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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 février 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal

(page 661) M. Maertens procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Lecture du procès-verbal

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. Verhaegen. - Je demande la parole sur le procès-verbal.

Si j'ai bien entendu, le procès-verbal énonce que j'aurais consenti à l'ajournement de ma proposition. Il n'en est rien. Quand je fais une proposition, je la fais d'une manière sérieuse et je ne la retire pas.

Je ne puis pas consentir à un ajournement indéfini. Si l'on veut remettre la discussion sur la communication du gouvernement à demain ou à après-demain, je n'y vois pas d'obstacle. Mais si l'ajournement devait être tel, que le jour de la discussion ne fût pas fixé, je n'y consentirais pas, quel que dût être le résultat de ma proposition.

M. le président. - Le procès-verbal ne mentionne pas que la proposition de M. Verhaegen a été ajournée ; il ne dit pas non plus qu'elle a été retirée. Il mentionne seulement que j'ai fait l'observation qu'il convenait d'attendre que le gouvernement eût déposé les pièces qu'il a promis de communiquer. On verra alors si cette communication est suffisante.

Le droit de M. Verhaegen reste entier ; le procès-verbal n'y porte aucune atteinte.

M. Verhaegen. - S'il est entendu que le ministère déposera immédiatement les pièces et que la discussion ser continuée à demain ou après-demain, je ne m'y oppose pas. Mais je n'entends ni retirer ni ajourner ma proposition.

M. le président. - Je répète que le procès-verbal ne mentionne pas que la proposition de M. Verhaegen a été ajournée ou retirée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Quant à la publication des documents dont j'ai eu l'honneur de parler à la Chambre, ces pièces sont à l'impression. Mais un de ces documents est assez volumineux et ce n'est guère que demain soir ou après-demain matin que la distribution pourra se faire aux membres de la Chambre.

M. de Perceval. - Et votre discours ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - M. le directeur du Moniteur m'a fait dire qu'il ne pourrait faire paraître avant onze heures ou midi la seconde partie de la séance, dans laquelle se trouve non seulement l'exposé que j'ai fait, mais les documents que j'ai lus à la Chambre. Cette partie de la séance doit maintenant se trouver chez vous.

M. Loos. - Les pièces que le gouvernement a l'intention de communiquer ne pouvant nous être distribuées que demain soir ou après-demain, je propose de remettre à mardi la suite de la discussion sur l'enseignement moyen.

M. le président. - Ce n'est pas le moment de s'occuper de cette motion. Adoptons d'abord le procès-verbal.

- La rédaction du procès-verbal est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur J. Mathieu Dodemont demande que la pension dont jouissent les blessés de septembre lui soit accordée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Leeuwergem prient la Chambre de décréter le chemin de fer direct de Gand à Saint-Ghislain. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Soumoy demandent la création d'un tribunal de première instance à Phillippeville. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Leupeghem prie la Chambre d'accorder aux frères Hertogs l'autorisation de prolonger la ligne concédée de Gand à Audenarde vers Leuze et Thulin en passant par Renaix et Frasnes. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dubois, officier pensionné, demande la régularisation de sa pension fixée provisoirement à 600 fr. »

- Même renvoi. »


« Le sieur Poncelet, curé à Hogimont, prie la Chambre de porter au budget un crédit destiné à la distribution de la chaux à prix réduit, aux habitants du Luxembourg, au moins jusqu'à l'entier achèvement du chemin de fer dans cette province. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Seeverghem demandent que la langue flamande ait sa part dans l’enseignement agricole. »

« Même demande d habitants de Gand. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement agricole et à la commission des pétitions.


« Des membres de la société dite Voor Kunst en Moedertael, à Waerschoot demandent que la langue flamande ait sa part dans l'enseignement agricole et dans le projet de loi sur l organisation des cours d'assises. »

« Même demande d'habitants de Schaerbeek. »

- Même renvoi.


« Des membres du conseil communal de Grootenberge déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand du 25 décembre 1853. »

« Même adhésion du conseil communal de Wortel. »

« Même adhésion des membres de la société dite Verbonden, à Bruxelles. »

« Même adhésion des membres de la société dite Labore et constantia, à Haelen. »

« Même adhésion des membres de la société dite de Koorgalmen van Haelen. »

« Même adhésion de plusieurs habitants d'Esschen. »

- Même renvoi.


« Le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mechelen prie la Chambre de mettre à la disposition du gouvernement la somme nécessaire pour venir au secours de ceux de ses administrés dont les récoltes ont été ravagées par l'ouragan du 8 juillet dernier. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs et remboursements de l'exercice 1850 et puis renvoi à M. le ministre de l'intérieur.


« Le conseil communal de Roclenge demande que les houilles, les fontes et les fers soient soumis à un simple droit fiscal qui n'excède pas 10 p. c. de la valeur. »

« Même demande du conseil communal de Wonck. »

« Même demande du conseil communal de Roemer. »

« Même demande du conseil communal de Vlytingen. »

« Même demande du conseil communal de Bassenge. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, les demandes en naturalisation des sieurs Verger et Bertrang. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi cédant les fortifications militaires à démolir à certaines villes fortes

Rapport de la section centrale

M. E. Vandenpeereboom. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la cession de terrains et de bâtiments militaires aux villes dont les fortifications ont été démolies.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1854

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Motion d'ordre

M. Loos (pour une motion d’ordre). - Messieurs, d'après les explications qui ont été données par M. le ministre de l'intérieur, au sujet de l'impression des pièces relatives au règlement d'Anvers, il paraît que la discussion sur ce règlement ne pourra guère avoir lieu cette semaine. Je propose, en conséquence, d'ajourner à mardi prochain la discussion du chapitre XVI du budget de l'intérieur.

M. Verhaegen. - Je ne m'y oppose pas, pourvu qu'il soit bien entendu que je serai autorisé mardi à reproduire ma proposition.

M. le président. - C'est votre droit.

- La proposition de M. Loos est mise aux voix et adoptée.

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Article 84

« Art. 85. Inspection civile de l'enseignement primaire et des établissements qui s'v rattachent. Personnel : fr. 34,000. »

M. Vilain XIIII. - Messieurs, on prépare depuis une couple d'années au ministère de l'intérieur un nouveau règlement relatif à l'inspection cantonale de l'enseignement primaire. En attendant, M. le ministre de l'intérieur ne nomme pas aux places qui deviennent vacantes soit par décès, soit par démission. Il en résulte un assez grand dommage pour l'instruction primaire. On joint ordinairement le canton privé de son inspecteur à un autre canton voisin ; mais, dans le Limbourg, par exemple, où les cantons sont déjà fort étendus, quand on réunit deux cantons il est impossible que l'inspecteur visite toutes les écoles primaires des deux cantons, pendant l'année. Je demanderai à (page 662) M. le ministre de l'intérieur si tel étal de choses va bientôt cesser et s'il s'occupe de faire paraître le règlement qui est annoncé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, le travail relatif à l'organisation de l'inspection cantonale, auquel vient de faire allusion l'honorable comte Vilain XIIII, est terminée. Je n'attends que la fin de la discussion du budget de l'intérieur, pour le soumettre à un dernier examen. Il sera publié immédiatement après.

M. Lelièvre. - A l'occasion de l'article en discussion, je recommande à M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir apporter une attention particulière relativement aux choix à faire en ce qui concerne les inspecteurs civils de l'instruction primaire. Les besoins du service en cette partie exigent que les choix soient fixés sur des hommes capables, zélés et en position de s'acquitter convenablement des fonctions importantes dont il s'agit.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Articles 86 et 87

« Art. 86. Ecoles normales de l'Etat à Lierre et à Nivelles. Personnel : fr. 60,000. »

Le gouvernement a demandé, dans la section centrale, une augmentation de 10,200 fr., dont elle propose l'adoption.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, cette augmentation de 10,200 fr. se rattache à l'organisation de l'enseignement normal de l’enseignement moyen du degré inférieur. Je pense qu'il conviendrait d'ajourner cet article jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les articles compris dans le chapitre XVI. L'article 87 est dans le même cas.

Je propose donc d'ajourner les articles 86 et 87 jusqu'à ce qu'on ait voté sur les articles 74 à 84.

- Cette proposition est adoptée.

Article 88

« Art. 88. Subsides en faveur d'établissements de sourds-muets et d'aveugles : fr. 16,000. »

M. Lelièvre. - A l'occasion de l'article en discussion, je crois devoir signaler à M. le minstre l’établissement des sourds-muets de Namur ; établissement dirigé par un homme aussi zélé que capable. Cet établissement a besoin u'un subside du gouvernement, et je ne puis me dispenser de recommander celui qui le dirige à la bienveillance de M. le ministre.

- L'article 88 est mis aux voix et adopté.

Chapitre XVIII. Lettres et sciences

Article 89

« Art. 89. Encouragements. Souscriptions. Achats. Subsides aux dames veuves Weustenraad et Van Ryswyck. Subsides à des élèves de l’enseignement supérieur libre ; prix quinquennaux fondés par les arrêtés royaux du 1er décembre 1845 et du 6 juillet 1851. Publication des chroniques belges inédites. Table chronologique des chartes, diplômes, lettres patentes et autres actes imprimés concernant l'histoire de Belgique. Publication des documents rapportés d'Espagne. Exécution et publication de la carte géologique.

« Charge ordinaire : fr. 65,800.

« Charge extraordinaire : fr. 11,200. »

« Total : fr. 64,000. »

Le gouvernement a proposé sur le littera E de l'article 89 une augmentation de 4,000 fr. La section centrale rejette l'augmentation proposée et alloue le chiffre voté l'année dernière.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ne puis pas me rallier à la proposition de la section centrale.

Messieurs, cette augmentation de 4,000 fr. résulte de la nécessité de donner un peu plus d'activité aux publications concernant les chroniques belges. Il y.a un grand nombre de volumes. Le crédit était, avant 1849, de 12,000 francs ; il a été réduit ensuite à 6,000 fr ; le gouvernement propose de le fixer à 10,000. La commission d'histoire se livre avec beaucoup de zèle à l'accomplissement de la mission qui lui est confiée ; mais vous comprenez que si on ne met pas à sa disposition les moyens de publier ses travaux, son dévouement ne peut produire que des résultats incomplets.

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, il faut convenir que l'époque est mal choisie pour nous proposer des dépenses qui ne sont pas tout à fait nécessaires. Il me semble que dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, quand les recettes ne suffisent pas pour couvrir les dépenses, il faudrait s'abstenir de faire des propositions qui ne sont pas dictées par une véritable nécessité. Il me paraît qu'il doit suffire de vous rappeler l'état de nos finances pour vous déterminer à ne pas voter le crédit.

Je demanderai un renseignement à M. le ministre. Il est positif que dans le passé il est arrivé que le gouvernement a accordé des subsides pour des ouvrages qui ne le méritaient guère. La section centrale a formulé le vœu que le gouvernement consultât l'Académie sur le mérite des ouvrages que l'on se propose d'encourager. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il se propose de suivre cette marche ; à mon avis, elle est dictée par toutes les convenances. Il paraît que le gouvernement a soumis une proposition à l’Académie pour arriver à ce résultat.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, le gouvernement s'éclaire aux meilleures sources quand il s'agit d'apprécier les ouvrages appartenant aux lettres et aux sciences. L'Académie entre pour beaucoup dans le personnel auquel il s'adresse dans les circonstances importantes.

On dit que l'époque est mal choisie pour demander une augmentation. Quant à l'époque, mon budget a été présenté de un an ; il n'a dépendu ni de la Chambre, ni du gouvernement, qu'il ait été discuté plus tôt.

En second lieu, il y a une urgence appréciable quand il s'agit de travaux du domaine de l'intelligence qui peut ne pas exister quand il s'agit de travaux matériels. Ici vous êtes en présence d'un service très intéressant qui est entravé, paralysé à défaut d'un peu de fonds.

Ce crédit élait autrefois de 12 mille fr., comment voulezvous qu'on publie un grand nombre d'ouvrages appartenant à l'histoire nationale avec 6 mille francs ? Si on veut donner un peu d'activité à cette partie de notre gloire nationale, il faut mettre le gouvernement en mesure de donner quelque développement aux publications.

J'ai fait connaître l'arriéré, onze volumes attendent, pour être publiés, que la Chambre veuille bien donner un peu plus de fonds pour cette partie de l'administration publique.

M. Verhaegen. - On donne des subsides soit en agent soit en prenant un certain nombre d'exemplaires que l'on croit utiles à l'instruction, aux sciences ou aux arts. Une observation vient d'être faite à cet égard par l'honorable M. de Man qui voudrait que l'Académie fût en quelque sorte érigée en censeur quant aux livres que le gouvernement jugerait à propos de remettre, soit entre les mains des élèves, soit entre les mains d'autres personnes. Si mes renseignements sont exacts, je crois que le gouvernement se trouve quelquefois, à cet égard, dans une position assez difficile.

Ainsi il n'y a pas bien longtemps, le gouvernement a pris un assez grand nombre d'exemplaires d'un ouvrage qu'il a envoyés aux écoles moyennes, avec recommandation toute spéciale de le conserver dans la bibliothèque des instituteurs, mais de ne pas le confier aux élèves parce que la lecture de cet ouvrage pourrait présenter des dangers réels pour les élèves.

Cependant je pense que cet ouvrage est assez inoffensif, car l'auteur de cet ouvrage est un homme que nous estimons tous, dont les principes sont très orthodoxes. Je voudrais avoir à cet égard de la part de M. le ministre de l'intérieur quelques explications.

Si l'on juge à propos que j'indique l'ouvrage, je regrette de devoir le dire, c'est l'ouvrage de l’honorable M. Rodenbach sur les aveugles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'ouvrage que vient de citer l'honorable préopinant est en effet très intéressanl ; l’auteur y a réuni un grand nombre de choses utiles pour les infortunés dont il s'occupe, et des choses agréables comme délassement d'esprit. Le gouvernement en a acheté un certain nombre d'exemplaires qu'il a envoyés pour être conservés dans les bibliothèques où ces ouvrages peuvent être utiles.

