(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 196) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; là rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Edouard-Emile-Antoine OEhm, chef de cuisine au palais royal de Laeken, né à Cobourg, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Vercruysse, ancien cuisinier-chef à l'hôpital militaire, demande une gratification. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Filleul Van Elsbraete se plaint d'avoir été condamné par les tribunaux sans preuve ni défense possible et demande qu'un acte notarié du 27 décembre 1850 soit concilié avec un arrêt de condamnation du 28 février 1851. »
-Même renvoi.
« Le conseil communal d'Aubel demande la suppression des dépôts de mendicité. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Fouron-Saint-Martin prie la Chambre d'examiner s'il n'y a pas lieu de supprimer les dépôts de mendicité. »
-Même renvoi.
« Quelques habitants d'Arlon prient la Chambre de prohiber la sortie des denrées alimentaires et leur distillation, de décréter la libre entrée des grains, de l'orge, du sarrasin et du riz, et de défendre l'exportation des caux-de-vie de grains. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre un exemplaire du 3ème volume de la 5ème série du recueil de circulaires de son département (années 1842 à 1846). »
« Il est fait hommage à la Chambre :
« Par la commission royale d'histoire d'un exemplaire des tomes I et II de la chronique des ducs de Brabant par Edmond de Dynter ;
« Par M. Ferdinand du Chastel, de 2 exemplaires de son ouvrage sur les arbres forestiers au point de vue des plantations des routes du royaume. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. de Portemont, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé. »
- Ce congé est accordé.
M. Tack. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi concernant la réunion des deux cantons de justice de paix de la ville de Courtrai.
M. Verhaegen (pour une motion d’ordre). - Un fonctionnaire qui, par la position qu'il occupe dans l'ordre judiciaire, est spécialement chargé de faire respecter les lois, même les lois les moins importantes ; un homme dont l'exemple devient la règle pour tous les membres du ministère public dans plusieurs provinces, vient de poser un acte de la plus haute gravité, en méconnaissant les devoirs que ses fonctions lui imposent.
Un organe de la presse avait fait mention depuis hier du bruit qui s'était répandu à la Chambre des représentants d'une demande en autorisation de poursuite, dirigée par M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, contre un de nos collègues, l'honorable M. de Perceval, a raison d'un discours prononcé dans cette enceinte, et ce matin ce même journal annonce que M. de Bavay lui a adressé, à ce sujet, une lettre de rectification pour l'informer que sa demande s'applique non pas à la critique faite par le député de Malines de son discours de rentrée devant la cour d'appel de Bruxelles, mais à l'accusation que l'honorable M. de Perceval a formulée contre lui, « d'avoir retenu illégalement en prison, pendant trois mois, l'une des personnes compromises dans l'affaire dite de la machine infernale. »
Il est donc bien constaté, aujourd'hui, que M. le procureur général a adressé à M. le ministre de la justice une demande de poursuites contre l'honorable M. de Perceval, à raison d'un discours prononcé dans cette enceinte.
Personne ne se serait, certes, imaginé qu'un fonctionnaire public pût jamais se permettre un oubli aussi audacieux de la Constitution, mais la lettre de M. de Bavay au journal « l’Indépendance » vient de lever tout doute.
La Chambre, comme chacun de ses membres, n'a qu'un juge : c'est le pays.
La Chambre est au-dessus des ministres qu'elle peut renverser et mettre en accusation.
Et le subordonné d'un ministre pourrait rechercher, pour des opinions émises à la tribune, un membre de la représentation nationale !
La Chambre fait la loi ; elle crée le droit que le ministre et les procureurs généraux doivent faire exécuter ; et le même ministre ou son subordonné pourrait se plaindre de ce que la Chambre trouve que la loi votée par elle n'est pas exécutée ?
C'est mettre la Chambre à la merci de ceux qui lui doivent respect et obéissance.
