(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1651) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; Jla rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Hubert-Ferdinand Moreau, demeurant à Uyckhoven, né à Maestricht, demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Minet, ancien ingénieur du cadastre de la province de Namur, demande l’établissement d'un concours sur le mode à suivre pour obtenir le plus grand degré de précision possible dans les opérations d'arpentage. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Minet, ancien ingénieur du cadastre de la province de Namur, propose des mesures pour assurer le bornage des propriétés. »
M. Lelièvre. - Les deux pétitions de M. Minet contiennent des observations qui méritent d'être prises en considération par le gouvernement. Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de vouloir faire son rapport le plus tôt possible.
- Cette proposition est adoptée.
« M. le ministre des finances transmet des explications sur les pétitions des sœurs de charité de Rumbeke et des membres du conseil communal du bureau de bienfaisance et d'autres habitants de cette commune, ayant pour objet d'obtenir exemption de la contribution personnelle et de patente en faveur de l'école dirigée par les sœurs de charité. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Dumon. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit de 9 millions au département des travaux publics.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, le sieur de Grave, notaire à Laerne, soumet à la Chambre un projet de loi de réorganisation du notariat.
Ce projet est très volumineux et comprend plus de 40 pages écrites.
Votre commission est d'avis que la Chambre ne serait pas disposée en ce moment à s'occuper, par une discussion anticipée, de cet objet, sur lequel le gouvernement prépare un projet complet qui sera présenté à la session prochaine ; elle a donc cru pouvoir se borner à vous proposer le renvoi pur et simple à M. le ministre de la justice et le dépôt sur le bureau pendant la discussion prochaine du projet de loi sur le notariat.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - « Des propriétaires à Perwez réclament de nouveau l'intervention de la Chambre pour obtenir le rétablissement des communications qui se trouvent interceptées depuis la construction de la route de Thorembais St-Trond à Grand-Rosière. »
Il résulte des termes de la requête, datée de Perwez le 18 février dernier, qu'une première pétition, aux mêmes fins, qui a été adressée à la Chambre, le 9 mai 1853, a été renvoyée à M. le ministre des travaux publics ; que, par sa lettre du 27 mai, ce haut fonctionnaire a informé les pétitionnaires que leur requête était envoyée à l'autorité provinciale du Brabant, qui, précédemment, l'avait déjà renvoyée à l'Etat, la route en question lui ayant, disait-on, été cédée.
La lettre ministérielle ajoute : Il vous reste toujours la faculté d'intenter une action judiciaire à la députation permanente, afin de la contraindre à faire exécuter les travaux dont il s'agit.
Les pétitionnaires, pleins de confiance en votre justice et votre bienveillante sollicitude prennent de nouveau recours vers vous, messieurs, afin que vous déterminiez l'autorité compétente à faire cesser le grief dont ils se plaignent.
Il résulte des pièces qui se trouvent au dossier, qu'en octobre 1848, M. le bourgmestre de Perwez a réclamé le rétablissement d'une communication entre la route de Grand-Rosière à Thorembais Saint-Trond et le chemin vicinal conduisant de l'église de Perwez à la maison dite de France. Il est à observer que l'administration des ponts et chaussées, lorsqu'elle s'est occupée du projet de la route, croyait, d'accord en cela avec l'administration communale, que ce chemin pouvait être supprimé sans inconvénient, et dans ce but elle s'était dispensée de comprendre dans le projet les travaux de raccordement nécessaires.
L'ingénieur en chef de la province ayant toutefois reconnu, après une inspection des lieux, que le rétablissement de la communication dont il s'agit serait utile à quelques personnes, a proposé, le 22 février 1849, à la députation permanente du Brabant d'exécuter le raccordement réclamé.
Mais la députation permanente ayant pensé que rien ne constatait l'urgente nécessité du rétablissement de la communication intercepte a, par décision, en date du 13 mars 1849, ajourné à des temps plus favorables l'exécution des travaux en question.
Par une requête datée du mois de juillet 1851, le sieur Mathy, au nom du sieur Bouvier, de Perwez, a également sollicité le rétablissement du chemin dont il s'agit.
L'ingénieur en chef, se référant aux renseignements contenus dans son rapport du 22 février 1849, a de nouveau proposé la construction de la rampe de raccordement dont il est parlé ci dessus.
En septembre 1851, la députation permanente a décidé qu'il serait donne suite aux propositions contenues dans le rapport de l'ingénieur en chef du 22 février 1849, sous condition que la dépense ne dépasserait pas la somme de 250 francs.
En suite de cette décision, l'administration des ponts et chaussées s'est mise en rapport avec les propriétaires des terrains à incorporer dans la rampe de raccordement pour obtenir la cession de ces terrains ; mais ils ont refusé d'accepter l'indemnité qui leur était offerte et qui correspondait cependant au prix payé pour les terres de première classe lors de la construction de la route. Ce refus avait pour motif d'amener la province à effectuer le raccordement sur l'emplacement de l'ancien chemin qui est très encaissé, travail qui aurait nécessité une dépense de 800 francs au moins.
L'ingénieur en chef s'est donc vu dans la nécessité de proposer l'ajournement des mesures ordonnées par la députation permanente, mais il a annoncé à ce collège qu'il ferait faire de nouvelles instances près des propriétaires intéressés pour obtenir la cession des terrains en question à un prix raisonnable ; ces démarches n'ayant pas abouti, il a proposé d'ajourner indéfiniment la conclusion de cette affaire, proposition qui a été accueillie par la députation permanente, dans sa séance du 22 octobre 1851.
Au mois d'avril 1852, le sieur Bouvier est revenu à la charge, mais la députation permanente lui a fait connaître que, pour les motifs indiqués ci-dessus, elle croyait devoir ajourner toute décision sur l'objet de sa réclamation.
En résumé l'autorité provinciale décline la charge de construire le raccordement par le motif qu'elle a cédé la route à l'Etat, et l'Etat ne veut pas se charger du travail parce que la solution de continuité n'étant pas son œuvre, la charge ne lui incombe pas.
En strict droit cependant aucune voie de communication ne,peut être supprimée de fait, quelle que soit d'ailleurs l'autorité, qu'après avoir rempli les formalisés exigées par la loi ; de plus, personne ne peut être exproprié sans une juste et préalable indemnité ; or, les propriétés riveraines ont un droit acquis sur les chemins qu'on ne peut leur enlever sous aucun prétexte ; d'un autre côté, la commune de Perwez a refusé de se charger du travail moyennant la somme de 250 francs, offerte comme prix maximum, par la députation permanente ; les propriétaires intéressés et parmi eux le bureau de bienfaisance ont refusé le taux de 4,320 fr. l'hectare qui leur était offert, et qui correspond au prix payé pour les terres de première classe, lors de la construction de la route dont il s'agit.
Le raccordement sur l'emplacement de l'ancien chemin exigeant un remblai de plus de deux mille mètres, la dépense s'élèverait à 800 francs environ.
Restent donc d'un côté l'expropriation forcée et de l'autre le procès à intenter à l'administration provinciale indiquée dans la lettre de M. le ministre.
Votre commission a cru que cette affaire soulevait des questions assez graves pour vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explication, c'est ce qu'elle a l'honneur de faire par mon organe.
M. de Ruddere. - J'appuie le renvoi à M. le ministre avec demande d'explications.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. le président. - Voici une lettre que j'ai reçue de M. de Bronckart :
« M. le président. « Je me trouve dans l'impossibilité d'assister à la séance d'aujourd'hui.
« Je désirerais pouvoir faire demain à M. le ministre de l'intérieur l'interpellation que j'ai annoncée dans la séance de samedi. Je vous prie donc d'avoir la bonté de m'inscrire, si la chose est nécessaire.
(page 1652) « Agréez, M. le président, l'expression de ma haute considération.
« De Bronckart.
« 9 mai 1854. »
M. le ministre de l'intérieur voudra bien être présent demain à l'ouverture de la séance ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Oui, M. le président.
M. de La Coste. - Un incident semblable à celui que se propose soulever l'honorable M. de Bronckart, s'est présenté, autant que je me le rappelle, deux fois depuis quelques années, une fois à l'occasion du gouverneur qui m'a précédé à Liège et dont la pension a été l'objet d'observations adressées à l'honorable comte de Theux ; une autre fois à l'occasion de la pension de l'honorable M. d Hoffschmidt, qui a été l'objet d'une discussion ou plutôt d'une conversation dans la Chambre cet hiver-ci.
Messieurs, à ces deux occasions, le membre de la Chambre que la chose concernait, n'a pas assisté à la séance ; je crois que c'est le parti le plus convenable, et je me propose de suivre cet exemple.
Cependant, je suis tout à fait à la disposition de la Chambre. Si elle désire de moi quelques explications, je serai toujours prêt à les lui donner.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - M. de La Coste est juge de la conduite qu'il doit tenir.
M. Van Overloop. - Messieurs, on m'a remis ce matin une circulaire de M. le ministre des finances ainsi conçue :
« Bruxelles, 12 novembre 1853.
« Monsieur le directeur,
« Dans le but de simplifier le travail relatif à la copie des rôles des contributions directes, pour servir à la formation des listes électorales, j'ai jugé utile, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, d'introduire aux divers cadres actuellement en usage, les changements indiqués à la main, aux modèles ci-joints.
« Je vous prie, M. le directeur, d'en donner connaissance aux fonctionnaires que la chose concerne et de prescrire aux receveurs de s'y conformer, en faisant les changements nécessaires au matériel qui leur a été envoyé pour les besoins de 1854.
« Au nom du ministre :
« Le directeur général. »
La conséquence de ces circulaires est celle-ci : c'est qu'on ne se conforme plus à l’article 7 de la loi électorale, paragraphe 2, portant :
« Un double des rôles, certifié conforme par le receveur et vérifié par le contrôleur des contributions directes, sera remis à cet effet, avant le premier avril, aux collèges des bourgmestre et échevins ; ce double sera délivré sans frais. »
En effet, à la suite de la circulaire, d'après ce qu'on m'a dit, je n'affirme pas, on ne dépose plus le double des rôles. On fait simplement le total de ce que paye chaque contribuable et c'est le tableau de ces totaux que l'on dépose. De là résulte que les citoyens ne peuvent plus apprécier si toutes les personnes portées sur la liste électorale possèdent les bases du cens à raison duquel elles figurent sur la liste. Je voudrais avoir des éclaircissements de M. le ministre de l'intérieur à cet égard.
Il est incontestable que les listes électorales doivent pouvoir être contrôlées par tous les citoyens indistinctement ; il est incontestable que les citoyens, pour pouvoir exercer un contrôle efficace, doivent avoir le moyen d'examiner si telle ou telle personne, portée sur la liste, possède les bases du cens qui lui est imputé.
Or, si le double des rôles n'est pas déposé au secrétariat des communes, comment voulez-vous que ce contrôle puisse avoir lieu ?
La circulaire, si tant est qu'on l'applique dans le sens que je viens d'indiquer, aurait cette conséquence, c'est que les receveurs des contributions seraient les créateurs des électeurs, et comme les receveurs des contributions sont sous les ordres directs de M. le ministre des finances, M. le ministre des finances pourrait, en définitive, exercer une grande influence dans les élections, les fausser en grande partie. Loin de moi de dire que la circulaire ait ce but, loin de moi de prétendre que M. le ministre des finances veuille en tirer parti dans ce sens, mais enfin cela pourrait arriver et cela ne se peut pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, cette interpellation n'est fondée que sur des on-dit, sur des appréciations dont on n'est pas bien sûr. La circulaire émane du département des finances ; en attendant que j'aie pu en causer avec mon collègue, je puis dire dès à présent qu'elle n'a pu et ne pourra avoir pour résultat de diminuer les garanties offertes aux citoyens par la loi pour le contrôle des listes électorales. Demain, le gouvernement donnera des explications catégoriques.
M. de La Coste. - M. le ministre de l'intérieur devant s'assurer des faits, nous ne pouvons pas insister sur une réponse immédiate. Je dois dire cependant que j'ai reçu les mêmes informations que l'honorable M. Van Overloop ; j'ajouterai donc quelques explications. Voici comment on m'a assuré que la chose s'est passée :
D'après la loi, les doubles des rôles doivent être déposés à la maison communale, et être ouverts à quiconque veut les consulter.
Eh bien, après la circulaire dont il vient d'être parlé, on a envoyé pour modèles, des cadres imprimés des rôles sur lesquels certaines colonnes étaient barrées ; depuis lors elles n'ont plus été remplies dans les doubles envoyés aux communes ; les colonnes, ajoute-t-on, renfermaient le détail des bases.
Je ne pense pas qu'il yait eu intention de peser sur les élections, mais il n'en est pas moins vrai, que la chose ne serait pas conforme à la loi, qui dit « les doubles des rôles », et que cela peut avoir un effet contraire au but de la loi car, au lieu des doubles, ce ne seraient plus que des extraits des rôles.
On y voit bien la somme de chaque nature de contribution payée, mais on n'en peut apprécier le détail, et c'est ce détail qui met sur la voie des fraudes, qui, dit-on, seraient maintenant assez nombreuses.
Je désire donc non seulement que M. le ministre s'assure si les faits sont exacts, mais, s'ils le sont, qu'il veuille bien prendre les mesures les plus promptes pour porter remède à cet état de choses qui pourrait donner lieu à de graves difficultés après les élections ; car, dans certains cantons, dans certains arrondissements, elles pourraient dépendre de quelques voix et se trouver faussées parce que le droit d'un pareil nombre d'électeurs n'aurait pas pu être vérifié en temps utile, à défaut des moyens de contrôle établis par la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Demain des explications seront données.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble des projets de loi adoptés dans la séance d'hier.
En voici le résultat :
62 membres répondent à l'appel.
Tous répondent oui.
En conséquence, les projets de loi sont adoptés. Ils seront transmis au Sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. de Man d'Attenrode, F. de. Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Ruddere, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Jouret, Julliot, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Osy, Pirmez, Rogier, Ch. Rousselle, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Allard, Boulez, Brixhe, Clep, Closset, Coomans, Coppieters, David, H. de Baillet, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke et Delfosse.
La discussion générale est ouverte.
M. Maertens. - Messieurs, j'ai pensé, qu'à propos de la discussion du budget de la justice, il convenait d'appeler de nouveau l'attention de M. le ministre sur un objet de la plus haute importance, je veux parler de la révision de la loi sur le notariat.
Cet objet intéresse tout à la fois le public et le notaire lui-même.
Comme le ministère du notaire est forcé, il est évident que le citoyen a le droit d'exiger de la loi qu'elle environne le notariat de toutes les garanties possibles, tant sous le rapport de la capacité, que sous le rapport de la moralité.
Ces fonctions ne sont pas, je crois, suffisamment appréciées ; on ne tient pas assez compte de l'importance d'une institution qui embrasse les plus graves intérêts.
Le notaire en effet est un véritable magistrat appelé à revêtir les actes et contrats d'un caractère d'authenticité qui leur donne tous les effets d'un jugement. Il faut donc, pour remplir une pareille mission, un homme éminemment capable. Mais la capacité est surtout indispensable pour ce qui concerne la rédaction des actes, car l'incapacité de ce chef peut entraîner le particulier dans des procès ruineux et compromettre sa fortune.
