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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 novembre 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 127) M. Dumon fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

M. Dumon présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Plusieurs industriels des vallées de la Dyle et de l'Orneau réclament l'intervention de la Chambre pour que la société du Luxembourg soit autorisée à exploiter la partie de son chemin de fer qui est achevée jusqu'à Ottignies. »

- Renvoi à la commission des pétilions.


M. Lelièvre. - La pétition dont il s'agit ayant un caractère d'urgence, je prie la Chambre de la renvoyer à l'examen de la commission avec demande d'un prompt rapport. J'appuie du reste la juste réclamation des pétitionnaires.

- Cette proposition est adoptée.


« Quelques habitants de Tirlemont demandent la prohibition à la sortie des céréales, des farines, des fécules de pommes de terre et du bétail, et une loi portant que le marché des céréales doit avoir lieu partout le même jour et à la même heure.»

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux denrées alimentaires.


« Plusieurs habitants de Verviers et de son arrondissement demandent la suppression définitive des droits d'entrée sur les grains, le bétail et les autres denrées alimentaires et proposent de prohiber la sortie de ces denrées et des produits distillés ou, tout au moins, de frapper leur exportation d'un droit qui indemniserait le trésor de la perte à résulter de la suppression des droits d'entrée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi concernant les denrées alimentaires et les eaux-de-vie.


« Le conseil communal de la ville de Rœulx demande la libre entrée, jusqu'au 31 décembre 1855, de toutes les denrées alimentaires et la prohibition à la sortie des grains de toutes espèces, ainsi que de leur distillation. »

- Même décision.


« Un grand nombre d'habitants de Renaix prient la Chambre de prohiber la sortie des grains et des autres matières farineuses et d'en prohiber la distillation. »

- Même décision.


« Un grand nombre d'habitants de Bruxelles signataires de 41 pétitions prient la Chambre de voter la libre entrée à perpétuité des denrées alimentaires énumérées dans le projet de loi du gouvernement en y comprenant le riz ; de supprimer toute décharge à l'exportation des eaux-de-vie indigènes et d'examiner s'il n'y a pas lieu de prendre des mesures pour prohiber temporairement la sortie des grains soit en nature, soit distillés. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants d'Ixelles. »

« Même demande de plusieurs habitants de Droogenbosch et de Ruysbroek. »

- Même décision.

Projet de loi interprétatif du règlement sur la police des sépultures

Rapport de la commission

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi d'interprétation d'un article réglementaire de la police des sépultures.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. de Muelenaere. - Je propose de mettre ce projet de loi à la suite des objets qui sont à l'ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bastogne

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, immédiatement après la décision de la Chambre sur les élections de Bastogne, le gouvernement a fait les démarches nécessaires pour se procurer les pièces que la Chambre avait manifesté le désir de posséder à l'effet d'apprécier cette élection. Je suis obligé de faire connaître que, d'après une lettre que j'ai reçue de Berlin, les pièces demandées ne pourront nous être envoyées avant deux ou trois semaines. Je fais cette communication, afin qu'on n'impute pas ce retard au gouvernement qui en est parfaitement innocent.

M. Coomans. - Je ne crois pas que la décision prise par la Chambre en ce qui concerne les élections de Bastogne impliquait l'obligation de s'en rapporter à un gouvernement étranger pour vérifier les pouvoirs d'un membre de cette assemblée. J'ai cru et beaucoup de collègues avec moi ont cru qu'il s'agissait de faire une enquête dans la province de Luxembourg même, enquête qui aurait pu se terminer en deux ou trois jours.

J'ai pensé que les autorités compétentes, qui avaient inscrit deux électeurs dits étrangers, sur la liste, pouvaient assez promptement indiquer les motifs des décisions qu'elles avaient prises.

Pourquoi n'a-t-on pas suivi cette marche si simple ? Je ferai remarquer d'une part qu'il est assez singulier qu'on doive attendre du bon vouloir d'un gouvernement étranger l'accomplissement d'une prescription constitutionnelle ; en second lieu, je ne sais pas jusqu'à quel point il est constitutionnel d'ajourner indéfiniment, sous des prétextes très futiles, l'admission d'un membre de cette assemblée.

On a été aux renseignemenls par voie extra officielle, et l'on a la preuve (je l'ai en ce qui me concerne) que l'un des deux électeurs dont l'indigénat est contesté est Belge, qu'il a fait sa déclaration il y a onze ans, et que cette déclaration figure dans les documents officiels.

Ceci démontre déjà que les réclamations qui ont retenti dans cette Chambre étaient pour le moins légères. Cette première erreur nous autorise à croire que l'autre moitié des réclamations n'était pas plus sérieuse.

Je conclus donc à ce que le gouvernement nous communique les pièces qu'il a déjà pu recevoir du gouvernement provincial ; et à ce que la Chambre décide si nous devons ajourner indéfiniment, au gré d'un gouvernement étranger, l'admission en cette enceinte d'un élu de la nation. Pour ce qui me concerne, mon opinion est faite sur tous ces points.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je n'ai pas cru que la communication que je faisais à la Chambre eut fait naître une discussion ; si l'on suit l'honorale préopinant dans les observations qu'il vient de présenter, vous allez avoir dès aujourd'hui une discussion nouvelle sur l'élection de Bastogne sans qu'elle puisse aboutir à un résultat.

M. Coomans. - Cela est beaucoup plus important que la convention d'Anvers. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je répète, comme si l'on ne m'avait pas interrompu, que j'ai dû faire cette communication, mais qu'elle n'avait nullement pour but de faire surgir une discussion aujourd'hui relativement à l'élection de Bastogne.

Il y a, messieurs, une première chose à constater.

On a prétendu que deux électeurs n'étaient pas Belges. Qu'avait à faire le gouvernement ? Se procurer l'acte de naissance de ces deux électeurs.

M. Coomans. - Cela ne suffit pas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je ne comprends vraiment pas le but de l'observation que l'on me fait. Cela ne suffit pas. Est-ce que j'ai dit que c'était tout ce qu'il fallait ? Je pense que la première pièce à se procurer pour connaître la nationalité d'un individu, c'est son acte de naissance. Ce qui sera produit après peut avoir son importance ; mais c'est bien là la première pièce à obtenir. J'ai donc dû écrire au ministre belge à Berlin pour me procurer cet acte. Il me répond qu'il en a fait la demande immédiate, mais que, comme cette demande doit suivre la filière administrative en allant et en venant, il s'écoulera au moins quinze jours avant que les pièces nous arrivent.

Cela n'empêche pas que le gouvernement ait fait en même temps les démarches nécessaires dans l'intérieur du pays. C'est M. le ministre de l'intérieur qui s'est chargé de ce soin.

Messieurs, il n'y a pas lieu à discuter aujourd'hui. Du moment où M. le ministre de l'intérieur recevra les pièces qu'il a demandées, il les communiquera à la Chambre. Si la commission est à même de faire un rapport sur le vu des pièces que M. le ministre de l'intérieur vous remettra, elle n'attendra pas plus longtemps et c'est ce que je demande moi-même. Si au contraire elle trouve que les pièces produites par (page 128) M. le ministre de l'intérieur sont incomplètes, on attendra. Il me semble donc que toute discussion aujourd'hui est inutile et superflue.

M. de Muelenaere. - Je ne prolongerai pas ce débat. M. le ministre des affaires étrangères vient de nous communiquer une dépêche qu'il a reçue de notre ministre à Berlin. En demandant la parole, je n'avais qu'un seul but, c'était de prier M. le ministre de l'inférieur de vouloir bien nous faire connaître également les informations qu'il peut avoir reçues des administrations communales de la province de Luxembourg auxquelles il a dû s'adresser en exécution de la décision de la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'attends ces pièces que j'ai demandées et dont j'ai pressé l'envoi par tous les moyens possibles. D'ici à deux ou trois jours j'espère pouvoir les remettre à la Chambre.

M. de Muelenaere. - Je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir insister de nouveau pour que ces pièces nous arrivent le plus tôt possible.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je l'ai encore fait hier.

M. de Muelenaere. - Car la position de l'élu de Bastogne est tout à fait anomale et il faut qu'on mette un terme à cette situation le plus tôt possible.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 3

M. le président. - La discussion continue sur le paragraphe 3.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'ai demandé hier la parole au moment où l'honorable M. Verhaegen faisait connaître à la Chambre qu'il se préoccuperait non seulement de l'application de la convention d'Anvers, mais qu'il en examinerait avant tout le fond et en discuterait les principes, et ajoutait que, dans son opinion, le vote du 14 février, sur l'ordre du jour proposé par M. Osy, n'impliquait l'approbation ni implicite ni explicite de la convention qui nous occupe.

Messieurs, je ne veux pas examiner ce qu'il y a de vrai dans cette dernière assertion. Elle m'importe assez peu. Je suis même tenté de reconnaître que, nous plaçant au point de vue de la théorie pure et en n'examinant que le texte de l'ordre du jour voté par la Chambre, l'honorable membre était dans le vrai. Mais il n'est pas moins vrai de reconnaître que si ce vote au fond n'a aucune signification, un grand nombre des 86 membres de cette Chambre, qui l'ont émis, ont dû avoir dès lors une conviction sur la valeur intrinsèque de cet acte.

Dans cette discussion, messieurs, on a beaucoup parlé de franchise, de loyauté. Je partage entièrement cette manière de voir, je la partage surtout en ce qui concerne la question toute spéciale qui nous occupe, car il est temps enfin de placer cette question sur son terrain réel, et d'y jeter le plus grand jour possible au moyen d'une discussion sérieuse. Je remercie l'honorable M. Verhaegen de nous avoir fourni l'occasion d'examiner ainsi cette grave question, et de nous avoir enfin, à nous qui formons une grande partie de la gauche, fourni l'occasion de justifier le vote émis par nous le 14 février dernier.

Il faut de la franchise, messieurs, car, tout le monde le reconnaît, il y a dans cette affaire quelque chose de mystérieux, d'équivoque, et pour me servir d'une expression de l'honorable M. Verhaegen lui-même, la convention d'Anvers aujourd'hui encore ne serait qu'une espèce d'énigme.

Je ne me dissimule pas, messieurs, et vous le comprendrez facilement, la difficulté de ma position actuelle.

Je réponds à des amis politiques avec lesquels j'ai été d'accord et le suis encore sur à peu près toutes les questions politiques qui occupent la Chambre. Il y a peut-être quelque témérité à aborder cette position, à moi, peu habitué à prendre part à nos grands débats parlementaires, alors que je trouve devant moi les hommes les plus considérables et les plus importants du parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir.

Messieurs, je n'aurais pas osé entreprendre cette tâche si je n'avais puisé dans une conviction profonde et sincère la certitude que je viens aujourd'hui remplir un devoir.

Au mois de février dernier, quand l'incident de la convention d'Anvers se présenta devant la Chambre, cet incident se termina par un ordre du jour motive proposé par l'honorable M. Osy. 93 membres étaient présents ; 86 répondirent oui, 7 répondirent non, et il est à remarquer que ces 86 membres n'appartenaient heureusement pas tous à la droite, mais que cette majorité était composée en partie de membres de la gauche, 40 de mes amis le votèrent.

A cette époque, la discussion ne fut pas complète. Il y eut une certaine gêne, un certain malaise. On s'occupa longuement d'un incident relatif à la communication des pièces, et l'on s'occupa assez peu de la convention elle-même. L'honorable M. Devaux demanda quelques explications. Deux honorables membres attaquèrent avec vigueur la convention elle-même et témoignèrent des craintes sur son application ; et le gouvernement finit par donner quelques explications ; tout se borna là.

La droite se renfermant, comme elle paraît vouloir le faire encore aujourd'hui, dans une réserve formelle, crut devoir rester simple spectatrice du débat.

Les membres de la gauche, qui formaient la majorité des 86 votants pour l'ordre du jour motivé du 14, crurent, eux aussi, devoir garder un silence qu'ils croyaient prudent.

Les motifs, messieurs, de ce silence, je n'ai pas à les expliquer aujourd'hui, pas plus que la droite n'a à expliquer les motifs de son mutisme.

Mais ce que je dois dire, c'est que ce silence de notre part fut une faute, et comme les fautes ne restent jamais impunies, nous ne tardâmes pas à en subir les conséquences, fâcheuses pour nous, et fâcheuses à un point de vue beaucoup plus large et beaucoup plus général.

A peine ce vote fût-il émis qu'il devint l'objet de critiques d'abord assez bienveillantes, assez modérées ; mais plus tard, quand la session fut close, ces critiques prirent un caractère infiniment plus énergique. A cette époque, messieurs, retentirent dans la presse et dans certaines associations politiques des reproches extrêmement vifs.

On nous disait : Vous avez fait une œuvre ténébreuse, que vous n'osez avouer ; vous avez agi dans l'ombre, vous évitez la lumière de la discussion ; on nous disait : Vous avez émis un vote mystérieux, vous avez sanctionné un accord que vous ne pouvez pas justifier.

On ajoutait : Vous êtes des hommes timides, vous n'osez avouer votre pensée. Enfin, messieurs, nous étions des hommes pusillanimes, le vote de la convention d'Anvers n'avait pas en vue la convention elle-même, mais une question électorale.

La presse et les associations politiques, que je ne combats pas, puisque j'ai l'honneur de faire parlie d'une association de ce genre, ont usé de leur droit ; je ne me plains pas, et je n'imiterai pas certains membres qui, après avoir dit que de pareils reproches leur sont indifférents, prouvent, en répondant très longuement, qu'ils y sont fort sensibles.

Il est, messieurs, un seul reproche qui me touche : on a dit que quand un intérêt très important était en jeu, nous nous sommes préoccupé de notre petite personnalité et que nous avons fait une transaction électorale. Je proteste, autant qu'il est en moi, contre cette accusation injuste.

Du reste, avouons-le, si quelqu'un de nous avait eu pareille pensée, celui-là devrait être aujourd'hui bien désillusionné.

Où s'est-on souvenu du vote du 14, lors des dernières élections ? Est-ce à Bastogne ? Est-ce à Courtrai ? S'en est-on souvenu à Anvers ? A Anvers l'auteur, l'honorable M. Loos, qui, avec un courage et une intelligence qu'on ne peut trop louer, a pris sur lui la responsabilité de cette grande mesure, l'honorable M. Loos a été combattu avec énergie le 13 juin. Il a été combattu encore, au 31 octobre.

Je n'ai à juger personne, mais je crois pouvoir dire avec conviction que si nous avons commis une faute le 14 février, en gardant le silence, la droite a commis une faute grave à son tour en combattant la réélection de l'auteur de la convention d'Anvers. (Interruption.)

L'honorable M. Rodenbach dit : Cela ne regarde pas la droite, mais les électeurs ; mais quand je parle de la droite, je ne parle pas des membres qui siègent dans cette enceinte à droite, je parle du grand parti que ces membres représentent dans le pays.

Notre silence eût encore des conséquences graves à un point de vue beaucoup plus élevé. Des écrits, des articles critiques, des assertions qui furent émises dans les journaux eurent pour résultat d'agir sur l'opinion publique; l'opinion publique, à son tour, il n'en pouvait être autrement, exerça son action sur les communes, et les communes crurent, ainsi qu'on l'avait affirmé très souvent, que la convention d'Anvers était une victoire signalée de la droite sur la gauche, que la loi du 1er juin était anéantie et que le parti libéral avait perdu, lui aussi, sa bataille de Waterloo.

Messieurs, le dissentiment qui existe aujourd'hui au sein de la gauche n'est pas nouveau ; ce dissentiment est entré peut-être avec nous dans la Chambre en 1848 ; mais il ne s'est produit d'une manière palpable pour tous que lors de la discussion de la grande loi de 1850 sur l'enseignement moyen.

A cette époque, trois opinions se firent jour sur la question de l’enseignement religieux. La droite demandait qu'on inscrivît dans la loi, d'une manière formelle, le droit pour le clergé d'enseigner dans les écoles de l'Etat ; elle demandait en d'autres termes l'admission, à titre d'autorité, des ministres du culte dans l'enseignement. Cette prétention fut et sera toujours repoussée par nous avec énergie et constance.

Mais dans la gauche, au même moment, se manifesta un dissentiment. D'honorables membres disaient d'une part : « La loi doit s'occuper uniquement de l'enseignement laïque, elle ne doit s'occuper en rien de l'enseignement religieux ; entre ces deux ordres d'idées il y a une distinction radicale, il y a séparation définitive. » Ils ajoutaient : « L'enseignement de la religion doit être laissé aux pères de famille, l'Etat ne doit pas s'en mêler. » Ils disaient encore : « Dans la vie sociale, dans la vie du monde, l'enseignement religieux n'est pas donné aux adultes ; il n'y a pas d'enseignement spécial pour eux. »

D'un autre côté, messieurs, tout en admettant ces grands principes, d'autres membres pensaient aussi qu'il fallait tenir compte d'un grand fait, du sentiment religieux du pays. Ils crurent qu'il fallait introduire (page 129) dans la loi une disposition formelle rendant possible l'enseignement religieux dans les écoles secondaires.

Ces membres, en votant l'ordre du jour du 14 février, étaient donc aussi conséquents que les membres qui repoussaient, en 1850, l'article 8 et qui ont ensuite repoussé l'ordre du jour.

La Chambre chercha à introduire dans la loi une disposition tendant à laisser la possibilité de donner l'enseignement religieux dans nos écoles.

L'honorable M. Lelièvrc trouva une formule qui parut satisfaire tout le monde. L'honorable M. Lelièvre nous inspirait toute confiance ; les principes de l'honorable membre étaient, en matière d'enseignement, des plus purs, car, peu de temps auparavant, il avait proposé même la révision de la loi d'enseignement primaire. Le texte de l'amendement était d'ailleurs de nature à nous rassurer complètement.

Le gouvernement se rallia à l'amendement de M. Lelièvre ; il fut, ainsi que l'article 8, adopté.

Cependant, messieurs, malgré l'introduction de cet amendement, malgré les efforts qu'avait faits la gauche, nos adversaires politiques repoussèrent la loi, déclarant qu'elle était mauvaise, qu'elle était détestable, assurant qu'elle ne pourrait recevoir d'application que si elle n'était profondément modifiée et que jusqu'à cette époque le concours du clergé ne serait pas acquis.

Nous répondîmes : Nous sommes allés jusqu'à l'extrême limite. Nous désirons le concours du clergé, qui comprendra nos intentions, connaîtra nos désirs et y satisfera.

Aujourd'hui, messieurs, je le demande, qui a eu raison ? Est-ce la droite, est-ce la gauche ? La loi existe entière, immaculée et cependant le concours du clergé est accordé. Qui de nos adversaires ou de nous avait raison ?

Peut-on soutenir que, par la convention d'Anvers, la gauche, le parti libéral a essuyé, comme on l'a dit, une sanglante défaite ? Quoi qu'il en soit, le cabinet du 12 août fit, dès que la loi fut votée, de grands efforts pour arriver à son exécution complète. Il n'aboutit pas.

Je ne reviendrai pas sur ces faits qui pourraient jeter quelque agitation dans le débat et provoquer une discussion stérile ; je me bornerai à rappeler qu'un ordre du jour motivé fût voté à la suite du budget de 1852.

Cet ordre du jour indiquait clairement l'opinion de la Chambre.

Depuis que le ministère du 12 août a quitté le pouvoir, un incident inattendu surgit ; une commune, la commune d'Anvers, avait cherché à obtenir le concours du clergé pour l'athénée et l'école moyenne de cette ville, elle parvint à conclure l'arrangement connu depuis sous le nom de convention d'Anvers.

Quand cet arrangement se présenta devant la Chambre, nous qui avions voté l'article 8, et en désirions l'exécution, devions-nous, pouvions-nous le rejeter ? Une seule question restait à examiner, celle de savoir si cet arrangement ne froissait pas les grands principes que nous avons constamment défendus dans cette Chambre.

La convention touche-t-elle à l'indépendance du pouvoir civil ? Le clergé est-il admis à titre d'autorité ? Enfin la liberté des cultes, celle des pères de famille sont-elles froissées ? Je ne le pense pas. La discussion qui s'est produite hier a singulièrement facilité ma tâche, je ne dirai donc que quelques mots sur chacune de ces questions.

Le clergé n'intervient pas, je pense, à titre d'autorité ; car, pour qu'il en fût ainsi, il faudrait que l'ecclésiastique pût venir dans l'école en vertu de son caractère, en vertu d'un droit, il devrait pouvoir dire : « J'arrive de par la loi, votre devoir est de me recevoir ; vous n'avez pas le droit de m'exclure. » Il n'y a rien de semblable dans la convention ; le clergé entre à l'école en vertu d'un acte posé par l'autorité communale elle-même, approuvé par l'autorité civile supérieure, et non en vertu d'un droit ; si je puis me servir de cette expression, le clergé arrive si peu à titre d'autorité, qu'il est forcé de passer par l'hôtel de ville pour entrer à l'école.

Ce que je viens de dire ne prouve-t-il pas déjà que l'indépendance du pouvoir civil n'est pas attaquée par la convention ?

Le langage de nos adversaires nous en donne d'ailleurs une preuve des plus flagrantes ; le règlement d'Anvers n'est pas né viable, dit-on, c'est un fruit qui n'arrivera pas à maturité ; vingt communes refusent de l'admettre.

Mais, messieurs, quand les communes ont le droit d'accepter ou de refuser les bases de la convention, peut-on prétendre encore qu'il y ait violation de l'indépendance du pouvoir civil ?

Deux objections cependant ont été faites par l'honorable M. Verhaegen. Il nous a dit : La puissance de la commune est entravée ; la commune n'est pas libre dans son action en ce qui concerne la composition des bureaux administratifs.

Messieurs, dans mon opinion, ni la loi communale, ni la loi de 1850 ne sont violées.

Il n'en serait pas ainsi évidemment, si dans un règlement il était dit : Le doyen, tel prêtre fera partie du bureau.

La commune doit, il est vrai, si elle veut obtenir le concours, proposer un ecclésiastique parmi les candidats pour la formation du bureau. Mais si l'ecclésiastique qu'on présente à son choix ne lui convient pas, elle refuse, passe outre, et usant de sa liberté, elle présente au choix du gouvernement un candidat laïque.

On a articulé un second grief.

On a dit que par suite de l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau administratif, l'inspection des établissements de l'Etat était réellement confiée au clergé.

Il y a là au moins beaucoup d'exagération. Car enfin le bureau administratif se compose de 7 à 11 membres. Dans ce bureau il y aura un ecclésiastique, un seul. Cet ecclésiastique aura le droit et le privilège qu'ont tous les membres ; il aura le droit de visiter les classes. Mais quand il aura fait cette visite, quelle en sera la sanction ? Pourra-t-il décider quelque chose ? Non, sans doute. Il viendra au bureau, il fera des observations qu'il jugera utile de présenter ; si ces observations sont fondées, on y aura égard. Si elles ne le sont pas, on passera outre.

Il faut d'ailleurs bien le remarquer, si j'ai bien compris la convention, ce droit d'inspection des cours est réciproque. Pour un ecclésiastique qui inspectera les classes, il y aura six, huit, dix membres civils qui pourront inspecter l'enseignement religieux.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur. Cela n'est pas possible.

M. Vandenpeereboom. - Qui donc empêchera un membre civil du bureau d'assister aux leçons de catéchisme et aux leçons de doctrine chrétienne ? Qui empêchera ce membre, la première fois que le bureau se réunira, de dire à l'ecclésiastique qui en fait partie : J'ai assisté aux leçons de doctrine chrétienne, il m'a semblé que l'on doit modifier cet enseignement. Le membre ecclésiastique du bureau avisera probablement avec le professeur de doctrine chrétienne et s'ils trouvent que ces observations sont justes, on fera pour l'enseignement ecclésiastique ce que l'on ferait pour l'enseignement laïque ; il y aura réciprocités

M. Coomans. - Rien ne s'y oppose.

M. Vandenpeereboom. - D'ailleurs, dans nos établissements d'instruction, ne faut-il pas que tout se passe au grand jour ? Je ne sais, en vérité, quel intérêt on aurait à cacher l'intérieur de l'école.

Messieurs, il me reste à vous parler d'un dernier point, de la liberté des pères de famille, et de la liberté des cultes. Je pense encore que dans la convention rien n'est contraire à ces deux grands principes. M. le ministre de l'intérieur nous a donné des explications à cet égard. Des déclarations, au mois de février ont été faites, et jusqu'ici rien n'est venu prouver leur fausseté. Les correspondances qui ont été échangées sur cet objet à l'occasion de cette négociation font, en quelque sorte, partie intégrante du règlement lui-même.

Dans plusieurs localités, le règlement d'Anvers a été adopté. Dans ces localités et si je ne me trompe, notamment à Anvers même, des élèves n'appartenant pas à la religion de la majorité des Belges, sont venus s'asseoir sur les bancs de l'école. Une difficulté a surgi. On est entré en négociation et la difficulté a été aplanie à la satisfaction de tout le monde, à la satisfaction des ministres du culte catholique, à la satisfaction des ministres des cultes dissidents et à la satisfaction même des pères de famille. Que voulons-nous de plus, messieurs ? Il me semble que nous ne pouvons pas être plus cléricaux, puisque le mot a été consacré, que les ministres du culte eux-mêmes ; devons-nous avoir plus de sollicitude pour les enfants d'autrui que les pères de famille n'en ont pour leurs propres enfants ?

Mais dans l'exécution, la convention d'Anvers a été faussée ; le gouvernement a pesé sur les administrations communales. Hier, l'honorable ministre de l'intérieur a répondu à la plupart des faits allégués, et la Chambre peut juger s'il a répondu d'une manière satisfaisante. Je n'ai pas à défendre le gouvernement, mais je pense que cette pression ne sera plus possible ; il n'y a plus de moyens coercitifs pour forcer les communes à accepter la convention.

Je comprends les préventions de certains membres, ils sont encore sous l'impression d'événements qui datent déjà de quelque temps. En effet, la pression qu'on semble redouter a eu lieu autrefois. Nous avons, vu un grand nombre de nos communes, et de nos grandes communes, privées des subsides de l'Etat. Et pourquoi ? Parce que ces communes n'étaient pas parvenues à se mettre d'accord avec le clergé et à obtenir son concours. Le gouvernement alors intervenait et refusait les subsides ou les accordait avec une extrême parcimonie, tandis qu'il les donnait avec profusion aux communes qui étaient parvenues à établir entre elles et le clergé une cordiale entente.

Alors nous avons vu une pression plus forte. Nous avons vu refuser l'institution d'une école primaire supérieure à une localité qui, sous le régime de la loi de 1842, avait cependant, en qualité de chef-lieu d'arrondissement, le droit d'en avoir une.

Et pourquoi ce refus ? Parce que cette localité avait un collège communal existant sans le concours du clergé, et, en face de celui-ci, un, établissement épiscopal ; dans cette localité, on craignait de faire pencher la balance en faveur de la commune.

Aujourd'hui, ces craintes de pression ne peuvent plus se réaliser. La loi a tout réglé, elle a dit quelle serait la part des subsides de chacun, et, à moins de changer la loi ou de la violer, cette pression n'est plus à craindre ; le gouvernement doit appliquer la loi.

(page 130) Quand nous avons voté l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Osy le 14 février, nous pouvions avoir encore quelques doutes sur l'application de la convention. Mais aujourd'hui, la convention est appliquée dans un certain nombre de localités, qui donc s'est plaint ? Qui a trouvé que cette convention fonctionnait mal, qu'il y avait des discussions irritantes dans les bureaux, une inspection dangereuse ? Personne ; au contraire, je crois pouvoir l'affirmer, à Anvers où cette convention a été appliquée sur les bases les plus larges, on n'a eu que de bons résultats à constater et en définitive le nombre des élèves de l'athénée et de l'école moyenne s'est considérablement augmenté.

La convention d'Anvers est conforme à l'esprit de l'article 8 de la loi du ler juin 1850, et je ne doute nullement que si l'incident se fût produit sous l'ancien cabinet, celui-ci n'eût accepté la convention.

M. Frère-Orban. - Il lui était facile de l'accepter : elle lui a été offerte.

M. Vandenpeereboom. - L'honorable M. Frère pense que l'ancien cabinet n'aurait pas accepté la convention. Je vais lui répondre.

Quand, d'un côté de la Chambre on insistait en 1852 pour obtenir que dans la loi fût insérée une disposition donnant au clergé le droit de venir dans l'école, nous nous y opposâmes, et le ministère d'alors s'y opposa avec une grande énergie ; mais il s'empressait de dire : Nous avons la confiance qu'un moment viendra où l'on pourra satisfaire à vos vues ; ce que nous ne pouvons faire par la loi, nous le ferons par des mesures administratives. Voilà ce qui a été déclaré. L'honorable M. Rogier l'a dit, l'honorable M. Rolin l'a répété.

La convention d'Anvers, est-ce donc autre chose qu'une mesure administrative, et une mesure qui, de l'aveu de tout le monde, de l'aveu même de l'honorable M. Frère, ne froisse aucun des grands principes de la Constitution.

Pourquoi donc le cabinet du 12 août ne l'eût-il pas approuvée, pourquoi n'eût-il pas suivi la marche qu'a suivie, sous ce rapport, le cabinet actuel ? Il y a plus, messieurs, dans un conseil de ministres comme dans tout corps délibérant, la majorité fait loi ; eh bien ! des six membres dont se composait le cabinet du 12 août, 4 ont voté l'ordre du jour proposé par M. Osy, le 14 février. Je suis donc fondé à dire que si la convention d'Anvers avait été soumise au conseil des ministres du 12 août, ceux-ci l'auraient acceptée comme leurs successeurs,

Mais, est-ce à dire, messieurs, que cet acte du cabinet est de nature à me déterminer à donner au gouvernement une confiance illimitée et une sympathie sans bornes ? Non, sans doute. J'ai contre le cabinet des griefs trop nombreux, j'ai contre lui des griefs, secondaires peut-être, mais griefs très réels ; j'en ai d'autres puisés dans un ordre de choses général et qu'il serait inutile de faire connaître maintenant.