L'honorable ministre de la justice qui aura, avant tout, à apprécier l'acte posé par son subordonné, ne saisira probablement pas la Chambre d'une demande aussi extravagante, car il doit s'attendre à l'accueil que la Chambre lui réserve. Ici tous les partis s'effacent, ce n'est qu'une question de liberté de la tribune et de dignité du parlement.
Mais si la demande de M. le procureur général est destinée à dormir dans les cartons du ministère, il reste à savoir s'il n'y a pas de mesures administratives à prendre contre le fonctionnaire amovible qui vient de méconnaître si ouvertement les devoirs que sa haute position lui impose. J'ai l'honneur d'éveiller sur ce point l'attention du ministère.
Dans les circonstances actuelles il importe, plus que jamais, qu'on ne puisse dire en Belgique, ni du pouvoir exécutif ni de ses agents, qu'ils ne connaissent pas le premier mot de la loi des lois ou qu'ils ont pour cette loi le mépris le plus effronté.
M. Rodenbach. - Messieurs, je crois que des antécédents ont été posés dans cette enceinte même. Jamais il n'a été permis de poursuivre un membre de la Chambre pour les opinions qu'il a émises ici.
D'ailleurs, tout le monde doit connaître l'article 44 de la Constitution.
Messieurs, je me rappelle qu'il y a quelques années, je crois que c'est en 1831, j'avais, dans ma chaleur patriotique, signalé un agent étranger qui se trouvait à Anvers, et avait une autre couleur politique que moi. Je l'avais peut-être accusé avec trop d'ardeur ; j'aurais peut-être dû modérer mes expressions. Cet agent demanda l'autorisation de me poursuivre. Mais la Chambre de cette époque, qui était animée d'autant de patriotisme que la Chambre d'aujourd'hui, a refusé les poursuites.
Messieurs, notre parole doit être libre ici ; nous n'avons à rendre compte de notre conduite parlementaire qu'au pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - L'honorable Verhaegen était sans doute dans son droit en faisant la motion que vous avez entendue tout à l'heure. Mais il me semble qu'il n'y a pas lieu à discuter pour le moment sur cette question.
M. Verhaegen. - Je ne discute pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Vous ne discutez pas, mais un autre membre vient de prendre la parole après vous sur votre motion. Je vois donc une discussion qui va s'ouvrir.
Je dis que cette discussion me paraîtrait non seulement prématurée, mais complètement oiseuse. En effet, messieurs, de quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un fait dont la Chambre n'a connaissance que par un article de journal.
M. David. - Et la lettre de M. de Bavay ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - La lettre de M. de Bavay, l'honorable M. David me permettra de lui en faire l'observation, n'a pas été produite en public. Elle repose dans un parquet ; c'est possible ; je n'ai pas à m'expliquer là-dessus. Mais elle n'a pas vu le jour. Tout ce qu'il y a dans ce moment, c'est un article de journal, que j'ai lu comme tous les membres de la Chambre ont pu le lire.
Je reprends ce que je disais à la Chambre. Elle n'entend pas que je lui rapporte aujourd'hui les paroles qui ont pu être échangées soit entre les ministres, soit entre un ministre et le fonctionnaire dont on a parlé. Jusqu'ici le ministère n'a aucun compte à rendre à la Chambre. Je demande donc que vous vouliez bien ajourner toute espèce de discussion sur la motion qu'a faite l'honorable M. Verhaegen. Lorsque le temps en sera venu, il la renouvellera ; il l'accompagnera de tous les commentaires qu'il jugera convenable. Mais pour le moment toute discussion me paraît au moins prématurée.
(page 197) M. de Muelenaere. - J'ai demandé la parole pour faire remarquer à la Chambre, comme M. le ministre des affaires étrangères, que dans le moment actuel toute discussion sur ce point me paraît complètement prématurée et inopportune.
