Je suppose qu'un tribunal correctionnel dise oui et que la cour d'appel dise non ; la cour de cassation devra-t-elle, parce qu'il existe un doute, une divergence d'opinion entre le tribunal correctionnel et la cour d'appel, se rallier à l'opinion de la cour d'appel qui dit non et qui est plus favorable au prévenu que le tribunal correctionnel ?
La cour de cassation, comme vous le faites aujourd'hui, messieurs, examine si on a eu tort ou raison de douter, et quand elle trouve qu'on a eu tort de douter elle lève le doute en proclamant son interprétation. C'est ce que vous allez faire, en vertu du droit que vous donné la Constitution.
Vous allez, après avoir rempli l'office de juges, agir en législateurs, vous apprécierez comme juges et votre appréciation devient un fait législatif par suite de l'autorité spéciale dont vous êtes investie. Votre vote lui imprime un caractère souverain, auquel les cours doivent se conformer d'une manière rigoureuse.
Il serait fastidieux d'entrer dans l'examen de tous les arguments qui sont imprimés à la suite du projet de loi du gouvernement dans les deux arrêts de la cour de cassation et les conclusions de M. le procureur général. Vous avez lu et médité ce qui est dit dans ces documents, et je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail des arguments qui y ont été développés.
Je m'attacherai à vous démontrer combien l'interprélation qui a été donnée aux mots « jour de retard » par l'honorable M. Orts, pêche par sa base et combien les précédents invoqués s'appliquent peu aux cas qui nous occupe. L'honorable membre prétend que les mots « jour de retard » sont des termes juridiques dont la signification est connue, sur la valeur desquels il ne peut pas y avoir de divergence d'opinion.
Je me permettrai de faire remarquer que la cour de cassation ne paraît pas avoir admis ce mode de raisonner.
Elle a interprété dans le cas qui nous occupe les mots « jour de retard » dans le sens opposé à celui qu'a préconisé l'honorable M. Orts.
L'honorable membre a cru mettre la cour de cassation en contradiction avec elle-même en citant un arrêt de 1839.
Je suis persuadé qu'il s'agit dans cet arrêt d'un journal quotidien ; par conséquent le raisonnement perd de sa valeur absolue puisqu'il doit être restreint à la « materia subjecta ».
Les arrêts sont très rarement d'une signification absolue, et il est fort difficile de faire servir un arrêt de principe à tous les cas qui semblent se rapporter à ce principe même.
Mais, messieurs, dans le cas actuel les mots « jour de retard » doivent nécessairement, comme l'a dit la cour de cassation, s'entendre de tous les jours qui s'écoulent depuis qu'on a posé un fait répréhensible, depuis qu'on a commis une faute dont la conséquence pénale est nettement déterminée par le décret sur la presse. C'est là le point de départ indiqué par la cour de cassation et le ministère public près de cette cour ; c'est-à-dire que lorsqu'il y a une faute, une infraction, cette faute, cette infraction rend celui qui l'a commise responsable de toutes les conséquences qui se rattachent à l'infraction même, et les mots « jour de retard » doivent s'entendre de tous les jours qui, physiquement, s'écoulent entre la faute commise et la réparation de la faute qui, dans le cas où elle a été commise par un journal non quotidien, est beaucoup plus grave que quand elle a été commise par un journal quotidien : car celui-ci peut réparer tous les jours la faute qu'il a commise ; il peut du jour au lendemain faire cesser les effets de la calomnie, tandis qu'un journal hebdomadaire sait parfaitement bien que s'il n'insère pas dans son prochain numéri la réponse qui lui est adressée, il se met dans (page 624) l'impossibilité de réparer les effets de la calomnie, avant l'apparition de son prochain numéro. Dans ce cas, la faute est plus grave que dans le cas d'omission par un journal quotidien, puisque la réparation de la faute, n'est possible qu'à des intervalles plus éloignés.
Qu'y a- t-il d'injuste à ce que les mots « jour de retard » soient interprétés comme ils l'ont été par la cour de cassation ? Au contraire, je trouverais injustice, inégalité dans l'explication qu'ont admise les cours d'appel.