Je sais que, dans une localité qui n'est pas la capitale, on a eu quelque doute sur la convenance de laisser cet ouvrage à la disposition des élèves ; mais après l’avoir examiné on n'a rien trouvé qui pût alarmer qui que ce soit, et on a répondu que si, sous certains rapports, il pouvait y avoir quelque inconvénient a le laisser entre les mains des élèves, le directeur pouvait en régler l'emploi de manière que personne ne pût être alarmé ; vous voyez que cela n'a aucune importance.

Je joindrai ma voix à celle de l'honorable M. Verhaegen pour rendre un complet hommage à l'estimable membre de cette Chambre qui a employé ses moments à rendre des services à des malheureux auxquels tout le monde s'intéresse.

M. Verhaegen. - Messieurs, je crois avec l'honorable ministre de l'intérieur qu'il n'y a aucun inconvénient à laisser l'ouvrage auquel j'ai fait allusion entre les mains des élèves comme entre les mains des professeurs. Aussi j'ai eu le droit de m'étonner que par une circulaire qui a été adressée aux directeurs de nos écoles moyennes il leur ait été recommandé d'enfermer l'ouvrage dans la bibliothèque des instituteurs, attendu que la lecture de certains passages présenterait des dangers réels pour les élèves. Ce sont les expressions mêmes de la circulaire

M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, je me suis permis de rappeler au gouvernement l'observation qui a été faite par la section centrale et qui tend à ce que l'avis de l'Académie soit demandé lorsqu'il s'agit d'encourager par des subsides la publication d'ouvrages littéraires. Il paraît que l'honorable député de Bruxelles ne partage pas cette opinion.

M. Verhaegen. - Je ne l'ai pas critiquée.

M. de Man d'Attenrode. - Il semble que vous ne désirez pas que le gouvernement consulte l'Académie.

M. Verhaegen. - Je n'ai pas dit cela.

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Vous êtes donc d'avis que le gouvernement consulte l'Académie ? Eh bien, je suis charmé alors de constater votre adhésion à l'observation consignée dans le rapport.

La section centrale n'a d'ailleurs nullement entendu enlever au gouvernement la responsabilité de ses actes en lui faisant cette recommandation. Il s'agit d'un simple avis à demander à l'Académie. Si cet avis ne convient pas au gouvernement, il pourra ne pas le suivre ; il pourra accorder un subside, malgré l'opinion de l'Académie, mais il devra faire connaître, par l'arrêté qui accorde le subside, que c'est contrairement à l'avis de l’Académie que le subside a été alloué. Cette garantie du bon emploi du crédit destiné à encourager les lettres est indispensable ; car il est arrivé trop souvent que des encouragements (page 663) ont été accordés à des œuvres qui ne les méritaient pas, qui les méritaient d'autant moins, qu'il était impossible de constater leur valeur, puisque ces œuvres n'avaient pas encore vu le jour.

Or il y a des œuvres qui restent ainsi à l'état de prospectus, malgré de gros subsides, depuis nombre d'années.

M. Rodenbach. - Il paraît, messieurs, que les éditeurs de mon ouvrage en ont vendu un certain nombre d'exemplaires au département de l'intérieur, qui s'est empressé de l'envoyer aux bibliothèques des instituteurs.

Mon ouvrage, messieurs, a été conçu dans l'intérêt de deux classes d'infortunés. Comme il est impossible à tous les aveugles et à tous les sourds-muets de faire dans nos grands établissements une éducation qui coûte toujours très cher, je donne une méthode simple d'enseignement pour ces deux classes intéressantes de malheureux, méthode qui est à la portée des instituteurs, de tous les hommes qui ont quelque jugement, quelque instruction.

Cette méthode donc, étudiée par nos instituteurs, pourrait leur permettre d'instruire les aveugles et les sourds-muets, et c'est ce qui explique que le gouvernement ait cru devoir envoyer cet ouvrage aux bibliothèques que l'on forme dans les locaux où les instituteurs tiennent leurs conférences.

On vous dit que, dans une de nos provinces, on a fait savoir que cet ouvrage devait rester dans la bibliothèque des instituteurs. J'ignorais l'existence de cette circulaire. Je ne sais si cette recommandation est due à quelques épisodes que j'ai cru pouvoir comprendre dans ce livre, mais je ne pense pas que personne ait voulu le mettre à l'index. Les journaux vous ont appris que j'avais reçu l'approbation non seulement d'instituteurs, mais de personnes haut placées, de personnes qui se trouvent, en Belgique et à l'étranger, à la tête d'établissements consacrés à l'éducation de ces deux classes d'infortunés et qui ont pu juger si mon ouvrage contenait quelque chose de peu orthodoxe.

Je crois d'ailleurs que ce livre est trop sérieux pour être mis dans les mains des enfants. Il convient surtout, comme je le dis dans l'ouvrage même, aux instituteurs et même au clergé, qui pourront y apprendre à instruire les malheureux aveugles et les sourds-muets qui n'ont pas le moyen d'entrer dans les grands établissements.

Je crois ces explications suffisantes pour mettre la Chambre au courant de la question.

M. de Mérode. - M. le ministre de l'intérieur vient de dire que plusieurs volumes manuscrits ne peuvent être imprimés faute de fonds. Si on laisse accumuler cet arriéré, il en résultera que des travaux très utiles à connaître resteront indéfiniment dans l'obscurité. Il me semble que pour cet objet la Chambre fera bien d'accorder les 4,000 fr. destinés à la publication de l'histoire du pays, conformément à la demande du gouvernement.

- Le chiffre demandé par le gouvernement est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 90

« Art. 90. Bureau de paléographie, annexé à la commission royale d'histoire. Personnel : fr. 3,000. »

- Adopté.

Article 91

« Art. 91. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique.

« Charges ordinaires : fr. 40,000.

« Charges extraordinaires : fr. 5,000.

« Total : fr. 45,000. »

La section centrale propose la suppression du chiffre de 5,000 fr., demandé comme charges extraordinaires et temporaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le crédit de 5,000 fr. est pétitionné pour aider à l'impression des ouvrages de la littérature nationale, de la littérature flamande.

Le crédit est insuffisant pour donner à cette publication un peu d'activité. De toutes paris des avis arrivent au gouvernement pour qu'on ne tarde pas davantage à puiser aux sources de cette littérature. Le gouvernement est disposé à favoriser ce mouvement, mais un peu d'argent lui est nécessaire ; c'est pour cela que le crédit de 5,000 francs est demandé.

- Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 92

« Art. 92. Observatoire royal. Personnel : fr. 14,840. »

- Adopté.

Article 93

« Art. 93. Observatoire royal. Matériel et acquisitions.

« Charge ordinaire : fr. 7,160.

« Charge extraordinaire : fr. 3,000.

« Total : fr. 10,100. »

La section centrale propose le rejet du chiffre de 3,000 fr. demandé comme dépenses extraordinaires et temporaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, il n'est réellement pas possible, et j'espère que la Chambre partagera cet avis, de laisser un service scientifique aussi important que celui de l'observatoire en état de souffrance. Il manque à cet établissement des instruments indispensables, et une modique somme est nécessaire pour cela.

Une enquête administrative a été faite pour constater la légitimité de cette dépense, et il en est résulté qu'il est impossible de reculer, si l'on ne veut pas laisser décheoir cet important établissement.

Je prie donc la Chambre de faire pour l'observatoire ce qu'elle vient de faire pour d'autres branches intéressantes de l’administration des lettres et sciences, et de voter les 3,000 fr.

M. de Mérode. - On fait dans beaucoup d'observatoires des dépenses considérables pour instruments ; il est impossible que nous ne fassions pas aussi quelque chose pour le nôtre ; sans cela notre observatoire serait tellement arriéré qu'il ne vaudrait pas la peine de le conserver. Je ne sais pas ce qu'est l'instrument nommé théodolite. Mais puisque M. le ministre de l'intérieur nous apprend qu'une commission administrative a examiné l'utilité et la convenance de cette acquisition, je ne pense pas que nous puissions refuser le crédit demandé.

M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, nous en sommes arrivés à l’article 93 ainsi libellé : « matériel et acquisitions : 10,100 fr. » Si l’on veut bien examiner l’état des dépenses qui ont été faites depuis deux années au moyen de ce crédit, on peut s’assurer qu’en général on ne l’emploie pas à faire des acquisitions ; il est dépensé en entier pour le matériel et pour des impressions. Si nous devons voter un crédit extraordinaire pour chaque acquisition nouvelle d’instruments, qu’on le dise franchement et qu’on efface du libellé de l’article le mot : « acquisitions. »

M. le ministre vient de nous dire qu'il avait reconnu, depuis cette demande de crédit, que l'établissement dont il s'agit est en souffrance. Il paraît que dès qu'il s'agit d'une demande d'augmentations, on fait valoir l'état de souffrance de rétablissement.

Messieurs, l'observatoire n'est nullement en souffrance. Il est largement subsidié, je ne m'en plains pas, il répand de l'éclat sur le pays à cause de son savant directeur.

Mais quand l'acquisition d'un instrument nouveau est nécessaire, et cela n'arrive pas tous les ans, on devrait pouvoir trouver sur le crédit alloué annuellement la somme que cette dépense exige.

Je le répète, si le crédit ordinaire ne doit pas servir à faire des acquisitions, qu'on supprime du libellé de l'article le mot : « acquisitions », et qu'on nous demande un crédit extraordinaire, chaque fois qu'un instrument sera jugé indispensable pour le service de l'observatoire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Précisément pour répondre à l'observation de l'honorable rapporteur de la section centrale, je me suis fait donner le détail de la dépense couverte au moyen du crédit ordinaire. Je tiens à la main ce détail ; la Chambre reconnaîtra qu'il est parfaitement justifié, et que quand il s'agit d'une acquisition extraordinaire, il faut bien demander un crédit extraordinaire. Ainsi les 7,160 fr. sont employés aux impressions, à la bibliothèque, à l'acquisition d'instruments, à l'entretien du mobilier, à l'assurance, au chauffage et à l'éclairage, enfin aux frais de bureau. Voilà ce qui se paye sur le chiffre du matériel, et vous comprenez que sur un crédit de 7,000 fr. réparti en six lifteras il est impossible d'imputer une somme un peu considérable lorsqu'il s'agit de l'acquisition d'instruments nouveaux.

Eh bien, messieurs, nous nous abstenons depuis deux ans de demander des fonds pour acheter un théodolite, instrument d'un grand prix et qu'il est dès lors impossible d'acquérir au moyen des crédits ordinaires.

Si la Chambre n'accorde pas un crédit exceptionnel quand un fait exceptionnel se présente, notre observatoire restera dans un état d'infériorité dont vous ne voudriez pas, messieurs, accepter la responsabilité.

- Le chiffre demandé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 94

« Art. 94. Bibliothèque royale. Personnel : fr. 26,680. »

- Adopté.

Article 95

« Art. 95. Bibliothèque royale. Matériel et acquisitions : fr. 33,320. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je dois faire une observation relative à un passage du rapport de la section centrale.

On s'est étonné, dans ce rapport, de la disparition d'un certain nombre d'objets dépendants de la bibliothèque, et l'on a demandé pourquoi le gouvernement n'agissait pas, par voie répressive, pour faire rechercher et punir les coupables. Il est vrai que ces objets ont disparu, à une autre époque, de la bibliothèque royale ; une enquête a été faite ; beaucoup d'objets sont rentrés ; il a été reconnu qu'ils avaient été simplement égarés pendant un certain temps.

Il en est d'autres qui n'ont pas reparu et au sujet desquels des mesures répressives ont été proposées ; mais il n'a pas été possible de découvrir les coupables. Le gouvernement se trouve donc dans la position de devoir subir une perte très regrettable sans être dans la possibilité de faire justice, comme l'aurait désiré la section centrale.

J'ai dû, messieurs, donner cette explication pour qu'on ne puisse pas faire peser sur un fonctionnaire attaché à la bibliothèque royale un soupçon que jusqu'à présent rien ne justifie. Il y a eu à la bibliothèque royale des abus résultant d'un défaut de surveillance de la part d'un employé ; cet employé a été mis en disponibilité ; mais c'est, pour le moment, tout ce que le gouvernement pouvait faire, car il n'eût pas été équitable de priver complètement de son traitement un fonctionnaire auquel on ne pouvait reprocher que de la négligence.

M. Coomans. - Je me bornerai à une seule observation. C'est l'excès de confiance des employés envers certains clients de la bibliothèque royale, qui expose l'Etat à faire des pertes. On laisse sortir des livres pour la lecture à domicile ; je ne voudrais pas supprimer entièrement cet usage, mais je voudrais qu'on observât sévèrement le règlement, c'est-à-dire qu'on ne permît pas à certaines personnes plus ou (page 664) moins favorisées, de conserver chez elles des livres précieux, beaucoup au-delà du temps indiqué par les règlements. Il y a à cela divers inconvénients dont le plus grave est de priver les lecteurs qui viennent à la bibliothèque, des livres qu ils désirent consulter. Il est arrivé à bien des personnes de devoir se rendre plusieurs fois à la bibliothèque pour y trouver un livre qui se promenait en ville depuis plusieurs semaines.

Je désirerais que le gouvernement prît les mesures nécessaires pour faire cesser cet inconvénient.

M. Rodenbach. - Je crois, messieurs, qu'à la bibliothèque royale on est assez sévère. Je me suis trouvé dans le cas de demander un manuscrit pour une personne de la province et j'ai eu infiniment de peine à l'obtenir. J'ai même dû me rendre au ministère, et il a fallu que je me rendisse en quelque sorte caution. Il y a des formalités très grandes, trop grandes peut être.

M. Coomans. - Pas assez grandes. On ne devrait jamais donner de manuscrits en lecture.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je dois informer les honorables membres qui viennent de parler, que les instructions les plus sévères ont été donnés de tout temps, et renouvelées avec plus de force encore dernièrement, afin d'empêcher, autant que la chose est humainement possible, que des objets quelconques viennent encore à s'égarer.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 96

« Art. 96. Musée royal d'histoire naturelle. Personnel : fr. 10,000. »

- Adopté.