Quant à moi, je ne fais pas, comme l'honorable M. Verhaegen, le vœu que cette dénonciation continue à dormir dans les cartons du ministère de la justice. Je serais charmé qu'elle fût portée devant la Chambre. Ce serait pour elle une occasion solennelle de faire consacrer d'une manière définitive ses prérogatives et ses immunités.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je prie la Chambre d'être bien convaincue qu'aucun membre du cabinet n'a jamais mis en doute les prérogatives du parlement. Elle remarquera qu'il y a dans le ministère des hommes qui, par leurs habitudes, sont aussi parlcmentaires qu'aucun membre de cette Chambre. Je la prie d'observer qu'il y a dans le ministère deux hommes qui ont siégé vingt ans dans le parlement, et un troisième qui en fait encore partie. Ce n'est pas de la part d'un ministère composé comme celui dont j’ai l'honneur de faire partie qu'on peut craindre une atteinte aux prérogatives du pouvoir parlementaire.
Telle n'a pas été la pensée de l'honorable comte de Muelenaere, je m'empresse de le déclarer.
Mais, je le répète, en fait qu'y a-t-il ? Un fonctionnaire, je ne le nie pas, a manifesté une intention qui peut préoccuper la Chambre. Mais jusqu'ici il n'y a été donné aucune espèce de suite.
Je demande de nouveau à la Chambre une seule chose, c'est qu'elle veuille bien ajourner, non seulement toute décision, il n'y en a pas à prendre, mais toute discussion jusqu'au moment où l'intention aura été suivie d'un fait appréciable. Alors chacun de vous pourra saisir la Chambre de la question soulevée par l'honorable M. Verhaegen, et la Chambre peut être sûre que le ministère s'expliquera dans cette affaire avec la franchise qu'il apporte dans toutes les affaires où il a à se prononcer.
M. de Muelenaere. - Mes paroles n'ont pu s'adresser à aucun membre du cabinet, puisque jusqu'ici le cabinet n'a posé aucun acte, n'a émis aucune, opinion contraire aux prérogatives de la Chambre.
M. Verhaegen. - Je n'ai jusqu'ici aucun reproche à formuler contre le ministère, relativement à l'objet dont j'ai entretenu la Chambre, et je n'en ai formulé aucun dans mon discours. J'ai fait seulement une motion d'ordre, dénonçant un fait qui émeut l'opinion publique, et M. le ministre des affaires étrangères veut bien reconnaître que j'avais le droit de la faire. J'ai fait cette motion parce qu'aujourd'hui une chose est constante, à savoir la demande de poursuites contre l'honorable M. de Perceval, adressée à M. le ministre de la justice par M. le procureur général près la cour de Bruxelles ; il ne me fallait pas même la lettre écrite par M. de Bavay à l'Indépendance pour avoir une certitude.
Je n'ai pas énoncé le vœu, comme semble le croire l'honorable comte de Muelenaere, de voir cette demande dormir dans les cartons. Je désire aussi que nous en soyons saisis, et j'espère bien que tous nous serons d'accord pour en faire prompte et bonne justice.
C'est, au contraire, parce que j'ai craint que cette cause ne dormît dans les cartons, parce que j'ai cru que dans tous les cas il y avait quelque chose à faire en présence d'un acte aussi grave, que j'ai, comme j'en avais le droit, appelé la sérieuse attention du ministère sur ce fait ; car il ne suffirait pas de mettre cette demande de côté ; il s'agirait de voir s'il n'y a pas d'autres mesures à prendre contre le procureur général près la cour de Bruxelles.
M. de Mérode. - Je n'aime pas, messieurs, qu'un absent soit attaqué dans cette Chambre, et je désire qu'il n'y ait rien de préjugé sur la démarche de M. le procureur général jusqu'à ce que la question ait été bien examinée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Un honorable prêopinant a blâmé l'acte posé par M. de Bavay, soit ; mais la Chambre n'a émis aucune espèce d'opinion, et j'insiste, non seulement pour qu'elle n'émette aucune opinion, mais pour qu'elle veuille bien mettre un terme à cette discussion, qui ne peut amener aujourd'hui aucun résultat.
