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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 31 janvier 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 535) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Cammaert, blessé de septembre, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la pension civique de 365 francs. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale de Sautour demandent la création d'un tribunal de première instance à Philippeville.é

« Même demande du conseil communal de Neuville. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Nederbrakel prie la chambre d'accorder au sieur Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Liège et de ses environs demandent une loi portant que tout concessionnaire de mine de charbon qui, dans un délai de quinze jours, n'en aura pas repris l'exploitation ou la suspendra désormais, perdra son droit à la première veine supérieure de sa concession et que, dans ce cas, le propriétaire du sol pourra être autorisé à extraire le charbon de cette veine, sous la surveillance des ingénieurs des mines. »

- Même renvoi.


« Le sieur Stevens, graveur-lithographe à Bruxelles, demande que les annonces lithographiées soient exemptes du droit de timbre ou bien que les annonces publiées par les journaux soienl soumises à ce droit. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Marlinnes demande que les houilles et les fers soient soumis à un simple droit fiscal qui n'excède pas 10 p. c. de la valeur. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Les membres du conseil communal de Nukerke déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand du 25 décembre 1853. »

« Même déclaration des sieurs Van Corp, Bohets et autres membres de la société de chant dite : de Eenvoudige landlieden. »

« Même déclaration des sieurs Lagace, Desau et autres membres de la société littéraire dite ; Yver en Broedermin. »

« Même déclaration de quelques habitants de Denterghem. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur l'enseignement agricole et à la commision des pétitions.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétilion datée d'OEudeghien, le 25 janvier 1854, l'administration locale de cette commune appelle l'attention de la Chambre sur les pertes que ses habitants ont subies par suite de la grêle qui a ravagés leurs récolles dans les journées des 28 juin et 9 juillet 1853 et demande à être comprise au nombre de celles qui seront admises à participer au secours des non-valeurs.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, je suis chargé par votre commission des pétitions de vous présenter le rapport sur les pétitions au nombre de quatorze, tendant à ce que la langue flamande ait sa part dans l'enseignement agricole et dans le projet de loi qui doit vous être présenté sur l'organisation des cours d'assises. Voici, messieurs, l'analyse de ces pétitions.

Nous n'avons pas cru utile d’insister longuement sur les considérations très fondées d'ailleurs que les pétitionnaires font valoir, par le motif que leur pétition, ayant été imprimée, a été distribuée individuellement à tous les honorables membres de cette assemblée ; chacun a pu en prendre communication à loisir.

Votre commission considérant que quant au premier point, à savoir la part de la langue flamande dans l'enseignement agricole, la Chambre a déjà statué, en décrétant le renvoi à la section centrale, qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur cet enseignement ; et quant au second point qui concerne le projet de loi sur l'organisation des cours d'assises, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces requêtes à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Vander Donckt, rapporteur. - La commission de l’Union commerciale de Namur et le conseil communal de la ville de Wavre demandent qu'il soit pris des mesures pour décharger les habitants du fardeau des logements militaires ; après avoir énuméré les inconvénients de cette charge, les pétitionnaires demandent si, en présence des nombreuses lignes de chemins de fer qui relient entre elles non seulement les villes de garnison, mais aussi toutes les localités un peu importantes, il n'y a pas lieu d'adopter entièrement et en principe le déplacement de troupes et miliciens par le chemin de fer.

Il est à remarquer que cette charge ou servitude a beaucoup d'analogie avec les servitudes militaires établies dans les rayons des fortifications et que lorsque les habitants y sont astreints ils reçoivent de ce chef une indemnité pécuniaire, qu'il est impossible que le gouvernement et les chambres prennent à cet égard des mesures fixes et durables, que d'ailleurs en temps de paix cette charge n'a lieu que dans des cas fort rares, alors que des circonstances les rendent indispensables dans l'intérêt du service.

Votre commission, messieurs, guidée par les considérations qui précèdent, a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

M. Moxhon. - Messieurs, la mesure que réclament les habitants de Namur me semble d'une importance réelle, et la commission des pétitions s'est montrée bien sévère en proposant d'accueillir par un ordre du jour une réclamation contre les logements militaires qui constituent une véritable imposition.

Je demande le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, si nous avons cru devoir vous proposer l'ordre du jour, c'est qu'il nous a semblé inutile de proposer un renvoi, vu l'impossibilité pour le ministre de la guerre de prendre une mesure pour décharger les habitants des logements militaires. Il peut les ménager, les rendre plus rares, et moins onéreuses, mais les supprimer est chose impossible.

M. Coomans. - Messieurs, nous renvoyons tous les jours aux ministres des demandes et des réclamations de bien moindre valeur que celle dont il s'agit. En renvoyant la pétition de Namur au ministre de la guerre, la Chambre ne préjugera rien, elle ne déclarera pas que des plaintes formulées dans la pétition sont justes, elle reconnaîtra seulement que la pièce mérite d'être lue et appréciée par le gouvernement. Messieurs, s'il est vrai de dire (ce que je ne reconnais pas, pour mon compte) que le gouvernement ne fait qu'user d'un droit incontestable en logeant les militaires chez les habitants, il n'en est pas moins vrai qu'il peut abuser de ce droit et qu'il est désirable qu'il en use avec le plus de ménagement et le plus de mansuétude possible ; j'appuie donc la proposition de M. Moxhon, me réservant d'examiner de plus près, un autre jour, la question des logements militaires.

- La discussion est close.

L'ordre du jour est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le renvoi au ministre de la guerre est prononcé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1854

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XI. Agriculture

Article 51

M. le président. - La discussion continue sur l'article 51, relatif aux haras.

M. de Steenhault (pour une motion d’ordre). - Comme il y a beaucoup d'orateurs inscrits, je pense qu'il conviendrait d'entendre alternativement un orateur pour et un orateur contre, ce qui d'ailleurs est conforme aux précédents de la Chambre.

- Cette proposition est adoptée.

M. Thiéfry. - Messieurs, le haras ou plutôt le dépôt des étalons de l'Etat a donné lieu, pendant la dernière session, à des discussions intéressantes tant à la Chambre qu'au Sénat ; on aurait pu croire qu'après les observations si justes, présentées par MM. Denterghem, Thienpont, de Marnix et autres, nous n'aurions plus eu à nous en occuper de sitôt. Il ne devait pas en être ainsi ; il paraît que chaque année l'existence du haras est menacée. J'ai lu dans le rapport de la section centrale que la troisième section, supposant que d'importantes économies peuvent être réalisées sur cet article, a demandé le détail des dépenses. Ce tableau est joint au rapport page 70, il prouve qu'il serait bien difficile qu'une administration de haras coûtât moins. Je ne trouve pas un seul emploi à supprimer, et les inspecteurs provinciaux exercent leurs fonctions gratuitement. La deuxième section n'a pas eu besoin de ces renseignements ; l'on ne voit pas les motifs qui l'ont fait agir, mais on remarque qu'elle a supprimé l'allocation destinée au haras, afin d'augmenter le crédit pour l'amélioration de la voirie vicinale. Bien que la section centrale n'ait pas admis cette proposition, je dois la réfuter. Cela est d'autant plus nécessaire que nous sommes saisis d'amendements qui ont réellement l'air d'une coalition contre le haras.

(page 536) Personne ne conteste l'importance des bons chemins vicinaux. Si on pense que la somme qui y est destinée est insuffisante, comme l'a dit l'honorable M. Vander Donckt, qu'on augmente l'allocation qui est au budget, qu'on vote l’amendement présenté par MM. Van Renynghe, de Naeyer, A. Vandenpeereboom et Rodenbach, mais qu'on ne vienne pas, pour majorer le crédit, supprimer un service non moins essentiel. Je n'hésite pas à le déclarer, ce serait là une mesure déplorable, nuisible au développement d'une industrie qui prend chaque année plus d'extension, et qui tend à nous affranchir de l'obligation d'acheter à l'étranger certaines espèces de chevaux dont le pays manque.

Si les haras ne servaient qu'à procurer des chevaux de luxe à nos grands seigneurs, comme l'a dit l'honorable M. Mascart, quoiqu'ils seraient encore fort utiles, je m'inquiéterais peu de leur existence ; les gens riches sauront toujours payer pour satisfaire leur vanité ; mais les haras rendent bien d'autres services au pays. C'est au moyen d'étalons de choix qu'on parvient à régénérer la race des chevaux indigènes, à créer un bon cheval de selle, et que les éleveurs obtiennent de meilleurs produits.

Nous commençons déjà à recueillir le fruit de notre persévérance, puisque les marchands français viennent tous les printemps acheter de jeunes chevaux pour les transporter sur les bords de la Moselle où ils les soignent pendant quelques années, et vont ensuite les revendre à Paris pour des chevaux de luxe allemands ou anglais. En 1848 nos exportations en Fiance ont été de 6,096 chevaux et poulains, et en 1853 de 8,827, c'est une augmentation de près de la moitié. Si on examine le commerce en général, on verra que les résultats obtenus prouvent que les mesures prises en faveur de cette industrie ont puissamment aidé à son développement. J'ai comparé les imporiations pour la consommation intérieure, avec les exportations des produits nationaux des 5 dernières années.

En voici le tableau :

Importations. Exportations.

1848 : importations, 2,020 ; exportations, 8,904.

1849 : importations, 1,752 ; exportations, 11,848

1850 : importations, 2,492 ; exportations, 15,752

1851 : importations, 2,618 ; exportations, 16,549

1852 : importations, 3,411 ; exportations, 16,926

Tandis que les importations ne se sont élevées que de 2,020 chevaux à 3,411, les exportations ont successivement augmenté d'une manière bien plus considérable ; elles ont été, en 1848, de 8.904 chevaux, et en 1852, de 16,926.

On doit évidemment cette augmentation à l'amélioration de l’éspèce chevaline, amélioration obtenue par le concours du haras et des primes accordées pour avoir de bons étalons dans les provinces : on ne saurait méconnaître l'influence des étalons du haras alors que le nombre des saillies est officiellement constaté et que les produits en prouvent le résultat.

Si cette industrie eût été, en 1849, 1850, 1851 et 1852, ce qu'elle était en 1848, on aurait exporté 25,459 chevaux de moins, ce qui représente une valeur d'environ 20 millions.

Si les chiffres repris dans la partie officielle du Moniteur qui nous a été distribué hier matin sont exacts, comme je le pense, ils sont accablants pour nos adversaires, et je prie la Chambre d'y porter toute son attention. Les exportations, je viens de le démontrer, ont toujours suivi une marche croissante, elles ont été de 16,926 chevaux et poulains en 1852. Savez-vous, messieurs, à combien elles se sont élevées en 1853 ? A 22,082.

C'est au moment où cette branche de commerce fait de semblables progrès, qu'on vient vous proposer de priver le pays des étalons qui lui sont si utiles, qu'on vient vous dire que nous n'avons que de mauvais chevaux ! que le haras ne produit que des monstres ! Il faut avouer que les marchands étrangers sont bien sots de venir en Belgique acheter chaque année une plus grande quantité de ces petits monstres. En vérité, messieurs, cela n'est pas raisonnable.

Je ne prétends pas que le haras ne doive pas subir la moindre modification, que dans toutes les stations on a toujours placé des étalons convenables à la localité. Ce sont là des questions que j'abandonne aux hommes qui ont fait des études spéciales. Je soutiens seulement que, tel qu'il existe, le haras a rendu au pays des services qui compensent largement les dépenses qu'il a exigées. S'il fallait supprimer les institutions imparfaites, on finirait par n'en avoir aucune.