Mais le notaire est surtout l'homme de confiance de ceux qui lui abandonnent le soin de leurs intérêts ; il est l'arbitre des différends, le conseiller intime des familles, et c'est là que commence pour lui ce ministère d'honneur et de délicatesse qui est un des plus beaux apanages de sa profession.
Je disais tout à l'heure que le notaire lui-même était intéressé à la révision de la loi.
En effet, il doit désirer plus que tout autre que la loi rende impossibles ou au moins difficiles des abus qui peuvent jeter la méfiance et ce discrédit sur une profession qui a la confiance pour base. Je sais, messieurs, que ces abus sont heureusement rares, et que le notarial belge n'a pas démérité de la confiance du public ; mais dans des questions aussi délicates, on ne saurait exiger trop de garanties. C'est ainsi que je recommande spécialement à M. le ministre la question du cautionnement.
Cette mesure a été souvent signalée comme une réforme utile, et je suis intimement convaincu qu'elle ne pourrait avoir que des effets salutaires. Une question qui intéresse vivemen tencore surtout les notaires des campagnes, c'est celle qui se rapporte à l'étendue de la juridiction, au nombre et à la répartition des notaires. Il importe, en effet, que quelle que (page 1653) soit la résidence assignée au notaire, il puisse trouver, dans l’étendue de sa juridiction, de quoi se procurer une existence honorable.
Mais je ne veux pas entrer dans de plus amples détails, le moment serait mal choisi, je me borne donc à recommander spécialement cet objet à M. le ministre de la justice, dont le zèle intelligent et les lumières me sont un sûr garant qu'il amènera à bonne fin l'examen de cette importante matière, et qu'au début de la session prochaine, les Chambres pourront être saisies d'un projet de loi sur le notariat.
Je dois encore appeler l'attention de M. le ministre sur la position d'une autre catégorie de fonctionnaires, dont il faudra s'occuper à propos de la révision de la loi sur l'organisation judiciaire ; je veux parler des huissiers et des avoués.
La position des uns et des autres est devenue presque intolérable.
Pour les huissiers on leur a enlevé une partie de leurs attributions, sous prétexte de diminuer les frais de procès, et l'on a ainsi compromis leur position sans atteindre le but qu'on se proposait, car il arrive souvent que des affaires doivent être remise ; parce que les témoins ne comparaissent pas, ayant été mal assignésou ne l'ayant pas été du tout ; de là il résulte pour les parties des frais bien plus considérables que les simples frais d'assignation qu'on payait anciennement.
Leur nombre, du reste, est devenu trop considérable ; de là il s'établit dans ces corps une concurrence fatale pour tous et ruineuse pour quelques-uns d'entre eux.
La même chose peut s'appliquer aux avoués qui sont de nouveau menacés par la mise en vigueur de la nouvelle loi sur l'expropriation forcée.
Il convient donc, pour l’une et l'autre catégorie, de coordonner les besoins du service avec de légitimes prétentions à une existence convenable.
Je borne ici mes réflexions, espérant que M. le ministre voudra poursuivre l'examen de ces intéressantes questions, à la solution desquelles se lient si intimement le sort et l'avenir de tant de citoyens honorables.
M. Lelièvre. - La discussion du budget de la justice me fournit l'occasion d'appeler l'attention du gouvernement sur quelques mesures réclamées par l'intérêt général. C'est ainsi qu'indépendamment de la loi sur le notariat, dont la présentation est demandée par la section centrale, je pense qu'il serait nécessaire de soumettre aux Chambres un projet concernant la pêche, matière sur laquelle nous n'avons que des dispositions éparscs et une législation incomplète.
Depuis longtemps la France est dotée d'une loi spéciale en cette matière, et, sous ce rapport, nous sommes restés en arrière.
Une loi sur la pêche est, du reste, le complément du Code forestier, les eaux et forêts nationales étant soumises à une même administration.
Je dois, en conséquence, appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur ce point important.
D'un autre côté, il serait essentiel de réviser les dispositions relatives aux délits ruraux et de soumettre à la législature un Code complet en cette matière. Cela est d'autant plus nécessaire que des dispositions nombreuses ont apporté des dérogations assez importantes à la loi de 1791. La loi de juin 1849, notamment, a réduit les peines à l'égard de nombre de délits réprimés par l'ancien Code rural. Il serait donc indispensable de proposer un projet renfermant un système complet. C'est là une amélioration importante qui peut être réalisée.
Je prie M. le ministre de la justice de ne pas perdre de vue le projet de loi concernant l'organisation judiciaire, réclamé si vivement par les justiciables dont les intérêts sont notablement lésés par l'insuffisance du personnel de quelques cours et tribunaux. Je persiste, du reste, à penser qu'il suffit de trois juges à la cour d'assises et qu'aucun motif sérieux ne justifie sous ce rapport un changement au régime en vigueur.
Enfin je signalerai à M. le ministre la nécessité de s'entendre avec les officiers du ministère public avant de publier le Code forestier qui bientôt sera voté définitivement.
Le Code nouveau ne considérant que comme simples contraventions des faits qui aujourd'hui constituent des délits et vice versa, il serait essentiel que toutes les affaires actuellement introduites pussent être terminées avant la publication de la loi nouvelle, afin d'éviter des déclarations d'incompétence qui augmentent notablement les frais de poursuite, et portent atteinte à des intérêts sérieux. Il suffirait de prévenir les officiers du parquet, du jour de la publication quelque temps avant cette mesure.
Pour le surplus, je m'associe aux considérations émises par la section centrale qui seront sans doute appréciées par le gouvernement.
Enfin, j'engage le gouvernement à s'occuper le plus tôt possible du tarif concernant les avoués, tarif destiné à rémunérer convenablement des officiers ministériels qui rendent d'incontestables services.
Il serait aussi essentiel de s'occuper du tarif relatif aux actes notariés, l'arrêté de décembre 1851 ayant introduit en cette matière des dispositions inadmissibles à tous égards. D'après cet arrêté, un notaire ne reçoit que trois francs, y compris le salaire de la première expédition lorsque la valeur de l'objet énoncé à l'acte n'excède pas cinq cents francs. Or, messieurs, c'est là un émolument dérisoire. Si ce arrêté était appliqué dans toute sa rigueur, il en résulterait qu'un notaire qui se déplace ne pourrait recevoir que la somme insignifiante dont j'ai parlé et qui, certes, n'est pas en rapport avec les services et la responsabilité du notaire.
Je recommande ces divers objets à l'examen de M. le ministre de la justice, qui,en faisant à cet égard des propositions à la législature, méritera la reconnaissance du pays et des amis de la science.
M. Pierre. - Je crois devoir féliciter le gouvernement sur l'usage qu'il a conseillé de faire du droit de grâce envers quelques condamnés politiques. Le pays a applaudi à ces actes de clémence royale, dont l'exercice constitue l'une des plus belles prérogatives de la couronne. Il m'eût été cependant infiniment plus agréable de ne point avoir à exprimer un regret à côté de mes félicitations.
Une amnistie complète, sans exception, eût beaucoup mieux répondu aux vœux de tous. Quelques années d'incarcération pour les uns, un très long exil pour les autres doivent être considérés comme une expiation exemplaire plus que suflisante.
Il y a d'excellentes raisons pour convier à amnistier les uns et les autres. D'honorables collègues ont déjà fait valoir précédemment ces motifs. Il en est un, toutefois, qui leur est échappé et son importance m'engage à le présenter. Nous vivons en paix, en bonne intelligence avec les Pays-Bas. Cet Etat est notre ami, notre meilleur allié. Les liens de confraternité qui nous ont unis pendant quinze ans, le même esprit de nationalité, d'indépendance, de liberté nous sont garants de la sincérité, de la solidité de cette alliance. La persistance à tenir éloignés du sol belge trois hommes condamnés pour leur entraînement à des intérêts dynastiques, qui depuis longtemps n'ont plus de raison d'être, n'est-elle pas en quelque sorte une protestation tacite contre notre amitié avec la Néerlande. A part l'opportunité de l'exercice du droit de grâce, il y aurait, selon moi, convenance politique, internationale, à faire cesser les effets de la condamnation, à laquelle je viens de faire allusion.
M. Allard. - Messieurs, nous avons reçu un grand nombre de requêtes de commissaires de police, remplissant les fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police. Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il a examiné les réclamations de ces fonctionnaires, et s'il ne croit pas qu'il y a lieu d'y faire droit.
Les commissaires de police sont surchargés de besogne, et il est de toute justice de les indemniser de temps qu'ils passent à rendre service à la chose publique.
J'appelle aussi l'attention de M. le ministre de la justice sur une pétition qui nous a été adressée, il y a quelque temps, et sur laquelle l'honorable M. Moreau a fait rapport. Cette pétition est relative au domicile de secours des personnes qui obtiennent la naturalisation. Je crois que cette question est assez grave pour qu'elle obtienne une solution le plus tôt possible.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je ne puis, après avoir écouté les bienveillantes observations des honorables orateurs qui se sont fait entendre dans cette séance, que leur dire que j’apporterai la plus sérieuse attention à l'examen de toutes les questions qu'ils ont bien voulu me signaler.
Reprenant une à une les observations qui viennent de vous être soumises, je communiquerai très brièvement à la Chambre quelques réflexions.
J'ai eu l'honneur de répondre récemment à une interpellation que l'honorable M. Vander Donckt m'a faite quant à la loi relative au notariat. J'ai expliqué pourquoi cette loi n'avait pas été présentée dans la présente session ; je ne pourrais que répéter les raisons que j'ai données et qui paraissent avoir été bien accueillies.
La question de la position des notaires, celles qui se rattachent à leur nombre, à leur résidence et au cautionnement sont évidemment des questions principales qui entreront dans l'examen général de la loi qui sera élaborée définitivement dans l'intervalle des deux sessions et qui, je l'espère, pourra être soumise à la Chambre en même temps que le projet de loi sur l'organisation judiciaire, auquel la commission travaille sans relâche et qu'elle est bien près de terminer.
En ce qui concerne les huissiers et les avoués, j'ai, comme pour ce qui concerne le nombre des notaires, constamment étudié la question de leur nombre à fixer dans les divers arrondissements. J'ai établi une enquête près de tous les corps judiciaires à l'effet de réunir tous les éléments propres à déterminer d'une manière rationnelle le nombre des avoués et des huissiers. Les membres de cette assemblée ont pu voir au Moniteur divers arrêtés qui ont fixé, en le diminuant presque toujours, le nombre des avoués et des huissiers près de certains corps judiciaires. Toutes les appréciations ne sont pas parvenues au département de la justice ; à mesure que les délibérations des corps judiciaires sont suffisamment motivées, je soumets au Roi des propositions qui sont conformes aux avis des corps judiciaires eux-mêmes et que ces corps basent sur le mouvement et sur l'importance des affaires et sur les nécessites de l'existence matérielle dans les diverses résidences, dans les divers chefs-lieux d'arrondissement.
Je crois, en réponse à une des observations présentées par l'honorable M. Lelièvre, pouvoir dire que mon collègue des finances a dû, si je ne me trompe, instituer une commission près de son département pour s'occuper d'une loi sur la petite pêche : car c'est une matière qui concerne le département des finances et non pas le département de la justice. Je pense que cette commission, si elle n'est pas installée, le sera prochainement.
Le tarif des frais et dépens en matière civile est près d'être terminé. Il y a une loi qui n'est pas encore promulguée, loi qui a été votée, (page 1654) il y a une couple d'années, et qui autorise le gouvernement à régler le tarif des frais en matière civile. Le retard de la publication de cette loi provient de ce qu'on s'est occupé des lois sur l'expropriation forcée et sur la saisie des rentes, et de ce qu'on a cru devoir attendre le vote de ces lois pour voir quelles modifications les tarifs devraient subir.
Je pense qu'on pourra promulguer immédiatement les lois sur l'expropriation et sur la saisie des rentes, et s'occuper dans un bref délai du tarif des frais.
Messieurs, la question des commissaires de police près les tribunaux de simple police est une des questions qui ont été signalées à l'attention de la commission d'organisation judiciaire. L'an dernier, il a déjà été parlé de cette question. J'ai dit que c'était une grosse question, parce qu'elle emportait des sommes considérables à charge du trésor.
Il faut combiner la coopération des communes avec celle du trésor. Si l'on veut que les commissaires de police s'occupent, non seulement des tribunaux de simple police, mais encore du service de la police cantonale, si l'on veut centraliser le service de la police dans chaque canton, il faut s'entendre avec les communes qui seraient déchargées des frais de police locale.
C'est une grosse question ; il y a peut-être une vingtaine d'années qu'elle est signalée au sein de la législature et qu'elle a été étudiée dans les bureaux du département de la justice ; on a toujours reculé devant beaucoup de difficultés et particulièrement devant cette difficulté financière qui est sérieuse et réelle.
L'honorable M. Pierre a parlé des condamnés politiques. Je dois dire que le gouvernement n'a pas cessé (et il l'a prouvé) de s'occuper du sort de cette catégorie de condamnés. La plus grande réserve est commandée au gouvernement sur ce qu'il reste à faire et sur ce qui sera fait à l'égard de ceux auxquels l'honorable M. Pierre s'intéresse.
C'est encore une question de savoir si l'unanimité du pays prend intérêt à certaines catégories de condamnés, notamment de ceux qui se sont ralliés à des idées étrangères à notre organisation et hostiles à notre indépendance.
Il est très facile de dire que tout le monde s'intéresse à ces diverses catégories de condamnés, parce que ceux qui ne leur portent pas le même intérêt auraient peut-être quelque scrupule à exprimer une pensée contraire à celle dont l'honorable M. Pierre s'est fait l'organe très consciencieux. Mais ce que je puis dire, sans manquer à la réserve qui m'est ici commandée, c'est que le gouvernement se montre indulgent, comme il l'a, du reste, prouvé, et il ne cessera d'écouter les mêmes sentiments dans l'appréciation des réclamations de ceux qui restent encore sous le coup des arrêts qui les ont condamnés.
Je pense que ces courtes explications suffiront pour donner satisfaction aux honorables membres.
M. Devaux. - Messieurs, les dépôts de mendicité et les mesures de bienfaisance en général ressortissent au département de la justice. Je demande la permission de soumettre en ce moment, sur cette matière, quelques observations à la Chambre et au gouvernement.
Messieurs, vous savez tous que les communes des Flandres sont fort obérées par les dépenses que leur occasionnent leurs pauvres, à raison soit de leur séjour dans les dépôts de mendicité, soit d'autres mesures qu'on prend en leur faveur. Les administrations se sont ingéniées à trouver les moyens d'améliorer cette situation. Il y a une dizaine d'années, on avait songé à en employer un qui n'a pas eu un grand succès : c'était la colonisation. Les essais qu'on a tentés à cette époque-là n'ont pas pris une grande consistance. Je crois qu'on a voulu alors aller trop vite ; on a voulu commencer par une colonisation difficile, aventureuse. C'était beaucoup trop pour un pays où l'esprit de colonisation n'existe pas. On voulait aussi faire deux choses à la fois : donner un débouché à la population pauvre et en même temps un débouché à nos produits industriels. On aurait probablement mieux réussi si on s'était borné à des projets plus simples et d'une exécution plus facile ; si, au lieu de tenter une colonisation difficile et hardie, on en eût favorisé une qui fût sûre et exempte de dangers, et si au lieu de vouloir combiner une oeuvre industrielle avec une œuvre charitable, on se fût contenté de favoriser le déplacement de la population indigente. Je pensais alors que ce qu'il y aurait eu de mieux à faire, c'était de favoriser la fondation aux Etats-Unis du premier noyau d'un village flamand avec une église catholique et un prêtre flamand. Une fois que cet essai aurait réussi, les bonnes nouvelles reçues en Europe auraient attiré d'autres émigranis qui auraient été éclairés à l'avance sur les chances et les moyens de succès. Ce qui eut pû se faire en une fois avec l'aide du gouvernement, le temps qui s'est écoulé depuis lors la fait en partie.
