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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 novembre 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Anspach, doyen d'âge.),

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 25) M. Janssens fait l'appel nominal à 2 heures.

M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance précédente : la rédaction en est approuvée.

M. de Liedekerke, admis comme membre de la Chambre dans une précédente séance, prête serment.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement d'Anvers

M. Moreau. - Messieurs, ayant fait partie de la minorité de votre première commission qui a été chargée de vérifier les pouvoirs du cinquième député élu par l'arrondissement d'Anvers, je viens vous présenter brièvement les motifs qui m'ont empêché d'adopter les conclusions de cette commission.

La question principale, messieurs, que vous avez à examiner, est celle de savoir si, en regardant comme fondés les griefs allégués par les réclamants, M. Dellafaille, qui n'a obtenu que deux voix de plus que M. de Cock, a pu être valablement soumis au scrutin de ballottage.

Pour la résoudre, messieurs, il faut recourir aux dispositions des articles 35 et 36 de la loi électorale.

« Art. 35. Nul n'est élu au premier tour de scrutin ne réunit plus de la moitié des voix. »

« Art. 36. Si tous les députés à élire dans le district n'ont pas été nommés au premier tour de scrutin, le bureau fait une liste des personnes qui ont obtenu le plus de voix. Cette liste contient deux fois autant de noms qu'il y a encore de députés à élire, etc. »

Que veut donc la loi ? Elle veut qu'au premier tour de scrutin le candidat réunisse d'une manière claire, précise et non douteuse la majorité réelle du collège électoral, à tel point que si des irrégularités font planer des doutes sur l'existence de cette majorité, on ne compte pas à l'élu les suffrages incertains, mais qu'on le renvoie devant le corps électoral ; telle est la jurisprudence de la Chambre.

Qu'exige maintenant la loi quand un second tour de scrutin est nécessaire ?

Elle prescrit de présenter pour le ballottage, les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix, non pas les candidats qui ont eu le nombre de voix le plus élevé d'une manière douteuse ou incertaine, mais ceux qui, en réalité, ont réuni le plus de suffrages valables.

Les motifs qui ont dicté ces dispositions sont faciles à saisir. Dans le premier comme dans le second cas, il faut qu'il apparaisse suffisamment que le député représente avec une incontestable sincérité, soit la majorité absolue, soit la majorité relative de son collège.

S'il est nécessaire pour être admis dans cette Chambre d'avoir obtenu une majorité non contestée, pourquoi y introduiriez-vous celui auquel seulement une majorité douteuse aurait conféré une qualité essentielle pour le rendre apte à être élu ?

Pourquoi, alors qu'il est loin d'être certain que M. Dellafaille ait eu plus de voix que M. de Cock, le déclareriez-vous seul apte, à l'exclusion de M. de Cock, à être soumis au scrutin de ballottage ?

Pourriez-vous prendre semblable décision sans violer ouvertement la loi qui veut que ce soient les candidats qui ont réellement obtenu le plus de voix que l'on ballotte ?

Et cependant que feriez-vous en validant le deuxième tour de scrutin qui a eu lieu à Anvers, si ce n'est affirmer en âme et conscience qu'il n'y a pas le moindre doute que les prescriptions de la loi ont été observées, ou, en d'autres termes, que le nombre des suffrages obtenus par M. Dellafaille est supérieur à celui des voix données à M. de Cock ?

Il faut nécessairement que vous alliez jusque-là pour adopter les conclusions de la commission.

Pour qu'il y ait élection, il doit y avoir certitude. Or, elle n'existe pas ici, il ne peut y avoir que présomption vague, et toute présomption, fût-elle même la plus forte, est insuffisante pour rendre une élection valable.

Mais, dit-on, comme il y a incertitude sur le point de savoir à quels candidals les suffrages frappés de nullité ont été donnés, il est juste de les décompter aussi bien à M. de Cock qu'à M. Dellafaille. Or, en opérant de cette manière, ce dernier conservera la majorité relative.

Oui, en opérant ainsi, M. Dellafaille conservera en tout cas la majorité relative, y eût-il sur les 2,247 voix qu'il a eues, 1,000 suffrages même entachés de nullité, voire même 2,246.

Mais ce mode de procéder serait évidemment erroné, injuste et impossible.

Pour appuyer ce système, messieurs, on se fonde sur une erreur palpable. Quand des irrégularités rendent incertaine la portée d'un vote, ou bien quand on ignore pour qui a voté un électeur incapable, on ne déduit pas le ou les suffrages à chacun des candidats, par la raison bien simple qu'une défalcation générale aurait souvent pour conséquence de déduire plus de suffrages que ceux exprimés dans le bulletin, ce qui, comme vous le concevez, consacrerait une injustice criante.

Mais que fait-on ? Ce qui est tout autre chose, on n'attribue pas les suffrages douteux à ceux qui en profiteraient pour se créer un titre incertain.

On ne les déduit pas à ceux qui ont obtenu une majorité réelle, non compris ces voix, parce que ces bulletins n'ont pu porter atteinte à la qualité de l'élu, n'ont pu vicier son titre.

Dans le cas dont il s'agit, ne sachant quels votes renfermaient les bulletins nuls, je ne les déduis ni à M. Dellafaille, ni à M. de Cock, mais je dis à ces candidats : Par cela seul qu'il y a incertitude sur le point de savoir à qui il faut les compter, je veux qu'ils ne soient attribués à aucun des deux pour leur créer un titre, pour donner à l'un plutôt qu'à l'autre l'aptitude à être soumis à un ballottage. Je reste dans l'incertitude où m'ont placé les irrégularités signalées et en agissant ainsi, on ne peut me reprocher de commettrez une injustice, ni surtout d'introduire dans la représentation nationale un citoyen qui n'aurait pas obtenu, avec une incontestable sincérité, la majorité exigée impérieusement par l'article 36 de la loi électorale.

J'ai ajouté, messieurs, qu'il y a impossibilité d'opérer comme le demande la majorité de la première commission.

En effet, supposons que dans un collège électoral un citoyen ayant obtenu 12 suffrages doive être ballotté avec un candidat qui en a réuni beaucoup plus, 300 à 400 si vous le voulez, et remarquez que cela peut se présenter même dans de grands collèges électoraux.

Naguère à Liège, si je ne me trompe, un des candidats élu conseiller communal au deuxième tour de scrutin n'avait eu que 12 voix au premier tour.

E3 bien, si 15 bulletins ne sont pas valables, je vous le demande, comment ferez-vous pour déduire 13 suffrages à celui qui n'en a obtenu que 12 ? Comment établirez-vous les éléments nécessaires pour qu'il y ait ballottage ?

Vous voyez donc que le reproche qu'en adresse à notre système, celui de rendre dans certains cas le ballottage impossible, s'applique également au vôtre.

Oui, il peut arriver qu'on se trouve dans l'impossibilité de faire un scrutin de ballottage valable.

Ce cas se présentera encore lorsqu'un des candidals qui devraient être ballottés, serait frappée subitement de mort, ou lorsqu'il serait, par exemple, reconnu être incapable et inéligible, soit parce qu'il est étranger, soit parce qu'il aurait précédemment fait faillite sans être réhabilité.

Cet argument qu'on nous oppose et qui consiste à prétendre qu'il faut admettre M. Dellafaille, parce que, dans certains cas, la loi resterait sans exécution complète, immédiate, n'a, comme vous le voyez, aucune valeur.

La loi est exécutée, lorsqu'elle l'est autant que le permet la puissance de l'homme. Inutile de répéter ici ce vieil adage, qu'à l'impossible nul n'est tenu.

Ainsi, messieurs, si un candidat qui devrait être ballotté, était étranger, s'il lui manquait une des conditions d'éligibilité, soutiendriez-vous que le ballottage est valable, et cela sous le prétexte que la loi doit être exécutée ? Je ne le pense pas. Vous diriez, avec raison, que le choix des électeurs a été illégalement restreint et borné.

Eh bien, ce qui fait défaut à M. Dellafaille, c'est aussi une condition d'éligibilité, c'est celle d'avoir avec certitude réuni la condition indispensable prescrite par l'article 36 de la loi électorale, c'est-à-dire d'avoir eu, d'une manière non douteuse, plus de voix que M. de Cock.

Enfin je me permets de vous demander ce que vous auriez fait si les nullités signalées avaient eu lieu au deuxième tour de scrutin et que M. Dellafaille n'eût encore obtenu que 2 voix de plus que M. de Cock ; auriez -vous admis le premier, en décomptant le même nombre de suffrages aux deux candidats ?

Je dois croire, messieurs, que vous tenez trop à la sincérité du mandat parlementaire pour faire chose semblable, pour ouvrir la porte du parlement à celui qui ne s'y présenterait qu'avec une majorité relative qui pourrait ne pas être l'expression sincère et véritable de la volonté du corps électoral.

Alors pour être conséquents vous ne pouvez déclarer en quelque sorte inviolable, plutôt dans un cas que dans l'autre, la majorité douteuse obtenue par M. Dellafaille.

Si la majorité qu'il a eue n'était pas suffisante pour le faire proclamer représentant, elle ne doit pas l’être davantage pour lui donner la qualité, l'aptitude qu'il devait préalablement avoir afin de pouvoir être appelé à siéger sur ces bancs.

Le vice dont son élection est entachée est donc radical, celle-ci pèche par sa base.

Tel est d'ailleurs l'esprit de notre système électoral.

L'art. 23 de la loi provinciale porte ce qui suit :

« Le nombre des bulletins sera vérifié avant le dépouillement ; s'il est plus grand ou moindre que celui des votants, il en sera fait mention ait procès-verbal.

« Après le dépouillement général, si la différence rend la majorité douteuse au premier tour de scrutin, le bureau principal fait procéder à un scrutin de ballottage.

« Si ce doute existe, lors du scrutin de ballottage, le conseil provincial décide. »

« L'article 34 de la loi communale contient la même disposition.

Si, messieurs, dans les cas prévus par ces dispositions et qui rendent la majorité même relative incertaine, il ne s'agissait, comme on vous (page 26) propose de le faire, que de décompter un même nombre de suffrages à chaque candidat, à quoi servirait-il d'appeler, soit le conseil provincial, soit la députation permanente, à décider ?

Certes, le bureau principal pourrait très bien faire cette défalcation et proclamer immédiatement celui qui a obtenu d'une manière apparente le plus de voix.

Car, dans le système préconisé par la première commission, toute déduction de suffrages nuls, telle qu'il propose de l'opérer, est évidemment inopérante et inefficace.

Les prescriptions de la loi restent sans sanction aucune ; il importe peu que les irrégularités telles que celles qui se sont présentées dans les élections d'Anvers soient ou non nombreuses, le résultat est le même, les fraudes quelles qu'elles soient restent sans répression.

Vous ne consacrerez pas, messieurs, un système aussi monstrueux et pouvant avoir des conséquences semblables.

Vous déciderez que, dans l'incertitude des votes qui ont été émis, vous ne pouvez compter ces voix au candidat qui voudrait s'en prévaloir pour se créer une majorité douteuse et non réelle ; majorité insuffisante pour rendre sincère et valide le mandat parlementaire.

J'ai voulu combattre seulement la solution donnée par votre première commission à la question préalable qu'elle a examinée ; je laisserai à d'autres de mes collègues le soin de vous prouver que les griefs allégués par les pétitionnaires sont constatés par les procès-verbaux des élections et les pièces y annexées et qu'ils suffisent pour faire annuler la cinquième élection d'Anvers.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, quoique ayant été chargé de vous présenter le rapport de la commission sur l'élection dcM. Dellafaille, je n'ai cependant pu me rallier à aucune des deux opinions qui ont été principalement soutenues au sein de cette commission. J'ai dû m'abstenir parce que ma conviction n'était pas formée. Je viens donc, messieurs, non pas vous soumettre une solution, mais vous communiquer mes doutes, désirant ardemment être éclairé par la discussion.

J'ai entendu plusieurs honorables membres dire que la question est extrêmement simple ; mais ce qui m'embarrasse un peu, c'est que ces honorables membres ne sont pas d'accord entre eux : les uns trouvent très simple de valider l'élection, d'autres trouvent extrêmement simple de l'annuler et de faire un nouvel appel aux électeurs.

Je vous avoue franchement, messieurs, que la question ne se présente pas à mon esprit avec ce caractère d'une extrême simplicité. Sur le point de droit surtout, il y a, suivant moi, des difficultés sérieuses qui doivent être examinées d'une manière approfondie, car prenons-y garde, en matière de vérification de pouvoirs surtout, nos décisions forment des précédents et il est désirable, dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, que nos successeurs puissent se conformer à ces précédents.

A proprement parler, il ne s'agit pas, d'après moi, de savoir si M. Dellafaille a été réellement élu ; il s'agit plutôt de savoir s'il était éligible au scrutin de ballottage.

La vérité, la sincérité de l'élection de M. Dellafaille ne sont pas contestées.

Il est impossible de méconnaître qu'il a remporté la victoire dans la lutte électorale qui s'est engagée eutre lui et l'honorable M. Rogier.