Ce qui m'empêche surtout d'accorder au gouvernement une confiance réelle, c'est la position forcée, involontaire, je le veux bien, qu'il occupé dans le parlement.

Dans les circonstances particulières où nous nous trouvons, je voudrais, avec d'honorables amis, un gouvernement ferme, s'appuyant sur une majorité forte, unie et dont l'union ferait la force de ce cabinet.

Le ministère actuel est loin d'avoir ce caractère. Je le sais, de nombreuses promesses de concours vont être faites. On promettra un concours loyal à la fin de cette séance peut-être, mais il ne faut pas se faire illusion, ces promesses ne seront pas toujours réalisées, et il est très probable qu'à la fin de la séance de ce soir déjà, ce concours fera défaut, quand on votera la loi relative aux denrées alimentaires. Le même concours fera défaut encore dans bien d'autres circonstances. La force du cabinet ne sera donc que factice, car sa majorité n'est pas réelle. Il faut bien le reconnaître, les motifs qui déterminent surtout la constitution passagère de cette majorité, c'est la faiblesse même du ministère.

Les partis savent fort bien qu'au jour donné, quand ils le voudront, ils viendront, comme les Parques, couper le fil de cette existence ministérielle. La confiance qu'on accorde n'est pas opérante, c'est une confiance verbale et, si je puis m'exprimer ainsi, c'est une confiance purement platonique.

Cependant, je veux faire taire mes répugnances quant à présent ; en présence de la composition actuelle du parlement, je comprends que la réalisation de nos désirs n'est pas facile. Je voterai donc l'adresse, mais sous toute réserve et sans que l'on doive conclure, de ce vote que j'accorde ma confiance en tous points au cabinet. Deux motifs me déterminent à accorder ce vote approbatif. D'abord la situation où le pays se trouve est très grave et commande une extrême réserve.

La chute du cabinet, en ce moment, augmenterait l'agitation qui existe déjà et donnerait lieu à de nouveaux dissentiments, à de nouvelles luttes.

En second lieu, il est impossible de prévoir quels seraient les successeurs du cabinet actuel. Dans l'incertitude où je suis à cet égard, je me demande s'il ne pourrait pas surgir un ministère qui fît moins utilement encore les affaires du pays. Et s'il m'était permis, pour rendre clairement cette pensée, de faire allusion à un apologue connu de tous, je dirais, en terminant, qu'en faisant tomber le ministère actuel, nous nous exposerions à subir le sort de cette communauté qui, après s'être débarrassée d'un gouvernement débonnaire et faible, vint à avoir à sa tête un autocrate beaucoup trop énergique, qui lui fit sentir vivement son despotique empire, et finit par détruire et absorber la communauté presque entière.

M. Delfosse. - Messieurs, si je suis descendu du fauteuil de la présidence pour prendre part à cette discussion, c'est que je tiens infiniment à faire connaître à la Chambre et au pays les motifs du vote que j'ai émis le 14 février dernier sur l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Osy.

J'aurais voulu prendre la parole avant le vote, mais l'ordre du jour dont il s'agit ayant été présenté à la suite d'une longue discussion, à la fin d'une séance, alors que la Chambre avait hâte d'en finir, toute discussion ultérieure était pour ainsi dire devenue impossible.

J'ai dû me borner à émettre un vote silencieux. Par ce vote, j'ai approuvé la marche suivie et les explications données par le gouvernement au sujet de la convention d'Anvers.

La marche suivie, c'était, pour l'exécution de l'article 8 de la loi sur l'enseignement moyen, la substitution d'arrangements partiels à un arrangement général reconnu impossible. C'était la marche qu'avait indiquée et conseillée en 1852 l'honorable M. Lebeau parlant au nom d'une section centrale composée entièrement de mes amis politiques, un seul membre excepté. Cette marche n'avait alors rencontré aucune espèce d'opposition sur les bancs de la gauche.

Les explications données, c'était, à part la question du local, que je considère comme secondaire, la garantie que l'enseignement religieux serait donné, pour tous les cultes indistinctement, aux élèves de la minorité comme à ceux de la majorité. C'était le droit du père de famille solennellement reconnu ; c'était l'indépendance du pouvoir civil entièrement sauvegardée, et quant au choix du personnel et quant au choix des livres.

Il était en outre entendu que le ministre du culte catholique interviendrait, non en cette qualité, mais comme ministre du culte de la majorité ; que là où les protestants se trouveraient en majorité, le ministre protestant serait appelé. On ne donc touchait en rien au principe de l'égalité des cultes.

Ces explications, cette marche, je n'ai pas hésité, je n'hésiterais pas encore, s'il le fallait, à les déclarer satisfaisantes.

Quelle portée faut-il donner à ma déclaration, en ce qui concerne la convention d'Anvers ? Ai-je par là reconnu que la convention d'Anvers est une œuvre pleine de mérite, parfaite, irréprochable ? Non, messieurs. Ma déclaration n'a pas d'autre portée, d'autre signification que celle-ci : après les explications données par le ministère, il n'y a dans la convention d'Anvers rien qui soit contraire ni à la Constitution, ni à la loi organique de l'enseignement moyen.

En cela, j'étais d'accord avec un des membres les plus éminents de la gauche, juge très compétent en cette matière comme en beaucoup d'autres.

Une seule condition, qui a été ajoutée après coup, je ne sais trop comment, et dont, pour ma part, je ne suis pas enthousiaste, a été trouvée par cet honorable collègue exorbitante, inadmissible. Je veux parler de l'entrée d'un prêtre dans le conseil de perfectionnement et dans les bureaux administratifs.

Messieurs, lorsqu'on a discuté la loi sur l'enseignement moyen, un honorable collègue fit une proposition par suite de laquelle il y aurait eu de plein droit, de par la loi, un prêtre dans le conseil de perfectionnement et dans chaque bureau administratif.

Je me suis opposé formellement, énergiquement à cette proposition, qui aurait constitué, selon moi, un privilège injustifiable, qui aurait violé le pacte fondamental, en faisant en quelque sorte de la religion catholique la religion de l'Etat.

Mais tout en combattant la proposition, j'ai déclaré, sans être contredit par personne, que je n'entendais pas exclure le prêtre, qu'un prêtre pourrait faire partie du conseil de perfectionnement, si cela convenait au gouvernement et au bureau administratif si cela convenait au conseil communal.

La convention d'Anvers fait-elle, sur ce point, violence aux conseils communaux ? Il serait difficile de le soutenir en présence des déclarations formelles du gouvernement. MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères ont été appelés au sein de la commission d'adresse. Là, je les ai interpellés directement, nettement sur la question de savoir s'ils entendaient que les conseils communaux prissent l'engagement préalable de mettre un prêtre au nombre des candidats à présenter pour le bureau administratif.

Dans ce cas, il y aurait eu une délégation de pouvoirs contre laquelle j'aurais protesté de toutes mes forces avec mon honorable ami M. Verhaegen. Messieurs les ministres ont répondu, sans hésiter, que telle n'était pas leur intention, et que les conseils communaux conserveraient jusqu'au dernier moment une entière liberté d'action.

Je sais qu'on pourra dire que cette liberté n'est que fictive, qu'on exerce sur les conseils communaux une espèce de contrainte morale, en les avertissant d'avance que si un prêtre ne fait pas partie du bureau, le clergé refusera son concours pour l'enseignement religieux.

Je vous avoue que je ne puis voir dans ce fait une atteinte sérieuse, réelle à la libre action des conseils communaux. Sans doute, les conseils communaux seront plus ou moins influencés dans leur choix, dans leur résolution, selon qu'ils attacheront plus ou moins d'importance, plus ou moins de prix au concours du clergé, mais leur action n'en sera pas moins libre. Les conseils communaux se trouveront dans la (page 131) position où ils seraient, si, pour citer un exemple un homme ayant une bibliothèque de grande valeur disait à un conseil communal : « Je ferai don de cette bibliothèque à la ville ou à l'athénée si vous me faites entrer dans le bureau administratif. »

Parce que le conseil communal, influencé par l'avantagé promis, aurait faiy entrer cet homme dans le bureau administratif, pourrait-on en conclure qu'il y aurait eu contrainte morale ? Evidemment non. Il est vrai que le prêtre choisi librement parl e conseil communal et par le gouvernement sera investi des mêmes attributions que les autres membres du bureau administratif, qu'il pourra pénétrer dans les classes et savoir ce qui s'y passera. Mais c'est là le résultat inévitable de la loi. On ne pourrait l'empêcher qu'en interdisant au conseil communal (et je ne pense pas que personne ait cette intention) la faculté de faire entrer un prêtre dans le bureau administratif.

C'est parce qu'une entière liberté d'action est laissée aux conseils communaux, c'est parce qu'il n'est porté aucune atteinte à la prérogative que la loi confère aux conseils communaux pour la présentation de candidats au bureau administratif, que j'ai cru pouvoir me rallier à l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Osy.

Le bureau administratif et le conseil communal d'Anvers étaient unanimes en faveur de cette convention. J'aurais cru, alors que la Constitution et la loi restaient intactes, j'aurais cru commettre un acte de mauvaise politique et en quelque sorte d'intolérance, en troublant l'accord qui allait s'établir entre la ville d'Anvers et le clergé, comme je croirais commettre un acte de mauvaise politique et d'intolérance, si j'imposais la convention d'Anvers au conseil communal de Liège, et à d'autres conseils communaux qui la repoussent énergiquement.

Messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, la convention d'Anvers a fait naître dans le pays une très vive opposition ; cette opposition a principalement sa source dans l'idée, malheureusement partagée par un très grand nombre de personnes, que le clergé ne peut pas montrer un véritable intérêt, un intérêt sympathique pour les établissements de l'Etat.

Je dirai à ces personues : « Si vos défiances sont fondées, si votre opinion est vraie, travaillez à faire rayer de la loi sur l'enseignement moyen l'article 8. » Mais tant que cet article existe, notre devoir est de l'exécuter loyalement ; notre devoir, comme l'a dit un ministre éminent du 12 août, est de faire, pour obtenir l'intervention du clergé, « toutes les concessions possibles, toutes les concessions compatibles avec notre dignité. »

La Chambre est-elle allée au-delà par son vote du 14 février ? Je ne le pense point. Je regrette de devoir dire que les démarches que M. le ministre de l'intérieur a faites auprès de M. Altmeyer ne me paraissent pas empreintes du caractère de dignité qui ne devrait jamais faire défaut aux actes du pouvoir.

Quant au droit du père de famille, je désire vivement qu'il y ait à cet égard une réserve consignée au règlement, comme il y en a une pour les élèves dissidents ; mais, pour être juste, je reconnais que le ministère avait donné sur ce point des explications avant le vote du 14 février, et j'ai la conviction que le droit du père de famille, garanti par la Constitution, sera toujours respecté.

Avant de terminer, je dois vous rendre compte des motifs qui m'empêchent de donner au paragraphe en discussion une adhésion pleine et entière.

Vous savez tous, messieurs, l'honorable M. Verhaegen vous l'a rappelé hier, que j'ai été avec l'honorable membre et un autre collègue que la mort nous a enlevé, opposant à la loi sur l'enseignement primaire. Les motifs de cette opposition n'ont pour moi rien perdu de leur valeur ; je n'étais pas hostile à l'intervention du clergé, mais je soutenais qu'elle ne devait pas être réglée par la loi. Le clergé est chez nous un corps indépendant qui peut refuser son concours à l'enseignement de l'Etat ou y mettre des conditions inacceptables ; en réglant ce concours par la loi même, on s'expose aux plus graves inconvénients.

Si le clergé jugeait à propos de s'abstenir, et il en a le droit, une partie notable de la loi resterait sans exécution ; le législateur serait frappé d'impuissance. C'est pourquoi je voulais pour l'enseignement primaire le système qui a prévalu en 1850 pour l'enseignement moyen ; je voulais que l'intervention du clergé fût réglée pour l'enseignement primaire comme elle l'a été depuis pour l'enseignement moyen, par voie administrative.

Il y avait, en outre, dans la loi sur l’enseignement primaire, des dispositions qui me paraissaient essentiellement défectueuses. Celle loi était pour moi, elle reste entachée de vices qui ne me permettent pas de dire avec la commission d'adresse que l'instruction se développe à tous les degrés d'une manière conforme à l'esprit de nos institutions.

J'ai l'honneur de proposer la suppression des mots : « à l'esprit de nos institutions ».

- L'amendement est appuyé.

M. Lebeau. - Messieurs, quel que soit mon désir de ne pas prolonger nos discussions dans des circonstances où les moments de la Chambre sont si précieux, je ne crois pas devoir m'excuser de venir prendre part au débat actuel.

Il règne dans le pays, on a pu le voir par ce qui s'est passé depuis neuf mois, il règne dans le pays une confusion, des préjugés déplorables sur le caractère et la portée de la convention d'Anvers, point de départ de cette discussion comme de la discussion de l'année dernière. Depuis près de neuf mois, les adhérents à la convention d'Anvers, aux arrangements qui l’avait préparée, sont mis, pour ainsi dire quotidiennement, sur la sellette ; ils sont, de par une certaine presse, transformés en accusés qui auraient à justifier devant le pays la conduite qu'ils ont tenue alors. Il est temps, grandement temps, comme on l'a déjà dit dans une séance précédente, que la lumière la plus complète se fasse de nouveau sur cette grande question.

C'est pour contribuer à dissiper tout au moins une partie de ces préjugés propages si malheureusement contre la convention d'Anvers, depuis qu'elle a été approuvée par cette Chambre, que je crois ne pas abuser des moments de la Chambre en venant réclamer encore quelques instants de bienveillante attention.

Le point de départ de toute discussion de ce genre, c'est évidemment la loi de 1850 ; c'est toujours là qu'il faut remonter pour s'imprégner des principes qui doivent présider à l'exécution de l'organisation de l'enseignement moyen.

Lorsqu'on a fait la loi de 1850, on pouvait inscrire ou ne pas inscrire dans son texte le concours du clergé. On pouvait faire pour, l’enseignement moyen, et, selon moi, honorablement et légitimement, ce qu'on a fait pour la loi de l’enseignement supérieur.

L'enseignement moyen, avant d'être organisé par une loi, avant que le concours du clergé fût inséré dans cette loi, l’enseignement moyen, placé sous la tutelle des pères de famille, des autorités communales, sous la surveillance du gouvernement, là où il allouait des subsides, s'est développé de manière à montrer les plus heureux résultats, à contribuer puissamment au maintien des sentiments moraux et religieux qui constituent le fond du caractère national. C'est un fait acquis à l'histoire de l'enseignement moyen dans notre pays jusqu'en 1850.

Non seulement l'enseignement moyen donné aux frais des communes, subsidié par l'Etat, s'est développé chez nous de manière à justifier la confiance publique jusqu'à la promulgation de la loi de 1850 ; mais depuis que cette loi a reçu en grande partie son exécution, cet enseignement s'est développé de manière à justifier de plus en plus la confiance des pères de famille et du pays. Si vous aviez à cet égard quelques doutes, jetez les yeux sur les documents statistiques que le gouvernement a produits ; ils constatent que malgré l'absence du concours demandé au clergé, la prospérité des établissements d'enseignement moyen entretenus ou subsidiés par l'Etat va en croissant.

Pour parler de ce que j'ai vu de mes propres yeux, je vous dirai que dans le chef-lieu d'arrondissement que j’habite, il existe un collège subsidié et une école moyenne de l'Etat, Malgré les efforts de l'autorité communale, le concours du clergé n'a pu être obtenu jusqu'ici. Eh bien, malgré cela, ces deux établissements sont dans un état de prospérité, qui est sans précédent dans le souvenir des habitants de cette ville.

Pourquoi, malgré l'absence du clergé, ces établissements sont-ils arrivés à ce degré de prospérité ?

Parce que les hommes préposés à l'enseignement, et dans le collège communal et dans l'école moyenne, offrent toute garantie sous le rapport des principes religieux et moraux ; que par leur conduite ils joignent l'exemple aux préceptes. Cela a suffi pour gagner la confiance des pères de famille de toutes les opinions.

Messieurs, d'autres établissements du même genre ont obtenu les mêmes résultats, le même succès. .

Je me bornerai à citer les athénées de Tournai et de Liège, privés du concours du clergé avant et depuis la loi de 1850.

Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu'aux yeux des pères de famille, ce qui importe, c'est que l'instruction donnée dans ces établissements ne prenne jamais un caractère antireligieux.

Or, il a été démontré aux pères de famille, du moins en général, que ce n'était point par la faute du pouvoir civil, par un esprit d'intolérance et d’hostilité dans le gouvernement ou dans les conseils communaux, que le concours du clergé n'avait pu être obtenu.

On pouvait donc, selon moi, en 1850, sans encourir de reproche, sans exposer le sort des établissements ollîciels, s'abstenir d'insérer dans la loi, l'obligation d'inviter le clergé à donner son concours aux établissements d'enseignement moyen fondés par cette loi ; on le pouvait, mais on ne l'a pas voulu.

L'opinion qui a pris l'initiative pour changer, sous ce rapport, l'ordre de choses existant, c'est l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir ; ce fut l'opinion libérale, agissant dans la plénitude de sa liberté, de son indépendance, au milieu d'événements et de circonstances qui lui apportaient une influence prépondérante, c'est l'opinion libérale, qui, en 1850, est venue librement écrire dans un projet de loi soumis aux Chambres, l'obligation pour le gouvernement de réclamer le concours du clergé, de se mettre en rapport avec le clergé pour obtenir son concours dans l'enseignement moyen donné aux frais de l'Etat ou subsidié par le trésor public.

Je rends grâces au ministère du 12 août d'avoir exercé cette initiative, de l'avoir fait sans qu'aucune pression gênât cette initiative.

Un ministère, composé d'hommes éclairés, d'hommes d'Etat véritables, ne pouvait manquer de comprendre qu'un enseignement moyen où, il ne serait pas parlé d'enseignement religieux, quelque logique que cela pût paraître rigoureusement parlant, ferait violence aux sentiments d'une partie très notable et très respectable du pays ; qu'une loi (page 132) d'enseignement dépourvue complètement de l'élément religieux aurait été repoussée par un bon nombre de catholiques et de libéraux.

Ce ne sont pas seulement des sentiments légitimes, mais parfois aussi des préjugés sincères, respectables par cela même, qu'il faut respecter en pareille matière ; vous le comprenez si bien, que vous êtes sur le point de faire, dans une question purement matérielle, une large part aux préjugés d'une partie de nos populations.

L'article 8 de la loi de 1850, ne l'oublions jamais, est notre point de départ obligé à tous. « Les ministres des cultes seront invités à donner l'enseignement religieux. »

Il y a là, non pas un principe inerte, mais un commandement donné par la loi au pouvoir exécutif, un commandement formel. On a voulu plus et, selon moi, on a eu tort, on a voulu inscrire l'enseignement religieux dans le programme. L'article 8, dans sa rédaction primitive, comportait tout ce qu'on a voulu insérer de plus dans la loi. Il est évident même qu'il y avait, dans la rédaction première quelque chose de plus constitutionnel, de plus respectueux pour l'indépendance du clergé, pour la dignité du législateur, qui autrement s'expose à voir une partie de son oeuvre frappée d'impuissance par le refus ou l'abstention du clergé. On a donc voulu plus que l'article 8. On a voulu inscrire l'enseignement religieux dans le programme officiel. Le cabinet du 12 août et le parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir se sont hâtés de faire droit à ces réclamations des membres de la droite, bien qu'elles nous parussent constituer tout au moins un pléonasme législatif.

Voilà le système librement proposé ou accepté par presque toute la gauche en 1850.

Il en est un autre, je le reconnais, et le voici :

Je ne crois pas méconnaître la gravité de cette discussion en faisant, à l'exemple de M. le ministre des affaires étrangères, un emprunt à une brochure très spirituellement écrite et qui a été assurément considérée, par la presse opposante à la convention d'Anvers, comme l'un de ses meilleurs manifestes.

Savez-vous ce que la présence du prêtre catholique fait dans le collège ? Elle fait de l'instituteur, qui est l'apôtre du XIXème siècle, le vassal de celui qui représente le moyen âge. Je suppose l'instituteur et le prêtre, tous deux probes, honnêtes, moraux ; mais l'un est tolérant, l'autre ne l'est pas ; l'un puise dans la raison et dans l'histoire ses croyances et ses moyens de persuasion ; l'autre puise dans un ordre surnaturel une conviction invincible ; et il arrive, tandis que le prêtre est une puissance, que l'instituteur n'est qu'un faible roseau qui doit plier sous le dogme immuable et infaillible.

« Quand le prêtre catholique est entré dans le collège, il faut qu'il cherche à y dominer, non par le désir d'y gêner les consciences et d'y semer la discorde, il est honnête ; mais imbu de croyances exclusives et convaincu qu'il doit convertir le plus d' « hérétiques » possible, que fait-il ? Il cherche à exercer son influence sur les élèves, sur les professeurs et surtout sur l'enseignement. » (La Convention d'Anvers, par Joseph Boniface, pages 13 et 14.)

Ceci est net et franc.

Mais avec des principes comme ceux-là, on n'inscrit pas le concours du clergé dans l'enseignement moyen ; on ne prescrit pas, de par la loi, au ministère, au gouvernement d'inviter le clergé à concourir à l'enseignement de l'Etat. On se passe du clergé, on l'écarte soigneusement ; et je déclare que si je partageais les principes de l'auteur de cet opuscule, j'aurais cru, non pas seulement commettre la plus grande inconséquence en inscrivant le concours du clergé dans la loi ; j'aurais cru faire acte d'hypocrisie.

Je n'ai pas besoin d'insister là dessus.

Un autre système a prévalu.

L'exécution de ce système a paru dès l'abord chose assez difficile à tout le monde ; on s'est dit : « Le clergé, régulateur suprême de l'enseignement, qu'en vertu de la Constitution, il a fondé presque partout, qui doit voir dans des établissements créés par la loi nouvelle de dangereux rivaux pour les siens, peut-il consentir à aider, à contribuer au succès de cette concurrence ? »

Premier motif pour craindre que l'Etat ne rencontrât de grandes difficultés à obtenir le concours du clergé.

Le clergé, en outre, est un corps indépendant.

C'est, par conséquent, une puissance avec laquelle il faut traiter, dont il faut plus ou moins subir les conditions, par cela seul qu'il est constitutionnellement indépendant. Quand nous voulons traiter avec le clergé, nous avons donc des conditions à débattre, à accepter. C'est incontestable.

Mais si le clergé diocésain est indépendant de nous, il ne l'est pas d'une autre puissance avec laquelle il doit compter à son tour ; et il ne suffirait pas du bon vouloir de nos prélats pour que le clergé belge consentit à prendre des arrangements sur une question aussi importante que celle de son concours à l'enseignement officiel. Il faut encore que la puissance à laquelle il ressortit ne puisse lui infliger un blâme pour sa participation à l'exécution d'une loi sur ce grave intérêt. Cela est encore de la dernière évidence.

A ces difficultés il faut ajouter celle qui était inhérente à la proposition faite, non par le gouvernement, mais par le clergé, de procéder à l'exécution de l'article 8 de la loi de 1850, par un arrangement général et écrit. C'est après une double épreuve, l'une tentée par le ministère précédent, l'autre par le ministère actuel, qu'on est revenu au système d'arrangements partiels.

L'adoption de ce nouveau mode de procéder à ce résultat, aujourd'hui constaté, qu'on aura d'abord le concours du clergé dans certains établissements et qu'on ne l'aura pas immédiatement dans d'autres, je le reconnais : à Anvers, par exemple, et non à Bruxelles. Mais vaut-il mieux ne l'avoir nulle part ? Je ne suis pas de ceux qui disent volontiers : tout ou rien, alors que les principes restent saufs, quand on n'obtient pas tout de primesaut.

J'ai entendu parler du système d'arrangements partiels comme devant présenter un assez grave danger ; une défaveur pourrait s'attacher (le concours du clergé étant maintenu dans certains établissements) à ceux dans lesquels il refuserait d'entrer ou dont il se retirerait. Eh bien, je ne m'effraye pas trop de cette conséquence possible du système des arrangements partiels. Si le clergé refuse ou retire son concours à un établissement, alors qu'il le prête à d'autres, il y aura un juge entre le clergé et l'établissement intéresse, et qui sera ce juge ? Evidemment l'opinion publique, les pères de famille.

S'il arrive que le clergé refuse de s'entendre avec un établissement d'enseignement moyen, ou si, après avoir donné le cours de religion dans cet établissement, il vient à se retirer, il arrivera ce qui est arrivé plus d'une fois avant la loi de 1850 : si c'est le clergé qui a raison, il pourra en résulter un tort parfois très grave, une dépopulation de l'établissement délaissé par le clergé. Mais si l'opinion publique, si les pères de famille reconnaissent que le clergé n'a retiré son concours que parce qu'il l'avait subordonné à des conditions inacceptables pour le pouvoir civil, soyez persuadés que l'opinion publique se prononcera en faveur de celui-ci. Soyez persuadés que l’établissement n'en souffrira guère. Ce que je dis là est notoire. C'est ainsi qu'après la rupture malheureuse survenue entre le clergé et l'athénée de Tournai, cet établissement n'a pas cessé de prospérer. Le collège de Liége n'est-il pas aussi resté prospère, après que le clergé lui eut retiré son concours ? On pourrait citer d'autres exemples de pareils résultats.

Encore une fois, notre juge à tous dans ces dissentiments c'est, ce ne peut être que l'opinion publique ; ce sont les pères de famille qui donneront alternativement tort au clergé ou à l'établissement, selon que l'un ou l'autre aura méconnu l'esprit de la loi de 1850.

Le refus partiel, c'est-à-dire la simultanéité du concours du clergé dans certains établissements et de son refus ou de son retrait de concours dans d'autres, a été prévu par toutes les administrations. Il a été prévu par l'honorable M. de Theux comme par l'honorable M. Van de Weyer ; il a été prévu en ce sens, remarquez-le bien, que si le clergé refusait ou retirait son concours par des motifs que l'autorité civile reconnaissait mal fondés ; par suite du rejet de conditions que le pouvoir civil aurait jugées inconciliables avec la loi organique ; parce que celui-ci n'aurait pas obéi à des prétentions du clergé, incompatibles avec les devoirs de l'administration, l'établissement ne continuerait pas moins à subsister pour toutes les autres branches d'enseignement.

Pour arriver plus directement aux questions qui sont agitées ici depuis quelques jours, j'aborderai successivement les plus graves objections qui ont été faites à la convention d'Anvers.

Et d'abord, messieurs, je veux aborder franchement la question la plus délicate, l'espèce d'exclusion dont certains professeurs seraient préventivement frappés, l'éloignement de tel professeur, désiré comme condition du concours à donner par le clergé. Cette difficulté a toujours été prévue. Elle s'est présentée à l'esprit de beaucoup de monde, immédiatement après la promulgation de la loi de 1850, et surtout après les premiers efforts faits par le gouvernement pour arriver à une entente avec le clergé.

Ce n'est pas, messieurs, la convention qui fait naître cette difficulté, cette difficulté tient à la nature même des choses. Vous n'auriez pas de convention d'Anvers, vous n'auriez aucune espèce de convention, que cette difficulté naîtrait, pour ainsi dire, tout naturellement.

Il est évident que le clergé éprouvera toujours une vive et parfois une insurmontable répugnance à prêter son concours à un établissement, à le couvrir en quelque sorte de son drapeau, à y convier par son attache les pères de famille dont il a la confiance, s'il y a dans l'établissement tel ou tel professeur dont les opinions franchement avouées peuvent, à l'avance, paralyser par leur émission, l'action du professeur de religion dans l'école. Si des opinions diamétralement opposées à celles qui sont chères au clergé, à celles dont le clergé ne peut, sans apostasier, déserter la défense, sont enseignées, que vous avez une convention ou que vous n'en ayez pas, il est évident que le clergé ne pourra jamais, en ce cas, sans croire qu'il manque à son devoir, sans s'exposer aux plus vives réprimandes de ses supérieurs, entrer ou rester dans un semblable établissement.

Supposons, à notre tour, un membre du clergé qui, ayant trompé la prudence de son chef sur son aptitude, est parvenu à se faire désigner par lui, pour donner le cours de religion, la répugnance du bureau administratif de l'athénée dans lequel ou veut admettre cet ecclésiastique, sera-t-elle impuissante ? Ne pourra-t-on réclamer un autre choix ? Supposons que le professeur de religion, peu connu d'abord, se signale bientôt après son admission par une intolérance tracassière, par l'émission de principes peu constitutionnels. Supposons que ce professeur, sous prétexte de faire un cours de religion, se mette à commenter un trop fameux document que vous connaissez, document auquel il doit le respect comme prêtre, et qu'il vienne, à côté de nos professeurs laïques cherchant à faire pénétrer dans l'esprit de leurs élèves (page 133) l'amour de nos institutions, développer, lui, comme professeur de religion, les principes de certaine encyclique ; qu'il vienne dire, en sa qualité de professeur de religion : « Votre Constitution est impie, car elle consacre la liberté de conscience, que mon chef suprême a formellement condamnée, car elle consacre la liberté de la presse qu'il a déclarée être ce qu'il y a de plus dangereux, de plus funeste au monde, votre Constitution enfin n'est qu'une série de principes faux, impies, conduisant au désordre, à l'anarchie, à la ruine de la religion, » est-ce que vous pensez que l'autorité laïque devrait se croiser les bras devant l'indépendance de ce professeur, s'incliner devant son inviolabilité ? Croyez-vous qu'elle devrait, en supposant qu'il n'eût pas encore été au nombre des professeurs, admettre un tel homme s'il plaisait au clergé de le lui envoyer ?

Eh bien, messieurs, cette susceptibilité de la part de l'autorité civile, vous devez en accorder quelque chose, si vous voulez être justes, à l'autorité religieuse.