Successivement quelques habitants des campagnes de la Flandre sont allés s'établir aux Etats-Unis. ils y ont réussi, ont donné de leurs nouvelles et en ont attiré un certain nombre d'autres ; aujourd hui les correspondances continuent entre les émigrants et leurs parents : je crois que si le gouvernement voulait en ce moment y aider un peu, il serait facile de créer un courant d’émigrations flamandes vers les Etats-Unis, car les correspondances dont je parle se répandent et font une grande impression dans certaines communes ; elles y excitent dans la classe peu aisée un grand désir d'émigration.
Dans une commune à peu de distance de Bruges, l'administration communale a voulu, il y a quelques semaines, constater le nombre de ceux qui avaient ce désir ; elle les a engagés à se faire inscrire dans les quinze jours. j'en ai ici la liste, elle contient près de 200 noms.
Messieurs, j'ai voulu m'assurer de ce que devenaient les émigrés flamands, aux Etats-Unis, et à ma demande, on a recueilli pour moi dans les campagnes de l'arrondissement de Bruges un certain nombre de leurs correspondances ; je suis en possession d'une vingtaine de ces lettres écrites par une douzaine de personnes appartenant en général à l'humble classe des ouvriers de campagne.
Ces lettres, très peu irréprochables sous le rapport du style, de la grammaire et de la ponctuation, sont aussi curieuses que naïves. Elles offrent plus d'intérêt que bien des voyages écrits avec la prétention de plaire et d'instruire ; voici ce qui en résulte, en général.
C'est à Anvers que s'embarquent nos émigrants. Ils recommandent à ceux qui veulent les suivre de prendre de préférence un vaisseau belge ou hollandais ; leur traversée dure à peu près six semaines, elle coûte environ 180 francs tous frais compris jusqu'à New-York. Mais ce n'est pas à New-York que les émigrants peuvent trouver le sort qu'ils cherchent ; il faut se rendre dans l'intérieur des terres où les chemins de fer et les bateaux à vapeur les transportent ; ce voyage leur coûte encore une centaine de francs.
De sorte que chaque homme doit être muni de 300 francs environ pour se rendre dans une localité où il puisse vivre.
La plupart des émigrants, dont j'ai vu les lettres, se trouvent dans un assez vaste triangle entre le Mississipi, l'Ohio et la frontière du Canada.
Arrivés là, les émigranis, dont la plupart ne sont pas des ouvriers bien habiles ni probablement bien énergiques, sans cela ils auraient trouvé de l'ouvrage dans leur pays, ces émigranis trouvent à s'employer immédiatement pourvu quils aient été bien renseignés à l'avance ou qu'ils soieul allés rejoindre des amis qui peuvent les aider de leurs conseils.
Ils écrivent que tandis qu'en Europe on est obligé de mendier le travail, là on vient rechercher l'ouvrier pour lui offrir de l'ouvrage.
Voici quel est, en général, leur salaire. A la journée environ 4 francs par jour, nourriture en sus, pour les hommes ; pour les femmes 2 fr. et demi à 3 fr. Les hommes qui savent un métier peuvent aspirer à beaucoup plus, surtout s'ils connaissent la langue du pays ; alors ils peuvent gagner un dollar et même deux dollars par jour.
Ceux qui travaillent aux chemins de fer gagnent un dollar par jour, c'est-à-dire 5 fr. 30 c. Ceux qui ne savent pas de métier, et c'est le plus grand nombre, ceux qui ne sont pas des ouvriers bien habiles, s'engagent la plupart comme domestiques ; leur salaire est de 10 à 14 dollars, 53 à 75 fr. par mois, et ils sont nourris. A l'aide de ce salaire, lorsqu'ils sont restés domestiques pendant deux ans ils ont amassé de quoi louer et monter une ferme, et dès ce moment travaillant pour leur propre compte, ils regardent leur position comme assurée.
Il est probable que tous ne réussissent pas également, cependant toutes les lettres que j'ai recueillies expriment le contentement des émigranis de se trouver en Amérique. Il en est qui respirent un grand enthousiasme ; plusieurs appellent à eux parents et amis, leur recommandant seulement d’apporter une bonne santé et 300 fr.
Les émigrants dont je parle qui me paraissent les plus satisfaits, sont ceux qui se trouvent près de la ville de Cleveland, dans l’Etat de l'Ohio ; cette ville a 20,000 habitants, 3 églises catholiques, car il y a 8,000 catholiques.
Tous les dimanches, les émigrés flamands se réunissent au nombre d'une trentaine ; il y a beaucoup de Hollandais du Brabant septentrional, avec qui ils parlent leur langue, car la langue est un obstacle pour eux, mais au bout d'un an la difficulté s'est beaucoup amoindrie et au bout de deux ans elle a presque totalement disparu ; les enfants du reste sont instruits dans la langue anglaise ; les écoles ne manquent pas.
J'oubliais de dire que si les salaires sont élevés, il n'y a pas de compensation parla cherté des vivres ; au contraire, la vie animale est à fort bon compte. La plupart de ces lettres donnent les prix des vivres. Quant au blé, ils varient d'une localité à l'autre, mais ils sont beaucoup moins élevés que chez nous. Ils sont surtout considérablement inférieurs en ce qui concerne la viande ; le prix de la viande est de 5 à 10 cents la livre. Aussi est-elle comme le pain blanc la nourriture journalière des émigrés.
Ce bas prix des denrées est fort apprécié par eux. Une circonstance qui paraît les frapper vivement aussi, c'est qu'en Amérique, il n'y a pas de différence de costume entre un paysan et le plus riche citadin, entre une paysanne et une dame. Ils disent qu'il n'y a pas de mendiant dans le pays, que les ivrognes et les paresseux auraientlort de venir y chercher fortune, ils se louent des mœurs des habitants, et surtout du grand respect qu'on témoigne aux femmes, qui sont exclues de tous les travaux durs et qui ne travaillent pas dans les champs.
Je crois que les choses en étant venues là, ces faits et la connaissance qui s'en répand dans nos campagnes peuvent avoir des conséquences très importantes pour un grand nombre de malheureux et pour beaucoup de nos communes ; j'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement ; peut-être suffirait-il de très peu d'aide de sa part pour que les communes et les autorités provinciales, en face des dépenses que les dépôts de mendicité leur causent aujourd'hui, s'unissent afin d'amener entre la Belgique et les Etats-Unis ce courant d'émigration qui s'est établi entre le même pays et l'Allemagne.
Je crois que c'est ainsi que le gouvernement anglais a procédé récemment pour l'émigration des Irlandais en Australie. Si l'on suivait cet (page 1655) exemple, je pense que le mouvement serait bientôt tel qu'il faudrait plutôt le modérer que l'exciter. Car il ne faudrait pas permettre que les autorités communales pesassent sur les indigents de telle sorte que l'émigration cessât d'être volontaire.
Il faudrait aussi que nos consuls fussent chargés de fournir des renseignements aux émigrants ; le danger qu'ils ont à redouter, c'est de tomber, à New-York, entre les mains de gens qui les exploitent.
Cette question de l'émigration vers les Etats-Unis me paraît, je le répète, d'une extrême importance pour les communes rurales ; j'engage le gouvernement à en faire l'objet d'un examen sérieux ; je suis persuadé que les autorités provinciales seront très disposées à lui accorder leur concours, et que les autorités communales comprendront aisément combien elles y sont intéressées. Ce ne serait pas peu de chose que de faire disparaître une des plus grandes difficultés de leur administration, tout en améliorant notablement le sort d'une foule de malheureux condamnés sans cela à une existence misérable.
M. de La Coste. - Messieurs, on a traité dans cette discussion générale différents sujets et on a fait quelques questions à M. le ministre. C'est dans ce dernier but que j'ai demandé la parole et non point pour examiner le point qui vient d'être traité par l'honorable M. Devaux. Je n'ai que peu de mots à dire.
On parlait tout à l'heure d'un travail sur l'organisation judiciaire ; je m'intéresse beaucoup à ce travail, à l'égard duquel j'ai souvent fait des observations à la Chambre, mais il est une organisation plus modeste, sur laquelle je désire appeler l'attention du gouvernement. Il doit exister dans les bureaux du ministère de la justice un travail général sur les demandes en établissement de succursales.
L'érection de succursales, le changement de chapelles en succursales n'est, dans le fait, autre chose que l'amélioration des rangs les plus modestes du clergé inférieur. Au point de vue de la hiérarchie ecclésiastique, il y a peut-être une différence entre un chapelain et le desservant d'une succursale, mais au point de vue des fonctions, il n'y en a aucune. Dans une petite commune, le chapelain qui remplit réellement les fonctions de curé, reçoit 500 francs du gouvernement, il touche peu de chose de la commune et n'a, pour ainsi dire, aucun casuel ; quelquefois son casuel ne monte pas à 40 francs par an. C'est là une position qui n'est pas conforme aux devoirs qui incombent à un ecclésiastique ; elle ne lui permet pas de distribuer les secours qui sont exigés de son ministère.
Sans plaider davantage cette cause, dont la justice se fait assez sentir, je demanderai à M. le ministre s'il n'a pas l’intention de donner enfin suite à ce travail qui existe dans ses bureaux et d'examiner les propositions qui ont été faites tant par l'autorité ecclésiastique que par l'autorité administrative elle-même, pour l'augmentation du nombre des succursales, ce qui n'est pas autre chose, je le répète, que l'amélioration des rangs les plus modestes du clergé inférieur.
M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, j'ai eu occasion, à diverses reprises, d'appeler votre attention et celle du gouvernement sur la nécessité d'aviser aux moyens d'alléger les charges qui pèsent sur les communes rurales dans les Flandres. Le projet de loi portant révision de l'article 23 de la loi sur l'enseignement primaire ne me paraît pas destiné à amener ce résultat.
D'un autre côté, M. le ministre de la justice a annoncé à la section centrale qu'il s'occupait de la réforme de la législation sur le domicile de secours et sur les dépôts de mendicité. Or, comme les propositions dont la Chambre sera saisie peuvent exercer une influence décisive sur les finances des communes, je crois qu'il est utile d'établir dès à présent l'impossibilité de les grever plus fortement qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Je me bornerai à laisser parler les chiffres :
La cotisation personnelle perçue par voie d'abonnement est, vous le savez, messieurs, la principale ressource des communes rurales des Flandres ; elle suffit à grand-peine pour couvrir les charges énormes du budget de l'indigence et pour assurer tant bien que mal les divers services administratifs. Toute augmentation de cet impôt serait impraticable par deux motifs, le premier c'est qu'il pèse déjà très lourdement sur la population ; le second c'est qu'il est arbitraire dans son principe, arbitraire dans sa répartition et qu'il deviendrait, pour peu qu'on voulût en exagérer le chiffre, une cause permanente d’animosité et une source d'injustices.
L'impôt est très lourd :
En 1847 les cotisations personnelles, dans les deux Flandres, atteignaient déjà le chiffre de 1 fr. 75 c. par tête de la population rurale. A la même époque, la population des campagnes payait, dans la province de Namur, 7 centimes par tête ; dans les sept autres provinces prises ensemble, cette contribution était de 60 centimes.
La différence est énorme, mais elle est hors de toute proportion, si l’on prend pour base le nombre des contributions. Ainsi, dans la Flandre orientale, sur une population rurale de 571,000 âmes, il n’y a que 45,333 individus cotisés dont 26,760 seulement sont électeurs communaux. Les cotisations, portées presque partout à leur maximum réalisable, s’élevaient en 1850 à la somme totale de 765,360 fr.
Bon nombre de communes sont tellement obérées que la députation permanente ne sait comment équilibrer leurs budgets ; pour les unes elle a dû supprimer toutes les dépenses non obligatoires, y compris le supplément de 200 fr. alloué au vicaire ou au desservant ; pour d'autres, elle a été dans la nécessité d'accorder des subsides. Il y a des communes qui doivent pousser la parcimonie jusqu'à s'interdire le cartonnage de leurs actes publics et des bulletins des lois.
La cotisation telle qu'elle est établie est arbitraire dans son principe ; car l'impôt repose tout entier sur des présomptions sans uniformités quant à la base, sans règle fixe, sans fondement naturel.
Ainsi dans le seul arrondissement de Gand, la cotisation personnelle n'a pas moins de cinq bases différentes.
Première base : La fortune présumée, la consommation présumée, la contribution personnelle.
Deuxième base : La contribution personnelle seule.
Troisième base : La fortune présumée, la consommation présumée.
Quatrième base : La contribution personnelle.
Cinquième base : La fortune présumée seule.
Il serait inutile de faire ressortir le vague et l'élasticité de ce système dont l'applictlion est ordinairement abandonnée à cinq ou six conseillers communaux.
Et cependant la cotisation personnelle est forcément l'unique ressource des communes rurales flamandes, leurs revenus en biens et rentes n'atteignent pas dans la Flandre orientale une somme totale de 73,000 fr., tandis que les intérêts des emprunts et des pensions à payer s'élèvent à 106,348 fr.
Les bureaux de bienfaisance, loin de pouvoir suffire aux besoins de 131,680 pauvres inscrits, sur une population de 571,000 âmes, reçoivent annuellement des communes une assistance globale de fr. 253,000. Celles-ci payent en outre en moyenne 250,000 fr. par an aux dépôts de mendicité, hôpitaux des villes, etc, etc.
Que voyons-nous au contraire dans les autres provinces, en nous référant aux exposés officiels ?
Dans le Limbourg, les immeubles et les rentes figurent en tête des ressources des communes. Sur 197 communes que compte la province, 47 ne perçoivent aucune cotisation personnelle ; dans les autres la taxe qui ne s'est élevée globalement qu'à fr. 123,850 en 1850, ne présente guère qu'une moyenne de un franc par tête d’habitant.
La population pauvre n'atteint pas le 1/5 du chiffre total et les bureaux de bienfaisance ruraux sont assez riches pour avoir réaliser 73,604 fr. d'économies sur fr. 305,000 de rentes en 1850.
Les épargnes des communes, des hospices et des bureaux de bienfaisance se sont élevées, depuis 1847, à la somme de fr. 417,000.
Dans la province de Liège, les communes rurales possèdent des immeubles, dont le revenu annuel est porté en recettes à fr. 505,041
Des fonds placés jusqu'à concurrence d'un intérêt de fr. 41,822
Leurs comptes présentent un excédant de recettes de fr. 280,000
Sur 327 communes, 211 seulement sont obligées de recourir à une cotisation personnelle, et celle-ci ne s'élève globalement qu'au chiffre de fr. 168,785.