Il est impossible de méconnaître que le collège électoral, à une majorité incontestée, a déclaré que le cinquième représentant de l'arrondissement d'Anvers devait être M. Dellafaille et non M. Rogier. Sous ce rapport, nous sommes en présence d'une manifestation du collège électoral, claire, évidente, indubitable, et sur laquelle aucun indice quelconque n'autorise à faire planer le moindre soupçon, soit de fraude, soit d'atteinte portée à la liberté ou au secret des votes. Eh bien, c'est là pour moi un fait très grave et qui impressionne vivement mon esprit.

On a dit avec raison, messieurs, dans une autre séance que nous devons être scrupuleux dans la vérification des pouvoirs, afin que personne ne puisse pénétrer ici sans être revêtu d'un mandat dûment constaté. Celle observation est juste et vraie, je l'admets dans toute sa plénitude. Mais il y a un article dans notre Constitution dont nous devons aussi sérieusement tenir compte parce qu'il forme la pierre angulaire de tout notre édifice politique.

C'est l'article 25 qui est ainsi conçu :

« Tous les pouvoirs émanent de la nation. »

Donc, c'est le peuple qui confère tous les pouvoirs en Belgique, et par conséquent une des atteintes les plus graves qui puissent être portées à la Constitution, ce serait de méconnaître la volonté du peuple, exprimée dans les comices électoraux, en repoussant, par exemple, de cette enceinte celui qui y serait envoyé par le peuple.

Je suppose un moment que l'élection de M. Dellafaille soit annulée, quelle sera la marche à suivre pour compléter la députation d'Anvers ? Ordonnerez-vous un second premier scrutin ou bien un scrutin de ballottage ?

Un second premier scrutin, en d’autres termes, un scrutin où le nombre des candidats ne serait pas limité, ne me paraît guère en harmonie avec notre système électoral.

C'est une manière de voir qui est formellement repoussée par l'honorable M. Delebecque, le savant interprète de nos lois électorales, dont on vous a fait à juste titre l’éloge dans une séance précédente. Ce jurisconsulte distingué prévoit le cas où le premier scrutin a donné une majorité douteuse, si vous voulez, quant aux candidats qui doivent être fournis au ballotage ; eh bien, le moyen qu’il propose pour se tirer de cette difficulté, c'est d'ouvrir un premier scrutin de ballottage, pour le choix des candidats qui seront définitivement ballottés.

M. Orts. - Votre citation est erronée. M. Delebecque dit précisément le contraire.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il s'agissait de l'élection de M. Huveners où la difficulté qui nous occupe en ce moment s'est également présentée.

Toutes les circonstances de cette affaire sont rapportées dans l'ouvrage de M. Delebecque, pages 194 et suivantes, n°805. En résumé il y avait doute sur le point de savoir quel candidat aurait dû être ballotté avec M. Huveners justement à cause de la nullité de certains bulletins compris dans le dépouillement du premier scrutin. Or, dit M. Delebecque, page 196 : « Comme il y avait un doute impossible à trancher par le raisonnement, il était de toute nécessité de faire cesser cette incertitude par un scrutin entre MM. Borreman et Nypels (c'étaient les deux candidats pour lesquels existait le doute), en déclarant en même temps que M. Huveners serait ballotté avec celui des deux qui aurait la pluralité des voix ».

Cela est-il clair ? voilà bien un premier scrutin de ballottage pour former la liste des candidats, pour le scrutin de ballottage définitif.

M. Orts. - Voyez ce que dit M. Delebecque à propos de l'élection de M. Cornéli.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il ne s'agit pas de l'élection de de M. Cornéli ; je m'occupe de l'opinion de M. Delebecque sur l'élection de M. Huveners, où la question qui nous occupe en ce moment s'est réellement présentée, et je vous démontre que l'opinion que j'ai attribuée à M. Delebecque y est exprimée de la manière la plus formelle.

Je dis donc que, suivant cet interprète de nos lois électorales, il faudrait ici ordonner un scrutin de ballottage afin de savoir qui sera définitivement ballotté avec M. Rogier.

Eh bien, je raisonne sur cette supposition ; il y aura donc ballottage entre M. de Cock et M. Dellafaille. Je suppose que M. de Cock l'emporte ; ce sera donc M. de Cock qui sera ballotté avec M. Rogier. Je suppose que la victoire reste à M. Rogier. Trouvez-vous que celui-ci pourra se présenter dans cette enceinte avec un mandat bien certain, bien irréprochable ? Pourra-t-on proclamer avec certitude qu'il est réellement l'élu de l'arrondissement d'Anvers ? J'ai des doutes sérieux à cet égard, car il me semble qu'on pourra dire avec vérité qu'un autre candidat lui a été formellement, incontestablement préféré, lorsque la manifestation de la volonté du peuple avait quelque chose de plus grand, de plus solennel, puisqu'il s'agissait d'élections ordinaires et que l'idée d'une élection en quelque sorte subreptice était alors un véritable non-sens.

Je crois que je viens de soulever la question qui résume toutes les difficultés de droit qui se présentent dans cette affaire. Celle question est celle-ci : Comment doit-on procéder pour donner suite aux opérations électorales, quand tous les rcprésentants à élire n'ont pas réuni plus de la moitié des voix, et que les résultats du premier scrutin laissent subsister quelque doute sur la majorité relative qui doit conférer la qualité d'éligible au scrutin de ballottage ?

Quand ce cas se présente, il n'y a que trois mesures possibles pour compléter le nombre des représentants à élire : ou bien annuler complètement le premier scrutin et décider que c'est à recommencer entièrement sur le même pied qu'au premier scrutin, quant aux candidats qui n'ont pas obtenu la majorité absolue, ou bien suivre la marche proposée par M. Delebecque, c'est-à-dire, pour faire cesser le doute, ouvrir un premier scrutin de ballottage destiné à former la liste des candidats, qui seront définitivement ballottés, ou bien enfin admettre comme candidats au scrutin de ballottage ceux dont la majorité relative, sans présenter un degré de certitude absolu, offre la plus grande probabilité possible. Il n'y a pas de moyen autre que l'un des trois que je viens d'indiquer, si l'on veut sortir de la difficulté.

Discutons chacun de ces trois moyens. Je vous avoue que c'est là ce qui m'embarrasse, pour le moment, je ne sais auquel de ces trois moyens il faut s'attacher.

C'est sur ce point que je veux m'éclairer par la discussion.

Annuler complètement le premier scrutin, cela est-il en harmonie avec notre système électoral ? Notre système électoral est celui-ci : lorsque le premier scrutin n'a pas donné de résultat définitif, il faut, pour compléter la députation, ouvrir un scrutin de ballottage. Le premier scrutin ne vous donne pas de résultat ; eh bien ! pour achever l'œuvre, vous devez avoir un scrutin de ballottage et c'est aussi l'opinion du savant commentateur de nos lois électorales que j'ai cité tout à l'heure ; cette opinion est formelle, incontestable.

La seconde opinion est-elle fondée ? Est-il conforme à notre système d'avoir un premier scrutin de ballottage pour arriver au second ? A cet égard j'ai un doute très grave.

M. de Theux. - C'est contraire à la loi.

M. de Naeyer, rapporteur. - Car nous n'avons pas voulu, pour une même élection, plus de deux espèces de scrutin, le premier scrutin où la majorité doit être absolue, et où le choix est illimité, et un second scrutin où le choix est limité et la majorité relative suffisante.

Je crois même qu'à cet égard il y a une jurisprudence de lâaChambre. Pour une élection de Termonde, on avait, si je ne me trompe, ouvert trois scrutins. Il y avait deux représentants à élire. Un seul avait obtenu la majorité absolue au premier scrutin. Un second candidat avait un nombre de voix approchant très près de la majorité absolue. Puis venaient deux candidats ayant exactement le (page 27) même nombre de voix. Comment faire pour former la liste des candidats pour le scrutin de ballottage ? Le collège électoral de Termonde crut que, comme deux candidats avaient obtenu le même nombre de voix et que la disposition de la loi qui accorde l'avantage au plus âgé, ne s'applique pas formellement à ce cas spécial, il fallait ouvrir un premier scrutin de ballottage pour savoir celui de ces deux candidats qui serait ballotté définitivement avec le candidat ayant obtenu le plus de voix sans avoir la majorité absolue.

Eh bien, cette opération a été annulée par la Chambre, parce que c'était une opération en dehors de la loi, qui n'était pas autorisée par la loi et qui, par suite, ne pouvait pas être admise. Car il ne faut pas perdre de vue que le nombre des scrutins, limité à deux, est fondé sur des considérations très puissantes : c'est qu'il ne faut pas prolonger outre mesure les opérations électorales, afin d'arriver à une véritable manifestation de la volonté des électeurs. Si vous avez des scrutins trop multipliés, en fatiguant un certain nombre d'électeurs qui sont, à juste titre, avares de leur temps, vous donnez gain de cause à ceux qui ont le plus de temps à perdre, et qui cependant sont loin d'être l'expression la plus fidèle de l'opinion du pays.

Le moyen indiqué par l'honorable M. Delebecque pour sortir de cette espèce d'impasse, ne me paraît donc pas en harmonie avec l'ensemble de nos lois électorales.

Resterait ce dernier moyen : ce serait de se contenter, à défaut d'une certitude absolue, d'une très grande probabilité, et je vous avoue que ceci m'embarrasse un peu. On peut dire cependant que dans les choses humaines, à défaut de certitude, il faut bien se guider d'après les probabilités, quand il est nécessairc de marcher en avant et qu'il n'y a pas d'autre moyen d'en sortir sans s'écarter des dispositions de la loi, qui doivent être respectées avant tout, sans porter atteinte aux bases essentielles de notre système électoral.

Cette manière de voir reçoit d'ailleurs plusieurs applications formelles dans notre législation électorale. Les résultats d'un scrutin de ballottage ne sont que des probabilités. Un scrutin de ballottage ne vous donne jamais une certitude pleine et entière que celui qui est envoyé à la Chambre est réellement l'homme qui trouve la plus grande adhésion parmi les électeurs de l'arrondissement, puisque ces électeurs ont été, au moment du scrutin de ballottage, limités dans leur choix.

Ensuite, lorsqu'on accorde le privilège de l'âge en cas d'égalité de voix, ce n'est encore qu'une espèce de présomption, une espèce de probabilité. Car à défaut d'une manifestation de volonté formelle, rien ne prouve avec certitude qu'un arrondissement tient absolument à donner la préférence à un candidat par cela seul qu'il est plus âgé que l'autre. Sous ces différents rapports, j'écouterai attentivement les observations qui pourront être produites dans la discussion avant de me prononcer définitivement.

M. Orts. - Je n'ai que deux mots à dire relativement à la valeur de la citation que tout à l'heure j'ai déclarée inexacte.

Au n°793 de l'ouvrage que vient de citer l'honorable M. de Naeyer, l'honorable M. Delebecque raconte, sans le critiquer ni le contredire, le précédent qui a été posé par la Chambre à l'occasion de l'élection de Termonde. La Chambre a alors condamné le système qui tendrait à faire faire un sous-ballottage préparatoire entre deux personnes avant éventuellement le droit d'être ballottées avec un tiers pour déterminer lequel de ces deux candidats serait ballotté avec celui qui, sans avoir obtenu la majorité absolue, a cependant obtenu plus de voix que les deux autres. Racontant ce précédent, l'honorable M. Delebecque le dit conforme à une circulaire ministérielle et l'appuie.

Si maintenant M. Delebecque a modifié plus loin son opinion, à l'occasion de l'élection de M. Huveners, je n'en suis pas responsable ; il en résulte simplement que l'honorable M. de Naeyer et moi nous avions tous deux raison.

Un mot maintenant sur la question elle-même. Je dirai qu'il faut bien recourir à une élection générale nouvelle ou accepter l'expédient du sous-ballottage que réprouve l'honorable M. de Naeyer, si l'on veut arriver à une solution quelconque et qu'il n'est pas possible d'admettre comme un fait vrai qu'il faille toujours et dans tous les cas recourir au scrutin de ballottage immédiat. Ce cas, le voici : Je suppose deux candidats ayant obtenu le même nombre de suffrages, et nés le même jour.

M. Dumortier. - Et à la même heure.

M. Orts. - L'heure n'est indiquée qu'accidentellement par les actes de naissance ; l'état civil ne constate rien d'authentique à cet égard.

Il faut cependant sortir de la difficulté, et pour cela il n'y a, je le répète, que deux moyens ; ni l'un ni l'autre de ces systèmes n’a été suivi à Anvers.

Il est impossible que la Chambre ordonne de procéder à un scrutin provisoire de ballottage, contrairement à sa jurisprudence de 1841, sans méconnaître l'esprit de notre système électoral. Dans ce système de ballottage n'est qu'un pis aller. Le ballottage sacrifie en définitive en faveur des minorités le droit de la majorité. C'est un expédient, et quand il est possible de rentrer dans la vérité des faits, il vaut mieux abandonner l'expédient.

Je crois donc qu'on ne peut admettre comme une idée parfaitement exacte, l'idée fondamentale du rapport que vous avez entendu et qui consiste à dire : La loi électorale veut qu’il y ait toujours ballotage, sans exception. Une opération principale nouvelle est repoussée par elle.

