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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 22 janvier 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dumon (page 527) procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Plusieurs fabricants de tabac et détaillants de cigares, établis à Anvers, demandent une disposition qui interdise toute vente publique de cigares, dont le nombre serait inférieur à 20,000 ou tout au moins 15,000. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Lemberge demande que la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain sur Gand, Eecloo et Terneuzen soit accordée aux sieurs Moucheron et Delaveleye ».

« Même demande du conseil communal de Munte. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Saint-Ghislain prie la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleye et Moucheron la concession d'un chemin de fer direct de Saint-Ghislain à Gand. »

- Sur la proposition de M. Rodenbach. - renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport. »


« Le sieur Kannegiesser, commissaire de police de Verviers, demande un supplément de traitement du chef des fonctions d'officier du ministère public qu'il remplit près le tribunal de simple police. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Hogne demande l'exécution de travaux pour occuper les ouvriers qui ne peuvent se procurer des moyens d'existence. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Baelen demandent que les habitants de cette commune soient exemptés des logements militaires. »

M. Coomans. - Les habitants de Baelen se plaignent de nouveau et unanimement de la charge des logements militaires qu'on leur impose chaque année pendant plusieurs semaines lors des manœuvres du camp de Beverloo.

Nous avons maintes fois reçu des réclamations à ce sujet, venues non seulement de Baelen, mais de plusieurs autres villages. Bien que nous ayons renvoyé chaque fois ces réclamations à M. le ministre de la guerre avec le désir visible de voir y faire droit, les mêmes abus restent debout et deviennent vraiment intolérables. Je demande un prompt rapport et j'ajourne jusque-là les observations plus approfondies que j'aurai à soumettre à la Chambre.

M. de Theux. - Je demande qu'on fasse également un prompt rapport sur les pétitions arrivées de diverses communes de la province de Limbourg, la question étant connexe.

- Ces deux propositions sont adoptées.


« Le sieur Pitaffe demande que le travail dans les fabriques soit interdit pendant six mois de l'année. »

- Même renvoi.


« Quelques maîtres de carrières demandent que les ingénieurs de l'Etat basent leurs évaluations sur la nécessité d'augmenter le salaire des ouvriers et qu'ils s'assurent que les entrepreneurs payent la valeur réelle des objets qui leur sont livrés. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants et électeurs de Bambrugge présentent des observations contre la nomination du bourgmestre de cette commune qui a été choisi en dehors du conseil communal, et demandent qu'on ne fasse plus de nomination de ce genre. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Kokai, Rigot et Dufays, notaires à Stavelot, demandent qu'il ne soit pourvu aux fonctions de notaire qu'après une vacance, de trois mois au moins, constatée par le Moniteur. »

- Même renvoi.


« Le sieur Filleul Van Elstraete demande un secours. »

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs des communes d'Autruweel, de Merxem et des communes formant le canton de justice de paix d'Eeckeren demandant l'abrogation de la loi du 7 ventôse an XII, qui détermine la largeur des jantes pour les roues des voitures de roulage attelées de plus d'un cheval. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand relative au projet de loi sur l'enseignement agricole. »

(page 258) « Même adhésion d'habitants de Meerhout et de membres de la société littéraire dite « Eendragt en Voortgang » à Herzeele et d'une société littéraire flamande à Bruxelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Nieuport demandent qu'il y ait autant d'écoles vétérinaires d'agriculture et d'horticulture dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes ; que l'enseignement y soit donné dans la langue maternelle, et que si, pour l'une ou l'autre branche de l'enseignement, on n'établissait qu'une seule école pour tout le pays, les élèves reçoivent les leçons dans la langue parlée dans leurs provinces. »

« Mêmes demandes d'habitants d'une commune non dénommée et du conseil communal d'Aerseele. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement agricole.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre avec les pièces de l'instruction, cinq demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

« M. de Wouters, empêché par la mort d'un de ses oncles, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.


M. le président. - Vous avez chargé le bureau de composer la commission chargée d'examiner le projet de loi qui rectifie les limites entre la ville de Liège et les communes de Grivegnée, de Herstal et de Jupille. Cette commission se compose de MM.Lesoinne, Deliége, Frère-Orban, de Bronckaert, Moreau, Dautrebande et Lejeune.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Zelzaete le 22 décembre 1804, le conseil communal de cette commune prie la Chambre d'accorder à la compagnie Delaveleye et Moucheron la concession du chemin de fer de St-Ghislain à Gand et Terneuzen par Zelzaete.

Même demande du conseil communal d'Everbecq, datée du 30 décembre 1854, afin qu'il passe par les cantons de Flobecq et Nederbrakel.

Même demande du conseil communal d'Eccloo, datée du 23 décembre 1854, et demandant en outre l'achèvement simultané avec la grande ligne, la section de Gand à Eecloo par Everghem, Sleydingen et Waerschoot, et de la mettre en rapport avec celles du pays de Waes et de Dendre et Waes.

Même demande de plusieurs fabricants, négociants et courtiers à Gand.

Même demande du conseil communal d'Everghem.

Votre commission se borne à émettre le vœu que cette grave question, qui intéresse au plus haut degré les provinces respectives que cette voie ferrée est appelée à desservir ainsi que les localités qu'elle traversera, reçoive enfin une prompte solution et que les Chambres puissent en être saisies dans le plus bref délai possible ; et dans ces termes elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces requêtes à M. le ministre des travaux publics,

M. Rodenbach. - J'appuie de toutes mes forces cette demande de concession ; elle pourrait au printemps procurer du travail à une quantité d'ouvriers de nos Flandres. Dans l'intérêt même du pays M. le ministre des travaux publics devrait se hâter de l'accorder. Il paraît d'ailleurs que la compagnie Delaveleye et Moucheron s'est mise d'accord avec d'autres compagnies qui avaient également demandé des concessions. L'on assure qu'elle est prête à déposer un cautionnement d'un million et même plus, et que l'on peut pour ainsi dire assurer que le capital nécessaire à l'exécution de cette entreprise sera fourni. Il n'y a plus aucune espèce d'opposition de la part de la commission d'enquête ni de personne, et il paraît que d'une voix unanime on demande l'exécution de cet important travail, qui doit servir à procurer le charbon aux deux Flandres. Vous le savez, messieurs, le combustible est excessivement cher ; nos classes ouvrières souffrent non seulement de la cherté des aliments, mais aussi de celle du combustible. C'est un motif de plus pour faciliter le transport du charbon dans le pays et pour ne pas en protéger l'exportation par des diminutions de péages.

Je demande donc que M. le ministre des travaux publics prenne une prompte décision. S'il croit que la demande de la compagnie Delaveleye ne doit pas être accueillie, qu'il le déclare sans délai afin que d'autres concessionnaires puissent faire leur proposition, mais qu'on y mette de l'activité et du zèle pour que nos nombreux ouvriers puissent, dans ce temps de cherté de vivres, avoir de l'ouvrage.

. M. de Naeyer. - La Chambre a déjà reçu une foule de réclamations ayant le même objet que la pétition sur laquelle on vient de faire rapport. L'honorable ministre des travaux publics a répondu jusqu'ici aux interpellations qui lui ont été adressées, que l'affaire était en instruction, que l'enquête qui a été ordonnée n'était pas encore terminée.

Si je suis bien informé, aujourd'hui la situation des choses est changée ; je pense que toutes les autorités et les commissions qui ont été consultées ont donné leur avis de manière que les retards qui ont eu lieu jusqu'ici n'auraient plus de raison d'être.

Je demanderai donc que M. le ministre veuille bien nous faire connaître la situation de cette affaire et nous dire en même temps s'il pourra prochainement présenter un projet de loi, afin de faire droit aux vives réclamations qui nous arrivent de la part d'une foule de localités intéressées et notamment des principaux centres d'industrie des Flandres. Je pense donc qu'il n'y aurait pas d'inconvénient, puisque l'honorable ministre des travaux publics n'est pas présent, de lui renvoyer cette pétition avec demande d'explications.

- Le renvoi à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée du 17 décembre 1854, le sieur Le Loup, ancien instituteur communal, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir les arriérés de sa pension.

Le pétitionnaire dit que sa pension a été liquidée sur la caisse provinciale à la somme de 431 fr., mais que, d'après l'article 57 du règlement organique, elle a été réduite temporairement à 237 fr. Entre-temps on a soulevé la question de savoir s'il ne devait pas être pensionné par la caisse centrale de prévoyance du département de l'intérieur, pour les instituteurs et professeurs urbains.