J'ai lu avec attention les rapports qui ont été présentés sur le haras ; j'ai vu dans celui des commissions provinciales d'agriculture que dans quelques districts, et notamment dans les Flandres, comme l'a dit l'honorable M. T'Kint de Naeyer, beaucoup de cultivateurs ont renoncé à élever des chevaux croisés. La raison en est que toutes les contrées d'un pays ne conviennent pas pour la reproduction de la même espèce. La Flandre occidentale, si on en excepte les environs de Courtrai, n'est propre qu'à l'élève du gros trait ; et la Flandre orientale, sauf quelques cantons ne convient pas pour le cheval croisé. C'est ce que l'administration du haras a reconnu elle-même. Au surplus ces rapports constatent la grande utilité des étalons de l'Etat dans toutes les autres provinces.

Pour savoir précisément à quoi s'en tenir sur ce sujet, il ne faut pas se borner à consulter l'opinion des commissions provinciales d agriculture ; il est encore nécessaire de connaître celle des comices, des députations permanentes, des inspecteurs du haras et du conseil supérieur d'agriculture. Or, une enquête minutieuse a eu lieu en 1851 par ces autorités, et sans vouloir contester les faits avancés par l'honorable M. Mascart, il me permettra bien d'avoir plus de confiance dans cette enquête que dans celle qu'il dit avoir faite lui-même. Voici ce que je lis dans le rapport qui nous a été remis : si ces citations et mon discours même sont trouvés un peu longs, je prie mes honorables collègues de songer que l'on veut détruire une institution qui existe dans tous les pays et dont les avantages ne sauraient être appréciés qu'après une suite de longues années.

« Il résulte des renseignements recueillis par l'administration que l'élève des chevaux croisés tend à prendre une nouvelle extension dans le pays.

Province d'Anvers.

« La commission d'agriculture regarde comme indispensables le maintien de la station d'Eeckeren et le rétablissement de celle de Puers : elle pense que chacune de ces stations devrait être composée de deux ou trois étalons, savoir : à Eeckeren, deux étalons de demi sang et un de pur sang ; à Puers, un étalon de gros trait anglais et un fort demi-sang, ou bien deux chevaux de demi-sang.

« L'inspecteur provincial demande en outre l'établissement d'une station à Duffel.

« Le gouverneur se rallie à l'avis de la commission d'agriculture qui reconnaît l'influence que la présence des étalons de l'Etat a exercée dans cette province sur l'amélioration de la race. »

Province de Brabant.

Avant de lire ce que les autorités ont constaté dans cette province, je rappellerai que, dans la séance d'hier, l'honorable M. Mascart, député de Nivelles, prétendait que tous les cultivateurs avaient renoncé à l'élève du cheval croisé ; il a dit qu'il connaissait un fermier qui avait vendu 11 poulains pour moins de 600 francs. Des faits de cette nature sont sans nul doute mentionnés par l'une où l'autre administration, et après de si malheureuses expériences, loin de réclamer un plus grand nombre de stations ou d'étalons, tout le monde à l'unanimité aura demandé la suppression du haras ! Nous allons le voir.

« Dans l'arrondissement de Bruxelles, on réclame une station à Vilvorde, avec deux étalons de trait. Faisons observer, en passant, qu'il y a, aux environs de Vilvorde, autant d'étalons de trait appartenant à des particuliers, que le service semble l'exiger. On demande en outre une station de deux étalons de pur sang et de demi-sang à Lennick-St-Quentin et une station d'étalons de demi-sang à Hal et à Uccle.

« Dans l'arrondissement de Louvain, on réclame l'envoi de deux étalons à Herent.

« A Aerschot, de deux étalons dont l'un de pur sang anglais, et l'autre de pur sang indigène.

« Le commissaire de l'arrondissement demande que ces deux stations soient composées de deux étalons, dont l'un de pur sang et l'autre de demi-sang anglais.

« Dans l'arrondissement de Nivelles, on demande la création de cinq nouvelles stations : à Walhain, à Jodoigne, à Tubise, à Beauvechain, à Braine l'Alleud.

« L'on réclame, en outre, l'adjonction d'un troisième étalon aux stations de Baisy et de Nivelles, pour qu'elles puissent suffire aux nombreuses juments que l'on se propose d'y envoyer... »

Flandre occidentale.

« La commission d'agriculture, M. le gouverneur et les vétérinaires du gouvernement sont d'accord pour demander que l'on cherche à améliorer la race des chevaux de cette province par elle-même. Ils demandent seulement trois étalons de race croisée à Diekebuschct à Thielt...

« Aussi n'y a-t-on envoyé d'étalons de race anglaise qu'à Oostcamp et Courtrai, où l'on a obtenu des croisements très satisfaisants. »

Flandre orientale.

«On reconnaît toute l'utilité qui résulte pour l'agriculture des stations d'étalons du haras de l'Etat, et on réclame, outre les trois stations qui sont établies, la création d'une station à St-Nicolas.

« L'administration provinciale, la commission d'agriculture et l'inspecteur des haras sont d'accord sur ce point. »

Province de Hainaut.

« Pour satisfaire aux besoins de l'agriculture dans cette province, en se bornant à l'indispensable, il faudrait pour l'année 1851 :

« 1° Placer trois étalons dans chacune des stations de Pâturages, de Roeulx et de Leuze.

« 2° Conserver toutes les stations actuelles.

« 3° Etablir deux stations dans l'arrondissement de Thuin.

« 4°Etablir une station dans les environs de Gosselies et de Binche. »

Province de Liège.

« L'inspecteur des haras fait remarquer que l'élève du cheval prend une grande extension dans la province ; il demande que les trois stations existantes soient conservées, et composées chacune de trois étalons ; il demande aussi qu'une station soit établie dans le Condroz.

« La commission d'agriculture pense aussi qu'il est indispensable de porter à quatre le nombre des stations, et à trois le nombre des étalons à envover à chacune d'elles. Elle propose d'établir à Huy la quatrième station. »

(page 537) Province de Limbourg.

Une station seulement a été établie en 1850 dans cette province : la suppression de la deuxième station a déjà donné lieu à de vives réclamations. La commission d'agriculture et l'inspecteur provincial en réclament le rétablissement. Deux stations, placées l'une à St-Trond et l'autre à Tongres, paraissent suffire dans cette province.

Province de Luxembourg.

L'honorable M. Pierre a présenté hier un amendement ; comme il aperçoit déjà le haras rayé du budget, il réclame bien vite une partie des dépouilles pour sa province ; 75,000 francs pour distribuer la chaux à prix réduit ! Vous le voyez, messieurs, cette coalition contre le haras n'a pas d'autre origine que de venir en aide aux intérêts de quelques localités, en sacrifiant ceux des autres.

L'honorable M. Pierre prétend que les étalons du haras ne produisent rien de bon dans le Luxembourg, que les éleveurs n'en veulent plus. Examinons aussi ce qu'en disent les autorités ; peut-être en sera-t-il ici comme du canton de Nivelles. Lisons :

« La commission d'agriculture, la société provincialc d'agriculture et l'inspecteur provincial des haras sont d'accord pour reconnaître que l'élève du cheval croisé a fait des progrès notables dans le Luxembourg, que les chevaux métis s'y vendent à des prix plus avantageux que les chevaux indigènes, et que les cultivateurs en retirent un bon bénéfice.

« Pour ces motifs, on réclame l'établissement de plusieurs nouvelles stations, outre celle d'Arlon, établie en 1850, savoir : à Tintigny, à Bastogne et à Neufchâteau. Pour le moment, il paraît indispensable d'en établir une deuxième à Tintigny. »

Province de Namur.

« Dans cette province, comme dans le Brabant et le Hainaut, l'élève du cheval croisé a pris un grand développement depuis quelques années : aussi les trois stations établies en 1850 sont-elles loin de suffire aux besoins des éleveurs.

« Il résulte des rapports envoyés à ce sujet, que les comices, la commission d'agriculture, etc., demandent, en outre, l'établissement d'une station à Ciney, à Beauraing, à Anthée, à Eghezée, à Fosse, à Senzeille, à Rosée, à Gedinne et à Dinant.

« Le gouverneur pense que sept stations sont au moins indispensables, et que les quatre nouvelles devraient être placées à Ciney, à Beauraing ou Vonêche, à Anthée ou Rozée et à Eghezée. »

Il résulte de l'ensemble des renseignements :

« 1° Que le nombre de stations établies en 1850, a été de 22, non compris le dépôt central ; que 61 étalons y ont fait la monte.

« 2° Que le chiffre total des saillies a été de 2,393

« 3° Que le nombre de stations demandées par les comices agricoles, les commissions d'agriculture, s'élève à 64

« Et celui des étalons à 135

« 4° Que les administrations provinciales pensent que, pour le moment, on pourrait arrêter le nombre des stations à 46

« Et celui des étalons à 99. »

Voici un extrait du rapport spécial du conseil supérieur d'agriculture :

« La marche ascensionnelle des saillies, dont la limite ne saurait être prévue, a sa signification. De 1845 à 1850, elles ont augmenté dans des proportions assez fortes, et pour la monte de 1851, quarante-deux nouvelles stations sont demandées. Si l'on tenait compte des vœux des comices et des commissions d'agriculture, le haras entretiendrait un effectif qui ne resterait pas au-dessous de cent cinquante étalons…

« Le pur sang est très recherché dans les provinces de Hainaut, de Limbourg et de Namur ; il est malheureusement à craindre que l'on ne puisse continuer à satisfaire ces localités. Le pur sang du haras marche vers la décrépitude, et la rareté, le prix exorbitant de l'espèce convenable à notre pays nous obligent à nous borner à un vœu qu'un hasard exceptionnel parviendra seul à réaliser, c'est à-dire de s'emparer de ceux que leur prix rend accessibles. »

Voici maintenant les conclusisons du conseil supérieur d'agriculture :

« 1° Il est indispensable d'augmenter le nombre des étalons du haras et de majorer le crédit annuel de cet établissement ;

« 2° Le haras doit adopter un système de remontes, basé sur le renouvellement par dixième, tout en accroissant graduellement l'effectif ;

« 3° Le gouvernement devrait abandonner aux efforts individuels les tentatives de perfectionnement par des reproducteurs autres que ceux de pur sang et de demi-sang ;

« 4° L'encouragement à accorder à ces tentatives serait commun avec celui réservé à la production indigène... »

A l'exemple de l'honorable député de Nivelles, on citera peut-être des éleveurs qui n'ont pas réussi... Tout le monde comprendra qu'il ne saurait en être autrement, les juments, la nourriture, les soins ne sont pas partout les mêmes : mais à côté de ces faits on indiquera au besoin une masse de juments dont les produits ont été magnifiques.

Je me bornerai à lui dire que je connais un cultivateur et éleveur demeurant dans le Brabant, à cinq lieues de Tervueren, et qui, malgré cette distance, y envoie chaque année plusieurs juments ; il vend ses poulains ordinairement à l’âge de trois ans ou de trois ans et demi et il en obtient 700 à 800 francs ; lorsqu'il les conserve jusqu'à quatre ans et demi ou cinq ans, il en obtient 1,000 à 1,200 fr.

Pour prouver l'utilité du haras, on ne saurait mieux faire que de consulter les diverses autorités, quelques extraits au rapport desquelles j'ai emprunté. Toutes sont unanimes pour réclamer ou des stations nouvelles ou une augmentation d'étalons. Si l'expérience acquise n'avait pas été profitable aux éleveurs, adresserait-on des demandes semblables ? Cela n'est pas admissible ; et cependant on voudrait supprimer le haras et abandonner la reproduction des chevaux croisés a l'industrie privée, comme si celle-ci pouvait se maintenir sans être soutenue par l'Etat.