Quant au point de fait, il n'a été contesté jusqu'ores par personne, il est admis généralement, me semble-t-il, que trois suffrages au moins, dans l'élection d'Anvers, sont susceptibles d'être retirés au candidat qui demande à tirer profit du premier vote.

M. Vilain XIIII. - Je ne veux que donner un éclaircissement et répondre un mot aux dernières paroles de l'honorable M. Orts.

Il dit qu'il est admis sans contestation que trois voix doivent être annulées dans l'élection d'Anvers. La commission n'a pas reconnu du tout que ce fait fût constaté.

La pétition des réclamants contre l'élection d'Anvers disait qu'il n'y avait que six électeurs portant le nom de Devos qui fussent inscrits sur les listes et qu'il y en avait 7 qui avaient voté. La commission ou plutôt M. le rapporteur a eu la complaisance de parcourir toutes les listes électorales de l'arrondissement d'Anvers (et c'était une chose très difficile, car ces listes sont dressées sans ordre alphabétique), eh bien, tous les membres de la commission ont reconnu qu'il y avait 7 individus du nom de Devos portés sur les listes électorales et qu'il n'y avait que 7 individus du nom de Devos ayant voté.

M. Frère-Orban. - Cela ne prouve rien.

M. Vilain XIIII. - Cela prouve qu'il n'y a rien de fondé dans le grief consistant à dire qu'il y a 7 Devos qui ont voté et qu'il n'y en a que 6 qui figurent sur les listes électorales.

Dans un bureau quelques électeurs ont dit : Il y a une même personne qui a répondu deux fois au nom de Louis Devos. Le président lait revenir cet électeur et lui demande : « Avez-vous voté deux fois ?» L'électeur a répondu : Oui.

Voilà tout ce que nous savons, mais le bureau n'a rien décidé, n'a rien constaté. Eh bien, un électeur qui ose voter deux fois pourrait très bien dire qu'il a voté deux fois sans que le fait soit vrai. Je n'ajoute aucune foi à la déclaration de cet électeur, et je crois que la Chambre ne doit lui accorder aucune espèce de confiance.

Voilà donc un des suffrages qu'on nous présente comme nuls et dont la Chambre ne peut, en aucune manière, admettre la réalité.

En second lieu il est très contestable, comme on peut le vérifier par le rapport de l'honorable M. de Naeyer, qu'il se soit trouvé un vote en plus dans le quatrième bureau. Cela est très contestable, cela n'est pas certain ; il n'y a véritablement qu'un seul vote en moins qui soit réellement constaté.

Du reste, messieurs, ce n'est pas sur ces votes plus ou moins constatés que je base mon opinion, mais j'ai pris la parole pour relever l'observation de M. Orts qui disait qu'il était incontesté qu'il y avait trois votes nuls.

M. Loos. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu contester le fait qui concerne Devos. Il s'agit d'établir la bonne foi des pétitionnaires et je n'aurai pas beaucoup de peine à le faire.

Le procès-verbal constate qu'un individu a voté deux fois. Les pétitionnaires s'en réfèrent au procès-verbal de la première section ; mais ensuite, pour corroborer ce fait, ils ont fait la vérification des listes électorales et ils n'y ont trouvé que 6 Devos : la commission ayant fait la même vérification en a trouvé 7 et elle a dit : Voilà une assertion erronée de la part des pétitionnaires.

Eh bien, messieurs, je crois que la bonne foi des pétitionnaires ne peut pas être révoquée en doute.

M. de Naeyer. et M. Vilain XIIII. - Elle n'est pas révoquée en doute.

M. Loos. - Voici le fait : il y a, en réalité, sept Devos sur la liste électorale ; six de ces noms sont inscrits avec la particule « de », suivie de « Vos » avec une majuscule ; mais le septième est inscrit en un seul mot, c'est-à-dire sans que le « de » soit séparé.

Quand je suis allé au greffe, pour faire la vérification des listes moi-même, je déclare en conscience que j'ai dû vérifier deux fois avant de trouver le septième Devos. Voilà pour ce qui concerne la bonne foi des pétitionnaires.

Mais, messieurs, est-il vrai qu'un même électeur a voté deux fois ? Voilà un point beaucoup plus important, et je n'hésite pas à dire que pour moi ce fait est prouvé à suffisance, et je pense que vous partagerez mon opinion.

Un Devos qui n'avait pas voté demande à le faire après le réappel ; on vérifie la liste des votants et on trouve que quelqu'un a répondu à son nom.

Autour de la table se trouvent quelques personnes qui disent : Mais il y a un Devos qui a voté deux fois. Le président fait venir ce Devos et l'interpelle sur le poini de savoir si, en réalité, il a voté deux fois. Il répond affirmativement, et il dit que c'est la similitude de noms qui l'a fait répondre deux fois. C'est après cela que le bureau admet le dernier Devos à déposer son vote. Ainsi le bureau a reconnu qu'un Devos avait voté deux fois ; car sans cela il n'aurait pas autorisé le réclamant à voter.

Il est vrai, messieurs, qu'il se trouve sept Devos sur la liste électorale et sept Devos sur la liste des votants. Mais sur la liste électorale se trouve un François Devos qui ne se trouve pas sur la liste des votants, et c'est en effet celui-là qui n'avait pas voté ; je tiens ici une pièce dans laquelle il le déclare formellement.

Il est donc constant, messieurs, qu'un électeur a vote deux fois ; vous en avez la preuve évidente dans une pièce officielle, dans le procès-verbal de la quatrième section.

(page 28) M. de Theux. - Messieurs, l’honorable M. Orts a dit que personne n'a contesté que trois voix devaient être décomptées soit à M. Dellafaille seul, soit à tous les candidats ; je n'admets en aucune manière cette assertion ; je trouve au contraire qu'il y a des arguments extrêmement forts qui combattent cette opinion de l'honorable M. Orts. Ces arguments sont développés dans le rapport de l'honorable M. de Naeyer, qui est sur ce point aussi clair et aussi judicieux qu'il est possible de l'être.

« Quelques électeurs ayant lait observer que le sieur Devos, Jean-François-Louis, électeur inscrit sous le n°851, a voté deux fois, le président rappelle ledit sieur Devos. Celui-ci reconnaît son double vote et l'explique par la similitude du prénom Louis que porte également un autre électeur du même nom et lequel a voté sous le n° 439. »

Je n'ai pas l'honneur de connaître l'électeur dont il s'agit, mais il me paraît trop étrange qu'un électeur ignorât qu'il ne peut déposer deux bulletins dans le même scrutin.

Cela n'est pas admissible. Je dis que la déclaration du sieur Devos devrait être constatée d'une manière extrêmement préremptoire par une enquête, pour que je pusse l'admettre comme positive.

« Ainsi, dit votre commission dans son rapport, on se borne ici à constater l'observation présentée par quelques électeurs, qui ne sont pas même désignés nominativement, de même que l'aveu et les explications de l'électeur qui aurait émis un double vote, mais les membres du bureau n'émettent aucune opinion sur la réalité du fait. »

C'est là une circonstance très grave. Les membres du bureau auraient été frappés de cette circonstance, si un même individu s'était présenté deux fois pour déposer deux bulletins dans l'urne ; sur sa déclaration, le bureau ne consigne aucune observation au procès-verbal ; si le bureau avait été convaincu de la véracité de la déclaration, il aurait dû en faire mention ; il n'a pris acte d'aucune réclamation qui se serait produite dans le sein de l'assemblée, et plus de quatre mois après l'élection, dans une pétition tardive, on vient se prévaloir de la déclaration de cet homme comme d'un fait constant et irrécusable.

Ce n'est pas ainsi que les tribunaux admettent les preuves sur la simple déclaration d'un individu, quelle que soit d'ailleurs son honorabilité personnelle ; une déclaration unique n'a jamais formé preuve devant un tribunal quelconque, quelle que soit la qualité du témoin.

On disait qu'il n'y avait que six Devos, et maintenant il est constant, d'après les listes électorales, qu'il y en a sept.

Ainsi, quoi qu'on dise, le fait d'un double vote, émis par un Devos, est un fait douteux, et il n'est pas présumable qu'il soit exact.

Un second grief, c'est que dans le 4ème bureau il y aurait eu un votant de plus. Eh bien, sur ce second grief, votre commission émet encore l'opinion qu'il n'est pas fondé. Pourquoi ? Parce que, pour l'admettre comme fondé, il faut s'en rapporter à la déclaration du bureau principal, tandis que votre commission donne créance avant tout au bureau de la section où le fait s'est passé. La commission a parfaitement raison : c'est la déclaration du bureau de la section où les faits sont consignes au procès-verbal, qui doit faire foi aux yeux de la Chambre, et prévaloir sur la déclaration consignée dans le résumé général du bureau principal.

Trosième grief. Dans une autre section, il s'est trouvé un bulletin inférieur au nombre des volants, établi par le recensement. Votre commission croit que de ce chef, il y a à faire la déduction d'une voix. Eh bien, dans mon opinion, la commission a été trop large. Voici pourquoi : il arrive très souvent qu'on se trompe en comptant les bulletins ; à quoi faut-il se tenir ? Evidemment au dépouillement du scrutin ; là, les bulletins sont pris un à un ; il en est donné lecture, et le résultat total du dépouillement vous fournit avec certitude le nombre des bulletins ; ou bien il faut admettre que, dans l'opération du dépouillement, un bulletin a été soustrait ; eh bien, il n'est pas admissible que, dans un bureau électoral comme celui d'Anvers, composé d'hommes si haut placés, un bulletin ait été soustrait.

Maintenant, quand ce cas se présente, la loi provinciale et la loi communale ne donnent pas une solution, mais elles s'en rapportent à cet égard, soit au conseil provincial, quand il s'agit d'une élection provinciale, soit à la députation permanente quand il s'agit d'une élection communale.

Et la loi a bien fait de ne pas donner une solution ; dans un cas pareil, c'est une question de fait, une question de bonne foi à résoudre, par l’assemblée chargée de la vérification des pouvoirs.

C'est par erreur qu'on a supposé qu'il y avait un bulletin manquant lors du dépouillement ; messieurs, c'est ici une question de bonne foi et de probité ; or, ma conscience répugne à croire qu'on ait soustrait un bulletin en présence de l'assemblée électorale d'Anvers ; la vérité pour moi est qu'il y a eu une erreur de calcul dans le compte des bulletins et que le dépouillement a rétabli la vérité.

Les trois premiers griefs sont donc mis de coté. Reste la question d'un sieur Havenith, qui n'aurait que la petite naturalisation, et la preuve qu'on en apporte, est qu'il est inscrit sur la liste électorale communale, comme ayant la petite naturalisation ; mais l'autorité communale a aussi dressé la liste électorale pour les Chambres, et l'on a dû supposer qu'il jouissait de la grande naturalisation. Jusqu'à présent, il n'existe aucune preuve que le sieur Havenith ne jouit pas de la grande naturalisation, il y a donc une présomption en sa faveur qu'il en jouit ; sinon, il n'aurait pas été porté sur la liste électorale pour les Chambres.

On dit ensuite que deux individus frappés de peines afflictives et infamantes avaient été portés sur la liste et ont pris part au scrutin ; mais, messieurs, on n'en apporte pas la preuve, on n'articule pas les noms de ces personnes : on dit seulement que si la Chambre le désire, on en fournira la preuve plus tard.

Pour moi, je dis que la Chambre ne pourrait pas, dans l'état actuel de la question, prononcer l'annulation de l'élection d'Anvers. La seule chose à faire, si on ne pouvait pas se déterminer d'après les principes, s'il y avait un doute réel de nature à influer sur la nullité de l'élection d'Anvers, ce serait une enquête ; mais en aucun cas on ne pourrait prononcer l'annulation des élections d'Anvers sur des faits qui sont simplement allégués et dont aucun n'est prouvé, tandis que le fait de l'élection est certain.

Quant à moi, messieurs, il n'y a que trois électeurs dont l'aptitude à voter pourrait être contestée aux yeux de ceux qui n'admettent pas la permanence des listes.

Pour moi, j'ai toujours soutenu la permanence des listes ; bien qu'on ait rapporté quelques paroles que j'ai prononcées à propos de l'élection de M. Cornéli pour en inférer le contraire, car elles ne prouvent pas que je n'admette pas la permanence des listes ; je n'ai pas pris part à la discussion sur la vérification des pouvoirs, mais j'ai indiqué, dans le cas où la Chambre voudrait ordonner une enquête, sur quels faits elle devrait porter.

Cette observation impliquait plutôt qu'il n'y avait pas lieu de faire une enquête, car je me bornais à dire que si la Chambre en ordonnait une, je la ferais dans les termes dans lesquels elle l'ordonnerait.

Quant à la permanence des listes, j'ai quelques observations à ajouter à celles que j'ai présentées dans une séance précédente. Je ferai remarquer d'abord que le vote émis par la Chambre il y a quelques jours, ne préjuge pas l'opinion de la Chambre sur la question de droit ; c'est une décision préparatoire, comme en prennent souvent les tribunaux, qui n'est pas un jugement définitif.