Sur une population de 329,000 âmes, il n'y a pas 53,000 indigents.
Les budgets communaux ne sont grevés pour le service des pauvres en général que de 58,000 francs.
Les bureaux de bienfaisance présentent un excédant en caisse de 225,000 francs.
Dans la province de Namur les communes possèdent des biens-fonds et rentes si considérables que sur 340 communes, 160 seulement prélèvent les deux centimes additionnels facultatifs qu'indique l'article 15 de la loi du 12 juillet 1821 ; 67 communes seulement perçoivent des cotisations personnelles, au chiffre total et presque insignifiant de 21,919 francs.
Leurs comptes de 1849 soldent avec un excédant de fr. 555,485.
La population de ces communes qui s'élève à 234,000 âmes ne comprend qu'environ 20,000 pauvres.
Dans le Hainaut de grandes ressources en biens-fonds et rentes permettent aux seules communes rurales de faire face à un budget de dépense de fr. 3,095,555 sans avoir besoin d'élever leurs colisalions personnelles au-dessus du chiffre total de fr. 217,000. Ce n'est pas le tiers de la cotisation des communes de la Flandre orientale.
Sur 415 communes, il en est 199 qui ne doivent recourir à aucune cotisation personnelle. Leur comptabilité présente un excédant de fr. 256,000.
Dans le Brabant, les propriétés communales ne sont guère plus importantes que dans la Flandre orientale, niais le nombre des pauvres y est infiniment moins élevé et les bureaux de bienfaisance ont deux fois plus de ressources directes pour les soutenir. Les cotisations personnelles ne s'élèvent qu'à fr. 460,000, soit un tiers de moins ou en moyenne à fr. 1,22 par tête.
Dans la province de Luxembourg, les propriétés communales sont considérables, elles ont permis d'effectuer dans la période décennale de 1841 à 1850 des coupes de bois ordinaires pour une valeur totale de fr. 4,147,000, des coupes de bois extraordinaires à fr. 1,767,000.
Soit en total pour près de six millions de francs.
Dans ce relevé ne sont pas compris : les coupes de bois ordinaires dans les bois des communes à titre d'affouage ; les bois de construction délivrés aux communes ou bien aux affouagers à titres divers ; les droits d’usage assez étendus à charge de l'Elat ou des particuliers, etc., etc.
Les bureaux de bienfaisance n'ont à subvenir qu'aux besoins de 8,700 pauvres.
(page 1656) Les dépenses des communes pour les nécessiteux ne se sont élevées en 1850 qu'à 18,G646 fr., outre 5,000 fr. payés pour frais d'entretien d'infirmes, d'aveugles, etc., dans les dépôts.
Les budgets communaux soldent par un excédant de recettes de 312,816 fr.
La cotisation personnelle de toutes les communes réunies ne s'élève qu'à 50,000 fr.
En mettant on parallèle les situations relatives des communes rurales dans les différentes provinces, on est frappé de l'énorme disparité qui existe entre les ressources et les charges.
Tandis que les provinces les moins peuplées, celles qui ont le moins de pauvres disposent de richesses locales considérables en biens-fonds, en rentes, en affouages, etc., etc., les communes rurales des Flandres, où le quart de la population doit être secouru, tirent leurs principales ressources de l'impôt direct poussé jusqu'à ses dernières limites.
Ajoutons à cela que la péréquation cadastrale n'a pas entièrement fait disparaître la surcharge de contribution foncière qui a pesé sur les Flandres jusqu'en 1837.
En se fondant sur la justice distributive, on serait tenté de croire qu'il a été tenu compte d'une situation aussi défavorable dans la répartition des subsides de l'Etat notamment pour l’enseignement primaire, cette grande charge communale. Il n'en est rien, messieurs, et pour le prouver, je ne citerai qu'un exemple. La province de la Flandre orientale où la cotisation personnelle s'élève, comme nous l'avons vu, à fr. 1-75 par tête, a reçu en 1851 sur les fonds de l'Etat fr. 61,508 67. La province de Namur, où la cotisation personnelle est pour ainsi dire nulle a reçu fr. 76,279. Or vous avez vu que dans la Flandre orientale la population des 242 communes rurales qui est de 471,000 âmes, compte 131,685 pauvres inscrits. Les 340 communes de la province de Namur ont une population de 234,000 âmes qui ne comprend qu'environ 20,000 pauvres.
Les faits que j'ai signalés n'ont pas besoin de commentaires. Il sera facile de les contrôler, car ils ont été puisés dans les exposés officiels de la situation des provinces. J'engage le gouvernement à les méditer très sérieusement. Sa sollicitude pour l'amélioration de la situation financière des communes pourra se manifester en adoptant d'autres bases pour la répartition des subsides, en établissant une distinction entre les communes dont les revenus se composent du produit de leurs biens et celles qui n'ont d'autres ressources que le produit d'une taxe directe sur les habitants.
Il serait équitable que ce principe prévalût lorsque nous nous occuperons de la révision de l'article 23 de la loi de 1842 et j'espère que M. le ministre de la justice ne le perdra pas de vue dans la réforme de la législation sur les dépôts de mendicité et sur le domicile de secours.
Je l'engage à examiner dans quelles circonstances les communes pourraient être exemptées, en tout ou en partie, du fardeau qui pèse sur elles du chef des frais d'entretien des mendiants retenus dant les dépôts de mendicité à la suite de condamnations.
Mon intention n'est pas d'ouvrir une discussion prématurée sur des projets de loi dont la Chambre n'est pas encore saisie ; je me bornerai à dire que les communes pourraient réaliser d'importantes économies si elles avaient une action plus directe sur leurs mendiants.
Localiser les efforts de la bienfaisance publique, encourager la fondation sur des bases modestes, d'écoles de réforme comme moyen préventif et de fermes-hospices comme moyen répressif, tel doit être, à mon sens, d'après une étude attentive des faits, le point de départ, la véritable base de la réforme.
L'honorable M. Devaux a recommandé l'émigration comme moyen de soulager les communes surchargées de population et d'arrêter les progrès du paupérisme.
Cette question mérite un sérieux examen.
A ce sujet, je demanderai à M. le ministre de la justice quelques renseignements sur des essais qui ont été tentés dans la province d'Anvers pour favoriser l'émigration volontaire des mendiants.
Le gouvernement sans doute ne peut s'immiscer qu'avec une grande réserve dans une œuvre aussi délicate, mais il me semble utile d'appeler l'attention des communes sur le parti qu'elles pourraient tirer de l'émigration volontaire.
Il y a peut-être là pour elles un moyen de s'affranchir, sans grands sacrifices, d'une charge qui devient ordinairement permanente et d'améliorer le sort d'un grand nombre de malheureux qui pourraient trouver aux Etats-Unis leur réhabilitation et des moyens d'existence plus faciles.
J'ai dit.
M. Vander Donckt. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Devaux, relativement aux dépôts de mendicité. Dans une séance précédente, j'ai demandé à M. le ministre de la justice si nous pouvions espérer d'être prochainement saisis d'un projet de loi sur la réforme des dépôts de mendicité. Cette réforme est très urgente ; car, comme vous venez de l'entendre, les communes des Flandres sont tellement accablées de dettes et de dettes qui augmentent journellement par le séjour de leurs pauvres dans les hôpitaux, hospices et dépôts de mendicité, qu'à moins d'une banqueroute générale des finances de toutes ces petites communes, il n'y a pas moyen pour elles de sortir de la situation où elles se trouvent actuellement ; toutes les administrations réclament ; or, les députations permanentes sont obligées de porter d'office des allocations à leurs budgets pour cet objet ; et ces communes sont dans l'impossibilité d'y porter la moindre allocation au-delà des dépenses obligatoires, elles n'ont aucun moyen de faire des dépenses utiles et facultatives, je ne parle pas des dépenses de luxe, depuis longtemps elles sont rayées des budgets communaux, mais les dépenses facultatives elles-mêmes sont supprimées ; on ne peut plus y songer.
Or, pour remédier à cet état de choses, l'honorable M. Devaux nous a préconisé l'émigration ; cette question n'est pas nouvelle ; je me rappelle avoir fait partie d'une commission au conseil provincial de la Flandre, à laquelle une série de questions fut adressée par le ministre de l'intérieur d'alors, parmi lesquelles figurait celle de savoir si l'émigration devait être favorisée, pouvait être utile.
Il n'y avait qu'une voix dans la commission pour repousser cette proposition. On la repoussait par plusieurs motifs.
D'abord on se disait : Est-ce aux ouvriers valides que vous faites allusion ? Mais il nous en manque ; aujourd'hui généralement dans les provinces flamandes à l'époque des travaux des champs, ces bras nous manquent. Une autre cause est venue s'ajouter à celle-là, c'est l'émigration en France, car des hameaux entiers ont émigré vers la France, je pourrais vous citer les noms des communes. Il est évident pour moi que quand il s'agit de cette partie de la population qui a encore le courage de travailler, qui possède des bras valides, que pour cette partie-là nous devons repousser et nous repoussons de toutes nos forces toute espèce d'émigration, de colonisation.
Si vous entendez faire émigrer les pauvres, les invalides, ceux qui sont une charge perpétuelle pour les bureaux de bienfaisance, nous partageons votre idée, nous l'appuyons de toutes nos forces. Mais ces invalides, personne n'en veut ; ce n'est pas avec des invalides qu'on fonde des colonies ; l'émigration qu'on veut, est précisément celle dont nous ne voulons pas. L'ouvrier capable de gagner sa vie, sa journée, est très nécessaire dans nos localités. Comment ! nos localités sont déjà pauvres ; en les privant de leur population valide, vous les épuiseriez, vous les rendriez plus pauvres encore. Voilà ce que j'ai à dire à ce sujet.
L'honorable M. T'Kint de Naeyer a établi que les communes flamandes ne pouvaient suffire aux frais que leur occasionnait la présence de leurs pauvres dans les dépôts de mendicité ; mais il a ensuite fait une comparaison enlrc les communes du Hainaut et celles des Flandres, que je n'ai pas bien comprise.
Car les communes du Hainaut voisines des Flandres ne sont cependant pas dans une meilleure situation que celles des Flandres ; je citerai entre autres la commune d'Elsen sur la demande de laquelle j'ai eu l'honneur de faire un rapport ; cette commune a, depuis 1847, 25,000 fr. de dettes, dont elle ne peut en aucune façon songer à diminuer le capital ; la dette au contraire augmente par suite des frais d'hôpitaux, de dépôt de mendicité, de bureau de bienfaisance ; une foule de communes environnantes sont dans le même cas, telles sont les communes du Hainaut qui appartenaient à l'industrie linière. Pour aider les communes flamandes à sortir de cette position fâcheuse, quel moyen le gouvernement a-t-il employé ? A chaque demande des communes, qui ont été nombreuses, on a répondu que l'entretien des pauvres est une charge communale ; c'est le strict droit ; mais par contre le gouvernement a accordé des subsides considérables aux communes des autres provinces pour le défrichement et le reboisement des terrains en friche.
Vous venez d'entendre ce qu'a dit l'honorable M. T'Kint concernant l'état d'aisance de ces communes qui, ayant de grandes propriétés, sont comparativement des communes riches et touchent du trésor des sommes considérables pour le défrichement ou le reboisement de leurs propriétés, taudis qu'aux pauvres communes des Flandres on répond que l'entretien des pauvres est une charge communale.
La différence avec ces communes comparativement riches c'est qu'elles n'ont pas de pauvres et par conséquent pas de dettes. Dans les communes du Luxembourg, quand un habitant se marie on lui désigne une partie de bois où il peut couper le bois dont il a besoin pour construire sa demeure ; il a un terrain qu'il exploite sans bail, sans, charge, qui est une propriété communale, tandis que dans les pauvres communes des Flandres les habitants sont pauvres, et par cela même restent toujours pauvres.
Il semble que les mesures qu'a prises le gouvernement vont à l’encontre de ce qu'elles devraient être. Au lieu de secourir les communes pauvres, ce sont les communes comparativement riches auxquelles on accorde des subsides pour améliorer leurs propriétés, et c'est ainsi qu'on entend établir l'égalité des charges.
Je termine en émettant le vœu que le gouvernement nous présente le projet de loi sur la réforme des dépôts de mendicité dans le plus bref délai possible.
M. de Haerne. - Messieurs, tout ce qui se rattache au soulagement des pauvres dans nos villes et dans nos campagnes est du ressort de la discussion actuelle, dans laquelle il s'agit d'alléger les communes du chef des charges qu'elles soutiennent pour l'entretien de leurs indigents, soit malades soit valides. Ces charges, comme on l’a très bien dit tout à l'heure, sont énormes, écrasantes, surtout en ce qui concerne les bureaux de bienfaisance des villages et les dépôts de mendicité.
Je n'entrerai pas dans l'examen des moyens propres à remédier à ces maux. L'examen de cette question trouvera sa place dans une discussion plus générale, celle qui aura lieu à l'occasion du projet de loi qui (page 1657) nous a été annoncé sur cette matière. Mais je me joins aux honorable membres qui ont parlé tout à l'heure pour appeler sur cet objet intéressant toute la sollicitude du ministère.
Parmi les moyens de venir en aide aux populations souffrantes, il en est un de la plus haute importance et sur lequel l'honorable député de Bruges a appelé l'attention de la Chambre. Je veux parler des projets d'émigration.
Un honorable collègue s'est élevé tout à l'heure contre les idées très justes, selon moi, émises par l'honorable M. Devaux. Il a cru devoir les combattre, en invoquant une autorité qui a été conviée dans la Flandre orientale à se prononcer sur cette question.
Il est un fait, c'est que l'émigration a lieu vers l'Amérique de plusieurs parties de l'Europe, qu'elle se fait avec succès, quelle est avantageuse non seulement pour ceux qui s'y livrent, mais même pour la patrie qu'ils ont quittée.
En présence de cette situation, je me demande si la Belgique, si les contrées pauvres de notre pays ne peuvent pas, elles aussi, entrer dans ce courant, qui doit conduire à une plus grandc somme de bien-être.
Je pense que la question, toute difficile qu'elle peut être, n'est pas insoluble. Elle mérite toute l'attention de la législature et particulièrement du gouvernement.
Je pense qu'il y a deux grandes difficultés, deux difficultés capitales.
La première difficulté consiste dans les frais de premier établissement qu'elles ne peuvent faire, la seconde c'est le défaut d'organisation sous le rapport de l'esprit religieux, de l'esprit d'association, qui, selon moi, doit présider à ces entreprises, notamment en ce qui regarde les émigrations des Flamands vers l'Amérique.
Les frais de premier établissement, parmi lesquels je comprends les dépenses de traversée, doivent être faits avant tout par association, par souscription ; c'est ce qui se fait dans la plupart des autres pays, notamment en Allemagne et en Irlande. Pour ce qui regarde ce dernier pays, tout pauvre qu'il est, il est à remarquer qu'il a trouvé ainsi moyen de se livrer à un vaste système d'émigration, qui a fait le bonheur des Irlandais qui se sont transportés en Amérique, en même temps qu'il a procuré un bien-être relatif à la contrée qu'ils ont quittée.