Je me trompe, messieurs, l'honorable M. David propose d'accorder des primes pour 9 étalons de pur sang anglais ou arabes. Ainsi, tandis que dans l'opinion de toutes les commissions d'hommes spéciaux, il faudrait que l'Etat entretînt 100 étalons de cette espèce, l’honorable membre les réduirait bientôt à une vingtaine.

On n'en aurait pas davantage ; car c'est une erreur de croire que l'industrie privée, même en lui accordant des primes, pourrait remplacer le haras.

Celui qui en ferait l'objet d'une spéculation s'exposerait à une ruine complète.

Le cultivateur a un étalon de trait parce que le prix de 1,600 à 1,800 francs est à sa portée, et que ce cheval travaille, gagne sa nourriture : tandis que pour avoir un étalon pur sang anglais ou arabe, il faut 8,000 à 10,000 francs ; ce capital est beaucoup trop élevé pour nos fermiers ; ajoutez à ces motifs que ces sortes de chevaux ne travaillent pas et qu'ils coûtent beaucoup pour l'entretien et les soins qu'ils réclament. Aussi quand même, comme le propose l'honorable M. David, on assurerait à l’éleveur qui tiendrait un étalon anglais une prime de 3,000 francs, cet homme serait encore en perte. Ou le prouvera, on l'établira par des chiffres : et si l'éleveur qui recevra 3,000 fr. fait de mauvaises affaires, qu'arrivera-t-il à celui qui n'aura rien ? Il vendra sur-le champ son étalon, et au bout de 3 ans il n'en resterait pas 20 dans tout le pays.

Quelques personnes supposent que l'éleveur s'indemniserait par les saillies ; la moyenne la plus élevée des saillies annuelles par étalon du haras est de 42, supposons-la de 50, et que l'on paye le saut 5 à 6 francs, c'est le taux ordinairement exigé par les particuliers ; en France il est de 3 à 12 fr. selon la richesse des localités ; ce ne serait donc qu'un produit de 300 à 400 francs. On ne peut pas tenir compte du prix de 150 à 200 francs payé en France pour la saillie des juments de courses par des étalons qui ont coûté de 60 à 75 mille francs : ce sont là de rares exceptions pour avoir des coureurs : les gens immensément riches font ces sacrifices pour satisfaire leur amour-propre et leur ambition.

Les haras ont encore un autre but d'utilité dont on ne semble pas se préoccuper : c'est d'affranchir le pays du tribut que nous payons à l'étranger pour la remonte de l'armée. Tout le monde sait que les cultivateurs n'ont que des étalons de trait, tandis que les étalons de selle proviennent des haras, et c'est cette dernière espèce de chevaux que l'on ne trouve pas en assez grand nombre en Belgique ; le haras, si le département de la guerre créait un ou deux dépôts de remonte, pourrait nous faire obtenir un jour les chevaux nécessaires à la cavalerie. En temps de paix, nous nous en pourvoyons en Allemagne ; mais si la guerre éclatait, cette ressource nous ferait défaut ; cependant il en manquerait un nombre considérable dans l'armée. On a quelquefois répondu aux inquiétudes que je manifestais à ce sujet qu'on aurait recours alors à des mesures extraordinaires.

Eh bien, messieurs, c’est ce qui a eu lieu en France après la campagne de 1812, les réquisitions des chevaux des particuliers et la création de 4 régiments de garde d'honneur n'ont pu procurer le quart des besoins. Au retour de l’île d'Elbe, Napoléon employa de nouveau les réquisitions et les marchés passés par les régiments, oa s'empara des chevaux des gardes du corps et d'une partie de ceux de la gendarmerie ; les régiments de la garde furent les seuls qui parvinrent à se compléter.

Les années 1839, 1848 et 1832 ont prouvé dans notre propre pays combien il est difficile de se procurer des chevaux alors qu'il y a seulement apparence de guerre.

Qu'on me permette de rappeler à la Chambre ce que j'ai eu l’honneur de lui dire lors de la discussion de la loi sur l'organisation du cadre de l 'armée.

M. le commissaire du Roi a assuré, en section centrale, qu'en trois jours on aurait tous les chevaux de trait nécessaires : M. le commissaire du Roi est à ce sujet dans la plus complète erreur.

Pour apprécier les embarras que l'on éprouvera, je rappellerai ce qui a été dit dans la commission.

Un colonel a prétendu qu'il faudrait plus de 3 mois pour que l'artillerie eût ses chevaux, et un général très à même d'être bien informé par la haute position qu'il a occupée, a assuré que l'expérience faite en 1839 et en 1848 avait prouvé l'exactitude de ce fait. En 1848, a-t-il dit, il a fallu 3 mois et 13 jours pour avoir 900 chevaux ; 5 grandes remontes ont eu lieu en Belgique et 400 jours se sont écoulés entre l'adjudication et la réception pour avoir 3,400 chevaux. En 1852 un marché a été passé le 1er février, et le 10 mars on avait reçu 436 chevaux.

L'honorable M. Mascart trouve qu'il y a profit pour l'Etat à chercher les chevaux de cavalerie à l'étranger. Eh bien ! si la guerre eût éclaté en 1848 ou 1852, qu'il me dise où aurait été le profit pour la Belgique (page 538) d'avoir sa cavalerie à pied, ses canons sans chevaux pour les traîner. Beau profit d'entretenir pendant la paix tous les cadres de cavalerie et d'artillerie pour n'en faire aucun usage en cas de guerre !

Après les expériences faites en 1848 et en 1852, et quand on sait qu'il faudrait 7,000 chevaux pour mettre l'armée sur le pied de guerre, il est évident qu'il est de la plus haute importance de songer à se créer dans le pays des ressources qui doivent puissamment aider à la défense nationale.

Pour atteindre ce but, qu'on me permette de soumettre à MM. les ministres de l'intérieur et de la guerre quelques observations sur les remontes de l'armée. Les remontes et le haras ont des rapports intimes, c'est le producteur d'un côté et le consommateur de l'autre.

Au commencement de l'année on nomme dans chaque corps une commission qui achète les chevaux du pays propres à la remonte ; une autre commission est envoyée pour le même objet dans le Luxembourg, et au mois de juin on fait livrer par les fournisseurs le nombre des chevaux dont on n'a pas pu faire l'acquisition. On achète généralement tous les chevaux de trait dans le pays. Quant aux chevaux de selle il n'en est pas de même.

Sur 631 qu'il faut annuellement, les commissions peuvent à peine s'en procurer 70 à 80 ; on est par conséquent obligé d'en acheter à l'étranger environ 550. C'est 300 à 350 mille francs qui sortent du pays : c'est en outre la preuve évidente des embarras qu'on aura pour passer au pied de guerre.

Pour parer à de semblables inconvénients, voyons ce qu'on a fait ailleurs, et d'abord en France, c'est le pays avec lequel la Belgique a le plus de rapport pour l'élève du cheval.

On a réorganisé les haras dont l'administration est fort ancienne et là comme ici, de vives critiques ont surgi à leur égard, on pensait pouvoir en diminuer considérablement les dépenses, un des honorables signataires de l'amendement me disait le jour même où il a été déposé sur le bureau, que cela avait eu lieu, qu'en France l'allocation avait été fortement réduite ; eh bien, messieurs, une commission a été nommée il y a peu d'années ; après avoir inspecté tous les établissements, son rapporteur le général Lamoricière a présenté un travail complet, dans lequel il a fait ressortir leur grande utilité, et il a conclu par demander que l'on augmentât le crédit afin d'avoir un plus grand nombre d'étalons.

Celte allocation qui était de 1,507,100 en 1848.

Et de 1,556,400 en 1850 et 1851.

A été de 1,608,800 en 1852 et 1853.

Et elle est de 2,840,000 pour 1854.

La France possède maintenant 1,430 étalons répartis dans 24 stations, et au moyen de la majoration du crédit de cette année qui est de 1,231,200 fr. elle va augmenter encore le nombre des étalons.

Autrefois les régiments français étaient aussi chargés de se pouvoir des chevaux dont ils avaient besoin, par suite des nombreux abus que ce mode de remonte engendrait, une commission de généraux décida en 1810 que les achats directs par les corps devaient être abandonnés.

En 1818 le maréchal Saint-Cyr institua deux dépôts de remonte à Caen et à Clermont-Ferrand.

En 1825, 7 nouveaux dépôts de remonte furent créés.

En 1851 le maréchal Soult les porta à 16, et en dix ans ils ont livré 52,700 chevaux à la cavalerie et à l'artillerie.

Aujourd'hui on ne prend plus hors de France, un seul cheval pour l'armée.

Depuis 1858 l'Etat fournit les chevaux aux officiers subalternes ; leur prix, plus élevé que ceux fixés pour les chevaux de troupe, engage l'éleveur à faire un bon choix des juments et des étalons, afin de vendre leurs produits pour des chevaux d'officiers.

C'est au moyen des haras et en créant des dépôts de remonte, que la France s'est affranchie du tribut qu'elle payait à l'étranger pour la remonte des chevaux de son armée, et qu'en cas de guerre, elle trouvera sur son territoire la plus grande partie de ceux dont elle aura besoin. Eh bien, messieurs, conservons le haras et créons des dépôts de remonte pour arriver au même résultat que nos voisins.

Les puissances du Nord qui ont adopté ce mode de recrutement depuis 30 ans trouvent aussi aujourd'hui chez elles les chevaux nécessaires à leurs armées.

En Russie il y a des haras composés de juments russes et d'étalons anglais, ils sont annexés aux colonies de cavalerie et servent en même temps de dépôts de remonte.

L'Autriche a aussi ses haras militaires et ses dépôts de remonte, elle possède 5 grands établissements avec 2,400 étalons du plus beau sang ; ils ont fourni, en 1820, 30,000 chevaux pour l'expédition de Naples.

La Prusse a 8 haras royaux ou dépôts pour les remontes.

La Bavière, le Wurtemberg, le duché de Bade ont des dépôts de remonte, connus sous le nom de fermes royales, on y élève les jeunes chevaux destinés à former le complément des remontes.

Ainsi partout on voit des dépôts de remonte placés sous l'administration du département de la guerre, des détachements de troupes sont chargés de soigner et de dresser les chevaux ; mais la grande différence avec ce qui se pratique ici, et je prie M. le ministre d'en prendre note, consiste surtout en ce que dans tous les pays on achète des poulains de 18 mois à 2 ans. En Allemagne on tient dans chaque commune et avec beaucoup de soins les registres de l'état civil de tous les chevaux, ils permettent de connaître l'origine des poulains et de prévoir ce que deviendra le jeune cheval. Ici les gardes étalons seuls tiennent des cahiers de monte.

Aussi longtemps qu'on ne suivra pas l'exemple de tous les gouvernements, tant qu'on n'établira pas, sous l'administration du département de la guerre, des dépôts de remonte, nous ne trouverons pas dans le pays les chevaux nécessaires à l'armée sur le pied de paix, et pour la mettre sur le pied de guerre les embarras seront immenses.

En n'employant dans ces dépôts que des militaires, le personnel ne coûterait rien, les directeurs se tiendraient au courant du nombre et de la qualité des jeunes chevaux qui se trouveraient dans leur circonscription, il n'achèteraient aucun cheval aux personnes connues pour se livrer au maquignonage et au commerce de chevaux.