Je disais alors que la Chambre n'avait d'autre mission que de vérifier la régularité des opérations électorales.

En effet, l'article 40 qui est relatif à cet objet est le dernier du titre III intitulé : « des opérations des collèges électoraux ».

La Chambre n'a donc à s'occuper que de la régularité des opérations des collèges élecloraux. Quant à la formation des listes, elle est comprise dans le titre II de la loi électorale. Pourquoi la Chambre n’est-elle pas admise à juger les listes électorales ? En réponse à cette question, il y a une observation qui doit sauter aux yeux de chacun.

Quoique je fasse partie du parlement, je n'hésite pas à déclarer que quand la Chambre a à prononcer sur les questions électorales, après les élections elle n'est pas réputée aux yeux du pays, un juge aussi impartial que l'administration communale, l'administration provinciale ou la cour de cassation qui ont à statuer avant toute élection. J'admets toute la respectabilité possible d'un parlement ; il n'en est pas moins vrai qu'aux yeux du pays, le parlement est soupçonné de voter sous la pression de l'opinion politique. Puisqu'il faut un juge de la formation des listes, c'est-à-dire du droit des citoyens d'y figurer, il faut un juge impartial en dehors de la sphère politique ; ce juge impartial vous le trouvez dans les autorités administrative et judiciaire jugeant avant toute élection.

N'est-il pas constant que ce serait une source permanente de perturbation, si on pouvait venir dire : Tel citoyen ne pouvait pas être inscrit sur la liste électorale ; il n'a pas la qualité de Belge ; tel autre a été condamné à une peine infamante, tel autre ne payait pas le cens, tel autre pour d'autres motifs.

Si vous admettez un motif il faut les admettre tous. C'est ce qu'a démontré l'honorable M. Lebeau dans une séance où l'on a discuté largement les questions concernant la formation des listes ; M. Lebeau prétendait que la Chambre était omnipotente. Dans une autre circonstance, l'honorable M. Fallon, dont le mérite comme jurisconsulte est reconnu de tout le monde, soutient que la Chambre est incompétente pour juger les questions de formation de listes, que ce serait une inconstitutionnalité de sa part que de s'immiscer dans le jugement des listes électorales, que ce jugement ne peut appartenir qu'aux autorités investies de ce droit.

La cour de cassation est seule instituée par la Constitution pour assurer l'application des lois et pour les interpréter ; la Chambre fait les lois ; elle ne les interprète pas ; elle ne les interprète que quand l'autorité judiciaire n'a pas pu se mettre d'accord et qu'il y a nécessité de recourir aux Chambres ; dans tout autre cas les autorités judiciaires sont seules juges, la Chambre ne l'est pas ; quand une contestation, à propos de la formation des listes électorales, s'élève devant les autorités chargées d'en connaître, il y a débat contradictoire. Si on prétend qu'un électeur a été indûment inscrit, cet électeur peut défendre son droit, établir un débat contradictoire devant la députation permanente et devant la cour de cassation ; si quelqu'un a été omis, il adresse sa demande à l'autorité communale ; en cas de refus, il a recours à la députation permanente et à la cour de cassation ; l'autorité communale, la députation permanente et la cour de cassation sont les trois degrés de juridiction devant lesquels doivent être portées les contestations concernant le droit électoral.

Si vous en faites la Chambre juge, il n'y a plus de débat contradictoire possible, la partie intéressée n'est pas là pour se défendre, vous décidez (page 29) au hasard. Je vais plus loin, par la tactique de quelques électeurs, vous pourriez être amenés à porter un jugement faux.

Ainsi, un électeur est porté sur la liste du chef d'un cens qu'on croit lui appartenir dans une commune, cet électeur qui paye des contributions dans d'autres communes s'est peu occupé de la nature de l’énonciation portée sur la liste ; après l'élection, on produit le rôle des contributions de la commune indiquée et on démontre que c'est à tort que cet électeur est indiqué comme payant tel cens.

Cet électeur, voulant faire annuler l'élection, se gardera bien de venir déélarer qu'il paye des contributions suffisantes dans d'autres communes. Il suffirait de la connivence de quelques électeurs pour faire annuler une élection. Une question de nationalité est dans le même cas ; c'est un fait qui peut n'être connu que de la personne qu'elle concerne ; une contestation est soulevée à propos du droit de cet électeur, il ne le défend pas, se réservant quand il lui conviendra de réclamer le bénéfice de sa qualité en faisant connaître les circonstances qui établissent son droit.

Vous êtes en ces matières juges aveugles et suspects de partialité, parce que vous prononcez en présence d'un intérêt politique ; une élection de député est un intérêt politique au premier degré ; la loi électorale n'a pas voulu permettre que par des manœuvres on pût jeter des perturbations fréquentes dans les élections.

Remarquez ce qui arrive dans ces élections partielles. Pourquoi la loi électorale a-t-elle fixé toutes les élections à une même époque, à un même jour ?

C'est qu'alors le pays en général se préoccupe de la grande question politique, se prononce pour un système ou pour un autre, pour ou contre le cabinet.

Mais ces élections partielles sont des décisions en quelque sorte extra-constitutionnelles qui sont portées par les collèges électoraux qui sont appelés à se prononcer isolément. Cependant, vous arriveriez à ceci que l'esprit de la Constitution serait faussé quant à l'époque, et l'on amènerait des résultats contraires au vœu des électeurs en multipliant les élections à une époque où les électeurs infirmes, indisposés ne peuvent se rendre au scrutin.

On peut dire que de nombreuses élections faites dans de telles circonstances entacheraient la sincérité de la représentation nationale.

Vous ne pourriez affirmer que, si de nombreuses élections avaient lieu à cette époque, vous auriez la véritable représentation du pays, parce qu'un grand nombre d'électeurs ne peuvent alors se rendre aux comices.

Je crois en avoir dit beaucoup trop pour prouver la vérité du système de la permanence des listes.

J'ai prouvé que des six griefs allégués pour faire invalider l'élection, les trois premiers ne sont pas prouvés, et qu'il était impossible d'en obtenir la preuve. Il n'y a que les trois derniers qui seraient susceptibles de vérification, et cette vérification ne doit pas être faite en présence du principe de la permanence des listes.

Pour moi, en toute circonstance, j'ai demandé l'exécution pure et simple de la loi. L'élection d'Anvers présente ce caractère.

Le collège électoral a fait la seule chose qu'il y eût à faire, c'était de faire le ballottage entre les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix, et nous devons admettre le résultat du scrutin de ballottage.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je suis de l'avis, en un point, de l'honorable M. de Naeyer. Il importe que la résolution que la Chambre doit prendre, en matière de vérification de pouvoirs, puisse être invoquée et appliquée en toute circonstance ; il importe, en un mot, que sa décision ne soit pas entachée d'esprit de parti. La vérification des pouvoirs doit être faite sincèrement, consciencieusement, loyalement.

Si ces conditions sont méconnues, une atteinte grave est portée à la considération du parlement.

La question de droit qui nous est soumise est pour moi de la plus grande simplicité ; elle n'est pas, à mon sens, susceptible de deux opinions différentes. (Interruption.) C'est là ma conviction.

Constatons d'abord les faits. L'honorable comte de Theux les révoque en doute : il va plus loin que la commission. Ce qui paraît évident à la commission, n'est pas même prouvé à ses yeux. Lors du dépouillement du scrutin, on a constaté qu'il y avait dans un bureau un bulletin de moins que le nombre des votants. Le procès-verbal le déclare ; le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à inscription de faux, prouve ce fait d'une manière irrécusable. La commission le proclame. L'honorable comte de Theux se récrie et tient qu'il n'est pas prouvé. J'ai des doutes, dit-il, parce qu'il m'est difficile de croire qu'on ait soustrait un bulletin pendant l'opération. Qu'il vous soit difficile de le croire, peut nous importe ; et si c'est la supposition d'une soustraction frauduleuse qui révolte votre conscience en ce moment trop timorée, vous pouvez vous persuader aisément que le bulletin a pu disparaître sans mauvaise intention. Le bulletin a pu tomber, sans qu'il ait été aperçu ou remarqué de personne. Mais le fait en est-il moins constant ? En a-t-il moins de gravité ?

Que portait ce bulletin qui n'a pas été retrouvé au moment du dépouillement ? Quel vote a donné l'électeur ? A qui faut-il l'attribuer ? Que l'honorable M. de Thcux réponde. Voilà un fait que l'on ne peut récuser sans déchirer le procès-verbal de l'élection ; voilà un fait qui, je veux le croire, jusqu'à ce qu'un vote ou une dénégation me tire de mon erreur, sera admis par tout le monde dans la Chambre, sauf l'honorable M. de Theux.

Voici un autre fait : un électeur a voté deux fois. Dans l'assemblée électorale, au moment où les faits se sont passés, des électeurs...

M. de Naeyer, rapporteur. - Quelques électeurs !

M. Frère-Orban. - Soit, quelques électeurs, en face de l’assemblée, en présence de tous les électeurs, sans réclamation ni protestation, quelques électeurs ont signalé cet homme comme ayant voté deux fois ; le bureau l'a interrogé ; l'électeur a avoué son double vote. Le bureau a constaté, et l'aveu et la réclamation incontestée dans un procès-verbal, qui fait foi, ne l'oubliez pas, jusqu'à inscription de faux.

- Un membre. - Le procès-verbal ne constate que la déclaration.

M. Frère-Orban. - Le procès-verbal ne pouvait rien constater de plus, le bureau n'avait d'opinion à émettre que si le fait avait été contesté. Il ne l'a pas été. Le bureau n'avait plus qu'à enregistrer l'incident qui venait de se révéler et qui, selon les circonstances, pouvait influer ou ne pas influer sur le sort de l'élection. C'est ce que le bureau a fait. Comment donc nierait-on un fait avéré, notoire, proclamé en présence des électeurs, consigné dans le procès-verbal de l'élection ?

L'électeur est suspect aux yeux de la commission parce qu'il a voté deux fois. Un électeur capable de voter deux fois dans un même scrutin ne peut inspirer confiance ; on ne peut ajouter foi à ses déclarations. Est-il donc impossible d'expliquer simplement un acte de ce genre ? Et faut-il supposer nécessairement la mauvaise foi ? Mais la mauvaise foi, c'est la supposition la plus absurde qu'on puisse imaginer. Pourquoi l'électeur aurait-il voté deux fois dans des vues frauduleuses ? Dans quel but ? Aurait-il voulu susciter une réclamation, préparer un moyen d'annulation de l'élection ? Ce n'est pas admissible ; ce n'est pas croyable. Au moment où il votait, qui aurait soupçonné dans un collége électoral qui compte plusieurs milliers d'électeurs, que le sort de l'élection pouvait dépendre d'une voix ?

Il a voté deux fois, comme cela s'est vu dans beaucoup d'opérations électorales. Appelé deux fois, il a cru qu'il devait encore voter. Il a déposé un second bulletin à l'appel de son nom, répété à certain intervalle de temps ; et au surplus, quel qu'ait été le motif, quelle qu'ait été la raison qui a amené ce double vote, le fait n'en est pas moins parfaitement établi.

D'autres irrégularités se présentent encore.

Des individus sans qualité, des citoyens n'ayant que la petite naturalisation, ce qui est constaté par les listes électorales, et n'a par conséquent pas besoin de preuve, ni de démonstration ultérieure, ont pris part au vote. Il n'y en a pas un, il y en a plusieurs. La preuve légale est rapportée que ces personnes n'ont que la petite naturalisation ; elles ne pouvaient pas voter.

Oh ! dit l'honorable comte de Theux, vous n'avez pas à vous enquérir de la capacité de ces électeurs ; le principe de la permanence des lisies les protège suffisamment ; le principe de la permanence des listes doit arrêter la Chambre.

Mais déjà, messieurs, cette opinion a été condamnée par la Chambre il y a trois jours.

Je n'ai donc pas besoin de la combattre de nouveau. C'est en vain que l'honorable comte de Theux, indiquant une espèce de procédure civile, voudrait faire envisager votre résolution récente comme un jugement, préparatoire qui ne s'oppose pas à ce que la Chambre décide de nouveau que le principe de la permanence des listes protège les électeurs à l'égard desquels elle a ordonné d'ultérieures vérifications. J'espère bien que nous n'aurons pas le spectacle d'aussi tristes contradictions.

Il y a une raison légale, une raison puissante, une raison peremptoire, contre l'opinion de l'honorable M. de Theux, et cette raison est écrite dans la loi électorale. La loi électorale ne veut pas que des individus sans qualité puissent voter. Ainsi, lorsqu'elle parle de ceux qui ont perdu leurs droits civils et politiques, de ceux qui sont en état de faillite ou d'interdiction judiciaire, elle déclare qu'ils ne peuvent être électeurs ni en exercer les droits. Ils sont inutilement portés sur la liste des électeurs ; ils sont en vain qualifiés électeurs ; ils ne peuvent en exercer les droits. Le principe de la permanence des listes ne couvre pas leur incapacité.