Je me hâte de le dire, c'est ici de ma part une hypothèse extrême et que le caractère de notre clergé supérieur ne nous permet pas de prendre entièrement au sérieux. C'est un procédé de discussion. C'est aussi à titre d'hypothèse extrême que j'ai parlé d'un professeur laïque qu'à son tour l'autorité religieuse repousserait comme ennemi avoué et systématique de la religion. Mais ces hypothèses n'ont en elles-mêmes rien d'absurde, d'impossible ; si elles se réalisaient, incontestablement l'autorité ecclésiastique aurait le droit de faire à l'égard de ce professeur les réserves que l'autorité laïque ferait à l'égard d'un professeur dont les convictions avouées et proclamées seraient en contradiction formelle avec les principes de notre Constitution.

Messieurs, dans le cas où des réclamations plus ou moins légitimes se produisent à l'égard d'un professeur laïque, et que l'éloignement de ce professeur soit la condition du concours du clergé, croyez-vous que l'administration en essayant d'écarter l'obstacle d'une manière honorable pour tout le monde, abandonne honteusement les prérogatives du pouvoir civil ? Ne verrez-vous pas plutôt là l'acte de prudence d'une administration éclairée et prévoyante ?

Et maintenant est-ce que l'indépendance du pouvoir civil s'est humiliée devant le refus simultané d'un professeur et du clergé ?

Selon moi nullement. Après avoir essayé par un expédient que j'appelle honorable, qu'explique et que justifie ce qu'il y a de délicat et peut-être d'anomal dans la loi de 1830, de sortir de la position difficile, presque impossible que fait au pouvoir civil la loi de 1830, qu'a fait celui-ci ? Il a passé outre, il a conservé son professeur, il n'a pas voulu du concours au prix qu'on y mettait. Quelle atteinte a reçue de ce chef l'autorité communale ? A son tour, qu'a fait le gouvernement ? A-t-il déplacé le professeur ? A-t-il suspendu la nomination des membres du bureau administratif de l'athénée ? Nullement. Le gouvernement a agi dans sa pleine liberté ; après un essai de conciliation qui, jugé d'après les sentiments qui l'ont dicté, ne peut, selon moi, être blâmé avec justice, il a passé outre et reconstitué le bureau d'administration.

L'indépendance du gouvernement est donc restée aussi intacte que l'indépendance de la commune.

On a beaucoup parlé du choix des livres employés dans les classes. Le choix des livres que l'on ne pouvait, a-t-on dit, sans violer la loi, donner directement au clergé, lui est implicitement départi par la convention d'Anvers ; tout au moins le clergé aurait, à cet égard, une influence prépondérante.

Je crois, messieurs, que cette objection est aussi faible que celle dont je viens d'essayer la réfutation. Les livres sont choisis, sont employés plutôt, sous le contrôle du bureau administratif. L'article 13 de la loi le dit textuellement. Or, vous savez que dans le bureau administratif, si un prêtre y prend place, c'est dans la proportion de 1 sur 13, il n'a donc qu'un treizième de voix, car il n'a pas, sous ce rapport, d'autre puissance que ses collègues.

Pour les livres donnés en prix, les réclamations du clergé constituent encore un grief ; c'est encore là un texte d'accusation contre les adhérents à un arrangement avec le clergé. Pour les livres donnés en prix, voici ce qui n'était pas, à la vérité, dans la convention d'Anvers, mais ce qui a été proposé par le ministère, accepté par le conseil communal et porté à la connaissance'de la Chambre avant son vote.

« Les livres destinés à la distribution des prix seront choisis dans le catalogue général à arrêter par le gouvernement, sur l'avis du conseil de perfectionnement, conformément à l'article 33 de la loi.

« Les choix seront faits, sous l'approbation du bureau administratif, par une commission dont le préfet des études et l'ecclésiastique feront partie. »

Ce choix, on le voit, est donc confié à la majorité du bureau administratif. Or ce bureau se compose de laïques, au milieu desquels siège un seul ecclésiastique, et quand le conseil de perfectionnement est déjà intervenu pour rédiger le catalogue général dans lequel on peut puiser, quel grave danger y a-t-il que le clergé, représenté par un seul membre, y exerce une action excessive, absorbante !

Maintenant, messieurs, quoique seul et précisément parce qu'il est seul, quel inconvénient peut-il y avoir à ce que l'ecclésiastique soit écouté lorsqu'il fait des observations que le conseil trouve opportunes ?

Si, par exemple, il dit, lui prêtre, dont on a connu la position, en admettant : Dans l'innombrable quantité de livres qui sont à votre disposition, il y a tel ou tel ouvrage mis à l'index, tenez-vous absolument à lui donner la préférence ?

Si vous trouvez, ces observations dénuées de fondement, vous passerez outre ; vous mettrez, il est vrai, le clergé, quelque soit l’homme qui le représente au conseil de perfectionnement ou dans le bureau administratif, dans une position fausse ; il sera tout au moins tenu de voter contre. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas complètement indépendant, parce que, comme membre du clergé, il ressortit à une autorité supérieure, et qu'il est impossible à un membre du clergé de s'associer à un choix de livres condamnés par la cour de Rome. Mais, vous saviez tout cela quand vous avez fait de l'enseignement religieux, par le clergé, dans vos écoles un des principes de votre loi organique.

La sauvegarde des droits et de l'indépendance du pouvoir civil n'est pas entamée, sous ce rapport, par la convention. Il n'y aurait pas trace de convention d'Anvers. Il y aurait simple accord verbal que les choses se passeraient ainsi. Si l'on tenait absolument à avoir tel livre plutôt que tel autre pour être donné en prix ; si on prenait une obstination puérile pour de la dignité, le membre du clergé n'ayant qu'une voix, l'on passerait outre. Si cela suffisait pour qu'il se retirât, il le ferait, qu'il y eût ou non de convention d'Anvers.

Celui qui représente le clergé se retirera donc ou restera. S'il se retire, eh bien, l'établissement subsiste ; le concours du clergé pourra être retiré, mais alors le public jugera. Il me semble que le passé ne doit pas, encore une fois, exciter outre mesure le clergé à faire appel à ce tribunal.

On a pensé, messieurs, que dans le rapport dont on a parlé tout à l'heure, j'avais absolument condamné le système d'admission d'ecclésiastiques soit dans le conseil de perfectionnement, soit dans le bureau administratif. J'ai constamment soutenu que dans la loi, sous peine de risquer de la rendre inopérante, on ne pouvait introduire une disposition formelle à cet égard, le pouvoir législatif devant s'arrêter en présence de l'indépendance du clergé. J'ai soutenu que dans un arrangement général la chose serait fort difficile ; j'ai du reste, comme on l'a reconnu, procédé alors plus par des doutes que par des affirmations ; mais, messieurs, dans un arrangement partiel, l'honorable M. Delfosse a prouvé clairement que l'on pouvait, en maintenant intacte l'indépendance du pouvoir civil, faire appeler par lui, par son initiative ou par son approbation, un membre du clergé soit dans le bureau administratif par l'administration communale, soit dans le conseil de perfectionnement, par le pouvoir central.

Reste enfin, messieurs, la grande objection reproduite encore hier par l'honorable M. Verhaegen, la situation des élèves non catholiques, de ce qu'on appelle les dissidents.

Vous connaissez les protestations du clergé contre ce qu'on appelle les écoles mixtes, condamnées par le chef suprême de l'Eglise, condamnées avec une telle énergie, une telle puissance de conviction que la cour de Rome, qui avait un si grand intérêt à encourager le gouvernement anglais dans la voie où il était entré en subsidiant les établissements d'instruction publique en Irlande, a cependant déclaré que le clergé ne pouvait donner son concours aux établissements de l'Irlande, qu'il qualifiait d'écoles mixtes. Cette conviction est tellement profonde chez le chef de l'Eglise catholique qu'elle a été jusqu'à lui faire perdre le subside donné par le trésor public à un séminaire connu sous le nom de séminaire de Maynooth.

Eh bien, messieurs, cette difficulté, le ministère précédent a également tenté de la résoudre, et voici comment il répond sur ce point aux évêques :

« L'objet de cette difficulté n'a aucune importance en fait ; car il paraît vraisemblable que le cas prévu n'arrivera pas, et que les établissements d'instruction moyenne ne renfermeront pas un nombre d'élèves non catholiques suffisant pour donner lieu au concours du ministre du culte professé par ces élèves.

« Si un tel cas se présentait, il serait facile, par une simple mesure d'ordre intérieur de régler l'enseignement religieux de manière qu'il puisse se donner à la convenance réciproque des professeurs de religion et des parents. »

Et ailleurs, dans quel but insister sur des difficultés de principes qui en fait ne se réaliseront peut-être pas, qu'il sera possible au surplus de résoudre à la convenance réciproque des ministres des cultes et des parents, etc., etc. » Correspondancé avec les évêques, mars 1851.

L'honorable M. Rogier ne s'explique pas sur les moyens d'exécution, mais il se présente naturellement à l'esprit que c'est dans le choix d'un local séparé, pour éviter la confusion d'élèves et de professeurs de cultes différents, que l'on plaçait la solution de la difficulté.

L'honorable M. Rogier admet bien certainement, à mon avis du moins, que l'instruction religieuse ne devrait pas se donner nécessairement dans le même local aux dissidents et aux catholiqucs. C'est ici une question de moyens, rien de plus.

Quant à l'omission de ce qui concerne cet enseignement dans le règlement général, on en a, selon moi, complètement dénaturé la proportion.

Il y a des choses que le clergé ne peut pas accepter ouvertement, officiellement, mais sur lesquelles il peut fermer les yeux ; c'est alors qu'on vante sa tolérance. Quand le législateur a mis le clergé dans sa loi, il a connu les sujétions qui pèsent sur lui, ou il a dû le savoir.

(page 134) Je ne reviendrai pas sur le sens de notre vote relatif à la convention d'Anvers. Ce sont quelques-uns de nos honorables collègues, opposés alors à cette convention, qui ont, permettez-moi de le dire, la prétention un peu étrange de nous apprendre ce que nous avons voulu en votant l’ordre du jour du 14 février.

Comment ! messieurs, on rabaisse un vote parlementaire aux proportions d'une question de procédure civile, de compétence ! Parce que nous n'avons pas superposé explicitement notre autorité légale sur les conseils communaux, nous n'avons rien approuvé en février 1854 ! Et ce sont surtout, remarquez-le encore, les honorables opposants à la convention, qui, après 9 mois, viennent nous apprendre que nous ne savions pas ce que nous faisions le 14 février ! En vérité ce serait manquer à la gravité qu'on doit désirer de conserver toujours à nos discussions, que de s'arrêter plus longtemps à de pareilles objections.

L'approbation a eu tellement le sens d'une approbation politique, que l'honorable M. Loos, lui-même, est précisément celui qui a fait la première objection contre la formule proposée par l'honorable M. Osy ; mais l'honorable M. Loos entendait-il par cela que le vote à intervenir sur une autre formule que celle de M. Osy n'emporterait pas l'approbation de la convention d'Anvers ? Etait-ce ce résultat que le père de la convention d'Anvers voulait atteindre ?

Mais, j'en appelle à l'honorable M. Loos lui-même ; est-ce lui qui aurait voulu empêcher la Chambre de se prononcer, comme corps politique, sur un pareil acte ?

Il suffit de se rappeler cet acte pour qu'on soit convaincu que la Chambre, comme pouvoir politique, après avoir tout entendu, après avoir eu tous les documents sous les yeux, a, comme pouvoir politique, donné une pleine et entière adhésion à ce qui s'est fait dans cette circonstance ; et s'il y avait quelque doute sur mon opinion, je déclare que mon adhésion à la convention d'Anvers a été alors pleine et entière, comme elle l'est encore aujourd'hui.

Mais, enfin, si la convention reste debout, j'espère qu'après avoir vu dissiper les préjugés dont on l'a environnée, elle portera ses fruits et que ce n'est qu'un premier pas dans une voie de conciliation sous ce rapport.

J'espère, du reste, que cet esprit de conciliation ne sera pas seulement pratiqué par le pouvoir civil ; j'aime à compter aussi sur l'esprit de conciliation de la part de l'autorité ecclésiastique.

Il règne, je le sais, il règne encore parmi certains membres du clergé une double erreur à l'égard du caractère belge. On ne croit pas assez, peut-être, dans les rangs du clergé, à la suscetlibilité du Belge, dès qu'il y a pour lui la moindre apparence qu'on veut toucher à l'indépendance du pouvoir civil et à ses droits politiques. On croit trop encore, dans les rangs du clergé, à ce qui n'existe plus ; on y croit trop à ce qui n'est plus que de l'histoire, à ce qui serait aujourd'hui un ridicule et déplorable anachronisme.

Je ne cesserai de conjurer le clergé et ses plus dévoués amis de se détromper. Encore une fois, autant le peuple belge se montre jaloux de son indépendance, de ses droits politiques, autant il est plein de respect et de sympathie pour le clergé renfermé dans sa mission spirituelle, et pour les droits qu'il tient de notre libérale Constitution.

Notre époque, messieurs, qu'on en soit sûr, n'est pas irréligieuse.

Quand une époque est irréligieuse, ce n'est pas dans telle ou telle classe que cette disposition des esprits se montre ; ce n'est pas tel ou tel parti politique, c'est tout le monde qui porte l'empreinte de ce sentiment ; c'est la noblesse, ce sont les têtes couronnées, c'est le clergé lui-même qui en sont imprégnés.

A une époque si différente de celle où nous vivons, à une époque notoirement irréligieuse, on a vu des rois, des empereurs, des tzarines aux pieds du chef de la philosophie du XVIIIème siècle, et s'honorer d'être ses correspondants ; on a vu des ministres, les d'Aranda, les Pombal, les Choiseul, s'entendant avec les Bourbons, avec ces rois très chrétiens, catholiques, très fidèIes, l’entendez-vous ? pour chasser brutalement les jésuites de leur territoire ; on a vu des abbés vouant leur plume à d'ignobles et licencieux écrits, des évêques polluant leur simarre dans les antichambres de Mme de Pompadour et de Mme Dubarry ; voilà ce que l'on a vu à une époque irréligieuse, à une époque de réaction philosophique.

Mais aujourd'hui que voyez-vous ? Dans le pays même auquel je viens de faire allusion, les hommes les plus éminents par leur talent et par leur caractère, essayer d'amener une heureuse, une honorable alliance, un heureux rapprochement du moins, entre la philosophie et la religion. Voyez les Cousin, les de Broglie, les de Remusat fraternisant pour arriver à ce grand résultat avec les Dupanloup, les Gratry, les Ozanam.

Messieurs, nous pouvons dans notre sphère hâter cet heureux mouvement des esprits chez nous ; mais nous pouvons aussi l'y comprimer, en arrêter l'essor.

Pour le favoriser, pour l'activer, pour le propager, il faudrait voir tous les partis, non s'abdiquer, mais en restant fidèles à leurs principes, rivaliser de loyauté, de franchise, de prudence, de modération ; il faudrait, en reportant nos regards sur cette enceinte, tâcher d'y faire oublier, par l'accord des faits et des paroles, quelques-uns des actes par lesquels cette session a été si tristement inaugurée.

M. Le Hon. - Messieurs, je crois avoir donné des gages à la défense des prérogatives du pouvoir civil en matière d'instruction publique ; je ne saurais être soupçonné de partialité ou de faiblesse, pour les prétentions excessives du clergé.

Eh bien, je pense que la convention d'Anvers respecte tous les principes que violait la convention de Tournai, et n'excède pas la juste mesure des concessions compatibles avec les droits et la dignité du gouvernement comme avec la liberté de la commune.

Je viens vous exposer très simplement sur quoi se fonde ma conviction.

Laissant à d'autres le vaste champ des théories, des défiances et des hypothèses, je m'attacherai au côté pratique des choses. Vous trouverez, dans les luttes du passé, un moyen presque infaillible d'apprécier la meilleure situation du présent.

Pour ceux qui ont étudié ce sujet avec quelque soin, les attributs essentiels de l'autorité publique, quant à l'instruction donnée aux frais de la commune ou de l'Etat, se résument ainsi :

Nomination du corps enseignant ;

Confection du programme des études ;

Choix des livres à l'usage des élèves ;

Composition et nomination des conseils ;

Organisation réglementaire de l'inspection et de la surveillance.

Ces pouvoirs exercés soit directement, soit par des agents spéciaux dans l'ordre hiérarchique, constituent la direction de l’enseignement scientifique et littéraire, de manière à sauvegarder son indépendance et à favoriser ses progrès.

Vient alors le soin de l'instruction religieuse. C'est aussi, à mon sens, un devoir pour le gouvernement et la commune d'ouvrir à cet effet au clergé un accès honorable dans leurs établissements et d'amener l'accord désirable avec l'autorité spirituelle, par des concessions qui n'affectent pas l'essence de leurs attributions d'ordre public.

La convention d'Anvers a-t-elle respecté les limites du domaine inaliénable du pouvoir civil ?

A-t-elle été conçue dans ce bienveillant esprit de conciliation qui donne à la loi de 1850 une exécution conforme aux mœurs et aux vœux de notre pays, sans blesser aucun principe constitutionael ni aucune liberté communale ?

Vous en jugerez plus facilement, messieurs, par la comparaison de cette convention avec les faits qui se sont passés à Tournai.

Le collège de Tournai avait à sa tête, depuis plus de cinquante ans, un principal ecclésiastique nommé par l'évêque, à la demande de l'administration communale.

Le 9 novembre 1837, Monseigneur est prié de désigner un prêtre qui serait autorisé à dire la messe, quatre fois la semaine, daus l'église de l'athénée.

Cette prière n'est pas accueillie ; le prélat fonde son refus notamment sur la résolution qu'auraient prise les évêques, d'un commun accord, de se séparer entièrement des établissements dans lesquels la religion ne serait pas la base de l'enseignement et où ils n'auraient pas eux-mêmes la part d'influence et d'autorité à laquelle ils ont droit de prétendre.

En 1838, la place de principal devient vacante, par le décès du titulaire, M. l'abbé Jean Mathieu.

Une négociation est ouverte entre l'administration communale et l'ordinaire diocésain.

L'administration offre à l'évêque :

« 1° La nomination directe du principal et de l'aumônier, qui seraient exclusivement chargés de l'instruction religieuse.

« 2° Le choix de deux membres de la commission de surveillance, ou du bureau ; que le conseil nommerait, sur la présentation de l'évêque. »

Monseigneur trouva ces concessions insuffisantes, parce qu'en les acceptant, disait-il, il ne demeurerait pas moins étranger à l'enseignement qui formait la partie fondamentale ; qu'a moins de lui céder une part dans la nomination du corps professoral, il lui serait impossible d'intervenir directement ou indirectement dans cè qui avait rapporta l'athénée. »

Un ecclésiastique, M. Kleyr, occupait la chaire de philosophie ; l'administration lui conféra les fonctions de principal, en 1840.

Après la retraite de M. Kleyr, en 1845, on se met de nouveau en rapport avec l'évêché, pour préparer la nomination de son successeur.

L'évêque stipule, vis<-à-vis du collège des bourgmestre et échevins, des conditions qui donnent lieu à la convention du 30 mai, et peuvent se résumer de la manière suivante :

1° Dans toute nomination de professeur, obligation pour l'administration communale de soumettre la liste des candidats à l'ordinaire du diocèse et de se conformer aux observations qu'il ferait à leur charge, au point de vue moral et religieux.

2° Intervention du principal ecclésiastique dans la confection du programme des études et daiis le choix des livres à l'usage des élèves.

Monseigneur invoque encore les engagements qu'ont pris entre eux les membres de l'épiscopat. Il ne pourrait, dit-il, sans manquer à ces engagements, prêter le concours qu'on réclame de lui, si on ne lui accorde pas une part active dans la nomination du corps enseignant. C'est donc là, ajoute-t-il, une condition sine qua non, dont il ne peut se départir.

Le conseil communal avait consenti à soumettre à l'évêque la liste des candidats au professorat et à recevoir ses observations au point de vue moral et religieux, en se réservant le droit d'apprécier et de décider.

L'admission, dans le conseil de surveillance, d'un ecclésiastique désigné par Monseigneur, déjà offerte précédemment, n'était l'objet d'auune difficulté.

(page 135) C'est après l'insuccès de tous ces efforts, qu'éclatèrent le dissentiment et les discussions que tous connaissez.

Rapprochons de ces faits la convention d'Anvers.

Ici ne se produit aucune des prétentions, aucune des exigences absolues élevées par l'évêque de Tournai, en 1845.

La haute direction de l'enseignement scientifique et littéraire reste tout entière entre les mains du pouvoir.

Deux concessions sont faites au clergé, pour prix de son concours :

L'admission, dans le bureau administratif, d'un ecclésiastique présenté par l'archevêque.

La même admission, dans le conseil de perfectionnement, sur la présentation du corps épiscopal.

Mais la première est subordonnée à l'assentiment et aux résolutions du conseil communal, dont la liberté est respectée.

Vous avez vu que cette concession avait été spontanément offerte à Tournai, par une administration qui s'est montrée fidèle gardienne de ses droits vis-à-vis du clergé.

Permettez-moi d'ajouter que, lors de la discussion de la loi de 1850, sans m'écarter en rien des principes de mon rapport de 1845, sur la convention de Tournai, j'avais indiqué ce mode de conciliation, au sujet d'un amendement que je présentais, sur la composition du conseil de perfectionnement.

Je disais dans la séance du 2 mai :

« Vous ne vous étonnerez pas que je n'aie pas fait entrer dans la composition du conseil des membres du clergé. Quoique resté étranger aux délibérations du congrès libéral et à son programme, je tiens pour principe vrai et sage, que la loi doit se renfermer dans le domaine des choses et des pouvoirs temporels, en laissant à l'action administrative le soin d'établir un concert honorable avec les ministres du culte, sans aliéner aucun des droits, ni manquer a aucun des devoirs de l'autorité civile. »

« La loi ne doit pas appeler ceux qui sont indépendants de ses prescriptions ; le gouvernement peut leur donner accès dans le conseil, s'il les trouve disposés à des relations bienveillantes au sujet de l'enseignement religieux. »

On a épuisé les questions de principe et de légalité ; on a tout dit pour et contre l'entrée au bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement d'un prêtre désigné par l'autorité épiscopale ; on a longuement argumenté des droits du père de famille et des cultes dissidents. Je m'abstiendrai d'y revenir, par égard pour les moments de la Chambre.

Ce qui me paraît plus important, c'est de déduire les conséquences de la convention d'Anvers relativement aux faits que j'ai rapprochés et comparés sous vos yeux.

La première de ces conséquences est celle-ci : que les engagements qui, en 1845 encore, liaient entre eux les membres de l'épiscopat, et les obligeaient de mettre à leur concours des conditions impossibles ; que ces engagements, dis-je, ont cessé d'exister ;

Que chaque chef de diocèse a recouvré son indépendance ; et que le premier dignitaire de l'Eglise, en Belgique, prenant pour son diocèse une honorable initiative, consent à charger le prêtre d'enseigner la religion dans l'athénée d'Anvers, sans revendiquer aucun des droits, au cune des prérogatives du pouvoir civil.

Il y a là, si je ne me trompe, une phase nouvelle dans les rapports du haut clergé avec le gouvernement en matière d'instruction : elle se manifeste par un acte sérieux de conciliation, qui ne saurait être le principe d'aucune usurpation indirecte, parce que la liberté de rompre l'accord n'est aliénée ni d'un côté ni de l'autre, et que cette rupture, lorsque les causes en sont connues et entourées de publicité, comme à Tournai, n'altère jamais la confiance des familles dans l'administration publique qui défendrait, contre d'injustes tentatives, les limites de son domaine et les attributs inaliénables de son pouvoir.

Il résulte, en outre, de la convention d'Anvers, ces avantages évidents :

Que l'exemple donné, par le cardinal archevêque de Malines, condamne d'avance, auprès des pères de famille, les prétentions épiscopales, s'il s'en élevait dans d'autres diocèses, qui iraient au-delà des concessions qu'a jugées suffisantes un prince de l'Eglise ;

Que le précédent posé par l'administration d'une grande cité, que préside un magistrat franchement libéral, est de nature à éclairer et à guider les autres communes du pays dans l'appréciation de la conduite nouvelle du clergé et des intérêts de leurs établissements d'instruction ; que cette convention, malgré quelques résistances qu'un examen plus mûr et plus calme peut faire disparaître, est destinée à devenir, un jour, par la force des choses, le régime commun des établissements publics, parce que son exécution loyale aura pour effet, comme elle a pour but, de concilier le vœu général des pères de famille et le besoin moral de la société, avec l'exécution de la loi de l'enseignement moyen.

A tous ces titres, je pense que le système des conventions partielles est inauguré par un premier résultat efficace, immédiat, que n'affaiblissent ni l'opposition qui a éclaté dans la presse, ni le refus d'adhésion de quelques évêques et de quelques communes ; l'expérience, j'en ai l'espoir, dissipera les préjugés, et la vérité se fera jour.

S'il y a une opinion intéressée à accepter le compromis conclu à Anvers, c'est surtout l'opinion libérale. C'est à elle qu'il appartient de prouver que si elle a combattu et combattra toujours les prétentions attentatoires aux principes de nos institutions et aux droits essentiels de la puissance publique, elle sait comprendre et faire, pour obtenir le commun accord avec l'autorité religieuse, les concessions légitimes et raisonnables qui respectent ces principes et ces droits.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je n'abuserai pas de vos moments ; je n'entrerai pas dans la discussion, je ne crois pas devoir justifier la démarche que j'ai pu faire auprès d'un professeur de l'athénée de Bruxelles comme membre du bureau administratif ; M. le ministre a été au-devant de ces observations et l'honorable M. Verhaegen a bien voulu reconnaître que je n'avais rien à me reprocher dans, cette circonstance. Je me borne à appuyer l'amendement de M. Delfosse ; j'aime beaucoup mieux la rédaction de l'honorable membre que celle de la commission d'adresse. (Interruption.)

Permettez-moi d'achever ; je tiens à exprimer mon opinion.

L'honorable M. Delfosse ne veut pas de la rédaction de la commission à cause de la loi de 1842, et à moi elle ne va pas à cause de la loi de 1850. Je ne veux pas consacrer par un vote la loi de 1850. J'en suis au regret, mais pour la seconde fois je me fais une position très anomale.

Il y a peu de temps, après les élections du 15 juin, j'ai été désavoué par une partie des électeurs du parti libéral ; de sorte que je me suis trouvé n'appartenir à aucune opinion. Pourquoi ?

Parce que j'ai écrit une lettre qui, en un mot, résume une opinion qui n'était pas un changement de ma part, qui ne révélait même rien de neuf à personne ; car c'est une opinion qui a été professée, développée par moi, dans deux séances publiques, il y a deux ans ; que j'ai professée, enseignée à l'université libre de Bruxelles ; en 1836, en 1837 et en 1838 ; une opinion à l'exposition de laquelle j'ai consacré un volume qui est, depuis dix mois, dans le domaine public. Bien plus, cette lettre ne fait que rappeler une théorie. Cette une opinion que j'ai eue toute ma vie.

Je crois cependant avoir donné assez de gages à l'opinion libérale pour ne pas lui être suspect. En 1830, membre du comité de Constitution, j'ai été l'un des auteurs du projet au Congrès ; j'ai été le défenseur et le rapporteur du titre premier de notre Constitution qui consacre tous les grands principes libéraux. Je n'ai jamais changé d'opinion depuis. Pour moi, le libéralisme est autre chose que ce qu'on veut faire, que ce que l'on fait aujourd'hui. Je repousse tout ce qui est entaché de socialisme ; je ne veux pas de l'accaparement par le pouvoir central. Par la loi de 1850, le gouvernement a accaparé l'enseignement moyen ; des circonstances douloureuses m'ont empêché de prendre part au vote de la loi ; mais j'avais pu dire que je ne voterais la loi qu'autant qu'on y introduirait quatorze amendements que je proposais. L'un d'eux consistait à n'avoir que trois athénées modèles. Le ministre de l'intérieur me mit au défi, et dit que si Bruxelles ne voulait pas de l'athénée du gouvernement, il le mettrait à Saini-Josse-ten-Noode.

Beaucoup d'habitants de Bruxelles ont pétitionné, le conseil communal lui-même a adressé une pétition au Sénat en faveur de la loi de 1850. J'aurais donc eu mauvaise grâce d'accepter le défi. Mais je suis certain qu'aujourd'hui beaucoup de mes collègues voudraient bien avoir, au lieu de l'athénée royal, l'ancien athénée communal.

Je ne veux pas, comme je viens de le dire, consacrer par un vote la loi de 1850. Indépendamment de mes quatorze amendements, je n'aurais jamais voté l'article 8 de la loi parce que cet article est un mensonge.

L'article 8 de la loi porte : Les ministres des cultes seront invités à donner ou surveiller cet enseignement (l'enseignement religieux) dans les établissements soumis au régime de la présente loi,

J'aurait dit alors comme aujourd'hui que cette disposition est inexécutable, qu'elle est contraire, non à des opinions professées par des évêques ou à des ordres passagers venant de Rome ; mais contraire au dogme catholique.

Il faut dire les choses comme elles sont ; il est de l'essence du catholicisme d'être intolérant ; le catholicisme n'admet pas d'autre religion à côté de lui, il n'admet pas l'enseignement d'autre religion.

A l'ancien athénée de Bruxelles, depuis qu'il était converti en externat, nous n'avons jamais donné l'instruction religieuse, et nous n'avons jamais eu la moindre réclamation, la moindre observation à cet égard. Ce n'est pas que je sois contraire, d'une manière absolue, à cet enseignement ; vous savez qu'aussitôt que la loi a été mise à exécution, je me suis mis en rapport avec l'ordinaire du diocèse, et que j'ai obtenu deux aumôniers pour nos deux écoles moyennes inférieures.