Les explications que nous a données tout à l'heure avec une grande justesse l'honorable M. Devaux viennent à l'appui de mon opinion. Quelle que soit la réputation que l'on a faite aux émigrants irlandais, quelques défauts qu'on puisse leur reprocher, ils ont une vertu qui les rend recommandables aux yeux de l'univers ; ils ont le sentiment de la reconnaissance, sont attachés à leur patrie et ont conservé l'esprit de famille.
Ces vertus les portent à faire des épargnes en faveur de leurs parents qu'ils ont laissés en Irlande. Les Flamands ont les mêmes qualités. Il y a parmi eux le même esprit de famille. Je suis persuadé que si l'on pouvait organiser l'émigration sur une échelle importante, il en résulterait un double avantage. Nos pauvres, arrivés dans les contrées trans-atlantiques, en gagnant souvent de 4 à 5 fr. par jour, pourraient y vivre et faire des épargnes pour eux-mêmes d'abord et ensuite pour leurs parents pauvres en Belgique.
Je dis qu'outre cette difficulté-là, il y en a une autre, c'est le défaut d'organisation. Il ne faut pas se faire illusion sous ce rapport. Ce défaut d'organisation a déjà porté de tristes fruits, qui ont arrêté le courant d'émigration, qui avait commencé dans les Flandres ; car quelques Flamands étant arrivés dans les pays transatlantiques, se sont vus trop souvent isolés, par ce défaut d'organisation, par ce défaut d'association.
Ne connaissant pas la langue, n'étant pas en rapport avec des personnes qui pussent les diriger sous le rapport moral et religieux, ils se sont bientôt découragés, et sont tombés dans une misère plus grande que celle qu'ils enduraient en Flandre.
Qu'en résulte-t-il ? C'est qu'ils écrivent à leurs parents en Belgique, qu'ils sont dans le malheur et qu'ils n'engagent personne à les rejoindre. J'ai vu des lettres écrites par des Flamands de la localité à laquelle j'appartiens. Ces lettres étaient quelquefois très engageantes. Souvent je dois le dire, elles étaient décourageantes. L'isolement les perd.
Dans un ouvrage allemand publié à Philadelphie intitulé l'Histoire des émigrations vers l’Amérique, l'auteur recherche les causes de ce mouvement d'expatriation qui se fait surtout d'Allemagne, d'Irlande et d'Angleterre. Il en fait remonter l'origine aux troubles religieux qui ont agité l'Europe, et qui en isolant, en appauvrissant, en aigrissant les populations, les ont portées à chercher la paix et le bonheur sous un climat moins orageux. Mais il ajoute avec une grande sagacité que les émigrants étaient presque toujours, au moins dans le principe, organisés en véritables sociétés religieuses ayant des chefs prêtres, des dogmes et des lois, à peu près dans le genre de ce que la fable et l'histoire racontent des colons des temps primitifs.
Arrivés sur la terre étrangère, les émigrants possédaient la première condition d'existence, l'organisation sociale qui comprend l'assistance mutuelle. C'est ainsi que Penn, par exemple, fonda sur le protestantisme une véritable société dans la contrée qui de son nom fût appelée Pensylvanie ; c'est ainsi que Baltimore forma la première société catholique en Amérique, et proclama, le premier dans l'univers, la liberté des cultes dans l’Etat de Maryland et dans la ville qui porte son nom. Ces sociétés particulières une fois fondée sur une base solide, se développèrent rapidement par leur propre force d'expansion et par les accroissements qu'elles reçurent successivement d'Europe, en attirant dans leur sein, en s'assimilant les éléments propres à chacune d'elles, les hommes ayant la même foi, parlant la même langue, ayant les mêmes habitudes. Tel est le secret du succès des émigrations allemandes, anglaises et irlandaises. Pour réussir, il faut les imiter.
J'appelle l'attention du gouvernement sur ce point.
Il me reste un mot à répondre à ce qu'a dit l'honorabïe député d'Audenarde, en invoquant l'autorité dont j'ai parlé tout à l'heure,
Les personnes dont nous a parlé l'honorable M. Vander Donckt, se plaçant à un point de vue assez juste, ont dit : Il ne faut pas faire émigrer les ouvriers valides, et nous laisser les ouvriers malades. C'est parfaitement exact en théorie ; mais il faut distinguer en pratique, et voir d'où vient le plus grand bien-être en général.
Mais, ajoute l'honorable M. Vander Donckt, il y a des milliers d'ouvriers qui émigrent vers la France. Oui, et c'esl là un malheur pour le pays ; il y a 70 à 80 mille ouvriers qui se sont transportés dans le département du Nord et dans les autres départements voisins de la frontière. Mais est-ce un motif pour s'opposer à l'émigration en Amérique ? Au contraire, car la plus désastreuse des émigrations est celle qui se fait vers la France et nous ne pouvons l'éviter.
C'est pour l'empêcher autant que possible que je veux encourager celle qui se fait vers les régions transatlantiques. L'expatriation vers la France est préjudiciable au point de vue moral, au point de vue industriel, au point de vue de tous les intérêts. C'est pour cela que j'aurais voulu trouver un autre courant pour cette exubérance de population qui se porte vers la France.
Je n'exagère rien quand je dis que cette émigration est mauvaise, calamiteuse pour les Flandres.
En effet, dans quelle situation se trouvent nos ouvriers ? Ils y gagnent, il est vrai, un salaire un peu plus élevé qu'en Flandre ; mais notez bien que la vie y est beaucoup plus chère et que tous sont d'accord pour dire qu'ils ne sont pas plus heureux que dans leur pays. Ils y vont dans des moments de crise extrême, lorsqu'ils ne savent plus de quelle manière vivre, lorsqu'ils se voient dans un complet dénouement ; alors, en désespoir de cause, ils se rendent dans ce pays. Mais à peine y sont-ils arrivés qu'ils se disent, tout considéré, aussi malheureux et plus malheureux même que lorsqu'ils se trouvaient chez eux ; et s'ils n'étaient souvent retenus par des engagements, par des dettes contractées ou par d'autres liens, ils reviendraient dans leur pays.
Messieurs, cette émigration vers les départements français est très regrettable, sous d'autres rapports, c'est qu'aussitôt qu'une crise arrive en France, un grand nombre de ces ouvriers refluent vers notre pays et sont plus à plaindre que jamais. Ils viennent alors par centaines dans nos villages, où ils occasionnent une surcharge énorme, une surcharge écrasante pour les autorités, pour les bureaux de bienfaisance, et où ils ne trouvent ni ouvrage ni moyens d'exislcnce.
Je crois donc, je le répète, que l'on devrait diriger cette exubérance de population vers une autre destination, et la preuve qu'il y a excès de population dans certains endroits se trouve dans cette émigration vers la France ; nous devrions déplacer le mouvement.
J'admets la colonisation intérieure vers le Hainaut, la Campine, les Ardennes. Mais elle présente aussi des difficultés et elle ne doit pas faire obstacle à celle à laquelle les autres peuples donnent la préférence, savoir à l'émigration vers l'Amérique dont les avantages se prouvent par les immenses proportions qu'elle a prises.
A ce sujet, messieurs, on a dit tout à l'heure, et je joins ma voix à celle des honorables préopinants qui ont parlé dans ce sens, que l'on désirait avoir quelques explications de la part de M. le ministre de la justice, sur les émigrations volontaires qui ont été organisées, si j'ai bien compris, dans la province d'Anvers.
Je désirerais avoir pour ma part des explications sur un autre essai d'émigration qui a eu lieu vers l'Amérique du Nord. On ignore, à ce qu'il semble, que déjà nous avons dans l'Amérique du Nord une espèce de colonie flamande. Il existe en Pensylvanie, à Ste-Marie, un établissement colonial, appelé New Flanders, fondé par un Flamand, M. de Ham, qui a été chef de division pour les Flandres au ministère de l'intérieur. Il y a transporté un certain nombre de Flamands. Il a reçu de ce chef, si je ne me trompe, des subsides assez considérables et je désirerais savoir (sans le critiquer en aucune manière, car je ne veux rien préjuger dans la question) quels ont été les résultats de cet essai.
Messieurs, j'ai eu l'honneur de voir M. de Ham au retour de son premier voyage, et il m'a dit qu'il n'était pas sans espoir de réussir, mais qu'il lui manquait beaucoup, qu'il n'avait pas été très heureux dans son entreprise sous le rapport moral et religieux ; les prêtres allemands qui se trouvaient à Sainte-Marie à son arrivée, ayant dû partir pour d'autres Etats de l'Amérique, avaient abandonné la population qui s'y trouvait. M. de Ham a même fait un appel aux ecclésiastiques du pays, et il avait l'espoir d'être secondé. Je tiens de M. de Ham, qui a l'expérience des faits, que tout est dans l'organisation, dans l'association.
Il faut qu'il y ait déjà un groupe de personnes appartenant à la même patrie, à la même langue, et autant que possible à la même religion, pour que l'émigration puisse avoir du succès. Le premier noyau ne peut être établi qu'avec des efforts et des sacrifices plus ou moins considérables.
(page 1658) Je désire savoir jusqu'à quel point l'essai dont je viens de parler a réussi.
Je crois, pour ma part, que c'est à l'entreprise privée, et comme l'a très bien dit l'honorable M. Devaux, à la charité privée que l'on doit avoir recours pour réussir dans cette matière, et cela sous tous les rapports, car lorsque le gouvernement s'en mêle, souvent il s'attire des critiques, souvent aussi il soulève des préventions et tout cela est de nature à nuire plutôt qu'à faire du bien. Dans ces sortes de choses, les gouvernements ont la main malheureuse. Les efforts privés bien organisés, voilà ce qu'il y a de plus recommandable à cet égard, et nous avons eu cette matière des exemples à suivre : ce sont les exemples donnés par l'Allemagne et l'Angleterre. Si nous voulons réussir, nous devons entrer dans la même voie.
M. Osy. - Je crois avec l'honorable M. Devaux qu'il serait à désirer que nous pussions voir, dans une certaine mesure, une partie de la population de nos provinces trop peuplées émigrer vers l'Amérique. Mais je ne puis partager l'opinion de ceux qui voudraient que les communes, les provinces et le gouvernement se mêlassent de cette affaire. Le gouvernement doit se borner à donner des conseils ; il ne doit pas aller au-delà. Soyez persuadés que si le gouvernement et les provinces s'en mêlent, on ne fera rien de bon, et l'élan s'arrêtera.
Je me rappelle deux faits que je vais vous citer, et où les essais, faits par une intervention puissante, ont mal réussi.
Des princes allemands ont voulu s'occuper d'émigration, et je ferai remarquer qu'il ne s'agit pas ici des souverains des grands Etats de l'Allemagne. Ces princes ont acheté des terrains dans le Texas. Ils avaient levé de l'argent et ont aidé à l'émigration. Eh bien, ces entreprises ont échoué. L'argent qui avait été levé n'a pu être remboursé, et on a dû renoncer à l'entreprise.
Ici, messieurs, qu'avons-nous fait sur une plus petite échelle ? L'honorable M. de Iîaerne vient de vous en parler. Un rêveur, qui était fonctionnaire au ministère de l'intérieur, voyant qu'on prodiguait beaucoup d'argent, a proposé à M. le ministre de l'intérieur d'organiser une émigration en Amérique. Il a demandé à M. le ministre de l'intérieur de lui faire une avance, et, si mes souvenirs sont exacts, il a obtenu 70,000 fr. Il fut convenu quce, pour l'indemniser de la position à laquelle il renonçait, il lui serait payé 25,000 fr. qu'il n'aurait par conséquent que 45,000 fr. à rembourser. Cette somme devait être remboursée au gouvernement dans un délai de..., et un certain nombre de Belges devaient être tous les ans transportés comme émigrants en Amérique.
Je voudrais savoir, comme l'honorable M. de Haerne, combien de Belges ont émigré en Amérique et si les 45,000 fr. (car c'est une affaire qui remonte déjà à quatre ou cinq ans) ont été remboursés à l'Etat ; enfin ce qui est advenu de cette colonie de Ste-Marie.
Messieurs, j'ai eu également la visite de celui qui a fait cette entreprise. Ilétait venu chez moi pour me demander de solliciter du gouvernement de nouveaux subsides. Je lui ai répondu que j'étais contraire à l'intervention du gouvernement dans les affaires dont les particuliers seuls devaient se mêler, et que non seulement je ne demanderais pas pour lui de nouveaux subsides, mais que, s'il était question de lui en accorder, j'étais décidé à m'y opposer.
Voilà, messieurs, deux essais qui ont mal réussi. La morale à en tirer, c'est qu'en voulant s'occuper d'affaires de cette nature, le gouvernement arrête l'élan que nous désirons voir donner à l'émigration.
En Allemagne les Etats ne s'occupent pas de l'émigration ; et cependant nous savons combien le nombre des émigrants allemands est considérable. Mais ce sont des émigrations volontaires. Les émigrants viennent à Anvers ou à Brème ; ils prennent des engagements pour leur transport en Amérique, et en Amérique, de même ils cherchent à se placer ; mais si vous voulez les envoyer sur un point donné vous ne réussirez point.
Il faut laisser à la charité le soin d'encourager l'émigration, et si l'on pouvait former une société, je voudrais même que cette société se bornât à donner des subsides à ceux qui veulent émigrer ; il faut leur laisser toute liberté pour le choix de la localité où ils veulent se fixer. Il ne faut pas perdre de vue surtout que c'est dans les terres et non pas dans les grandes villes qu'on a le plus besoin de bras. C'est de cette manière que les Allemands, qui émigrent sans aucune protection, réussissent presque partout. Nous en voyons tous les ans un très grand nombre à Anvers, et surtout cette année.
Ce sont des gens presque à leur aise ; ils ont tous de quoi payer leur passage, et même un certain pécule en sus ; lorsqu'ils arrivent en Amérique, ils se fixent là où ils l'entendent ; ils ne sont sous le patronage de personne.
Je désirerais aussi avoir des explications sur ce qui a été fait pour les détenus de Hoogstraeten, qu'on a envoyés en Amérique ; je crois que les communes ont donné des subsides afin que ces individus ne fussent plus à la charge du bureau de bienfaisance. Il reste à savoir s'il est bon d'envoyer en Amérique des gens qui sont dans la plus profonde misère, s'ils ne seront pas, là aussi, de véritables pauvres, au lieu d'être des travailleurs.
Ce qui m'a fait peine à voir et ce qui doit faire la plus mauvaise impression sur les Allemands, c'est que ces détenus de Hoogstraeten sont arrivés à Anvers avec les menottes ; ils ont conservé les menottes jusqu'à ce qu'ils fussent à bord du navire. Vous comprenez que c'est très fâcheux pour ceux qui doivent voyager avec eux.
Messieurs, la Belgique a toujours donné l'exemple en matière de charité, et je suis persuadé que si le gouvernement ne s'en mêle pas, la charité finira par former une association pour faciliter l'émigration de gens valides, comme le disait l'honorable M. Devaux. Et sous ce rapport la discussion d'aujourd'hui fera sans doute beaucoup de bien ; mais, je le répète, il faut que le gouvernement se borne à donner des conseils et des renseignements ; s'il veut faire plus il retardera de beaucoup d'années le résultat que nous voulons obtenir.