Le principe de la permanence des listes protège certains électeurs, elle protège l'électeur indûment inscrit dans les cas qui ont été cités par l'honorable M. de Theux. Ainsi lorsqu'il s'agit du cens électoral, la Chambre ne procède pas à une vérification nouvelle ; elle ne fait pas la révision de la liste électorale. Mais lorsqu'il s'agit de la capacité absolue, le principe de la permanence des listes ne peut être invoqué devant la Chambre vérifiant les pouvoirs de ses membres. Telle est la doctrine salutaire que défendaient autrefois les amis de l'honorable comte de Theux et que lui-même ne contestait pas.

J'allais omettre de mentionner une autre irrégularité que l'on me rappelle. On a trouvé dans un bureau un bulletin de plus que le nombre des votants.

L'honorable M. de Theux, qui doute de tout aujourd'hui, révoque le fait, d'accord avec la commission, et je vous avoue qu'à la simple lecture du procès-verbal, je ne comprends pas qu'un doute ait pu être exprimé. La commission elle-même, dans une première délibération, avait admis comme constant le fait maintenant nié.

(page 30) Que dit le procès-verbal ? Le procès-verbal énonce qu'« il est procédé à la vérification du nombre des bulletins qui est trouvé se monter à 415, nombre égal a celui des électeurs votants, plus un. »

Cela signifie qu'il y avait 415 bulletins, nombre égal à celui des votants, plus un bulletin, c'est-à-dire 416.

M. de Naeyer, rapporteur. - Pas du tout.

M. Frère-Orban. - Nous en avons la preuve sur-le-champ. On arrive au bureau principal et l'on compte 416. Le bureau principal a interprété le procès-verbal comme nous l'interprétons. (Interruption.)

De ce que le bureau principal, en faisant le recensement d'un autre bureau, a constaté qu'il y avait 410 bulletins alors qu'il n'y en avait que 409, simple erreur de chiffre facile à rectifier, il ne s'ensuit pas qu'il ait mal compris le texte d'un procès-verbal. Je n'examine pas si l'erreur que vous signalez existe (interruption)... je l'admets ; j'admets que le bureau a mal compté dans les cas que vous citez. Mais ce que je n'admets pas, c'est que du fait d'une erreur d'addition dans un cas vous puissiez conclure à une erreur d'interprétation dans un autre. Si le procès-verbal est douteux, il reçoit une interprétation claire et précise par le fait du bureau principal.

Et après tout, cette interprétation ne peut être différente ; car si le bureau n'avait constaté que 415 bulletins, nombre égal à celui des votants, il n'aurait pas ajouté plus un, parce qu'il aurait dit une absurdité.

Vous êtes obligé, pour contredire les énoncialions du procès-verbal, de torturer le texte de la loi. Que prétendez-vous ? Vous prétendez qu'aux termes de l'article 29 de la loi électorale, le bureau n'avait qu'à faire une seule vérification ; vous refaites à votre guise le texte même du procès-verbal ; vous supprimez ce qui vous gêne ; de votre autorité vous lacérez le procès-verbal, vous faites disparaître ce qui s'y trouve, c'est-à-dire qu'il y avait 415 bulletins plus un, et vous nommez cela une interprétation conforme à la loi !

M. de Naeyer, rapporteur. - J'ai dit : plus un.

M. Frère-Orban. - Oui, dans le passage où vous avez transcrit le procès-verbal, mais non dans celui que je critique ; « il est d'ailleurs à remarquer, dites-vous, qu'aux termes de l'article 29 de la loi électorale, le bureau n'avait ici qu'une seule opération à constater, savoir : la vérification du nombre des bulletins, et cette constatation a été faite dans des termes clairs et précis ; il y est dit : qu'il a été procédé à la vérification du nombre des bulletins qui a été trouvé se monter à 415. »

Et vous vous arrêtez là. Eh bien, je dis que c'est altérer le texte, que c'est tronquer, lacérer le procès-verbal, qui porte qu'il y avait 415 bulletins plus un. Par conséquent, il y a à déduire un bulletin qui a pu profiter indûment à l'élu.

Tous ces faits établis et acquis, c'est beaucoup plus qu'il n'en faut pour que les opérations électorales soient évidemment viciées.

Et pourtant, l'honorable M. de Naeyer a des doutes ; il ne sait si, malgré tout cela, on peut annuler l'élection.

Mais il nous semble qu'il ne devrait pas tant hésiter. Quelle est la question que nous avons à nous poser ? Est-il certain que celui qu'on présente a été régulièrement élu ? Si cela n'est pas certain, vous ne pouvez valider l'élection. Il faut qu'il y ait certitude sur ce point. S'il y a un doute, si faible qu'il soit, vous ne pouvez pas prononcer l'admission. Eh bien, qui osera répondre qu'il n'existe aucun doute sur la régularité des opérations électorales, des pouvoirs de celui qui a été proclamé ! (Interruption.)

Je parle dans l'hypothèse que les faits soient admis, qu'il soit reconnu qu'il y a au moins deux suffrages contestables. Cela suffit pour infirmer le titre en vertu duquel on veut pénétrer dans l'assemblée.

Cependant, pour écarter l'effet des irrégularités que nous avons signalées, on nous dit qu'il faut déduire à chaque candidat et de la masse des votants les voix qui ont été constatées en trop, et que, quand on fait opération, M. Dellafaille reste toujours absolument et identiquement dans les mêmes conditions vis-à-vis d'un autre candidat qui avait obtenu deux voix de moins que lui.

Mais, messieurs, cette opération n'a rien de sérieux, c'est une opération illusoire, sans résultat, sans but, c'est une opération ridicule. Elle ne peut jamais vous donner la solution de la difficulté, et pourtant vous aurez un motif pour la faire ; vous la faites pour savoir si, en réalité, l'élu a le titre qui lui est dénié. Or, elle ne vous apprend absolument rien à cet égard.

Si cette manière d'opérer est raisonnable quand il s'agit d'un scrutin de ballottage, il faut dire qu'elle doit être suivie aussi lorsqu'il s'agit de reconnaître si un candidat a obtenu la majorité absolue. Et, en effet, c'est là la base du système inouï de la commission.

« Il est nécessaire, dit-elle, d'établir une distinction essentielle entre les bulletins entachés d'une nullité relative à un ou plusieurs électeurs, et les bulletins atteints d'un vice radical et absolu qui doit les faire considérer comme non avenus. Les premiers, évidemment, ne doivent être décomptés qu'aux candidats en faveur desquels ils ne contiennent aucun suffrage valable, mais les autres doivent diminuer le nombre des votants effectifs et diminuent en même temps le nombre des suffrages obtenus par chacun des candidats.

« La déduction doit être opérée à l'égard de tous les candidats, par cela même qu'on ignore absolument à quels candidats les suffrages frappés de nullité ont été attribués. »

Eh bien, messieurs, si vous pouvez attacher quelque valeur aux précédents, cette opinion en ce qui concerne la majorité absolue a été formellement condamnée par la Chambre. Ainsi lors de la discussion sur la validité des élections de Liège en 1832, M. Nothomb avait émis le principe qu'il fallait également déduire de la masse des votants et du nombre de suffrages obtenus les bulletins nuls. C'est exactement et presque en mêmes ternes ce que nous trouvons dans le rapport sur l'élection qui nous occupe.

En fait, il y avait 741 votants, la majorité absolue était de 371. Un candidat avait obtenu 389 voix, un autre 387, un troisième 381. On contestait la légalité de 18 voix. « D'après les précédents de la Chambre dit M. Delebecque, il fallait supposer que ces 18 voix avaient été indûment données aux élus, qui n'avaient plus alors la majorité. M. Nothomb soutenait qu'il fallait aussi déduire ces 18 voix des 741, nombre total des votants ; alors la majorité absolue eût été de 362, mais en procédant de la sorte le troisième candidat eût aussi obtenu la majorité, c'est-à-dire 363 voix, malgré la défalcation de 18 voix qu'on lui eût également fait subir. »

« Ce mode de supputation, ajoute-t-il, ne fut adopté par personne. » (Moniteur du 17 novembre 1852.)

Voilà, messieurs, ce qui est rapporté dans l'excellent ouvrage de l'auteur que je viens de citer.

Ainsi, messieurs, cette opinion de la majorité de la commission n'a été soutenue par personne en 1832.

Pourquoi déduit-on les voix contestées à celui qui se prétend élu conformément aux antécédents de la Chambre, quand il s'agit de rechercher s'il a obtenu la majorité absolue ?

C'est afin de connaître s'il est certain qu'il a la majorité. Eh bien, de même lorsqu'il s'agit de la majorité relative il faut déduire les voix contestées à celui qu'on veut faire admettre au ballottage, car il faut également savoir s'il a un titre incontestable pour y être compris. (Interruption.)

Si vous ôtez les voix contestées à tout le monde, comme le dit M. Dumortier qui m'interrompt, vous faites une opération qui n'a rien de sérieux. La question est toujours la même, il est toujours aussi incertain de savoir quel est celui qui doit l'emporter. Vous aurez beau faire des déductions à l'infini ; l'incertitude sera toujours la même. Dans le cas que nous examinons, M. Dellafaille aura toujours deux voix de majorité.

M. Coomans. - Mais si l'on avait ballotté M. de Cock, il y aurait eu également des réclamations ; que1 fallait-il faire ?

M. Frère-Orban. - Ce qu'il faut dans une élection, ce ne sont pas des probabilités, c'est la certitude ; si la certitude n'existe pas, le titre n'existe pas. Il faut qu'il soit évident qu'il y a un élu, valablement, régulièrement élu. Dès qu'il y a doute, on ne peut pas admettre la validité de l'opération.

« Mais, dit le rapport de la commission, en procédant de cette manière, l'article 36 de loi électorale devient une lettre morte dans tous les cas analogues à celui qui se présente actuellement. » Eh bien, le grand malheur ! Cette objection ne signifie rien ou bien elle signifie qu'il faut encore faire un scrutin de ballottage quand il est impossible d'en faire un. C'est aussi tout le mérite de l'objection de l'honorable M. Coomans. Il y a une foule d'hypothèses dans lesquelles il est impossible de faire un scrutin de ballottage.

Deux candidats arrivent au scrutin de ballottage avec un nombre égal de voix, et il y a un bulletin en plus que le nombre des votants. Dans ce cas que ferez-vous ? Il sera impossible de procéder au ballottage. Mais sera-ce donc une situation si désastreuse, et faudra-t-il, pour s'y soustraire, prendre un représentant de contrebande ? Toute la difficulté sera levée par une élection nouvelle. Voilà la solution, et elle est conforme à l'esprit de notre système électif. En effet, le ballottage est une opération extrême, qui porte atteinte à la liberté des électeurs ; il ne se justifie que par la nécessité, par une impérieuse nécessité, parce qu'il faut bien en finir ; mais si le ballottage ne peut avoir lieu ou s'il a été vicié, il y a lieu à une opération nouvelle, et c'est ce que la Chambre a décidé, si je ne me trompe, lors de l'élection de Termonde ; il y avait eu un scrutin de ballottage, entaché d'irrégularité, et l'on a fait une opération nouvelle.

M. Dumortier. - C'est le scrutin de ballottage qui a été recommencé.

M. Frère-Orban. - Mes souvenirs me trompent probablement ; en tous cas, c'est que, dans cette hypothèse, le ballottage n'était pas impossible.

Mais voici une affaire analogue à l'hypothèse que j'indiquais tout à l'heure et où la difficulté a été jugée par une autorité non suspecte et dont l'impartialité ne sera pas suspectée par l'honorable M. de Theux. Il met quelque peu en suspicion les parlements faisant la vérification des pouvoirs...

M. de Theux. - Oui, pour toutes les questions qui se rattachent aux listes électorales.

M. Frère-Orban. - Vous avez dit qu'un soupçon de partialité pèse sur le parlement, lorsqu'il vérifié les pouvoirs de ses membres ; or, il peut se présenter, non pas seulement des questions de listes électorales, mais une foule d'autres questions où la partialité du parlement peut être soupçonnée, suivant l'opinion de l'honorable M. de Theux.

(page 31) M. de Theux - C'est vrai.

M. Frère-Orban. - Eh bien, c'est précisément pour que votre objection se taise, que je choisis une décision émanant d'une autorité impartiale, d'un corps qui en France juge la validité des opérations électorales municipales ; je veux parler du conseil d'Etat. Voici dans quelles circonstances il s'est prononcé : Dans une élection il ne restait au second tour de scrulin que deux conseillers municipaux à élire. Il y avait 77 votants et on trouve 78 bulletins ; un des candidats, qui était le plus âgé, obtint 39 suffrages ; les 2 autres en obtinrent chacun 38. Le conseil d'Etat maintint l'élection du premier et pour la dernière place, il fit procéder à une nouvelle élection.