Mais autre chose est l'instruction moyenne inférieure et l'instruction moyenne supérieure. Si on veut avoir un établissement recevant des pensionnaires, je conçois qu'il faille s'y occuper de l'éducation ; mais dans des collèges ne recevant que des externes, on ne doit s'occuper que de l'instruction professionnelle ou des humanités, et non de l'éducation.

J'aurais dégagé l'athénée des classes élémentaires, je n'y aurais pas admis d'enfants. On y aurait débuté en cinquième professionnelle ou en sixième latine.

J'aurais laissé comme par le passé, aux familles, le soin de faire donner l'instruction religieuse.

Au moyen de cet arrangement, j'évitais, sans surcharge pour la commune, cette anomalie de me trouver aux prises avec une loi inexécutable.

Ainsi donc, malgré moi, je me suis trouvé devant la loi comme administrateur, et j'ai cherché à l'exécuter le moins mal possible. La loi m'a imposé l'obligation d'introduire l'enseignement religieux dans l'athénée : j'ai fait tous les efforts et tous les sacrifices possibles pour (page 136) parvenir à le faire donner. Sous ce rapport j'admets comme type, la convention d'Anvers.

Mais quand on proposera de modifier la loi, j'appuierai la proposition de toutes mes forces.

M. de Decker. - Messieurs, je viens, comme rapporteur de la commission d'adresse, fournir quelques explications sur les observations de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M. de Brouckere. Si l'on avait compris le sens que j'ai entendu attacher à la rédaction du paragraphe 3, l’honorable M. Delfosse n’aurait pas présenté son amendement, et l’honorable M. de Brouckere n’aurait pas désavoué la rédaction de la commission d’adresse. Voici la portée du paragraphe 3.

Le discours du trône disait : « L'instruction publique à tous les degrés est l'objet d'une constante sollicitude ; mon gouvernement est pénétré de l'importance de ce grand intérêt social ; les lois qui le règlent reçoivent une exécution conforme à leur esprit. »

La commission dit qu'elle est heureuse de constater que l'instruction publique se développe à tous les degrés d'une manière conforme à l’esprit de nos institutions et de nos lois organiques.

En constatant l'heureux développement de l'instruction, j'ai voulu parler des deux genres d'enseignement admis en Belgique, de l'enseignement officiel et de l'enseignement libre dont nous devons également tenir compte. L'enseignement libre se développe d'une manière conforme à l'esprit de nos institutions, l'enseignement officiel se développe d'une manière conforme à l'esprit de nos lois organiques.

Je n'ai pas voulu déclarer que ces lois organiques sont, oui ou non, conformes à l'esprit de nos institutions. Je n'ai pas voulu me prononcer sur la constitutionnalité de la loi d'enseignement primaire, pas plus que sur la constitutionnalité de la loi organique de l'enseignement moyen.

Par conséquent la restriction que l'honorable M. Delfosse veut y apporter me paraît sans objet. Le sens que je donne ici à la fin du paragraphe 3 est bien le sens que j'y ai attaché constamment. Je reconnais maintenant que, au sein de la commission, je ne me suis peut-être pas assez attaché à bien fixer ce sens. Les mots « esprit de nos institutions » s'appliquent exclusivement à l'enseignement libre, et les mots « lois organiques » seuls s'appliquent à l'enseignement officiel.

L'honorable M. Delfosse, qui trouve que la loi organique de l'enseignement primaire n'est pas constitutionnelle, conserve donc intacte son opinion à cet égard, comme d'autres membres qui trouvent cette loi constitutionnelle, conservent librement leur opinion.

L'honorable M. Ch. de Brouckere, pour qui la loi de 1850 n'est pas conforme à la Constitution, conservera sa liberté d'appréciation.

Voilà qui est clair, me semble-t-il. On constate que l'instruction se développe conformément aux lois organiques, sans pour cela se prononcer sur le caractère et la valeur de ces lois.

Je demande à la Chambre la permission de donner une autre explication sur la portée du paragraphe 3, explication indispensable pour déterminer l'importance du vote à émettre sur ce paragraphe.

Quand nous y disons que « l'enseignement se développe à tous les degrés d'une manière conforme à l'esprit de nos institutions et de nos lois organiques », il est clair que nous entendons parler de ces lois, telles qu'elles sont exécutées et appliquées par le gouvernement. C'est-à-dire qu'en approuvant le paragraphe 3 de l'adresse, on approuve les mesures prises par le cabinet pour l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen ; qu'on approuve ainsi la convention d'Anvers, qui est l'application de la loi sur l'enseignement moyen, et qui en fait pour ainsi dire partie.

Il ne peut donc y avoir, dans l'esprit de qui que ce soit, le moindre doute sur la portée du paragraphe 3 de l'adresse, tel qu'il est rédigé par la commission.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Delfosse. - Les explications que l'honorable rapporteur vient de donner me permettent de retirer mon amendement. Du moment qu'il est entendu que les mots « l'esprit de nos institutions » ne s'appliquent qu'à l’enseignement libre, je n'ai pas de raison pour maintenir mon amendement. Tout ce que je voulais, c'est que l'on ne me fit pas professer par le vote de l'adresse une doctrine contraire à celle que j'ai toujours soutenue dans cette enceinte. Toutefois, avant de me prononcer sur l’ensemble du paragraphe, j'attendrai la suite de la discussion.

Je retire mon amendement, parce que je je considère comme inutile après les explications qui ont été données.

- Plusieurs membres. - La clôture !

(page 167) M. Frère-Orban. - Messieurs, on n’a entendu jusqu'à présent.

J'ai un amendement à proposer.

M. le président. - Voici l'amendement déposé par M. Frère-Orban.

« Parmi les intérêts sociaux du premier ordre doit être rangée, de l'aveu de tous, l'instruction publique. Maintenir scrupuleusement, en cette matière, les droits et les attributions des conseils communaux, consacrer les principes constitutionnels qui garantissent la liberté de conscience, c'est donner aux lois qui régissent l'enseignement publie une exécution conforme a l'esprit de nos institutions et de nos lois organiques. »

Je dois mettre la clôture aux voix, car elle a été demandée.

M. Delfosse. - Je ferai remarquer qu'un amendement a été déposé ; son auteur, M. Frère, a le droit de le développer. Il faut que l'amendement soit développé et appuyé.

M. le président. - Insiste-t-on sur la demande de clôture ? (Non ! non !)

La parole est à M. Frère-Orban.

M. Frère-Orban. - Je remercie la Chambre d'avoir bien voulu consentir à m'entendre. Je n'abuse pas habituellement, je pense, de ses moments. Mais je sens mieux encore, en cette circonstance, la nécessité de ne pas abuser de sa bienveillance et de concentrer, autant que je le pourrai, les observations qu'il me paraît essentiel de lui soumettre.

La question est à mes yeux d'une extrême importance, : je suis profondément convaincu que la mesure que l'on cherche à fa fsûre consacrer malgré la vive opposition qu'elle rencontre dans l’opinion publique présentera les plus grands inconvénients pour le pays.

La discussion de la convention d'Anvers peut être ramenée à trois points principaux : l'intérêt religieux des dissidents, le droit des pères de famille, l'admission à titre de droit d'un membre d'un culte seulement daus le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement.

Le ministère nous a fait connaître au 14 février le résultat des négociations qu'il avait poursuivies avec l'épiscopat et qui avaient amené la convention dont nous nous occupons.

Après une discussion très incomplète dans laquelle, sauf deux ou trois personnes, aucun membre de la Chambre n'exprima son opinion, un ordre du jour formulé d'abord daus des termes très significatifs puis restreint, fut adopté silencieusement.

Je n'ai pas la prétention dont parlat tout à l'heure l'honorable M. Lebeau de dire quelle fut la pensée de chacun des honorables membres qui ont voté l'ordre du jour ; je n'ai pas la ridicule prétention de vouloir l'expliquer pour eux. Je me garderai bien aussi de prétendre que cet ordre du jour est sans portée et sans valeur.

Mais on ne peut se refuser à reconnaître que cet ordre du jour n'a pas été compris par tous de la même manière ; et, sans faire appel à des conversations, à des explications privées cependant fort explicites, j'ai la preuve, dans les débats de ces jours derniers et dans la discussion de ce jour, que le même vote n'a pas eu pour tous la même signification. L'honorable M. Lebeau n'a pas entendu l'ordre du jour de la même manière que l'honorable M. Delfosse. L'honorable M. Lebeau approuve entièrement, absolument, sans restriction, ni réserve. L'honorable M. Delfosse y met certaine réserve. Si l'honorable M. Delfosse, d'après l'opinion qu'il vient d'exprimer, avait été appelé à se prononcer séparément sur la condition relative à l'admission d'un membre du clergé dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement, il n'aurait peut-être pas partagé l'opinion de l'honorable M. Lebeau. Il se demande, en effet, pourquoi le gouvernement a fait cette concession en dehors du règlement qui avait été convenu à Anvers, et qui avait paru suffisant à M. le cardinal pour qu'il accordât son concours à cet établissement.

Il est indubitable encore que l'honorable M. Orts, qui, lui, a bien le droit d'expliquer sa pensée, de faire connaître quelles sont les intentions qui l'ont dirigé, il est bien certain que l'honorable M. Orts n'a entendu cet ordre du jour, ni comme l'honorable M. Lebeau, ni comme l'honorable M. Delfosse.

L'honorable M. Orts a approuvé la marche suivie, les explications données par le gouvernement ; il vous l'a dit : Il a approuvé les négociations partielles ; il n'a pas voulu persévérer dans le système qui avait été suivi auparavant, de chercher à faire un arrangement général.

Il a entendu les explications du gouvernement ; il sait ce qu'elles valent, quelle est leur signification. Mais s'il avait été appelé à voter sur le règlement d'Anvers, il vous le déclare bien haut, il ne l'eût pas adopté tel qu'il a été adoplé à Anvers ; il eût adopté un règlement tel que celui qui a été préparé par le bureau administratif de l'athénée de Bruxelles et qui a été refusé par le clergé.

Voilà, messieurs, des explications franches, loyales, aussi sincères, que celles qui émanent de l'honorable M. Vandenpeereboom, et qui attestent que chacun reste libre aujourd'hui quant à l'opinion qu'il a à formuler sur le fond même de cette question.

Il ne faut pas d'ailleurs, en une matière aussi grave, que l’on cherche à retenir dans les liens d’un engagement qui ne serait pas conscieusement donné, ceux qui se croiraient aujourd'hui mieux éclairés ; ne pas devoir approuver un acte dont le véritable sens n'a été révélé par l'exécution, Il ne faut pas surtout que, par de mauvais scrupules d’amour-propre, parce qu'on aurait participé à un vote équivoque et non expliqué, on persévère dans une mesure que l'on croirait nuisible aux intérêts du pavs.

La situation est-elle la même que lors du vote du 14 février ? Des révélations postérieures n'ont-elles pas éclairé ce qui était obscur ou caché, et mis en lumière des prétentions qu'il était permis de ne pas soupçonner ? Ceux qui, après avoir entendu et compris, comme ils devaient comprendre, les explications du gouvernement, ont voté l'ordre du jour du 14 février, ne trouvent-ils point entre ces explications et les acles qui ont suivi des différences assez profondes pour rétracter une approbation qui ne serait plus que le résultat d'une surprise ?

Les explications données par le gouvernement le 14 février, quelles sont-elles sur ce point important de l'instruction religieuse des dissidents ? Le gouvernement présentait le règlement d'Anvers qui était muet à cet égard. Le gouvernement nous disait : J'ai interpellé le bureau administratif, je lui ai demandé : que ferez-vous pour les dissidents ? Le bureau administratif avait répondu : Nous prendrons des mesures pour que l'instruction religieuse leur soit assurée comme aux catholiques.

Le gouvernement avait ajouté dans ses explications que le conseil communal d'Auners, puisqu'il s'agissait de lui spécialement, pour faire donner cette instruction religieuse aux dissidents, prendrait des mesures convenables, des mesures que l'on comprenait, ferait donner, par exemple, l’enseignement religieux dans un autre local que celui choisi pour l’enseignement religieux des catholiques.

Mais le gouvernement a-t-it laissé soupçonner seulement que les communes devraient contracter un engagement à ce sujet et s'interdire le droit de donner l'instruction religieuse à tous, si elles le trouvaient convenable, dans le même local ? Que l'on me montre une syllabe qui puisse le faire deviner, et je passe condamnation. Non, non ! ont s'est bien gardé de venir annoncer à la Chambre qu'il y avait une religion d'Etat en Belgique, que la religion catholique devait dominer les autres, que l'on pouvait légitimement stipuler avec les ministres d'un culte l'exclusion de l'école des ministres des autres cultes. Jamais pareille déclaration n'a été faite dans cette Chambre. Jamais, si elle avait été produite, je n'aurais énoncé que le règlement d'Anvers, tel qu’il avait été interprété, n'était en rien contraire à la Constitution et à nos lois. Jamais la parole derrière laquelle vous prétendez vous abriter, quoique ma faible personnalité soit un bouclier bien insuffisant pour vous, jamais cette parole vous ne l'auriez entendue.

Et comment aurais-je pu soupçonner qu'un engagement semblable avait été pris ? Il nous avait été demandé et nous nous étions refusé à y souscrire ! Voici ce que le ministère, dont je faisais partie, le ministère tout entier, sans opposition ni réserve de la part de personne, avait résolu sur ce point important. Je n'invoque pas des décisions douteuses, des souvenirs équivoques et que chacub peut récuser. Non ; j'ai une preuve écrite et signée. A M. le cardinal qui réclamait l'engagement dont je m'occupe, le ministre de l'intérieur, du cabinet du 12 août, répondait en ces termes dans sa lettre du 27 mars 1851 : « Pour prévenir l'inconvénient tout hypothétique que présenterait l'existence éventuelle et exceptionnelle d'écoles mixtes, on exprime le désir que le gouvernement décide à priori qu'aucun enseignement religieux ne sera donné dans l'école aux élèves non catholiques ; c'est-à-dire qu'il s'engage a faire administrativetnent ce que constitutionnellement et légalement, il lui serait interdit de faire.

« Notre devoir commuh est de respecter la constitution et la loi. »

Voilà quelle fut la déclaration du ministère ; voilà quelle fut son opinion unanime, et ce n'est pas moi qui ai changé d'avis. Et pouvais-je supposer que l'honorable ministre de l'intérieur ne partageait plus les mêmes sentiments ? Lorsqu'il parlait le 14 février, pouvais-je lui faire l'injure de croire qu'il avait une arrière-pensée ? Le pouvais-je surtout lorsque je me souviens du langage qu'il a tenu en appréciant cette même opinion du cabinet du 12 août, que je viens de rapporter ? Répondant à M. l'évêque de Liège qui critiquait le refus du cabinet du 12 août, voici comment s'exprimait l'honorable M. Piercot :

« Que demande le gouvernement au clergé ? Demande-t-il que les évêques reconnaissent les écoles mixtes, c'est-à-dire la faculté, pour le gouvernement, de faire donner dans un même établissement un enseignement religieux catholique et un enseignement religieux protestant ? C'est une erreur de le prétendre.

« Le langage du gouvernement est fort simple et très clair. Il dit aux évêques : Nous sommes dans un pays où la liberté des cultes est un droit constitutionnel. Je ne puis contrarier ce droit par aucune mesure directe ou indirecte. La liberté des cultes m'oblige à recevoir dans mes écoles des élèves de toutes les religions. Je ne puis renoncer, pour ces élèves, au droit qu'ils ont de recevoir respectivement des leçons de religion. Je ne puis abdiquer le droit pour l'Etat de faire instruire des élèves protestants daus la religion de leurs familles. Je ne le puis parce que la Constitution me le défend.

« Mais, en fait, de quoi s'agit-il entre l'épiscopat et le gouvernement ? (page 168) Est-il question de faire donner dans un même établissement des leçons de religion aux élèves catholiques et d'élever, à côté de la chaire du prêtre catholique, une chaire destinée à l'enseignement de la religion réformée ? En aucune façon, cela n'existe et n'existera peut-être jamais.

« Je comprends très bien que, si cela arrivait, il y aurait quelque chose à faire, au point de vue des convenances ; et ce serait assez pour que le gouvernement prît alors des mesures pour éviter cette espèce de concurrence côte à côte ; mais il saurait, dans ce cas, concilier le droit de la liberté des cultes avec la dignité de l'enseignement religieux. Si un tel cas se présentait, a dit M. le ministre de l'intérieur, dans sa lettre du 13 décembre 1850 à M. l'archevêque de Malines, il serait facile, par une simple mesure d'ordre intérieur, de régler la distribution de l'enseignement religieux de manière qu'il puisse se donner à laconvenance réciproque des professeurs de religion et des parents...

« Pourquoi donc exiger que le gouvernement fasse une déclaration de principes qui serait contraire à la constitution ? »

Eh bien, cette déclaration de principes, contraire à la Constitution, elle a été faite. Il a été notifié aux bureaux administratifs que la disposition qui réglait l'enseignement religieux des catholiques impliquait l'interdiction de tout autre enseignement religieux dans l'école.

Je dis, messieurs, que c'est là violer l'esprit de la Constitution, et j'ai, pour m'aider à soutenir cette opinion, le témoignage de l'honorable ministre de l'intérieur lui-même. Or, je vous le demande, est-ce là ce que vous avez entendu approuver le 14 février ?

Et ce n'est pas tout, ce serait même renouveler la question des écoles mixtes, nous a dit hier M. le ministre de l'intérieur, que d'insérer dans un règlement émanant de l'autorité civile, qu'on proclame si complètement indépendante, ce serait renouveler la question des écoles mixtes que d'oser écrire, dans un tel règlement, les mêmes garanties et pour l'enseignement religieux des catholiques et pour l'enseignement religieux des prolestants !

J'ai écrit sous la dictée ces paroles incroyables de l'honorable ministre de l'intérieur.

« Dire que l'on garantit l'enseignement à tous les cultes, c'est la même chose pour le clergé, que de dire que cet enseignement aura lieu dans le même local. »

Ainsi, on interdit à l'autorité civile, non seulement de faire donner à tous l'enseignement religieux à l'école, mais on lui défend encore d'écrire dans le même règlement que le droit de toutes les croyances sera respecté ! Et c'est là, messieurs, ce que vous avez sanctionné, c'est là ce que vous avex approuvé le 14 février ! Avez-vous entendu quelque chose qui ressemblât à un pareil abaissement dans les déclarations du 14 février ?

Non, non, messieurs, les explications du gouvernement ne vous ont pas appris alors qu'il fallait subir de pareilles conditions.

J'ai toujours soutenu que l'autorité civile ne peut prendre sur ce point aucune espèce d'engagement. Si elle pouvait traiter avec l'autorité catholique pour proscrire l'enseignement religieux des protestants, elle pourrait traiter avec les protestants pour proscrire l'enseignement religieux catholique ; elle aurait le droit de contracter avec l'autorité religieuse protestante pour lui livrer exclusivement l'enseignement religieux de l'école, sans compter les croyances, car nous n'avons pas plus de religion d'Etat que de religion de la majorité ; et l'on ne manquerait pas alors, j'en suis bien convaincu, de proclamer bien haut, dans les rangs de ceux qui approuvent le plus de pareils pactes, que l'autorité civile méconnaît les principes constitutionnels qui garantissent la liberté des cultes et la liberté de conscience.

L'autorité civile ne peut se lier sur ce point ; mais elle a des convenances à observer dans une matière aussi délicate, dans une question qui touche aux sentiments les plus intimes de l'homme, aux sentiments les plus respectables.

Je comprends que dans un même établissement, le même jour, à la même heure, on n'élève pas chaire contre chaire, qu'on ne place pas d'un côté un ministre catholique et de l'autre côté un ministre protestant ; je comprends encore que si l'on craint des conflits, si même des scrupules religieux se révèlent, l'autorité civile, qui doit être impartiale et bienveillante pour tous, prenne dans sa liberté et son indépendance des mesures propres à sauvegarder tous les intérêts ; qu'elle assigné, si l'on 'veut, dans l'école ou hors de l'école, des locaux différents aux différents cultes ; mais je nie qu'il soit constitutionnel de prendre l’engagement envers les ministres d'un culte, de chasser de l'école les ministres des autres cultes ; je nie qu'il soit constitutionnel de s'engager envers le clergé, dans une espèce de concordat, à ne faire servir l'école qu'à l’enseignement catholique.

Ce n'est point là respecter la liberté des cultes ; c'est méconnaître l’égalité des cultes.

Le principe qui garantit la liberté de conscience, qui garantit au père de famille la faculté de dispenser son fils d'assister à l'enseignement religieux, a-t-il été maintenu par le gouvernement, comme on pouvait l'induire de ses explications ?

Le 14 février, nous eûmes l'honneur d'interpeller le gouvernement sur ce point délicat.

Il y avait une omission dans le règlement d'Anvers. On n'y disait mot du droit du père de famille, et j'avais eu, au moment où ce règlement fut publié avant de nous être soumis, les plus puissantes raisons de croire que l'on entendait le silence en ce sens que le cours était obligatoire : que c'était un « compelle intrare », que les élèves ne pouvaient passe dispenser d'assister à l'instruction religieuse.

On réclama depuis une explication du bureau administratif d'Anvers. Il répondit : « On respectera le vœu des pères de famille, » Dans la discussion, je demandai pourquoi le gouvernement, qui avait fait modifier tel autre article du règlement, n'avait pas fait consacrer aussi cette disposition importante ? Que me répondit le gouvernement ? On a modifié, dit-il, l'article 7 ou 8 du règlement parce que là il y avait une illégalité flagrante et que l'illégalité étant manifeste, il fallait nécessairement l'effacer ; mais, pour le droit des pères de famille, une déclaration claire, précise, acceptée, suffisait pleinement. Ainsi parla M. le ministre des affaires étrangères. Vous avez cru et dû croire tous qu'il n'y avait aucune espèce de difficulté entre le gouvernement et le clergé sur ce point, vous avez cru et dû croire qu'il était loisible aux conseils communaux d'inscrire ce droit constitutionnel dans le règlement. Le bureau administratif de Bruxelles - il est composé d'hommes modérés, je pense ; l'honorable ministre de l'intérieur ne les accusera ni d'être des exagérés, ni de s'être laissé égarer ; ils sont aux meilleures sources pour s'éclairer, -comment ce bureau interprète-t-il les déclarations solennelles faites dans cette Chambre sur la question de l'enseignement religieux des dissidents et sur le droit des pères de famille ?

Mais, à une très grande majorité, le bureau administratif est convaincu que, d'après ces explications, il n'y a aucun obstacle à ce que les deux dispositions soient inscrites dans le règlement. Et M. le ministre de l'intérieur, informé des faits, vient avertir le bureau administratif que, s'il prend la licence bien grande de copier la Constitution et'de la mettre dans son règlement, le clergé n'interviendra pas ! son concours n'est pas à ce prix ! Et la dignité du pouvoir civil est respectée ! On notifie au pouvoir civil qu'il y a une encyclique, dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Lebeau, qui a condamné la liberté de conscience et que c'est l'encyclique et non la Constitution qu'il est permis de rappeler dans un règlement !

Et l'autorité civile se soumettra, elle subira le joug, elle passera sous les fourches caudines de l'épiscopat ! La Constitution, il faut la mettre en poche, c'est un drapeau usé et flétri ; il n'est pas permis à l'autorité civile, il ne vous est pas permis de l'agiter devant le clergé !

Eh bien, quant à ce point encore, le gouvernement, s'il a dit la vérité, n'a pas dit toute la vérité.

Je maintiens que si le gouvernement avait déclaré à cette Chambre, le 14 février, avant que les amours-propres fussent engagés, qu'il était obligé de subir les conditions qu'on lui faisait, qu'il était interdit à l'autorité civile d'inscrire dans son règlement que le droit du père de famille serait respecté, je n'hésite pas à dire que vous tous, qui siégez sur les mêmes bancs que moi, vous auriez condamné le gouvernement.

C'est pour répondre à une prétention que nous ne pouvons pas admettre et que j'exprime très nettement dans l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer, qu'il faut consacrer les principes constitutionnels qui garantissent la liberté de conscience ; et que c'est ainsi que vous donnerez aux lois sur l'enseignement public une exécution conforme à la lettre et à l'esprit de la Constitution.

Un des autres points qui forment la base de la convention d'Anvers, c'est l'admission de droit d'un ecclésiastique dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement. On nous parle de cette condition comme d'une heureuse trouvaille, d'une invention à nulle autre pareille ; elle est arrivée on ne sait comme, inopinément, au moment où l'on rédigeait le règlement d'Anvers, et elle a permis de donner à l'affaire une solution satisfaisante, d'amener une transaction heureuse sur la question de l'enseignement.

Mais vous vous trompez ; vous n'avez rien inventé, rien découvert ; vous avez pris ce qui avait été refusé ; on a su, à toutes les époques, que cette condition était réclamée pour obtenir le concours du clergé. (Interruption.)

Les dénégations de l'honorable comte Le Hon ne sont pas fondées, et je vais le démontrer :

Lors de la discussion de la loi de 1850, on fait à la Chambre une proposition qui avait précisément pour but de faire admettre un ecclésiastique dans les bureaux d'administration et dans le conseil de perfectionnement.

On savait que le clergé mettait entre autres cette condition à son concours. La Chambre rejeta la proposition. Il fut expressément déclaré à cette époque que l'on ne voulait de privilège pour personne et qu'un privilège de cette nature en faveur du clergé catholique ferait considérer la religion catholique comme la religion de l'Etat. La section centrale avait déjà énoncé dans son rapport qu'une disposition consacrant un tel droit ne serait pas conforme à la Constitution. Il ne paraissait pas possible d'admettre que ce qui aurait été contraire à la Constitution, inséré dans une loi, pouvait devenir constitutionnel inséré dans un règlement ou un contrat.

Aussi n'indiqua-t-on jamais, parmi les garanties administratives à accorder au clergé, l'admission d'un délégué de l'épiscopat dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement. Les conseils communaux et le gouvernement restaient libres d'y appeler les ecclésiastiques comme d'autres citoyens.

Ces déclarations si formelles, la volonté des Chambres clairement manifestées, ne modifièrent point les sentiments du clergé. Lorsqu'il (page 169) s'agit d'exécuter la loi, on se trouva en face de la même prétention. Elle fut soulevée à l'occasion de l'exécution de la loi. J'en atteste le rapport de l'honorable M. Lebeau sur nos négociations avec le clergé qui furent approuvées par les Chambres. « Tout le monde désire, disait le rapport de l'honorable M. Lebeau, que les communes et le gouvernement puissent appeler les membres du clergé dans les bureaux d'administrations et dans le conseil de perfectionnement...

« Mais la difficulté d'insérer dans une convention générale l'obligation de placer des membres du clergé dans ses conseils est grande. Cette obligation qu'on a voulu mettre dans la loi en a été repoussée. L'inscrire dans une convention serait-ce bien se conformer à l'esprit de cette loi ? En fait, d'ailleurs, n'y aurait-il pas à cela d'assez graves inconvénients ?... »

Et l'honorable rapporteur, après avoir énumére les inconvénients, - point de liberté pour le gouvernement et pour les communes et sources de conflits, - concluait ainsi :

« Encore une fois, que l'on s'en rapporte, sinon au bon vouloir, à l'impartialité, à la loyauté du gouvernement et des administrations communales, au moins à leur intérêt. »

M. Lebeau. - Il s'agissait d'une convention générale.

M. Frère-Orban. - Je commence par écarter l'équivoque qui m'apparaît sous la forme d'une interruption. L'honorable M. Lebeau a l'esprit trop élevé pour vouloir se retrancher derrière un subterfuge.

Il est évident que la généralité ou la spécialité de la convention ne peut rien faire à la question de légalité et de constitutionnalité que nous discutons. D'ailleurs le but que l'on poursuit à l'aide des arrangements particuliers, c'est d'arriver à un traité général. La question que vous avez posée subsiste donc : Serait-il bien conforme à l'esprit de la loi, d'inscrire dans un règlement ce que l'on a refusé d'écrire dans la loi ?

Je ne pense pas que vous l'ayez résolue affirmativement, ni que vous ayez même conseillé de la résoudre ainsi. Et c'est parce que l'on a reconnu qu'il ne serait pas conforme à l'esprit de la loi de faire la concession réclamée par le clergé, que jamais cette condition n'a été proposée par le dernier cabinet.

L'honorable M. Le Hon vous disait tout à l'heure : « Le clergé a renoncé à ses prétentions de 1845 ; il a changé d'opinion ; il a renoncé aux conditions qu'il a mises alors à son concours. » Je ne sais qui a donné à l'honorable M. Le Hon la mission de faire cette déclaration au nom du clergé. (Interruption de M. Le Hon.)

Vous affirmez qu'il a renoncé à ses prétentions de 1845..

M. Le Hon. - Voulez-vous me permettre un mot ?

M. Frère-Orban. - Volontiers.

M. Le Hon. - Je n'ai point parlé au nom du clergé ni présagé l'avenir. J'ai rappelé, rapproché et comparé des faits authentiques et notoires. J'ai dit que les prétentions de l'évêque de Tournai en 1837, 1838 et 1845 étaient toutes différentes des concessions demandées en 1853 par le cardinal archevêque de Malines ; que la convention d'Anvers respectait les principes et les droits que violait manifestement la convention de Tournai ; qu'il y avait donc conciliation dans la première et usurpation dans la seconde.

J'ai cité les faits et rien de plus, pour qu'on ne confondît, pas les deux actes en leur attribuant à tort et sans examen, la même source, le même caractère et le même but.

M. Frère-Orban. - C'est précisément sur ce terrain que je viens me placer. Je sais parfaitement que l'Eglise s'arrête quelquefois, mais qu'elle ne recule jamais, et je ne l'en accuse point. Je suis de l'avis de l'honorable M. Ch. de Brouckere, l'Eglise catholique, et il faut le dire de toutes les Eglises, sous peine de les trouver absurdes, l'Eglis catholique est intolérante ; elle est intolérante, comme tous ceux qui croient avoir la vérité.

- Des voix. - Intolérante au point de vue du dogme.