Cette explication crée pour les journaux non quotidiens un privilège de calomnie, de diffamation ou d'erreur qui ne semble pas compatible avec le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi ; car il faut se mettre un peu au point de vue de la personne calomniée, à laquelle la loi a donné le droit de réponse, et il ne faut pas perdre de vue que d'une interprétation qui aboutirait à l'absurde, il résulterait pour la personne calomniée le droit de faire insérer immédiatement une réponse dans un journal quoitidien, tandis que vis-à-vis d'un journal hebdomadaire, elle n'aurait pas le droit de se justifier d'une manière efficace, en faisant prononcer contre l'éditeur des amendes proportionnées au préjudice que le refus d'insérer lui a causé.
Si l'interprétation des mots « jour de retard » qu'a voulu présenter l'honorable M. Orts était admise, il en résulterait, ce me semble, de singulières conséquences.
Je vais lui poser un cas qui me semble avoir assez d'analogie avec celui qui nous occupe.
Je suppose un service de diligences établi entre deux localités et ayant, d'après l'autorisation, un départ deuxfois par semaine. L'entrepreneur de diligence fait un contrat avec un fabricant pour le transport périodique, deux fois par semaine, de marchandises, correspondances, etc. Il fait mal son service. Le fabricant envers qui il n'a pas rempli ses engagements lui fait un procès.
L'entrepreneur est condamné à continuer le contrat à peine de 25 fr. par jour de retard. Je demanderai si dans ce cas les mots « jour de retard » que le juge aurait libellés dans son jugement, devraient s'entendre des jours de retard calculés sur le pied des deux départs par semaine ou des jours de retards calculés sur tous les jours qui s'écouleront entre le moment ou le jugement a été prononcé et celui où l'entrepreneur accomplira ses obligations et se conformera au jugement. Je soutiens très consciencieusement que dans ce cas les mots « jour de retard » devront s'entendre de tous ceux qui s'écouleront entre le jugement et l'exécution du jugement et qu'une interprétation différente ne serait ni juste ni rationnelle.
Il faudrait au moins que le juge s'expliquât et dît d'une manière très nette et très précise que les jours de retard ne s'entendront que des jours de départ. Mais si le juge ne s'explique pas sur ce point, je pose en fait que personne ne pourra soutenir avec succès qu'on peut se borner à appliquer la pénalité aux seuls jours de départ.
Eh bien, ce que je viens de dire pour l'exemple que j'ai cité, je l'applique à l'interprétation de l'article 13 du décret sur la presse. Les mots « chaque jour de retard » doivent s'entendre de tous ceux pendant lesquels le préjudice causé par le refus d'insertion subsiste, continue de peser sur la personne lésée pendant lesquels par conséquent cette personne lésée a le droit d'attendre de la justice répressive l'application rationnelle de la loi pénale, de la peine qui forme cette garantie et qui forme la garantie publique du droit de réponse.
Je dirai deux mots, messieurs, des différentes rédactions qui ont été déposées.
J’avais restreint l'article primitivement proposé au cas précis qui était en discussion, c'est-à-dire que j'interprétais les mots « jour de retard » en disant que l'amende de l'article 13 s'appliquait à l'éditeur du journal non quotidien pour chacun des jours qui s'écoulent entre celui où l'insertion devait avoir lieu et celui où elle a été faite.
Je partais de l'idée que le jour où l’insertion doit avoir lieu est le jour d'une publication utile, régulière du journal non quotidien, postérieur au surlendemain du dépôt de la réponse.
C'est ce qui résultait, messieurs, et du dernier arrêt de la cour d'appel de Liège et du dernier arrêt de la cour de cassation. C'est un point sur lequel les cours s'étaient complètement mises d'accord.
La commission, ainsi qu'elle l'a expliqué, a pensé que ces mots : « où l'insertion devait avoir lieu » n'expliquaient pas suffisamment qu'il s'agissait de calculer le point de départ, non pas rigoureusement à partir du surlendemain, mais à partir du numéro utile qui paraîtrait après le surlendemain. C'est pour écarter à cet égard toute espèce d'équivoque que votre commission a cru devoir modifier cette rédaction et proposer une rédaction nouvelle Mais en étudiant avec soin sa rédaction, ainsi que l'a aussi fait remarquer l'honorable M. Lelièvre, on voit que le point précis de l'interprétation reste toujours dans le vague ; c'est-à-dire qu'en admettant l'article qu'elle proposait, la oommission se bornait à dire : 20 florins d'amende pour chaque jour de retard, ce qui est précisément l'expression dont se sert l'article 13 du décret sur la presse qu'il s'agit d'interpréter.