Article 97

« Art. 97. Musée royal d'histoire naturelle. Matériel et acquisitions.

« Charge ordinaire : fr. 7,000.

« Charge extraordinaire : fr. 10,116.

« Total : fr. 17,116. »

- Ce chiffre comprend une augmentation de 10,116 fr., dont la section centrale propose le rejet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, les motifs de l'augmentation demandée à cet article sont expliqués dans une note jointe au budget.

Il s'agit d'augmenter les collections d'un grand nombre d'objets, notamment pour le cabinet d'histoire naturelle.

Ces collections se trouvent, en effet, dans un étal tel, que si on ne les complète pas, leur mérite aura bientôt entièrement disparu. Le gouvernement a différé, depuis plusieurs années, de demander un crédit nouveau ; mais en présence de la responsabilité qui pèse sur lui, il a dû se déterminer à faire la proposition qui est soumise à la Chambre.

- Le chiffre de 17,110 fr. est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le chiffre de 7,000 fr. est mis aux voix et adopté.

Articles 98 à 100

« Art. 98. Subside à l'association des Bollandistes pour la publication des Acta sanctorum (charge extraordinaire) : fr. 4,000. »

- Adopté.


« Art. 99. Archives du royaume. Personnel : fr. 23,750. »

- Adopté.


« Art. 100. Archives du royaume. Matériel : fr. 2,600. »

- Adopté.

Article 101

« Art. 101. Frais de publication des inventaires des archives.

« Charge ordinaire : fr. 4,000.

« Charge extraordinaire : fr. 2,500.

« Total : fr. 6,500. »

Cet article comprend une augmentation de 2,500 fr., dont la section centrale propose le rejet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, ce crédit est de la même nature que ceux que vous avez votés tout à l'heure. Il s'agit d'activer la publication des inventaires des archives et si vous n'adoptez pas la proposition du gouvernement, ce travail scientifique intéressant se trouvera indéfiniment ajourné.

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Je me borne à faire observer que la section centrale a rejeté le crédita l'unanimité.

- Le chiffre du gouvernement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le chiffre admis par la section centrale est mis aux voix et adopté.

Articles 102 à 104

« Art. 102. Archives de l'Etat dans les provinces. Personnel.

« Charge ordinaire : fr. 11,975.

« Charge extraordinaire : fr. 1,250.

« Total : fr. 13,225. »

- Adopté.


« Art. 103. Archives de l'Etat dans les provinces ; frais de recouvrement de documents, provenant des archives tombées dans des mains privées ; frais de copies de documents, concernant l'histoire nationale ; dépenses de matériel des dépôts d'archives dans les provinces ; dépenses diverses relatives aux archives : fr. 3,500. »

- Adopté.


« Art. 104. Location de la maison servant de succursale au dépôt des archives de l'Etat : fr. 3,000. »

- Adopté.

Chapitre XIX. Beaux-arts

Article 105

« Art. 105. Encouragements. Souscriptions. Achats. Subsides aux sociétés musicales. Publication du Musée populaire de Belgique. Académies et écoles des beaux-arts autres que l'Académie d'Anvers. Concours entre les établissements destinés aux arts plastiques et graphiques. Concours de composition musicale, de peinture, de sculpture, d'architecture et de gravure. Pensions des lauréats : fr. 167,000. »

M. le président. - Ce chiffre présente sur celui de l'année dernière une augmentation de 38,000 fr., dont 33,000 se rattachent au littera « a », et 5,000 au litt. « d ». La section centrale n'admet pas cette augmentation ; elle n'adopte pas non plus le littera « c », destiné au Musée populaire (fr. 5,000).

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Non, M. le président.

(page 669) M. de Liedekerke. - Messieurs, la Chambre a accordé une attention suivie à la discussion des divers chapitres du budget de l'intérieur qui ont été votés jusqu'ici. J'ose espérer qu'elle me permettra de lui présenter quelques observations sur le chapitre XIX qui n'est pas sans importance. Je tâcherai d'être aussi complet et en même temps aussi bref que possible.

Il y a dissentiment entre M. le ministre de l'intérieur et la section centrale relativement au chiffre demandé par le gouvernement, pour le chapitre des beaux-arts. M. le ministre de l'intérieur demande un accroissement de 38,000 fr., dont 5,000 doivent augmenter le chiffre alloué aux académies et aux écoles des beaux-arts, autres que l'Académie d'Anvers, et dont 33,000 fr. doivent grossir le littera « a », relatif aux souscriptions et achats.

M. le ministre de l'intérieur fonde la nécessité d'une augmentation de crédit sur l'insuffisance du chiffre de 67,000 fr. voté dans le budget de 1853, dont 12 milleet quelques eents francs sont absorbés par des dépenses fixes, ne laissant ainsi à sa disposition que 55,000 f., somme qu'il déclare insuffisante. La section centrale, de son côté, persiste dans le chiffre de 67,000 fr. alloué aux précédents budgets. Pour compléter l'exposé de cette situation, il ne faut pas cependant perdre de vue que le 28 février 1853, le gouvernement avait saisi la Chambre d'une demande de crédits supplémentaires qui s'élevaient pour le ministère de l'intérieur à une somme de 1,347,817 fr. De ces 1,300,000 fr., 477,000 étaient demandés pour des dépenses qui n'étaient autorisées par aucune loi ni par aucun règlement ; 90,000 devaient liquider les dépenses supplémentaires pour le chapitre des beaux-arts, antérieurs à l'exercice 1853 ; 103,000 francs étaient demandés pour des dépenses qui pesaient sur l'exercice 1853 et sur les exercices suivants. Voilà la situation dans toute son exactitude.

Messieurs, les rapports faits par mon honorable ami, M. de Man, à la date du 25 mai et du 9 juin 1853 ne sont pas sans doute effacés de vos souvenirs, et en ma qualité de membre de la législature, considérant comme une de nos plus importantes attributions, comme un de nos principaux devoirs, de veiller à la conservation de nos finances, je croirais commettre une véritable injustice si je ne rendais à l'honorable député de Louvain un hommage mérité pour ses laborieuses, constantes et infatigables investigations. L'honorable membre s'est chargé d'une tâche ingrate et difficile, celle de dénoncer l'exagération des dépenses et l'abus des crédits supplémentaires.

En effet, si toutes les fois qu'un crédit est voté, il faut nécessairement l'épuiser, soit par transfert, soit en continuant la dépense sur un autre exercice ; si chaque fois que vous avez examiné, discuté, voté une dépense, les ministres peuvent, de leur propre autorité, l'étendre par des crédits supplémentaires, que devient, je vous le demande, votre contrôle financier ? Et la confiance dans l'efficacité du système représentatif pour la conservation et le maintien de nos finances, ne sera-t-elle pas singulièrement et irrévocablement affaiblie ?

Oui, craignez, messieurs, qu'il ne naisse bientôt des doutes et des appréhensions sérieuses sur la valeur du système, quant aux économies qu'il doit faire régner dans les dépenses de l'Etat !

En effet, vous allouerez des crédits, vous voterez des dépenses ; les ministres les outrepasseront. Cette situation deviendra normale ; et ce qui deviendra normal aussi, ce sera le trouble jeté dans l'équilibre de nos budgets. Il faut done savoir gré à chacun des membres de la Chambre, et plus particulièrement à l'honorable M. de Man, qui ont poursuivi et dénoncé énergiquement un système que je considère comme fatal et vicieux ; et quels que puissent être les dégoûts dont on a essayé d’abreuver l'honorable député de Louvain, il y trouvera dans l'approbation unanime de l'opinion publique et dans les sentiments intimes de sa conscience une ample compensation.

Messieurs, j'arrive à l'examen du chapitre XIX, auquel il me semble qu'on n'a pas toujours attribué une importance suffisante ; et cependant, tout ce qui touche aux lettres et aux sciences, comme tout ce qui touche à la sculpture, à la peinture, aux arts libéraux, en un mot, intéresse la grandeur, la gloire, le progrès même de la civilisation, car ils se lient aux plus beaux côtés de l'esprit humain. On oublie volontiers, ou l'on ne pense qu'avec douleur aux exploits des conquérants, des grands guerriers, des plus illustres capitaines ; mais on retrouve avec bonheur dans l'histoire les siècles illustrés par les arts ; on se souvient du siècle d'Auguste, comme on loue celui de Léon X ; l'on écarte volontiers la mémoire des guerres si meurtrières de Louis XIV, pour se reposer dans le souvenir de la gloire si pure que lui valurent les nobles encouragements qu'il donna aux littérateurs immenses et aux artistes célèbres qui nous ont légué tant d'impérissables monuments de leur génie.

Je pourrais aussi parler longuement de nous, si la modestie ne me paraissait plus convenable au sein du parlement belge.

Mais il suffit de parcourir nos vieilles cités pour s'incliner avec respect devant les admirables monuments qu'elles renferment ; il suffirait de citer quelques noms pour rappeler ceux qui ont porté au loin la gloire et la célébrité de l'art flamand.

Il est donc digne du parlement qui représente la nation entière, d'examiner, de contrôler, de surveiller le genre d'influence qu'on exerce au nom du gouvernement sur les beaux-arts, car telle en est l'importance qu'il suffit d'une mauvaise direction, d'une fausse influence pour obscurcir les plus beaux commencements, les plus heureuses disposition d'une génération d'artistes, et pour les précipiter dans des écarts, ou les plonger dans un découragement qui peuvent pour longtemps assombrir leur tendance vers le beau et le sublime.

Quand l'Etat fait fausse route, il faut lui signaler avec vérité, il faut lui dévoiler en quoi il commet des fautes ou des erreurs, car le gouvernement représente les forces sociales et dispose des richesses de la nation, et l'on ne saurait tolérer qu'il soit la source du mal, pas plus dans les beaux-arts qu'ailleurs, puisque son vrai rôle est toujours d'être la source du bien et du beau.

Messieurs, la première question que je me pose est celle-ci : Le gouvernement doit-il intervenir dans les encouragements qui sont donnés aux arts ? Fidèle à des convictions dont je suis de plus en plus pénétré, je suis persuadé plus que jamais qu'au milieu de cette surabondance d'intérêts qui fourmillent dans la société, la tâche du gouvernement doit se borner à la simple direction de quelques grands intérêts matériels, au maintien de l'ordre et à l'application des lois, et je me sentirais disposé à répondre par le négative ; mais il n'est pas de loi si absolue qui ne souffre quelques exceptions, surtout quand il s'agit de gouvernement et d'administration.

Autrefois que se passait-il ? Les souverains, les corporations magnifiquement dotées, les particuliers puissants aussi par les richesses, encourageaient les artistes et donnaient le plus grand essor aux arts.

Les corporations ont disparu, les fortunes particulières ébréchées, éparpillées et s'amoindrissant de jour en jour davantage par la division constante des propriétés, ne permettent plus de songer à commander ces grands objets d'art qu'on ne peut plus, à cause du principe de partage, transmettre de génération en génération. Il faut donc de toute nécessité que le gouvernement intervienne, puisque lui seul a les forces nécessaires et dispose pour atteindre ce but de richesses suffisantes.

Mais comment le gouvernement doit-il intervenir ? Est-ce en distribuant les fonds de l'Etat à ceux qui font de l'art une industrie mesquine, triviale et quelquefois même méchante, ou en accordant des encouragements aux hommes d'un talent supérieur en acquérant au nom de la nation les œuvres importantes et dignes d'elle, en provoquant des entreprises monumentales ?

Evidemment il ne saurait y avoir deux opinions ; tout le monde applaudira à ce dernier mode d'encouragement et dira que c'est celui qu'il faut adopter, que c'est à lui que le gouvernement devrait s'attacher.

Mais M. le ministre de l'intérieur me dira sans doute, je l'entends déjà : Je suis d'accord avec vous, je partage vos vues. Mais pour me permettre d'atteindre un si magnifique résultat, augmentez donc mon crédit, ne me renfermez pas dans des limites tellement étroites, ne me rivez pas au point que toute action généreuse, toute influence large me soit interdite. Eh bien, dussé-je étonner M. le ministre, je lui dirai que précisément pour entrer dans cette voie nouvelle, pour l'aider à sortir de l'ornière dans laquelle on a longtemps versé, il ne faut pas, dans l’intérêt même du but qu'on veut atteindre, lui accorder l'augmentation de crédit qu'il demande. Je vais en dire les raisons.

J'en trouve un premier motif dans l'instabilité même du pouvoir qui ne repose jamais longtemps dans les mêmes mains.

Le ministre qui occupe aujourd'hui le département de l'intérieur peut être un homme ayant de grandes connaissances artistiques, qui est peut-être accessible au sentiment du beau : mais celui qui lui succédera, le ministre du lendemain sera tout l'opposé. Cela est possible, et l'on ne saurait le contester.

Il pourra être étranger aux beaux-arts et ignorer le genre d'encouragement qui leur convient le mieux, quel choix il convient de faire, quel système il est bon d'adopter. Car en fait d'arts, il n'y a pas de règles fixes, il n'y a pas de règlement d'attributions ; tout dépend de l'appréciation spontanée, naturelle, du bon goût, de l'instinct du beau, qui vous inspire et vous guide, et sert à vous faire discerner les choses et les hommes. Dès lors qu'arrive-t-il ?

La plupart du temps, le crédit inscrit au budget tombe dans les régions administratives inférieures ; c'est là que l'on contracte et qu'on perpétue les habitudes de son emploi ; car cette administration ne change pas et dans cette matière comme dans beaucoup d'autres, elle est souveraine de fait.

Les grands artistes qui sont fiers et indépendants, ce dont je les loue, car la fierté et l'indépendance conviennent au talent, ne se soucient guère d'aller frapper à la porte des bureaux administratifs pour réclamer, pour solliciter des encouragements, et le mot est encore, je l'atteste, très modéré. Aussi ne sont-ils que trop négligés.

Il arrive aussi, messieurs, que certains hommes politiques, ne sachant pas se procurer les applaudissements sympathiques des hommes supérieurs, ne sont pas fâchés de trouver dans les régions intellectuelles inférieures, parmi les talents subalternes et les médiocrités, un certain bruissement d'éloges, assez sourd à la vérité, mais qui à défaut d'autre éclat, les contente et paraît les indemniser de la gloire plus réelle qui leur fait défaut.