L'achat de poulains serait un moyen d'encourager la production ; bon nombre de cultivateur ne peuvent ni les conserver, ni les élever convenablement jusqu'à 4 ans 1/2, ils les font alors travailler beaucoup trop jeunes.

Ce n'est que quand les dépôts de remonte auront permis de trouver dans le pays les chevaux nécessaires à l'armée, qu'on pourra affranchir l'Etat des dépenses qu'il fait pour propager les bonnes espèces.

En Angleterre, m'a-t-on dit, il n'y a ni haras, ni dépôt de remonte, et cependant on y trouve de beaux et bons chevaux.

Quand la Belgique en possédera de semblables, je ne réclamerai pas le maintien du haras ; et je crois que si mes honorables adversaires savaient tout ce que l'on a fait dans ce pays pour améliorer la race chevaline, ils ne demanderaient pas aussi vite la réduction de l'allocation portée au budget. Avant de supprimer les haras, l'Angleterre a consacré des sommes énormes pour importer chez elle des étalons étrangers, dont le croisement lui a procuré de si belles espèces de chevaux. Pour atteindre même ce but, des édits des plus tyranniques ont été ponctuellement exécutés. Un honorable membre de cette chambre, à qui j'en faisais l'observation, ayant émis des doutes à cet égard, je vais, pour le convaincre, lui lire un extrait de l'histoire du cheval en Angleterre ; je me bornerai à un seul, il sera suffisant.

Henri VIII, prince cruel et tyrannique, mais épris de l'éclat et de la grandeur, désirait beaucoup avoir une race de chevaux précieux, et les moyens qu'il adopta furent parfaitement en harmonie avec ses dispositions despotiques, quoique calculées de manière à arriver sûrement à son but. Il établit une certaine taille au-dessous de laquelle le cheval n'était pas conservé. La plus petite taille pour un étalon était 15 degrés, et pour la jument 13. Ceux dont les intérêts locaux furent blessés se plaignirent fortement de ce procédé arbitraire. La petite race des chevaux du Cornouailles fut en quelque sorte exterminée.

La race naine, mais active et utile, des montagnes du pays de Galles, diminua rapidement. Les « exmoors » et les » dartmoors » furent obligés d'ajouter un pouce à leur taille, et l'on produisit une race plus uniforme et plus utile.

Le monarque était déterminé à atteindre et à garantir son but. A la foire de Saint-Michel, il ordonna aux magistrats de prendre tous les chevaux communs et petits, et de détruire non seulement ces étalons, mais encore tous les malheureux bidets, soit jument soit cheval hongre ou poulain, qu'ils n'estimeraient pas capables de produire une race de prix.

Il eut ensuite recours à une loi somptuaire pour atteindre plus pleinement son but, et en faisant appel à l'orgueil de ceux que cette affaire touchait personnellement, il n'éprouva aucune difficulté. Chaque archevêque ou duc fût forcé, sous certaines peines, d'entretenir sept étalons de trot pour la selle, et chaque étalon devait avoir, à l'âge de trois ans, 14 degrés de haut.

Il donna des instructions très minutieuses touchant le nombre de chevaux de la même espèce que les autres classes du clergé et de la noblesse devaient entretenir. L’édit porte, en terminant, que chaque personne possédant une rente de la valeur de 100 livres par an, et chaque laïque dont la femme pourra porter une coiffe française ou un bonnet de velours, devront nourrir un étalon de trot pour la selle. Ces édits, malgré leur tyrannie apparente, furent paisiblement exécutés à cette époque et produisirent la race de chevaux qui, seule alors, était comparativement utile, et dont la force, la noble allure et l'action furent la source d'une plus grande perfection dans les siècles qui suivirent.

Après des faits semblables, on comprend facilement qu'il y ait en Angleterre une belle race de chevaux, et qu'un haras n'y soit plus une nécessité. Cependant on avait conservé celui de Hampton court, ce n'est qu'en 1844 qu'il a été supprimé, et il est à remarquer que la race chevaline dégénère depuis lors. Les auteurs attribuent ce résultat à la suppression du haras de Hampton court, et d'après les observations qui surgissent de tous côtés il est probable qu'il sera rétabli.

Quoi qu'il en soit l'Angleterre possède d'excellentes races de chevaux de selle et de trait, le nombre des chevaux y est très considérable. Sa situation au milieu des mers lui fait trouver ses moyens de défense dans ses vaisseaux, et non dans une nombreuse cavalerie, comme sont obligés d'avoir les gouvernements destinés à faire la guerre sur le continents dans un pays de plaine. Voilà, messieurs, les raisons pour lesquelles l'Angleterre n'a plus ni haras ni dépôt de remonte.

Malgré les bonnes raisons données l'année dernière dans une semblable discussion, on nous préseute aujourd'hui trois amendements, le premier a pour but la suppression des 100,000 fr. pétitionnes pour achat d'étalons : il est signé par 17 membres de la Chambre, C'est donc un amendement (page 539) plus sérieux que ceux qui nous sont habituellement soumis ; il est d'autant plus sérieux qu'il tend à laisser tomber le haras ; on veut qu'il meure d'inanition. C'est absolument comme si on refusait les moyens de recrutement à un régiment de cavalerie, en peu d'années il aurait cessé d'exister. Eh bien, je le demande, est-ce là une marche à suivre ? Non, messieurs, les auteurs de l'amendement font trop ou trop peu : trop s'ils veulent conserver le haras, car il ne saurait se passer de remonte ; trop peu s'ils en recherchent la suppression : comme c'est bien ce dernier but qu'ils ont en vue, je leur demanderai pourquoi ils conservent les 49,000 francs destinés à payer le personnel ? Pourquoi ils ne proposent pas aussi la suppression des 62,000 fr. pour la nourriture des chevaux, les frais de station, etc. Il est absolument inutile de faire ces dépenses, si on ne veut pas maintenir le haras.

Aussi l'honorable M. David l'a bien dit, cet amendement est incomplet, insuffisant, dangereux ; ce qui m'a particulièrement frappé dans les développements qui ont été donnés à la Chambre, c'est le peu d'homogénéité qui existe dans les idées des signataires de l'amendement ; trois d'entre eux ont jusqu'ici pris la parole, l'honorable M. de Ruddere, trouvant la dépense inutile, demande la suppression du haras ; l'honorable M. Vander Donckt, au contraire, consentirait volontiers au maintien du crédit ; il ne conteste pas l'utilité de l'intervention de l'autorité, pour améliorer la race chevaline ; seulement il voudrait que cette autorité fût la province et non l'Etat. Qu'arriverait-il si cetre opinion venait à prévaloir ? C'est que les fonds alloués pour cet objet seraient distribués en primes au lieu de servir à entretenir les étalons du haras.

J'ai déjà fait remarquer qu'en suivant cette marche on n'élèverait bientôt plus dans le pays aucun cheval de selle, parce qu'il n'y aurait plus d'étalons de sang anglais.

L'honorable M. Mascart veut la division du crédit, une bonne partie pour la voirie vicinale, et 100,000 fr. pour donner des primes insignifiantes, j'oserais presque dire des jetons de présence aux étalons du pays ; on ne peut appeler autrement les primes de 50 fr. Quant aux étalons anglais, il n'en est plus question.

Lorsqu'on se réunit à 17 pour signer un amendement, on devrait au moins discuter ensemble et se mettre d'accord et savoir ce que l'on veut.

L'honorable M. David est plus conséquent,il y a de la franchise dans son amendement, il va droit au but, il tue le haras, mais il tuera en même temps une industrie qui prospère et qui dans sa localité est appréciée d'une autre manière que celle sous laquelle il l'envisage : aussi avant de présenter son amendement, il n'a certainement consulté ni l'administration provinciale de Liège, ni les comices, ni la commission d'agriculture de sa province, puisque au lieu de 7 étalons du haras qu'on y envoyait, toutes les autorités en ont demandé 12, et pour Verviers qui en a eu 2, elles en ont réclamé un troisième.

L'honorable M. David conviendra sans peine que, pour le changement qu'il propose, il y aurait dans le pays moins d'étalons anglais qu'aujourd'hui. Or, c'est précisément le contraire que voudraient les éleveurs de Verviers, et les autorités que j'ai citées.

Quand dans des rapports officiels tous le hommes compétents engagent le gouvernement à augmenter le nombre des étalons, l'utilité du haras n'est pas contestable, au moins avec justice.

Il me reste, messieurs, à dire deux mots sur le crédit. L'administration du haras a prévenu il y a 2 ou 3 ans que pour conserver cette institution, il fallait pendant plusieurs années voter 100,000 francs afin de faire les remontes indispensables. Cette somme est-elle nécessaire ? Voilà ce qui est à examiner.

Je vous l'ai déjà dit, messieurs, toutes les autorités compétentes prétendent qu'il faudrait 100 étalons et la commission supérieure a arrêté en principe, principe juste, que la remonte devait s'opérer par dixième : or, 100,000 fr. représentent la valeur de la dépense pour avoir 10 étalons.

Le haras en possède 69 dont :

37 ont moins de 10 ans,

13 ont de 10 à 15 ans,

6 ont de 16 à 18 ans,

13 ont 18 ans et plus.

L'âge seul est déjà un motif suffisant pour justifier le crédit, mais quand on sait qu'une enquête faite en 1851 a démontré que pour satisfaire aux vœux des cultivateurs, il fallait 30 à 40 stations et environ 100 étalons, on ne peut se refuser à reconnaître la nécessité de la dépense.

L'honorable M. David trouve que 100,000 fr. pour la remonte, c'est beaucoup trop. S'il ne s'agissait que de conserver les 69 étalons qui existent, on pourrait, à mon avis, se contenter de 70,000 fr. ; mais de toute part les éleveurs, les autorités demandent de nouvelles stations et davantage d'étalons, les 69 ne peuvent suffire ; avec le surplus de la somme demandée, on augmentera chaque année le nombre des étalons et on finira par avoir de quoi satisfaire à tous les besoins. Comparez avec la France, ici 69 étalons, en France il va y en avoir plus de 1,500 ; à notre budget on trouve un crédit de 211,000 fr. et en France 2,840,000. Proportionnellement à la population et au territoire, la comparaison est certainement toute en faveur de la Belgique, ou plutôt elle prouve que nous dépensons moins.

L'honorable M. Mascart trouve que le poulain en naissant coûte 300 fr. ; il y a évidemment là une grande erreur.

L'allocation du haras est de 211,000 fr., dont 100,000 pour la remonte d'étalons : l'honorable député en infère que la dépense a toujours été de 211,000 fr., et c'est d'après cette somme qu'il présente ses calculs. Il se trompe. La dépense a été presque toujours fort inférieure.

Les 100,000 fr. permettront dans peu d'années d'avoir 100 étalons. Et d'après le nombre constaté des saillies, on peut sans exagération en fixer la moyenne à 42, étant même débarrassé des vieux chevaux, elle serait plus élevée ; les 100 étalons produiraient donc 4,200 saillies, déduisant 1/10 pour les pertes, on obtiendrait 3,780 poulains pour lesquels on aurait payé 211,000 fr., ou 55 fr. par poulain : et en faisantees sacrifices pendant une suite d'années, on améliora la race indigène et on obtiendra un cheval de selle et de trait léger.

Nous avons à choisir entre la conservation du haras et l'allocation des sommes demandées pour les remontes, ou la suppression de cet établissement et de tous les crédits concernant cet objet.