M. Coomans. - Je ne veux pas combattre les idées de MM. Devaux et de Iîaerne sur l'émigration. Je m'y rallie dans une certaine mesure. Je ne blâme pas les citoyens pauvres de chercher à l'étranger des moyens d'existence plus assurés. Mais si le gouvernement intervient dans l'émigration (ce qu'il doit faire modérément et économiquement), il aura à prendre garde de ne pas favoriser le départ des chefs de famille qui laisseraient les femmes et les enfants à charge de la bienfaisance publique et privée. Le départ des hommes seuls est toujours regrettable et il ne faut pas que l'Etat s'associe à une aussi mauvaise opération. J'ai demandé la parole à ce propos pour rappeler que, si la population est trop forte dans quelques provinces, en revanche elle est bien faible dans d'autres. Je citerai les provinces d'Anvers, de Limbourg, de Luxembourg et de Namur. Là le sol bien cultivé pourrait nourrir encore un demi-million d'hommes.
Je ne demande pas, je ne désire même pas que l'Etat y transporte les pauvres des Flandres. Ces opérations coûtent cher et réussissent rarement. J'ai peu de foi dans l'émigration systématique. Mais je pense qu'il faut avant tout mettre nos bruyères en culture et songer à la Campine et aux Ardennes avant de porter ses regards vers le « far west ». Or, le meilleur moyen de favoriser le défrichement est de construire des routes et des églises. Les avances que le gouvernement fait sous ce rapport lui sont toujours remboursées. Chaque fois que le gouvernement construira une route ou une chapelle dans la bruyère, il verra de nombreuses familles s'y asseoir et étendre peu à peu la culture du sol.
Aujourd'hui les villages campinois sont de véritables oasis, où la population trop pressée se concentre. Il faut lui venir en aide ; le moyen que j'indique est sûr, et loin de grever le trésor et d'inquiéter notre avenir, il assurerait bientôt à l'Etat de précieuses ressources. Ces réflexions ne sont pas déplacées dans un débat sur le budget de la justice, car si les routes ne sont pas du ressort de M. le ministre de la justice, les églises s'y trouvent et je lui recommande tout spécialement cet objet. Je me résume en un mot : Dépense pour dépense, j'aime mieux qu'elle se fasse en Belgique qu'à l'étranger, et si l'on avait répandu en Campine et dans les Ardennes tout l'or que nous avons jeté en Amérique dans des tentatives d'émigration peu heureuses, trois de nos provinces auraient déjà cessé de faire tache sur la carte du pays.
M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour émettre mon opinion sur la question de l'émigration dont la chambre s'occupe en ce moment.
Je ne reviendrai pas, quant à présent, sur ce qu'on a dit de la misère qui règne dans les communes des Flandres et sur les charges accablantes que l'entretien des indigents dans les dépôts de mendicité impose à un grand nombre de ces communes. L'honorable M. de Muelenaere et moi, nous avons déjà mainte fois provoqué la présentation d'un projet de loi à cet égard. Je me bornerai à rappeler que le tiers à peu près de la population est pauvre et que les impôts ruraux, dits abonnements, excèdent la moitié des impôts du gouvernement. Cette charge est accablante.
J'arrive à la question de l'émigration.
Il est incontestable que dans certaines contrées des Flandres, et notamment dans les pays liniers, il y a exubérance de population. Cette exubérance ne se remarque pas dans le Furnes ambacht, et dans quelques autres parties de la Flandre occidentale ; mais il y a excès de population dans les arrondissements de Courtrai, de Thielt et de Roulers. Dans ces arrondissements il y a environ 4,000 âmes par lieue carrée, tandis qu'en France, il n'y a que 1,500, et en Angleterre que 1,800 âmes par lieue carrée. Voilà ce qui explique l'émigration de nos ouvriers flamands vers le département du Nord et vers d'autres contrées encore, pour y chercher de quoi subvenir à leur existence.
Messieurs, je ne suis pas hostile à une émigration sage et raisonnée ; mais je crois qu'on doit être très circonspect et que le gouvernement doit y réfléchir sérieusement, avant d'intervenir pécuniairement. Les essais qu'on a déjà faits n'ont abouti à rien, et quant aux 70,000 fr. que le gouvernement a avancés, je pense qu'on n'en a pas remboursé encore un seul centime. Je connais quelques-uns des ouvriers qui se sont expatriés aux Etats-Unis et qui ont été très malheureux.
L'idée que vient d'émettre l'honorable M. Coomans me paraît la seule qu'on puisse essayer avec plus de chance de succès. Mais il faudrait commencer par les Flamands qui voudraient aller dans le Hainaut et dans le pays de Liège. Ils devraient d'abord apprendre le français, dans leurs communes mêmes. Le gouvernement ferait bien de favoriser la transplantation dans le pays. Je préfère cette transplantation à l'émigration à l'extérieur.
Si l'on veut s'expatrier en Amérique, il faut commencer par apprendre l'anglais ; si l'on ne sait pas l'anglais dans ce pays, on court grand risque d'être très malheureux.
Nous avons dans l'arrondissement de Roulers et dans les arrondissements circonvoisins des agriculteurs qui ont émigré en Amérique. (page 1659) Je connais quelques-uns de ces cultivateurs, ils avaient des ressources, comme la plupart des Allemands qui vont dans ce pays ; leurs fils ou leurs parents étaient établis en Amérique, ils ont pu faire des achats à très bon compte, et ils ont réussi ; mais quant aux pauvres ouvriers qui ne sont ni capables ni intelligents - les ouvriers capables et intelligents restent dans le pays et savent y gagner leur vie ; - quant aux pauvres ouvriers qui ne sont ni capables ni intelligents, arrivés à New-York, on les exploite, ils sont malheureux et ils doivent supporter une foule de privations, avant de trouver de la besogne.
On dit qu'ils gagnent 5 à 6 francs par jour ; il est possible que certaines catégories d'ouvriers gagnent un pareil salaire dans les villes excessivement populeuses ; mais la vie est aussi très chère dans ces localités, et les ouvriers y doivent faire une dépense proportionnée à ce qu'ils ont gagné ; mais dans les campagnes les garçons de ferme qui parviennent trouver de l'ouvrage ne gagnent pas un salaire considérable, et ils ont beaucoup de peine à faire des économies ; de manière que tout porte à croire qu'un grand nombre de ces hommes, arrivés pauvres eu Amérique y restent pauvres.
Je ne prétends pas qu'il ne faille pas faire des essais ; le gouvernement pourrait encore donner quelques subsides ou d'autres avantages pour l'émigration en Amérique ou pour la transplantation, à l'intérieur même, des populations qui manquent d'ouvrage ; dans le Hainaut, dans le pays de Liège, la journée de l'ouvrier est plus du double de celle que l'ouvrier gagne dans les Flandres.
J'ai eu occasion de causer de cette question avec l'honorable M. Lesoinne. Il m'a dit que les Flamands pourraient trouver de l'ouvrage dans cette province, et qu'il y en a déjà quelques-uns qui en ont trouvé à Liège et dans sa banlieue. Comme je l'ai déjà dit, il faudrait d'abord que les Flamands apprissent le français.
Ce serait un moyen de les faire transplanter à l'intérieur même. Il faudrait aussi qu'ils apprissent l'anglais pour aller dans l’Amérique du Nord.
Je pense que le gouvernement ne doit pas entrer dans les plans des utopistes qui voudraient l'engager à dépenser des sommes considérables pour favoriser l'émigration à l'extérieur. Nous devons être circon-pects à cet égard. Le gouvernement doit y réfléchir à deux fois avant de suivre les conseils qu'on lui donne, alors que nous avons dans le trésor un découvert de plus de 40 millions. Je n'en dirai pas davantage quant à présent.
- La clôture est demandée.
M. Devaux (contre la clôture). - Je demande à pouvoir ajouter deux mots pour n'être pas obligé de revenir sur cet objet, lors de l'article relatif aux dépôts de mendicité.
M. de Mérode (contre la clôture). - Je voudrais dire aussi quelques mots sur la question qui est assez intéressante.
- La clôture est mise aux voix et n'est pas prononcée.
M. Devaux. - Messieurs, je crois que l'honorable M. Rodenbach est mal renseigné. Ce ne sont pas seulement les personnes qui sont parties avec des capitaux, qui ont réussi. Les lettres auxquelles j'ai fait allusion tout à l'heure viennent en grande partie d'ouvriers qui sont partis uniquement nantis de l'argent nécessaire pour faire la route.
L'honorable M. Rodenbach a également tort de croire que le besoin d'émigration n'existe que dans le sud de la Flandre occidentale ; j'ai cité tout à l'heure une commune de l'arrondissement de Bruges où près de 200 personnes se sont fait inscrire en 15 jours, demandant à pouvoir émigrer aux Etats-Unis.
Celte commune est située au nord et non au sud de Bruges ; plusieurs des lettres proviennent également de personnes qui appartiennent à des communes du Nord. Je n'ai fait que recommander cette affaire à l'attention du gouvernement. On se tromperait sur mes intentions si on croyait que j'aie voulu parler de quelque mesure grandiose, de quelque grande dépense, quoique la manière actuelle de secourir et de détenir les pauvres coûte beaucoup. Je ne veux nullement que le gouvernement se mette à la tête d'un établissement colonial, qu'il achète des terrains ou qu'il prenne la direction d'une colonisation ; mais je pense qu'au moyen de ses consuls d'abord ou d'autres agents il pourrait procurer des renseignements aux émigrants avant leur départ de Belgique et leur arrivée à New-York. Je crois aussi que dans des limites très modérées le gouvernement avec le concours des provinces, des communes et la charité privée, pourrait faciliter les moyens de transport.
C'est dans ces limites que l'action du gouvernement pourrait se circonscrire ; personne n'est plus convaincu que moi qu'il doit agir avec prudence et réserve, et il ne s'agit nullement de lui faire faire une dépense énorme ou permanente.
Il ne s'agit pas d'acheter des établissements, comme voulaient le faire les princes allemands dont a parlé M. Osy, mais plutôt d'imiter de loin ce qu'a fait le gouvernement anglais pour l'Irlande, mesures dont il s'est, je crois, très bien trouvé, car la question irlandaise aujourd'hui paraît avoir perdu beaucoup de son importance.
La charité privée, abandonnée à elle-même, laissera encore les choses dans l'état où elles sont. La charité privée a des habitudes dont elle ne sort pas aisément.
L'exemple du gouvernement a une très grande influence sur les autres autorités ; voyez comme il lui a été facile d'amener par son concours les autorités provinciales et communales en matière de chemins vicinaux à faire les travaux merveilleux qui se sont exécutés depuis une douzaine d'années et dont peut-être pas la dixième partie ne se serait faite si le gouvernement s'était abstenu.
Ainsi que l'a dit l'honorable M. de Haerne, il est désirable que des prêtres flamands se rendent en Amérique ; quelques-uns y sont allés, mais il en faudrait davantage ; c'est encore ce qui pourrait se faire aisément par suite de l'intervention officieuse du gouvernement.
Loin de moi, je le répète, l'idée de vouloir que le gouvernement se fasse colonisateur, ni qu'il sacrifie à l'émigration des sommes considérables ; je voudrais au contraire amener une économie dans les finances communales et épargner au gouvernement lui-même des charges que sous l'un ou l'autre nom les souffrances des populations ne manquent pas de lui imposer.
M. de Mérode. - Je vois avec une certaine satisfaction qu'on s'occupe quelque peu, dans cette assemblée, des moyens de venir au secours de la population autrement que par des distributions d'argent à l'intérieur du pays. La preuve que l'émigration présente des avantages, c'est la multitude d'émigrants que nous voyons affluer dans nos ports de mer, notamment à Anvers, où l'on ne va pas une seule fois sans rencontrer un nombre considérable d'émigranls. (Interruption.)
Il est possible qu'ils aient de l'argent, mais cela prouve qu'il y a un moyen d'acquérir un certain bien-être qu'on n'obtient pas dans un pays trop peuplé. L'Amérique du Nord présente encore des terrains très avantageux à habiter, je ne vois pas pourquoi nous ne profiterions pas de la facilité que nous donne notre position sur le bord de la mer pour aller nous établir dans ces contrées qui demandent des habitants.
On nous dit qu'avant d'aller dans les pays lointains on devrait améliorer la culture chez nous de manière à faire rendre à la terre tout ce qu'elle peut donner.
Mais on cultive dans les Flandres aussi bien que possible ; je ne vois pas ce qu'on pourrait ajouter, sous le rapport de la culture, dans la plus grande partie des Flandres. Dans d'autres circonstances, j'ai souvent entendu dire que les Flandres étaient cultivées d'une manière extraordinaire, qu'on ne saurait pas tirer d'un sol plus qu'on ne tire de celui-là.
Quant à ce qu'on vous a dit de l'émigration à l'intérieur, du besoin d'ouvriers qui se fait sentir dans l'arrondissement de Charleroi, je dirai que les Flamands éprouvent une grande répugnance à quitter leur pays. L'ignorance de la langue est d'ailleurs une cause d'empêchement pour ceux qui voudraient se transporter de la Flandre dans le Hainaut ; au reste c'est là une chose accessoire, les Flamands ne pourraient jamais aller en bien grand nombre dans le Hainaut ; il serait bientôt encombré, car des communes du Hainaut même ont plus d'ouvriers qu'elles n'en peuvent employer, et ces ouvriers, bien qu'ils connaissent la langue, habitant la même province, ne se rendent pas dans l'arrondissement de Charleroi.
Il y a beaucoup d'analogie entre le flamand et l'anglais ; il serait facile de faire apprendre l'anglais dans les villages flamands, surtout là où la population excède de beaucoup les moyens d'existence. Si les enfants connaissaient l'anglais, ils auraient beaucoup moins d'embarras pour se transporter en Amérique et y trouver des moyens d'existence, car la connaissance de la langue est une grande ressource pour se procurer des moyens d'existence dans un pays étranger
L'émigration à l'intérieur, comme je l'ai dit, n'est pas une ressource, chaque province ayant un excédant de population. La Campine elle-même a des ouvriers en nombre suffisant pour les travaux qu'elle peut offrir ; c'est une erreur de croire qu'il y a une quantité de terrains dans les Ardennes ou la Campine qu'on pourrait cultiver avantageusement ; ces terrains ne pourront jamais être cultivés avec fruit ; ceux qu'on cultive dans de petites fermes ne produisent que très peu de chose ; les propriétaires ne peuvent pas se faire payer par les fermiers.
Quand le sol est bon, le cultivateur gagne beaucoup ; mais quand le sol est mauvais, le cultivateur a beau faire, il reste toujours dans la misère.
On ne doit donc pas trop se fier à cette espèce de mise en culture de tout le sol d'un pays. Dans tous les pays, il y a des parties peu favorables à la culture. Les Ardennes sont de ce nombre. Ce haut plateau, qui a peut-être encore de la neige, est exposé à des gelées tardives, à toutes sortes d'intempéries. Il n'est pas possible de le cultiver comme le sol au milieu duquel nous sommes ici.