Il résulte de toutes ces causes réunies, et j'en pourrais énumérer plusieurs autres, que les fonds de l’Etat s'éparpillent à l'infini et se résolvent en une pluie fine de bienfaits qui constituent une série de petits encouragements que je qualifierai du nom qui leur convient, d'actes de (page 670) coterie et de camaraderie. En voulez-vous des preuves ? Elles abondent. Ce qu'il y a de plus difficile, c'est de savoir les choisir pour les présenter convenablement à la Chambre.

3e pourrais d'abord invoquer l'opinion unanime de presque tous les talents supérieurs de notre pays.

Mais je me bornerai à rappeler que l'honorable M. de Man, l'année dernière, a présenté un exposé de la manière dont les subsides étaient distribués, exposé qu'on ne peut parcourir sans éprouver une véritable douleur et les plus sincères regrets.

Ainsi quand il s'agit d'encouragements aux sciences et aux lettres, on ne peut pas voir sans étonnement l'achat de sept baromètres d'un M. Sacré au prix de 1,120 francs ; on ne peut pas sans sourire voir figurer comme encouragements donnés aux beaux-arts l'achat de 50 exemplaires d'un drame sans nom d'un auteur inconnu au prix de 100 francs, puis des sommes de 100 francs, de 200 francs et moins encore pour des voyages à l'étranger, afin de compléter des études, puis dans un but artistique, etc. Les intitulés varient, mais ce qui ne varie pas, c'est l'insignifiance du but et du motif. Ainsi, je trouve un subside de 1,000 fr. à un historien pour une deuxième édition de l'Histoire du Congrès ; tous ces petits crédits de 200, de 150, de 75, de 300 fr., constituent une dépense de 32,000 fr. Dans les explications sur l'emploi du crédit de 1852, je trouve 4,000 fr. pour des médailles ; un achat de 116 vues de Spa pour 216 francs ! Je vous demande quel intérêt a le pays à ce qu'on achète pour 216 fr. de vues de Spa ? Puis 75 exemplaires des portraits de Philippe le Bon et de Godefroid de Bouillon, pour 1,000 fr. Mille francs pour 75 exemplaires de portraits peut-être lithographies ! Je ne le sais pas, mais j'ai le droit de le craindre. Et savez-vous, messieurs, qui tire le meilleur profit de ces sortes d'encouragements ? Est-ce toujours le pauvre artiste ? Mon Dieu non, ce sera un avide éditeur !

Je cite ces articles-là, parce qu'il n'y a pas de nom, et que les personnalités ne sont guère de mon goût.

Voici un autre article : « Subside à M*** à condition d'exécuter cinq tableaux religieux pour une église, 1,000 fr. »

Je vous demande ce que peuvent être cinq tableaux religieux exécutés pour une église, au prix de 1,000 fr. ?

En vérité, ce ne sont pas là des encouragements donnés aux arts. C'est tout bonnement l'abaissement de l'art. C'est un encouragement accordé à tous les talents subalternes, aux plus insignes médiocrités.

Et cependant savez-vous quel chiffre on atteint et quel est le montant des dépenses pour les différents postes que je renonce à faire passer plus en détail sous vos yeux ? Il s'élève à plus de 50,000 fr.

Il m'est impossible cependant de me taire sur un subside qui déjà a soulevé les justes critiques de l'honorable M. de Man l'an passé. C'est celui d'un crédit de 66,000 fr. ouvert un peu malgré le gouvernement à un peintre pour la construction d'un atelier. Je ne veux pas faire de commentaire. Je me contenterai de lire l'extrait du rapport de l'honorable député de Louvain :

« En 1850, un peintre d'histoire s'adresse au ministre de l'intérieur pour obtenir un subside de 50,000 fr. destiné à construire un atelier. Il se fonde sur ce que ses œuvres sont créées dans des proportions tellement colossales qu'aucun édifice en Belgique n'est capable de les contenir. »

Permettez-moi de le dire en passant, un genre aussi extraordinaire ne s'est jamais vu, c'est quelque chose d'introuvable dans le passé des arts, et un tel peintre eût dû naitre à l'époque des Titans ou décorer le palais de Polyphème.

Je continue la lecture du rapport. « Il offre à l'Etat, en échange de ce subside, la propriété de trois tableaux et de l'immeuble à acquérir et à construire, en s'en réservant, toutefois, la jouissance pendant la durée de sa vie, et à condition que son atelier deviendrait un musée dans lequel ses tableaux seraient exposés irrévocablement. »

J'attire votre attention, messieurs, sur ce moyen de se perpétuer et de se garantir contre l'oubli. Ce mot « irrévocable » est précieux !

Ainsi non seulement M. le ministre de l'intérieur avait lié le passé, mais il enchaînait aussi irrévocablement l'avenir. Vous croyez peut-être qu'avec les 33 mille francs tout était dit. Vous allez voir comment ? L'artiste avait donc son musée ; il en conservait la jouissance pour la vie ; l'Etat en obtenait la propriété sous les conditions que je viens d'indiquer.

Mais continuons. Quand les 30 mille francs furent liquidés, « le ministre invita l'artiste à lui remettre les pièces nécessaires à l'accomplissement de la convention.

« Mais l'autre partie contractante s'y refusa en objectant que l'achat du terrain et la construction avaient absorbé 63,000 fr., et il pria le gouvernement d'en suppléer 33,000. Il consentait de céder, sous forme de compensation, un tableau de plus, accompagné de deux volets peints, »

C'est ainsi, vous voyez que je ne fais que de l'histoire, que le crédit de 30,000 fr. devint un crédit de 66,000 fr. Du reste, il ne faudrait pas trop s'étonner de ces 66,000 fr., car l'Etat exerça si peu le contrôle sur cette construction qui devait un jour devenir sa propriété monumentale, qu'une nuit tout l'édifice s'écroula à la grande terreur des voisins. (Interruption de la part de l'honorable M. Rogier.)

Je serai charmé de répondre à votre interruption, mais veuillez la faire de manière à être entendu. Vous aurez, du reste, la parole.

M. le président. - M. Rogier est inscrit, j| pourra répondre.

M. Rogier. - Puisque l’honorable membre est charmé de répondre à mon interruption, je demande à la faire.

M. de Liedekerke. - Je ne blâme pas. J’exprime des regrets sur un emploi qui me semble un peu hasardé des fonds de l'Etat.

M. Vilain XIIII. - C'est bien permis.

M. de Liedekerke (reprenant la Jeaurc du rapport de la section centrale). - « Le gouvernement reçut cette communication avec une surprise bien légitime. Il devait croire que d'après les considérations émises dans la lettre du 22 mai 1850, M... se serait renfermé dans les limites de la somme qui était mise à sa disposition, et que cette somme aurait été entièrement employée à sa destination primitive. »

Cette phrase est extraite littéralement du mémoire explicatif envoyé par le gouvernement à la section centrale. Je n'insiste pas davantage, messieurs ; il me suffit de ce chapitre de l'histoire des encouragements donnés aux beaux-arts.

J'ai critiqué, Maintenant il me reste à indiquer ce qu'il y aurait à faire. J'émets des considérations, je ne décide pas d'une manière irrévocable, c'est une appréciation. Je crois qu il reste au gouvernement un très beau rôle à remplir. Les encouragements peuvent s'adresser, messieurs, aux hommes et aux choses.

Pour ce qui est des hommes, des artistes, en quoi consistent les encouragements qu'on peut, qu'on doit leur accorder ? En subsides pour voyages à faire à l'étranger. Eh bien ! le gouvernement doit concentrer les subsides qu'il accorde aux peintres qui veulent entreprendre des voyages artistiques sur les hommes qui ont donné des signes certains, publics, de leur talent, de l'avenir qui se révèle en eux ou qui ont été désignés au gouvernement par des juges compétents et capables. Car, soit qu'il s'agisse de voyager en Allemagne, qui s'est placée si haut dans l'échelle de l'art, ou dans cette magique Italie, tenez pour certain qu'il n'y a que les talents réels, les individualités puissantes qui en recueilleront de véritables fruits.

Les talents faibles ou incomplets en reviendront éblouis, troublés, confondus par tout ce qu'ils auront vu, ou tomberont, en raison même de leur impuissance, dans un servilisme d'imitation qui ne produira jamais rien de bon, rien de beau dans le domaine des arts. Oui, il faut avoir une organisation puissante, une séve abondante de talent, pour mettre à profit un voyage au-delà des Alpes. Ce ne sont que les individualités prononcées, les natures d'artistes richement douées, ce sont eux seuls, quand ils parcourront l'Italie, depuis Venise jusqu'à Rome et jusqu'à Naples, quand ils admireront les immortels chefs-d'œuvre que tant de grands hommes ont semés à profusion dans les palais, dans les édifices publics, dans les églises ; et les nombreuses capitales de l'Italie, sous l'influence d'un soleil éclatant et des ravissements d'une atmosphère incomparable, eux seuls, ces artistes robustes et supérieurs sentiront fermenter leur inspiration, verront s'agrandir leur horizon et déploieront avec éclat leur talent.

C'est en Italie que Rubens et Van Dyck ont atteint leur dernier fin et le plus haut degré de leur talent !

Messieurs, il faut aussi acheter des tableaux, mais avant tout, ne s'adresser qu'à des œuvres d'un mérite réel.

Que devraient être nos musées ? Comment devraient-ils être composés ? Doivent-ils ressembler à une collection d'essais, œuvres d'art d'une médiocrité désolante ? Car à quelques rares et honorables exceptions près, on ne voit guère autre chose dans nos musées. Nos musées devraient former des monuments d'enseignement où les naissantes générations d'artistes puiseraient des exemples, et où les artistes éminents verraient quelques-unes de leurs plus belles pages accueillies et conservées par la nation comme dans un Panthéon glorieux ; tandis qu'aujourd'hui ils ressemblent à des espèces d'hospices d'enfants trouvés dont les père et mère sont inconnus.

Je faisais allusion tout à l’heure à la peinture monumentale, et je voulais par là parler de la peinture murale, la peinture à fresque si digne de décorer les monuments. Je sais que la rudesse de notre climat, l'a prêté de notre température, et surtout la disposition vicieuse de nos édifices formeront un obstacle peut-être invincible à la décoration extérieure de nos monuments. Mais rien n'empêche que l'intérieur de nos édifices ne soit orné et illustré de cette manière. C'est ce genre de peinture qu'ont recherché et ambitionné les plus célèbres peintres. Raphaël, Michel-Ange, Léonard de Vinci et le Dominiquin. Quelle place n'occupent pas dans l'histoire de l'art les chambres et les loges de Raphaël, le Dernier Jugement de Michel-Ange, la Cène de Léonard de Vinci ?

Afin de mieux faire sentir mon idée, permettez-moi de vous en indiquer une application directe, qui me paraîtrait pouvoir heureusement inaugurer ce genre de peinture, cette grande et belle innovation, dans laquelle l'Allemagne nous a, en ces temps-ci, si noblement précédés.

Dans l'annexe n°7 du budget de l'intérieur, M. le ministre s'exprime en ces termes :

« Mais supposons qu'on lui accorde des ressources un peu plus dignes d'un pays qui produit tant d'illustrations artistiques, et qu'il puisse songer ainsi à entreprendre un ensemble de travaux d'art d'une importance réelle, par exemple, le complément de la décoration du palais de la Nation.

« Parmi les œuvres à exécuter pour cette destination, nons citerons : les portraits de LL. MM. le Roi et la Reine ; deux tableaux pour la salle des séances de la Chambre des représentants ; deux tableaux pour la salle des séances du Sénat.

« Il est évident que, soit que l'on charge un seul artiste de l'ensemble des travaux d'art destinés à la décoration d'une même salle, soit que ces travaux soient partagés entre plusieurs artistes, ces différentes œuvres ne pourront pas être commandées isolément et d'année en année ; pour (page 671) assurer l'unité du travail, il faudra commander, au moins, deux tableaux à la fois. Mais, sans vouloir déterminer d'avance le prix de ces tableaux, il est certain qu'à moins de vouloir absorber tout d'un coup le crédit entier affecté aux commandes, il sera impossible d'imputer ce prix sur un seul budget. »

Eh bien ! voilà une pensée que l’on pourrait réaliser ; on pourrait, dans ce nouvel ordre d'idées, décorer le palais de la Nation. Mais le passage même que je viens de lire montre assez quelles hésitations existera encore. Pour moi, je suis convaincu qu'en allouant un crédit plus considérable à M. le ministre de l'intérieur, nous retomberons dans les mêmes tâtonnements, dans les mêmes erreurs au sein desquelles nous avons végété jusqu'à présent et qui m'autorisent à dire que dans tout le palais de la Nation il n'y a pas un seul tableau d'un mérite réel et transcendant.

Savez-vous, messieurs, ce qu'il faudrait faire, quelle ligne de conduite il serait bon d'adopter ?

Permettez-moi de vous l'indiquer. Que l'honorable M. le ministre de l'intérieur fasse un plan d'ensemble, qu'il établisse les crédits nécessaires pour exécuter ce plan ; qu'il en saisisse la Chambre avec une demande de crédit, et nous apprécierons. Nous saurons ainsi, d'abord quelle somme nous affectons à une œuvre positive, à une œuvre certaine, à un travail arrêté. De plus, les artistes qui seront chargés de ce travail, sachant qu'ils ont à exécuter une œuvre magistrale, une œuvre imposante, qu'ils associent leurs œuvres à ce qu'un palais législatif doit avoir d'impérissable, sachant qu'ils travaillent en quelque sorte sous les yeux de la nation, seront saisis d'une émulation plus grande, plus élevée, et leur talent aura un légitime transport d'orgueil.

Je me suis aussi demandé, messieurs, quels sont ceux qui pouvaient donner des conseils utiles au gouvernement pour entrer dans cette nouvelle voie ; quels sont ceux qui, je ne dirai pas dirigeront le gouvernement, mais pourront le guider, pourront lui donner de bons, d'utiles conseils ; quel est le corps moralement responsable du moins qui pourrait obtenir cette salutaire influence et en user dignement.