Jusqu'ici toutes les démarches faites par lui et par les autorités provinciales sont restées sans décision. Il ajoute qu'il se trouve dans un état voisin de l'indigence, à l'âge de 71 ans, avec une femme valétudinaire, alité et sans ressources.

Votre commission, messieurs, a l'honneur devous proposer le renvoi de sa requête à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée du bassin du centre, le 22 décembre 1854, plusieurs industriels présentent des observations contre le projet de transférer la station du Midi, à Bruxelles vers les prairies de Cureghem ; ils pensent qu'il serait inutile de vous énumérer les conséquences fâcheuses d'un pareil projet pour tous les intéressés qui font usage de cette voie ferrée et, tandis que dans d'autres pays, on fait tout pour procurer le plus de commodité et d'économie, on ferait ici tout le contraire. Ils osent espérer que la Chambre s'opposera à l'exécution de ce projet si jamais on s'avisait de le lui proposer ; ils ajoutent que ce qui d'abord n'était qu'un bruit vague, semble avoir acquis de la consistance et que ce n'est pas sans fondement que le public intéressé s'en alarme.

Votre commission, confiante dans la sagesse et le bon sens du gouvernement, ne partage pas les appréhensions des pétitionnaires. La commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du minstère de l'intérieur de l'exercice 1855

Discussion du tableau des crédits

M. Vander Donckt (pour une motion d’ordre). - Avant de quitter la tribune qu'il me soit permis de rectifier un passage de mon discours au sujet des employés provinciaux reproduit par le Moniteur.

Il n'est jamais entré dans mon intention de révoquer en doute l'étendue des connaissances ni les capacités, le dévouement et le zèle, des employés des administrations provinciales, des chefs de division et de bureau.

Mon intention a été de faire comprendre que, dans la situation actuelle, il était impossible à ces employés de suffire à la besogne, qu'en présence de la surcharge continuelle de travail, le personnel n'était plus suffisant ; que d'un autre côté la faible rémunération que reçoivent aujourd'hui les chefs de division et de bureau mettait l'autorité supérieure dans une position telle, qu'il sera très difficile de les remplacer convenablement à l'avenir, parce qu'on sera réduit à recruter ces fonctionnaires dans les rangs des médiocrités qui ne seront pas à la hauteur de leur mission.

Voilà la pensée que j'ai voulu développer dans le discours que j'ai eu l'honneur de faire à ce sujet.

Chapitre XI. Agriculture

Article 57

M. le président. - Dans la séance de samedi, la Chambre a adopté le littera A de l'article 57. Il a été ensuite procédé au vote, par appel nominal, sur le littera B ; mais le résultat a constaté que la Chambre n'était plus en nombre. Il va être procédé de nouveau à l'appel nominal sur ce littera B : « Frais de conférences agricoles des instituteurs primaires : fr. 5,000. »

- Il est procédé au vote par appel nominal.

56 membres répondent à l'appel.

41 répondent oui.

15 répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte.

Ont répondu oui : MM. Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Devaux, Dubus, Dumon, Goblet, Jacques, Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Mercier, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Tesch, Thiéfry, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vervoort, Veydt, Anspach, Calmeyn, Coppieters t' Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Haeme, de Moor, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer et Delfossc.

Ont répondu non : MM. Dumortier, Lambin, Magherman, Malou, Osy, Tack, Vander Donckt, Vilain XIIII, Boulez, Brixhe, Coomans, de Liedekerkc, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Ruddere de Te Lokeren.

Article 58

(page 529) « Art. 58. Inspection de l'agriculture, des chemins vicinaux et des cours d'eau : fr. 13,000. »

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, en 1851, si je ne me trompe, un inspecteur en chef du service des mines a reçu la mission de visiter en détail tous les chemins vicinaux améliorés ou prétendument améliorés de la Belgique. C'était là sans doute une très rude besogne ; cependant grâce à l'activité déployée par le haut fonctionnaire que je viens de nommer, le travail dont il s'agit a pu être terminé en moins de trois années. Tout le monde peut aujourd'hui en connaître les résultats, ils sont consignés dans trois gros volumes qui nous ont été distribués successivement et qui, suivant de très grandes probabilités, dorment paisiblement dans plusieurs bibliothèques, sans grand danger d'être troublés dans leur repos.

Messieurs, ces trois in-folio ont été imprimés aux frais du budget de la Chambre. Nous avons dépensé de ce chef 8,000 à 10,000 fr. C'est déjà quelque chose. Mais évidemment l'inspection elle-même a occasionné des dépenses beaucoup plus fortes qui ont été acquittées sur le budget de l'intérieur.

Par conséquent, comme le gouvernement, en accordant des subsides pour la voirie vicinale, obtient par le concours des provinces et des communes des travaux d'amélioration d'une valeur triple au moins et très souvent quadruple, il est vrai de dire que les ressources absorbées par l'inspection générale de notre voirie vicinale auraient certainement suffi pour paver ou empierrer, dans nos communes rurales, plusieurs lieues de chemins qui sont très souvent impraticables.

Il y a plusieurs personnes qui pensent que ce résultat eût été plus avantageux et d'une utilité plus réelle que le travail général auquel l'inspecteur général a consacré beaucoup de peine et un temps très précieux. Cependant, dans ma manière de voir, la dépense qui a été effectuée est loin d'être complètement inutile, parce qu'elle a servi à prouver d'une manière très convaincante quels sont les effets déplorables, d'une centralisation outrée. Tout le monde, et moi le premier, rend hommage à la haute capacité du fonctionnaire qui est chargé de faire l'inspection de nos chemins vicinaux, et qui joint certainement à des connaissances très variées une activité rare et tout à fait exceptionnelle. Il est donc regrettable que les vices inhérents à la mission qui lui a été confiée l'aient condamné fatalement à produire un travail qui contient des erreurs très graves et des appréciations tout à fait inexactes.

Ce que je viens d'avancer, je le prouverai par des faits incontestables.

Le dernier volume qui nous a été distribue renferme le rapport sur la Flandre orientale, province qui m’est particulièrement connue. Or, dans ce rapport il est dit formellement que cette province ne possédait, à la fin de 1852, que 41 lieues de chemins vicinaux pavés, ayant coûté environ 2 millions tout au plus. Cela est énoncé de la manière la plus positive à la page 576 du troisième et dernier volume où l'on trouve la récapitulation des résultats de l’inspection dans la Flandre orientale.

Ces prémisses étant posées, l'inspecteur des chemins vicinaux en conclut que la Flandre orientale se trouve dans un état de très grande infériorité, à l'égard de presque toutes les autres provinces. En effet, il cite six provinces où les dépenses pour l'amélioration de la voirie vicinale se sont élevées en moyenne à 4,350,000 fr. par province. Par conséquent la Flandre orientale n'aurait pas même fait la moitié de ce qu'ont fait d'autres provinces.

Si cette situation était vraie, elle serait humiliante pour notre province ; nous serions réduits à courber le front et à garder un profond silence, et je vous avoue franchement que c'est une attitude que je n'aime pas beaucoup.

Mais nous sommes heureux de pouvoir démontrer à la dernière évidence que les indications que je viens de relever sont énormément erronées. Cette démonstration, je la puise dans le dernier rapport ou exposé de la situation administrative de notre province, document émané de la députation permanente, par conséquent d'une autorité éminemment compétente ; or ce document contient, à la page 298, un étal indiquant, par arrondissement administratif, la longueur des parties de nos chemins vicinaux pavés, antérieurement au 31 décembre 1852. Je ferai remarquer que le travail de l'inspecteur général s'arrête également à la même époque.

Nous avons donc ici, d'un côté, dans le rapport de l'inspecteur général, de l'autre, dans l'exposé de la situation administrative de la province, deux états qui s'appliquent exactement à la même situation.

Voyons la différence.

Suivant le rapport de l'inspecteur général des chemins vicinaux, la Flandre orientale, comme j'ai eu l'honneur de le dire, n'a que 41 lieues de chemins vicinaux pavés, et suivant l'exposé de la situation de la province, la longueur des chemins vicinaux pavés dans la Flandre orientale est de 126 lieues, ce qui revient à dire que M. l'inspecteur général n'indique pas même le tiers de nos chemins vicinaux pavés.