Je suis donc charmé qu'on se préoccupe de la question, non pas seulement pour avertir le gouvernement, mais pour donner l'éveil au pays en général au sujet de l'embarras que lui donne, eu certains lieux, l’exubérance de la population.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Les observations qui viennent d'être échangées, à l'occasion de la discussion du budget de la justice, auront une grande utilité dans le pays ; elles serviront d'avertissement à tous ceux qui portent intérêt aux classes nécessiteuses, particulièrement aux populations des Flandres. Elles pourront conduire à la réalisation de quelque pensée utile et finalement à un résultat.
Ainsi les détails que l'honorable M. Devaux a donnés sur les ressources qu'offrent les Etats-Unis, sur les avantages que l'on obtiendrait pour les émigrants en suivant une bonne direction, sont de nature à éclairer efficacement non seulement les personnes qui seraient disposées à émigrer en Amérique, mais encore celles qui seraient disposées à favoriser l'émigration.
D'autre part, l'honorable M. T'Kint de Naeyer, qui a fait servir la (page 1660) statistique oflicielle à des renseignements et à des résultats éminemment intéressants, a contribué à éluder, pour le gouvernement, des questions d'une grande importance et dont il devra nécessairement s'occuper, dans le sens que je vais indiquer.
Je ne crois pas que vous deviez outre mesure favoriser l'émigration, c'est-à-dire encourager les gens qui ont très peu de ressources ou qui n'en ont pas, à s'expatrier. L'émigration subsidiée, poussée un peu loin, me paraît un grand danger. Ce serait d'abord une sorte de piège tendu à ceux qui, dénués de ressources, se rendent avec plus ou moins de confiance ou d'imprudence dans les pays étrangers. Ensuite, ce serait leur préparer des déboires considérables.
Je crois que l'émigration, en principe, doit être essentiellement spontanée et qu'elle doit se faire avec les ressources privées. C'est ainsi que l'émigration qui se fait en Allemagne vers les contrées transatlantiques sur une grande échelle et qui a pris des proportions telles, que dans les quatre premiers mois de cette année, il s'est présenté pour les départs d'Anvers autant d'émigrants que dans toute l'année 1853, a pour ceux qui émigrent des résultats financiers utiles, parce que les émigrants ont quelques ressources personnelles. Mais si l'on encourage à émigrer ceux qui n'ont pas de ressources personnelles, on prépare, je le répète, des déboursés considérables et même des désastres pour des compatriotes que l'on pousse imprudemment dans cette voie.
L'Etat, pas plus que les communes, les provinces et les associations particulières, ne doit directement encourager l'émigration de personne ; car le résultat peut être très fàcheux. Mais les associations particulières, les communes, les provinces et l'Etat peuvent, par des conseils, par des facilités, par des instructions, diriger efficacement ceux qui désirent transplanter leurs familles et chercher sur un sol moins chargé de population des ressources plus assurées.
L'Etat ne doit pas, suivant moi, encourager a priori ; mais il peut, par exemple, faciliter les moyens de transport. Qu'a-t-il fait tout récemment, d'accord avec la législature ? Il a favorisé l'établissement de deux compagnies de navigation transatlantique, l'une vers les Etats-Unis, l'autre vers le Brésil.
Là se trouve, par une voie indirecte, mais efficace, une intervention de l’Etat, du trésor, qui favorisera singulièrement, suivant moi, les émigrations ; car il me paraît que le règlement d'une navigation à bon marché, et les garanties qu'offrent les compagnies, seront de nature à favoriser l'émigration.
Dans ce sens, l’intervention de l'Etat est utile et légitime : elle est ce qu'elle doit être. C'est vous dire qu'elle offre toutes garanties à ceux qui voudront profiter des facilités de navigation que l'on crée, des facilités de voyage vers les contrées transatlantiques.
L'Etat pourrait encore diminuer les frais de transport sur le chemin de fer, accorder certaines facilités à ceux qui émigreraient dans de bonnes conditions, chose qu'on peut vérifier. Il pourra aussi, par ses agents, recueillir des renseignements et les mettre à la disposition de tous ceux qui ont un but sérieux.
Ce sont des moyens qui ne constituent pas une intervention directe, et qui n'augmentent pas cette intervention, déjà si considérable, du trésor dans les affaires privées.
L'association, appliquée à l'émigration, peut avoir des résultats très considérables. Je voudrais la voir appliquer également au principe d'une répartition plus convenable de nos populations à l'intérieur. Cette question est également très intéressante et doit nous préoccuper avant tout, même avant l'émigration vers les contrées transatlantiques. Les personnes généreuses qui seraient disposées à s'associer et à mettre en commun leurs moyens d'action pour aviser à répartir d'une manière plus égale la population entre les diverses provinces, rendraient ainsi un grand service au pays.
Il ne s'agit pas de forcer les habitants d'une partie du pays à se transporter dans une autre, de transplanter les Flamands qui ne connaissent pas le français, au milieu des provinces wallonnes. Il s'agit de favoriser, par une marche lente et prudente, le changement de résidence, de domicile et d'occupations d'un grand nombre de Flamands qui ne trouvent pas chez eux des ressources suffisantes, et qui peuvent offrir leurs bras et leur activité dans certaines provinces où on les marchande, et où on les met à la hausse ; ce qui est fort heureux pour la province où cela arrive, mais ce qui, en définitive, est un obstacle au plein développement de toutes les forces industrielles que cette province possède.
Ainsi, messieurs, ou pourrait éclairer les populations, leur expliquer quelles sont les ressources qu'offrent certaines autres parties du pays, quels sont les avantages qu'ils peuvent y trouver ; et les intermédiaires qui faciliteraient ces changements de résidence seraient là, auraient des personnes qui pourraient servir d'interprètes, qui pourraient faciliter ainsi les communications et les nouvelles relations, et aider à l'emploi des nouvelles ressources qu'offre une répartition plus égale, plus proportionnelle de la population entre les diverses provinces.
On m'a demandé, messieurs, divers renseignements sur certains faits qui se rapportent à la colonie de Sainte-Marie. Je dois déclarer à la Chambre que cette affaire a été traitée au département de l'intérieur, et que le département de la justice y est complètement étranger. Je ne suis donc pas en position de satisfaire les honorables membres sur ce point.
Si lorsque nous arriverons à l'article relatif aux dépôts de mendicité, on désire ces explications, je pense que mon collègue M. le ministre de l'intérieur pourra les fournir. Dans tous les cas je le lui demanderai.
Pour ce qui concerne l'émigration volontair equi a été favorisée dans la province d'Anvers, les faits auxquels on a fait allusion remontent à plusieurs années. Je pense que la circulaire qui a été distribuée dans la province d'Anvers par l'administration provinciale est du mois de septembre 1851. Je sais qu'un certain nombre d'émigrants ont pris le chemin des Etats-Unis ; je ne crois pas que le gouvernement doive intervenir.
Pour ma part, je n'ai favorisé que dans des limites extrêmement restreintes l'émigration de certains individus détenus dans les dépôts de mendicité et de certains condamnés détenus dans les prisons, qui demandaient la remise de leur peine à la condition d'employer une partie de leur masse à leur transfert vers l'Amérique. J'ai favorisé l'émigration de ces individus, mais pour ce qui s'est passé dens la province d'Anvers je n'ai pas les éléments d'une réponse satisfaisante.
Je crois, messieurs, que les réflexions que je viens d'avoir l'honneur de vous soumettre, sont conformes à ce qui est raisonnable et pratique dans un gouvernement, et qu'elles sont de nature à satisfaire au désir d'explications qui a été exprimé.
M. Brixhe. - Messieurs, on a demandé, tout à l'heure des renseignements sur la prétendue commune belge de Sainte Marie en Pensylvanie. Je vais avoir l'honneur de vous dire, en peu de mots, ce que j'ai vu il y a trois ans, jour pour jour.
D'abord la commune de Sainte-Marie est exclusivement allemande.
Le sieur Deham a établi sa colonie sous le nom de New Flanders à 9 milles au nord de Sainte-Marie. Il y a entrepris quelques défrichements et à l'époque de la visite que j'y ai faite, les fonds alloués par le gouvernement étaient absorbés et ne se trouvaient représentés que par une vingtaine de bonniers tout au plus de terrain, mal défriché, et une petite scierie hydraulique d'une valeur de 6,000 à 7,000 fr.
Sept ou huit Flamands étaient encore sur les lieux, les autres s'étant dispersés afin de pouvoir mieux pourvoir à leur subsistance.
Les nouvelles que j'ai reçues très récemment m'apprennent que tous les émigrants qui ont accompagné le sieur Deham ont aujourd'hui quitté Sainte-Marie, et le sieur Deham, qui n'a pas toujours été heureux dans ses travaux, a lui-même abandonné la colonie et se trouve à Cincinnati avec sa famille.
Maintenant la question est de savoir si le gouvernement a pris les mesures nécessaires pour assurer les payements des taxes, payement qui peut seul garantir la conservation de la propriété acquise pour l'Etat belge ; sinon la propriété est sans doute déjà passée en d'autres mains et l'Etat belge tout à fait dépossédé.
M. Loos. - Messieurs, je crois que cette discussion peut porter quelques fruits en ce qu'elle peut éclairer les administrations communales dont les ressources sont absorbées aujourd'hui par le paupérisme. J'ai entendu les représentants des Flandres se plaindre de la pénurie des ressources dis communes pour venir en aide aux populations pauvres. Si je suis bien informé, cette situation résulte surtout des frais qu'entraîne pour ces communes le séjour de leurs mendiants au dépôt de mendicité. Cela est si vrai que le gouvernement a, à la charge des communes, des créances montant à plusieurs centaines de mille francs et résultant de frais occasionnés dans les dépôts de mendicité et que les communes ont été impuissantes à acquitter.
La population des dépôts de mendicité a surtout été grossissant à une certaine époque. La ville d'Anvers a subi alors le sort commun, elle avait beaucoup de pauvres et beaucoup se réfugiaient dans les dépôts de mendicité.
Cependant, ayant remarqué par la statistique de ces dépôts que c'étaient les mêmes individus qui s'y trouvaient pour la troisième, la quatrième, la cinquième et souvent la sixième fois, on a pensé qu'on ferait chose économique, tant pour les deniers de la commune que pour l'avenir de ces malheureux qui sortent du dépôt pour y rentrer peu de temps après, que de les engager à l'émigration.
On a fait à plusieurs détenus du dépôt de mendicité de Hoogstraeten la proposition de quitter le dépôt pour émigrer. Cette proposition, je dois le dire, n'était faite qu'aux célibataires valides qui ne laissaient derrière eux aucun intérêt essentiel de famille. Plusieurs se sont décidés à l'émigration.
J'ai dit, messieurs, que c'était pour la commune une opération favorable. En effet, le séjour d'un mendiant au dépôt ne coûte pas en moyenne moins de 140 francs par an. Or, l'émigration vers l'Amérique d'un individu à qui l'on fournit un trousseau complet et même un certain pécule, ne coûtait en tout que 200 francs. En deux ans le mendiant, vivant au dépôt, avait donc plus qu'absorbé cette somme.
Une fois l'offre faite, elle fut suivie de l'acceptation d'uu assez grand nombre d'individus, à tel point qu'il a fallu s'arrêter, à défaut de ressources suffisantes pour cette émigration, et surtout pour une autre cause que j’indiquerai : c'est que la population pauvre d'Anvers, voyant quelques détenus du dépôt de mendicité émigrer vers les Etats-Unis, faire enfin ce que font ces nombreux Allemands qui se trouvent constamment à Anvers, et voyant que le seul moyen d'obtenir cette faveur de partir pour l'Amérique, aux frais de la commune, était d'entrer d'abord au dépôt, s'y portait plus nombreuse que précédemment. On a donc dû arrêter l'émigration dans la crainte de voir augmenter un mal que l'on avait voulu diminuer.
Messieurs, de toute la population pauvre à laquelle on a facilité le moyen (page 1661) de se rendre en Amérique, il n'y a que deux individus qui soient revenus. Les autres y sont parfaitement employés. Plusieurs ont écrit à leurs parents pour leur annoncer le changement opéré dans leur sort et engager les individus qu'ils avaient connus lors de leur séjour à Anvers, à demander également l'émigration.
Les deux individus qui sont revenus se trouvaient dans une position exceptionnelle par leur faute. A l'arrivée de cette population aux Etats-Unis (ils étaient, je crois, une trentaine), on a fait à ceux qui la composaient l'offre de les employer immédiatement. Deux individus n'ont pas accepté cette offre, et ce sont ceux qui sont revenus. Indépendamment du peu qu'ils avaient reçu et de leur trousseau, il leur était revenu des vivres, parce que l'approvisionnement ordonné par les règlements n'est jamais absorbé, les traversées durant ordinairement moins que le temps prévu. Ils ont réalisé tout cela, et ils ont trouvé plus commode de faire ce qu'ils avaient fait autrefois, c'est-à-dire de ne rien faire du tout et de dépenser leur argent. Lorsque leurs ressources furent épuisées, ils se trouvèrent sur le pavé de New-York dans la situation la plus déplorable.
Ils n'ont plus trouvé le travail qu'on avait offert aux autres. Ils ont dû faire usage de la dernière ressource qui leur avait été indiquée, à savoir que s'ils ne trouvaient pas à s'employer d'une manière plus convenable pour eux, ils trouveraient à gagner une journée de 4 fr. en travaillant comme terrassier pour le chemin de fer.
Lorsque la misère s'est fait sentir, ils se sont donc rendus à un chemin de fer en construction.
Mais c'est un ouvrage assez dur, et quand on ne parle pas la langue du pays, on est exposé à faire les choses de travers. Ils ont donc rencontré quelques difficultés et ont quitté les travaux.
Ils ont ensuite offert leurs services aux personnes qui employaient leurs compagnons ; o nn'a pasvoulu les accepter, et ayant vu à New-York pavillon belge flotter sur un navire ils se sont présentés au capitaine qui les a ramenés par charité. Ils sont arrivés à Anvers comme marins ; mais comme ils n'avaient été relâchés du dépôt de mendicité avant que le terme de leur détention ne fût expiré, qu'à la condition qu'ils quitteraient le pays, on les a naturellement fait réintégrer au dépôt.
Je dirai que depuis le séjour de ces individus au dépôt, les demandes d'émigration sont devenues moins nombreuses ; mais il est constant que tous ceux qui ont émigré et qui ont accepté les offres de travail qui leur étaient faites, s'en sont parfaitement trouvés, et je sais qu'aujourd'hui leur sort est complètement changé.
Je pense donc que pour beaucoup de communes des Flandres, dont les ressources sont absorbées par les frais d'entretien des pauvres, ce serait une chose extrêmement économique que de favoriser l'émigration des individus valides qui peuvent se rencontrer dans le nombre, et là je crois que l'intervention de l'Etat ne serait pas déplacée ; aujourd'hui l'Etat subit des pertes très considérables du chef de l'entretien dans les dépôts de mendicité, d'individus appartenant à des communes obérées, et je crois qu'il serait moins onéreux pour l'Etat comme pour les communes de favoriser l'émigration des mendiants valides.
Quant à l'émigration en général, je crois qu'il est utile que le gouvernement ne s'en mêle pas ; il faut laisser faire la charité et la spéculation. La spéculation s'en mêle déjà aujourd'hui, on recherche les émigrants pour certaines contrées ; aux Etats-Unis et au Brésil, de grandes spéculations ont été faites ; il s'agit d'attirer des bras pour la culture des terrains qui ont été acquis. Je dirai même que l'entreprise de navigation qu'on va établir est en grande partie fondée sur le transport des émigrants. Le gouvernement du Brésil favorise tout ce qui concerne l'émigration.