Il ne me semblait pas qu'on pouvait interpréter un tcxle sur lequel il y avait dissentiment, en répétant purement et simplement le texte même sur lequel ce dissentiment s'était établi.
J'ai donc puisé dans le second arrêt de la cour de cassation une explication qui me paraît parfaitement conforme à l'objet à interpréter, c'est-à-dire qu'au lieu de dire : « 20 florins d'amende pour chaque jour de retard », je propose de dire : « 20 florins d'amende pour chaque jour qui s'écoule depuis l'obligation d'insérer jusqu'à l'insertion. »
Je crois que cette nouvelle rédaction améliore celle qui a été déposée par la commission, qu’elle dissipe toute espèce de doute sur le sens des mots « jour de retard » et qu'elle est conforme à la saine interprétation et aux véritables droits de défense, qui doivent être égaux pour tout le monde, que le décret sur la presse a voulu accorder aux personnes calomniées.
M. Vander Donckt. - Messieurs, vous aurez remarqué comme moi que, depuis quelque temps, nous sommes appelés fréquemment à interpréter divers articles des lois qui nous régissent :
Tantôt sur l'art médical, concernant la livraison des médicaments, même à titre gratuit par des personnes étrangères à l'art de guérir ;
Tantôt sur les règlements de police sur les sépultures ;
Tantôt sur ceux concernant les constructions ;
Tantôt sur les articles du décret sur la presse.
Tout cela, messieurs, me prouve une chose, c'est que nos lois sont loin d'être claires, précises et de facile interprétation.
Les propositions du gouvernement sont constamment contraires à la jurisprudence de nos cours d'appel, et ces conclusions tendent constamment à interpréter nos lois conformément aux décisions de la Cour de cassation. C'est ce que je ne puis admettre. En présence de la décision contraire de deux cours d'appel, quel que soit mon respect pour la haute cour de justice, permettez-moi de croire qu'elle n'est pas infaillible, toutes chambres réunies ou non.
Chaque fois qu'on nous demande une interprétation législative, nous voyons devant nous un prévenu que la Chambre condamne où absout implicitement par sa décision ; elle est convertie en véritable tribunal correctionnel ; il est bien vrai que le prévenu est renvoyé devant une autre cour d'appel, mais votre décision est pour elle la règle invariable dans l'application de la loi que vous aurez interprétée.
Et le prévenu qui a agi de bonne foi, qui a interprété la loi dans le sens des deux cours d'appel, qui a consulté les hommes de loi les plus renommés de la faculté, qui l'ont entendu dans ce sens, et lui ont dit : « C'est là la saine interprétation basée sur l'équité et la justice, l'ont induit en erreur, tout cela prouve à l'évidence qu'il y avait doute, et le sage dit : Dans le doute abstiens-toi ».
A mon avis, il faut commencer par mettre le prévenu hors de cause ; alors et alors seulement nous délibérerons en toute liberté, sans préoccupation de celui qui a agi de bonne foi et contre lequel la loi ne pouvait sévir avant votre interprétation.
C'est une espèce de rétroactivité qui n'est pas de droit, tant que le prévenu ne sera pas mis hors de cause, je m'abstiendrai, parce que je ne délibère pas en toute liberté, je me préoccupe du sort du prévenu que mon vote à émettre doit contribuer à condamner.
El quant au cas présent qui nous est soumis, messieurs, nous, qui à juste titre, sommes si jaloux de la liberté de la tribune, qui usons de la liberté la plus large et la plus entière, nous restreindrions de nouveau la liberté de la presse, dont nous avons déjà entamé la liberté par des considérations de haute politique en présence de la Constitution que nous avons juré d'observer et qui proclame la presse libre, vous ne la restreindez pas de nouveau en lui suscitant de nouvelles entraves et en l'exposant à des poursuites tracassières.
Ah ! je le sais bien, je rencontrerai d honorables adversaires sur ce terrain, mais je les défie de trouver un seul argument autre que ceux puisés dans les abus dont quelques organes de la presse se sont rendus coupables. Je les déplore comme eux, mais je ne puis me décider à enfreindre de nouveau cette grande liberté, à cause de quelques abus inévitables en pareille matière, cette liberté peut-être déjà trop entamée ! Ce sont les motifs qui m'engageront à émettre un vote favorable à l'amendement de l'honorable M. Orts.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, l'honorable député qui vient de se rasseoir se prononce en faveur de l'amendement de l'honorable M. Orts, par la raison que la liberté de la presse doit être maintenue. Au point de vue de la commission comme de la Chambre, la liberté de la presse n'est pas en cause dans la discussion actuelle.