Maintenant qu'ont coûté ces 126 lieues ? Elles ont coûté au moins 5 millions. Cette évaluation est loin d'être exagérée, car la dépense n'est calculée qu'à raison de 40,000 francs par lieue, en d'autres termes, à raison de 8 fr. par mètre courant, et tous ceux qui sont au courant de ce qui se pratique dans notre province seront certainement d'accord que cette évaluation est au-dessous de la réalité.

En résumé, l'inspecteur général n'a trouvé dans notre province que 41 lieues de chemins vicinaux pavés, alors qu'en réalité il en existe 126 lieues, et il trouve que les sacrifices que nous avons faits ne dépassent guère 2 millions, alors qu'ils se sont élevés à plus de 5 millions.

J'en conclus que la centralisation, lorsqu'elle se trompe, fait certainement les choses en grand.

Messieurs, en présence des chiffres officiels que je viens de citer, nous pouvons donc relever nos têtes flamandes, et accepter hardiment la comparaison avec les autres provinces.

Mais il est plusieurs autres considérations qui méritent de fixer votre attention, pour comprendre l'importance des travaux exécutés dans la province, importance si étrangement méconnue par l'administration centrale.

Dans mon opinion, il est absolument impossible d'apprécier sainement les sacrifices faits par une prorince, lorsqu'on se place à un point de vue exclusif, c'est-à-dire lorsqu'on considère isolément les travaux exécutés pour la voirie vicinale. En effet, toutes les voies de communication établies dans une province font partie d'un même réseau, qui doit être apprécié dans son ensemble. C'est d'autant plus vrai que, depuis la construction du chemin de fer, les routes provinciales, les routes concédées et même celles de l'Etat n'ont pas, en général, plus d'importance que les chemins vicinaux de grande communication.

Je dirai même que très souvent leur importance est inférieure. Par conséquent, qu'une province améliore ses moyens de communication sous forme de routes provinciales ou de routes concédées, ou qu'elle le fasse sous forme de chemins vicinaux, au fond c'est la même chose. Il n'y a de différence que dans la dénomination ; la dépense, les sacrifices ont toujours le même objet et tendent vers le même but.

Or, en prenant seulement pour point de départ l'année 1830, notre province et nos communes ont dépensé au moins 3 millions pour les routes provinciales et concédées ; et si nous remontons plus haut, c'est-à-dire si nous portons en ligne de compte toutes nos routes provinciales et toutes nos routes concédées, mais alors les sacrifices des localités et de la province s'élèvent au moins à 4 ou 5 millions.

Eh bien, d'autres provinces que M. l'inspecteu* général place au-dessus de la Flandre orientale n'ont pas même fait le tiers des sacrifices que je viens d'indiquer pour leurs routes provinciales et concédées. N'ayant presque rien fait pour ces deux catégories de routes, elles ont pu réserver toutes leurs ressources pour l'amélioration des chemins vicinaux. Sous ce rapport donc je puis dire que la balance penche à notre faveur.

Il est une troisième considération qui est d'une haute importance : c'est la situation financière de nos communes rurales dont, encore une fois on n'a tenu aucun compte. Cette situation est extrêmement onéreuse et je vous prierai de vous rappeler les renseignements du plus haut intérêt qui vous ont été donnés par l'honorable M. T' Kint de Naeyer dans la séance du 9 mai dernier.

Cet honorable membre a démontré alors à la dernière évidence que les communes rurales dans les Flandres succombent pour ainsi dire sous le poids de leurs charges locales ; que sous le rapport' non des sacrifices qu'elles s'imposent, mais sous le rapport des ressources qu'elles ont à leur disposition, elles sont dans une véritable infériorité à l'égard des communes des autres provinces. Ces communes en général n'ont pas de biens communaux ; elles doivent demander tous leurs revenus à l'impôt, et d'un autre côté chaque année elles ont d'énormes dépenses pour l'entretien de leurs indigents dont le nombre est en dehors de toute proportion avec celui des indigents des autres provinces.

Aussi les répartitions personnelles, impôt communal qui frappe exclusivement les communes rurales, s’élèvent chaque année dans la Flandre orientale à près de 800,000 fr. C'est une somme supérieure au montant de toutes les contributions directes perçues dans la province de Luxembourg, au profit du trésor.

Je dis qu'il est réellement étonnant que sous le poids de charges aussi écrasantes, nos communes et notre province aient pu travailler aussi activement à améliorer leurs moyens de communication, aient pu s'imposer les sacrifices considérables que j'ai eu l'honneur d'indiquer et qui dépassent les sacrifices de presque toutes les autres provinces.

Le reproche d'infériorité qu'on a lancé arec tant de légèreté est donc bien immérité ; il est évidemment le résultat d'un examen superficiel et incomplet, et l'on voit se vérifier de nouveau ce principe éternellement vrai : Qui trop embrasse mal étreint.

Messieurs, il est une malheureuse circonstance qui semble avoir contribué à fausser les appréciations de M. l'inspecteur général à notre égard. Notre province n'a pas de commissaires-voyers ; elle n'en a jamais eu. Nos populations flamandes ont une très grande confiance dans leurs administrations communales, et elles s'attachent à restreindre autant que possible le cadre des agents que j'appellerai régulateurs ; elles aiment à se gouverner elles-mêmes, et à être gouvernées le moins possible.

Je sais que dans d'autres provinces l'institution des commissaires-voyers a été reconnue utile et même nécessaire. Nous respectons complètement cette opinion. Mais tout ce que nous demandons, c'est qu'on laisse chaque province juge de ses besoins et de ses intérêts ; qu'on laisse, en un mot, les provinces maîtresses chez elles.

C'est d'ailleurs ce que veut formellement la loi du 10 avril 1841 sur les chemins vicinaux. Mais telle n'est pas l'opinion de M. l'inspecteur général.

Dès le début de sa mission, cet honorable fonctionnaire a énoncé comme une espèce d'axiome que l'amélioration de la voirie vicinale est pour ainsi dire impossible là où il n'existe pas un corps de (page 530) commissaires-voyers solidement constitué. Il veut même que cette institution soit rendue obligatoire dans toutes nos provinces sans exception ; sous ce rapport, comme sous bien d'autres, il prétend être plus sage que la loi. En effet l'article 30 de la loi du 10 avril 1851 porte : Il pourra être institué des commissaires-voyers par les règlements provinciaux. Eh bien, l’honorable inspecteur des chemins vicinaux ne propose rien moins que d'abolir administrativement cette disposition, en disant : Toutes les provinces auront des commissaires-voyers sous peine d'être privées de subsides sur les fonds de l'Etat.

Vous voyez, messieurs, que quand on a le budget en main, on est assez naturellement amené a révéler des prétentions passablement despotiques.

Messieurs, il est évident qu'avec des convictions ainsi formées a priori, la situation de la voirie vicinale dans notre province devait être déplorable parce que là il n'y pas de commissaires-voyers. Je crois même qu'il était inutile de faire une inspection ; l'infériorité de la province était constatée d'avance par cela même qu'il ne pouvait en être autrement.

J'ai cité des faits authentiques qui démontrent le contraire ; mais des faits ne peuvent avoir raison contre la théorie, ne peuvent prévaloir contre des renseignements indiqués à priori par la science.

Messieurs, bien qu'il n'y ait pas dans la Flandre orientale de commissaire-voyer, ne croyez pas que les travaux d'amélioration s'y exécutent en dehors des règles de l'art. Je conviendrai volontiers que ce qui a pu être fait il y a 15 ou 20 ans laisse à désirer sous ce rapport ; mais la même chose se rencontre également dans les provinces où les commissaires-voyers existent depuis très longtemps. Cela est même reconnu formellement dans le rapport de M. l'inspecteur général. Depuis plusieurs années, l'autorité provinciale exige que toutes les demandés de subsides soient accompagnées de plans complets et de devis estimatifs, et ces plans et devis estimatifs sont faits en général par les conducteurs des ponts et chaussées.

Ici, probablement, d'honorables membres me diront que le corps des ponts et chaussées, en matière de voirie vicinale, est une véritable calamité, parce que les agents de ce corps, diront-ils, sont habitués à dépenser de grosses sommes, à faire des travaux grandioses, revêtus d'une espèce de caractère monumental. Je répondrai à ces honorables membres qu'ils peuvent avoir raison en ce qui concerne des localités qui me sont inconnues, mais que leur opinion est complètement inexacte en ce qui concerne la Flandre orientale.