Je crois, messieurs, qu'il faut laisser les familles, aussi bien en Belgique qu'on le fait ailleurs, décider de leur propre sort. Ce qui augmente considérablement l'émigration allemande, c'est que vous avez aux Etats-Unis des populations allemandes tics-nombreuses.
M. Rodenbach. - Quatre millions.
M. Loos. - Ces populations se trouvent dans une situation très prospère et comme les individus dont elles se composent ont laissé derrière eux des parents et des amis, ils les engagent à venir se joindre à eux pour partager leur bien-être ; il en résulte que ceux qui partent sont toujours parfaitement renseignés. Il en est qui partent avec des ressources, il en est qui partent sans ressources ; ces derniers s'engagent comme domestiques dans les fermes ; les autres acquièrent des terrains qu'ils exploitent pour leur propre compte. Je crois que cette partie de notre population, qui ne peut pas se procurer sur le sol belge une certaine aisance, finira par suivre l'exemple des Allemands, et je suis persuadé qu'elle s'en trouvera bien.
M. Rogier. - Parmi les diverses mesures qui ont été indiquées à l'époque où la misère des Flandres faisait l'objet de discussions en quelque sorte journalières, parmi ces mesures figuraient la colonisation à l'intérieur et l'émigration. Un grand nombre d'actes ont été posés pour venir en aide à la situation des Flandres ; si l'on veut examiner les choses avec un esprit d'équité on doit reconnaître que la plupart de ces actes ont porté des fruits. La situation des Flandres s'est généralement améliorée ; il y a beaucoup moins de malaise, beaucoup moins de plaintes, et depuis cinq ou six ans la Chambre a beaucoup moins souvent retenti de ces plaintes auxquelles donnait lieu la situation des Flandres. Je constate pour le moment ce résultat général ; il a été obtenu au prix de sacrifices relativement médiocres pour le trésor public ; cela sera démontré.
Quelques essais ont eu lieu pour venir en aide aux Flandres par le système de l'émigration. J'ai toujours pensé que, dans une certaine mesure, car je ne suis pas un partisan des émigrations en masse, que, dans une certaine limite, l'émigration pouvait être tentée en vue de soulager les populations des Flandres. Eh bien, messieurs, c'est une de ces mesures à laquelle on vient de faire allusion. Un fonctionnaire du départemenl de l'intérieur, non pas un rêveur, mais un homme pratique, un homme doué d'un esprit entreprenant, a fait au gouvernement l'offre de se mettre à la tête d'un certain nombre d'émigrants flamands afin d'aller les établir sur un point donné de l'Amérique du Nord. Un contrat a été passé avec ce fonctionnaire et il est parti, menant avec lui une centaine d'émigrants. Voilà, messieurs, l'essai tenté, voilà l'élan donné ; le gouvernement s'est arrêté là. Depuis lors les émigrations ont continué, les émigrations volontaires ou les émigrations opérées avec le concours des communes, des bureaux de bienfaisance, et je crois aussi des provinces. La tâche du gouvernement se trouvait accomplie.
Un honorable membre qui a visité la localité où s'était établi le fonctionnaire dont j'ai parlé tout à l’heure a dit qu'il n'y a plus trouvé de population.
Je ne suis pas au courant de la situation des choses depuis bientôt deux ans ; mais je constate que le fonctionnaire dont il s'agit est parti du pays à la tête d'un certain nombre d'émigranls, que d'autres ont suivi et que de cette manière le but que se proposait le gouvernement se trouve atteint. Que ce fonctionnaire n'ait pas complètement réussi, que les fonds lui aient manqué, cela est possible ; le gouvernement n'a pas pu faire davantage pour lui.
Ce ne serait pas le premier essai de colonisation qui aurait mal réussi ; sur 100 essais, on peut dire qu'il en est 80 qui n'ont pas réussi ; mais ce qui est certain, c'est que dix à douze familles des plus pauvres des Flandres ont émigré, que depuis lors d'autres ont suivi et que les émigrations continuent à avoir lieu, grâce à ce premier encouragement qui a été donné par le gouvernement. Aujourd hui, que l'élan est donné, le gouvernement n'a plus rien à faire dans cette direction.
Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire sur cette question. Si l'on veut entrer plus avant dans la discussion de la mesure à laquelle on a fait allusion, M. le ministre de la justice pourra obtenir tous les renseignements nécessaires de son honorable collègue de l'intérieur.
M. Osy. - Comme M. le ministre de la justice ne peut pas donner des renseignements sur la dépense qui a été faite pour l'émigration en Amérique, je prierai l'honorable ministre de l'intérieur de donner ces renseignements dans la session prochaine lorsque nous discuterons son budget. Comme l’a dit l'honorable M. Brixhe, la somme n'est pas rentrée, mais nous avons hypothèque sur les terres ; il importe que la Chambre sache où en est cette affaire.
- La discussion générale est close.
On passe aux articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 190,550. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 23,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Cour de cassation. Personnel.
« Charge ordinaire : fr. 215,000.
« Charge extraordinaire : fr. 5,500. »
- Adopté.
« Art. 7. Cour de cassation. Matériel : fr. 5,250. »
- Adopté.
« Art. 8. Cours d'appel. Personnel.
« Charge ordinaire : fr. 549,100.
« Charge extraordinaire : fr. 28,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Cour d’appel. Matériel : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce/
« Charge ordinaire : fr. 1,022,095.
« Charge extraordinaire : fr. 20,550. »
M. de Naeyer, rapporteur. - Je crois devoir attirer l’attention de l’honorable ministre de la justice sur la situation exceptionnelle et réellement anormale dans laquelle se trouve la ville d’Alost en ce qui concerne l’administration de la justice.
Cette ville a une population de près de 20,000 habitants, elle est le (page 1662) siège de plusieurs industries très importantes, et le centre d'un mouvement commercial très considérable, notamment pour la vente des houblons, des céréales et des toiles, et cependant elle ne possède ni tribunal de première instance, ni tribunal de commerce. C'est là une véritable anomalie en Belgique, cela n'existe pour aucune autre ville de cette importance.
Je ferai même remarquer que parmi les 26 chefs lieux d'arrondissement de la Belgique, il y en a au moins 10 à 12 qui sont inférieurs à Alost, sous le rapport du commerce, de l'industrie, en un mot, de tous les éléments des contestations judiciaires, mais il existe une autre circonstance qui rend l'anomalie encore plus frappante. Voici en quoi elle consiste : pour la justice civile la ville d'Alost appartient à la juridiction du tribunal de première instance de Termonde qui est à deux lieues de distance, et pour la justice commerciale elle est du ressort du tribunal de commerce de St-Nicolas, qui se trouve à 5 ou 6 lieues de distance. Voilà bien un renversement complet des principes sur lesquels est basée l'institution des tribunaux de commerce destinés surtout à imprimer une plus grande célérité aux affaires.
En effet, nous trouvons la justice civile à 2 lieues de distance, mais pour la justice consulaire, qui je le répète exige une expédition plus prompte des affaires, nous avons à franchir une distance de 5 à 6 lieues, une pareille anomalie n'existe absolument que dans l'arrondissement d'Alost, et j'espère bien que dans la réorganisation judiciaire qui est aujourd'hui soumise aux délibérations d'une commission spéciale, le gouvernement trouvera moyen de la faire cesser. J'ajouterai encore que le conseil provincial de la Flandre orientale a appuyé d'un avis favorable la demande tendant à établir un tribunal de commerce à Alost ; je recommande donc cet objet à la sollicitude de l'honorable ministre de la justice et je suis convaincu qu'il trouvera moyen de satisfaction à notre légitime réclamation, qui ne peut d'ailleurs entraîner pour ainsi dire aucune charge pour le trésor public, puisque les tribunaux de commerce rapportent à peu près à l'Etat de quoi couvrir les faibles dépenses qu'ils occasionnent.
M. Lelièvre. - Le rapport de la section centrale signale l'insuffisance du personnel de quelques tribunaux. Je dois faire observer que ses observations doivent s'appliquer au personnel de la cour de Liège qui est absolument insuffisant pour expédier le grand nombre d'affaires qui sont déférées à cette juridiction.
Quant au tribunal de Namur, il est essentiel de maintenir le personnel à sept juges et sous ce rapport la loi de 1849 doit étre modifiée. Il y a deux Chambres qui doivent être complètes, non compris le juge d'instruction obligé de vaquer exclusivement à l'expédition des affaires qui lui sont soumises.
Quant aux observations de l'honorable M. de Naeyer, je crois devoir les appuyer, parce que des renseignements qui me sont parvenus m'ont démontré la justesse des réflexions que vous a soumises notre honorable collègue.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, les questions relatives au personnel des cours et tribunaux recevront prochainement une solution sur laquelle la chambre aura à se prononcer dans la prochaine session.
Quant à l'établissement d'un tribunal de commerce à Alost, la question doit être mûrement débattue avant qu'une décision soit soumise à la législature.
Cette question n'est pas aussi simple que semble le croire l'honorable M. de Naeyer ; elle a déjà été signalée dans cette enceinte et au Sénat, et elle a été débattue au sein du conseil provincial de la Flandre orientale. Ce conseil provincial s'est prononcé en faveur de l'établissement d'un tribunal de commerce à Alost à la majorité de 36 voix contre 28. Cette majorité n'est pas importante, et prouve que d'autres intérêts rivaux et puissants sont en jeu. Ces intérêts sont ceux de St-Nicolas et de Termonde.
St-Nicolas trouve que Termonde ne doit pas avoir le tribunal civil et demande le tribunal civil ; Termonde trouve que St-Nicolas ne doit pas avoir le tribunal de commerce et demande le tribunal de commerce ; Alost demande l'un ou l'autre, sinon les deux. Il y a donc là lutte d'intérêts. Le gouvernement doit dès lors s'entourer prudemment de renseignements pour ne pas froisser des intérêts très respectables et des droits acquis. Je crois qu'il faut laisser au gouvernement le temps de prendre une décision motivée.
Je me rappelle d'avoir vu des rapports extrêmement concluants contre la demande que recommande ici 1 honorable M. de Naeyer ; j'ai vu également des rapports très concluants dans le sens contraire. Toutefois les inconvénients n'étaient pas de nature à motiver l'établissement, par urgence, d'un tribunal de commerce à Alost. Du reste, je promets à l'honorable M. de Naeyer d'examiner la question avec toute la bienveillance possible.
M. Delehaye, rapporteur. - Messieurs, je crois que le gouvernement ferait bien, pour se prononcer sur cette question, de se mettre au-dessus des réclamations des localités intéressées. Il est certain que la ville d'Alost, eu égard à l'importance de son commerce et de son industrie, réunit toutes les conditions pour être dotée d'un tribunal de commerce. M. le ministre de la justice a dit qu'on examinerait la question avec impartialité. Je suis persuadé dès lors qu'elle recevra une solution favorable à la ville d'Alost.
N'est-il pas étrange que cette ville, une des plus importantes dit royaume, qui est le siège d'une industrie très développée, soit obligée d'aller, pour les affaires commerciales, à Saint Nicolas, dont elle est distante de 6 à 7 lieues, tandis que pour les affaires civiles, elle va à Termonde, dont elle n'est éloignée que de 2 lieues ?
Je prie donc le gouvernement de faire examiner la question par des personnes qui y sont désintéressées, et je suis convaincu qu'il sera fait droit aux justes réclamations de la ville d'Alost.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je renonce à la parole en me ralliant aux observations présentées par l'honorable M. Delehaye, et en le remerciant de l'appui qu'il veut bien prêter à nos justes réclamations.
M. Vermeire. - Messieurs, je crois aussi que le gouvernement doit se mettre au-dessus des réclamations des personnes qui sont intéressées dans la question. Je ne puis pas d'une manière aussi incidente qu'imprévue faire valoir tous les motifs qui militent en faveur de l'institution du tribunal de commerce à Termonde. Je ferai toutefois observer que Termonde a un commerce très important et qui, eu égard à la petite étendue de l'arrondissement, n'en fait pas moins l'admiration de toute la Belgique.
Termonde est, en outre, un port de mer. Et, je le demande, peut-on me citer dans un pays quelconque un port de mer qui n'ait pas son tribunal de commerce ?
Je dirai encore que, dans l'arrondissement de Termonde, les transactions commerciales s'élèvent de 55 à 60 millions par an ; et voilà cependant un arrondissement qui, au dire de certaines personnes, ne mériterait pas de tribunal de commerce ! Je livre ces faits à l'appréciation de M. le ministre de la justice, et j'espère qu'il les prendra en sérieuse considération.
M. Van Overloop. - Messieurs, comme vient de le dire l'honorable M. Vermeire et comme l'avait dit avant lui l’honorable M. Delehaye, le gouvernement doit certainement se mettre au-dessus des considérations de localité.
Eh bien, si le gouvernement se met au-dessus des considérations de localité, le tribunal de commerce de St-Nicolas restera, tel qu'il est actuellement, à St-Nicolas.
Où les tribunaux de commerce, non au point de vue de l'intérêt local, mais au point de vue du gouvernement, doivent-ils être placés ? Dans les localités où il se fait le plus de transactions commerciales. Or je le demande, s'il est une localité importante sous le rapport du commerce et de l'industrie, n'est-ce pas Saint-Nicolas ? Personne ne le contestera. Aussi j'espère que le gouvernement examinant la question, je le répète, au point de vue non d'un intérêt local, mais de l'intérêt général, conservera à Saint-Nicolas son tribunal de commerce avec le ressort que ce tribunal a actuellement.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je n'entends aucunement dépouiller la ville de Saint-Nicolas de son tribunal de commerce, mais puisque cette ville trouve qu'il lui est avantageux, nécessaire même d'être le siège d'une justice consulaire, elle ne peut raisonnablement s'opposer à ce que le même avantage nous soit accordé ; certainement sous le rapport du mouvement des affaires commerciales et industrielles nous avons les mêmes titres à faire valoir, ensuite il ne faut pas perdre de vue qu"Alost est destiné à voir augmenter considérablement son importance par la construction des chemins de fer qui sont aujourd'hui en voie d'exécution et qui feront enfin tomber les entraves opposées si longtemps au développement régulier des nombreux éléments de prospérité, dont cette ville a été dotée par sa magnifique situation au cœur même du pays.
J'insiste donc fortement, et je suis convaincu que l'honorable ministre de la justice, se plaçant au point de vue indiqué par l'honorable M. Delehaye, trouvera qu'on ne peut nous refuser plus longtemps la justice que nous réclamons.
M. Vermeire. - Je n'ai qu'une seule observation à faire ; je ne veux pas non plus enlever à St-Nicolas son tribunal de commerce, mais je dis qu'il est équitable qu'on en établisse là où le besoin s'en fait sentir, d'autant plus que ces institutions coûtent peu de chose à l'Etat.
- La discussion est close.
L'article 10 est mis aux voix et adopté.
« Art. 11. Justice de paix et tribunaux de police.
« Charge ordinaire : fr. 548,100. »
« Charge extraordinaire : fr. 7,870. »
- La séance est levée à 4 heures 3/4.