« Considérant qu'il résulte du procès-verbal des opérations électorales que le nombre des votants était, au second tour de scrutin, de 77 et que 78 bulletins ont été trouvés dans l'urne ; qu'il résulte du même procès-verbal que l'un a obtenu 39 suffrages et les deux autres chacun 38 ;

« Considérant qu'en retranchant un bulletin du nombre de voix obtenues par le sieur Dcsrézals (39), il aurait encore réuni un nombre de suffrages égal à celui des deux autres candidats et devrait être maintenu conseiller, comme étant le plus âgé ;

« Considérant que les deux autres ayant obtenu un nombre égal de suffrages, la différence constatée entre le nombre des votants et celui des bulletins est de nature à vicier l'élection. »

Et le conseil d'Etat ordonne, comme je viens de le dire, une nouvelle élection. Voilà précisément ce qui doit être fait en pareille circonstance. Y a-t-il de bonnes raisons à opposer à la marche suivie par le conseil d'Etat ? Sa décision est-elle suspecte. Eh bien, la solution que vous cherchez est là. Dès que le ballottage est impossible, à moins de recourir à des subterfuges, il faut pour la sincérité des élections, pour la pureté du mandat, faire un appel aux électeurs.

(page 33) M. Devaux. - Messieurs, la clarté du débat vient de faire des progrès ; je m'efforcerai de ne pas le compliquer et je ne m'attacherai qu'aux faits les moins contestables.

Il en est un sur lequel tout le monde est d'accord et qu'on peut prendre pour point de départ, c'est que le résultat de l'élection a dépendu de deux voix seulement, que si M. de Cock avait eu deux voix de plus ou M. Dellafaille deux voix de moins, ce dernier était exclu du ballottage.

La Chambre, dans la vérification des pouvoirs, a pour principe une règle très large, très favorable à ceux qui ont été proclamés et qui épargne beaucoup de déplacements aux électeurs, à savoir que quelles que graves et quelles que nombreuses que soient les irrégularités, toutes les fois qu'il est certain qu'elles n'ont pu causer la majorité obtenue et que sans elles le résultat final de l'élection eût été le même, l'élection est validée.

Un candidat eût-il obtenu 500 voix irrégulières, si sa majorité est de 600, elle lui reste acquise et son élection est respectée. Cette règle sans doute est très large et elle rend les annulations très rares, mais la jurisprudence de la Chambre ne va pas au-delà ; elle ne le pourrait pas sans danger. Toutes les fois que dans une élection il s'est passé des irrégularités telles que sans elles le résultat de l'élection eût pu être différent, telles que la majorité a pu dépendre des faits irréguliers eux-mêmes, la chambre est tenue de prononcer l'annulation.

En agir autrement, ce serait, sous prétexte d'épargner un déplacement aux électeurs, mettre une majorité fausse ou frauduleuse, c'est-à-dire une minorité à la place de la majorité véritable.

Dans le cas qui nous occupe, M. Dellafaille a été compris dans le ballottage à raison d'une supériorité de deux voix qu'il a eue au premier tour de scrutin sur M. de Cock. Si, dans ce premier tour de scrutin, il s'est passé des faits illégaux qui ont pu donner à M. Dellafaille cette supériorité de deux suffrages, le titre en vertu duquel il était compris dans le ballottage devenant douteux, son élection doit être invalidée.

Or, messieurs, voici d'abord un fait irrégulicr sur l'existence duquel les pétitionnaires, les procès-verbaux et la majorité de la commission elle-même sont d'accord, c'est que au sixième bureau, lorsque à l'ouverture de la boîte on a constaté le nombre des bulletins et qu'on l'a comparé au nombre des votants inscrits sur les deux listes, il s'est trouvé qu'il y avait un bulletin de moins qu'il n'y avait de votants.

Le fait étant formellement constaté par les procès-verbaux, personne n'a le droit de le contester, aussi la commission le reconnaît-elle. Il manquait donc là un bulletin qui s'est égaré d'une manière quelconque.

Il est évident que si les choses s'étaient passées régulièrement, si les bulletins et les votants s'étaient trouvés en nombre égal, le bulletin qu'il y aurait eu de plus dans ce cas, aurait pu donner un suffrage de plus à M. de Cock sans en donner aucun à M. Dellafaille, et dès lors la supériorité de celui-ci sur son compétiteur n'a plus de certitude que pour une voix. Cela est de toute évidence ; je n'y reviendrai plus ; voyons seulement ce que devient, en face d'autres irrégularités, cette supériorité d'un seul suffrage de M. Dellafaille. Voici un second fait qui suffit pour la faire évanouir. Dans le quatrième bureau, il s'est trouvé un bulletin de plus qu'il n'y a eu de votants. Cela est constaté par quatre pièces officielles. Le nombre des votants qui était de 415 est fixé par les deux listes officielles des volants tenues pendant l'opération.

Le nombre des bulletins, qui était de 416, est porté en chiffre dans le relevé du bureau principal et pour le désigner en toules tettres, le quatrième bureau se sert des expressions : quatre cent quinze plus un, en faisant remarquer que c'est le chiffre 415 qui est égal au nombre des votants. Le nombre des bulletins, y est-il dit, est de quatre cent quinze, égal à celui des votants inscrits, plut un. Croirait-on, messieurs, que la commission prétend que cela veut dire que les votants n'étaient que 414 et les bulletins 415 ?

Expliquons d'abord pourquoi le procès-verbal se sert de ces expressions, au lieu de dire tout simplement que les votants étaient au nombre de 415, et qu'on a trouvé 416 bulletins ? C'est qu'à Anvers, comme dans d'autres collèges électoraux, les secrétaires qui font les procès-verbaux ont souvent des formules arrêtées d'avance, qu'ils ne font que copier et remplir d'après les résultats du dépouillement du scrutin. Vous pouvez voir dans les procès-verbaux des diverses sections de l'élection qui nous occupe qu'il y en a cinq où le nombre des votants et des bulletins est constaté par une même forme de phrase.

On n'y donne pas le chiffre des votants, mais celui des bulletins, auquel on se borne à ajouter : égal à celui des votants inscrits. Qu'a fait le secrétaire du quatrième bureau ? Il ne pouvait pas écrire dans sa formule 416 bulletins et ajouter : égal à celui des votants, puisqu'il y avait un votant de moins. Qu'a-t-il fait ? Il a décomposé le nombre de 416 en 415, plus un, et il a écrit que le nombre des bulletins était de 415, puis, entre deux virgules, comme dans une parenthèse, il a ajouté : « égal à celui des votants inscrits », et après cette espèce de parenthèse, il a ajouté : « plus un ».

Comment est-il possible que la commission méconnaisse le sens de cette phrase ? Pourquoi veut-elle faire porter les mots « plus un » sur les votants plutôt que sur les bulletins ? La virgule qui se trouve avant les mots « plus un » indiquerait à elle seule que cette interprétation est erronée. A coup sûr, quand on écrit que cinq est égal à quatre plus un, on ne met pas une virgule entre quatre et plus un. La commission aurait dû tout au moins convenir que les mots « plus un » pouvaient tout aussi naturellement se rapporter aux bulletins qu'aux votants, et dès lors puisque les deux listes de votants, que le quatrième bureau avait sous les yeux, fixent le chiffre total des votants à 415, et que d'autre part le procès-verbal du bureau central, dans le relevé fait sur la déclaration et en présence des présidents des divers bureaux, porte pour le quatrième bureau le nombre des bulletins à 416, il est clair pour tout homme impartial que c'est dans le même sens que le procès-verbal du quatrième bureau doit être interprété.

Pour l'entendre autrement, on doit supposer gratuitement deux erreurs ; il faut supposer que le bureau principal s'est trompé sur le nombre des bulletins et que le quatrième bureau a cru qu'il n'y avait que 414 votants, tandis que les deux listes tenues dans ce même bureau constatent le chiffre de 415.

Interprétez, au contraire, la phrase du 4ème bureau dans son sens naturel, il n'y a plus d'erreur nulle part, et les quatre documents sont d'accord, les deux listes de votants en fixent le total à 415 ; le procès-verbal du quatrième bureau confirme ce chiffre et porte celui des bulletins à 416.

Le procès-verbal du bureau principal confirme ces deux nombres et tout est d'accord sans qu'il y ait plus ni erreur, ni contradiction nulle part. Je le demande, peut-il rester l'ombre d'un doute dans un esprit non prévenu, et n'est-il pas doublement constaté, constaté de la manière la plus certaine, qu'il y a eu là un bulletin de trop ?

Cela étant, je suis autorisé à dire que ce bulletin irrégulier, ce bulletin qui n'avait pas le droit d'être dans l'urne, a pu donner un suffrage à M. Dellafaille sans en ajouter un à ceux de M. de Cock et que, partant, M. Dellafaille n'a plus même une seule voix certaine de supériorité sur M. de Cock, que dès lors, M. de Cock étant le plus âgé des deux, c'est sans droit que M. Dellafaille a été compris dans le scrutin de ballottage et que son élection, qui en est résultée, doit être annulée.

Je pourrais, messieurs, en rester là, mais il y a quelques autres faits si bien constatés et en eux-mêmes d'une si grande portée pour l'élection que je ne veux pas les passer sous silence. On vous a dit qu'il y avait un électeur naturalisé en 1825 qui avait voté indûment.

Vous savez qu'en 1825, le roi Guillaume n'avait plus que le droit de concéder des naturalisations ordinaires. En vertu de la loi fondamentale il ne pouvait conférer l'indigénat que pendant une année à partir de la promulgation de cette loi ; donc en 1825, la naturalisation conférée par lui n'a pu donner le droit attaché à l'indigénat.

C'est la liste électorale elle-même qui affirme qu'un électeur se trouve dans ce cas. Anvers est, après Bruxelles, la ville où il s'établit le plus d'étrangers ; si on a porté sur la liste électorale un étranger ainsi naturalisé, j'ai pensé que l'erreur devait s'être appliquée à toute une catégorie ; j'ai prié un de mes honorables collègues de faire des recherches sur les listes, et il en est résulté que six électeurs étrangers, naturalisés par le roi Guillaume à une époque où il n'avait plus le droit de conférer l'indigénat, ont été inscrit sur la liste électorale et sont venus prendre part à l'élection. En voici les noms :

1. Jolly, né à Sainte-Hippolyte (France), en 1789, naturalise-en 1829.

2. Havenith, Pierre-Joseph, né à Eupen (Prussc), en 1793, naturalisé en 1825.

5. Marsily, Guillaume-Jacques, né à Londres, en 1788, naturalisé en 1817.

4. Guichard, Jean-Pierre, ne à Genève (Suisse), en 1782, naturalisé en 1840.

5. De Duve, Guillaume-Herman, né à Celle (Hanovre), en 1795, naturalisé en 1825.

6. Greson, Thomas, né à Newport, en 1789, naturalisé en 1818.

Voilà donc six personnes naturalisées par le roi Guillaume et n'ayant pas le droit de voler.

J'ai entendu tout à l'heure faire cette objection pour l'un deux, qu'il aurait pu avoir reçu ultérieurement la grande naturalisation. Cela est vrai, on aurait pu même faire une autre objection, c'est que ceux d'entre eux qui habitaient la Belgique avant 1814, ont pu en vertu de l'article 133 de la Constitution actuelle faire leur déclaration dans les six mois qui ont suivi la mise en vigueur de la Constitution et obtenir ainsi l'indigénat. Eh bien, les personnes dont il s'agit n'ont pas obtenu la grande naturalisation.

Je tiens ici et je déposerai sur le bureau le tableau des grandes naturalisations accordées en Belgique ; elles n'y figurent pas. Elles n'ont pas fait non plus la déclaration qui pouvait leur faire obtenir l'indigénat, en vertu de l'article 133 de la Constitution. Voici dans le Bulletin officiel la liste des personnes qui ont fait cette déclaration, elles ne s'y trouvent pas. Je dépose également cette liste. Ainsi il n'y a pas seulement un électeur naturalisé n'ayant pas le droit de voter qui ait pris part au scrutin ; il y en a six.

Voilà six irrégularités encore, toutes six complètement prouvées par les listes électorales, par les listes des votants et par les deux pièces que je dépose sur le bureau. C'est la liste électorale elle-même, en vertu de laquelle ils ont été admis à voter, qui prouve qu'ils sont nés étrangers, n'ont reçu que la naturalisation ordinaire, et les deux tableaux que je dépose prouvent qu'elles n'ont reçu ni la grande naturalisation ni aucun titre équivalent.

(page 34) Voilà donc, si je ne me trompe, non plus autant de voix irrégulières qu'il en faut pour annuler l'élection, mais quatre fois davantage.

Je dirai très peu de mots d'un fait, dont on a parlè tout à l'heure, d'un électeur nommé Devos qui a voté deux fois : je ne ferai qu'une seule observation. On a dit : Il ne faut pas prendre garde à la déclaration de cet électeur. On dit que cet électeur a pu faire une déclaration de complaisance. La réponse est facile.

Quel intérêt avaient les électeurs à soutenir qu'un électeur avait voté deux fois ? Le scrutin n'était pas dépouillé ; il n'était pas même fermé.

Un électeur se présente ; on lui dit : Vous avez déjà voté. Il le nie ; on l'admet à voter après qu'on a trouvé celui qui rcconnaît avoir voté deux fois.

Il faut remarquer que les électeurs de l'opinion contraire à celle qui a triomphé n'avaient aucun intérêt à faire annuler le scrutin.