M. Frère-Orban. - Le dogme, c'est la vérité au point de vue de l'Eglise catholique ; l'Eglise catholique est donc dogmatiquement intolérante. (Interruption.) La vérité et l'erreur s'excluent ; on ne peut être tolérant dogmatiquement pour ce que l'on proclame une erreur. Mais si l'Eglise est intolérante, elle est aussi persévérante.

L'Eglise a donc déclaré à une certaine époque qu'elle n'accorderait son concours à aucun établissement de l'Etat, à moins d'avoir des garanties ; elle voulait avoir la garantie que son concours serait efficace et sérieux ; et pour que son concours fût efficace et sérieux, il lui fallait une part d'intervention dans la nomination des professeurs et maîtres dans les écoles et les collèges. Voilà la prétention ; est-elle accueillie oui ou non par la convention ? Il est évident qu'en admettant de droit dans le bureau d'administration et le conseil de perfectionnement un ecclésiastique désigné par l'épiscopat, l'épiscopat donnera son avis préalable et sur les professeurs et sur les livres.

C'est là ce que le clergé a demandé ; c'est là ce qui lui a été refusé et c'est ce qui a rompu l'harmonie qui existait entre lui et les conseils communaux. Il n'a point changé d'opinion depuis la loi de 1850, et j'invoque à cet égard une lettre imprimée, adressée par M. l'évêque de Liège à M. le ministre de l'intérieur actuel. « L'avis donné par un délégué de l'autorité ecclésiastique, disait M. l'évêque en 1851, éclairera le gouvernement sur la moralité et les principes religieux des candidats, comme l'avis du bureau l'éclairera sur leur capacité ; cet avis donné, le gouvernement le prendra ou ne le prendra pas en considération ; il fera, comme il l'entendra, les nominations ; seul il répondra de ses actes et de leurs suites ; mais il les posera avec une liberté, une indépendance entière. Aussi longtemps que l'autorité civile et l'autorité ecclésiastique auront une seule et même pensée, et ne voudront sincèrement que des hommes tout à la fois capables et religieux, l'entente existera et le concours aura lieu. »

Il avait dit déjà : « Une chose aussi simple, aussi naturelle, peut-on, sans rire, la travestir en envahissement du pouvoir civil, et attaque sur les droits de l'Etat. »

Et qu'en pense aujourd'hui M. le mihistre de l'intérieur ?

N'est-il pas de toute évidence, que c'est la prétention de l'épiscopat qui est définitivement consacrée par la convention d'Anvers ? Si la consécration de cette prétention du clergé ne devait pas avoir des conséquences fatales et redoutables, croit-on que l'opinion publique serait si vivement émue ? s'il ne s'agissait là que d'un principe abstrait, d'une pure spéculation de l'esprit, croyez bien' que les craintes ne seraient ni si générales ni si profondes. Mais l'on sent, l'on comprend que l'enseignement tout entier passe dans les mains du clergé.

Il aura le droit d'inspecter l'enseignement tout entier ; il donner son avis préalable sur les personnes et sur les livres ; que peut-il demander de plus ?

Vous allez introduire dans vos établissements la crainte, la défiance ; vous allez placer tous les professeurs de vos établissements dans la situation la plus difficile ; vous allez faire régner au milieu d'eux l'hypocrisie ; les titres d'admission oii d'avancement seront moins des titres scientifiques et littéraires, que les actes de servilisme vis-à-vis de l'épiscopat ; si un esprit indépendant, loyal, honnête ; si un homme aussi probe et d'aussi bonnes mœurs que vous puissiez le supposer, vient à traiter quelques-unes de ces questions que le clergé revendique comme étant uniquement de son domaine ; s'il discute et contredit, malheur à lui ! S'il écrit l'histoire, malheur à lui ! la carrière de l'enseignement lui sera fermée.

On dira : mais le clergé n'était pas exclu de vos bureaux administratifs, de votre conseil de perfectionnement. En l'absence de la convention un membre du clergé eût pu être appelé, comme tout autre citoyen, soit par les conseils communaux, soit par le gouvernement, et l'inconvénient que vous signalez se serait réalisé. Grande est la différence, grande est l'erreur.

Un fait de ce genre, dans l'état des esprits, eût été rare, exceptionnel ; il se serait produit là seulement où l'inconvénient n'aurait pu exister. L'ecclésiastique, n'eût pas été alors le délégué de l'épiscopat ; il n'aurait représenté que lui-même et n'aurait engagé que lui. Sa retraite, en cas de dissentiment, ne s'élevait pas aux proportions d'un conflit.

Si, au contraire, les conseils communaux, agissant librement, avaient, pour le plus grand nombre, appelé des ecclésiastiques dans les bureaux administratifs, c'est qu'alors, un fait aussi général, l'attesterait, l’harmonie aurait été partout rétablie entre l’autorité civile et l'autorité religieuse ; et encore une fois, dans cette hypothèse la lutte de prétentions rivales n'était plus à redouter.

Les positions respectives, telles que nous les constatons aujourd'hui, auraient été singulièrement modifiées. Mais dans le système du gouvernement, la participation étant la condition sine qua non du concours du clergé, on exerce une violence à l'égard des conseils communaux pour les contraindre à cette capitulation.

Ils ne peuvent obtenir ou conserver le concours qu'à la condition de subir toutes les exigences du clergé.,

Mais, dit-on, il sera le douzième ou quinzième dans le conseil de perfectionnement, ilsera le sixième ou le dixième, que sais-je, dans un bureau administratif. Et vous avez des inquiétudes ! Il pourra tout voir, tout contrôler, l’enseignement tout entier ? Sans doute ; mais son droit se réduira, en définitive, à soumettre ses observations au conseil ; on les examinera, on les discutera ; on les approuvera ou on les rejettera ; elles auront la même valeur que celles que pourraient faire d'autres membres du conseil de perfectionnement ou du bureau administratif. Voilà, l'objection que vient de faire l'honorable M. Lebeau.

Vous croyez bien sincèrement que la position de tous les membres de ces bureaux sera la même ! Mais l'ecclésiastique, membre du bureau administratif ou du conseil de perfectionnement, c'est le clergé tout entier, c'est le représentant de la puissance avec laquelle vous avez traité ; il porte avec lui la paix et la guerre ; il peut, quand il le veut, donner le signal du conflit, de la lutte entre l’autorité civile et le clergé ! Si un autre membre présente des observations qui ne sont pas écoutées par ses collègues, se trouvant en dissentiment avec eux, il se retirera et sera remplacé ; ses raisons seront bonnes ou mauvaises, on n’aura pas à s'en préoccuper.

Mais l'ecclésiastique ! s'il suspend sur vos résolutions la menace de sa retraite, il remet en question l’enseignement religieux ; il prépare au gouvernement de graves embarras, au pays de nouvelles agitations. Et l'on résistera ! vous passerez par toutes les conditions qu’il vous dictera, non pas aujourd'hui, pas demain peut-être, mais le jour où la convention étant généralisée, il sera le maître de votre enseignement. Les hommes les plus fermes succomberont ; les caractères les mieux trempés seront obligés de céder. Voyez, nous avons devant nous des (page 170) hommes honorables qui n'ont pas entendu commettre des actes indignes, dont le sens moral est assez développé pour ne pas se prêter à des manoeuvres que la délicatesse condamnerait. Qu'ont-ils fait cependant ? Ils rencontrent dans une de nos écoles un homme dont les livres sont à l'index ; parce que les livres sont à l'index, l'homme est à l'index. Eh bien ! le bras séculier va faire son office. On s'en ira tout bas essayer de faire en sorte qu'il disparaisse, qu'il ne soit pas un embarras afin que le clergé puisse pénétrer dans l'établissement. Mais il n'est pas le seul professeur qui soit à l'index. Vous allez donc user de moyens analogues envers tous ! Il faudra bien finir par les sacrifier, si l'on veut le concours ! Et l'on ne craint pas d'avouer de telles complaisances, lorsqu'il s'agit de professeurs en fonctions ! que sera-ce donc quand il s'agira d'un professeur à nommer ? quel candidat pourra être choisi ? Le candidat du clergé.

D'abord il n'est plus question d'être candidat avec des titres à l'index ; fût-on M. Guizot, on ne pourrait enseigner l'histoire dans les athénées de l'Etat ; ses livres sont à l'index ! Heureux pays qui se vante de sa constitution libérale ! Pour l'avenir donc, comment résistera-t-on ? Le clergé aura son candidat, son protégé, l'homme de ses affections, l’homme de sa confiance ; tous les membres du bureau administratif fussent-ils pour le candidat opposé, que fera le gouvernement ? II importe peu de savoir dans quelles mains il sera ; je puis, toutefois, sans faire injure à personne, supposer que s'il est entre les mains de l'honorable M. de Theux, M. de Theux entendant le clergé s'expliquer sur le mérite de son candidat, sera enclin à lui donner la préférence. Mais le gouvernement, fût-il dans les mains les plus fermes, les plus disposées à résister aux empiétements, hésitera devant la menace d’un conflit, d'une retraite, devant la crainte de mettre tous les établissements du pays en interdit ; et souvent il cédera.

Tout gouvernement est désireux d'éviter les conflits ; aucun ne voudra affronter uue guerre avec le clergé pour des questions de personne. Il faudrait d'autres griefs pour assumer la responsabilité d'une rupture. Mais ce qui n'est pas moins grave, c'est la croyance que les choses sa passeront désormais ainsi ; c'est la conviction qui pénétrera partout qu'être le protégé de l'épiscopat, c'est être assuré de sa nomination.

El dès ce jour vous verrez - c'est de l'histoire - ce que vous avez vu en France, lorsque l'Université fut livrée aux mains des jésuites ; vous verrez tous ces actes de prétendue religion qui ne seront que de honteuses hypocrisies. C'est celui qui aura paru le plus souvent à la messe, à l'église, non pas seulement à l'église, mais surtout à l'église de la corporation dominante, qui pourra espérer des faveurs, de l'avancement. Et quand cette gangrène de l'hypocrisie aura pénétré dans le corps professoral, vous espérerez encore un enseignement salutaire pour le pays ! Oh ! sans doute, les meilleurs parmi nos professeurs sauront résister à la bassesse ; mais ils payeront leur courage par d'amers dégoûts. Les caractères seront avilis, les âmes attristées, et tous seront impatients du joug qu'on leur fera porter.

Une pareille situation sera-t-elle favorable à la religion, au clergé ? Non. Je suis profondément convaincu qu'une telle situation lui fera plus de mal que tout ce qui s'est fait depuis 1830.

Que se passera-t-il dans quelques années ? Bien des haines seront accumulées contre le clergé, objet des ressentiments de tous ceux qui auront été évincés, ceux-ci pour les écrits qu'ils auront publiés, ceux-là pour les croyances qu'ils professent, d'autres enfin pour les opinions politiques qu'ils auront manifestées. Il y aura là des motifs d'hostilités contre le clergé, les faits fussent-ils vrais ou supposés.

Je dis que cette situation sera mauvaise pour l'église ; elle lui a été fatale en France ; elle ne sera pas meilleure en Belgique. (Interruption.)

Et après ces personnes viendront les livres. Comment voulez-vous que le délégué de l'épiscopat puisse donner, dans le conseil de perfectionnement, son concours à un choix de livres mis à l'index par la cour de Rome ? Un ecclésiastique sans mission, appelé par l'autorité civile, pourrait à la rigueur laisser faire sans opposition. Mais le délégué de l'épiscopat ! comment consentirait-il même à laisser distribuer en prix aux élèves des livres mis à l'index ?

Vous voilà donc obligé d'effacer de votre catalogue les meilleurs livres sur l'histoire moderne, et déjà l'on s'est hâté de vous donner un avertissement à ce sujet. Et nous nous glorifions de la liberté de penser et d'écrire !

Le gouvernement aura-t-il une meilleure condition ? Non. Quoi qu'il fasse, on ne supposera pas qu'il est libre. Il sera dans une perpétuelle suspicion pour tout ce qui est relatif à l'enseignement. Ainsi la situation sera mauvaise pour tous.

La convention n'était cependant pas nécessaire, et elle est contraire à la loi. La loi est expresse ; à mon avis, la loi a prononcé.

On a demandé dans cette Chambre d'inscrire dans la loi que des membres du clergé feraient partie des bureaux administratifs et du conseil de perfectionnement. On l'a refusé par des considérations puissantes. Le gouvernement a expliqué, à cette occasion, qu'on procéderait pour l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen, comme on avait procédé pour l'exécution de la loi sur l'enseignement primaire.

Le clergé ne figure pas dans le conseil de perfectionnement de l'enseignement primaire ; il n'y vient pas délibérer sur tous les intérêts de l'enseignement ; il n'est appelé à s'expliquer que sur l'enseignement religieux. Ainsi, disait le gouvernement, les choses se passeront pour l'enseignement moyen.

L'honorable M. de Theux, qui avait vu fonctionner la loi sur instruction primaire, qui a été longtemps aux affaires, qui en sait les difficultés, déclarait que, dans ces conditions, on faisait une chose acceptable. Il aurait voulu qu'on inscrivît dans la loi que l'on procéderait pour l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen, comme on avait procédé pour l'exécution de la loi sur l'enseignement primaire.

Le clergé, d'après lui, n'en demandait pas d'avantage ; il ne réclamait pas à être admis à délibérer sur tous les intérêts de l'enseignement ; il n'aurait à éclairer le gouvernement que sur l'enseignement religieux.

Après le rejet d'une disposition formelle tendante à faire entrer un ecclésiastique dans le conseil de perfectionnement, l'honorable ministre de l'intérieur est venu dire à la Chambre que voulant montrer jusqu'au bout son esprit de conciliation il proposait d'inscrire dans l'article 8 l’intention qfs'il avait annoncée.

ïl a proposé et la Chambre a adopté une disposition portant que les ministres des cultes seront appelés à faire connaître dans le conseil de perfectionnement leurs vues sur l'enseignement religieux. N'avait-on pas par là interdit formellement tout arrangement, toute convention qui implique l'obligation de faire entrer un membre du clergé dans le conseil de perfectionnement pour y délibérer, comme délégué de l'épiscopat sur tous les intérêts de l'enseignement.

Les membres du clergé ne sont pas exclus ; le gouvernement est libre ; il peut les appelar à titre de citoyens, mais pas à titre de délégués de l'épiscopat ; non en vertu d’une convention, d’un droit, d’un concordat, puisque l’on n’a pas même voulu que cela fût en vertu de la loi. Et l’on me dit que la convention qui refait la loi, qui la corrige, non qui la déchire, est conforme à la loi !

Pour le bureau administratif le vote a été égalemeat formel et indubitable ; et la convention impose aux communes l'obligation de se lier vis-à-vis de l'épiscopat pour faire admettre un membre du clergé dans le bureau administratif !

Mais, nous dit-on, ce qu'il y a de merveilleux dans la convention (ainsi parle M. le ministre des affaires étrangères et il le répète chaque jour), c'est que chacun est libre. Le conseil communal veut le concours du clergé, dit l'honorable ministre des étrangères, c'est bien ; il veut repousser ce concours, c'est bien encore. Le clergé veut l'accorder, c'est au mieux ; il veut le rejeter, c'est parfait. Quoi qu'il arrive, l'honorable ministre des affaires étrangères est toujours enchanté. Il ne tient pas autrement au succès de l'affaire. On est libre ! Mais les honorables orateurs qui répètent après lui les mêmes arguments expriment là une vérité pour laquelle il y a un nom dans la langue française ; ils veulent bien nous apprendre que l'on est libre avant de s'engager. Qui dit le contraire ? Sans doute on n'est pas lié avant d'avoir traité. Mais je vous demande si vous êtes libres, lorsque vous êtes engagés ? Le conseil est parfaitement libre de ne pas admettre un membre du clergé dans le bureau administratif. Mais quand il a fait un contrat et qu'il s'est engagé, comme condition du concours du clergé à faire entrer dans le bureau administratif un ecclésiastique désigné par l'évêque, ne s'est-il pas lié ? Peu importe qu'il puisse rompre le lien en n'exécutant pas l'engagement. Cela est indifférent à la question de savoir si un tel pacte est licite. (Interruption.)

On est libre ! répliquent les interrupteurs. Quand le gouvernement aura nommé un ecclésiastique dans le conseil de perfectionnement, il y restera ; le gouvernement ne pourra pas l'en faire disparaître à son gré.

. Eh bien, dans le bureau administratif le conseil communal pourra le faire disparaître au terme de son mandat ; c'est-à-dire qu'il sera libre après trois ans.

M. Rousselle. - Comme pour les autres membres.

M. Frère-Orban. - Comme pour les autres membres ? Mais votre erreur est palpable. La loi déclare que ces autres membres seront nommés par le conseil communal librement, sans conditions sans traité avec ces membres, et il s'agit ici d'apprécier une convention pour laquelle une commune s'oblige envers le corps épiscopal, à nommer un prêtre membre du bureau administratif de l'athénée.

Cette convention, messieurs, a, sous ce rapport, exactement et identiquement le même caractère que la convention de Tournai. On l'attaque et on le défend par les mêmes raisons. On peut dire que si la convention d'Anvers était définitivement sanctionnée, ce serait le triomphe le plus éclatant pour l'honorable M. de Theux. Pas un des motifs de ceux qui ont été donnés par l'honorable M. de Theux pour défendre la convention de Tournai, ne doivent être écartés pour défendre la convention d'Anvers.

- Plusieurs membres. - A demain !

La séance est suspendue à cinq heures.

(page 136) La séance est reprise à huit heures.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. le président. - M. Vilain XIIII vient de faire parvenir au bureau l'amendement qu'il a annoncé hier. Cet amendement est ainsi conçu :

« Paragraphe 2 de l'article 2 du projet de loi de la section centrale :

« S'il est constaté que, pendant deux dizaines successives, les quantités de froment exportées dépassent les quantités importées, la prohibition du froment à la sortie sera proclamée par arrêté royal, qui sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Cet amendement est appuyé.

M. Moreau. - Messieurs, lorsque dans une de vos dernières séances, j'ai entendu le discours de l'honorable M. Dumortier, je me suis demandé à quoi serviraient les sages avis que l'honorable comte Vilain XIIII désire que le gouvernement donne au peuple, si du haut de cette tribune on vient hautement proclamer que ce sont les agioteurs parcourant les campagnes qui font hausser le prix des céréales.

Je rends, messieurs, pleine justice aux bonnes intentions de l'honorable M. Dumortier, je crois qu'il n'a rien tant à cœur que de soulager les misères, les souffrances de la classe pauvre. Mais, qu'il me permette de le lui dire, le langage qu'il a tenu est peu propre à donner au commerce des grains cette sécurité qui lui est nécessaire pour faire paisiblement des transactions et par conséquent amener une baisse. Il est, au contraire, très dangereux de tenir ici semblable langage, d'abord parce que les masses n'accueillent que trop facilement ce qui flatte leurs passions, ce qui peut servir d'excuse à des excès regrettables, ensuite parce qu'il n'est pas exact.

En effet, messieurs, l'honorable M. Dumortier a parlé comme s'il n'avait pas entendu le remarquable discours de M. le ministre des finances, qui a parfaitement démontré que ce n'étaient ni les agioteurs, ni les accapareurs qui faisaient augmenter le prix des grains.

Peut-on croire que ceux qui se livrent au commerce des grains disposent de capitaux assez considérables pour s'emparer des céréales et les retenir alors qu'on sait que la Belgique consomme par mois environ un million d'hectolitres valant 25 à 30 millions de francs.

N'ont-ils pas d'ailleurs ces commerçants, comme tous autres, le plus grand intérêt à renouveler leurs capitaux le plus souvent possible et s'exposeraient-ils à être dupes de leurs propres manœuvres, lorsqu'ils devraient faire des approvisionnements nouveaux ?

D'ailleurs, messieurs, pourquoi veut-on qu'en 1854 les agioteurs exercent une telle influence, alors que certes tous leurs efforts ont été impuissants en 1822, 1826, 1834, 1835 et autres années quand le froment se vendait 10 à 15 francs l'hectolitre ?

Lorsqu'on s'égare comme on l'a fait, j'éprouve, messieurs, le besoin de bien poser la question que nous avons à résoudre.

Il importe avant tout de montrer d'une manière claire et précise le but que nous désirons tous atteindront de ne pas nous laisser trop facilement entraîner, par des préjuges, quelque respectables qu'ils soient, ou par des phrases sonores, des mots redondants que l'on est disposé à débiter, lorsqu'un sujet tel que celui dont il s'agit s'y prête aussi bien.

Que voulons-nous donc tous ? Que cherchons-nous tous avec le plus vif empressement, si ce n'est de procurer à la classe pauvre, à la classe laborieuse, qui souffre tant, le pain à bon compte ?

Eh bien, avouons-le franchement, disons-le bien haut, parce qu'il est bon qu'on nous entende, quels que soient nos désirs, notre bonne volonté de procurer aux malheureux cet immense bienfait, nous devons proclamer notre impuissance à obtenir immédiatement cet heureux résultat.

Ce pouvoir n'a pas été donné à l'homme ; il ne peut par des lois faire à son gré baisser le prix des denrées alimentaires, et c'est parce que celui-ci méconnaît sa faiblesse, la limite de son pouvoir que trop souvent, par des mesures mauvaises et intempestives, il cherche à résoudre les problèmes insolubles de la Providence, et contrarie ses vues sages, ses enseignements et ses décrets.

L'expérience de tous les jours ne prouve-t-elle pas que telle est, en effet, notre conduite ? A peine une récolte riche et abondante fait-elle diminuer les prix des denrées alimentaires, qu'on nous adresse des plaintes que nous regardons comme légitimes ; on vient nous demander, pour relever les prix, de décréter des droits d'entrée sur les céréales, car, dit-on, il faut protéger d'une manière efficace l'industrie agricole qui se meurt ; il faul faire obtenir au cultivateur la juste rémunération de ses travaux.

Mais, aussitôt qu'on ressent les atteintes de la disette, d'autres plaintes ne tardent pas à surgir ; on nous tient un langage à la vérité tout autre, mais dont les conséquences doivent être, cependant, encore l'adoption de mesures restrictives, de mesures qui tendent également à faire violence à l'ordre de choses établi providentiellement.

Comment voulez-vous, messieurs, obtenir de bons effets d'un état de choses aussi peu stable, aussi variable ?

Comment voulez-vous que l'abondance puisse compenser les pertes que fait éprouver la disette, si à chaque instant vous intervenez pour ouvrir ou fermer par vos lois les voies par lesquelles doivent nous arriver le bien-être et que la Providence a faites et laissées libres et sans entraves ?

Je veux donc, comme vous tous, procurer à nos populations le pain à aussi bon compte que possible, mais si nous sommes d'accord sur le but que nous nous proposons d'atteindre, nous différons sur les moyens.

Pour moi je demande en effet que nous admettions, en ce qui concerne les denrées alimentaires, les mesures les plus libérales, que nous fassions une bonne fois disparaître à jamais de notre législation toutes les mesures restrictives de la liberté ; c'est-à-dire, tout droit d'entrée, toute prohibition à la sortie.

Et quoi que vous fassiez, vous en arriverez là, par la seule force des choses, si malheureusement les faits, si ce qui se passe depuis quelques années n'ont pas encore jeté une conviction profonde dans tous les esprits, ils ne tarderont pas à vous éclairer, à vous faire en quelque sorte violence.

Un grand enseignement vous est donné par une grande nation, pourquoi ne le suivriez-vous pas ?

Ce système est, dans mon opinion, le seul bon, le seul efficace, surtout en présence de la déclaration qu'a faite M. le ministre des finances qui pense que malheureusement les denrées alimentaires se vendront cher encore longtemps.

Aussi, j'aurai l'honneur de vous proposer de le consacrer par un amendement que je vous présenterai lors de la discussion de l'article 3 du projet de loi.

On l'a dit et répété bien des fois, il faut laisser au commerce ses libres allures, avec fixité, avec stabilité ; il faut qu'il puisse agir à l'abri de toute inquiétude si vous ne voulez pas paralyser ses efforts, il faut, en un mot, le délivrer des entraves qui ne lui permettent pas de faire, avec sécurité, des opérations étendues avec l'extérieur, et de nouer des relations suivies avec les pays lointains.

Si, messieurs, en votant l'abolition du droit d'entrée, vous ne vous attendez pas avec raison à voir immédiatement baisser les prix des substances alimentaires, c'est que le temps manque à l'industrie agricole et au commerce pour produire les heureux effets des mesures que vous allez adopter, c'est que les besoins restent les mêmes, sans qu'on ait sur-le-champ la faculté et les moyens de les satisfaire.

Les demandes continuent, malgré l'abolition des droits d'entrée, à surpasser la production, ce qui peut être vendu, et cet état de choses maintiendra naturellement encore la hauteur des prix. Ce n'est donc que lorsque les producteurs, affranchis de toute entrave, auront pu avec sécurité étendre leurs opérations, lorsqu'ils auront pu librement déployer leur activité, qu'ils multiplieront leurs produits et les mettront en rapport avec la consommation.

Je suis donc intimement convaincu qu'en adoptant, en ce qui concerne les denrées alimentaires, une loi définitive, on obtiendra bien plus tôt une baisse dans les prix des denrées alimentaires que par leur prohibition à la sortie qu'on vous propose de décréter.

Sur quoi en effet se fonde-t-on aujourd'hui pour appuyer cette mesure que l'on avoue être extrême, exceptionnelle et contraire aux principes ?

Sur la peur, sur la crainte de manquer de céréales. Il importe, ce me semble, messieurs, de rassurer autant que possible les populations que l'on effraye trop.

L'année dernière, à peu près à pareille époque, les mêmes appréhensions étaient mises en avant.

A entendre certains orateurs, on allait exporter tous les grains de notre récolte, tandis que les importations seraient nulles, car la France avait déjà fermé ses frontières. Nous ne pouvons, disaient d'autres, permettre qu'on nous enlève nos grains, sans nous en donner. Et cependant, messieurs, toutes ces prédictions fâcheuses ne se sont heureusement pas réalisées ; les importations ont, comme vous le savez, dépassé beaucoup les exportations.

L'honorable M. Dumortier a principalement invoqué à l'appui de la prohibition des céréales, la différence des prix des grains en France et en Belgique ; mais, messieurs, pour faire cette comparaison, il a eu soin de choisir les marchés ou le froment et le seigle se vendaient au plus bas prix ; il a eu soin, de plus, de prendre les prix tels qu'ils étaient à un moment où la défense de distiller les céréales avait dû les faire baisser en France et par contre les faire hausser en Belgique.

L'argumentation de l'honorable M. Dumortier pèche donc par sa base. M. le ministre des finances vous a énumeré les motifs pour lesquels on ne pouvait faire la comparaison exacte en cette matière entre la Belgique et les différents départements français, si ce n'est celui du Nord où les prix des grains sont restés à peu près au même taux que dans notre pays.

Il vous a présenté avec talent et clarté les considérations les plus puissantes contre la prohibition du froment à la sortie, il vous a fait voir que nous avions tout à perdre, rien à gagner en prenant cette mesure restrictive qui pourrait avoir pour conséquence de nous faire fermer des frontières encore ouvertes à l'importation, que ce serait donner un très mauvais exemple aux nations voisines qui pourraient être tentées de nous imiter.

Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais il me paraît que tous les motifs invoqués par M. le ministre des finances pour combattre la (page 138) prohibition du froment sont également vrais pour ne pas voter la prohibition du seigle.

L'exemple que nous allons donner ne sera à la vérité qu'à moitié mauvais, pernicieux, mais, il faut le reconnaître, sera-t-il propre à déterminer d'autres contrées à permettre qu'on nous envoie des grains en abondance ?

Pour justifier la prohibition spéciale du seigle, il faut donc dans mon opinion qu'il y ait des motifs bien puissants. Voyons s'ils existent.

Des faits nouveaux, dit-on, ont surgi, on nous prend surtout nos seigles pour les distiller, des achats considérables viennent de se faire sur nos principaux marchés.

Veuillez, messieurs, pour bien apprécier l'importance, la portée de ce qu'on avance, consulter les renseignements statistiques qui nous ont été donnés.

Le Moniteur ne nous a-t-il pas fait dernièrement connaître que, du 1er janvier au 10 novembre, on a importé 95,547,013 kil. de froment et exporté 32,906,371 kil., qu'ainsi il est resté dans le pays 62,640,642 kilogrammes.

Que pour le seigle, l'importation se monte à 27,674,199 kil., et l'exportation à 18,389,488 laissant ainsi un excédant de 9,284,711 kilogrammes.

Ces faits sont-ils donc si alarmants, alors que la récolte des céréales présente, sur une année ordinaire un excédant de 2,874,000 hectolitres et sur celle de 1853 un excédent de plus de quatre millions d'hectolitres ?

A la vérité, du 1er au 10 novembre, les exportations du seigle ont dépassé les importations d'environ 100,000 kil., alors que l'on parlait déjà de la prohibition à la sortie ; mais si vous jetez les yeux sur le tableau des importations et des exportations de cette céréale du mois de novembre 1853, vous verrez que, l'année dernière encore, il est sorti du pays, à cette époque, une grande quantité de seigle, quantité à peu près égale à celle qui y était entrée.

D'un autre côté, messieurs, la récolte du seigle a été très abondante.

Le produit moyen des années 1850 à 1852 a été de 5,367,786 hectol., celui de 1853 de 4,921,000 hectol., tandis qu'on évalue le produit de 1854 à 6,650,068 hectol.

L'excédant en seigle serait donc terme moyen d'un million et demi d'hectolitres ou 108 millions de kilogrammes.

Mais, s'écrie-t-on, les distilleries tant belges qu'étrangères vont bientôt dévorer cet excédant, car elles devront approvisionner la France d'alcool.

J'ai voulu, messieurs, rechercher jusqu'à quel point cette assertion était exacte, et j'ai trouvé qu'ici encore, on se faisait illusion sur ce. point, qu'on exagérait beaucoup l'influence qu'exercerait ce fait sur le prix des céréales.