M. Manilius. - Je pense que la motion de l'honorable M. Verhaegen est plutôt une interpellation directe à M. le ministre de la justice ; je demande donc aussi que le gouvernement veuille répondre si, oui ou non, cette atteinte a été portée aux prérogatives de la Chambre, ou si elle a été tentée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Le ministère est complètement étranger à tous les faits dont il vient d'être parlé. L'honorable M. Verhaegen a vu une lettre, je demande à l'honorable M. Verhaegen lui-même si cette lettre était adressée à un ministre.
M. Verhaegen. - Non, mais la demande de poursuites a été adressée à M. le ministre de la justice.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je demande moi-même que les faits soient connus. Je demande si l'on a vu une lettre quelconque adressée à un ministre. (Interruption.) C'est parce que je désire que les faits soient connus que je demande qu'on s'en explique.
Je réponds donc à l'honorable M. Manilius : jusqu'ici, le ministère n'est saisi en aucune manière de cette affaire ; évidemment il n'y restera pas étranger, mais jusqu'ici il n'en est, en aucune manière, saisi officiellement.
M. Vilain XIIII. - Messieurs, je crois que la Chambre ne devrait s'émouvoir que si M. le ministre de la justice, prenant en mains la prétention de M. le procureur général, venait nous demander l'autorisation de poursuivre un de nos collègues ; alors je sais bien ce que je répondrais : ma seule réponse serait un acte d'accusation contre M. le ministre de la justice. Mais il n'est pas question de cela ; il est question d'un acte posé par un subordonné de M. le ministre de la justice, d'uue lettre écrite ou d'une plainte adressée à M. le ministre de la justice.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est une erreur.
M. Vilain XIIII. - Ou d'une plainte adressée au parquet. C'est un citoyen, c'est un procureur général, c'est qui vous voulez qui, se sentant blessé vivement, adresse une plainte en son nom personnel. Il n'agit point comme procureur général, il agit comme simple citoyen et il s'adresse hiérarchiquement à la justice pour qu'elle soumette à la Chambre ses prétentions. Il me semble que la Chambre n'a pas à se mêler de cette affaire, c'est au parquet de savoir ce qu'il a à faire, c'est à M. le ministre de la justice de savoir ce qu'il a à faire.
La question est parfaitement claire pour moi. Si M. le ministre de la justice vient demander l'autorisation de pourstiire M. de Perceval, immédiatement je demande à la Chambre de mettre M. le ministre de la justice en accusation... (interruption), oui, c'est inutile de le dire, parce qu'il est certain que M. le ministre de la justice ne donnera pas suite à la demande de M. le procureur général ; qu'il se dira que cela n'est pas possible, que c'est contraire à la Contitution.
Dans ce moment-ci, nous n'avons rien à faire ; le chef du département de la justice examinera s'il n'y a pas lieu de faire une réprimande à son subordonné. Jusqu'ici, la question concerne exclusivement M. le ministre de la justice. Je demande l'ordre du jour.
M. Verhaegen. - Messieurs, je n'ai rien demandé à la Chambre. J ai signalé un fait ; j'en avais le droit, et j'ai dit que la demande adressée à M. le ministre de la justice pouvait avoir pour conséquence, ou bien que vous serions saisis d'une demande de poursuite contre un de nos honorables collègues, ou que nous n'en serions pas saisis ; or, pour le cas où nous n'en serions pas saisis, j'ai appelé l'attention de M. le ministre de la justice sur le fait même de la démarche de M. le procureur général, et j'ai demandé si, à raison de cette démarche, il n'y aurait pas lieu, de sa part, de prendre, dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, certaines mesures administratives dont je lui abandonnais l'appréciation.