Pour moi, messieurs, convaincu des services que le haras a rendus au pays, persuadé qu'il est appelé à en rendre encore de bien importants, je voterai les chiffres proposés par la section centrale ; et dans l'espoir que la grande majorité de cette Chambre fera de même, je terminerai mes observations en disant à M. le ministre de l'intérieur que j'ai vu, dans le discours prononcé par l'honorable M. de Biesme, les motifs pour lesquels l'inspecteur général a donné sa démission.

Il est vraiment regrettable que l'Etat soit privé du concours d'un homme d'une grande expérience, et qui a toujours montré autant de dévouement que de désintéressement. Sa retraite a vivement peiné tous les inspecteurs provinciaux. Comme ceux-ci remplissent leur devoir avec talent, zèle et sans qu'il en coûte rien au trésor, il ne faut pas jeter le découragement parmi ces fonctionnaires qu'on remplacerait difficilement. Il est par conséquent nécessaire de faire cesser ce provisoire en nommant un inspecteur général.

M. David. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Il existe au département de l'intérieur un travail extrêmement intéressant, et qui pourrait jeter une lumière éclatante sur les statistiques que vient de dérouler devant nous l'honorable M. Thiéfry. Je pense que ces statistiques ne résisteraient pas un instant au dépôt sur le bureau du travail dont je veux parler. Il s'agit du travail indiquant le nombre de saillies opérées par les étalons du haras de l'Etat, et des résultats obtenus. Il paraît que ce nombre de saillies est de 800, et toutes ne réussissent pas ; vous comprenez quelle influence il doit en résulter sur cette exportation de 16,000 chevaux dont vous a parlé l'honorable M. Thiéfry.

Je prie M. le ministre de l'intérieur de déposer ce travail sur le bureau.

M. Thiéfry. - J'ai pris mes renseignements dans les documents fournis à la chambre par M. le ministre des finances. Quant aux derniers relatifs à l'exportation de 22,000 chevaux en 1853, j'ai consulté le Moniteur qui nous a été remis dimanche matin.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - M. le président, je ferai remarquer que tous ces documents sont publiés. Ils se trouvent dans la statistique décennale, et dans des rapports qui vous ont été distribués.

Si cependant il est quelques autres renseignements que désire l'honorable M. David je les déposerai.

M. David. - On a distribué les renseignements dont je parle jusqu'à l'année 1850. Mais voilà trois ans que nous ne les avons plus.

Il s'agit du nombre de saillies opérées, dans les diverses stations de la Belgique, par les étalons de toutes races appartenant au haras de l'Etat. Ce sont des relevés qui sont faits chaque année par les bourgmestres des communes ; les éleveurs remplissent des bulletins de saillies opérées en indiquant chaque année ce que sont devenus les poulains provenant de ces saillies et l'envoient à l'administration centrale, qui en tient un relevé statistique exact.

C'est le résumé de ces documents dont je demande le dépôt sur le bureau.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Rien ne s'oppose à ce qu'il soit satisfait à la demande de l'honorable M. David. Les renseignements qu'il réclame se bornent au relevé des saillies pendant les dernières années. Je déposerai ce document sur le bureau.

M. Julliot. - Le discours de l'honorable M. Thiéfry, que vous venez d'entendre, est empreint, comme toujours, de la loyauté de l'ancien militaire et du petit grain de despotisme qui en est inséparable.

L'honorable orateur n'emprunte pas la tactique, il ne cache pas un côté de la médaille, il nous a franchemeut exposé le pour et le contre.

C'est à prendre ou à laisser.

L'honorable préopinant a donné deux arguments qui peuvent avoir agi sur les esprits.

Le premier, au profit de son système ; le second, contre son système.

Pour son système, l'honorable membre nous a dit que l'Etat devait faire ce que les particuliers ne peuvent pas exécuter, et que les particuliers ne sauraient créer un dépôt de 69 étalons.

Mais le dépôt ne fait rien dans le pays. C'est le stationnement dans les provinces qui intéresse les éleveurs. On doit donc autrement poser la question et se demander si les particuliers, l'association et les provinces ne pourraient pas se pourvoir de (page 540) deux ou trois étalons pour chacune d'elles qui croirait la chose utile en laissant la liberté aux autres, et cette question posée est déjà résolue.

Le second argument est pour nous. On dit : Ce n'est qu'en Angleterre qu'il n'y a pas de haras de l'Etat, tous les autres pays en ont.

Et j'ajoute : L'Angleterre seule a réussi dans l'élève du cheval, puisque tous les pays encore y vont s'approvisionner de reproducteurs ; donc le système anglais seul est bon et celui des autres gouvernements est mauvais. Soyons donc, sous ce rapport, Anglais. Cela me semble logique.

Messieurs, la proposition de réduire de 100,000 francs le chiffre destiné au haras de l'Etat est née de l'idée que, quand l'équilibre financier d'un pays constitutionnel laisse à désirer, il vaut mieux élaguer des dépenses peu utiles et non justifiables, que de recourir à de nouveaux impôts.

Elle est née encore de la considération que l'élève des animaux domestiques est du domaine exclusif des particuliers et de l'association, mais qu'il n'est pas soutenable que cette industrie fasse partie des attributs de l'Etat.

On sera bien obligé de reconnaître aussi, que notre proposition est opportune, car on est à la recherche d'un nouveau local et d'un nouvel inspecteur, choses assez rares quand on cherche à bien les approprier au but.

On nous dira, peut-être, que l'Etat a un emplacement inoccupé à Lessines ; mais ne nous y fions pas, ces bâtiments sont entièrement délabrés et couverts en toile et en chaume. Pour rendre cet emplacement digne d'héberger les étalons de l'Etat, il faudrait y sacrifier une nouvelle dépense de 2 à 3 cent mille francs

Or, sous le gouvernement des Pays-Bas l'Etat a reçu cet établissement en garantie de 600,000 francs ; il ne peut pas en obtenir 200,000 en vente, je dis donc : Assez d'une mauvaise affaire pour l'Etat sur un même point. Il ne faut pas qu'il se heurte deux fois à la même butte, même pas à propos de chevaux ; nous sommes ici pour lui éviter le « bis in eodem ».

Si MM. les ministres passés et présents avaient toujours consulté les principes du droit naturel sur la propriété avant d'agir, ils ne nous auraient proposé que des dépenses obligatoires pour l'Etat, mais se seraient abstenus de demander des fonds pour faire de l'assistance légale avec les deniers des contribuables, employés souvent au profit des individualités qui peuvent demander la satisfaction de tous leurs besoins à leur propre générosité. Que ce soit sous forme de haras ou autres, l'assistance légale de l'Etat, dans la production, crée la mauvaise production, comme la charité légale crée la misère.

L'Etat a le droit de disposer de l'impôt pour tous les services généraux du pays ; mais aussi là s'arrête son droit, il le dépasse du moment qu'il lève l'impôt pour le distribuer en dons et faveurs. Or, dira-t-on que le service du haras est un service qui s'adresse à la généralité des contribuables ? Loin de là, il ne sert pas à un sur 10,000. Ce principe était vrai hier, il l'est aujourd'hui et le sera encore demain.

Les développements théoriques et pratiques que l'honorable M. Mascart vient de donner à notre proposition, sont trop concluants pour pouvoir être réfutés avec succès, ils sont d'autant moins attaquables qu'au point de vue de l'agriculture, ils émanent d'un des hommes les plus compétents de la Chambre.

Permettez-moi de discuter quelque peu le côté philosophique et moral de la question, qui aussi a son importance.

Nous sommes d'avis qu'avant d'agir, surtout en fait de dépenses, il faut méditer ; mais nous ne pouvons nous résoudre à agir d'abord sauf à refléchir après.

Nous prions nos contradicteurs de nous suivre sur le terrain où la question se place d'elle-même, à savoir si dans un pays constitutionnel l'Etat doit fournir des chevaux à la nation ou si la nation a dans son rôle de fournir des chevaux à l'Etat quand il en a besoin pour la défense du pavs.

Ce point une fois arrêté, nous arriverons ensemble à découvrir la vérité.

Je sais qu'en présence de nos principes sur l'entreprise de l'Etat en fait de haras, on dira que nous sommes des idéologues, des théoriciens ; mais la théorie n'est que l'énoncé et la constatation des principes et j'avoue ne pas pouvoir m'en passer.

Je me refuse à décider la question des haras par la question elle-même, je veux en discuter le principe.

On invoquera contre nous le témoignage des hommes exclusivement pratiques ; mais qu'on prenne garde de trop exclure la théorie.

Savez-vous quel est le mouvement le plus prompt de l'homme qui relève le moins de la théorie ?

Oui vous le savez. C'est son instinct et je n'hésite pas à dire que ceux, en dehors de cette enceinte, qui demandent le plus la satisfaction de leurs appétits à l'Etat, sont ceux chez lesquels l'instinct domine l'idée du juste et de l'injuste et beaucoup d'autres choses encore.

Je désire me tromper, mais il me semble que cet instinct croît graduellement à la vue du système des subventions et finira par éveiller l'appétit subventionnel des masses.

Dans la question du haras, notre petit intérêt politique nous dicte de prendre pour nos provinces autant que nous pouvons, mais notre grand intérêt politique et notre raison nous le défendent.

Je me demande à qui il incombe de prêcher d'exemple. Quand pour voter des lois, sur le haras, par exemple, on ne recourt pas aux principes sûrs et immuables du juste et de l'injuste, de l'égalité des droits et des devoirs, les projets ne sont plus que des charades expliquées par instinct, en admettant toutefois que la force du vrai exerce toujours « instinctuellement » une influence sur les esprits, mais cela n'est pas assez les formules sont trop diverses et trop peu transparentes pour que le bon sens souvent ne s'y trompe et ne fasse fausse route, il faut toujours partir d'un principe, et ici le principe est pour nous. Savez-vous de quoi nous devons savoir nous défendre ? C'est de ce rôle alternatif de défenseur ou d'agresseur de la propriété par l'impôt selon que les appétits de nos commettants sont engages dans la question ? Ce rôle est dangereux.

Dans la question du haras, nous faisons trop bon marché de l'histoire d'hier. Quand la révolution de 1848 éclata, de nombreuses catégories de citoyens participaient à la mense du budget sous forme de haras et autres.

Quel fut l'instinct des masses ?

Ce fût la participation au budget, et quand les ateliers nationaux furent créés, vingt théoriciens par leur plume et leur parole sauvèrent la société du gouffre où elle allait être entraînée.

Je parle toujours de la dépense du haras. Les masses à leur tour voulaient figurer au budget où tant de spécialités déjà avaient trouvé leur place.

Ces théoriciens dont nous sommes les admirateurs entraînèrent l'immense majorité de l'Assemblée constituante, parce qu'eux seuls possédaient le principe du sauvetage. En tête figuraient les Bastiat, Girardin, Clément, Abattucci, de Molinari, Chevalier et autres.

Lisons les pages du journal « la Presse » pendant ces quelques jours où l'ordre social tout entier fut mis en délibération, et dites-moi si l'époque contemporaine fournit un monument de courage civique pareil à cette publication. Relisons ces pages, et nous renoncerons à l'entreprise hippienne par l'Etat.

Il vaut mieux faire retour aux bons principes dans le calme que d'attendre l'orage pour placer le paratonnerre sur l'édifice. Nos mains alors seraient trop tremblantes pour le fixer.

Simple exposé à l'adresse de MM. les défenseurs de la propriété. Messieurs, quand un gouvernement descend des régions élevées du pouvoir, pour intervenir dans des intérêts spéciaux qui ne sont pas de son essence, il ne lui est pas donné de pouvoir s'arrêter.