J'ai ici sous les yeux le projet d'une route agricole, ayant une longueur de 3 lieues à peu près, projet qui a été élaboré par un conducteur des ponts et chaussées ; eh bien, savez-vous ce que coûtera cette route ? Elle coûtera 63,000 francs par lieue, y compris l'achat de quelques terrains, y compris une foule d'ouvrages d'art, aqueducs, ponceaux et y compris, surtout, les frais de pavage, qui sont énormes dans ma province. Or, ceux qui ont quelque connaissance de la construction des routes pavées dans les provinces flamandes sont certainement forcés de convenir qu'une somme de 63,000 fr. par lieue suppose certainement des conditions très modestes, qu'aucun commissaire-voyer, ni l'inspecteur de la voirie vicinale ne serait en état de faire un projet plus économique.

Voilà, messieurs comment nous avons pu inarcher avec le concours des agents des ponts et chaussées ; voilà comment les choses se sont pratiquées chez nous sans inconvénient ; voilà comment nous avons pu faire les travaux considérables dont j'ai eu l'honneur de parler sans avoir un corps de commissaires-voyers.

Messieurs, je n'entends pas du tout interdire au gouvernement une certaine surveillance de la voirie vicinale ; aussi je ne viens pas combattre le crédit proposé. Mais il s'agit de bien déterminer l'objet de cette surveillance. A mon point de vue, elle doit se borner à ceci : Visiter et examiner chaque année les travaux auxquels on accorde les subsides du gouvernenement, afin de constater si les travaux sont convenablement exécutés et si les provinces et les communes ont contribué à la dépense dans de justes proportions.

Je crois que là doit s'arrêter la surveillance du gouvernement, parce que le gouvernement, ici, doit respecter l'initiative des provinces et des communes, parce qu'il ne lui appartient pas de substituer son action à l'action des communes et à l'action des provinces.

Voici, suivant moi, ce que le gouvernement aurait dû faire pour s'entourer de tous les renseignements dont il a besoin ; il aurait dû exiger de chaque province une carte routière indiquant tous les chemins vicinaux de grande communication qui doivent être successivement améliorés afin d'obtenir deux grands résultats ; savoir de relier entre elles toutes les communes d'une manière plus ou moins directe et, en deuxième lieu, de ne laisser dans l'isolement aucune commune quelconque, c'est-à-dire de faire en sorte que chaque commune soit mise en communication soit avec une grande route de l'Etat, soit avec une route provinciale, soit avec une station du chemin de fer, soit avec un canal. Je crois que ce sont là les idées d'ensemble qui doivent présider à l'amélioration de la voirie vicinale.

Je sais parfaitement, messieurs, que les deux résultats que je viens d'indiquer ne pourraient être réalisés immédiatement ni même dans un an, dans deux ans, dans trois ans ; mais il importe, avant de mettre la main à l'œuvre, de bien indiquer le but auquel on veut arriver, et sous ce rapport un travail semblable serait éminemment utile, car quand le but n'est pas bien indiqué on risque de s'aventurer et de faire fausse route. Cette carte, messieurs, j'aurais voulu qu'elle fût soumise aux délibérations des conseils provinciaux qui auraient donné leur avis, et présenté leurs observations tant sur la meilleure direction des chemins vicinaux que sur leur degré d'utilité relative ; de cette manière le gouvernement aurait eu des documents émanant des autorités réellement compétentes et qui auraient offert les plus grandes garanties d'exactitude. Ces documents auraient certainement coûté moins cher que les volumineux rapports qui nous ont été distribués ; cependant je suis persuadé qu'ils auraient été plus utiles pour éclairer le gouvernement sur les véritables besoins de chaque province et pour le mettre à même de faire examiner chaque année les travaux qui s'exécutent avec les subsides de l'Etat.

Mais, messieurs, ces idées sont trop simples pour une administration centrale ; il faut quelque chose de plus grandiose. Ce qu'elle veut, c'est l'uniformité de régime pour toutes les provinces, pour toutes les communes. Ainsi nous savons tous que les usages diffèrent, que les mœurs diffèrent, que les habitudes diffèrent, que les ressources diffèrent, qu'il y a des différences considérables quant à une foule de circonstances locales dont il faut tenir compte ; n'importe, il faut l'uniformité de régime, afin que l'impulsion partant de l'administration centrale puisse se propager librement et sans entraves dans toutes les communes.

Ainsi il faut partout un corps de commissaires-voyers, organisé partout sur les mêmes bases, il faut partout un commissaire-voyer provincial, puis des commissaires-voyers d'arrondissement, puis des commissaires-voyers de canton, et tous ces agents il faut les rendre indépendants des administrations communales. On ne veut même plus qu'ils soient nommés temporairement, comme cela se pratique dans la province de Brabant ; il faut qu'ils soient nommés définitivement, et il faut qu'ils ressortissent au ministère de l'intérieur et qu'ils soient placés sous les ordres immédiats de l’inspecteur général.

Malgré l'existence de ces commissaires-voyers de canton, de ces commissaires-voyers d'arrondissement, de ce commissaire-voyer provincial, il faut encore que tous les plans d'amélioration soient revêtus, avant de recevoir une exécution quelconque, de l'approbation de l'inspecteur général de la voirie vicinale.

Ce n'est pas tout, messieurs, en fait d'uniformité. Aujourd'hui, dans la plupart des communes rurales, surtout dans les Flandres, les barrières n'existent pas sur les chemins vicinaux. Eh bien, ici encore, il faut l'uniformité, il faut que le droit de barrière, que les péages soient perçus partout sur les chemins vicinaux améliorés, et si une commune ne trouve pas bon de se soumettre à ce régime, il faut que le gouvernement l'impose d'office.

Messieurs, ce système de centralisation, je ne l'invente pas à plaisir, il est clairement exposé à la fin du premier rapport de M. l'inspecteur général, et même je ne fais que le dévoiler en partie. Or, je le demande, que deviennent les prérogatives communales, les prérogatives provinciales, et que devient la loi de 1841 ? La loi de 1841 est animée, dans toutes ses dispositions, de cet esprit : elle veut que le service de la voirie vicinale soit un service éminemment provincial. Ainsi, c'est à l'autorité provinciale qu'il appartient exclusivement de déterminer si la charge d'entretenir les chemins vicinaux incombant aux riverains doit encore être maintenue dans certaines localités.

La loi accorde formellement à la province le droit de définir les contraventions en matière de voirie vicinale, de fixer les pénalités, d'organiser tout le service, de déterminer quels agents doivent en faire partie, combien il doit y en avoir, comment ils doivent être répartis. Tout ceci appartient aux conseils provinciaux ainsi que toutes les mesures réglementaires qui ont pour but de garantir la bonne exécution de la loi de 1841. Chose remarquable, quand il s'agit de l'exécution d'une loi, en règle générale, c'est au pouvoir central de faire les règlements. Eh bien, la loi de 1841 a dérogé à ce principe, elle veut qu'ici les règlements soient faits par les autorités provinciales. Voilà donc une loi de décentralisation par excellence.

Or, je prie les honorables membres de vouloir lire attentivement ce qui se trouve à la fin du premier des trois volumes contenant les rapports de M. l’inspecteur général ; ils verront que c'est un système de centralisation absolue qu'on veut substituer au système sage et si conforme à nos mœurs consacré par la loi de 1841 ; et veuillez remarquer que le gouvernement possède un moyen très puissant pour faire adopter ses idées. Si une commune ou une province se montre récalcitrante le gouvernement peut lui dire : Vous n'aurez pas de subside ou vous aurez moins. Voilà comment, en foulant aux pieds les prérogatives provinciales, le gouvernement peut dénaturer complètement les dispositions de la loi de 1841, et rendre obligatoire tout ce que le législateur a voulu laisser facultatif.

Messieurs, j'ai cru devoir vous signaler ce système qui existe en germe dans les idées de l'administration centrale, parce qu'il révèle des tendances qui ne sauraient être trop combattues. Messieurs, j'en suis intimement convaincu, la manie de tout centraliser a fait son temps ; ce que le pays veut, c'est que les attributions du gouvernement se restreignent dans leurs véritables limites, et cette opinion progressera, malgré tous les efforts qu'on fera pour l'arrêter ou pour la discréditer. Et ici je suis heureux de pouvoir invoquer l'autorité imposante d'un des hommes les plus éminents de cette Chambre. Vous savez tous, messieurs, que (page 531) l’'honorable M. Lebeau a publié une série de lettres adressées aux électeurs, dans lesquelles il s'attache, si je comprends bien sa pensée, à vulgariser en quelque sorte les principes de la science politique.