Eh bien ! je suis surpris que le gouvernement ne se soit pas arrêté de lui-même à ce qui paraît naturellement s'offrir à l'idée de tout le monde. Vous avez une Académie composée de trois classes : la classe des sciences, la classe des lettres, la classe des beaux-arts.

On a fait en Belgique pour les beaux-arts une troisième classe, une classe séparée. Eh bien ! voilà les véritables conseillers de M. le ministre de l'intérieur. Voilà les hommes que le gouvernement peut consulter avec fruit ; ce sont des hommes de goût, des hommes intègres, éclairés et indépendants.

Je voudrais, par exemple, dans les circonstances actuelles, que le gouvernement, en présence de ce projet d'orner le palais de la Nation, priât la section des beaux-arts de constituer dans son sein une commission composée d'architectes et de peintres, à laquelle pourraient s'adjoindre quelques hommes compétents, qu'il demandât à cette commission de lui faire un projet tant sous le rapport de l'architecture que de la peinture ; car encore une fois il faut que peinture et architecture s'accordent pour arriver au beau.

M. le ministre, saisi de ce plan, l'approuverait ou l'improuverait. Il saisirait la Chambre de son plan et de celui de la commission. Ainsi l'on statuerait avec certitude, avec discernement, et l'on aurait l'espoir d'arriver à une œuvre complète.

Je le répète donc, il faut que le gouvernement entre dans une voie plus éclairée que celle qui a été suivie jusqu'à présent, afin que ses encouragements ne continuent pas à croupir dans les basses régions, où ils se sont perdus jusqu'à présent sans grand profit pour personne.

Je voudrais que le gouvernement s'entourât des conseils des hommes dont il peut écouter les avis, afin que la direction générale qu'il imprimerait aux beaux-arts s'élève et grandisse dans l'avenir.

Je me résume.

Je crois que pour atteindre ce but, pour entrer dans cette voie nouvelle, qui me paraît indispensable au point de vue de l'importance de l'art en Belgique et des encouragements qui doivent lui être donnés, la Chambre fera sagement de refuser l'augmentation de crédit qui lui est demandée ; non par défiance de M. le ministre de l'intérieur, non par mauvais vouloir, afin d'élever une borne infranchissable aux abus, aux abus innombrables dans lesquels on a versé à l'égard de l'emploi de ce crédit et afin de donner une preuve évidente que l'on veut adopter un autre, un meilleur système.

Je suis intimement convaincu que les artistes illustres de notre pays, que le corps des artistes en général applaudiront à ce vote, parce qu'ils n'y trouveront pas le moindre symptôme d'hostilité de la part de la Chambre, mais y verront, au contraire, son désir de donner une meilleure impulsion aux arts, sa ferme résolution enfin de les encourager|d'une manière plus conforme à leur but, à leur dignité et à leur grandeur.

(page 664) M. Rogier. - Messieurs, si je professais d'une manière absolue l'opinion de l'honorable orateur qui vient de se rasseoir, si je pensais qu'il faut que le gouvernement abandonne les régions inférieures pour planer dans les régions supérieures de l'art ; si j'étais convaincu avec lui que le gouvernement doit renoncer à encourager les artistes qui n'offrent que des espérances pour reporter toutes les forces financières du budget sur les grands artistes, sur l'aristocratie des artistes ; si je professais une pareille opinion, je me garderais de conclure ainsi que l'honorable préopinant vient de le faire. Car si les ressources du budget doivent s'appliquer uniquement et doivent s'appliquer généreusement aux grands artistes, il vous a été maintes fois démontré par tous les ministres qui se sont succédé que l'allocation du budget est des plus insuffisantes.

Or, que propose l'honorable préopinanl qui veut cependant qu'on encourage d'une manière grandiose les grands artistes ? Il propose de refuser l'augmentation de dépenses proposée par M. le ministre de l'intérieur.

Il veut de plus grands encouragements, de plus grands travaux ; il veut en quelque sorte une renaissance générale des arts en Belgique, et il condamne le gouvernement à végéter dans les insuffisances du budget actuel. Une pareille conclusion est bien médiocre à côté de la sublimité de l'exorde.

Messieurs, il faut être juste pour toutes les administrations qui se sont sucédé en Belgique aux beaux-arts ; il faut être juste pour ce qui s'est fait et ne pas trop rabaisser l'action du gouvernement en ce qui concerne les encouragements accordés aux artistes.

Il n'est pas exact de dire que le gouvernement ait constamment marché terre à terre, gaspillant en mille petits subsides les fonds du budget, ne faisant rien pour les grands artistes, pour les grandes œuvres. Cette assertion est complètement inexacte, elle est démentie par un grand nombre de faits, et à commencer, messieurs, par les sculpteurs, est-ce que toutes nos places publiques ne témoignent pas des grands encouragements qui leur ont été donnés ? Connaissez-vous beaucoup de pays aussi petits que la Belgique, qui présentent à l'étranger un aussi grand nombre de monuments dus à nos sculpteurs ?

A part l'Italie qu'on vient de citer, à part peut-être la ville de Munich, je ne connais pas de pays qui, en aussi peu d'années, ait élevé un si grand nombre de monuments à ses grands hommes, que la Belgique. Voilà, messieurs, un grand encouragement dans le sens des observations de l'honorable député de Dinant, et je ne pense pas que, sous ce rapport, la Belgique ait rien à se reprocher ; que, sous ce rapport, les artistes aient rien à reprocher à leur pays et et à leur gouvernement.

La peinture ! Mais messieurs, nos grands artistes ont reçu aussi des commandes du gouvernement. On s'est adressé à nos grands artistes pour de grandes œuvres. Nous avons différentes œuvres qui font honneur au pays. Il arrive quelquefois que le gouvernement, lorsqu'il s'adresse à de grands artistes, éprouve des refus. Lorsqu'il s'est agi de décorer le palais de la nation, le gouvernement s'est adressé à divers artistes ; l'un d'eux, l'un des plus considérables, des plus renommés à juste titre, n'a voulu se charger de la décoration d'une salle qu'à l'exclusion de tous les autres artistes, dont plusieurs peuvent aussi avoir la prétention d'exécuter de grandes pages.

Il y a donc, messieurs, des dépenses considérables qui ont été faites pour les commandes de grandes œuvres, et sous ce rapport je crois qu'on aurait tort de se plaindre ainsi qu'on vient de le faire. Si l'on veut faire plus, il faut nécessairement que le budget présente des ressources plus considérables.

Nos architectes, messieurs, n'ont pas non plus à se plaindre. Dans le courant des dernières années, nous avons offert à nos architectes divers monuments. Je citerai, en dernier lieu, l'église de Laeken et la colonne du Congrès qui, permettez-moi de le rappeler, a été fortement combattue par les amis de l'honorable député de Dinant ; voilà de grands encouragements donnés à nos architectes et nos sculpteurs trouveront aussi de grands travaux à exécuter dans ces monuments.

(page 665) Je dis, messieurs, que la Belgique, eu égard à ses ressources, a fait de grands efforts et que nos artistes, en général, n'ont pas à se plaindre. Ils pourraient être mieux traités, cela est vrai ; quant à moi je désirerais beaucoup leur voir obtenir plus de commandes de l'Etat, mais pour cela il faudrait des augmentations au budget.

On dit que le gouvernement a éparpillé les fonds pour donner des subsides à des artistes médiocres ; mais, messieurs, il y a des degrés dans les arts : il ne faut pas que les faveurs du budget soient exclusivement réservées aux artistes qui ont fait leur chemin, qui ont fait leur fortune ; ceux qui donnent des espérances, qui promettent de devenir grands à leur tour, doivent aussi être encouragés, et je descendrai plus bas, au risque de me traîner dans les « régions inférieures », je dis qu'il est du devoir du gouvernement de venir en aide aux artistes qui ne font que commencer.

Si le système de l'honorable député de Dinant était suivi par le gouvernement, les grands artistes dont le pays est fier n'auraient peut-être jamais paru. Tous nos grands artistes d'aujourd'hui ont commencé par recevoir d'utiles encouragements sur le budget de l'intérieur ; ils se sont successivement élevés à la haute position qu'ils occupent aujourd'hui, mais ils ont commencé, et nous pouvons nous en féliciter, par recevoir de très modestes encouragements. Dans toutes les carrières il en est ainsi : les sculpteurs, les peintres, les architectes, les graveurs, tous ont reçu des encouragements sur le budget, et je ne pense pas que ces encouragements, distribués par petites sommes, aient été distribués en pure perte, comme on vient de le dire.

Il faut du grandiose dans les arts, il faut encourager la peinture monumentale ; je suis entièrement d'accord, à cet égard, avec l'honorable préopinant, et je ne me borne pas à professer des théories ; j'ai posé des actes. Mais, chose surprenante, je pose un acte précisément pour encourager la grande peinture, la peinture monumentale, la peinture murale, pour augmenter les moyens d'action d'un artiste, que je considère, moi, comme un homme de génie, et c'est précisément cet acte qu'on blâme le plus ! J'ai consacré 60,000 francs à procurer à un artiste un atelier, et l'on se livre à ce sujet à la critique d'un acte ancien. Il me semble, messieurs, que nous avons bien assez du budget de 1854 à discuter, sans revenir sur le budget de 1853, indépendamment de la discussion qui nous est réservée, lorsque l'honorable M. de Man aura présenté son supplément de rapport sur les crédits supplémentaires.

Tout cela a été discuté en 1853, et voté par la Chambre, à la presque unanimité. C'est un fait entièrement accompli. Veut-on le discuter de nouveau ? Je ne pense pas que la Chambre ait du temps à perdre pour recommencer les discussions de l'année dernière, mais je prends acte seulement de cette inconséquence de l'honorable préopinant, qui veut que le gouvernement encourage exclusivement les grandes peintures, les grandes oeuvres de nos peintres, et qui critique eu même temps un acte qui avait pour but de protéger un peintre qui a la prétention de doter le pays de grandes œuvres de peinture monumentale et qui n'y a pas mal réussi. Je fais la part de quelques excentricités tout à fait pardonnables à un grand artiste.

L'honorable représentant de Dinant est descendu à des détails que je considère connue incompatibles avec la hauteur de vues où il était monté. Je ne comprends pas qu'après avoir parlé des beaux-arts avec une si grande élévation, avec des mouvements oratoires si remarquables, eu se plaçant à un point de vue si supérieur, il ait daigné s'abaisser jusqu'à des détails relatifs à quelques francs consacrés à l'achat de baromètres, à un voyage de 75 fr. etc. ; je ne comprends pas à la fois cette hauteur de vues et cet abaissement à de semblables détails.

Je dis que cela n'est pas digne de. l'honorable orateur ; je dis qu'il devrait abandonner ce genre de recherches et de détails à son honorable ami M. de Man auquel il a rendu un hommage dont l'honorable M. de Man sera content cette fois, et si l'honorable député de Dinant veut être impartial, s'instruire à fond à ce sujet, je l'engage à parcourir, nou pas seulement les publications de l'honorable député de Louvain, mais encore les documents qui reposent au département de l'intérieur, qui se rapportent à des administrations antérieures à 1847, et que je tiens à sa disposition ; il y trouvera des choses beaucoup plus amusantes ; je lui offre l'occasion de faire rire de nouveau la Chambre.

Mais je croirais faire descendre la Chambre au-dessous de sa mission en l'entretenant d'aussi misérables détails. Il y a dans l'administration, comme dans toutes les administrations, des minuties ; il y a de fortes dépenses, mais il y a des dépenses qui s'appliquent à de très minces objets et qui sont inévitables. Si je devais entrer dans ces détails et justifier cette acquisition de baromètres, je dirais que les écoles d'agriculture avaient besoin de baromètres, et que ces baromètres ont été achetés sur les fonds des sciences. Je pense même que cette imputation a eu lieu pour faire droit à une observation de la cour des comptes qui était d'avis que cette dépense ne devait pas se payer sur les fonds de l'agriculture. C'était donc pour rentrer dans une parfaite régularité.

Messieurs, je ne prétends pas que tout ce qui se fait dans l'administration des beaux-arts soit irréprochable. Il y a là, comme ailleurs, des améliorations à introduire, des progrès à accomplir. Personne moins que moi n’est ami d’un statu quo mauvais. Mais avant de conseiller à M. le ministre de l'intérieur des innovations du genre de celles dont on vient de parler, j'avoue que je voudrais encore y réfléchir à deux fois. Dans ce système. M. le ministre de l'intérieur n'aurait plus à s'occuper de toutes ces affaires ; il y a un corps spécial, irresponsable, perpétuel, qui pourrait s'en charger, il y a l’Académie ; chaque fois qu'il y aurait un travail à faire, on convoquerait la classe de l'Académie à laquelle ce travail se rapporte.

D'abord je pourrais dire que l'Académie n'est pas précisément instituée pour faire la répartition des fonds destinés à encourager les lettres, les sciences et les arts ; sa mission est beaucoup plus haute ; je laisse aussi de côté les difficultés matérielles qui se présenteraient, si l'Académie devait très fréquemment se réunir pour donner son avis sur tel ou tel ouvrage littéraire ou scientifique, sur un ouvrage de peinture, de sculpture ou de gravure ; je laisse de côté les frais considérables qui résulteraient pour le budget de ces réunions fréquentes. MM. les académiciens ne voyagent pas gratis et ne séjournent pas, comme de raison, à Bruxelles à leurs frais ; je laisse de côté ces détails, mais je demande ce que deviendrait, dans ce cas, la responsabilité du ministre.

De quoi est composée la classe des beaux-arts ? D'artistes ; croyez-vous que cette classe, composée d'artistes, quelle que soit, d'ailleurs, leur impartialité d'esprit, prendra toujours des discussions irréprochables ? On a dit quelquefois que « nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis. » Est-on bien sûr que MM. les académiciens trouveraient qu'en dehors de l'Académie il peut exister des hommes de lettres, des artistes capables de faire aussi quelque chose de bon ? N'a-t-on pas à craindre que MM. les académiciens ne commencent par s'attribuer la première part ? (Interruption.)