Quand l'Etat sacrifie des fonds publics dans l'intérêt du haras, pourquoi n'interviendrait-il pas en faveur de tel autre, et finalement en faveur de tous ceux qui sont saisissables ? Et ce nombre n'a pas de limite.

Les motifs que vous donnez à un de ces faits sont applicables à tous sans distinction, à moins de démontrer que les mêmes causes doivent produire des effets opposés.

Dans cette matière il n'est pas possible qu'un gouvernement s'arrête, il faut qu'il marche en avant ou en arrière, et c'est un recul sans secousse que nous vous proposons.

Je demande à ceux qui défendent le chiffre du haras et qui ont repoussé le crédit des carabiniers belges, qu'ils m'expliquent cette contradiction, et ils n'en sont pas capables. Toutes les demandes d'intervention pécuniaire qui peuvent se révéler sont aussi justifiées que celle que nous discutons.

Ceux qui disent que l'intervention pécuniaire de l'Etat au profit de quelques-uns est bonne dans une certaine mesure débitent un sophisme digne d'être patenté. L'intervention pécuniaire de l'Etat n'est justifiable que quand elle paye un service nécessaire à la généralité.

Je ne cesserai de protester contre la manie d'arracher le denier d'impôt à tous ceux qui n'ont d'autre satisfaction à attendre que celle qu'ils puisent dans le travail, la famille et la prière pour créer quelques satisfaits, et toujours au choix de l'Etat.

L'Etat ne doit pas plus à ceux-là qu'à d'autres sur ses budgets, mais du moins ne doit-il rien leur prendre pour en doter d'autres.

Les partisans du haras applaudissent à l'Etat quand il dépense 250,000 francs en stationnement d'étalons dans les provinces qui en sont dépourvues, parce que cela répond gratuitement pour eux à la satisfaction d'un besoin.

Mais que diraient-ils si l'Etat, d'un autre côté, en dépensait autant en stationnement de voitures gratuites, dans les localités ou ce véhicule public fait défaut.

Car ce stationnement, quoique plus modeste, satisferait à des besoins plus réels qui sont ceux de pouvoir se déplacer pour faire ses affaires, pour pouvoir voiturer, par exemple, le médecin ou le curé au chevet du malade.

Ces partisans diraient probablement que cela n'a pas le sens commun : mais qu'ils me permettent de le leur dire, beaucoup de bons esprits partagent leur manière de voir à cet égard, mais en l'étendant à d'autres applications encore.

Les éleveurs de chevaux de sang sont en général les possesseurs notables de la terre ; je ne suis qu'un possesseur moyen, néanmoins je crois comprendre mes intérêts.

Je dis que personne plus que les possesseurs de la terre ne sont intéressés à ce que le gouvernement ne demande d'impôts qu'à concurrence des besoins du gouvernement proprement dit.

La moitié des impôts est à la charge directe de la terre et de l'industrie qui y est attachée ; dans les impôts de consommation les (page 541) propriétaires et les millions de paysans peuvent encore revendiquer une bonne part.

Quand le gouvernement est entré dans la voie des distributions, il a montré à ceux qui payent les plus grosses cotes le hochet du haras et des courses, et ils s'y sont laissé prendre ; on leur donne cinq francs, et on leur en prend cent ; et ils applaudissent parce qu'ils ne voient pas la chose comme elle se passe ; et si ces marchés pouvaient se borner entre les participants de toutes ces nuances, je n'y verrais pas da mal ; mais ils entraînent dans leurs généreuses aspirations les huit dixièmes du pays qui n'ont rien à y voir que le montant de leur quote-part d'impôt.

Puis parmi les défenseurs de l'éducation chevaline officielle, vous en avez qui sont aussi vexés que moi par les millions qui passent à l'enseignement gouvernemental ; mais tant qu'ils approuveront l'éducation des animaux confiés à l'Etat, ils sont mal venus à lui contester l'éducation des hommesi car le ministre, en général, tient plus de la nature professorale que de l'agriculture.

Mais ces principes si simples et si justes ne sont pas généralement acceptés parce que leurs formules ne sont pas palpables au toucher.

C'est surtout dans les questions d'économie sociale que les Thomas ne font pas défaut.

Disons quelques mots de la pratique.

L'Etat nourrit 69 chevaux de luxe avec plus de luxe encore, puisque chacune de ces bêtes coûte 2,400 francs d'entretien.

Ces chevaux fonctionnent pour compte de l'Etat, les Anglais gardent les bons pour eux, et nous vendent ceux qui sont mauvais pères, qui ne reconnaissent pas leur progéniture parce qu'elle ne leur ressemble pas.

Ces reproducteurs donnent en moyenne treize poulains par an.

L'étalon du pays dessert 80 juments et produit en moyenne 60 poulains, cinq fois autant que le coursier. Or, de deux choses l'une, ou le paysan ne veut rien de ces belles bêtes, ou si elles fonctionnent, elles sont stériles pour les quatre cinquièmes. Que pour nous répondre on oppose chiffres à chiffres, mais les phrases nous ne les acceptons pas pour valables. Puis, quelle est la moyenne des prix de ces produits exotiques. L'honorable M. Mascart vous l'a dit.

L'Etat de son côté refuse ces chevaux pour la remonte. Consultez nos campagnards sur le nombre accepté par les commissions de remonte ; ce nombre est insignifiant et les commissions font bien, car ce n'est pas par complaisance qu'on doit donner de mauvais chevaux à nos soldats ; et j'engage les commissions à persévérer. Puis est-il bien ingénieux qu'on dépense des fonds publics pour que nos meilleurs herbages soient dévorés par des poulains, alors que la viande de boucherie est et restera longtemps encore inaccessible au grand nombre des travailleurs ?

Car les élèves qui n'existeraient pas, dit-on, si l'Etat n'avait pas son haras, remplacent autant de bêtes à l'engrais ; l'Etat se sert donc de l'impôt pour rendre la viande plus rare et plus chère, et si je distingue le blanc du noir, alors ce fait rapproché de toutes les phrases que le même Etat nous débite, à l'occasion, sur le bien-être de nos populations quand les denrées alimentaires sont à bas prix, sont des contradictions à être brevetées.

La vérité vraie est que l'Etat a des phrases pour tout le monde, mais qu'en fait de moyens sérieux de protection au point de vue de la société tout entière, le seul où il ait le droit de se placer, il n'a de disponible, comme bienfait, que la garantie de la plus grande somme de sécurité et de liberté possible, et MM. les ministres sont mal venus à reprocher au rapporteur de la section centrale sa passion pour les détails, quand les ministres eux-mêmes ont inoculé ce mal à l'honorable rapporteur, car la confection du budget précède le travail de la section centrale.

Une des grandes considérations pour supprimer le haras, la voici :

Dans un pays parlementaire, le gouvernement ne peut rien entreprendre qui demande une longue période de temps avant de produire de l'utilité, les mêmes ministres ne restent que peu de temps aux affaires, les majorités se renouvellent continuellement et modifient les opinions économiques du pays.

Votre haras a été attaqué plus d'une fois, il l'est dans cette discussion, il le sera l'année prochaine ; quelle stabilité vous promettez-vous et qu'allez-vous promettre à un inspecteur et au reste du personnel ? Vous ne pouvez rien leur promettre en ce qui concerne leur position officielle, ils ne vivent qu'au jour le jour, faites donc votre affaire quand elle présente le moins d'inconvénient.

Pour conserver encore ce que l'on appelle le haras et qui n'en est pas un, on n'a que deux semblants de raisons à donner.

La première c'est que l'Etat doit faire ce que les particuliers ne peuvent pas exécuter. D'abord en principe cette proposition est fausse parce qu'en industrie, l'association des individus peut tout faire quand l'intérêt et l'opportunité le leur commandent. Car l'Etat n'est autre chose que l'association des individus, avec cette différence que l'association libre fait tout à point nommé et que l'association de l'Etat force les faits à tort et à travers, les produits trop tôt ou trop tard et dans les plus mauvaises conditions économiques. Mais ici ce sophisme même n'est pas applicable. Qui soutiendra qu'il n'est pas de fortune capable d'acquérir un ou deux étalons de sang ? qui soutiendra que les provinces qui le veulent ne pourraient le faire ? Elles en font bien d'autres.

On nous dit encore que par suite de l'établissement du chemin de fer nous devons transformer nos races de chevaux de gros trait en chevaux plus légers et plus allants et que cette transformation ne souffre pas de délai ; mais ici le gouvernement se réfute lui-même. J'ai lu, dans de nombreux documents sur l'agriculture, que depuis l'établissement de nos chemins de fer, les chevaux de gros trait se vendaient plus cher qu'auparavant, attendu que les nombreux transports par chemins de fer avaient augmenté le voiturage général dans la direction des stations. Quand faut-il croire aux motifs que donne l'Etat ? Cependant j'avoue que cette dernière proposition est la vraie ; oui, les gros chevaux sont plus recherchés et pour cela nous ne devons pas empêcher d'en augmenter la production, notre intérêt nous le dicte.

Vous voyez, messieurs, que dans le reseau d'intervention où l'Etat est entré il ne peut plus nous fournir de motifs sans tomber dans des contradictions ; c'est le cercle de Popilius.

Disons les choses par leur nom, le haras sert de passe-temps à quelques rares éleveurs qui peuvent se subsidier eux-mêmes ; un tiers des produits a une bonne valeur, les deux autres tiers en ont peu ou point et s'exténuent au travail agricole ou portent les sacs de nos blatiers.

J'en appelle donc de nouveau aux partisans du haras eux-mêmes, on ne peut sous ce rapport nous faire de faveur, nous la payons au décuple de sa valeur. Notre protection à la frontière était aussi un leurre. Celle à l'intérieur est plus mauvaise encore ; pour l'agriculture, la construction des chemins vicinaux seule est admissible parce qu'elle présente la plus haute utilité, coûte proportionnellement le moins et s'adresse sans distinction au pays tout entier sans en oublier un hameau.

Dans nos autres protections nous faisons les trois quarts du fonds, on nous en restitue un dixième. Je me retire de cette association et voterai la réduction proposée qui implique la suppression du dépôt de Tervueren à l'époque que le gouvernement croira convenable.

M. de Steenhault. - Messieurs, une chose que je tiens d'abord à constater, c'est le terrain commode sur lequel se sont placés nos adversaires. Ils viennent nous dire : Des dépenses considérables ont été faites, un temps déjà fort long s'est écoulé et vous n'avez obtenu aucun résultat.

Nous qui disons qu'il ne faut pas dix-sept ans, mais trente ans de sacrifices, quelle preuve pouvons-nous donner du chemin déjà fait, qui soit assez évidente pour qu'elle ne soit pas niée par des esprits prévenus ?

Ce n'est pas ici comme s'il ne s'agissait que de supputer des kilomètres parcourus pour savoir le chemin qu'il reste à faire.

Nous ne pouvons que citer des exemples, que des produits qui prouvent combien nous avons marché ; mais comme il est humainement impossible de les citer tous, comme il n'est donné à chacun des défenseurs des haras que de citer ce qu'il connaît dans sa sphère naturellement rétrécie, on nous répond : Oh ! ce sont des exceptions, il serait trop malheureux que sur la masse vous n'eussiez pas à citer quelque bon produit. C'est là, vous le voyez, messieurs, une singulière façon de discuter !

Je tenais à indiquer cette différence de position parce que la Chambre, je l'espère, en tiendra compte.