On pourrait même dire le contraire ; car dans ce moment on croyait que le triomphe serait de l'autre côté.

Un mot encore sur un autre fait. On vous a dit qu'un électeur s'était présenté et qu'on lui avait dit : Vous ne vous trouvez pas sur la liste. D'où résulte ce fait ? D'une circonstance extrêmement grave que je vais vous signaler ; c'est que l'appel des électeurs s'est fait sur une liste défectueuse ; il a été fait sur la liste générale formée par le commissaire de district et qui est incomplète.

J'ai fait faire la vérification sous mes yeux. Sur la liste supplémentaire de la ville d'Anvers se trouve le nom du sieur Salsmans ; il ne se trouve pas sur la liste qui a servi à l'appel. On dit : Cet électeur n'a pas fait insérer sa réclamation au procès-verbal. Mais que pouvait-il faire ? Il se présente au scrutin ; on lui dit qu'il ne peut voter en vertu de la liste officielle qu'eo tient à la main ; il est tout naturel qu'il se soit rendu et ait cru n'avoir pas de droit et qu'aucun électeur n'ait réclamé. C'est, messieurs, une circonstance très grave qu'on se soit servi de listes défectueuses, et le fait n'est pas douteux.

Les listes sont au dossier ; vous pouvez le vérifier et comparer la liste générale avec la liste supplémentaire de la ville d'Anvers ; vous y verrez, par exemple, que l'électeur qui a été écarté du scrutin figure sur celle-ci et non sur celle-là.

Messieurs, après des faits si pertinents et si bien prouvés, que peut-il rester des deux voix de majorité relative que l'un des candidats avait obtenues sur un autre au premier tour de scrutin ? Jamais, je pense, question de vérification de pouvoirs n'a été moins douteuse. Aussi ai-je vu avec peine que la majorité ou plutôt la moitié de la commission, pour échapper aux conséquences de faits si bien constatés, s'est réfugiée dans un système qu'il me répugne vraiment de combattre. Je vois avec plaisir que jusqu'à présent aucun orateur ne l'ait soutenu. Je veux parler du système en vertu auquel, quand il y a des votes irréguliers dans un scrutin de ballottage, il faut les déduire à tout le monde, et n'arriver ainsi à aucun résultat.

Permettez-moi de croire que cette erreur extraordinaire est échappée à quelques membres de la commission dans un moment d'inattention ou d'irréflexion. Soutenue sérieusement et après mûre réflexion, ce serait vraiment la plus audacieuse absurdité que jamais passion politique eût jetée dans un débat.

Comment ! dans une élection, dont le résultat a dépendu de deux voix, il y aura eu 200, ou, si vous voulez, 2,000 voix nulles ; et celui qui les aura peut-être toutes obtenues à lui seul conservera le bénéfice de ces deux voix de majorité, car puisque vous retranchez les 2,000 voix à tout le monde, l'avantage lui reste toujours. Cela est-il possible ? Cela ne révolte-t-il pas le bon sens ?

Messieurs, ce système, savez-vous ce que c'est ? C'est la fraude électorale rendue inviolable. ll n'y a plus, pour réussir dans les élections, qu'une chose à faire : tâcher d'arriver à un scrutin de ballottage.

Pour en venir là, fraudez, violentez, vous serez inviolables, pourvu que vous obteniez par ce moyen une majorité relative quelconque.

Je suppose un collège électoral de 200 électeurs.

Il y a un représentant à élire. Mais les voix se trouvent éparpillées de manière qu'il faudra un scrutin de ballottage. Car il y a trois candidats : l'un peut compter sur 100 voix ; l'autre sur 100 aussi et le troisième n'en peut réunir que 06*0. Eh bien ; savez-vous le moyen, pour ce troisième candidat, de triompher ? Il est bien simple.

Que ses 60 partisans, et cela n'est pas difficile, déposent chacun deux bulletins introduits l'un dans l'autre. Qu'arrivera-t-il ? Que celui qui devait avoir 60 voix en aura 120, 20 de plus que chacun des deux autres. Mais on va dira qu'il y a 60 bulletins nuls, puisqu'il y en a 60 de plus que de votants. C'est vrai, mais à quoi servira que cette nullité soit reconnue ? On décomptera 60 voix aux trois candidats et le fraudeur en conservera 60, tandis qu'il n'en restera que 40 à chacun de ses concurrents.

Voilà où conduit cette incroyable théorie ; c'est le respect, l'efficacité de la fraude électorale érigée en système. Il est impossible que vous le sanctionniez par votre vote.

M. Dumortier. - C'est le seul vrai. (Interruption.)

M. Devaux. - Vous ne pousserez pas, messieurs, la passion politique jusqu'à sanctionner de pareilles idées, car vous ne le pourriez sans fouler aux pieds à la fois la justice et le bon sens. Vous ne le ferez pas au début d'une session que, pour des motifs d'une si haute gravité, il esi si désirable de voir calme et digne.

Ne commençons pas dès les premiers jours à envenimer les débats par des pareilles passions.

M. Dumortier. - C'est ce que vous faites.

M. Devaux. - Imitez ce que nous faisons, suivez l'exemple de modération que nous vous donnions avant-hier. Vous trouviez aussi des irrégularités dans l'élection d'un de nos amis politiques, nous nous sommes bornés à nous demander d'éclaircir les faits par une enquête. Vous vous y êtes refusés, vous vous êtes crus assez éclairés. Avons-nous appelé à notre aide pour vous empêcher de recourir à une élection nouvelle ? Non, nous qui n'étions pas assez éclairés, nous nous sommes abstenus et nous vous avons laissé annuler l'élection d'un des nôtres.

Nous ne nous sommes pas attachés à conserver par tous les moyens la voix d'un membre qui doit courir les chances d'une nouvelle élection, nous avons cru qu'il y avait quelque chose de plus important pour un parti que l'appui matériel d'une voix de plus ; c'est son influence morale, sa réputation de modération et de justice. Croyez-moi, messieurs ; pensez pour votre parti, comme nous avons pensé pour le nôtre ; ne foulez pas aux pieds les règles de la droiture dans l'espoir d'avoir une voix de plus ; les partis ne profitent pas d'actes extrêmes ; cette voix à ce prix vous coûterait trop cher.

Messieurs, je le répète, c'est sous d'autres auspices que nous devons ouvrir cette session. Je ne suis pas de ceux, il est vrai, qui viennent vous prêcher la fusion des partis, de ceux qui viennent vous dire : Il n'y a ni catholiques, ni libéraux en Belgique.

Non, messieurs, ce qui se passe ici dans cette discussion même prouve que ces deux partis sont toujours vivants ; ils existeront longtemps encore, car sous des noms divers ils ont existé en Europe presque depuis l'origine de la société. Mais si dans un Etat libre surtout, la divergence des opinions est inévitable, il y a de graves circonstances où les bons citoyens doivent s'efforcer de modérer leurs querelles. Ce que je dis aujourd'hui à mes adversaires, je le dirais tout aussi volontiers demain à mes amis. Croyez-le bien.

Messieurs, si nous voulons que la session actuelle porte des fruits utiles pour la patrie, il ne faut point qu'elle débute par des faits extrêmes qui irritent sans profit pour personne et distraient d'intérêts plus élevés qui ne devraient cesser de nous préoccuper.

Je vote contre les conclusions de la commission.

M. Malou. - L'honorable préopinanl, selon son habitude, veut bien nous prodiguer les conseils. Mais il a oublié, en nous donnant ces conseils de modération, de mettre ses paroles d'accord avec ses avis.

Ainsi j'écarte d'emblée la question de savoir s'il y aura toujours en Belgique des catholiques et des libéraux, question qui, si elle était discutée en ce moment, déplacerait le débat.

De quoi s'agit-il ? Si l'on veut faire abstraction de l'esprit du parti, il s'agit d'une question de droit et d'une question de loyauté.

A entendre certains orateurs, lorsque nous discutons la question de vérification des pouvoirs, il semble que nous pouvions arbitrairement annuler telle élection, valider telle autre.

Non assurément, messieurs, quand nous nous occupons des élections nous statuons sur les droits des électeurs et sur les droits des élus ; et je me hâte de le dire, à mes jeux, le droit acquis à un collège électoral est un droit sacré d'un ordre plus élevé même que le droit de l'élu. Nous sommes ici pour appliquer les arrêts du corps électoral, et non pour les réformer arbitrairement selon nos désirs et nos intérêts.

Le premier élément de ce débat est donc complètement négligé, lorsqu'on se tient terre à terre, lorsque, avec l'honorable membre, on discute s'il y a huit Devos à Anvers, s'il en a voté 7 ou 8. s'il y a ici une virgule de trop, si d'un autre côté une parenthèse a été omise.

La première question est de savoir, d'après les faits constatés dans les procès-verbaux, quel est le droit acquis à la majorité qui s'est manifestée dans le corps électoral d'Anvers, lors des élections du 13 juin dernier.

Je viens défendre ce droit et je voudrais le voir respecter par la Chambre, parce que la Constitution le veut, parce que la loyauté l'exige.

Si, lorsque je discute une question de droit, l'on me dit pour masquer la faiblesse de l'argumentation qu'on peut opposer à nos arguments : C'est une odieuse absurdité ! ces grands mots ne prouvent qu'une chose : l'impossibilité de discuter en droit une question de droit.

La loi électorale a voulu que la volonté du corps électoral se manifestât et qu'elle fût efficace le jour où les comices électoraux sont convoqués. Lorsque vous prenez la loi électorale et que vous l'interprétez de manière que l'exécution n'en soit pas possible, votre interprétation est fausse, d'après les principes les plus élémentaires du droit.

Messieurs, il faut faire au Congrès constituant l'honneur de croire que la loi électorale, permettez-moi l'expression, a le sens commun. Je ne vous demande que cela pour prouver que l'élection d'Anvers doit être validée.

Dans le débat actuel, il y a manque d'une conclusion bien nette de la part des honorables membres qui combattent les conclusions de la commission. Si je comprends bien les discours de ces honorables membres, on veut que l'élection soit annulée et recommencée.

- Plusieurs membres. - Oui.

M. Malou. - Fort bien ; mais, je dis, messieurs, que c'est détruire le droit acquis à la majorité qui s'est manifestée à Anvers, et que c'est (page 35) appliquer la loi électorale d'une manière contraire à sa lettre et à son esprit.

En effet, messieurs, la loi électorale a des dispositions extrêmement simples et faciles à coordonner entre elles, dans le système de la majorité de la commission, système que je viens défendre au nom de la loi organique, des commentateurs de cette loi et de la jurisprudence des deux Chambres.

Si le premier scrutin ne donne pas un résultat complet, il faut procéder immédiatement à un scrutin de ballottage entre ceux qui ont obtenu le plus de voix sans avoir la majorité absolue. Comment peut-on arriver à ce résultat lorsqu'il y a des bulletins en plus ou des bulletins en moins ? Quelle est la présomption légale, d'après les antécédents des deux Chambres ? Quelle est la doctrine des auteurs ?

Tous les actes des Chambres, toutes les dispositions de la loi, tous les jurisconsultes qui ont traité la question, disent que dans ce cas il faut défalquer les voix en plus ou en moins à tous les candidats. (Interruption.)

D'abord, messieurs, vous le faites tous les jours lorsqu'il s'agit de la majorité absolue, vous ne pouvez pas faire autrement, vous l'avez fait l'autre jour quand il s'est agi de l'élection de Bastogne. Toute la discussion a roulé sur le point de savoir si les voix qu'on prétendait être indues étant décomptées au candidat proclamé, il conservait ou ne conservait pas la majorité absolue.

Que de fois, messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, n'ai-je pas entendu attaquer des élections et rejeter les réclamations par ce motif qu'en déduisant les voix contestées l'élu conservait encore la majorité absolue !

Ainsi lorsqu'il s'agit de savoir si un premier scrutin a abouti, le texte positif de la loi électorale comme les textes des lois provinciale et communale, tout, en un mot, démontre que les voix contestées doivent être décomptées à tous les candidats, et qu'il ne doit y avoir ballottage que lorsque, la déduction faite, la majorité n'est pas acquise.

Maintenant, messieurs, quel est le vœu de la loi, quels sont les précédents de la Chambre, lorsque cette déduction faite il n'y a pas au premier tour de scrutin de majorité absolue pour une ou plusieurs des nominations à faire ?

La loi dit qu'il y aura un ballottage entre ceux qui ont eu le plus de voix, et la jurisprudence de la Chambre ajoute que, s'il y parité de voix, le plus âgé sera admis au ballottage. En disant que la jurisprudence de la Chambre décide ce dernier point, je rectifie une erreur dans laquelle est tombé l'honorable M. Frère en ce qui concerne l'élection de Termonde.

En présence de cette disposition de la loi, lorsqu'il ne s'agit plus de savoir si un candidat a été élu, mais lorsqu'il s'agit de savoir qui a obtenu la majorité relative, en d'autres termes, lorsqu'il s'agit de savoir si un tel a eu plus de voix que tel autre, de quel droit venez-vous déduire les voix contestées à l'un sans les déduire à l'autre ? Evidemment c'est là interpréter la loi électorale de manière, permettez-moi de le dire, qu'elle n'ait pas le sens commun. (Interruption.)