Plus la liberté est grande, plus la police de la presse sur elle-même doit être efficace au point de vue du droit des tiers. En ce sens, mais en ce sens seulement, la véritable liberté de la presse est intéressée à la répression des abus. La liberté, ne l'oublions pas, ne dure qu'à la condition d'avoir une législation efficace contre les abus.
Il est inutile de développer cette vérité ; elle est prouvée par tous les faits de l'histoire contemporaine.
Il s'agit en réalité de savoir si le Congrès national, qui a adopté l'article 13 du décret sur la presse, a voulu donner contre les abus de la presse une garantie aux citoyens lésés.
Il semble vraiment que l'article 13 a été fait en faveur du publiciste éditant un journal quotidien ou autrement périodique, et que l'on a complètement oublié le droit des citoyens qui se croient lésés. Si je nè me trompe, on interprète à l'avantage des attaquants une disposition faite contre eux, et on l'interprète ainsi au préjudice des attaqués, que la loi a voulu protéger.
On dit que le doute doit profiter à l'accusé. Mais quel est ici le premier accusé ?Celui qui a été attaqué, calomnié, injurié dans un journal. S'il y a du doute, c'est pour cet accusé que la loi est faite et que le doute doit tourner. Je le répète, vous prenez ici une disposition et vous l’interprétez dans un sens diamétralement opposé au but que le législateur s'est proposé en l'insérant dans la loi.
(page 625) Le doute, nous dit-on, et c'est l'argument principal de l'honorable M. Orts, doit être interprété en faveur de l'accusé, et ce doute, I'honorable membre le trouve en premier lieu dans la contrariété des décisions judiciaires. Messieurs, je sais bien qu'il y a certaines maladies contagieuses, mais je ne savais pas que le doute fût de ce nombre. Quoi ! les cours ont douté, il y a dissentiment entre elles et par conséquent nous devons douter. Mais non, messieurs, moi législateur, j'examine la questioni ; je vois si elle est claire et je ne puis me laisser gagner par la contagion du doute si la question me paraît claire.
Pourquoi le législateur intervient-il, lorsqu'il y a contrariété de décisions judiciaires ? Parce qu'on croit que le législateur, doit être appelé à dire ce qu'il a voulu. Je conçois que vous invoquiez le doute devant un jury ou un juge qui n'a pas fait la loi ; mais invoquer le doute devant le législateur à qui on vient demander ce qu'il a entendu dire lorsqu'il a écrit la disposition dans la loi, c'est inviter le législateur à douter de lui-même.
Dans toutes les questions qui ont subi l'épreuve de quatre ou cinq décisions judiciaires, il y a nécessairement de nombreuses raisons de douter ; on peut les multiplier, les développer avec beaucoup de talent ; mais dans toutes ces controverses, à côté de mille raisons de douter, il y a toujours une raison de décider, et c'est à cette raison de décider qu'il faut s'attacher, surtout lorsqu'il s'agit de déterminer le véritable sens de la loi.
Quelle est dans l'espèce, comme on dit au barreau, la raison de décider ? C'est, messieurs, que la loi a voulu assurer la protection du droit de tout citoyen et une protection égale à tout citoyen qui était attaqué ou, qui se croyait injustement attaqué dans un écrit quotidien ou autre. Eh bien, si vous admettez un système autre que celui de la cour de cassation, je dis que cette protection disparaît et que le droit privé est à la discrétion de celui qui veut le léser ; en d'autres termes, je dis que vous vous placez en dehors des l'état social, où, à côté de toute liberté, il y a une garantie, où, à côté de tout droit, il y a un devoir ; et que vous placez la presse à l'état sauvage ; vous lui donnez un moyen de dénier, indéfiniment le droit de réponse qu'elle devrait toujours accueillir si elle se plaçait dans l'état civilisé.
Je dis que vous donnez un privilège, une impunité temporaire à ceux qui de préférence mettront, la calomnie et l'injure dans des écrits qui sont publiés à de longues périodes.
La raison juridique, la raison d'intérêt social vous disent que vous devez placer sur la même ligne ceux qui ont lésé ce droit, quel que soit le mode de leur publication.