En effet, M. Pommier a établi qu'en France la distillation prenait 37 millions de kilogrammes sur les huit milliards quarante-six millions, montant de la production, et savez-vous ce qui résulte de ces calculs ? C'est que la défense de distiller les grains en France produit, dans les localités où les distilleries sont établies, un effet moral sur la population qui ne sait pas se rendre compte des avantages de la libre consommation, mais en réalité ne diminue guère les moyens de s'alimenter, car il a constaté que cette diminution ne serait qu'un dixième d'once par jour, sur la ration moyenne de chaque citoyen, estimée à 220 kilogr. par année.

En France on consomme, messieurs, 500,000 hectol. d'alcool produit par différentes substances, mais l'on n'emploie que 500,000 à 600,000 hectolitres de seigle au plus, pour obtenir les 90,000 à 100,000 hectol. d'alcool de grain qui sont annuellement livrés à la consommation.

Or, en supposant même que ce fût la Belgique qui fournirait tout le seigle nécessaire pour faire l'alcool dont on fait usage en France, l'excédant que nous possédons serait sans doute entamé, mais il ne serait encore réduit que d'un tiers environ.

Ces calculs vous démontrent que c'est avec raison que j'ai avancé qu'on s'exagérait singulièrement l’influence que la défense de distiller en France les céréales exercera, chez nous sur le prix des grains.

Enfin, messieurs, la prohibition à la sortie ne fera pas plus diminuer le prix des céréales qu'elle ne fait baisser celui des pommes de terre.

Nous n'avons pas certes mangé ce légume à meilleur compte que nos voisins ; au contraire, il se vend encore aujourd hui à meilleur marché en Hollande, où la libre sortie existe, que dans notre pays.

Alors donc que la prohibition à la sortie de cette denrée ne produit aucun résultat, pourquoi voudriez-vous être plus heureux en prenant la même mesure pour les grains ? Croyez-vous par hasard que nos marchés en seront mieux approvisionnés ? Détrompez-vous, on vous l'a déjà dit, messieurs, si une légère baisse survenait momentanément, nos cultivateurs fermeront leurs greniers et y conserveront leurs grains ; ils savent que la mesure n'est que temporaire ; pourquoi n'attendraient-ils pas des temps meilleurs ?

Je pourrais encore, messieurs, vous présenter des considérations nombreuses pour établir que la voie où l'on vous convie d'entrer est dangereuse, comment il est facile de s'y laisser rapidement entraîner sans savoir où l'on s'arrêtera ; à peine aurez-vous commeneé à la parcourir qu'on vous y poussera à pleines mains et de toute manière.

Voyez-le, après la pomme de terre, viennent aujourd'hui les céréales, peut-être le bétail, Dieu veuille que demain ce ne soient pas la btterave, la houille, que sais-je !

Pour mon compte, messieurs, je ne veux pas suivre la section centrale sur ce terrain glissant, je ne puis adopter une mesure que je regarde comme infficace et consacrant une grande injustice, une véritable expropriation pour cause d'utilité publique sans indemnité aucune, car avant tout je désire que tous nos actes soient toujours conformes aux principes immuables de la justice distributive.

M. Boulez. - Messieurs, les conséquences de la loi qui nous occupe en ce moment saut tellement importantes qu'il faudra avoir recours à des mesures extraordinaires, afin de prévenir la disette ou la famine, car lorsqu'il s'agit de l'alimentation du peuple, il est indispensable d'employer des moyens efficaces et prompts pour câliner les inquiétudes très fondées qui régnent dans le pays.

Il est reconnu de tout le monde que le salaire des ouvriers ne correspond pas à la cherté des vivres ; ainsi il est impossible au travailleur et à l'artisan de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, par leurs travaux journaliers. L'industrie et le commerce étant en souffrance par suite des événements politiques, il est à craindre que le travail ne fasse défaut pendant la saison rigoureuse de l'hiver, et que les ouvriers pourraient être réduits à la plus profonde, misère, qui déjà se fait sentir dès à présent dans les Flandres que je connais particulièrement. Je souhaiterais que les membres de la Chambre puissent être témoins comme moi du dénouement qui existe dans la commune que j'habite ; je les conduirais dans des chaumières où ils trouveraient, non pas des hommes, des femmes, des enfants, mais des squelettes déjà épuisés par le manque d'aliments, se nourrissant uniquement de carottes et de navets qu'ils enlèvent au préjudice des cultivateurs. Ainsi ces plus belles provinces deviennent un vaste dépôt de mendicité.

Dans cette situation si malheureuse, pour soulager ces calamités et ne pas les augmenter davantage, le projet de loi que le gouvernement propose et qui est en discussion pourra donner quelques avantages, sans atténuer le mal, et pour ces motifs je désirerais que le riz qui est une nourriture que le peuple emploie en temps de disette soit libre à l'importation, et que les céréales et farines soient prohibés à la sortie parce qu'il est à prévoir que l'on ne pourra en tirer de l'étranger qu’à des conditions défavorables.

Messieurs, permettez-moi de dire quelques mots concernant les distilleries qui ont une influence particulière sur les prix des grains, et dont le projet de loi qui nous occupe en ce moment est presque inséparable.

La consommation du seigle et de l'orge étant considérable dans les distilleries, par suite de l'augmentation des eaux-de-vie, de l'esprit et des mesures que vient de prendre la France, comme conséquence logique et pour ne pas laisser exporter nos grains en alcool, il est de toute nécessité que le genièvre et l'esprit soient prohibés en même temps à la sortie, ou bien que le taux de décharge soit entièrement supprimé.

A ces conditions les distillateurs conserveraient encore un avantage notable pour pouvoir exporter leurs produits distillés. Cependant si le gouvernement prévoit, sans être exposé à la fraude, pouvoir permettre la distillation des grains étrangers pour l'exportation, à des conditions plus favorables, je consentirais volontiers à adopter cette mesure dans l'intérêt du trésor.

Je ferai remarquer à la Chambre que les Français ont fait des offres pour la location des distilleries situées dans ce pays qui sont en non-activité.

Dans aucun cas, je ne suis disposé à sacrifier les intérêts du pays pour favoriser six ou sept grands distillateurs qui travaillent pour l'exportation et qui pourraient ensemble consommer une grande partie du seigle récolté en Belgique.

J'engage le gouvernement à protéger autant que possible la distillation des eaux-de-vic au moyen de la betterave, nouvelle industrie à introduire qui serait très utile à l'agriculture et encouragerait l'engraissement du bétail, car il est à remarquer que lorsque l'alcool est extrait de la betterave, le résidu est une nourriture nutritive pour les bêles à cornes.

L'Angleterre ayant besoin tous les ans d'importer chez elle beaucoup de céréales de l'étranger, il est évident que si nous laissons sortir notre belle récolte en grains, dont les qualités surpassent celles des autres pays, elle aura recours à nos marchés, nous enlèvera une quantité de céréales dont nous avons indispensablement besoin pour notre propre consommation, d'autant plus que les prix y sont déjà plus élevés qu'ici, et tendent encore à augmenter, et que ce pays à intérêt de faire le commerce en grains, principalement en Amérique, pour faire valoir sa marine marchande et échanger ses produits manufacturés, ce qui fait une concurrence à notre propre industrie. D'un autre côté, elle nous achète tous les ans nos bons grains pour nous envoyer des qualités in-férieuies des pays transatlantiques.

La Hollande, qui ne récolte presque pas de seigle, est obligée d'en importer une grande quantité de l'étranger pour la fabrication du genièvre et de l'esprit, qui sont à des prix extraordinaires ; elle fait des achats considérables pour alimenter sa fabrication au détriment de nos propres distilleries agricoles et de nos besoins alimentaires.

On me dira peut-être, que le négociant hésitera d'importer en Belgique, lorsque la sortie n'est pas libre. Je répondrai à cela, que le (page 139) commerçant n'envisage que son bénéfice, et que le régime de l'entrepôt assure les opérations. On peut déclarer les grains en consommation si les prix sont rémunérateurs ou bien les exporter dans d'autres pays si les prix y sont plus avantageux.

D'après ces considérations, il me semble que le gouvernement et les Chambres ont une responsabilité considérable à sauvegarder, c'est d'employer les moyens efficaces et prompts pour prévenir la famine.

Mais ce n'est pas par des proclamations et des écrits, comme disait hier M. Vilain XIIII, que vous contenterez les personnes qui ont faim, e'est en leur donnant à manger ou en employant tous les moyens possibles pour leur en procurer.

Ne croyez pas, messieurs, que l'ouvrier et la classe laborieuse ne sont pas émus de voir charger, et de charger eux-mêmes, sur les waggons du chemin de fer et dans les bateaux, une quantité de grains qu'ils voient partir tous les jours, et le peuple ne peut pas se rendre compte qu'il est obligé de manger le pain très cher, après une aussi forte et riche récolte ; ils attribuent à juste titre ce mal ce grand trafic commercial qui existe en ce moment dans les céréales.

Je me rallie à l'amendement de M. Dumortier, et je proposerai en outre de comprendre dans la prohibition à la sortie, les féveroles, les pois et les haricots qui sont une nouriture à laquelle le peuple a souvent recours en temps de disette.

M. Lelièvre. - Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouve le pays, en ce qui touche les denrées alimentaires, sont telles que jamais nous n'avons eu à subir une crise aussi sérieuse que celle qui afflige nos populations. La situation réclame les mesures les plus efficaces. Il s'agit d'ailleurs de rassurer les classes laborieuses et de les convaincre qu'aucun moyen n'est négligé par la législature et le pays, pour améliorer une position devenue intolérable et que l'hiver menace encore d'aggraver.

En cette occurrence il ne peut, de l'aveu de tous, s'élever aucun doute sur la nécessité de rendre libres à l'entrée les denrées énoncées à l'article premier du projet.

Mais la section centrale a cru devoir aller plus loin que le projet du gouvernement ; elle propose de prohiber à la sortie non seulement les pommes de terre et leur fécule, mais aussi le froment, le seigle, non moins que les farines. Quoique je conserve des doutes sur l'efficacité complète de cette mesure, je crois devoir m'y rallier dans l'état actuel des choses, parce qu'au moins elle aura pour résultat de convaincre les populations que si malheureusement le prix des denrées alimentaires reste élevé démesurément, cette calamité ne sera due qu'à des événements fortuits dont il a été impossible de prévenir les effets. Les pouvoirs publics auront fait tout ce qui était humainement possible pour obvier à un état de choses désolant, et la certitude que rien n'a été négligé contribuera à assurer dans le pays l'ordre et la tranquillité.

Du reste, au milieu des circonstances extraordinaires où nous sommes placés, en présence des faits exceptionnels qui se passent dans les pays voisins, on comprend que les principes de la liberté commerciale ne peuvent recevoir aucune application.

Une considération ne manquera pas de frapper la législature. La chambre de commerce d'Anvers, appréciant la gravité des circonstances qu'elle signale avec anxiété dans sa lettre au ministre de l'intérieur, propose elle-même de prohiber le seigle à la sortie.

Elle convient, du reste, que des personnes expérimentées dans le commerce des céréales, et attachées en principe au système de liberté commerciale, pensent que l'on doit étendre la prohibition au froment, et elle estime que cette opinion mérite tellement d'être prise en considération qu'elle appelle l'attention du gouvernement sur ce point.

Ainsi, dans l'opinion des hommes compétents, il y a au moins doute sur la question de savoir si la prohibition du froment n'est pas nécessaire ; eh bien dans le doute, je crois devoir me rallier à la prohibition, parce que cette mesure aura, dans tous les cas possibles, des résultats heureux pour l'ordre et la tranquillité publique. Elle fera droit à de nombreuses pétitions adressées à la Chambre des diverses parties du pays, et c'est surtout en semblable matière qu'il faut savoir céder à l'opinion publique, alors surtout que, comme le fait observer la chambre de commerce d'Anvers, elle reçoit l'assentiment d'hommes dont la compétence ne peut être révoquée en doute. En conséquence je voterai en faveur des propositions de la section centrale.

M. le président. - Le gouvernement vient de faire parvenir au bureau l'avis de la chambre de commerce de Louvaîn, dont M. Landeloos a parlé hier. Ce document restera déposé sur le bureau.

- Plusieurs membres. - Les conclusions ?

M. le président. - Voici les conclusions :

« Nous venons donc aujourd'hui, M. le ministre, vons prier de vouloir proposer à la législature la prohibition de sortie de toutes les denrées alimentaires pour lesquelles nous avons admis la libre entrée par notre lettre précitée du 5 octobre, comme étant la seule mesure capable de nous préserver d'une cherté excessive, et d'y joindre aussi la défense de sortie de tous les produits distillés. »

M. de Perceval. - Si je suis bien instruit, la chambre de commerce de Gand a fait également parvenir son opinion. Je désire que ce document soit déposé sur le bureau, imprimé et distribue.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - J'ai eu l'honneur d'annoncer hier que je possède la copie de ce document. L'original se trouve entre les mains de mon collègue, M. le ministre de l'intérieur. Si la Chambre veut se contenter de cette copie, je la déposerai demain.

M. de La Coste. - Je demande que l'avis de la chambre de commerce de Louvain soit imprimé et distribué.

M. le président. - D'autres documents du même genre n'ont pas été imprimés. Ils sont déposés sur le bureau.

M. Landeloos. - Je ferai observer que la Chambre a décidé, sur ma motion, l'impression et la distribution de l'avis de la chambre de commerce de Louvain.

M. le président. - Je ferai observer que les avis d'autres chambres de commerce n'ont pas été imprimés, et je ne pense pas que la Chambre ait pris la résolution dont M. Landeloos vient de parler.

M. Dumortier. - Il faut faire imprimer tous les avis. Ces pièces sont d'une très haute importance.

M. Osy. - Messieurs, après le discours clair, lucide et rempli de faits qu'a prononcé hier M. le ministre des finances, il me reste peu de choses à dire.

L'année dernière, lorsque nous avons discuté la loi sur les céréales, je vous disais que j'étais persuadé que si vous votiez la libre entrée, le commerce ne vous ferait pas défaut et que vous obtiendriez tout ce dont vous auriez besoin pour l'alimentation du peuple. Je vous disais cela avant de connaître la mesure prise par la Russie de défendre la sortie des céréales de ses ports de la mer Noire.

Néanmoins le commerce ne nous a pas fait défaut. Le commerce, et le commerce d'Anvers particulièrement, nous a importé dans les deux premiers mois de cette année 96 millions de kilog. de froment. On n'en a exporté que 33 millions, de manière qu'il est resté pour la consommation du pays, 62 millions de kilog. de froment, ce qui fait 800,000 hectolitres.

Pour le seigle également, les importations ont été beaucoup plus considérables que les exportations, et il nous en est resté pour la consommation 9 millions de kilog.

Messieurs, depuis l'année dernière les affaires en Europe ont bien changé. Vous avez eu, comme je viens de le dire, la fermeture de tous les ports de la mer Noire.

Par suite de la guerre, de grands besoins se sont fait sentir dans des contrées qui ne pouvaient plus rien retirer des ports russes.

Je crois donc que, pour les denrées alimentaires surtout, il serait dangereux d'avoir des principes absolus. Il faut les faire fléchir d'après les circonstances.

Je vous parlerai d'abord du seigle.

Vous savez que la France ayant défendu la distillation des eaux-de-vie par suite de la maladie de la vigne qui n'a donné cette année qu'un quatorzième de ses produits ordinaires, on est obligé d'y envoyer des pays limitrophes, c'est-à-dire de la Hollande, de la Belgique et surtout de l'Allemagne pour satisfaire aux besoins.

Eh bien ! messieurs, si nous ne prenions pas une mesure pour le seigle, il serait à craindre que nous ne fussions dépourvus de cette denrée alimentaire.

Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que, cette année, le gouvernement russe a permis la sortie des seigles par la mer Blanche, et que le blocus n'a été mis que depuis le 16 août, c'est-à-dire peu de temps, avant la fermeture de la navigation. Or, c'est surtout d'Archangel que les distilleries reçoivent leur seigle, et la Belgique et la Hollande en ont fait venir considérablement. Mais, messieurs, si la guerre continue, il est à prévoir que, dès que la navigation sera libre dans la mer Blanche, on y mettra le blocus. Cela n'a pas été fait, cette année, parce que le commerce de l'Angleterre et de la France aurait eu trop à souffrir de cette mesure ; c'est pour ce motif qu'elle n'a été adoptée qu'à partir du 10 août. Aujourd'hui, le commerce est averti et, je le répète, l'année prochaine le blocus sera très probablement établi, aussitôt que la navigation pourra être ouverte. Il en sera de même dans la Baltique.

Il nous arrivera donc beaucoup moins de seigle que nos besoins n'en exigent et dès lors je crois qu'il serait sage de prohiber l'exportation de cette denrée ainsi que de l'alcool. Pour ce qui est de la distillation en entrepôt nous en parlerons lorsque nous discuterons la loi sur les distilleries.

En ce qui concerne le froment il faut remarquer que nous ne pouvons rien recevoir de la mer Noire, et il est à craindre que l'année prochaine, la guerre n'étant pas terminée, vous ne recevrez rien non plus des ports russes de la Baltique. Ce n'est que depuis Memel jusqu'à Hambourg, des îles danoises et de quelques ports du Zollverein qu'on pourra exporter quelque chose ; mais nous nous trouverons là en concurrence avec les besoins de l'Angleterre qui, comme vous le savez, sont très considérables, ce pays ne produisant plus ce dont il a besoin.

Il reste, messieurs, un grand pays qui peut nous fournir des grains, c'est l'Amérique. Mais, messieurs, je dois dire que, d'après les avis que j'ai reçus et que j'ai même communiqués à M. le ministre des finances, avis qui ne sont pas entièrement conformes à ceux qui ont été obtenus par le gouvernement, d'après les avis, dis-je, que j'ai reçus directement, je crois que l'Amérique nous fournira moins que les autres années, soit en farines, soit en grains. Sous ce rapport donc, messieurs, il faut encore être prudent.

(page 140) L'honorable M. Dumortier a cité hier un extrait d'un journal de Bruges, d'après lequel il serait arrivé des ordres d’achat pour une centaine de mille hectolitres. Je dois dire que ce journal est très mal informé ; il se fait quelques expéditions de farines, mais il n'en est pas encore de même pour le froment. S'il y avait à Bruges des ordres d'achat pour cent mille hectolitres, il y aurait des ordres bien plus considérables à Anvers, et j'en saurais quelque chose. Plus tard, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, l'Angleterre pourra nous demander du froment et, en prévision de cette éventualité, nous devons prendre nos précautions, sans adopter d'emblée la prohibition. Il est vrai, messieurs, qu'il y avait de l'agitation dans le pays, mais je crois que nos discussions éclaireront aussi nos populations.

Le conseil qui a été donné hier par mon honorable voisin, M. Vilain XIIII, me semble devoir être médité par le gouvernement : il faut éclairer le pays ; nos populations écoutent volontiers la vérité, et soyez persuadés que si le gouvernement leur fait connaître le résultat de nos délibérations, cela produira beaucoup de bien.

Je suis persuadé, messieurs, que le commerce fera encore quelques efforts pour approvisionner le pays, mais remarquez bien que le prix du froment est aujourd'hui de 50 p. c. plus élevé que dans les temps normaux ; c'est-à dire qu'en temps ordinaire le prix est de 20 fr., tandis qu'il est aujourd'hui de 30 fr. Or, après une récolte abondante comme celle que nous avons eue, le commerce ne peut être aussi hardi qu'il l'était l'année dernière.

L'année dernière, les prix étaient élevés, mais rien ne pouvait faire croire à la possibilité d'une baisse. Aujourd'hui, au contraire, bien que la baisse ne soit guère probable, elle est cependant possible, et le négociant doit apprécier toutes les éventualités. Si d'ici au printemps l’un ou l'autre événement heureux amenait la paix, vous comprenex, messieurs, que les ports de la mer du Nord nous enverraient une masse énorme de grains et alors le commerce, qui aurait fait des commandes aujourd'hui, perdrait considérablement.

Aujourd'hui dans la mer d'Azof le prix des grains est tellement bas que je connais des négociants qui ont fait des contrats à 5 florins par hectolitre ; ils ont dit qu'à ce prix ils peuvent, au besoin, laisser leurs grains pendant deux aus dans le pays de production.

Vous comprenez, messieurs, que dans une pareille situation le commerce doit être bien plus timide qu'il ne l'était l'année dernière.

On dit, messieurs, qu'il nous manque beaucoup de grains Mais après la belle récolte de cette année, au mois d'août, au mois de septembre, vous avez tous espéré voir les grains à bas prix.

Les populations étaient impatientes de profiter de cette bonne récolte, mais elles perdaient de vue que les fermiers ne pouvaient pas battre en grange, alors qu'ils avaient leurs ltrres à préparer. Qu'a fait le commerce ? L'Angleterre, envisageant tout d'abord l'avenir, a vendu ses froments à 20 schellings, à meilleur compte qu'ils ne le sont aujourd'hui. Eh bien, le commerce anversois a profité de la frayeur du commerce anglais ; il a fait des achats considérables. Aussi, en septembre et en octobre, nous avons importé de l'Anglelerre 15 à 10 millions de kilogrammes.

Si donc aujourd'hui l'Angleterre vient faire chez nous quelques achats, le détriment ne sera pas considérable ; le commerce, sans pouvoir amener une baisse, s'est livré à des opérations telles, qu'il ne nous manque rien.

Cependant je conviens qu'il n'est pas du tout certain que pendant l'hiver nous puissions faire des importations ; mais comme je ne crois pas à tous les achats dont a parlé hier l'honorable M. Dumortier, il me serait impossible de décréter d'emblée la prohibition du froment.

L'honorable M. Vilain XIIII demande que l'on suive le mouvement des importations et des exportations d'ici à 20 jours ; eh bien, donnons au gouvernement le pouvoir pour le cas où les exportations seraient plus considérables que les importations, pendant cette période, de prendre les mesures prohibitives que d'honorables députés proposent.

- Une voix. - Le gouvernement n'a pas voulu de ce pouvoir l'année dernière.

M. Osy. - J’exprime mon opinion personnelle ; le gouvernement fera ce qu'il jugera convenable.

Je me rallie donc volontiers à la proposition de l'honorable M. Vilain XIIII.

Il me reste à parler du riz.

L'année dernière, les consommateurs avaient demandé au gouverneraient la libre entrée du riz ; le gouvernement a consenti avec peine à cette mesure : il avait parfaitement pressenti que la libre entrée n'exercerait pas beaucoup d'influence sur le riz.

En effet, aussitôt que la loi a été votée, les masses considérables de riz qui étaient dans nos entrepôts, ont été mises en consommation, et le riz n'a pas baissé d'un centime. Ce n'est donc pas le consommateur, mais l'importateur seul qui a profité de la faveur que vous avez accordée. Ce fait doit nous éclairer sur ce que nous avons à faire aujourd'hui.

Messieurs, dans la loi votée l'année dernière, nous avons stipulé avec raison que la libre entrée aurait lieu jusqu'au 31 juillet 1854, avec la réserve que tous les navires chargés avant le 31 juillet seraient indemnes de droit.

Or, la grande quantité de riz que nous recevons pour la consommation du peuple nous arrive des Indes ; il faut trois ou quatre mois pour que ces arrivages nous viennent : quoique, nous soyons déjà loin du 31 juillet, il y a encore des navires qui sont en retard du 31 juillet, ; vous comprenez donc que nonobstant que le riz, qui vient de chez nos voisins paye le droit depuis le 31 juillet, le riz, qui arrive aujourd'hui de l'Inde sur des navires chargés avant cette date, ne paye pas le droit. Au mois de décembre et au mois de janvier, nous recevrons les navires partis de l'Inde au mois d'août ou au mois de septembre ; je crois que jamais on n'a envoyé aux Indes autant de navires pour chercher du riz qu’on en a envoyé cette année ; :je parle, non seulement de l'Angleterre, mais encore de la Belgique, Nous recevrons donc des masses considérables de riz en 1855.

- Une voix. - Tant mieux !

M. Osy. - Messieurs, la consommation du riz ne dépassait pas 5 millions de kilogrammes, il y a quelques années.

La bourgeoisie et le peuple, qui consomment le riz de l'Inde, en mangeaient très peu ; l'importation portait principalement sur le riz de la Caroline, consommé par les personnes riches. Mais nous avons fait des progrès ; nous avons à Malines, à Anvers et à Bruxelles, des moulins pour peler le riz ; cette industrie est tellement perfectionnée qu'on peut dire qu'en Angleterre même, on ne nettoie pas le riz aussi bien qu'en Belgique. Aussi, cette année, en dix mois, on a importé 39 millions de kilogrammes de riz et nous en avons exporté 5 millions. Il y a donc eu, dans le courant de cette année, 34 millions de kil, de riz qui ont été consommés ou qui se trouvent encore dans le pays. Comme, ils sont indemnes de droit, il est impossible que nous sachions ce qui en est. D'après les informations qui m'ont été données, je crois pouvoir dire que tous les moulins, les uns parmi les autres, ont assez de riz pour travailler jusqu'au mois de mars. Eh bien, des 39 millions que nous avons importés cette année, 34 millions n'ont pas été exportés ; si nous ajoutons 6 millions qui nous seront importés d'ici à la fin de l'année, vous avez assez de riz pour la consommation de l'année 1855 ; si vous décrétez la libre entrée pour toute l'année 1855, et que vous stipuliez de nouveau (ce qui serait très juste) que tous les navires chargés avant 1856 seront indemnes de droit, les importations iront jusqu'au mois d'avril 1856.

Eh bien, si les importations sont seulement de 34 millions, vous aurez l'approvisionnement non seulement de 1855, mais de 1856 et de 1857, en supposant la consommation de 20 millions de kilogrammes par an, le droit étant de 5 fr. 50 plus les additionnels qui le portent à 6 fr., c'est une perte de plus de 1,200,000 francs que vous allez imposer au trésor.

Comme nous ne voulons faire de loi, en ce qui concerne les subsistances, qu'en vue des circonstances de 1855, je ne puis engager la Chambre à voter la libre entrée des riz pour 1855.

Nous avons 14 millions de kilogrammes de riz indemnes de droit, tout ce qui arrivera, si nous décrétons la libre entrée pour 1855 qui s'étendra au mois d'avril 1856, ne servira qu'à la consommation de 1856 et 1857.

La perte qui en résultera pour le trésor, vous devrez la couvrir, et vous savez que de peine on a quand il faut créer de nouvelles ressources, établir de nouveaux impôts !

Déjà le ministre des finances a renoncé aux droits sur la plupart des denrées alimentaires et sur le bétail ; ne le privez pas, pour plusieurs années, du droit sur le riz, quand vous voyez que cette mesure ne peut avoir d'effet sur les approvisionnements de cette année.

Pour moi je voterai pour la proposition du gouvernement, je voterai aussi la prohibition de la sortie du seigle à laquelle consent le gouvernement et je ne maintiendrai la libre sortie du froment que dans le sens indiqué par M. Vilain XIIII. Quant au riz, je m'opposerai à la libre entrée pour 1855.

M. Manilius. - Messieurs, je ne pensais prendre la parole que sur l'article premier, parce que l'amendement que je veux proposer se rapporte au deuxième paragraphe de cet article. Je pensais d'autant moins prendre la parole dans la discussion générale, que jusqu'ici il m'avait paru y avoir dans la Chambre unanimité pour prendre des mesures à l'effet de conserver les grains dans notre pays.

J'abonde dans le sens de la première partie du discours de l'honorable M. Osy, je voudrais qu'on prohibât, dès aujourd'hui, la sortie du seigle et même qu'on prît pour le froment les mesures les plus précautionneuses, bien que nous ayons plus ou moins de garantie de ce côté dans l'avertissement de M. Osy, qui vient de nous tranquilliser en nous faisant connaître les quantités de froment qui doivent nous arriver prochainement, puisqu'ils doivent nous être apportés, non par la navigation au long cours, mais par le cabotage, venant des pays voisins, de l'Angleterre et de la Hollande.

Voilà pour la première partie du discours de l'honorable membre. Quant à la seconde, je ne pourrai pas être d'accord avec lui. Il vient de dire que dans l'année 1853 nous avons eu une quantité considérable d'arrivages de riz qui sont venus en grande partie de l'Inde.

En effet, la statistique oflicielle le confirme. 13 millions de kilog. ont été mis en consommation, dont 6,800,000 sont soustraits sous le bénéfice de l'article 40 de la loi du 4 mars 4846, qui permet d'autoriser, sous caution pour les droits, l'enlèvement temporaire des marchandises destinées à recevoir une main-d'œuvre dans le royaume.

Ces 6 millions 800,000 kilogrammes n'ayant rien payé au trésor, la somme des droits perçus, soit 364,000 fr., doit se répartir sur le (page 141) restant des riz qui ont eu à payer les droits différentiels, et la moyenne est 5 fr. pour 100 kilog. Ce sont les riz qui ne sont évalués qu'à raison de 35 centimes le kilogramme (toujours d'après la statistique officielle de 1853, p. 52), et par conséquent, ces riz ne sont pas des riz de la Caroline, mais bien des riz des Indes anglaises et autres, et ce ne sont pas des riz pour être pelés ; ils le sont, mais pas si bien, si coquettement que ceux mondés dans nos moulins. Ils ne sont ni blanchis, ni glacés. Ce sont tout bonnement des riz à bon compte destinés aux masses et sur lesquels on ne doit pas percevoir 18 à 20 p. c. de droits dans les moments de calamité et de disette.

D'ailleurs les arrivages de l'Amérique, en fait de riz, sont quasi insignifiants depuis l'introduction des moulins à monder, qui donnent une belle apparence au riz travaillé dans nos fabriques. Mais quand ou parle du riz de la Caroline, ah ! cela paraît très clair, très puissant dans la bouche de mes honorables adversaires. Mais nous, qui examinons aussi les choses d'une manière plus simple, nous disons que s'il est entré 6 millions pour l'année 1853 dans la consommation, quoique la statistique dise 13, c'est que 7 millions environ ont été pris pour être glacés et blanchis, que le reste destiné à la consommation a payé en moyenne 18 à 20 p c. de droits.