Enfin, ayez la bonté de répondre à cette question :

M. Rogier a eu 2,295 voix ;

M. Dellafaille, 2,247 ;

M. de Cock, 2,245.

Qac devait faire le bureau électoral ?

Vous dites qu'il ne pouvait pas faire un ballottage intermédiaire pour déterminer si c'était M. de Cock ou M. Dellafaille qui devait être ballotté. Voilà une première hypothèse que vous excluez. Vous dites qu'on ne pouvait pas ballotter M. Dellafaille avec M. Rogier ; direz-vous, par hasard, qu'on devait soumettre au ballottage M. de Cock avec M. Rogier ?

Si vous ne dites oui ni pour l'une ni pour l'autre de ces opérations, encore une fois que devait faire le bureau électoral ? Où était le moyen d'exécuter la loi ?

Le bureau avait un devoir, devoir imposé par la loi, c'était de faire aboutir immédiatement à un résultat la convocation du collège électoral ; vous lui dites qu'il ne pouvait pas faire un ballottage pour déterminer si c'était M. Dellafaille ou M. de Cock qui devait être ballotté avec M. Rogier ; je vous demande s'il pouvait faire ballotter M. Rogier avec M. de Cock, qui avait eu deux voix de moins que M. Dellafaille ?

C'est pour le coup qui nous aurions vu surgir des épithètes bien autrement épicées que celles que M. Devaux nous a adressées tout à l'heure.

M. Lebeau. - Nous n'accusons personne. Nous n'accusons pas le bureau.

M. Malou. - Il ne s'agit pas de savoir si on accuse le bureau ; je vous demande ce que le bureau devait faire dans le système que vous préconisez ? Je dis que vous rendez la loi électorale absurde. Et remarquez que pour prouver que vous rendez la loi électorale inexécutable, je n'ai pas besoin de faire des suppositions comme celles que faisait tout à l'heure M. Devaux.

L'honorable membre nous demande ce que nous ferions s'il y avait 1,998 voix nulles sur 2,000 votants. Avec des suppositions absurdes vous arrivez à des conclusions absurdes. Quand cela se présentera, je dirai mon opinion.

L'honorable M. Orts a fait une autre supposition à laquelle j'applique la même observation ; il a supposé deux candidats ayant obtenu le même nombre de voix et nés le même jour, à la même heure.

- Un membre. - Pas à la même heure.

M. Malou. - Quand ce cas se présentera, je serai fort embarrassé et j'irai probablement consulter M. Orts.

M. Orts. - M. Manilius et M. Thiéfry sont nés le même jour,

M. Malou. - Lorsque nous vérifions les pouvoirs, nous n'avons pas à discuter des hypothèses comme on peut en faire dans une chaire de professeur, mais nous avons à appliquer les lois et les notions du droit et de l'équité à des cas déterminés. C'est ce que je demande à la Chambre de faire aujourd'hui.

Messieurs, je crois avoir établi que d'après le texte de la loi, d'après les précédents de la Chambre comme d'après la logique, la déduction des voix nulles doit être faite à tous les candidats. Il me reste à prouver que cette fois les auteurs qui ont commenté la loi électorale sont unanimes à cet égard. Je vais citer à l'appui de cette audacieuse absurdité le témoignage de M. Delebecque, premier avocat général près la cour de cassation, et M. de Tielemans, conseiller à la cour d'appel.

Voici ce que dit M. Tielemans :

« La loi n'indique pas ce qu'il y aurait à faire si le nombre des bulletins trouvés dans l'urne, était supérieur ou inférieur à celui des votants. Peu d'observations suffisent pour résoudre toutes les difficultés qui peuvent se présenter à cet égard. La première, c'est que dans l'esprit de la loi, la liste tenue en double par le secrétaire et par l'un des scrutateurs, fait seule foi du nombre des votants, quelque soit d'ailleurs le nombre des bulletins trouvés dans l'urne : cela résulte des précautions mêmes que le législateur a prises pour assurer l'exactitude de cette liste, en exigeant qu'elle soit tenue par deux personnes différentes. La deuxième, c'est que le chiffre de la majorité se détermine par le nombre des votants constaté par la liste, sauf déduction des bulletins nuls : les articles 27 et 32 ne laissent point de doute à ce sujet.

« D'où cette conséquence que s'il y a plus ou moins de bulletins dans l'urne que de votants sur la liste, cette circonstance ne peut influer sar le nombre de voix requis pour être élu. La troisième, c'est que les bulletins qui excèdent le nombre des votants, doivent être considérés comme contenant des suffrages nuls, car si les listes sont exactes, et la loi les suppose telles, il s'ensuit que les bulletins excédants ont été déposés par erreur ou par fraude, et dès lors les suffrages qu'ils contiennent doivent être tenus pour non existants ; or, comme il est impossible de savoir quels sont, parmi tous les bulletins, ceux qui proviennent de la fraude ou de l'erreur, ni par conséquent à qui les suffrages qu'ils contiennent sont donnés, il y a lieu de défalquer à chacun des candidats un nombre de voix égal au nombre des bulletins excédants. Les candidats qui, après cette défalcation, conservent encore la majorité, sont définitivement élus ; si la majorité leur manque, il y a lieu à procéder à un ballottage.

« Telle est la marche que la raison prescrit à défaut de la loi. »

Lorsqu'on nous intente de pareilles accusations, je cherche des complices, et je suis très heureux de les trouver dans les rangs de nos adversaires.

Sous les n°701 et 702 de l'ouvrage de M. Delebccque, je lis ce qui suit :

« 701. Voici l'interprétation donnée en France par la chambre des députés à la loi du 19 avril 1831 ; d'abord pour le cas où le nombre des bulletins était moindre que celui des votants :

« L'annotation des votes, au moment où chaque électeur les dépose, a pour objet d'en constater le nombre ; mais une distraction, une omission est possible de la part des scrutateurs ou du secrétaire : le nombre des votes se prouve donc surtout par le compte des bulletins trouvés au moment du dépouillement du scrutin. C'est à cette règle que la Chambre a cru, avec raison, devoir s'arrêter.

« Elle a décidé qu'on ne peut compter comme suffrages exprimés, que les bulletins qui ont été déposés dans l'urne ; peu importe que la liste émargée des votants indique un suffrage de plus qu'il n'en a été reconnu par le dépouillement du scrutin...

« Il peut en effet, dit M. de Cormenin, y avoir eu erreur par l'enroulement d'un bulletin dans l'autre, ou par l'oubli du scrutateur chargé de l'émargement. C'est d'après le chiffre donné par le dépouillement que le nombre des votants s'établit. La bonne foi et la majorité reconnues trancheraient la question ici comme dans les autres cas, s'il y avait doute.

« 702. Cette règle a reçu son application en Belgique, et M. de Theux en a parfaitement justifié le fondement.

« La loi ne statue pas sur ce qu'il faut faire lorsque le nombre des bulletins diffère du nombre des votants portés sur la liste. Je conviendrai que si le nombre des bulletins se trouve supérieur à celui des votants, on doit déduire à chaque candidat autant de suffrages qu'il y a de suffrages en plus ; et la raison en est bien simple, c'est que les votants remettent leur bulletin fermé au président, et qu'il est très difficile d'empêcher qu'ils déposent deux bulletins à la fois. Il n'y a aucune garantie contre cette possibilité ; aussi lorsque le nombre des votants se trouve inférieur au nombre des bulletins, on doit de préférence admettre qu'un votant a déposé deux bulletins. Mais au contraire, lorsque c'est le nombre des suffrages qui est inférieur au nombre des votants, alors la raison conduit à admettre comme probable que l'erreur provient de la tenue des listes. »

Voici encore une fois, je le constate avec bonheur, mon honorable ami M. de Theux d'accord avec M. l'avocat général Delebecque ; je désire qu'il en soit toujours ainsi.

(page 36) - - Un membre. - Il s'agit là de majorité absolue ; tout le monde est d'accord sur ce point.

M. Malou. - On fait le décompte pour la majorité absolue, et j'ai fait remarquer qu'il y avait dix fois plus de raison de le faire pour la majorité relative. (Interruption.)

Il y a beaucoup plus de raison de le faire pour la majorité relative, parce que là où, d'après la loi électorale, il doit y avoir un scrutin de ballottage, on a égard à un seul fait matériel, à savoir quels sont les deux candidats qui ont eu le plus de voix. C'est ce principe que le bureau électoral d'Anvers a appliqué avec beaucoup de raison le 13 juin 1854. (Aux voix.)

Un mot, messieurs, sur les faits ; je ne veux pas abuser de la bienveillance de la Chambre pour prolonger la discussion de principe.

Dans le procès-verbal de la quatrième section, le mot « quinze » a été substitué au mot « seize », les mots « plus un » sont d'une autre écriture et d'une autre encre. (Interrupion.)

Voici le procès-verbal ; tout le monde peut le vérifier.

Le mot « quinze » a été substitué au mot « seize » ; et ensuite, dans la liste des votants, on a commencé par écrire n°416, et on s'est arrêté.

Maintenant, je demande où l'honorable M. Devaux a vu confirmée par les procès-verbaux l'allégation relative au sieur Salsmans ; j'ai ici le procès-verbal de la quatrième section, et il ne contient pas un mot à cet égard.

Une dernière observation de fait, au sujet du sieur Devos. Je n'examine pas s'il y a 7 ou 8 Devos ; mais je constate que dans le procès-verbal le bureau n'adhère pas à la réclamation, ne se prononce en aucune manière et que la réclamation est écrite à la suite du recensement des votes.

D'après ces considérations de droit et en présence de ces faits, je dis avec plus de raison que l'honorable M. Devaux que l'annulation de l'élection d'Anvers serait considérée a bon droit comme un acte de parti.

(page 31) - La clôture est demandée.

M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. On vient de qualifier le système que l'honorable M. Malou a démontré être le seul vrai... (Interruption.)

M. le président. - Vous discuter.

M. Dumortier. - Je ne discute pas, j'expose, je justifie ma demande de parole.

On vient donc de qualifier notre système d'audacieuse absurdité ; eh bien, je demande à pouvoir démontrer en quatre mots que la plus horrible des absurdités est le système défendu par M. Devaux.

- La clôture est prononcée.

M. le président. - Je mets aux voix les conclusions de la commission qui sont la validité de l'élection.

- Il est procédé au vote par appel nominal.

Voici le résultat du vote :

Le nombre des votants était de 94

Ont répondu oui, 47

Ont répondu non, 46

S'est abstenu, 1

En conséquence les conclusions de la commission sont adoptées.

M. le président. - M. de Naeyer est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. de Naeyer, rapporteur. - Mon abstention est fondée sur les doutes que j'ai eu l'honneur d'exposer au début de la séance et qui n'ont pas été levés par les observations produites dans la discussion.

Ont répondu oui : MM. Desmaisières, de Theux, de T'Serclacs, de Wouters, Dumon, Dumortier, Faignart, Janssens, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Maertens, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vilain Xllll, Wasseige, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, de Brouwer, Dechamps, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Portemont, de Ruddere et de Sécus.

Ont répondu non : MM. Devaux, Dubus, Frère-Orban, Goblet, Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebekc, Van Iseghem, Van Remoortere, Verhaegen, Veydt, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Delfosse, Deliége, de Moor, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer et Anspach.

- Une voix. - Mais 47, ce n'est pas la majorité !

M. Verhaegen. - Il y a une réclamation, il ne faut pas proclamer le résultat du vote. Je demande la parole.

M. Dumortier. - Le bureau l'a proclamé, M. le président a déclaré : « Les conclusions de la commission sont adoptées. »

M. le président. - Le bureau a constaté le résultat, et je l'ai proclamé.

M. Frère-Orban. - Dès que M. le président déclare qu'il a proclamé le résultat, il ne reste rien à faire pour le moment. S'il n'y a pas majorité, la Chambre pourra ultérieurement le déclarer.

- Un membre. - Il y a majorité.

M. Frère-Orban. - Je ne m'explique pas là dessus. Je constate qu'il y a réclamation.

M. Thiéfry. - Nous ne connaissons ni le nombre des votants, ni le résultat du vote.

M. de Mérode-Westerloo. - On l'a proclamé.

M. Thiéfry. - Je ne l'ai pas entendu ; j'ai entendu confondre un membre qui s'abstient avec un billet blanc.

M. Dumortier. - Tous les précédents de la Chambre sont là. Un membre qui s'abstient compte dans le nombre des votants, puisque quand la Chambre est rigoureusement en nombre pour délibérer, le vote est valable quoiqu'il y ait des abstentions. Mais pour déterminer le chiffre de la majorité on a toujours déduit du nombre des membres présents celui des membres qui s'abstiennent.

M. le président. - C'est consigné au procès-verbal. Demain on pourra réclamer.

M. Thiéfry. - 94 membres ont pris part au vote.

M. Dumortier. - Permettez ! 94 membres sont présents. Un s'abstient. 93 seulement prennent part au vote. Celui qui s'abstient ne vote pas.

- La séance est levée à 5 1/2 heures.