L'argument fondamental présenté par la cour d'appel de Liège et reproduit tout à l’heure par l'honorable M. Orts, est celui-ci ; vous punissez un éditeur pour l'omission d'un fait qu'il lui est impossible d'accomplir. Vous reconnaissez, que, le jour de la publication ordinaire étant passé, il ne peut satisfaire à la loi par la publication d'nn numéro extraordinaire, et vous le punissez pour un fait indépendant de sa volonté.
Mais que suppose l'honorable M. Orts en présentant cet argument ? Il suppose que le lendemain, par exemple, le lundi après le premier numéro, où la réponse pouvait être insérée, l'éditeur du journal s'est repenti de n'avoir pas fait l'insertion. En d'autres termes vous accordez une prime au repentir.
D'abord, messieurs, lorsqu'on laisse s'écouler trois semaines sans publier la réponse, le repentir ne peut pas s'appliquer aux premières semaines, il ne pourrait s'appliquer qu'à la dernière ; votre argument déjà fait défaut dans ce cas.
Mais est-il plus fondé sous un autre rapport ? Celui qui a mis au pilori un citoyen et qui sait qu'il l'y maintiendra pendant huit jours de plus en refusant de faire droit à sa juste réclamation, celui-là n'a-t-il pas su d'avance qu'il se mettait lui-même dans l'impossibilité de réparer le tort qu'il a causé, et que ce tort est proportionnel au temps pendant lequel la réparation se fait attendre ?
C'est donc par son fait que le tort dure et s'aggrave. Or, la réparation doit être proportionnelle à la lésion.
Abordons un instant la discussion du texie. Ici, je l'avoue, j'éprouve un certain embarras, car enfin nous devons prouver qu'un jour est un jour et qu'un jour n'est pas une semaine, un mois ou une année. Je crois que quand la loi dit un jour, ce mot, s'il n'a pas toujours une signification juridique, a une signification de sens commun et que dans notre pays un jour est 24 heures.
Dans le sens de l'honorable M. Orts, nous devons reconnaître qu'un jour n'est pas un jour, mais une époque quelconque, comme peut-être les jours de la création, ainsi qu'on le dit à côté de moi.
Pour prouver que l'interprétation de M. Orts n'est pas l'interprétation légale, il suffit de lire le texte de son amendement et de le comparer à notre proposition.
Nous ne faisons que reproduire littéralement le texte du décret de 1831, tandis que l'honorable membre dit : « Par jour de retard on entend les jours de publication. » Il est donc obligé de changer le texte, tandis que nous n'avons besoin que d'y ajouter uu mot pour lui rendre son sens légitime, son sens littéral.
Dans le système de l'honorable membre (et il a côtoyé cet abîme sans y tomber) il faudrait aller beaucoup plus loin, il faudrait dire qu'il y a impunité complète pour tout journal qui n'est pas quotidien.
En effet que dit l'honorable membre ? Le Congrès n'y a pas pensé, cette loi a été faite en quelques instants.
Cependant on a repris cet article dans un projet du gouvernement. Ensuite dit l'honorable membre, il faut bien interpréter en les modifiant les mots : « le surlendemain ».
Tout cela prouve, ajoute-t-il, que le fait n'est pas prévu en ce qui concerne les journaux non quotidiens.
Mais, messieurs, si le fait n'est pas prévu à l'égard des journaux non quotidiens, il faut aller au-delà de l'amendement ; alors ce n'est plus la cour de cassation seulement qui a tort ; ce sont aussi les cours d'appel, et il faut dire que la pénalité ne s'applique ni par jour, ni même par période, et qu'il y a impunité complète pour tous les journaux non quotidiens.
Messieurs, je connaissais, comme l'honorable membre, le texte de la loi du 22 mai, j'en avais tiré une conséquence toute différente.
Dans la loi du 22 mai qui estime loi de principe, et qui, comme telle, a survécu à tous les bouleversements de la législation française, on a prévu les deux hypothèses, l'infraction commise par des journaux quotidiens et par des journaux qui se publient à des époques plus éloignées ; mais la loi établit une peine uniforme.
Le Congrès national, s'inspirant en quelque sorte de cette législation, a créé une peine proportionnelle, ou si l'on veut, un moyen de contrainte proportionné au temps qui s'écoulerait entre la lésion et la réparation, ne peut-on pas dire qu'il a eu en vue de ne faire aucune distinction entre les journaux quotidiens et les autres ?