En 1854 il est, dit l'honorable M. Osy, entré des quantités immenses ; mais certes, voulez-vous savoir pourquoi ? C'est que depuis le mois de novembre 1853, la libre entrée était demandée et prévue, et que pendant deux mortels mois on a hésité à la décréter. Cela s'est fait et devait se faire, les ordres sont partis ; on a donné des ordres, non pas seulement pour les Indes, mais pour Liverpool, pour la Hollande ; on a reçu beaucoup de riz venant des Indes anglaises, mais qui n'ont pas été introduits directement.

Qu'est-ce que ce commerce qui introduit 38 millions de kilogrammes de riz en 1854, puis encore 38 millions en 1855, et ainsi de suite de manière à fournir à votre consommation pour 3 ans, même pour 4 ans, a-t-on dit ?

L'honorable M. Osy n'a fait en cela que répéter ce que nous avait dit déjà M. le ministre des finances qui nous a communiqué une note et nous a dit aussi : Si vous décrétez la libre entrée du riz pour 1855 vous en aurez pour 4 ans.

Je dois me livrer à quelques observations pour faire voir que je suis en droit de croire que ce langage est spécieux. M. le ministre nous a fait connaître combien il est difficile de faire des voyages de long cours, combien il faut tenir compte de la cherté des vivres que vous allez chercher au loin.

Il vous a dit : La cause de la cherté, c'est la difficulté de se procurer des moyens de transport. Croyez-vous que ce soient les navires qui manquent ? Non, les navires on pourrait les construire, mais ce sont les matelots qui manquent.

Voilà pourquoi les choses que vous allez chercher au loin coûtent très cher. Comme vous ne produisez pas assez pour votre subsistance, vous devez aller chercher au loin ce qui vous manque et le payer cher. La guerre, par suite des bâtiments qu'elle occupe, rend plus rares encore les moyens de transport.

Mais, messieurs, je vous le demande, pouvez-vous croire qu'on spécule sur les riz, et qu'on peut accumuler un approvisionnement de 4 ans sans graves dangers ?

Mais tout à l'heure M. Osy disait : D'ici a quelques mois vous pourriez avoir la paix aussi bien que la guerre ; mais dans ce cas tout changerait de face. Que deviendront ces spéculateurs qui vont chercher des riz avec la perspective de la cessation de la guerre, ce qui ferait baisser les prix des moyens de transports, les navires nolisés pour la guerre devenant libres, et par conséquent le prix des denrées alimentaires qu'on va chercher au loin ?

Je dois le dire franchement, je ne suis pas touché de ce langage incompréhensible, il a été mis dans la bouche du ministre des finances, il y paraît sincère. Mais lorsqu'il fera les réflexions que je viens de faire il devra reconnaître qu'il y a quelque chose d'incohérent dans ce raisonnement. Maintenant, de quoi s'agit-il particulièrement ? Pensez-vous, messieurs, qu'il s'agisse de ce riz qu'on emploie dans les fabriques ou moulins à monder ou dans les ménages aisés et que nous désirons affranchir des droits ? Non, messieurs, il s'agit des riz communs, des riz qui ont passé dans les fabriques ou moulins à monder ; des Indes, qui sont évalués dans notre statistique à 33 c. le kilog., non de ces riz blanchis, brillants, glacés de la Caroline ; mais de ces riz communs, dont nous devons désirer voir l'abondance dans le pays.

Ce sont des riz communs qui ne peuvent nous arriver que frappés de 6 centimes de droits plus 16 p. c. d'additionnels. Ainsi l'on fait payer 20 p. c. de droits, je pourrais même dire 22 p. c. sur le riz destiné à remplacer les pommes de terre, qui manquent à la consommation des classes nécessiteuses, des riz si précieux pour les soupes économiques.

Quant au riz de la Caroline dont parle l'honorable M. Osy, c'est le riz qu'on retire de l'entrepôt sous le bénéfice de l'article 40 de la loi de 1846. On le retire pour le manipuler ; on ne paye aucun droit et on l'exporte probablement en Allemagne.

Les négociants qui font ces opérations font une brillante affaire ; je les en félicite.

Mais il n'y a là aucun bénéfice, ni pour le consommateur belge, ni pour le trésor.

Mes honorables contradicteurs disent que les approvisionnements sont si grands que les arrivages à attendre sans droits, sous le régime de la loi de décembre 1853, sont tels que, pendant deux mois, il n'y aura point d'arrivages et, par conséquent, aucune recette.

Mais dans trois mois, il arrivera des riz que payeront des droits ; ce qui maintiendra l'élévation des prix. C'est ce que l'on doit désirer, quand on possède du riz indemne.

On a commandé, dit-on, du riz pour quatre ans. Mais si le riz entre sans droit, il est évident que ceux qui ont du riz devront se hâter de vendre à bon compte. Si vous abolissez les droits, ceux qui ont des approvisionnements de riz craindront une baisse. Cela est évident.

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce point, si M. Osy ne trouve pas que c'est clair, je le lui répéterai.

Messieurs, j'ai annoncé que je présenterais un amendement ; puisque j'ai la parole, je le développerai. Si j'attendais la discussion de l'article premier pour le développer, on ne serait pas a même de le combattre, et s'il n'est pas fondé, je désire qu'il soit combattu. Je remarque à la fin du deuxième paragraphe de l'article premier ces mots : « les viandes de toutes espèces non dénoncées au tarif.

De cette manière, les viandes dénommées au tarif ne profiteraient pas de la suppression des droits.

- Un membre. - C'est l'expression du tarif.

M. Manilius. - Fort bien, mais il y a deux expressions au tarif (interruption), il y en a même trois. (Interruption.) Il y en a quatre, (Interruption.) Il y en a cinq (Interruption prolongée). J’ai le tarif sous la main, je vais vous en donner lecture.

Il y a l° le bœuf fumé, 2° les flèches de lard, 3° les jambons fumés, 4° le lard salé de toute espèce en tonneaux, 5° les saucissons et autres viandes non dénommées au tarif. Le projet ne fait allusion qu'à cette cinquième catégorie. Le but de mon amendement est que les quatre autre catégories soient exemptes comme celle-ci. Voici mon amendement : je pense que les honorables membres qui veulent la libre entrée de toute espèce d'aliment l'accepteront. « Sont également libres à l'entrée, les lards et les viandes de toute espèce. » '

Je n'ai pas besoin de dire dénommées ou non dénommées ; qu'elles soient dénommées ou non, elles seront exemptes de droits.

Je crois pouvoir me borner là. La Chambre veut, je pense, assurer l'alimentation du peuple à bon compte. C'est le but de mon amendement.

M. Van Renynghe. - Messieurs, en présence de la crise alimentaire qui nous tourmente depuis à peu près deux ans, après avoir subi des crises comme celles de 1846 et 1847, et qui est loin d'être arrivée à son terme, je ne comprends pas que le gouvernement et la représentation nationale, se rendant aux vives instances d'un grand nombre de ses membres, n'aient pas adopté des mesures analogues à celles d'un pays voisin, immédiatement après que celui-ci eût mis ces mesures à exécution.

En effet, à l'époque où la France a prohibé ses denrées alimentaires à la sortie, nous étions encore largement fournis de céréales de la récolte de 1852 qui jointes à celles de la récolte de 1853 et à celles importées, auraient suffi aux besoins de nos populations à un prix de beaucoup inférieur à celui auquel nous avons dû les acheter l'année dernière et cette année-ci, sans devoir recevoir, en échange de nos bons grains, des grains exotiques qui en grande partie valent à peine en qualité le tiers de ceux récoltés sur notre territoire.

A l'appui de ce que j'avance, je dirai que des citoyens dignes de la reconnaissance publique, et des administrations communales animées d'un sentiment d'humanité, ont acheté du froment exotique pour le revendre à prix réduit, Qu'en est-il résulté ? Eh bien, ils n'ont trouvé que peu d'acheteurs, et pour s'en défaire, ils ont été obligés de le convertir en pain pour le distribuer gratuitement à la classe nécessiteuse qui ne l'acceptait qu'avec répugnance et murmure et poussée à bout par le besoin.

Messieurs, j'ai dit que je ne comprends pas que dans l'intérêt de notre pays, je dis notre pays car depuis longtemps, à peu près tous nos concitoyens souffrent, on n'ait pas pris des dispositions analogues à celles de la France, alors qu'on pouvait alléguer, pour soutenir une opinion contraire, l'excédant des importations sur les exportations, l'entrave qu'une mesure sévère pourrait apporter aux importations, etc. Mais aujourd'hui qu'on s'obstine encore à ne pas vouloir prendre de pareilles mesures, alors que les importations deviennent insignifiantes, que les exportations prennent d'effrayantes proportions, qu'un grand nombre de citoyens, d'administrations communales, de chambres de commerce, de commissions d'agriculture, etc. réclament ces mesures avec anxiété et les plus vives instances, alors, dis-je, en présence de faits palpables et qui ne peuvent être contestés, je comprends encore moins la persistance et l'entêtement avec lesquels on procède en faveur d'un principe qui, à cause de notre position exceptionnelle, ne peut actuellement recevoir son application. Car dans des circonstances extraordinaires, il faut naturellement employer des mesures extraordinaires. La circonstance où la prohibition devient une nécessité, un devoir impérieux, ne se présente-t-elle pas actuellement ?

Messieurs, en différentes circonstances dans cette enceinte, j'ai dit que j'étais partisan du libre échange pourvu qu'il fût réciproque entre tous les pays et que sans cette condition nous jouions le triste rôle de dupes.

(page 142) Maintenant, surtout en examinant sans prévention l'état des choses, ne sommes-nous pas amenés à avouer que des mesures exceptionnelles sont devenues indispensablement urgentes ?

Il est prouvé actuellement qu'on n'a obtenu qu'une récolte moyenne. D'après les instructions que nous a transmises le gouvernement, il nous manquera une assez grande quantité de froment. Où le chercherons-nous ? Est-ce au midi de l'Europe ? Mais déjà plusieurs pays de cette contrée ont prohibé la sortie de leurs céréales. N'est-il pas certain que les autres appliqueront la même mesure ? Rien donc à attendre de ce côté-là.

Il n'y a que les Etats-Unis sur lesquels on pourrait fonder quelque espoir ; mais tous les pays qui ont des récoltes insuffisantes devront y puiser, et d'ailleurs, d'après les renseignements qui nous ont été fournis par le gouvernement, la récolte des Etalt-Unis sera beaucoup en dessous d'une récolte moyenne.

La France a prohibé la distillerie des céréales et abaissé le droit d'entrée sur les alcools ; l'Angleterre nous demande des quantités considérables de grains ; les distillateurs hollandais nous enlèvent les seigles indigènes. Une telle situation ne jusiifie-t-elle pas des mesures exceptionnelles ? Et puis, si l'on n'emploie pas des moyens urgents relatifs aux distilleries du pays, n'exportera-t-on pas des quantités exorbitantes de céréales sous forme d'alcool ? Y a-t-il quelqu'un, tant soit peu animé de sentiments d'humanité, qui voulût assumer la responsabilité d'un pareil état de choses ?

Supposons même que le prix des céréales ne diminue pas malgré la prohibition, nous conserverions au moins ce que nous possédons, et, en adoptant des mesures libérales en matière d'entrepôts, le commerce nous importerait des céréales plus favorablement qu'en 1846 et 1847.

Plusieurs supposent que le prix des céréales pourrait baisser quand les fermiers commenceront à battre leurs grains ; mais ils se trompent, car il est avéré et constant qu'il y a déjà une quantité considérable de céréales qui sont vendues pour l'exportation et qui ne sont pas encore battues. Par conséquent on ne peut pas compter sur tout ce qui se trouve en grange.

D'ailleurs les cultivateurs eux-mêmes demandent la prohibition dans l'intérêt de l'humanité et de leur propre sécurité, et les spéculateurs sincères avouent que cette mesure ferait baisser le prix des céréales et en diminuerait considérablement l'agiotage ; ils disent en outre que, si la prohibition n'est pas décrétée, il ne restera plus, d'ici à trois mois, des céréales indigènes à vendre dans ce pays.

D'après mon opinion, le gouvernement a commis une grande faute en ne provoquant pas depuis longtemps la prohibition des céréales à la sortie, et par conséquent il est d'une extrême urgence que la Chambre, quoique un peu tard, arrête le mal auquel on peut encore, en partie, porter remède, qu'elle se hâte donc de prohiber la sortie des céréales, n'importe sous quelle forme elles se cachent, si elle ne veut pas voir disparaître notre dernière planche de salut.

Et enfin quand même cette mesure n'aurait pour résultat que de relever le moral de notre classe laborieuse, elle aurait encore atteint son but. Cette classe, ainsi que celle plus élevée de notre population ont déjà supporté des épreuves terribles avec courage et résignation. S'il le faut, elles les supporteraient encore, mais pour cela il est indispensable qu'elles aient la conviction que le gouvernement et la législature ne leur feront pas défaut et qu'elles puissent se dire. Ils font quelque chose pour nous.

- La clôture est demandée.

M. de Haerne (contre la clôture). - Messieurs, il est d'usage, dans des discussions de cette importance, d'entendre le rapporteur. Il y a ici une raison toute spéciale de lui permettre de présenter ses observations. Vous avez entendu dans la séance d'hier que le rapport de la section centrale a été attaqué dans plusieurs de ses parties par M. le ministre des finances. Comme membre de la section centrale, je tiendrais moi-même à relever plusieurs assertions de M. le ministre ; mais j'y renoncerai volontiers, à condition qu'on veuille bien entendre M. le rapporteur, qui est spécialement chargé de défendre l'opinion de la section centrale.

M. Lesoinne. - Je demande à pouvoir dire quelques mots dans cette discussion. Elle est assez importante, elle doit avoir des résultats assez importants pour qu'on entende encore quelques membres. Je voudrais dire aussi que toutes les mesures que l'on va prendre ne serviront absolument à rien.

M. le président. - Ce n'est plus la question de clôture.

M. Coomans. - Ainsi que le dit l'honorable M. Lesoinne, ce projet est plus important que le débat sur la convention d'Anvers, qui dure sempiternellement et dans lequel nous entendons tous les orateurs qui veulent prendre la parole. Je suis personnellement désintéressé, puisque je ne suis pas même inscrit. Mais je désire qu'on entende les orateurs qui ont des observations à présenter.

M. de Mérode. - J'insiste sur les mêmes considérations que l'honorable préopinanl. On nous donne, pour discuter la question la plus intéressante pour la population du pays, de courtes séances du soir, et l'on prend toute la journée pour discuter une adresse. On fait de la convention d'Anvers un siège comme celui de Sebastopol. (Interruption.)

Nous passons glorieusement notre temps à éplucher une convention qui a déjà été épluchée vigoureusement une première fois. Mais quand i ls'agit d'une question qui intéresse la subsistance de 4 millions d'habitants, on n'a que des séances du soir et l'on coupe court à la discussion.

Il me semble que nous devrions plutôt donner les séances du soir au siège de la convention d'Anvers et nous occuper pendant la journée de la discussion actuelle qui est bien autrement sérieuse.

M. de Perceval. - Messieurs, je suis également inscrit, mais je renonce volontiers à la parole, à la condition que la Chambre permette au rapporteur de la section centrale d'exprimer son opinion dans ce grave débat.

M. Delehaye. - Je sais parfaitement bien que les ministres ont toujours le droit de parler. Mais le règlement ne donne pas de privilège au rapporteur. Je suis inscrit avant M. le rapporteur. Mais le projet qui nous occupe a un caractère d'urgence tellement prononcé que je voudrais que la discussion fût le plus courte possible. Je ferai donc volontiers le sacrifice des observations que j'ai à présenter.

Toute la discussion porte d'ailleurs sur la sortie et sur l'entrée des céréales. Or, c'est aussi de ces deux points que s'occupent ces articles. Je mets en fait, que si la discussion générale se prolonge, tous les arguments se reproduiront à l'occasion des articles. Eh bien ! consultons un peu l'opinion publique. Partout on demande que nous mettions un terme à cette discussion. D'ailleurs, pourquoi nous réunissons-nous le soir ? C'est précisément pour que nous puissions doter immédiatement le pays de cette nouvelle loi.

Eh bien, soyons conséquents avec la décision que nous avons prise. Lorsque mon honorable ami M. T'Kint vous a proposé d'avoir des séances du soir pour l'examen du projet sur les denrées alimentaires, son but a été de mettre promptement un terme à cette discussion. C'est aussi ce qu'a voulu la Chambre, et je l'engage à se montrer conséquente avec son vole.

Je demande donc que la discussion générale soit close, sauf à ouvrir une discussion sur les articles. M. le rapporteur voudra bien se faire inscrire sur l'un ou l'autre de ces articles.

M. Malou. - Je voulais faire les mêmes observations. Le principe sur lequel il y a dissidence entre le gouvernement et la section centrale se ratlache à l'article 2. Si la clôture de la discussion générale n'empêche pas de discuter contradictoirement ce principe à l'occasion de l'article, je ne m'oppose pas du tout à cette clôture. Mais s'il en était autrement, je dirais qu'il est équitable, lorsque M. le ministre a défendu le projet du gouvernement, de permettre à ceux qui soutiennent le projet de la section centrale, de défendre leur opinion.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Sont déclarés libres à l'entrée : le froment, l'épeautre mondé, le méteil, les pois, lentilles et fèves (haricots), le seigle, le maïs, le sarrasin, les féveroles et vesces, l'orge, la drêchc (orge germée), l'avoine, l'épeautre non mondé, le gruau et l'orge perlé, les farines et moutures de toute espèce, le son, la fécule et les autres substances amylacées, le pain, le biscuit, les taureaux, les bœufs, les vaches, les bouvillons, les taurillons, les génisses, les veaux, les moutons, les agneaux et les cochons.

« Continueront également d'être libres à l'entrée le lard et les viandes salées. »

M. le président. - La section centrale propose d'ajouter au paragraphe premier, après les mots : « les autres substances amylacées », ceux-ci : « le riz ».

M. Moreau propose d'ajouter après les mots : « le biscuit », ceux-ci : « les pommes de terre ».

La section centrale propose de modifier le second paragraphe en ces termes : « Continueront également à être libres à l'entrée le lard et les viandes de toute espèce non dénommées au tarif. »

M. Manilius propose de modifier ce paragraphe comme suit : « sont également libres à l'entrée le lard et les viandes de toute espèce ».

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale en ce qui concerne le riz ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Non, M. le président.

M. Delehaye. - Je viens de demander la clôture de la discussion générale pour abréger le débat. Comme les observations que je voulais soumettre à la Chambre ont été en grande partie présentées par mon honorable ami M. Manilius, je n'y ajouterai rien. Je suis persuadé que la Chambre est convaincue de la nécessité de laisser entrer le riz.

Permettez-moi seulement un mot. L'honorable M. Osy, auquel l'honorable M. Manilius a surtout répondu, a fait valoir un argument plus favorable que contraire à la proposition de la section centrale.

L'honorable M. Osy vous a dit, messieurs, que nous sommes en présence de l'arrivage probable de très grandes quantités de riz. Eh bien, je bénirais la Providence si la chose pouvait se réaliser, mais je ne suis pas sans crainte à cet égard : on nous a dit qu'il y a ici un stock considérable ; eh bien, le commerce n'a pas l'habitude d'envoyer des marchandise là où il y a déjà de grands approvisionnements.

Je bornerai là, messieurs, mes observations, pour ne pas prolonger la discussion.

M. Moreau. - Peu de mots, messieurs, suffiront pour justifier mon amendement. Vous aurez remarqué que les pommes de terre ne sont pas comprises dans l'article premier parmi les denrées alimentaires qui sont déclarées libres à l'entrée.

(page 143) Cependant, elles sont encore aujourd'hui assujetties à un droit de 10 c. par hectolitre en principal, pesant 64 kil.

Ce droit n'est pas sans doute très élevé, cependant il est entré en Belgique pendant l'année dernière 102,286 hectolitres de pommes de terre pour lesquelles on a payé 10,229 fr. non compris les additionnels.

Vous voudrez bien remarquer que 10 c. par hectolitre font environ 2 p. c. à la valeur.

Car si ce légume se vend en Hollande 9 à 10 fr. les 100 kil. l'hect. ou 64 kil. vaudra 5 fr. 76 et 2 p. c. de cette somme font 11 c. un peu plus équivalent au droit d'entrée en tenant compte des centimes additionnels.

Or, messieurs, il me paraît juste d'abolir ce droit d'entrée de 2 p. c. alors que nous allons supprimer le droit d'environ 2 1/2 p. c qui pèse sur le froment à son entrée.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, c'est dans l'intérêt du trésor que le gouvernement s'oppose à la libre entrée du riz. Le principal argument qu'il met en avant consiste à dire que le droit sur le riz n'affecte pas le prix de cette denrée dans une proportion assez forte pour que le trésor se soumette à la perte qui résulterait de la libre entrée. Cet argument, messieurs, se rapporte à toutes les denrées en général ; pour le froment et pour le seigle le faible droit qui existe sur ces denrées ne peut pas non plus affecter notablement les prix. Je crois donc que pour être logique jusqu'au bout, il faut admettre la libre entrée pour toutes les denrées qui peuvent servir à l'alimentation publique.

La section centrale a envisagé la question sous ce point de vue et c'est pour ce motif qu'elle a admis le riz en franchise de droits.

En ce qui concerne, messieurs, le deuxième paragraphe de l'article, l'opinion de la section centrale est que toutes les viandes salées ou non salées entrent en franchise de droits ; si maintenant, d'après les explications fournies tantôt par l'honorable M. Manilius, il pouvait résulter de la rédaction de la section centrale que certaines viandes seraient de nouveau soumises au droit, il est évident que cette rédaction devrait être changée.

Je crois que, dans tous les cas, il vaudrait mieux dire : « Continueront à être libres à l'entrée toutes les viandes indistinctement. » Le lard est aussi une viande, et je crois que, de cette manière, il n'y aurait plus aucune équivoque.

Quant aux pommes de terre, la section centrale n'y a pas fait attention, parce que l'importation n'en est pas grande ; toutefois si la Chambre adoptait la franchise de droits pour toutes les autres denrées, à plus forte raison devrait-elle l'adopter pour les pommes de terre. J'appuie donc, sous ce rapport, l'amendement présenté par l'honorable M. Manilius.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je déclare me rallier a l'imendement qui consiste à étendre la libre entrés aux pommes de terre. L'attention du gouvernement, pas plus que celle de la section centrale et de la Chambre, n'a été attirée sur cet objet, parce que l'importation des pommes de terre est sans grande importance.

Quant au dernier paragraphe, je ne vois pas d'inconvénient à en généraliser les expressions ; cependant, comme je n'ai pas le tarif sous les yeux, je ne sais pas si une modification quelconque dans la rédaction est nécessaire. Comme il y a un deuxième vote, si je m'aperçois d'ici là que la rédaction laisse à désirer, j'en avertirai la Chambre et on pourra y revenir,

En ce qui concerne les riz, messieurs, je ne puis que répéter ce qu'a dit l'honorable M. Osy. Il paraît que ce qu'il a dit des arrivages attendus a été très mal compris par l'honorable M. Delehaye. Voici ce dont il s'agit. A l'heure ou nous sommes il y a, partis des Indes orientales, et devant arriver à Anvers sous peu de jours, plusieurs navires chargés de riz ; et, bien que ces navires ne doivent arriver qu'à la fin de novembre ou au commencement de décembre, ils jouiront de la franchise des droits, d'après la loi du 31 décembre, parce qu'elle porte que tous les navires partis des lieux de production avant le 31 juillet jouissent de la libre entrée.

Par conséquent, outre les riz qui sont déjà dans le pays, jouiront encore de la franchise des droits tous ceux qui sont actuellement en mer en destination de la Belgique. Eh bien, messieurs, tous ces riz formeront un approvisionnement pour plus de deux ans, de telle sorte que la loi votée l'année dernière impose au trésor un sacrifice, non pas de 400,000 fr., mais de 900,000 fr.

Maintenant, messieurs, quel a été le résultat de ce sacrifice pour le consommateur ? Le consommateur a-t-il payé le riz moins cher ? Nullement ; le prix du riz n'a pas baissé d'un centime.

Voici ce qui est arrivé : le gouvernement qui prévoyait le résultat n'avait pas compris le riz dans le projet, l'année dernière, comme il ne l'y a pas compris cette année, c'est la section centrale qui l'a ajouté ; eh bien, dès qu'on a appris à Anvers que le riz avait des chances d'être exempt de droits, tout le riz qui était en entrepôt a commencé à hausser et lorsque la loi fut votée le riz qui se trouvait en entrepôt avait atteint le prix de celui qui était déjà en consommation. Aussi un négociant honnête m'a dit le lendemain du vote de la Chambre qu'on lui avait voté une récompense de 65,000 fr. pour sa part. Voilà les cadeaux qu'on a faits à MM. tel et tel ; mais le consommateur n'y a eu aucune part ; il en sera encore de même cette année si la Chambre adopte la proposition.

Maintenant, messieurs, voulez-vous le faire, vous en êtes libres, mais veuillez-vous souvenir qu'il faudra un peu plus tôt ou un peu plus tard, remplir le vide que vous aurez fait dans la caisse du trésor public.

M. Manilius. - Messieurs, vous venez d'entendre l'appréciation que fait M. le ministre des finances des effets produits par l'amendement de la section centrale de 1853. Mais, messieurs, cela était inévitable ; il n'était pas possible qu'il en fût autrement : dans quelle position étiez-vous ? Vous étiez devant la disette, comme aujourd'hui, et pis même, car pour le froment il y avait un énorme manquant ; on disait que la famine était en quelque sorte inévitable.

Eh bien, tous les négociants qui avaient fait venir du riz des Indes et même de la Hollande et de l'Angleterre, tenaient ce riz en entrepôt. Y a-t-il quelque chose de plus simple ? Nous tous, si nous avions en entrepôt des marchandises quelconques dont vous sollicitez la libre entrée, nous tiendrions ces marchandises en entrepôt jusqu'à ce que la libre entrée fût décrétée.

Cela est tout simple, tout naturel.

En décrétant la libre entrée, que voulez-vous faire ? Voulez-vous ruiner ou enrichir quelqu'un ? Vous ne songez ni à l'une ni à l'autre de ces choses ; que voulez-vous ? Vous voulez donner abondamment des aliments au peuple ; moi, auteur de l'amendement dans ma section, reproduit à la section centrale qui l'a adopté, nous voulons qu'une grande quantité d'aliments soit disponible sans payer 20 p. c. de droit. On ne tient pas assez compte de ce qu'on a dit dans les sections, dans la section centrale et dans cette enceinte. Voulons-nous priver le trésor public du payement d'un droit sur des objets qui peuvent supporter une taxe ? Nullement. Il n'y a pas que le riz des Indes qui entre dans le pays ; si l'on croit que le riz de la Caroline, destiné aux classes riches, doive contribuer dans les recettes du budget des voies et moyens, doit payer un double, même un triple droit, nous ne nous y opposons pas ; c'est un riz qui est estimé à la double valeur dans la statistique officielle ; cette statistique vous fait voir qu'il y a des espèces de riz taxés à la valeur de 60 centimes le kilog., tandis que le riz auquel je fais allusion est évalué à 33 centimes ; c'est ce riz que vous frapperiez de 20 p. c.

Mais que va-t-il arriver ? Pendant un mois ou six semaines, il doit encore nous arriver des navires qui profiteront de la faveur décrétée par la loi sur les denrées alimentaires de décembre 1853 ; dans deux on trois mois, d'autres navires arriveront ; que ferez-vous de ces navires ? Vous leur ferez payer 20 p. c. comme ne pouvant plus profiter du régime de la libre entrée.

Mais alors les propriétaires des riz qui sont entrés peu auparavant, indemnes de droit, diront : Nous maintenons nos prix au même taux, car nous n'avons pas de concurrents ; les ris qui sont entrés après les nôtres vont être rançonnés ; ils vont payer 20 p. c, est ce clair ?

Oui, si vous exigez le droit de 20 p. c. pour les riz qui doivent entrer en dehors du régime du 31 décembre 1853, vous invitez par là-même les spéculateurs à être prudents et à maintenir les mêmes prix ; mais si vous accordez l'exemption du droit aux riz qui vont entrer, les propriétaires des 34 millions importés avec privilège et qui ne sont pas sortis du pays, diront alors : « Prenons garde ! au lieu de gagner de l'argent, nous pourrions bien en perdre. » Et on vendra à des prix raisonnables.

Malgré les dires de M. le ministre des finances qui ne sont que la reproduction des dires de l'honorable M. Osy, lesquels ne sont que la reproduction de ce qu'on lui a écrit d'Anvers, on ne peut contester logiquement mon raisonnement : le génie du commerce, c'est de conserver les riz qui n'ont pas payé de droit, pour les vendre après qu'on aura fait payer le droit au riz qui est entré en dehors du régime de faveur. Cela est incontestable.

M. Vilain XIIII. - Voilà le malheur de changer tous les ans le tarif.

M. Osy. - Messieurs, l'honorable M. Manilius confond deux choses : le riz de la Caroline destiné aux classes riches, et le riz des Indes destiné à l'usage de la bourgeoisie et du peuple. Il y a quelques années, la bourgeoisie et le peuple consommaient peu de riz ; depuis, la consommation a augmenté, on a importé cette année 39 millions de kilog. et l'on n'en a exporté que 5 millions ; il est impossible que les 34 millions restants soient consommés ; je suis persuadé qu'à la fin de l'année il restera au moins 14 millions. Ajoutez-y les navires partis de l'Inde avant le 31 juillet, cela donnera encore 15 à 16 millions ; au printemps il arrivera quelques navires qui payeront le droit ; eh bien, j'ai parlé à des négociants qui sont importateurs et armateurs, et qui ont des moulins ; ils m'ont dit : « Voulez-vous nous faire des cadeaux, ôtez le droit et nous en serons charmés. » Des hommes dont tout le monde reconnaît la franchise, qui n'on en vue que les intérêts du pays, qui ne sont nullement intéressés à m'induire en erreur ; ces hommes ont été unanimes pour me dire : « Otez le droit, et le riz ne baissera pas d'un centime. »

L'honorable M. Manilius parle de droits exorbitants. Quel est le prix du riz pelé de l'Inde ? de 10 3/4 à 11 5,4 par 50 kil. ; quel est maintenant le droit ? trois centimes avec les additionnels par kilogramme.