M. Tesch. - Messieurs, cette discussion est condamnée à rouler dans le vague, dans le vide, car personne ne connaît les faits ; tant que les faits ne nous sont pas connus, nous ne pouvons pas les apprécier ; nous pouvons encore moins attaquer, accuser des fonctionnaires, ou provoquer contre eux des réprimandes ou toutes autres mesures disciplinaires.
M. Vilain XIIII. - Messieurs, je parlais tout à l'heure d'une réprimande à faire à M. le procureur général pour la démarche qu'il s'était permise. Je retire cette expression ; il me semble, au contraire, que ce magistrat a parfaitement agi comme procureur général. S'il avait adressé à M. le président de la Chambre la demande tendant à pouvoir poursuivre un de ses membres, alors il aurait méconnu tous ses devoirs, il aurait méconnu son chef, M. le ministre de la justice ; mais il s'est senti blessé comme citoyen, et il a parfaitement agi en adressant sa demande de poursuites au procureur du roi, au parquet. Il me semble que de ce chef il n'y a rien à reprocher à M. le procureur général. C'est au parquet, et s'il le fallait, c'est au ministre de la justice à apprécier la valeur constitutionnelle de sa plainte.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, permettez-moi un dernier mot. Il y a eu un fait posé ; ce fait, nous ne le savons tous que par une voie non officielle ; quelle conséquence aura ce fait ? Ou bien, la plainte viendra à la Chambre, ou elle n'y viendra pas. Si elle vient à la Chambre, la Chambre prendra telle décision qu'elle jugera convenable ; si elle n'y vient pas, la Chambre pourra alors encore agir comme bon lui semblera ; mais, en ce moment, la Chambre est dans l'impossibilité absolue de faire quoi que ce soit, puisque, de l'aveu même de l'honorable M. Verhaegen, aucune décision n'est prise, et que tout est dans le vague.
Encore une fois, l'attention du gouvernement, je prie l'honorable M. Verhaegen d'en être convaincu, n'avait pas besoin d'être particulièrement appelée sur l'affaire dont il a occupé la Chambre ; l'honorable membre en avait parfaitement le droit, je ne l'en blâme en aucune manière ; mais il peut être sûr qu'avant sa motion d'ordre, le fait avait préoccupé le gouvernement. Bref, il est impossible que la Chambre prenne aujourd'hui une décision quelconque ; la discussion est prématurée ; je demande à la Chambre de passera l'ordre du jour. (Adhésion.)
- L'incident est clos.
M. le président. - M. le ministre de la justice m'a écrit qu'une indisposition l'empêche d'assister aujourd'hui à la discussion du projet de loi.
M. Lelièvre. - M. le président, le projet de loi ne soulèvera pas de difficultés ; on peut très bien le discuter en l'absence de M. le ministre de la justice.
M. Van Overloop. - Je demande l'ajournement de la discussion jusqu'à ce que M. le ministre de la justice puisse être présent, car le projet pourrait soulever certaines difficultés sur lesquelles il serait nécessaire que des explications fussent données par M. le ministre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, si le projet de loi qui est à l’ordre du jour doit donner lieu à une discussion, je demanderai que la Chambre veuille bien ajourner cette discussion. M. le ministre de la justice est malade et même malade au point de devoir garder le lit.
Il ne pourra pas se présenter devant la Chambre avant quelques jours ; je laisse toutefois à la Chambre de décider si le projet étant simple, elle ne pourrait pas passer à la discussion immédiate, tout en reconnaissant moi-même qu'il n'est pas urgent.
M. Lelièvre. - Le projet dont il s'agit est très simple et ne présente aucune difficulté. La commission a adopté à l'unanimité la proposition ministérielle, et tous ses membres sont prêts à soutenir le projet. Je ne considère donc pas la présence de M. le ministre de la justice comme indispensable, d'autant qu'à mon avis la question soulevée ne peut présenter aucun doute sérieux.
M. Orts. - J'avais demandé la parole pour faire la même observation que l'honorable M. Lelièvre. Nous nous sommes trouvés unanimes dans la commission pour admettre le projet, chacun de ses membres est à même de le défendre.