J'ai lu et relu ces lettres, parce que les idées d'un homme dont la haute raison est mûrie par une longue expérience, par une longue pratique des affaires sont toujours instructives lors même qu'on ne partage pas en tous points ses opinions. Dans la deuxième lettre que j'ai ici en mains, l'honorable membre s'attache avant tout à prouver (et selon moi il le fait de la manière la plus péremptoire) que le régime monarchique parlementaire est jusqu'à ce jour la meilleure forme de gouvernement connue.

Et il ajoute ces paroles remarquables dont je prendrai la liberté de vous donner lecture :

« En tout temps, la meilleure forme du gouvernement sera celle qui remet la direction des affaires publiques aux mains des hommes les plus éclairés et les plus moraux du pays, en créant, par les institutions les plus propres à atteindre ce but, des garanties efficaces contre les passions ou les erreurs de ces mêmes hommes.

« Ces formes une fois établies, si, par l'effet même des institutions, par le progrès de l'instruction et le développement de l'esprit public, le niveau intellectuel et moral de la nation s'élève, il faudra que les attributions gouvernementales se restreignent de plus en plus au profit des administrations de province, de cercle, de commune, et en dernière analyse au profit de l'essor individuel, agissant isolément ou se produisant sous la forme d'associations. Liberté, sécurité, voilà le double problème imposé aux gouvernements. »

Voilà donc la décentralisation qu'on proclame être la conséquence nécessaire des progrès de la civilisation. Eh bien, nous n'avons que trop longtemps suivi la marche contraire. Plus d'une fois j'ai entendu dans les sections et dans la Chambre même qu'à mesure que la civilisation avance, que des intérêts nouveaux se font jour, il faut que les attributions du gouvernement avancent et augmentent au même degré ; c'est la doctrine opposée qui, selon moi, est vraie ; et ici je suis heureux de pouvoir m'appuyer sur une autorité aussi imposante. Je livre les paroles que je viens de citer aux méditations du gouvernement ainsi qu'à celles de l'honorable M. de Steenhault, qui disait l'autre jour que la décentralisation est une espèce de mode, destinée à faire bientôt place à un autre caprice quelconque.

M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le discours de l'honorable préopinant. Je commencerai par dire que, dans les observations qu'il a faites sur la centralisation, il me paraît avoir en grande partie raison. Je suis d'avis que son système de décentralisation - je le trouve excellent surtout si on l'applique à la bienfaisance - diminuerait la misère et la mendicité dans les campagnes ; car on pourrait y entretenir les pauvres à bien meilleur compte que dans les dépôts de mendicité qui sont une source de ruine pour les communes.

Tout en faisant l'éloge de l'inspecteur de l'agriculture et des chemins vicinaux, l'honorable préopinant a signalé comme inexacts et erronées les faits consignés dans les rapports généraux de ce fonctionnaire qui a déployé un grand talent et qui est un des employés les plus distingués de l'administration, tous ceux d'entre nous qui ont été en contact avec lui, lui rendront cette justice. Je conviens avec l'honorable M. de Naeyer que ces rapports sont trop volumineux, que leur grosseur même empêche qu'on ne les lise ; je n'aime pas plus que lui cette énorme paperasserie dont il a fait la critique.

Il faut savoir condenser les choses, voilà en quoi consiste le véritable talent. La prolixité doit être évitée, surtout en administration, car en général les employés médiocres sont verbaux. Je crois que si les trois rapports généraux eussent été publiés en un volume d'une grosseur raisonnable, on en aurait pris lecture.

Dans le siècle où nous vivons, on ne lit plus de gros volumes, les savants seuls pâlissent sur la poussière des in-folio ; en eût-on même le désir, on n'a pas le temps de les lire. Ce qu'on lit généralement aujourd'hui, ce sont des journaux, des mémoires et des brochures substantielles. Ainsi, plus d'in-folio officiels et administratifs !

L'honorable membre a signalé, dans les rapports de l'inspecteur, des erreurs en ce qui concerne la Flandre orientale ; je n'étais pas préparé, je ne croyais même pas répondre à l'orateur, mais si je l'ai bien compris, il a prétendu que l'inspecteur général avait commis une erreur, en disant que les communes n'avaient dépensé que deux millions tout au plus ; l'honorable membre perd de vue que le travail de l'inspecteur ne remonte qu'à l'année 1842, tandis que, dans son évaluation, il fait entrer en ligne de compte des travaux exécutés en 1837. Il est à ma connaissance que dans la Flandre orientale, on a exécuté alors les routes provinciales qui ont couté au-delà de deux millions. Or, je le répète, l'inspecleur général n'a pas rendu compte de ce qui s'est passe en 1837, il n'a pas compris dans ses chiffres les millions dépensés à cette époque.

Mais je suis d'accord avec l'honorable M. de Naeyer, quant à l'inégalité qui a présidé à la répartition des subsides. Mon district, notamment, a eu à se plaindre de cette répartition.

Il y a de très grandes améliorations à introduire sous ce rapport. Je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur fera tous ses efforts pour que les subsides soient désormais répartis selon les règles d'une bonne justice distributive.

Dans la séance de samedi dernier, j'ai appuyé de mon vote plusieurs réductions de dépenses ; mais il me serait impossible de consentir ici à la suppression des 13,000 fr. ; en d'autres termes à la suppression de l'inspection des chemins vicinaux et des cours d'eau. Cette inspection me paraît avoir un caractère évident d'utilité et même de nécessité. Est-ce que par hasard les commissaires-voyers et les commissaires d'arrondissement sont infaillibles ? Il est fort désirable qu'ils soient, pour ce service particulier, contrôlés par un homme spécial d'un grand mérite. (Interruption.)

M. de Naeyer, rapporteur. - Il n'y a pas de commissaires-voyers dans la Flandre orientale, je le sais bien ; mais vous avez développé un système d'après lequel il y en aurait ; s'il n'y en a pas dans la Flandre Orientale,, il y en a partout ailleurs ; un inspecteur général est dès lors indispensable ; il faut, je le répète, que le travail des commissaïres-voyers et des commissaires d'arrondissement soit examiné par un homme compétent et qui, de l'aveu de tout le monde, possède des connaissances étendues. J'ai pu me convaincre encore tout récemment moi-même que des inspections sont nécessaires ; le gouvernement a envoyé, et je l'en félicite, un ingénieur de mérite dans la Flandre occidentale qui a parcouru le Mandel sur une étendue de dix lieues, de Passchendaele à Roulers, de Roulers à Rumbeke, et de Rumbeke à Iseghem, Ingelmunster et Wacken jusqu'à la Lys.

Ce fonctionnaire avait pour mission d'étudier cette petite rivière, et de rechercher le moyen de prévenir les inondations de ce cours d'eau qui déborde tous les deux ou trois ans. Ces inondations ruinent les riverains.

Pour me résumer il me paraît indispensable de maintenir l'inspecteur général ainsi que l'ingénieur chargé spécialement des cours d'eau ; je ne saurais donc appuyer de mon vote la réduction du crédit de 13,000 francs.

Il faut qu'il y ait contrôle. Le contrôle est l'essence même du gouvernement constitutionnel. Je bornerai là mes observations.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, tout en rendant justice au mérite, au dévouement de M. l'inspecteur des chemins vicinaux, l'honorable M. de Naeyer a reproché deux griefs principaux au service dont il est chargé.

Le premier, c'est que l'inspection a pris un trop grand développement. Le rapport qui a été publié coûte trop d'argent, selon l'honorable membre. D'après lui, si on avait employé en travaux de chemins pavés les fonds qui ont servi à l'impression de ce rapport, on aurait obtenu plusieurs lieues de route de plus.

Je reconnais que si on pouvait se passer des fonctionnaires préposés à ce service et des études auxquelles ils se livrent, l'économie qui en résulterait pourrait être utilisée en travaux de route.

Il en est de même des routes exécutées par le ministère des travaux publics. Si on pouvait éviter de recourir aux ingénieurs pour la construction de ces routes, on en ferait davantage avec le même crédit. Mais c'est un degré de simplification auquel nous ne parviendrons pas de sitôt.