Je pense que je n'offense personne ; je fais ici une observation tirée de la connaissance que chacun peut avoir de l'esprit humain ; je connais un grand nombre d'artistes académiciens dont je fais le plus grand cas ; du reste, si l'on veut mal interpréter mes paroles, j'y consens, mais mon intention est bonne. Je dis qu'il y a des dangers dans ce système. On vient reprocher au gouvernement de ne faire des commandes que dans un esprit de coterie et de camaraderie ; et pour échapper à un esprit de coterie et de camaraderie, que lui conseille-t-on ? D'aller se réfugier dans une Académie ; cela n'est pas raisonnable, cela est encore une nouvelle inconséquence.

Du reste, je crois que M. le ministre de l'intérieur, après y avoir réfléchi, a lui-même renoncé à cette manière de rejeter sur autrui la responsabilité des actes du gouvernement.

Il y a quelque chose à faire. On pourrait créer une commission pour les arlistes peintres et sculpteurs. Nous avons auprès du département de l'intérieur une commission des monuments, et tout ce qui concerne l'architecture, est soumis à l'avis de cette commission. Mon intention était de créer auprès du département de l'intérieur une commission pour l'examen de toutes les œuvres d'art ; je conçois que le gouvernement s'entoure d'hommes spéciaux, d'artistes, d'amateurs éclairés, d'hommes de la valeur de M. de Liedekerke qui voient les choses de haut, comme il convient de les voir en matière d'art ; que le gouvernement s'entoure d'une pareille commission, il fera bien ; mais nous ne lui conseillons pas de soumettre à l'examen d'une Académie tous les actes qu'il aura à poser ; personne n'est responsable dans une Académie, et quant à l'esprit de coterie et de camaraderie, il n'est que trop vrai qu'il peut s'infiltrer plus facilement dans une Académie que dans une administration ; cela soit dit sans porter atteinte au mérite et au caractère de tous nos académiciens sans exception.

Je conclus que le gouvernement ne peut pas se dispenser 1° de continuer d'accorder des encouragements, au moyen de faibles sommes, aux artistes qui commencent ; qu'il ne peut s'empêcher de faire des commandes aux artistes qui ont fait leurs preuves, que je range parmi les artistes de deuxième classe ; en troisième lieu il serait très désirable que le gouvernement eût de grandes sommes à accorder aux grands artistes pour de grandes œuvres.

Pour que le gouvernement puisse atteindre ce but, il y a une chose indispensable : il faut lui mettre en mains les moyens nécessaires. Ceux qui l'engagent à poursuivre ce but devraient lui accorder les crédits qu'il demande ; c'est ce que je fais.

M. Osy. - Messieurs, pour ma part, je n'ai jamais refusé de voter les sommes pour encouragement aux beaux-arts ; mais à entendre l'honorable membre qui vient de se rasseoir, on dirait que les sommes que nous votons pour cet objet sont insuffisantes. Mettons-nous dans la position où nous sommes, nous ne sommes pas un grand pays où il peut n'y avoir pas de bornes aux dépenses ; voyez ensuite le chiffre porté à l'article qui nous occupe ; on demande pour les beaux-arts 360 mille francs, dites-moi si une pareille somme pour un pays comme la Belgique n'est pas suffisante et s'il faut toujours augmenter la dépense pour cet objet.

Si à cette somme nous ajoutions tous les crédits supplémentaires qui ont été accordés depuis 20 ans, nous arriverions à une somme vraiment fabuleuse pour un pays comme le nôtre. Je crois qu'il est temps de nous arrêter dans cette voie. L'année dernière, à l'occasion du budget de 1853, nous avons dit au ministre de l'intérieur par conciliation, que tous les engagements des anciens cabinets seraient liquidés au moyen de crédits supplémentaires et qu'il aurait à sa disposition la somme de 67,000 fr. libre de tout engagement pris par les autres cabinets. Voilà sous quelles conditions nous avons voté ce crédit l'année dernière en nous engageant à voter des crédits supplémentaires pour acquitter les engagements des autres cabinets.

Voilà un an que nous avons tenu ce langage, et aujourd'hui on nous demande une augmentation de 33 mille fr. ; au lieu de 67,000 fr., le ministre en demande 100,000. Si encore ce crédit devait servir à payer les engagements de l'ancien ministère, la dépense ne serait pas augmentée ; (page 666) mais d'après le vote de l'année dernière, M. le ministre se servira de l'augmentation qu'il demande pour faire des dépenses nouvelles dans l'année 1854, et il viendra avec une demande de crédits supplémentaires pour payer tout ce qui a été commandé par les précédents ministères dont on ne peut pas apprécier le montant, car dans les demandes de crédit faites l'année dernière, il y avait beaucoup de dépenses dont les chiffres étaient en blanc.

Je crois que quand nous votons 360,000 fr. pour les beaux-arts en Belgique, nous ne pouvons pas être taxés de ne rien faire pour encourager les arts. Je crains que nous ne devons pas aller au-delà. En entendant le grand tableau que l'honorable membre nous a fait, je me suis félicité de ce qu'il n'était pas en position de l'exécuter ; car il nous entraînerait dans des millions de dépenses dans très peu d'années.

Je ne veux pas entrer dans ce système. Vous avez entendu le ministre des finances repousser une demande d'allocation de 200,000 francs, pour les chemins vicinaux ; tout en reconnaissant l'utilité de cette dépense, j'ai voté contre. Quand le gouvernement est venu combattre une dépense aussi utile, il ne faut pas que, pour des dépenses d'un autre ordre, il sorte du budget normal de l'année dernière, et vienne demander des augmentations. J'espère que nous n'irons pas au-delà du chiffre du budget de 1853, et que toutes les augmentations seront repoussées par la Chambre. En votant le chiffre de l'année dernière, nous ne serons pas ingrats envers les arts.

Je dois dire un mot de la réponse que l'honorable préopinant a faite à M. de Liedekerke. Mon honorable ami M. de Liedekerke a eu raison de parler de la somme énorme dépensée pour l'atelier construit dans le voisinage de Bruxelles.

L'année dernière il n'y a pas eu de discussion à ce sujet. Lorsqu'on a voté, sur le rapport de M. de Man, les crédits supplémentaires relatifs à cet objet, nous étions à la fin de la session et l'article a été mis aux voix à la fin d'une séance ; personne n'a pu prendre la parole.

Si aujourd'hui cette dépense était en discussion, nous pourrions la critiquer sous beaucoup de rapports ; mais la chose est votée, je ne veux pas y revenir, nos discussions sont déjà assez longues. Nous attendrons le rapport de M. de Man sur les crédits supplémentaires, nous verrons ensuite ce qu'il y aura à dire quant aux dépenses qui restent à solder.

Quant à présent, ne votons pas l'augmentation de 33 mille fr. qu'on nous demande pour les beaux-arts ; votons 367 miile fr. comme l'année dernière, c'est suffisant ; aussi j'espère que la Chambre fera justice de la demande d'augmentation qui lui est faite.

M. Loos. - En entendant le discours de M. le comte de Liedekerke, son éloquent plaidoyer en faveur des beaux-arts, en entendant l'honorable membre citer les époques les plus glorieuses de l'histoire qui ont vu éclore cette multitude d'œuvres immortelles dont se trouve dotée l'Italie, je croyais qu'il allait nous engager à tenter d'entrer dans cette voie par une protection efficace, en fournissant au gouvernement les moyens nécessaires pour suppléer aux munificences de ces siècles glorieux, aux ressources d'autrefois, mais j'ai été fort étonné de ses conclusions. Il trace le tableau de ce qu'en d'autres temps on a fait pour les arts et de la manière dont les arts ont répondu aux encouragements qui leur ont été donnés ; il nous engage à nous adresser aux artistes les plus éminents pour doter le pays de quelque œuvre importante ; mais, en défiance vis-à-vis du gouvernement, tout en reconnaissant que sans son concours le but qu'il indique ne peut être atteint, il conclut en proposant de ne pas donner au gouvernement les moyens de réaliser le brillant programme qu'il a tracé.

C'est là une inconséquence. C'est penser grandement et conclure d'une manière mesquine.

L'honorable membre prétend que les artistes comprendront parfaitement le but de sa proposition, que s'il refuse les fonds demandés c'est pour forcer le gouvernement à faire des efforts énergiques pour sortir de la voie dans laquelle il est engagé, et qu'ils y verront plutôt une preuve de sympathie que d'hostilité.

Pour moi, je suis convaincu que les artistes reconnaîtront que pour faire exécuter quelque chose de grand, quelque page artistique importante, il faut de plus grandes ressources que celles dont on dispose aujourd'hui, et dont l'insuffisance a empêché le gouvernement d'acquérir pour le musée national les œuvres de quelques-uns de nos grands artistes, obtenues par des villes du pays au moyen de sacrifices plus grands que ceux que pouvait faire le gouvernement et d'autres qui sont allées enrichir des musées étrangers.

J'en citerai un exemple qui s'est passé il y a peu de temps : il y avait une œuvre qui méritait à tous égards de figurer dans le musée de l'Etat, dont la place se trouvait en quelque sorte marquée ; on a été forcé de la laisser échapper , et elle a été acquise par un musée de province. Au moins elle est restée dans le pays, et je félicite le gouvernement d'y avoir contribué.

Je disais l'année dernière, à propos des beaux-arts, que nous avions l'habitude d'en parler beaucoup. J'ajouterai cette année que non seulement on en parle beaucoup, mais qu'on en parle bien et d'une manière fort éloquente, mais quant au résultat, quant il s'agit de témoigner par des actes sa sympathie pour les arts, on ne rencontre plus de bon vouloir.

On a critiqué (c'est le motif principal pour lequel l'honorable M. de Licdekerke refuse son concours au gouvernement) l'emploi des fonds mis à la disposition du gouvernement.

Mais l'honorable membre reconnaît que, si l'on entre dans la voie qu'il indique, il sera impossible au gouvernement de réaliser son projet, c'est-à-dire de consacrer des ressources à des œuvres de grand mérite, à des œuvres monumentales ; puisque ces sortes d'œuvres réclament de la part du gouvernement des sacrifices considérables, qu'on ne peut obtenir en une année, il faut y consacrer pendant quelques années un crédit suffisant. L'honorable membre semble oublier qu'en même temps que le gouvernement fait des commandes il doit certains encouragements à des jeunes artistes qui présentent une vocation décidée, des dispositions extraordinaires et qui promettent d'arriver un jour au même degré de talent que nos plus grands artistes qui tous, ou presque tous, comme on l'a déjà dit, ont reçu dans leur jeunesse des encouragements de cette nature.

C'est ainsi que nous conserverons une pépinière d'artistes, et par suite, cette magnifique phalange artistique qui a toujours été l'une des gloires de la Belgique.

On ne veut plus donner de crédits supplémentaires. C'est là ce qui, l’année dernière, m'avait fait proposer à la chambre d'augmenter le crédit des beaux-arts. On ne veut plus de crédits supplémentaires pour les beaux-arts. Mais tous les ministères qui ont précédé celui-ci nous ont fourni la preuve qu'avec le modeste crédit mis à leur disposition, il est impossible, quoi qu'on fasse, de se passer de crédits supplémentaires.

Pour sortir de cette voie des crédits supplémentaires, j'aurais voulu qu'on accordât une somme convenable pour les beaux-arts, un crédit dans lequel le gouvernement pût et dût se renfermer. Vous n'avez pas adopté l'année dernière ma proposition, non pas qu'on ne la reconnût comme très équitable. Mais on a dit : Il reste des dépenses considérables à solder des exercices précédents. Nous ne pouvons tout faire à la fois. Nous donnons cette année un bill d'indemnité pour les dépenses faites, et nous verrons pour l'exercice prochain ce qu'il convient de faire.

L'honorable ministre de l'intérieur, après une année de réflexions, reconnaît aujourd'hui l'insuffisance du crédit, et demande une augmentation qui n'est en réalité que de 25,000 fr.

L'honorable M. de Liedekerke vous engage à la refuser, tout en reconnaissant qu'il faut faire plus et mieux que ce qui a été fait jusqu'à présent.

Eh bien, je vous prédis une chose, c'est que si vous persistez à porter au budget de l'intérieur un crédit insuffisant pour les beaux-arts, le cabinet actuel comme tous ceux qui l'ont précédé et tous ceux qui le suivront marcheront dans la même voie que vous voulez définitivement écarter.

On me dira peut-être que le moment est mal choisi pour demander une augmentation de crédit en faveur des beaux-arts. Mais je vous rappelle, messieurs, qu'en 1848, vous avez voté un crédit spécial pour les beaux-arts, reconnaissant que les artistes étaient ceux qui devaient le plus souffrir des circonstances.

Les circonstances qui se présentent aujourd'hui menacent d'être aussi critiques que celles de 1848. En présence de ces prévisions, je crois que c'est une raison de plus pour voter le crédit sollicité par M. le ministre de l'intérieur.

Vous savez d'ailleurs qu'il y a des dépenses que l'on ne peut éviter et qui doivent être imputées sur cet article. Il ne reste donc pour les acquisitions et les commandes aux artistes qu'une somme infiniment insuffisante pour les diriger dans la voie glorieuse indiquée par l'honorable M. de Liedekerke, et dans laquelle, moi aussi, jevoudrais en vain entrer. Mais il faut pour cela des ressources plus importantes ; j'espère que vous les voterez, messieurs. Alors vous verrez exécuter chez nous ces grands travaux qui se font en France, en Allemagne, partout, excepté en Belgique, qui est cependant le pays qui contient le plus d'éléments propres à les produire avec éclat.

(page 671) M. de Liedekerke. - Je n'abuserai pas de la patience de la Chambre. Je désire seulement répondre en quelques mots aux honorables MM. Rogier et Loos.

Je ne relèverai pas ce que l'honorable député d'Anvers a dit de l'Académie. Je suis persuadé que l'honorable membre doit être convaincu comme moi que l'Académie, si elle était consultée par le gouvernement, ne s'attribuerait pas, ainsi que paraissait l'insinuer l'honorable membre, exclusivement l'exécution de toutes les grandes œuvres sur lesquelles le gouvernement réclamerait son avis.