- La Chambre décide qu'elle passera à la discussion du projet de loi.
« Article unique. L'ordonnance de police communale, réglant le mode du transport des corps dans les communes où il n'existe pas d'entreprise et de marchés pour les sépultures, et prescrivant qu'à moins d'une autorisation spéciale du collège des bourgmestre et échevins, qui ne l'accordera que pour des cas exceptionnels, les cercueils ne pourront être portés que par les préposés de l'administration des hospices civils, rentre dans les limites de l'article 78 de la loi du 30 mars 1836, de l'article 21 du décret du 23 prairial an XII et de l'article 9 du décret du 18 mai 1806, et n'est contraire ni à l'article 7 du décret des 2-17 mars 1791 ni à l'article 2 de la loi du 21 mai 1819. »
M. Van Overloop. - Messieurs, je faisais partie de la commission qui a été chargée de l'examen du projet de loi dont il s'agit, mais lorsque la commission s'est réunie, j'étais retenu à la section centrale du budget de l'intérieur ; je n'ai donc pas pris part à la discussion qui a eu lieu au sein de la commission. Mais en lisant les pièces relatives au procès qui a amené la présentation du projet de loi, j'ai cru m'apercevoir que le tribunal de Gand n'avait pas complètement décidé par les mêmes motifs que le tribunal d'Anvers. Il s'agissait de savoir si le règlement du conseil communal d'Anvers était légal. Le tribunal d'Anvers a décidé que non, et, par application de l'article 107 de la Constitution, il a acquitté les prévenus.
Ce jugement du tribunal d'Anvers fut déféré à la cour de cassation. La cour cassa le jugement du tribunal d'Anvers et renvoya l'affaire devant le tribunal de Gand. Le tribunal de Gand adopta en général les mêmes motifs que le tribunal d'Anvers, mais je trouve dans les motifs du jugement du tribunal de Gand un considérant qui ne se trouve pas dans celui du tribunal d'Anvers.
Il est ainsi conçu : « Attendu que le règlement pour le transport des cercueils, arrêté par le conseil communal d'Anvers, le 13 mars 1852, dont expédition a été transmise à la députation du conseil provincial n'a pas été approuvé par le Roi et que partant il ne réunit par les conditions requises par l'article 2 de la loi du 21 mai 1819 pour lui attribuer la force d'interdire aux particuliers l'exercice de la profession pour laquelle ils sont patentés. »
Remarquez qu'il s'agit d'une loi interprétative, que la conséquence de la décision de la Chambre doit être l'application ou la non-application d'une pénalité. De sorte que nous ne pouvons être trop sévères dans l'examen d'une loi de cette nature.
Je ne veux pas examiner si le règlement a été porté dans les limites du pouvoir communal. Je le crois, la question pour moi est de savoir s'il faut ou non que le règlement soit approuvé par le Roi.
Aux termes de la loi communale, il suffit que les règlements soient transmis, dans les 48 heures, à la députation permanente du conseil provincial.
Mais malheureusement la loi du 21 mai 1819 porte en termes exprès : « Seront néanmoins considérées comme de nulle valeur les patentes qui seraient délivrées à des individus pour des professions ou métiers dont l'exercice leur serait définitivement ou conditionnellement interdit par les lois ou par les règlements approuvés par nous. »
Or, il ne résulte pas des pièces qui nous ont été communiquées que le règlement de la ville d'Anvers ait été approuvé par le Roi, comme l'exige le paragraphe 2 de l'article 2 de la loi du 21 mai 1819. Je sais que la loi de 1836 est postérieure à la loi de 1819 ; mais je désirerais savoir si nonobstant l'article 78 de la loi du 30 mars 1836, il n'y avait pas lieu d'examiner, dans l'espèce, le règlement au point de vue de la loi de 1819. Le motif en paraît plausible ; car un arrêt de la cour de cassation reconnaît que les règlements communaux peuvent régler l'exercice d'une profession, mais sans enlever à celui qui a obtenu une patente le droit d'exercer cette profession.