La loi française de 1822, rapprochée du décret belge, fournit plutôt un argument en faveur de notre opinion qu'en faveur de l'opinion de l'honorable membre.
On nous cite des jurisconsultes, entre autres Dalloz, qui ont établi que toute peine proportionnelle doit être établie en raison directe de l'obstination de celui qui résiste à la loi.
Je m'empare de ce principe. Quel est l'acte de résistance à la loi et quelle en est la portée lorsqu'un journal se publié hebdomadairement ?
N'est-il pas évident que l'acte d'obstination qui comprend une période de 8 jours est plus grand que celui qui ne comprend que 24 heures, qu'une attaque ou une calomnie insérée dans un journal qui vit huit jours (car ils sont un peu comme les papillons), qui est lu pendant huit jours, fait beaucoup plus de mal que la même attaque ou la même calomnie insérée dans un jourrial quotidien qui n'a guère de chance de vivre, d'être lu pendant plus de 24 heures jusqu'à ce qu'il soit remplacé par un autre ?
Et le législateur aurait pu prétendre qu'une accusation injuste pourra se trouver pendant 8 jours dans un journal hebdomadaire, pour 20 florins tandis que le journal quotidien qui aurait publié la même accusation et qui aurait refusé pendant 8 jours d'insérer ma réponse, payerait huit fois 20 florins. Cela ne serait pas digne d'un législateur.
J'entendais dire sur les bancs de l'école, il y a un peu plus de 20 ans, que lorsque la valeur de l'argent avait considérablement diminué à Rome, un riche citoyen se promenait au Forum en distribuant des soufflets et en se faisant suivre par un esclave qui acquittait immédiatement l'amende minime prononcée par une vieille loi. Si vous autorisez à maintenir une attaque injuste pendant un mois, pendant un trimestre, pendant une année, pour 20 florins, vous aurez rendu possible un fait analogue à celui-là.
Vous aurez donné un privilège à des publications qui ont déjà, par la force des choses, le privilège de causer un plus grand tort à la réputation des citoyens qu'elles attaquent.
Messieurs, je n'ajouterai qu'un mot, sur la rédaction de la loi interprétative.
Lorsque nous reproduisions textuellement l'article 13 du décret en disant que la réponse devait être insérée tel jour et qu'il y aurait une amende de 20 florins pour chaque jour de retard, nous décidions, je crois, complètement la question soumise en ce moment à la Chambre. Mais M. le ministre de la justice désire donner une rédaction plus claire ; je crois cette rédaction moins correcte, moins académique ; mais on dit qu'elle se trouve dans l'arrêt de la cour de cassation et je ne veux pas être plus difficile.
M. le ministre propose de dire : « Le jour de retard est le jour qui s'écoule entre celui de l'omission d'insérer et celui de l'insertion. »
Je le répète, c'est plus clair, mais c'est beaucoup moins correct.
Dans tout ceci, je m'occupe uniquement d'une question de droit.
Nous n'avons pas à nous préoccuper des conséquences immédiates que peut avoir la décision que nous allons prendre. S'il y a eu bonne foi de la part de celui qui se trouverait frappé ici d'une amende disproportionnée au délit, le Roi, par le droit de grâce, en fera la part. Aujourd'hui, nous n'avons pas à décider si telle amende sera appliquée en fait, nons avons à décider quel est le véritable principe de la loi et de quelle manière il doit être maintenu.
Une observation que j'ai perdue de vue tout à l'heure, me revient en mémoire ; remarquez, messieurs, quelle peut être la raison de cette pénalité proportionnelle au jour de 24 heures ; il se peut que non content d'avoir refusé pendant plusieurs semaines à un citoyen insulté, calomnié par lui, l'insertion d'une réponse déposée à son bureau, le publiciste accumule de nouveau les injures et les attaques injustes contre celui auquel il refuse l'insertion d'une première réponse ; s'il en était ainsi, diriez-vous encore que là il y a des raisons juridiques, de fait et d'ordre social à donner un privilège que je crois avoir suffisamment caractérisé. Evidemment non ; l'excuse du repentir serait inadmissible ; il faudrait, à plus forte raison encore, que la pénalité fût rigoureusement proportionnelle au temps.
- La suite de la discussion est remise à demain.
M. Lelièvre. - Messieurs, je prie la Chambre de bien vouloir fixer à mardi la discussion du projet de loi concernant la police sanitaire des animaux domestiques.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 5 heures moins un quart.