L'honorable M. de Naeyer reproche, en outre, au service de l'inspection, de trop centraliser son action.

Ce grief n'est pas plus fondé que le précédent.

Le service de l’inspection, de l'agriculture et des chemins vicinaux n'a pas pour but d'enlever aux provinces ni aux communes l’administration de leurs chemins et la part d'influence qu'elles doivent avoir.

L'inspection n'a d'autre objet que de permettre à l'Etat de faire une distribution équitable des encouragements qu'il accorde aux provinces et aux communes pour les aider à construire des chemins vicinaux, d'exercer sur ces travaux un contrôle utile.

L'honorable membre, à propos de la Flandre orientale, a relevé une erreur capitale, selon lui, qui s'est glissée dans le rapport de l'inspecteur. D'après le rapport, on n'aurait construit de routes nouvelles dans cette province depuis une époque très reculée, que jusqu'à concurrence d'une longueur de 41 lieues. Il y en a, au contraire. 126. Jugez, dit-il, par celle erreur de toutes celles dont ce rapport doit fourmiller.

Sur ce point, je puis me borner à dire que le chiffre auquel l'honorable membre a fait allusion n'est que le résultat d'une erreur matérielle. L'inspecteur, quand il a fait le relevé des lieues de routes qui ont été pavées dans la Flandre orientale, n'a voulu comprendre que les améliorations exécutées depuis 1841. C'est à cette époque que son travail s'arrêtait dans sa pensée. Mais d'après des renseignements erronés qui lui ont été donnés, le travail semble s'appliquer à une période plus étendue que celle à laquelle il a fait allusion. La province de Flandre orientale est la seule où une erreur matérielle a pu être relevée dans le rapport dont il s'agit.

Un travail où les détails abondent, qui est rempli de renseignements, fournis par les administrations provinciales et communales, un travail aussi considérable où l'on ne relève qu'une erreur matérielle et une erreur qui s'explique et a été rectifiée, mérite-t-il pour cela qu'on le traite aussi sévèrement ?

Il est incontestable que ce travail est de la plus grande utilité, car il permet d'apprécier les améliorations exécutées à la voirie vicinale et celles qu'il faut faire encore à l'aide des encouragements que l’Etat distribue chaque année. C'est l'avis de tous ceux qui l'ont apprécié.

Messieurs, après avoir fait justice de cette critique, je dirai un mot de cette centralisation qui semble vouloir dévorer toute l'activité des (page 532) provinces et des communes. Suivant l’honorable M. de Naeyer qui approuve l'inspection et la surveillance, cette inspection devrait être limitée dans ses effets. Elle devrait se borner à dresser une carte routière des provinces pour s'assurer si les chemins vicinaux qui existent et ceux qu'il s'agit de construire atteindront le but qu'on doit se proposer de relier entre elles les communes et les provinces.

Avant d'accorder des subsides on devrait apprécier la situation de chaque commune, on devrait aussi s'assurer si les subsides accordés par l'Etat sont bien employés ; si les sommes consacrées par les communes à la voirie vicinale sont en rapport avec leurs moyens. D'après l'honorable M. de Naeyer, c'est en cela que consistent les éléments d'une bonne surveillance. C'est là aussi que le gouvernement veut en venir.

La centralisation qu'on a grossie à vos yeux ne mérite pas la défaveur qu'on veut jeter sur elle, en prétendant qu'elle est exagérée. Ce reproche ne peut lui être sérieusement adressé, car le gouvernement se borne à surveiller la confection de cette carte générale, à surveiller l'emploi des subsides qu'il accorde, à consulter la situation financière des communes pour savoir si elles font assez pour les chemins vicinaux.

En fait, le gouvernement n'a pas fait autre chose. En prescrivant l'inspection de tous les chemins vicinaux du royaume, il a fait dresser un plan ou carte routière où tous les chemins vicinaux existants sont tracés ainsi que les chemins nouveaux à créer. Cette carte a pour but de parvenir à établir des communications faciles entre les voies vicinales et les routes provinciales, ainsi qu'avec les grandes communications pavées comme avec les grandes communications par chemin de fer.

Mais, dit-on, pourquoi ce luxe de commissaires-voyers et d'ingénieurs qui viennent affluer au gouvernement central et augmentent les dépenses du budget ?

Voyez la Flandre orientale, nous ne voulons pas de tout ce personnel ; nous n'avons pas de commissaires-voyers, et il est notoire que les chemins y sont dans un excellent état, que nulle part les améliorations n'ont été plus nombreuses en matière de voirie. Je reconnais que les Flandres sont, sous le rapport des chemins vicinaux, dans une situation très favorable. Mais de ce qu'on a fait autrefois, s'ensuit-il qu'il n'y ait plus rien à l'aire ? S'ensuit-il que l'Etat qui intervient, par des subsides considérables, dans l'amélioration des chemins, n'ait rien à faire pour surveiller, dans la Flandre orientale, l'emploi de ces subsides ? Evidemment non ; et je pourrais opposer à l'opinion de la Flandre orientale, qui ne veut pas de commissaires-voyers, l'opinion unanime des autres provinces du royaume où l'on admet l’utilité de ces fonctionnaires.

Partout les commissaires-voyers ont été institués, et ils rendent de grands services aux provinces. Le pouvoir central n'y est pour rien, ce sont des agents provinciaux, nommés par les provinces. Le gouvernement n'a aucune action sur eux. Et il est vrai de dire qu'en Belgique où l’on prétend qu'on ne songe qu'à centraliser l'administration, tout ce qui se rattache aux chemins vicinaux est sous la surveillance des provinces, administré par les provinces, contrôlé par des agents relevant des provinces, tandis que l’Etat, qui centralise tout, au dire de quelques-uns, n'intervient dans les Flandres, comme ailleurs, que pour répandre les bienfaits par voie de subsides aux communes.

Il est impossible de contester l'utilité d'une inspection à côté du pouvoir central. L'inspection est indispensable pour que l'Etat sache si la somme de 5 à 7 cent mille francs dépensée tous les ans, pour l'amélioration de la voirie vicinale, est bien ou mal employée. Il serait impossible que le gouvernement s'en rendît compte s'il n'avait pas à côte de lui un fonctionnaire qui examine les propositions des provinces, qui vérifie si elles sont en rapport avec les communications projetées, pour relier utilement toutes les communes entre elles et avec les provinces, en un mot, si la dépense qu'on veut faire faire à l'Etat est en rapport avec l'utilité du chemin, avec les ressources que la commune peut y employer, et avec l'intérêt général.

Voilà à quoi se borne en Belgique l'inspection des chemins vicinaux.

L'inspecteur qui donne ses soins à ce service et qui le fait avec une grande activité a bien d'autres attributions encore ; il surveille l’enseignement donné dans les écoles d'agriculture, et les examens, et rend compte des progrès que l'on fait dans ces écoles.

Les développements du budget contiennent la nomenclature de tous ses devoirs.

Je ne pense donc pas qu'il soit possible de reprocher justement au gouvernement belge de trop centraliser son action et de peser sur les provinces. Je crois qu'en Belgique, où l'esprit public a fait beaucoup de progrès, ou a pu abandonner beaucoup aux provinces. C'est ce qu'ont fait les lois communale et provinciale. Je trouve cette décentralisation raisonnable. Mais à côté d'elle, je crois qu'il est une intervention légitime du pouvoir central qui doit être maintenue dans l'intérêt de tous, notamment pour la distribution des subsides de l'Etat.

M. de Steenhault. - Je ne sais pas pourquoi l'honorable M. de Naeyer m'a rappelé les lettres de l'honorable M. Lebeau. Cela était d'ailleurs parfaitement inutile, car ces lettres je les ai lues, appréciées et probablement avec infiniment plus de plaisir que l'honorable membre lui-même, me trouvant, sous plus d'un rapport, beaucoup plus en conformité d'opinions avec l'honorable M. Lebeau que l'honorable membre.

Tout en partageant les idées de M. Lebeau, mon système est fort simple. J'admets l'intervention de l'Etat, quand elle est utile ou nécessaire ; je ne l'admets pas quand elle n'a pas ce caractère.