Cela est d'autant plus singulier que nos adversaires eux-mêmes ont la façon de raisonner la plus étrange.

Ils scrutent soigneusement les rapports des commissions provinciales et des conseils d'agriculture, ils en tirent quelques faits isolés, malheureux si vous voulez, mais inhérents à toute institution, quelle qu'elle soit, car nulle n'est parfaite, et cela sans tenir compte avec impartialité des données qui pourraient controuver la thèse qu'ils soutiennent.

Ils s'étayent de quelques mauvais résultats qui leur sont plus particulièrement connus, sans considérer l'ensemble des faits, sans s'inquiéter de l'essence de l'institution qui ne peut progresser que lentement presque, imperceptiblement et n'arriver à son couronnement qu'après un nombre d'années beaucoup plus long, à coup sûr, que celui que nous avons parcouru.

Et puis partant de là, ils viennent résolument vous dire. L'institution est détestable, il faut la supprimer.

Cependant, messieurs, indépendamment des faits particuliers et nombreux que j'ai aussi à vous citer, n'est-il pas évident pour tous ceux qui envisagent la chose sans parti pris, sans idées préconçues que nous avons déjà fait d'immenses progrès ?

Sans le haras aurions-nous déjà près de 200 officiers de l'armée montés sur des chevaux belges. Ce qui prouve bien, je l'espère, qu'on peut espérer élever le cheval de troupe. Sans le haras verrions-nous cette transformation évidente qui s'opère dans tous nos attelages où l’on remplace par des chevaux belges les détestables chevaux allemands que nous y voyions naguère ?

Et pour ne pas sortir de Bruxelles, où nous sommes, et où vous devez les voir comme moi, il s'y trouve plus de 500 chevaux croisés, d'après les données les moins exagérées. Pour ma part, voici une liste de 60 chevaux que je connais, dont je suis prêt à citer nominativement les propriétaires et qui tous sont de beaux et de bons produits.

Est-ce donc une dépense improductive que celle qui nous permet de nous affranchir déjà d'une part si considérable de tribut que nous aurions dû payer à l'étranger ?

L'agriculture n'en profiterait-elle pas, par hasard ?

Mais qui donc a élevé et vendu ces chevaux si ce ne sont nos cultivateurs ?

(page 542) Ont-ils donc fait une mauvaise spéculation en élevant des chevaux qu'ils ont vendus 1,000 à 1,500 francs, quand leurs élèves de gros trait ne valaient que 500 à 600 francs ?

On parle sans cesse d'improductivité de la dépense ; mais, messieurs, c'est vous qui tendez à la rendre improductive, c'est vous qui faites bon marché des intérêts du contribuable en anéantissant d'un trait de plume tout ce qui a été obtenu jusqu'ici, et en renonçant à un résultat que vous atteindrez infailliblement, mais auquel tout homme raisonnable sait bien ne pas pouvoir prétendre dès aujourd'hui.

Je conçois, messieurs, qu'une proposition signée par 17 membres soit bien faite pour impressionner la Chambre ; mais, messieurs, permettez-moi de décomposer cette liste, et je crois que vous direz alors avec moi qu'elle perd singulièrement de son importance en face de la question de principe de la conservation ou de la suppression de notre dépôt d'étalons ; car en définitive la suppression des 100,000 fr. c'est la suppression du haras moins la franchise.

Il est clair, messieurs, que chacun de nous ne peut bien voir que ce qui se passe autour de lui ; les honorables députés signataires de la proposition ne sont pas, sous ce rapport, plus favorablement placés que nous.

Cette liste se compose de deux députés d'Anvers, de trois du Brabant, de dix des Flandres, un du Luxembourg, un de Namur.

Que les honorables députés d'Anvers n'apprécient pas les résultats obtenus, cela non seulement se conçoit mais cela doit être. La province d'Anvers ne sera jamais un pays d'élève pour les chevaux. Le régime, la nature de ses exploitations s'y opposent, comme la nature de son sol.

Les exploitations de la province d'Anvers sont généralement des fermes de moyenne étendue et qui relativement n'ont que très peu de chevaux.

Une ferme de 25 hectares, ce qui est déjà assez considérable pour cette province, n'aura que deux chevaux avee 20 ou 22 bêtes à cornes.

Le fermier ne peut donc élever tout au plus que pour sa consommation et ne pourra jamais songer à élever pour le commerce.

Dans la Campine, que représente plus spécialement l'honorable M. Coomans, l'un des signataires aussi de l'amendement, dans la Campine, dis-je, il n'y a presque pas de chevaux.

La naissance d'un cheval y est un événement.

Ce sont là, messieurs, des faits incontestables et qui probablement auront échappé à nos honorables collègues.

Un honorable député du Limbourg n'en veut pas non plus. Cela se conçoit encore, il est resté logique avec ses antécédents.

Il est le défenseur-né, le preux de l'émancipation complète de l'industrie. Toute intervention de l'Etat est son cauchemar, sa bête noire, il ne peut, lui, vouloir du haras.

L'honorable membre, n'a jamais fait qu'une exception à son principe, une petite exception ; mais il s'agissait, il est vrai, d'un petit chemin de fer qui intéressait sa localité. Aujourd'hui, c'est bien différent, il s'agit du haras.

L'honorable M. Moxhon aussi n'en veut pas, il nous l'a déjà dit, l'année dernière, en s'abstenant, mais c'est aussi par principe, je pense.

Quant aux honorables députés du Brabant, à l'honorable M. Mascart en particulier, je ne comprends pas en vérité comment il puisse affirmer qu'en général les produits sont mauvais dans son arrondissement. Je n'ai pas l'avantage d'y habiter, mais à en juger par les chevaux qui en viennent, j'aurais cru tout le contraire.

Voici quelques données qui viennent singulièrement à l'appui de mon assertion :

Voici une liste de seize éleveurs que je suis prêt à citer avec noms et demeures qui ont envoyé au dernier concours de Tervueren des produits assez distingués pour qu'ils aient des chances d'y obtenir une prime et dont plusieurs en ont réellement obtenu.

Je connais encore deux des plus beaux carrossiers de Bruxelles qui appartiennent à M. le vicomte de Jonghe et qui viennent de chez M. Hart à Genappe qui, dans ce moment, a encore plusieurs élèves fort remarquables.

M. Berger, bourgmestre de Genappe, a deux chevaux qu'il ne vendrait qu'à un prix fort élevé.

M. Vandevelde a plusieurs élèves parmi lesquels s'en trouvait un dont il a refusé 1,800 fr.

M. de Houx, au même endroit, a vendu également à un prix fort élevé un cheval bai à des marchands français. Seraient-ce là, messieurs, les monstres dont parlait M. Mascart ?

A Nivelles, à Baisy, les étalons au nombre de trois pour chaque station ne peuvent suffire aux besoins de la monte. En 1853 notamment l'étalon Forester-Lad, ayant déjà eu 80 juments, on a été obligé de faire cesser la monte pour ne pas détruire ce reproducteur.

Voilà, messieurs, en quoi consiste la répugnance des cultivateurs que l'honorable M. Mascart vous citait hier avec tant de complaisance.

Comment concilier ces faits avec les assertions de l'honorable membre ?

L'honorable M. Mascart se complaît dans un calcul qu'en vérité je ne m'attendais pas à voir produit par lui.

Il nous dit : Vous dépensez 211,000 fr., vous n'obtenez que 416 chevaux propres au service auquel le haras est destiné à pourvoir, cela fait 500 ou 600 fr. par tête. Cela joint au prix de revient de l'éleveur donne un chiffre dépassant de beaucoup le prix de vente.

L'honorable membre perd de vue qu'il ne s'agit pas ici pour l'Etat de faire une spéculation, qu'il ne peut s'agir pour lui de ne faire qu'une dépense qui se justifie par un produit équivalent sinon supérieur.

Il n'est question ici que d'améliorer une race de chevaux, et les exemples des autres pays sont là pour prouver que cela ne se fait pas sans sacrifice.

Mais à ce compte, messieurs, vous n'accorderiez pas un son à vos conservatoires, à vos académies, car en calculant de cette façon vous trouveriez bien certainement que le nombre des bons artistes, des bons tableaux ne compense pas le chiffre de la dépense.

L'honorable M. Mascart se contredit lui-même dans son discours, d'hier, il dit d'une part que le cheval croisé, mais d'une conformation peu belle, n'est bon à rien.

D'autre part il vous dit que vous le rencontrez dans les voitures publiques, et puis vient l'honorable M. David qui lui répond que le cheval croisé rachète bien par sa vigueur, son énergie, sa durée, ce qui peut lui manquer sous le rapport de la conformation.

L'honorable membre cite ensuite l'opinion de M. Verheyen, mais qu'il me permette de le lui dire, cette citation est très peu fondée.

M. Verheyen disait cela avant le vote des 100,000 fr., le haras dans les conditions qui lui étaient faites antérieurement, ne pouvait donner des résultats satisfaisants.

Et c'est pourquoi nous disons encore aujourd'hui, que votre proposition de lui enlever ou même de diminuer le subside, est une proposition de suppression, moins la franchise.

M. Mascart nous dit encore, pour nous prouver que le cheval croisé ne vaut rien, que nos fermiers mêmes vont chercher leurs montures en Normandie.

C'est là un argument qui me passe venant de la part d'un membre qui mieux que personne doit savoir quels sont les motifs de cet achat de chevaux normands qui du reste deviennent de plus en plus rares.

Aussi n'y répondrai-je pas.

La signature des honorables députés du Brabant est d'autant moins explicable que cette province est une de celles où les progrès ont été les plus saillants.

En voici, messieurs, encore une épreuve :

Vous savez, messieurs, que les provinces accordent des primes aux juments croisées se présentant au concours avec leurs poulains. Ces primes ont été instituées par suite de l'arrêté royal du 7 décembre 1840 sous l'administration de l'honorable M. Liedts qui avait en vue de favoriser l'élève du cheval de luxe et de troupe et engageant les propriétaires des juments croisées à les conserver pour faire des souches. Or, voici le relevé de ce qui s'est fait depuis 1844.

Il vous convaincra, je l'espère, messieurs, que, loin d'être en décadence cette industrie est en progrès d'une manière remarquable.

Voici le relevé de ces juments présentées au concours provincial et de celles qui ont été primées.

Vous remarquerez, je vous prie, la progression depuis les quatre dernières années.

1844 : 9 juments présentées ; 8 primées ; 1845 : 11 présentées, 9 primées ; 1846.... 10 présentées, 10 primées ; 1847 : 12 présentées, 12 primées ; 1848 : .... 9 présentées, 9 primées ; 1849 : présentées, 8 primées ; 1850 : 13 présentées, 12 primées ; 1851 : 14 présentées, 12 primées ; 1852 : 26 présentées, 19 primées ; 1853 : 31 présentées, 26 primées.

A Audenarde dans l'arrondissement que représente M. Vander Donckt, il y a, en 1853, 10 juments présentées et 8 primées.

Mais pour le Hainaut, je suis à même de vous fournir des comparaisons plus curieuses. On a prétendu qu'il n'y avait que le cheval de trait dont l'élève était en progrès. Eh bien, pour le Hainaut, il y a eu des primes pour les deux catégories et vous verrez par le tableau suivant que la comparaison est toute à l'avantage du cheval croisé.

Juments indigènes

1850 : 14 présentées, 1 primée ; 1851 : 8 présentées, 3 primées ; 1852 : 10 présentées, 3 primées ; 1853 : 4 présentées, 1 primée.