Dans l'espèce, les prévenus avaient, en vertu de leur patente, le droit de transporter les corps morts ; le règlement pris par le conseil communal d'Anvers y a fait obstacle, en chargeant de ce transport des individus déterminés. Les premiers ont été condamnés par le tribunal de simple police. Ils se sont pourvus en appel, et le tribunal d'Anvers les a acquittés ; son jugement a été cassé par la cour suprême.
Le tribunal de Gand, à qui l'affaire aété renvoyée, a admis le bien jugé du tribunal d'Anvers.
Nouveau pourvoi, nouvelle cassation
Je n'entends pas, messieurs, examiner la question à fond, mais j'aurais désiré, je le répète, que M. le ministre de la justice fût présent pour nous dire si le règlement de la ville d'Anvers a reçu ou non l'approbation du Roi, pour faire, en un mot, disparaître mes doutes. Quant il s'agit de l'interprétation d'une loi qui doit avoir pour résultat d'infliger ou de né pas infliger une pénalité quelconque, nous ne pouvons être trop circonspects.
Telles sont les observations que j'avais à présenter à la Chambre sur ce projet de loi.
M. de Muelenaere. - Nous sommes parfaitement d'accord avec l'honorable préopinant, que tout ce qui concerne les convois funèbres est dans les attributions des autorités communales. En effet, les décrets de prairial an XII et du 18 mai 1806 sont explicites à cet égard ; ils font même à ces autorités un devoir de veiller à ce que la décence soit observée dans ces convois.
L'honorable préopinant tire un argument de la loi sur les patentes. Mais je prie la Chambre de remarquer que le droit de patente est exclusivement fiscal, qu'il a été établi dans l'intérêt du trésor afin de prélever sur l'exercice des diverses professions une partie des bénéfices qu'elles donnent ; et il ne confère à personne le droit abolu d'exercer une profession.
Ce n'est pas en vertu de la patente, mais en vertu des principes de liberté consacrés par nos lois, qu'on a le droit d'exercer une profession. D'après les lois générales, il est libre à chacun d'exercer quelque profession que ce soit, à moins qu'elle ne soit réglementée par la loi ou par un acte de l'autorité publique.
Ainsi, le médecin est obligé d'avoir une patente pour exercer sa profession, mais peut-on conclure de là qu'un individu patenté pourrait exercer la profession de médecin sans être diplômé ? De même, un notaire a besoin d'une patente, mais un individu pourrait-il, en vertu d'une patente, exercer les fonctions de notaire, s'il n'était pas nommé légalement ? Evidemment non. Il est donc évident que le droit de patente ne confère pas le droit d'exercer une profession.
Puisque nous sommes d'accord que tout ce qui concerne les convois funèbres est dans les attributions de l'autorité communale, il ne reste à examiner qu'une seule question, celle de savoir si le règlement de la ville d'Anvers, aux termes duquel les corps morts doivent être portés par certaines personnes désignées, est revêtu des formes légales.
Pour se convaincre qu'il en est ainsi, il suffit d'ouvrir la loi communale. Vous verrez dans la loi communale que les administrations communales peuvent prendre les décisions qui rentrent dans leurs attributions, pourvu que, dans un délai déterminé, elles en informent la députation permanente. Si la députation permanente n'use pas du droit que lui donne la loi d'annuler, le règlement est parfaitement légal, et l'on ne peut élever aucune objection contre son exécution. Cela est positif d'après les termes de la loi du 30 mars 1836, et c'est ce qu'a reconnu la cour de cassation. Je ne crois pas qu'on puisse élever le moindre doute à cet égard.
Donc, le règlement de la ville d'Anvers est régulier dans sa forme et obligatoire pour les personnes soumises à sa juridiction, et la cour de cassation a fait une juste application de la loi, en déclarant que ceux qui avaient contrevenu à ce règlement ont encouru les peines comminées par la loi.