On demanderait et on obtiendrait d'elle, n'en doutez pas, des indications impartiales sur une direction utile et convenable à donner aux beaux-arts. Je suis sûr d'être d'accord là-dessus avec l'honorable membre. S'il en était autrement, je ne pourrais m'empêcher de trouver son opinion injustifiable, et j'ose même dire déplacée.

L'honorable M. Loos trouve étrange que je n'aie pas accordé l'augmentation sollicitée par le gouvernement. Il dit qu'après avoir parlé si longuement du développement à donner aux beaux-arts, j'aurais dû accorder au gouvernement les moyens suffisants pour les encourager grandement.

Je ne refuse pas au gouvernement les ressources nécessaires pour des encouragements sérieux et bien entendus en faveur de la peinture et de la sculpture. Ce que je critique, c'est la voie suivie jusqu'à présent. Ce que je blâmerais, c'est qu'on voulût y persister. Qu'est-ce que je demande au gouvernement ? De nous présenter des propositions qui offrent quelque unité et quelque ensemble ; que le gouvernement nous saisisse d'un projet tendant à décorer, à orner un de nos monuments publics ; qu'il nous dise : J'ai besoin, pour parvenir à ce résultat, d'un crédit de telle importance.

Nous discuterons la dépense, nous examinerons le but que le gouvernement se propose, et si tout nous paraît justifiable, nous voterons, je n'en doute pas, le crédit. Car la Chambre ne refusera sûrement pas son concours à tout ce que le gouvernement lui présentera de digne et de grand.

Lors donc que je demande que le crédit annuel à affecter aux beaux-arts dans le budget de l'intérieur ne soit pas augmenté, je ne le demande pas par hostilité pour les arts, ni pour arrêter ou entraver leur essor. Je le demande pour qu'on arrive à un encouragement meilleur ; à un encouragement plus convenable à la grandeur et à l’élévation de l'art, qui ont été, à mon avis, singulièrement méconnues jusqu'à présent.

Messieurs, si l'on voulait récapituler tout ce que l'Etat a dépensé jusqu'à présent pour les beaux-arts, si, après avoir fait cette récapitulation qui peut-être nous donnerait un chiffre de fr. 1,500,000 à 2,000,000, vous vouliez bien parcourir nos musées, qu'y verriez-vous ?

Excepté notre musée d'armures, qui, je le reconnais, est assez complet, confessons que sous tous les autres rapports, nos musées, et surtout notre galerie de tableaux modernes, offrent un déplorable spectacle, à peu d'exceptions près, car je ne veux pas tout blâmer. A quoi donc a-t-on employé ces 1,500,000 à 2,000,000, qui ont grevé successivement les budgets de l'Etat ? Quelles sont les œuvres capitales dont ils ont doté le pays ? Conduisez un étranger dans nos collections, qu'une comparaison soit faite entre elles et les autres musées des capitales de l'Europe, qu'y verra-t-on ? Je le dis à regret, on n'y trouvera que des pauvretés.

Ainsi quand je m'oppose à la majoration du crédit qui nous est demandée, ce n'est pas par hostilité pour les arts ; c'est par intérêt pour les beaux-arts, c'est pour qu'ils soient désormais et mieux et suffisamment encouragés.

On dit aussi : Mais vous ne vous occupez que des artistes de grand talent et dont la réputation est toute faite.

Vous négligez les talents naissants, vous leur refusez durement tout secours.

Je vous demande pardon ; il n'entre pas dans ma pensée de vouloir supprimer toute espèce d'appui et d'encouragement aux jeunes artistes, ce que je demande, c'est que vous ne stimuliez pas des talents informes, c'est que vous ne poussiez pas des hommes qui n'ont pas d'avenir, c'est que vous ne vous complaisiez pas dans des encouragements accordés à des talents sans valeur, et je me permettrai d'invoquer à l'appui de cette opinion le passage d'un rapport qui a été fait à l'Académie et qui m'a été remis tantôt.

Je vais vous donner lecture d'un extrait de ce rapport qui me paraît compléter et grandir l'opinion que j'ai eu l'honneur d'exposer devant vous. Il est d'un homme que son mérite personnel a placé à une hauteur qui lui permet de juger de tout ce qui peut mener à la supériorité.

« Selon bien des personnes, encourager les arts c'est stimuler les jeunes gens par des subsides et les exciter à entrer dans la carrière ; comme si tout consistait à ranger le plus grand nombre possible des concurrents sous la bannière artistique, sans chercher s'ils sont de force à jouter avec avantage.

« Cette fausse interprétation a flatté beaucoup d'amours-propres, a jeté beaucoup d'individus en dehors de leur véritable sphère et a produit de nombreuses déceptions sans compter les désordres sociaux.

« A mes yeux le principal encouragement consiste à placer l'artiste de mérite dans une position aisée qui lui donne en même temps toutes des facilités possibles pour rendre son talent productif et pour s'élever à un rang digne d'être ambitionné. C'est dans une noble émulation que réside le seul encouragement compatible avec la dignité de l'artiste. Tâchons surtout qu'il associe sa réputation à celle de son pays, qu'il y emploie son temps et ses talents, et qu'il n'éparpille pas des éléments aussi précieux, en les faisant servir à satisfaire les exigences des marchands ou les caprices des amateurs. »

Et quand j'avais l'honneur de vous dire que ce qu'il fallait développer, c'était la peinture monumentale, lorsque j'invoquais une des annexes du budget dans laquelle M. le ministre de l'intérieur parlait de son projet de (page 672) décorer notre palais législatif, n'était-ce pas là indiquer d'une manière précise et toute pratique le nouveau genre d'encouragement qu'il me paraissait utile de donner aux arts, la voie nouvelle dans laquelle il faut entrer, et dans laquelle il serait très heureux que la Chambre s'engageât avec le gouvernement.

Permettez-moi de citer encore. « Qui ne serait désireux d'attacher son nom à un grand travail, d'avoir à décorer quelque bel édifice et de pouvoir y résumer en quelque sorte les études de toute sa vie ? Qu'on se rappelle les places importantes qu'occupent dans l'histoire de l'art les stances et les loges du Vatican, la sacristie de Sienne et les palais de Venise et de Versailles ? »

Eh bien ! messieurs, voilà ce que je demande ; voilà ce que j'ai indiqué an gouvernement, voilà le véritable but auquel nous devons tendre.

Je ne vois donc pas que mes conclusions s'éloignent le moins du monde d'une sympathie réelle et profonde pour les arts. Je diffère quant aux moyens avec vous. C'est tout.

Maintenant, je remercierai l'honorable M. Rogier des conseils qu'il a bien voulu me donner. Il a dit que je m'étais placé dans les sphères les plus élevées, dans des régions olympiennes, et que quand ou s'était élevé si haut, il ne fallait pas descendre à la discussion des détails.

Messieurs, je serais heureux de m'être élevé à cette sublimité, et d'avoir plané, ne fût-ce qu'un moment, dans ces hautes régions ; mais je ne crois pas y être parvenu. Je suis tout à fait dans la discussion de l'objet qui est soumis à vos délibérations. Mais en même temps que l'honorable M. Rogier m’adresse ce compliment, il veut me rejeter dans l'arriéré de dix ou douze ans et me faire discuter les détails d'une autre époque.

Je prierai l'honorable M. Rogier de se charger de ce soin, de faire ce travail, d'y distiller son esprit, d'y chercher les points sur lesquels il croit que sa critique pourrait le mieux s'exercer.

Mais que l'honorable membre veuille bien y réfléchir.

Je discute en même temps les finances de l'Etat. Toutes les fois que je crois qu'on fait un mauvais usage de nos finances, quel que soit l'objet auquel on les applique, je critique cet usage. C'est mon droit et mon devoir. Je crois que la distribution mal entendue des crédits alloués constitue un véritable désordre qui mérite de tous points nos reproches ; tout comme le judicieux emploi des finances de l'Etat constitue un bien auquel tout le monde est prêt à applaudir.

J'ai critiqué l'augmentation qui nous était demandée, parce que je trouve que jusqu'à présent l'emploi de ce crédit a été faussé.

C'est pour ce motif que je ne veux pas donner mon approbation à la majoration qui nous est demandée, et c'est dans cette opinion que je persiste, car mes convictions n'ont pas été ébranlées par les observations de l'honorable M. Rogier et de l'honorable M. Loos. J'ignore la manière de voir de M. le ministre de l'intérieur. Je suis curieux d'entendre son langage et de savoir s'il partage la manière de voir de son prédécesseur, ou s'il se montrera disposé à s'en séparer.

Je ne m'étendrai pas davantage.

Cette discussion a déjà été assez longue et je n'ai qu'à remercier la Chambre de la bienveillance avec laquelle elle a bien voulu m'entendre.

(page 666) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, le chapitre des beaux arts a vraiment du malheur. Les uns, comme l'honorable M. Osy, trouvent que les arts sont suffisamment protégés en Belgique, qu'il n'y a plus rien à faire pour eux. Les autres en parlent avec une grande magnificence, avec des vues très généreuses. Mais tout arrivait à la même conclusion : c'est qu'il ne faut rien faire, et qu'il ne faut pas soutenir le gouvernement dans la demande qu'il fait d'augmenter le crédit, projet qu'il a annoncé l'intention de mettre à exécution.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ce qui s'est dit lors de la discussion de l'année dernière, les engagements que le gouvernement a pris et la manière dont il compte les remplir.

Dans le budget de 1853, on a eu surtout pour but de dégager les exercices courants de tout ce qui les gênait par les engagements précédents. Les crédits supplémentaires ont fait justice de ces engagements, et le budget de 1853 en partie, celui de 1854 presque en totalité, se sont trouvés libres de cette charge antérieure.

Mais, messieurs, on a démontré, en discutant le budget de 1853, qu'il ne suffisait pas de liquider un arriéré, mais qu'avec les fonds libres du chapitre des beaux-arts, il était impossible d'obtenir quelques grands résultats sous le rapport de l'encouragement que l'art exige. Cette considération ayant été présentée, plusieurs honorables orateurs ont, devançant l'opinion du gouvernement, proposé une augmentation de crédit. Le gouvernement les a priés d'ajourner cette proposition jusqu'au budget de 1854, s'engageant à examiner quel serait le meilleur mode d'encouragement à adopter. Et c'est, lorsque le gouvernement (page 667) a fourni, dans les annexes du budget, des renseignements sur la nouvelle voie dans laquelle il se propose d'entrer, l'on vient dire qu'il ne faut rien attendre du système adopté par le gouvernement. Il est difficile, messieurs, de satisfaire, à la fois, à toutes ces exigences.

On nous dit qu'il ne faut pas éparpiller le crédit, qu'il faut s'attacher à encourager la peinture monumentale. Messieurs, c'est précisément ce système d'encouragement que le gouvernement a adopté ; il voudrait réaliser la pensée de ceux qui ont en vue la grande peinture, la grande sculpture ; mais pour cela il faut un peu plus d'argent que le gouvernement n'en a à sa disposition, Tout à l'heure j'aurai l'honneur de démontrer par les chiffres que les crédits alloués au chapitre des beaux-arts ne peuvent presque rien produire ; mais auparavant je dois dire un mot du système d'encouragement dont il s'agit aujourd'hui.

L'honorable comte de Liedekerke pense que le système que l'on suit est mauvais, et il a indiqué plusieurs moyens d'arriver à encourager les artistes d'une manière utile.

Il a dit notamment : Abandonnez la voie dans laquelle le gouvernement marche depuis un grand nombre d'années ; que les artistes ne soient plus obligés d'aller frapper à la porte des bureaux ; qu'ils trouvent un juge mieux placé pour apprécier leur talent et les encouragements qu'il mérite. Ayez recours, dit-on, à l'Académie des beaux-arts ; vous trouverez-là des éléments nombreux pour vous éclairer sur le choix des artistes et sur le choix des œuvres qu'il faut faire exécuter.

Cette question, très sérieuse, n'a pas échappé à l'attention du gouvernement. Mais d'une part, il ne faut pas que le gouvernement abdique la haute direction de cette partie de l'administration ; d'un autre côté, il faut trouver des éléments propres à éclairer l'opinion du gouvernement sur le mérite des œuvres d'art. A cet effet, l'idée est venue de former un conseil spécial composé d'hommes bien placés sous le rapport de l'art et impartiaux sous le rapport de l'intérêt social ou artistique.

Je sais bien que le témoignage de l'Académie ne peut pas être invoqué comme un élément d'appréciation absolu, qui doive lier l'action du gouvernement ; mais je crois que si le gouvernement parvenait à créer, soit un jury, soit une commission qu'il formerait d'éléments pris dans l'Académie ou en dehors, empruntés à toutes les positions où il se trouve des hommes capables de l'éclairer, je crois qu'un système de ce genre serait de nature à produire de bons résultats, surtout si cette commission, n'a, comme c'est ma pensée, qu'un caractère purement consultatif. De cette manière on pourrait concilier l'intérêt de l'art et l'opinion de ceux qui redoutent la trop grande influence des bureaux.

Mais, messieurs, pour obtenir quelque résultat, il faut des moyens financiers plus grands que ceux qui sont mis à la disposition du gouvernement. Voulez-vous savoir dans quelle position nous sommes sous ce rapport ? On pense généralement que la somme de 67,000 francs qui figure au budget, est destinée spécialement à encourager la peinture ; c'est une grande erreur ; la somme de 67,000 francs se répartit entre toutes les parties de l’art ; elle forme onze divisions dans lesquelles viennent se placer tous les genres d'artistes qui ont des titres sérieux aux faveurs de l'Etat. Ainsi, par exemple, ou accorde des subsides aux jeunes artistes pour les aider à faire leurs études dans le pays, ou pour les aider à voyager. Ceux qui ont obtenu les prix les plus considérables institués par le gouvernement pour l'encouragement des arts, jouissent de faveurs de cette nature ; ils vont compléter leurs études à l'étranger et ils reviennent ensuite honorer la Belgique par leurs talents.