Je répète que jamais on n'a envoyé de Belgique et d'Angleterre autant de navires aux Indes pour chercher du riz que depuis quelque temps ; ces navires, partis en septembre ou en octobre, arriveront dans les premiers mois de 1855 ; tenez compte ensuite de ce qui se trouve encore dans le pays et de ce qui doit encore entrer indemne de droit, vous, avez du riz pour la consommation en 1856 et en 1857.

(page 144) M. David. - Tant mieux ! '

M. Osy. - Maintenant voulez-vous que le riz soit indemne de droit en 1856 et en 1857 ? Je ne m'y oppose pas.

Je vous engage de nouveau à ne pas perdre de vue que sans utilité vous imposerez au trésor un surcroît de sacrifices de 12,000 mille francs que vous devrez couvrir au moyen d'impôts nouveaux, et vous savez avec quelle peine on parvient à les obtenir. Soyons prudents, ne nous exposons pas à devoir en demander.

- Plusieurs voix. - La clôture !

M. Manilius. - M. Osy m'a répondu en répétant ce qu'il avait déjà dit ; je pourrais en faire autant : ce serait interminable, car je ne puis qu'opposer ce que je crois la vérité à un langage qui n'est que spécieux.

- La clôture est prononcée.

L'amendement de la section centrale consistant à ajouter le riz aux denrées dont l'entrée est déclarée libre est d'abord mis aux voix. Il est adopté.

L'amendement proposé par M. Moreau, consistant à ajouter « les pommes de terre » après le mot « biscuit », auquel le gouvernement s'est rallié, est ensuite mis aux voix et adopté.

Le paragraphe premier amendé est ensuite adopté.

M. Manilius a proposer de rédiger comme suit le paragraphe 2 : » Sont également libres à l'entrée les lards et viandes de toute espèce. »

Le gouvernement se rallie à cette proposition, sauf rédaction.

La proposition est adoptée.

L'ensemble de l'article premier, tel qu'il a été amendé, est ensuite adopté.

Article 2

« Art. 2. Les pommes de terre et leur fécule sont prohibées à la sortie. »

M. le président. - Le gouvernement consent à ce qu'on y ajoute le seigle et la farine de seigle.

La section centrale va plus loin, elle propose de prohiber également la sortie du froment et de la farine de froment.

M. Dumortier propose l'amendement suivant :

« Les céréales et leurs farines, les pommes de terre et leur fécule sont prohibées à la sortie. »

M. Boulez a proposé d'ajouter à l'amendement de M. Dumortier : « les féveroles, les pois et les haricots. »

M. Vilain XIIII propose à l'article 2 un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« S'il est constaté que pendant deux décades successives, les quantités de froment exportées dépassent les quantités importées, la prohibition du froment à la sortie sera proclamée par arrêté royal qui sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

Le gouvernement déclare maintenir son projet.

M. Delehaye. - Je prie la Chambre d'être bien convaincue que, dans l'examen de cet article, je ne veux en aucune manière faire intervenir des principes d'économie politique ; je me mets en présence des difficultés du moment, de l'état de souffrance, je ne dirai pas seulement de la classe ouvrière, mais encore de la classe moyenne tout entière ; comme les mesures qui seront prises à raison de ces circonstances, on pourrait vouloir les maintenir quand ces circonstances auraient cessé, je prie la Chambre de ne pas invoquer plus tard contre moi les opinions que je pourrai émettre aujourd'hui, si on voulait les appliquer à des circonstances normales ; car je les émets dans des circonstances anomales.

Je viens appuyer la prohibition demandée par tous les amendements qui sont proposés. Je pars de ce principe, que pour calmer les craintes de la classe ouvrière et de toute la petite bourgeoisie, il faut conserver dans le pays la masse de denrées alimentaires qu'il possède. Pour prohiber la sortie du seigle, nous sommes généralement d'accord ; le gouvernement y consent, la section centrale le propose, toutes les pétitions qui vous sont adressées le demandent également. Mais quelles sont les considérations qu'on peut faire valoir à l'appui de la prohibition de la sortie du seigle qui ne soient applicables au froment ?

Je vais plus loin, si vous considérez les rapports que les céréales ont entre elles vous devez reconnaître que la prohibition de la sortie du seigle serait un non sens si vous ne preniez pas la même mesure à l'égard du froment.

Vous voulez que les froments sortent ou puissent sortir ; j'admets que vos prévisions se réalisent, que les prix soient plus bas en Belgique qu'en Hollande et ailleurs, on voudra vous les enlever, la conséquence sera la hausse du prix du froment restant dont la quantité sera diminuée.

Parce que la classe ouvrière consomme du seigle, vous croyez qu'elle n'aura pas à en souffrir ! mais la classe bourgeoise qui, elle aussi, souffre, habituée à consommer du froment elle devra l'abandonner à cause de son haut prix et se rejeter sur le seigle ; par suite le seigle viendra à hausser aussi.

Mais, nous a-t-on dit, la défense de sortie des grains sera un obstacle aux arrivages. Cette opinion a été longuement développée lorsque nous avons examiné la proposition de l'honorable M. Dumortier. Alors je n'ai pas pris la parole pour contester cette argumentation.

Mais en présence des faits qui se sont passés, je dois y répondre. Que vous admettiez ou non la prohibition à la sortie, cela ne fait absolument rien aux arrivages. Avec le système des entrepôts et les facilités de transit, la prohibition de la sortie des grains ne saurait en rien empêcher les arrivages.

Qu'est-ce qui occasionne les arrivages ? Le haut prix des grains.

Si les grains sont plus chers en Belgique qu'en Angleterre et en Hollande, la prohibition de sortie n'empêchera pas le commerce, qui toujours est à l'affût des bénéfices, d'importer les froments disponibles et ainsi d'alimenter nos besoins. Voulez-vous me permettre de citer un exemple ? Quoi qu'on en ait dit, la prohibition de sortie existe momentanément en France. Je sais que c'est en vertu de l'échelle mobile, mais toujours est-il que momentanément les grains ne sortent pas de France.

Les journaux nous ont annoncé que la France, profitant d'une baisse de prix sur les marchés de Dantzick et de Londres, avait fait des approvisionnements sur ces marchés. Quelle en a été la conséquence ? Qu'immédialement le prix des grains a monté à Londres de 5 schellings par quarter, et à Dantzick de 10 florins par last. Qu'est-ce que cela prouve ? Que si l'on permet la sortie du froment et que nos froments soient à plus bas prix qu'en Angleterre et en Allemagne ou en France, la conséquence sera qu'on nous les enlèvera et que les prix hausseront, ce qui serait un résultat contraire à celui que nous voulons atteindre. Voulez-vous que le stock soit considérable et que, comme conséquence, les denrées alimentaires soient à bas prix ? Pour atteindre ce but, prohibez la sortie, car, avec la prohibition,vous êtes certains de conserver ce qu'il y a dans le pays, tandis qu'avec la faculté de sortie, il nous arrivera ce qui est arrivé à Dantzick et à Londres.

Je citerai encore des faits qui sont à la connaissance de l'honorable M. Osy. Il y a quelque temps, le commerce de Londres, aidé du commerce belge, avait importé en Belgique des quantités considérables de froment, mais il y a huit jours, le froment ayant haussé à Londres, une grande partie de ces froments sont retournés d'Anvers à Londres. Je pourrais vous citer la maison qui a fait l'opération ; mais c'est inutile, parce que l'honorable M. Osy connaît parfaitement la maison à laquelle je fais illusion.

Tout à l'heure, un honorable membre disait que l'on faisait à Anvers autant d'affaires qu'en Flandres ? Oui, pour les grains étrangers ; mais pour les grains indigènes le marché d'Anvers n'a aucune importance. Il pâlit à côté de ceux d'Eecloo, de Louvain et d'autres que je pourrais citer. On cite autour de moi une infinité de marchés plus importants que celui d'Anvers. C'est ce que je dis : le marché d'Anvers pour les grains indigènes n'a aucune importance.

Ce que disait l'honorable Dumortier au sujet des achats de grains qui se font dans les Flandres n'est pas tout à fait dénué de fondement. Il est à ma connaissance qu'aujourd'hui toutes nos fermes sont visitées par des marchands de grains. Je ne dirai pas qu'il y a des centaines d'hectolitres d'approvisionnement, ce serait exagéré ; mais ce que je sais, c'est que depuis nombre d'année, les cultivateurs n'avaient battu autant de grains. Pourquoi ? Parce qu'ils voulaient profiter du haut prix.

On me dit qu'ils n'ont pas eu le temps. J'ai passé tout cet été à la campagne, vivement préoccupé de la situation ; j'ai consulté plusieurs bourgmestres, tous m'ont dit qu'en Flandre les cultivateurs ont beaucoup battu et beaucoup vendu. J’en appelle au témoignage de mes collègues des Flandres.

S'il reste encore du grain à battre aux cultivateurs, c'est un bien, car s'ils avaient battu davantage, ils auraient vendu davantage et probablement l'étranger en aurait eu une forte part.

Après vous avoir présenté ces considérations, permettez-moi de vous fuaire des observations sur les propositions qui vous sont soumises.

L'honorable M. Vilain XIIII a fait une proposition qui dénote un excellent sentiment. Il n'a fait qu'obéir à une impulsion généreuse à laquelle nous rendons hommage ; mais il serait facile d'éluder sa proposition. Il y a plus, elle serait très dangereuse.

D'abord qu'il me soit permis de dire comment la proposition serait éludée.

Le commerce des grains en gros se fait en Belgique par un très petit nombre de maisons. Il y a beaucoup d'acheteurs, mais c'est en petit. Tous sont, pour la plupart, des agents de maisons riches et puissantes. Que feront ces maisons ? Elles viendront acheter une grande quantité de froment qu'elles expédieront en Angleterre et en Hollande ; mais il suffira qu'entre ces expéditions elle mette 10 jours d'intervalle pour que votre loi ne puisse lui être appliquée. On expédiera un grand nombre de navires ; dix jours après, on en expédiera d'autres encore ; et l'on étudera ainsi la proposition de l'honorable M. Vilain XIIII.

Il y a plus : la proposition est dangereuse, et si j'étais gouvernement je ne l'accepterais pas, car l'on accusera le gouvernement de faire des statistiques qui n'inspirent aucune confiance.

Rappelez-vous ce qui s'est passé il y a trois semaines, quand on disait qu il y avait des exportations énormes. Le gouvernement, qui savait le contraire, prouva par des chiffres que c'était une erreur, mais presque tous les journaux déclarèrent que sa statistique était défectueuse. On dira donc que le gouvernement falsifie sa statistique, voilà ce qui arrivera incontestablement

Dans cette proposition, il y a des dispositions qui sont sages. Je crois qu'il est bon que le gouvernement instruise le peuple par l'intermédiaire des autorités communales.

Oui, il faut instruire le peuple, mais quelle est la situation de la presse ?. Si je considère celle de ma ville natale, de Gand, je ne vois pas un seul journal qui ne proclame la nécessité de prohiber la sortie de toutes les denrées alimentaires. Remarquez qu'il y a trois semaines, les journaux (page 145) qui professent ces doctrines étaient très rares à Gand. Si les prix allaient encore en augmentant, croyez-vous que la voix du gouvernement serait bien puissante alors que tous les journaux proclameraient la nécessité de prohiber la sortie ?

Je dis donc que la proposition de l'honorable M. Vilain XIIII mettrait le gouvernement dans une position très fausse. Elle n'aurait aucune efficacité, comme telle, je ne saurais y donner mon assentiment.

Messieurs, je, ne veux pas en dire davantage sur ce point. La Chambre, après d'aussi longs débats, doit avoir hâte d'en finir. Pour ma part, je me sens également fatigué. Qu'il me soit cependant permis de faire encore une seule observation. Comme je l'ai dit en commençant, la loi a un caractère provisoire, un caractère accidentel, un caractère exceptionnel. Nous voulons que le peuple, que la classe ouvrière surtout puisse obtenir les denrées alimentaires à bas prix.

Eh bien ! est-ce trop que ce que demande la loi ?

Je me suis demandé, à mon tour, si nous allions assez loin, et je ne me préoccupe pas seulement ici de la classe ouvrière, mais aussi de l'avenir de la Belgique.

Que voyons-nous aujourd'hui ? Nous voyons un fait qui ne s'est jamais produit : c'est que tout notre jeune bétail est exporté pour la France et pour les autres pays. Voyez la statistique. Dans les neuf premiers mois il est sorti 19,968 têtes de bétail âgé de moins de deux ans.

Je sais bien que l'on me dira qu'en présence du haut prix des denrées, le cultivateur préfère vendre son petit bétail que de le nourrir. Cela est vrai. Mais, comme législateurs, nous devons aussi songer à l'avenir.

Eh bien, êtes-vous certains que les étables ne vont pas se dépeupler ? Je n'ai pas la persuasion entière que, plus tard, nous ne nous trouverons pas, par ce fait, dans une position excessivement gênée. Déjà la viande se vend à un prix tel, qu'elle n'est plus de la portée de la classe ouvrière ; ce prix dépasse ses moyens.

Je voudrais que le gouvernement examinât cette question. Je ne fais pas de proposition formelle, parce que, dans des questions de cette importance, il est bon de laisser l'initiative au gouvernement, car le gouvernemeut, en s'occupant de questions de cette nature, prouve ses sympathies pour la classe ouvrière.

Je présenterai une dernière observation ; il s'agit d'une question qui ne se rattache qu'indirectement au projet, mais comme M. le ministre des finances l'a soulevée, je croirais manquer à mon devoir si je ne lui donnais un mot de réponse.

Je vous ai dit que la classe ouvrière n'était pas la seule qui souffrait, que la classe bourgeoise souffrait également.

Cependant, M. le ministre des finances est venu vous dire que si l'on voulait aider la classe ouvrière, il fallait augmenter les salaires.

Messieurs, s'il était possible que l'on augmentât le salaire de l'ouvrier, je serais le premier à y applaudir. Mais le salaire de l'ouvrier est en rapport avec la demande. Quand les demandes sont très grandes et que les bras ne sont pas en rapport avec ces demandes, les salaires augmentent. Mais que nous a-t-on dit souvent ? Que nous ne suivions pas l'exemple d'autres pays où l'industrie est plus avancée, que nous ne luttions pas avec l'Angleterre dans des proportions égales. Or, si nous augmentons encore les salaires, quelle en sera la conséquence ? C'est que la lutte deviendra complètement impossible.

Et savez-vous, messieurs, quelle est la position de la première ville industrielle de la Belgique ? C'est qu'il y a à Gand un stock effrayant. Je connais des établissements qui ont pour des centaines de mille francs de marchandises fabriquées et qui n'ont pas d'écoulement.

Que voulez-vous faire dans une situation pareille ? C'est déjà faire preuve d'un bien grand patriotisme et montrer une vive sollicitude pour la classe ouvrière, que de s’exposer à des pertes inévitables, à l'entrée d'un hiver qui peut être rigoureux et lorsque la demande fait défaut, pour donner aux ouvriers un salaire qui leur permette de vivre. Sans doute, si les salaires pouvaient être augmentés, ils le seraient, mais en présence de la situation des magasins et de la concurrence incessante que nous fait l'Angleterre, la chose est devenue impossible.

Messieurs, je me résume. Je voterai pour toutes les propositions qui tendront à conserver dans le pays la plus grande quantité de denrées alimentaires. Je les voterai parce que de cette manière nous apaiserons des craintes déjà très vives et que je désire ne pas voir augmenter.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, si mon tour de parole était arrivé dans la discussion générale, je me serais principalement attaché à répondre au discours qui a été prononcé hier par M. le ministre des finances. Comme la Chambre paraît très impatiente de finir ce débat, je n'entrerai pas dans des considérations générales. Je me bornerai à rencontrer quelques arguments par lesquels M. le ministre des finances a relevé des erreurs qui se trouveraient dans le rapport de la section centrale.

D'abord, M. le ministre des finances dit que la situation de l'Europe, telle qu'elle est présentée dans ce travail par rapport à l'alimentation, n'est pas exacte. Je dois convenir qu'effectivement la prohibition n'est pas décrétée en France, mais par la loi qui régit la matière dans ce pays, elle est un fait accompli dans ce moment. Je ne pense pas que l'exception de l'escale à Bordeaux, dont a parlé M. le ministre, puisse être considérée comme constituant la liberté du commerce ou comme un moyen permanent d'exportation.

D'ailleurs, messieurs, cette situation, telle qu'elle est présentée dans le rapport, est prise dans les documents qui nous ont été remis comme annexes au projet de loi. En lisant les lettres qui ont été adressées au gouvernement par nos consuls à l'étranger, vous vous convaincrez aisément que les termes mêmes du rapport ont été, pour ainsi dire, empruntées à ces documents.

Je n'insisterai pas davantage sur ce point.

M. le ministre relève ensuite une erreur de fait : Il dit que le défieït des pommes de terre est de 5,500,000 hectolit. au lieu de 4,500,000. En revoyant le rapport, ce matin, je remarque que cette erreur, causée par la précipitation avec laquelle j'ai été obligé de faire ce travail, est réelle ; j'ai même remarqué qu'il y avait une deuxième erreur ; elle se trouve dans la réduction de cette quantité en valeur de froment 5,500,000 hectolitres de pommes de terre égalant 660,000 hect. de blé ; et le rapport l'évaluant à 690,000, le résultat auquel arrive la section centrale n'est pas atténué par l'observation de M. le ministre.

Maintenant, messieurs, j'arrive à un autre argument. Je le reconnais, celui-ci m'a frappe au premier abord : « La consommation anticipée, dit M. le ministre, faite sur la récolte de 1854, comparée à la consommation de l'époque correspondante de l'année dernière, doit être évaluée à trois mois de consommation, et produire conséquemment 700,000 à 800,000 hectolitres de déficit dans la dernière récolte. »

Je crois que ce sont là les termes dont s'est servi M. le ministre des finances. Si cela était vrai, messieurs, il est positif que le déficit serait considérable.

Ici, je demanderai d'abord comment il se fait qu'en 1849, les exportations aient dépassé les importations alors que le rendement de la récolte de 1848 est évalué pour le froment à 20 h. 76 l., pour le seigle à 20 h. 72 l. par hectare, tandis que le rendement actuel est de 23 h. 03 l. pour le premier de 25 h. 46 pour le seigle ? Messieurs, une disette bien plus affreuse que celle de 1853-1854 a affligé le pays en 1846-1847. Lors de la récolte de 1847, nos approvisionnements étaient au moins aussi fortement épuisés qu'en 1854.

Partant donc d'une époque où il n'y avait plus d'approvisionnements,. et m'arrêtant à une autre époque où il n'en existe plus, je puis calculer la consommation annuelle.

Ainsi, d'après les calculs auxquels je me suis livré et qui sont puisés dans les documents officiels, la consommation moyenne d'une année depuis le 1er août 1847 jusqu'au 31 juillet de cette année, a été en froment, en seigle et en méteil, de 11,338,235 hectolitres ; le déficit annuel du seigle et du froment est de 869,979 hectolitres ; et, comparativement au produit des pommes de terre pendant les 7 dernières années, il y a dans la récolte actuelle un déficit, réduit en valeur de froment, de 390,000 hect.

Donc, la consommation annuelle a été pour les sept dernières années de 12,208,214 hect, exportations déduites des importations ; et, en y ajoutant le déficit des pommes de terre, les besoins de cette année doivent être évalués à 12,648,214 hect. La récolte actuelle, telle qu'elle est renseignée par le gouvernement, est de 13,200,000 hectolitres. Ce fait bien établi, je puis dire avec assurance que la récolte actuelle doit suffire largement pour nourrir la population belge pendant plus d'une année.

On a argumenté, messieurs, de ce que la prohibition à la sortie serait un obstacle à l'importation.

L'honorable M. Delehaye vient de vous dire que cet obstacle n'existait pas. En 1846, encore une fois, nous vivions sous le régime de la prohibition ; elle avait été décrétée en 1845 et prolongée successivement jusqu'en 1847. Ce régime, messieurs, n'a pas empêché les importations en 1846. Ce qui en est une preuve, c'est que nos importations de froment en 1846 ont été de 128,000,000 de kilg., celles de seigle de 39,000,000 de kilog., nos importations d'orge, d'escourgeon, de sarrasin, de maïs, de pois et fèves, d'avoine, de pommes de terre, de farine, son, etc. de 53,000,000 de kil., ensemble, 220,000,000 de kil. (Interruption.)

Je n'entends pas l'interruption ; mais si elle se rapporte au prix, celui-ci a été, au mois d'avril 1847, de 41 francs pour le froment, si ma mémoire ne me fait pas défaut ; et savez-vous pourquoi, messieurs ? Précisément parce que la même hausse s'est produite sur d'autres marchés ; qu'on avait acheté tous les grains qui se trouvaient dans nos entrepôts ; et que, dès lors, on se trouvait sous l'influence d'une panique qui a bientôt fait place à une certaine sécurité ; mais nullement parce que les importations avaient fait défaut ; car, en 1846 et 1847, nous avons importé, proportion gardée, autant qu'en 1853.

Ainsi, messieurs, vous voyez d'une part, que la récolte suffira amplement à nos besoins ; d'autre part, que les importations ne pourront pas avoir lieu dans une mesure assez forte pour combler notre déficit.

J'ajoute que l'Angleterre, qui doit recevoir annuellement 5 millions de quarters de grains étrangers voit déjà aujourd'hui considérablement augmenter les prix, faute d'arrivages.

Vous n'avez qu'à jeter les yeux sur les avis de Londres et de Liverpool, vous y verrez que le froment, qui seg endait il y a quelque temps à 75 schellings est aujourd'hui à 80 schellings, ce qui fait plus de 35 fr. par hectolitre.

Si l'Angleterre ne peut pas recevoir ces blés des pays où elle faisait ordinairement ses approvisionnements, il est évident qu'elle devra les acheter partout où elle pourra en trouver ; eh bien, pour peu que les prix y augmentent encore, elle viendra s'approvisionner en Belgique et produira ainsi de nouvelles hausses sur nos marchés.

(page 146) Messieurs, si nous ne nous trouvions pas dans une situation anomale, extraordinairemenl exceptionnelle, je ne me prononcerais, pas pour la prohibition qui est une mesure extrême ; mais je tiens compte des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. J'aurais encore bien des observations à présenter, mais je ne veux pas abuser de la patience de la Chambre.

- La clôture est demandée.

M. de Naeyer, rapporteur. - Comme la Chambre paraît très impatiente d'en finir, je n'insisterai pas pour que la discussion continue ; je tiens seulement à constater que j'étais inscrit pour motiver mon vote qui sera contraire à la prohibition.

M. Malou. - Je regrette qu'on ne veuille pas remettre à demain...

- Plusieurs membres. - Non non !

M. Malou. - Il m'est permis sans doute de dire que je regrette qu'on ne veuille pas remettre à demain la suite de ce débat, parce que ce débat n'est pas épuisé et qu'il est utile à l'opinion publique de le prolonger un peu. Nous trouverons des heures pour nous livrer à des dissertations métaphysiques sur l'étendue de l'indépendance du pouvoir civil... (Interruption.) Messieurs, examinons ce qui doit être fait et disons aussi au pays ce qui doit être dit, consacrons à cela une heure ou deux demain, ce sera du temps très bien employé.

M. Prévinaire. - Je crois aussi qu'il est utile de continuer cette discussion. Je prie la Chambre de remarquer une circonstance, c'est que les seuls arguments qui aient été produits jusqu'ici sont des arguments en faveur de la prohibition.

Je ne veux pas entrer dans la discussion, je dirai seulement que nous recherchons tous le même but. Il y a à produire des arguments importants en faveur de la liberté commerciale ; il est essentiel que tous les arguments puissent être présentés dans une discussion aussi sérieuse. On a émis des assertions d'une nature dangereuse sur le commerce inférieur des céréales. Il importe de les relever. Je demande donc que la discussion continue.

M. Orts (sur la clôture). - Je veux répondre seulement deux mots à une observation qui a déjà été présentée trois fois dans cette discussion. Si l'on insiste sur certains bancs pour demander la clôture, ce n'est pas qu'on recule devant ce débat plutôt que devant un autre, mais, au début de cette discussion, un membre qui, certes, ne doit pas être considéré comme un adversaire des opinions de l'honorable M. Malou, a dit avec beaucoup de raison que ce que le pays attendait en cette matière, ce n'étaient pas des discours, mais des faits.

M. Coomans (sur la clôture). - Messieurs, aucun des membres qui n'approuvent pas les conclusions très étendues de la section centrale, n'a pris encore part à ces débats. Depuis plusieurs mois, on nous accuse, nous, qui voulons maintenir la liberté du commerce, on nous accuse de manquer de patriotisme, d'être des partisans fanatiques de théories.

Depuis plusieurs semaines, on égare l'opinion publique, et aucun de nous n'a encore défendu ce qu'il croit à la fois juste, utile et bon. C'est de la Chambre, sans doute, que la nation peut attendre le plus de lumières dans ce débat, et à peine est-il ouvert qu'on veut le clore !

Je demande que la discussion continue encore pendant un jour. Le Sénat, du reste, n'est pas réuni.

M. de Mérode (sur la clôture). - On vient de dire que le pays attendait de nous autre chose que des paroles et qu'il faut des résolutions ; mais pour prendre des résolutions, il faut avoir ou le temps de débattre sérieusement la question dont il s'agit. Je ne suis pas suffisamment éclairé encore, quant à moi, sur la résolution qu'il convient de prendre.

Nous n'avons consacré que deux petites séances du soir à une discussion si importante, tandis qu'on passe des journées entières à discuter des choses qui ont déjà été discutées dix fois. Je demande que le débat sur la loi des denrées alimentaires continue.

M. Verhaegen (sur la clôture). - Moi aussi, messieurs, j'aurais désiré prendre part à cette discussion, pour motiver mon vote qui sera favorable à la prohibition.

Nous devons avoir un second vote ; si la discussion se prolonge, ce second vote ne pourra avoir lieu que dans quelques jours, et cependant l'objet est de la plus grande urgence. Les observations qui se font jour, je les ai faites avant la discussion de l'adresse ; j'ai fait remarquer qu'on viendrait nous dire alors que nous consacrions un temps inutile à d'autres discussions ; on n'a pas voulu faire droit à mon observation, et je constate que ce que j'ai prévu est arrivé.

Au reste, les opinions sur la question qui s'agite sont faites, l'urgence est extrême, et la Chambre peut prendre une résolution aujourd'hui.

M. Dumortier (sur la clôture). - Je regrette de n'être pas d'accord en ce moment avec quelques-uns de mes honorables amis ; mais il est une circonstance que ces amis ignorent, c'est que le Sénat est convoqué pour mardi prochain, à l'effet d'examiner la loi que nous discutons. Or, comme il doit y avoir un second vote, comment voulez-vous, si on prolonge encore la discussion, avoir fini l'examen de cette loi si urgente, assez à temps pour que le Sénat puisse l'examiner à son tour mardi prochain ?

M. Lesoinne (sur la clôture). - Messieurs, c'est parce que la résolution que vous allez prendre peut exercer une influence fatale sur le pays que nous demandons que la discussion se prolonge.

La question des représailles n'a pas été traitée ; elle est cependant importante, car si les pays voisins allaient décréter à leur tour la prohibition, prenaient des représailles à notre égard, une grande partie du pays serait exposée à mourir de faim.

M. Malou (sur la clôture). - Messieurs, je ne me suis pas plaint de la longueur des séances du matin consacrées à l'important problème qu'on discute ; mais je demande que l'on consacre encore un peu de temps à la discussion de la loi sur les denrées alimentaires, et nous pouvons le faire sans nuire à aucun intérêt. Ainsi, nous pouvons remettre la suite de la discussion à demain, évidemment nous l'épuiserons demain et nous resterons dans les termes du règlement ; nous fixerons le second vote, à lundi et la loi sera votée pour le jour où le Sénat se réunit.

C'est ce que je demande à la Chambre, dans sa justice, de vouloir bien faire.

- La Chambre consultée ne ferme pas la discussion.

Ordre des travaux de la chambre

M. Frère-Orban. - Je demande que la discussion soit reprise demain à M. heures, et qu'ensuite la Chambre reprenne le projet d'adresse.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je pense que la Chambre doit s'en tenir à la décision qu'elle a prise, dans une séance précédente, par un sentiment de convenance. Je pense qu'il serait sans exemple qu'un parlement laissât sans réponse un discours du trône, pour s'occuper d'abord d'une loi, quelque urgente qu'elle pût être.

Il y a moyen de concilier les deux opinions ; qu'on reprenne demain, à l'ouverture de la séance à 11 heures, la discussion du projet d'adresse, et immédiatement après celle de la loi sur les denrées alimentaires.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne vois aucune question de convenance dans cette alfaire. Les débats sont ouverts, il s'agit d'un vote à émettre par la Chambre ; la Chambre se prononcera sur la loi des denrées alimentaires, et puis continuera la discussion du projet d'adresse. C'est une marche tout à fait conforme aux convenances. D'ailleurs le motif pour lequel il y aurait une suspension de la discussion du projet d'adresse, serait, au contraire, de nature à satisfaire aux convenances : il s'agirait avant tout des intérêts du peuple.

- La proposition de M. Frère-Orban est adoptée.

La séance est levée à 11 heures.