Je crois que tout le monde doit être d'accord avec nous, que l'interprétation proposée par le gouvernement est la seule qui puisse être admise.
M. Lelièvre, rapporteur. - Le système consacré par le projet de loi est appuyé sur deux arrêts de la cour de cassation qui ont été rendus sur les conclusions conformes de M. le procureur général Leclercq. Ces arrêts sont fondés sur des motifs irréfragables, et l'on doit en dire autant des raisonnements logiques déduits par l'organe du ministère public. Il est incontestable que ce sont là des autorités imposantes qui doivent avoir un grand poids sur votre détermination.
Lorsqu'on examine du reste les raisons qui ont dicté les décisions, on est convaincu qu'il est impossible d'y résister. Mais, messieurs, la justesse de notre système résulte des considérations mêmes présentées par l'honorable M. Van Overloop. Celui-ci convient que le règlement de la ville d'Anvers est légal ; mais s'il est légal, il est impossible de méconnaître les conséquences de cette légalité. Ces conséquences sont certainement, qu'il lie tous les citoyens qui se trouvent dans les lieux où le règlement est obligatoire et par conséquent les droits de ces citoyens résultant de la patente sont nécessairement modifiés par les dispositions qu'on convient avoir été prises par le conseil communal dans les limites de ses attributions. Du moment qu'un règlement est légal, nul ne peut s'y soustraire. Il a la même force qu'une loi et par conséquent il est impossible à qui que ce soit de ne pas respecter ses dispositions.
(page 199) L'honorable M. Van Overloop argumente de l'article 2 de la loi du 21 mai 1819 qui n'admet les modifications de la patente qu'en vertu de règlements approuvés par le Roi.
Mais cette disposition ne parle que des règlements qui, d'après la législation en vigueur en 1819, avaient besoin de la sanction royale pour être obligatoires. La loi de 1819 ne parle de l'approbation royale qu'en vue des lois de l'époque, qui pour certains règlements exigeaient cette sanction. Mais du moment qu'il s'agit de règlements communaux, ce sont les lois postérieures qu'il faut consulter pour apprécier leur légalité et les conditions nécessaires à cet effet. C'est donc la loi communale de 1836 qui doit régir la matière dont nous nous occupons.
Or, il est incontestable que les règlements de police, tels que celui dont il s'agit, ne sont pas soumis à l'approbation royale ; en conséquence cette condition ne doit pas être remplie, elle n'est donc pas indispensable pour que les dispositions du règlement modifient les droits résultant de la patente, qui sont essentiellement soumis aux lois et aux règlements légaux portés par les administrations communales dans les limites des pouvoirs constitutionnels leur compétant. Ces motifs et ceux déduits par l'honorable comte de Muelenaere justifient le projet que la Chambre n'hésitera pas à adopter.
- La discussion est close.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet.
Il est adopté à l'unanimité des 69 membres qui prennent part au vote, 2 membres, MM. Van der Donckt et Van Overloop, s'étant abstenus.
Les membres qui ont voté l'adoption sont : MM. Moreau, Orts, Osy, Pierre, Rodenbach, Rousselle, Tack, Tesch, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Anspach, Calmeyn, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Decker, de Haerne, Delehaye, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perccval, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Steenhault, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu et Delfosse.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Van Overloop. - Je me suis abstenu, parce qu'il s'agit d'une matière sur laquelle j'ai des doutes, doutes qui n'ont pas disparu par suite des observations de l'honorable rapporteur.
M. Vander Donckt. - Je me suis abstenu par les motifs développés par mon honorable ami M. Van Overloop.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre des votants, 69
Majorité absolue, 35
M. Osy obtient, 40 suffrages.
M. Anspach, 28
Billet blanc, 1
En conséquence M. Osy est proclamé.
- La séance est levée à 4 heures et demie.