Il y a des encouragements pour les jeunes peintres, les jeuues graveurs. Il y en a pour l'art musical. Il y a quelques secours aux artistes qui sont dans le malheur, car, vous le savez, la plupart des artistes ne sont pas des gens fortunés et l'on peut dire que presque tous ont besoin des encouragements de l'Etat, soit pour s'élever aux régions supérieures de l'art, soit pour s'y soutenir quand les encouragements des particuliers leur manquent.

Viennent ensuite, messieurs, les subsides pour la gravure, pour les publications relatives aux beaux-arts et, enfin, il ne reste pour les commandes de peinture et de sculpture qu'une somme de 20,700 francs. Voila tout ce qui reste sur les 67,000 francs. C'est évidemment, messieurs, un chiffre illusoire. Il est impossible, avec une pareille ressource, de produire quelque chose d'important, et le gouvernement a pensé, avec un grand nombre d'entre vous, qu'il était nécessaire de donner un encouragement plus considérable que celui dont je viens de parler.

C'est pour cela qu'il a proposé une augmentation de 33,000 fr., ce qui élève le crédit à 100,000 fr.

Indépendamment des subsides particuliers dont j'ai parlé, pour les divisions nombreuses de l'art, on pourrait affecter alors à des commandes considérables et à des acquisitions une somme de 40,000 à 50,000 fr., si le crédit était porté à 100,000 fr. La répartition se ferait dans les proportions suivantes :

« 1° Subsides à de jeunes artistes pour les aider à faire leurs études dans le pays (musique, peinture et sculpture), 3,500 fr.

2° Subsides à de jeunes artistes pour les aider à voyager à l'étranger «tons le but d'y perfectionner leur talent, 3,000 fr.

3° Vovages et missions dans l'intérêt des arts, 3,000 fr.

On accorde aujourd'hui pour cet objet 1,900 francs.

4° Encouragements à de jeunes artistes peintres, sculpteurs, etc., 6,000 francs.

5° Encouragements à l'art musical, 5,000 fr.

Le gouvernement ne peut s'associer à l'opinion de ceux qui pensent qu'il ne faut pas encourager les jeunes artistes, parce qu'ils ne se seraient pas encore élevés à une grande hauteur dans les arts ; cette opinion n'est partagée que par un très petit nombre de personnes. La grande majorité de cette chambre pensera que c'est surtout aux jeunes gens, qu'il faut accorder des encouragements, modestes, si l'on veut, mais cependant tels qu'ils puissent les aider à monter plus haut.

6° Encouragements à la gravure en taille douce, 8,000 fr.

7° Encouragements à la gravure en médailles, 2,000 fr.

8° Encouragements aux publications relatives aux beaux-arts, souscriptions, etc., 6,000 fr.

Et ici ne croyez pas que les publications, en assez grand nombre, auxquelles le gouvernement souscrit, n'offrent pas un grand intérêt ! Le gouvernement, avant d'accorder un semblable encouragement, a toujours soin de s'éclairer auprès des hommes les plus compétents, et l'Académie n'est pas oubliée dans les avis demandés par le gouvernement.

Vous voyez, messieurs, que dans ces limites les encouragements seraient encore extrêmement modestes ; j'avoue que si on devait continuer à se traîner dans la voie où l'on marche péniblement depuis quelques années et à ne disposer pour la peinture et la sculpture que de 20,000 à 24,000 fr., autant vaudrait ne rien porter du tout au budget. Il est impossible que le gouvernement songe à quelque grande chose en fait d'art avec de pareils moyens.

Tous les amis des beaux-arts se réunissent pour engager la Chambre à mettre le gouvernement en position de donner plus d’essor à cette partie de l'administration, et après l'engagement que j'ai pris de m'entourer de toutes les lumières possibles pour donner à ces encouragements l'emploi le plus utile, je pense que la Chambre peut sans scrupule voter l'augmcnlation proposée.

- La discussion est close.

- Des membres. - L'appel nominal.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - La discussion sur tous les littéra de l'article 105 est-elle close ? (Oui !) Mais je désire parler sur le littera D.

M. Veydt. - Et moi sur le littera E (Musée populaire).

M. Osy. - En ce cas, je demande la division ; qu'on mette d'abord aux voix le littera A sur lequel la discussion a porté. (C'est cela !) Ensuite, on pourra mettre successivement les autres littéras en délibération.

-Le chiffre de 100,000 fr. demandé par le gouvernement au litt. A est mis aux voix par appel nominal.

En voici le résultat :

85 membres ont répondu à l’appel.

21 membres ont répondu oui.

63 membres ont répondu non.

1 (M. Dumortier) s'est abstenu.

En conséquence, le chiffre du gouvernement n'est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Veydt, Visard, Allard, Ansiau, Anspach, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Perceval, Devaux, Lesoinne, Loos, Maertens, Manilius, Orts, Rogier, A. Roussel, T'Kint de Naeyer, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Remoortere et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Vilain XIIII, Brixhe, Clep, Coomans, Coppieters, Dautrebande, David, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Laubry, Lejeune, Lelièvre, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Ch. Rousselle, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Iseghcm, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire et Delfosse.

M. le président. - M. Dumortier, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Dumortier. - J’étais absent, je n'ai pas assisté à la délibération, je ne savais pas sur quoi on votait.

- Le chiffre de 67,000 fr. proposé par la section centrale, est ensuite adopté.

« Litt. c. Publication du Musée populaire de Belgique, 3,000 fr. »

M. le président. - La section centrale propose le retranchement de ce littéra.

(page 668) M. Veydt. - Messieurs, il y a une tâche modeste à remplir, en défendant le maintien du crédit de 3,000 francs en faveur de la publication du Musée populaire, et je crois pouvoir m'en charger, parce que je suis à même de donner quelques renseignements qu'un grand nombre d'entre vous ignorent probablement. Le temps que j'occuperai la Chambre sera en rapport avec la modeste importance de l'objet. Je ne pourrai toutefois pas être aussi laconique que le rapport de la section centrale, qui ne contient que ces mots : Le paragraphe « c », destiné au Musée populaire, n'a pas été adopté.

Je constate en premier lieu qu'aucune section ne s'est opposée au maintien du crédit.

Il figure au budget depuis 4 ou 5 ans. Au mois de janvier 1849 un arrêté royal, contresigné par l'honorable M. Rogier, a institué le Musée populaire. Le but du ministre a été de remplacer dans le pays ces images, presque toutes de fabrique étrangère, si défectueuses par le dessin et le coloriage, si triviales par les sujets qu'elles représentent, par des images soignées, correctes pour le dessin, bien enluminées et offrant des épisodes, des personnages, des traits de mœurs et d'histoire, empruntes exclusivement à la Belgique.

Pendant les trois premières années d'exploitation du Musée populaire, il a paru cinquante et une planches, représentant pour la plupart plusieurs sujets. Il y a une série dite religieuse, qui reproduit le dessin de deux ou trois tableaux d'anciens maîtres de l'école flamande, bien antérieurs à Rubens et à Van Dyck ; une série de nos grands hommes, portraits en pied et portraits en buste ; une série d'anciens monuments ; une série destinée à représenter des branches importantes de l'industrie, de l'agriculture, et de l'élève du cheval et du mouton ; une série de costumes de notre époque et de costumes anciens fort curieux pour la connaissance de notre histoire.

Vous voyez, messieurs, par cette courte et incomplète énumération que le Musée populaire l'emporte de beaucoup sur cette imagerie si défectueuse, si insignifiante, d'abord en ce qui concerne le choix des sujets et ensuite en ce qui concerne l'exécution. Car, messieurs, des artistes d'un grand mérite n'ont pas dédaigné de mettre leur crayon au service de cette publication. Je puis citer MM. Verboeckhoven. Madou, Lauters, Portais, Huart, Hendrickx, Schubert, Dujardin, les deux frères t'Schaggeny, Dillens, Van Moor et d'autres. Tous ces noms vous sont connus et ceux qui les portent si honorablement n'ont eu en vue que de prêter leur concours à une entreprise qu'ils jugeaient utile, se contentant d'une rémunération des plus modestes.

La gravure de leurs dessins a été confiée à des graveurs sur bois que je puis également citer avec éloge, à MM. Pannemaeker, Bequet, Ligny, Lacoste, Hemeleer, les professeurs Brown, etc. Et ici un double but a été atteint ; car le crédit a servi en même temps à l'encouragement de ce genre de gravure, qui est en voie de progrès et qui offre tout à la fois des ressources au point de vue de l'art et de l'industrie, comme par exemple pour l'illustration de plus en plus répandue des ouvrages imprimés.

Les bois des 51 planches sont la propriété du gouvernement ; ils ont une valeur qu'il ne faut pas dédaigner, et la multiplication des images est en son pouvoir seul.

L'honorable ministre de l'intérieur est sollicité en ce moment pour qu'il l'autorise pour quelques images qui ont été plus demandées que d'autres. Cette demande est une preuve irrécusable de l'accueil fait par le public, malgré le peu de peine qu'on s'est donné pour mettre les images à la portée de tous ceux qui les voudraient.

Plus de trois cent mille exemplaires portant le timbre de la commission directrice ont été vendus. C'est dans les écoles primaires et au sein des familles, pour amuser les enfants et les instruire, que ces images ont trouvé du débit.

Les courtes explications, qui les accompagnent, sont appropriées à la classe de la société à laquelle elles s'adressent ; et je me rappelle ici avec un sentiment de sincère regret un estimable et savant magistrat, qu'une mort prématurée a enlevé à la présidence du tribunal civil de Bruxelles, feu M. Delecourt, qui était si convaincu du but utile de la publication du Musée populaire, qu'il s'est maintes fois chargé de la rédaction des notices en langue flamande, dont il avait fait une étude approfondie. Certes il n'eût pas rendu ce service à une chose frivole et indigne d'occuper des hommes sérieux.

J'ajouterai enfin, messieurs, que le but utile d'une entreprise de ce genre a été apprécié par des hommes haut placés dans l'administration de deux pays voisins. L'un d'eux, après avoir recueilli des renseignements en Belgique, a proposé à son gouvernement d'encourager une publication analogue, et je crois que cette proposition a été approuvée.

En égard à tous ces motifs, je vous demande grâce, messieurs, pour la modeste allocation de 3,000 fr. du littera « c ». Ne permettez pas qu'elle disparaisse du budget. La section centrale ne formule pas le moindre grief à sa charge et toutes les sections en ont désiré le maintien.

M. Rogier. - La section centrale a demandé la suppression de cette allocation qui n'est pas nouvelle. Il s'agit de continuer une dépense qui se fait depuis quatre ans. La section centrale ne justifie sa proposition par aucun motif. Le Musée populaire contient un enseignement mis à la portée de tout le monde et spécialement des classes inférieures. C'est un recueil d'images populaires ; ces images ne font que rappeler aux populations des souvenirs du pays, des monuments des sites, des costumes, des hommes illustres du pays, des tableaux dus à nos grands artistes. Tout ce qui est renfermé dans ce recueil entretient les populations de choses essentiellement nationales. Cela remplace avec avantage sur bien des murailles ces ignobles caricatures qui n'apprennent rien au peuple, ou ne lui apprennent rien de bon.

Je crois que cette faible somme de 3,000 fr., qui est un subside accordé à la gravure sur bois, au dessin et même à la typographie, doit être maintenue pendant quelques années encore jusqu'à ce que le Musée populaire couvre ses frais.

M. Rodenbach. - Je donne toute mon approbation au Musée populaire. Ces publications ont pris un très grand développement en Allemagne où elles obtiennent un immense succès, succès légitime, car elles sont un élément d'instruction pour la classe la plus nombreuse. C'ess assurément un grand avantage de voir remplacer les anciennes images populaires propres à entretenir le peuple dans l'ignorance par ces nouvelles images empreintes du sentiment de l'art et d'un caractère vraiment national. Permettez-moi d'ajouter que pour une classe malheureuse, celle des sourds-muets, c'est pour ainsi dire le seul élément d'instruction. Sans ces images ils auraient une peine infinie à comprendre les devoirs de leur religion.

Je sais qu'il y a un préjugé contre cette publication. Mais ce préjugé n'est fondé sur rien de raisonnable.

Je ne comprendrais pas que la Chambre refusât d'accorder à cette œuvre utile un subside de 3,000 fr. qui est nécessaire pendant quelques années encore pour qu'elle puisse se suffire à elle-même, par l'extension qu'elle ne peut manquer de prendre.

M. Orban. - Personne ne conteste le mérite du Musée populaire, mais si ce Musée populaire a tout le mérite dont on parle, il est parfaitement inutile de lui accorder des subsides. Il y avait avant ce Musée populaire une publication qui était très populaire, et qui, je crois, est restée populaire, malgré la protection que le gouvernement accorde à la nouvelle publication.

Puisque le Musée populaire est une œuvre si remarquable, pourquoi l'industrie privée ne se charge-t-elle pas de la propager et de la vendre ? S'il a, comme on le dit, un si grand succès, je ne comprends pas qu'il ne puisse pas marcher par lui-même

Voilà la seule observation que j'avais à faire.

M. Coomans. - Je renonce à la parole.

M. Veydt. - Messieurs, je crois devoir prévenir la Chambre que la continuation du Musée populaire est encore attachée à l'allocation d'un subside en sa faveur. En ce moment elle ne pourrait s'en passer. Mais c'est en même temps un encouragement à la gravure sur bois, qu'il est bon de ne pas oublier.

- La discussion est close.

« b. Subsides aux sociétés musicales, 4,000 »

- Adopté.

« c. Publication du Musée populaire de Belgique, 3,000. »

- Adopté après deux épreuves.

« d. Académies et écoles des beaux-arts, autres que l'Académie d'Anvers. Concours entre les établissements destinés aux arts plastiques et graphiques : fr. 45,000. »

La section centrale propose le chiffre de 40,000 fr. volé l'an dernier.

Le chiffre de 45,000 fr. est mis aux voix, il n'est pas adopté.

Le littéra est adopté avec le chiffre de 40,000 fr.

« e. Concours de composition musicale, de peinture, de sculpture, d'architecture et de gravure. Pensions des lauréats : fr. 15,000. »

- Adopté.

La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.