Sous ce rapport, je puis dire qu'il y a de la part de l'honorable M. de Naeyer, qui défend avec vigueur les intérêts de l'agriculture, une certaine ingratitude à déverser le blâme sur l'intervention de l'Etat ; car il est positif que cette intervention a eu d'heureux résultats pour l'agriculture. L'agriculture, depuis quelques années, a, il faut bien l'avouer, complètement changé de face, quant à la pensée qu'elle avait des progrès à réaliser. Il y a quinze ans, aurait-on été admis à dire dans les campagnes qu'il y aurait un progrès à faire ?

On était convaincu que l'agriculture n'avait plus rien à faire, plus de progrès à réaliser, qu'on avait fait tout ce qu'on pouvait faire. Aujourd'hui l'éveil est donné ; on marche ; on a la conscience et la conviction qu'il y a encore à progresser, et à qui le doit-on, si ce n'est à l'impulsion du gouvernement ? On a donc tort de déverser le blâme sur le gouvernement. S'il y a eu des écarts, des abus, ils sont inévitables ; mais, au total, il y a bien-être ; et je crois donc qu'il faut se féliciter de l'intervention du gouvernement, là où l'on obtient des résultats comme ceux que je signale.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je dois repousser de toutes mes forces le reproche que m'adresse M. de Steenhault. Je crois que cet honorable membre fait à l'agriculture une position qu'elle ne peut accepter. Quand il attribue aux encouragements du gouvernement pour ainsi dire tous les grands progrès réalisés dans l'industrie agricole, c'est là une position humiliante pour l'agriculture et contre laquelle je proteste de toutes mes forces. On n'est pas admis à prétendre que l'agriculture belge ne saurait faire un pas dans la voie du progrès sans être soutenue par la main tutélaire du gouvernement. Oui certes, depuis une cinquantaine d'années notre production agricole est considérablement augmentée, mais ces magnifiques résultats l'agriculture les doit avant tout à ses propres forces, elle les doit au génie, à l'esprit d'observation, à l'activité des cultivateurs et certainement tous ces petits encouragements du gouvernement y sont pour bien peu de chose ; ceux qui vantent les grands bienfaits de l'intervention gouvernementale se mettent tout à fait à l'aise, ils raisonnent dans le vague, ils se contentent de dire : L'agriculture progresse, et elle figure au budget, donc les progrès sont l'œuvre des encouragements qu'on lui accorde ; je n'admets pas du tout ce raisonnement et je défie ceux qui le font valoir de préciser les améliorations véritables réalisées dans l'industrie agricole à l'aide de toutes ces petites minières qui forment la dotation budgétaire de l'agriculture. Je le répète, oui, l'agriculture marche dans la voie du progrès, mais c'est à l’aide de ses propres forces, et je ne crains pas d'invoquer à cet égard le témoignage de la grande majorité des cultivateurs.

M. Prévinaire. - Il est fâcheux que cette discussion du budget de l'intérieur n'ait pas lieu le lendemain de la discussion du budget des travaux publics. Il est évident que cette centralisation du gouvernement, qu'on trouve excessive, serait singulièrement atténuée si ceux qui assistent à ces critiquees venaient d'assister à une discussion où l'on a réclamé l’intervention du gouvernement dans une mesure très large afin d'augmenter ou d'améliorer les voies de communication. Il ne faut pas oublier que nous sommes la représentation nationale, et que nous ne devons pas abdiquer ce rôle en faveur des communes. Nous voulons l'indépendance des communes, aussi bien que ceux qui la demandent, mais dans le cercle de leurs attributions. Nous ne pouvons pas abandonner la position de législature qui représente l'Etat, et nous ne devons pas oublier qu'il faut que l'intervention de l'Etat se fasse sentir dans une certainemesure.

On a contesté l'utilité de l'intervention de l'Etat. On a donc oublié les actes qu'ont posés les ministères antérieurs et qui les honorent. Oublie-t-on que le canal de la Campine est l'œuvre de l'intervention de l'Etat, que les irrigations qui ont doté le pays de milliers d'hectares sont l'œuvre de l'intervention de l'Etat ? Oublie-t-on que ces canaux pour lesquels les Flandres nous demandent à chaque instant l'intervention de l'Etat sont destinés à enrichir le domaine des Flandres dans une mesure très large ?

On conteste l'utilité de l'intervention de l'Etat en ce qui concerne les progrès agricoles. Mais vous avez sous les yeux une preuve de l’utilité de cette intervention. Celle-ci ne s'est-elle fait récemment sentir d'une manière très heureuse en excitant nos cultivateurs à recourir au procédé du drainage ? Qu'on n'oublie pas les services immenses que le drainage est appelé à rendre précisément aux Flandres

Vous connaissez les Flandres, vous savez combien le sol de ces provinces a besoin d'être drainé ; or, n'est-ce pas l'Etat qui a imprimé une utile direction à l'application de ce procédé ?

Qu'il me soit permis de citer encore un cas où l'intervention de l'Etat s'est fait sentir de la manière la plus utile pour les Flandres.

Dans quelle situation se trouvaient les Flandres au sortir de la disette de 1840 ? Qui a régénéré l'esprit industriel, qui a relevé le courage des Flandres ? (Interruption.) Permettez, messieurs, j'ai le droit de parler de cette question ; je l'ai vue de près, de plus près que beaucoup d'entre vous, et je puis dire que l'intervention de l'Etat a été, dans cette occasion, éminemment utile, qu'elle a complètement modifié la direction du (page 533) commerce et de l'élément industriel dans les Flandres. Ceux qui sont sincères doivent reconnaître que je dis la vérité

Restons donc, messieurs, dans les principes de la modération. Ne demandons pas que l'Etat intervienne en tout et partout, mais ne posons pas en principe de repousser en toutes circonstances cette intervention. Reconnaissons que dans un petit Etat comme la Belgique bien des choses ont été faites, bien des choses peuvent encore se faire par l'intervention de l'Etat.

Mais sachons limiter cette intervention à l'impulsion qu'elle doit imprimer dans les cas où l'expansion, des individualités ne se fait pas sentir.

- L'article 58 est mis aux voix et adopté.

Article 59

« Art. 59. Service des défrichements en Campine ; charge extraordinaire et temporaire : fr. 22,400. »

- Adopté.

Article 60

« Art. 60. Service du drainage (dernière année) ; charge extraordinaire et temporaire : fr. 9,000. »

(Les mots « dernière année » sont proposés par la section centrale.)

M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, le service du drainage a été primitivement organisé sans l'assentiment préalable des Chambres. Il a été payé depuis 1849 jusqu'en 1853 sur le fonds spécial des défrichements.

Au budget de 1854, pour la première fois, on a porté pour ce service une somme de 9,000 francs, qui a été inscrite dans la colonne des charges extraordinaires et temporaires, afin de marquer que la législature n'entendait pas créer un service susceptible de grever le trésor public d'une manière quelque peu durable. Il me paraît que l'on a voulu assimiler le drainage à la distribution de la chaux à prix réduit, à laquelle vous avez mis un terme par un vote de l'année dernière et que par un vote récent vous avez refusé de rétablir malgré les efforts d'honorables représentants du Luxembourg.

M. le ministre de l'intérieur reproduit la demande du même crédit à son budget de 1855 ; et la section centrale vous propose d'y consentir, mais en ajoutant au libellé de l'article les mots « dernière année ». C'est cette addition que j'ai le devoir de défendre.

La section centrale ne conteste pas ; elle se plaît à reconnaître, au contraire, que l'intervention de l'Etat pour faire comprendre et pour étendre en Belgique la méthode anglaise d'assécher les terres humides, a été utile et a produit d'heureux résultats ; mais comme, en définitive, les profits de ce mode d'assèchement, comme de tout autre usité en Belgique de temps immémorial, sont pour les propriétaires du sol asséché, il semble qu'il est bien temps de mettre un terme à l'emploi des fonds du trésor public dans une opération dont ces propriétaires retirent les avantages.

C'est à leurs frais uniquement, me paraît-il, et non aux frais des contribuables, ne fût-ce que pour une petite partie, que les propriétaircs eu sol doivent travailler à son amélioration.

Il résulte, messieurs, du sixième rapport adressé à M. le ministre de l'intérieur sur le service du drainage durant l'année 1851, lequel vient d'être distribué aux membres de la Chambre, que le nombre des fabriques de tuyaux qui, en 1850, n'était que de 9, s'est, en 1854, élevé à 76 ; qu'il ya de ces fabriques dans toutes les provinces ; que le nombre des cultivateurs qui ont fait du drainage est, en 1851, de 2,114, tandis qu'il n'avait été en 1850 que de 35, et qu'enfin l’étendue approximative des terrains drainés qui, en 1850, n'était que de 150 hectares, est, en 1854, parvenue à 5,168 hectares.

En présence, d'une pareille progression, n'est-il pas évident que l'intervention de l'Etat, après avoir duré une année encore, pourra prendre fin, sans qu'il y ait rien à craindre pour l'extension, quelque désirable qu'elle fût, du drainage. L'intérêt privé sera alors, ou ne le sera jamais, suffisamment éclairé et excité. Il serait donc inutile de prolonger davantage l'expérience.

A la vérité, M. le ministre de l'intérieur a objecté, lors de la discussion générale, que tous les hommes spéciaux sont d'avis qu'il faut encore pendant quelque temps continuer à diriger les travaux particuliers, et que la somme de 9,000 francs, ne pourra disparaître du budget que dans quelques années.

Mais ces hommes spéciaux n'ont-ils pas à cela un intérêt spécial ?

Il est facile de comprendre, par exemple, que M. l'ingénieur Leclercq fasse des efforts près de M. le ministre pour le disposer à demander la continuation la plus longue possible du service spécial dont il est chargé, et dont, il est juste de le reconnaître, il s'est acquitté avec intelligence et succès.

Messieurs, chaque fois qu’un service nouveau aura été créé à charge du résor public, il faut s’attendre que l’on s’ingéniera pour le rendre permanent ; une fois entré dans le budget, avec une sorte de privilège, on voudrait y rester toujours.

Mais ce qui ne se comprend pas aussi facilement, c’est que M. le ministre, qui devrait désirer autant que nous de réserver à l’initiative privée ce qui lui appartient en propre ; qui comme nous, devrait vouloir que les citoyens ne s'accoutument pas à compter toujours sur l'aide de l'Etat dans leurs affaires particulières, que M. le ministre, dis-je, accepte les raisons alléguées par M. l'ingénieur Leclercq.

Pour moi messieurs, ces raisons ne m’ont pas touché. Je regarde toujours comme très désirable que l'Etat retire son intervention d'une chose qui, sans nul doute, s'achèvera sans lui aussi bien qu'avec lui et si la Chambre ne procède pas graduellement au retranchement de semblables dépenses, il faut désespérer d’introduire jamais des économies dans nos budgets. Et cependant, il ne faut point le perdre de vue, l'intérêt des contribuables appelle très vivement des économies.

Messieurs, je le dis avec une entière conviction, au point où la méthode anglaise d'assécher les terres humides est parvenue en Belgique, il n'y a plus de motif pour l'Etat de donner, aux propriétaires qui le demandent, l'assistance gratuite de ses agents pour diriger leurs ouvrages de drainage, et c'est pour ménager la transition et ne surprendre personne, que la section centrale a proposé de déclarer que c'était le dernier subside qui serait accordé.

Certes, on ne niera pas qu'il y a dans cette assistance gratuite une source de faveurs, et par conséquent d'abus.

En effet, il n'est pas possible que les agents de l'Etat servent tous les propriétaires qui veulent drainer leurs terres. Il y a donc des préférences. Il y a des propriétaires qui sont obligés de recourir à des agents particuliers dont ils doivent payer les salaires ; il y en a d'autres qui n'ont de ce chef aucune dépense à faire. L'Etat s'en charge pour eux.

D'un autre côté, les ingénieurs civils, les géomètres particuliers qui ont également étudié le drainage, qui ont sacrifié leur temps et leur argent à cette étude, qui sont très aptes à le diriger, ne se trouvent pas dans des conditions d'égalité avec les agents de l'Etat, si ceux-ci n'ont rien à demander aux propriétaires pour leur salaire et s'ils le reçoivent du gouvernement.

J'ajouterai un mot. Il ne me semble pas que l'on doive même se préoccuper de ce que pourrait devenir un drainage qui prétendument serait mal dirigé, mal exécuté si ce ne sont pas les agents de l'Etat qui s'en chargent.

Puisque les dépenses comme les chances de l'opération regardent le propriétaire du terrain à drainer, son intérêt suffit, sans que l'Etat lui vienne en aide, pour l'éclairer sur les moyens et les agents les plus propres à lui assurer les avantages qu'il recherche. Laissons-lui donc la liberté de choisir les uns et les autres, et ne donnons pas crédit à l'opinion que l'industrie privée, que la prévoyance individuelle en savent, moins qu'un agent salarié de l'Etat sur ce qui convient à ce qui les touche ; surtout, je le répète, laissons au propriétaire qu'elle intéresse la charge entière d'une dépense dont il doit retirer les avantages ; et que l'argent des contribuables cesse, le plus tôt possible, d'y être employé.

M. Magherman. - Je ne partage pas l'opinion de l'honorable préopinant sur l'opportunité, sur l'utilité d'inscrire au budget de l'intérieur que c'est pour la dernière fois que l'allocation relative au drainage sera accordée Pourquoi, messieurs, lier l'avenir ? Je sais que l'utilité du procédé du drainagc, de l'assèchement des terres par cette méthode perfectionnée, commence à être suffisamment appréciée en Belgique, et qu'elle s'est pour ainsi dire infiltrée dans toutes les parties de notre royaume. Mais s'il y a des parties de ce service qui pourraient être utilement supprimées dès maintenant, il n'en est pas de même de la totalité de ce service.

Je conviens que le gouvernement peut se dispenser de s'occuper encore de la distribution de machines propres à la fabrication des tuyaux de drainage. Le nombre des fabriques est déjà assez grand et elles sont convenablement distribuées sur le sol de la Belgique. S'il y avait encore quelques lacunes de ce chef, l'industrie privée se chargerait d'y pourvoir ; les bénéfices que procure la fabrication des tuyaux de drainage sont assez considérables pour que l'indusirie privée s'en empare.

Il en est de même de l'intervention de l'Etat à l'aide de ses agents et par les sacrifices pécuniaires qu'il s'est imposés jusqu'ici pour faire des essais sur une petite échelle dans les endroits où le procédé n'était pas suffisamment connu.

L'intervention de l'Etat, sous ces deux rapports peut être supprimée, mais ce qui ne peut être supprimé, c'est l’enseignement des bonnes méthodes, ce sont les cours publics où viennent se former les agents du drainage. Ce qui ne peut être supprimé, ce sont les examens publics où viennent recueillir des diplômes ceux qui sont suffisamment instruits et qui se proposent de faire de l'exercice du drainage une profession.

Il faut que non seulement le public soit éclairé sur les bonnes méthodes, mais qu'il connaisse les personnes qui sont à même de les mettre en pratique. Sous ces deux rapports, l'allocation doit être maintenue non seulement pour cet exercice, mais pendant plusieurs années encore, à moins que l'organisation des écoles d'agriculture ne vienne suppléer à ce qui existe aujourd'hui.

C'est ce que nous saurons quand nous nous occuperons du projet de loi sur les écoles d'agriculture. Mais aujourd hui la suppression est prématurée.

Je ne pourrai donc donner mon approbation à la proposition de la section centrale d'inscrire dès maintenant dans le budget que cette allocation sera accordée pour la dernière fois.

Messieurs, les avantages qui résultent du drainage sont d'une trop haute portée pour que nous refusions la somme nécessaire à la continuation de ce service. Comme vous l'a dit l'honorable M. Rousselle, il résulte du dernier rapport de l'ingénieur Leclercq, que, pendant l'année 1854, une étendue de 5,168 hectares a été assainie par le drainage. Le revenu agricole, d'après l'estimation du même ingénieur, s'en est accru pendant cette même année d'une valeur de 207,877 fr. 60 c.

(page 534) Si nous combinons avec ce chiffre, que je ne crois pas exagéré, les progrès qu'a faits le drainage depuis quatre ou cinq ans dans notre pays et en admettant seulement que le tiers des terres améliorées de la sorte soient ensemencées en froment et en céréales, je dis que la continuation pendant quelques années encore de la progression qui se fait remarquer, sera un moyen des plus puissants, de soustraire la Belgique au tribut qu'elle paye annuellement à l'étranger pour son alimentation.

Vous voyez donc qu'il s'agit d'un intérêt grave, d'un intérêt de l'ordre le plus élevé, et c'est ce qui m'engage à ne pas m'associer à la proposition de la section centrale.

- La séance est levée à 4 heures et demie.