Juments croisées

1850 : 22 présentées, 3 primées ; 1851 : 11 présentées, 4 primées ; 1852 : 21 présentées, 4 primées ; 1853 : 15 présentées, 4 primées.

Veuillez remarquer, messieurs, que l'avantage appartient tellement au cheval croisé qu'en 1850 et 1853 les trois primes pour le cheval indigène n'ont même pu être distribuées faute de produits assez marquants, tandis que pour les chevaux croisés il n'en a nullement été ainsi.

Quant à la Flandre, messieurs, il fant distinguer.

La Flandre pas plus que la France, pas plus que l'Angleterre elle-même n'offre un sol uniformément favorable à l'élève des chevaux, surtout les chevaux croisés.

La nature du sol, les pâturages ne sont pas bons partout, mais où ils étaient favorables on a réussi. A Grammont, à Audenaerde on a réussi et la preuve en est dans le nombre des saillies, dans les instances que (page 543) l'on fait pour avoir une station nouvelle à Waereghem, à Beveren, à St-Nicolas, dans la besogne de nos étalons qui ont une clientèle si suivie à Grammont et à Audenarde qu'on a été obligé d'y arrêter la monte.

Si les cultivateurs s'en trouvaient si mal, je ne pense pas qu'ils feraient saillir leurs juments pour faire plaisir au gouvernement.

On dit par économie parce que c'est gratis. Mais, messieurs, comprenez-vous qu'un fermier pour économiser cinq francs, fasse souvent plusieurs lieues et se résigne à élever un poulain qu'il ne pourra vendre ?

Cela n'est, messieurs, ni plus ni moins qu'absurde.

On dit qu'il n'y a que de mauvais produits en Flandre ; mais, messieurs, voici encore une liste de produits avec les prix de vente, et qui vous prouvent bien que ce n'étaient pas ce qu'on appelle des rosses.

Je connais un cheval venant d'Eeghem près d'Audenarde vendu à trois ans pour 1,100 fr., il est ici, je suis prêt à l'indiquer à ceux qui voudraient le voir.

Il y avait à Waermaerde (Flandre occidentale) un poulain magnifique pour lequel on demandait 1,200 fr.

A Avelghem, route de Courtrai à Audenarde, il y avait encore deux chevaux de 4 et de 6 ans, qu'on ne voulait pas laisser moins de 3,000 fr., et ils les valaient.

A Deurle chez M. de Nève, se trouvent encore de très beaux produits.

Il y a un an se trouvaient à vendre 2 chevaux bais de 5 ans, par l'intermédiaire du vétérinaire Van Seymorter à Leupegem, on en demandait 2,500 fr.

L'année dernière 2 chevaux, une jument grise et un cheval bai, élevés à Onkerzeel près Grammont, à la ferme de M. Spitaels, ont été vendus ici pour 3,000 fr.

Quand nous avions des courses, presque toutes nos courses au trot et à l'attelage ont été gagnées par des chevaux élevés par M. Craymersch à Ruysselede.

Voici à présent ce que dit M. Duroy de Blicquy au conseil général d'agriculture.

« M. Duroy de Blicquy cite quelques faits pour démontrer que l’élève du cheval croisé se fait avec succès et bénéfice dans la Flandre orientale. Il a lui-même visité les éleveurs des environs de Leupegem et de Grammont. Il y a vu de très beaux produits : il cite une douzaine de ces produits qui ont été vendus aux prix de 800 à 1,200 francs : ces chevaux sont aujourd'hui à Bruxelles, où ils peuvent rivaliser avec les meilleurs chevaux d'attelage.

« M. Duroy rapporte encore d'autres faits pour démontrer que l'on ne peut nier les avantages que retirent les cultivateurs de cette province de l'élève des chevaux croisés. »

Je le répète, messieurs, je ne sais pas jusqu'à quel point quelques députés des Flandres, et dont j'ai été étonné de voir figurer le nom sur la liste, ont le droit de se plaindre des haras.

L'honorable M. de Naeyer est de ce nombre. J'avoue que je ne m'étais pas bien rendu compte jusqu'à présent de sa vive opposition aux haras.

C'est dans son discours de l'année dernière que j'ai dû en chercher le secret.

L'honorable membre trouve le perfectionnement de notre race chevaline une dépense inutile, et savez-vous pourquoi, messieurs ? Parce qu'il voit le cheval comme instrument de travail détrôné d'ici à 10 ou 20 ans, et remplacé par une invention nouvelle.

A voir le zèle que l'honorable membre met à défendre cette thèse, on dirait vraiment qu'il veut déblayer le terrain, qu'il nous ménage une surprise, et qu'il médite une invention qui nous donnera la satisfaction de voir nos escadrons chevaucher sur des quadrupèdes à vapeur, et les rues de nos villes parcourues par des locomotives économiques.

Nos honorables adversaires des Flandres nous diront, messieurs : Pourquoi ne pas favoriser l'élève du cheval de trait, de labour ?

Mais, messieurs, les honorables membres ont oublié que le haras a possédé des étalons de gros trait, et que des essais ont été faits.

On a gardé ces chevaux jusqu'à ce que les résultats ont été bons, mais on a cessé quand on a vu que nos étalons indigènes valaient au moins autant sinon plus que les étalons anglais de gros trait.

Voilà le motif pour lequel on n'a pas persisté. L'administration des haras est là pour confirmer le fait.

Permettez-moi de vous lire quelques lignes du rapport de la commission d'enquête instituée en 1851.

« L'étalon de trait anglais a fait ses preuves dans notre pays ; elles ont été assez peu encourageantes pour que l'on ne soit pas tenté d'y retenir.

« La Flandre occidentale réclame, comme type améliorateur, la race percheronne ou boulonnaise. cette indifférence pour l'une ou l'autre race semble prouver que les auteurs de la proposition n'ont pas des idées bien arrêtées sur les appareillements convenables aux juments flamandes. Le percheron est un cheval de trait léger ; le boulonnais représente le type du gros trait. Ces races, ajoute-t-on, se développent d'une manière plus active que l'indigène.

« L'opinion émise est erronée. Le percheron a été mis à l'essai dans la province de Namur ; non seulement il ne transmet pas ses qualités, mais il communique quelques-uns de ses défauts ; l'on a de plus fait la remarque que les descendants du percheron sont d'un développement tardif.

« Le cheval boulonnais sort de la même souche que le cheval flamand ; toute la différence actuelle des deux familles ne peut résider que dans une meilleure conservation. Qu'attendre cependant de l'accouplement avec le boulonnais, si le mode d'élevage, d'alimentation ne se rapproche pas des méthodes adoptées dans le pays natal de ce dernier ? L'amélioration ne saurait être que momentanée ; les influences puissantes que nous venons d'indiquer ne tarderaient pas à reprendre leur empire et à effacer l'empreinte de la variété étrangère.

« La Flandre occidentale tient à maintenir la race dont elle est en possession, mais elle perd de vue que le principe conservateur est incompatible avec le mélange de sang étranger. Elle perfectionnera ses chevaux à l'aide de ses propres ressources, par la sévérité dans les expertises, et au moyen de quelques sacrifices en faveur des propriétaires d'étalons approuvés. »

Quelques honorables membres, l'honorable M. Vander Donckt entre autres, ne prétendent pas supprimer l'allocation, mais ils veulent la répartir entre les provinces.

Ce serait donc celles-ci qui feraient ce que l'Etat fait aujourd'hui et achèteraient des reproducteurs prélcnduement mieux appropriés aux besoins de chacune d'elles.

Ce système non seulement offre des inconvénients des plus graves, mais il n'est ni plus ni moins qu'impraticable.

Les provinces qui très probablement n'érigeraient pas de dépôt devraient placer les étalons chez des éleveurs comme on le fait aujourd'hui pour les taureaux.

Voyez donc où cela vous conduit.

Un des deux, messieurs, où vous devrez vous résigner à placer vos chevaux de race chez des fermiers, chez des cultivateurs n'ayant naturellement ni l'habitude, ni les connaissances, ni les gens nécessaires pour soigner votre cheval, ou vous devrez les répartir excessivement inégalement, laisser des contrées entières sans étalons, car ce n'est que de loin en loin que vous trouverez des éleveurs réunissant chez eux ces divers éléments, indispensables cependant pour le cheval de race. Cela est possible pour les taureaux, mais cela est absurde pour les chevaux de sang.

Où trouverez-vous le cultivateur qui, pour une rémunération éventuelle et qu'il ne pourra trouver en grande partie que dans le prix de la monte, voudra se munir d'un homme spécial pour soigner l'étalon, nourrir l'animal comme il doit l'être, et qui plus est, se charger d'une responsabilité assez lourde.

Vous n'en trouverez pas, messieurs, car ne perdez pas de vue que l'entretien d'un cheval dans des conditions pareilles s'élèvera au moins à 1,500fr.

Je ne vous parle pas encore alors du danger de confier des valeurs aussi considérables à des mains étrangères trop désintéressées pour avoir tous les soins nécessaires, et des pertes qui en résulteront évidemment.

Une idée plus pratique, messieurs, serait celle de placer le dépôt dans des écoles d'agriculture, lorsqu'elles seront organisées.

Il y aurait de cette façon économie ei surtout avantage en habituant les élèves aux soins, au maniement du cheval de sang.

Ce système-là me paraîtrait meilleur, et je me propose d'y revenir quand nous discuterons la loi d’organisation de l'enseignement agricole.

Nous avons encore l'amendement de l'honorable M. David.

L'honorable membre, au moins, y met des ménagements dont nous devons lui savoir gré.

Il nous laisse 9 étalons de sang. Juste 2 de plus pour la Belgique entière, que sous Henri VIII, chaque évêque d'Angleterre devait en entretenir à ses frais, comme vous le disait tout à lheure l'honorable M. Thiéfry.

Il est vrai, que l'honorable membre prend ses précautions et qu'il n'entend pas que les fonctions d'étalon soient une sinécure.

Il stipule nettement dans son amendement qu'ils devront fatre la monte.

Seulement son amendement n'est pas complet, il n'a oublié qu'une chose, c'est de désigner l'autorité qui sera chargée de constater l'aptitude du reproducteur.

Du reste, les défenseurs du dépôt d'étalons doivent remercier l'honorable membre de la manière dont il a vengé le cheval croisé des épithètes bien dures que lui avait adressées hier M. Mascart.

J'aime à constater cet éloge du cheval croisé, parce que, venant de la part de l'honorable membre, il ne peut être soupçonné d'exagération.

Seulement je concilie peu cet éloge avec sa proposition.

Au surplus, l'honorable membre ne nous épargne pas ces contradictions. D'une part, il veut en arriver à ce qu'on s'adresse à des étalons appartenant à des particuliers, et, de l'autre côté, il vous dit que 99 sur 100 de ces étalons laissent à désirer sous une multitude de rapports.

« Il ajoute même encore, et avec raison, que les membres de cette Chambre qui se sont occupés de l'élève du cheval savent parfaitement qu'il est infiniment trop onéreux, trop difficile et dangereux pour le cultivateur qui veut tenir un étalon, de le garder pour le faire servir à la monte exclusivement.

« Le chapitre des accidents, dit-il, est là ; la perte d'un étalon est une ruine pour son propriétaire sans compter qu'un étalon est un animal très incommode dans une écurie. »

L'honorable membre encore et toujours avec le plus grande raison regretterait de voir nos cultivateurs renoncer à l'élève du cheval croisé, (page 544) parce qu'il y a la pour eux un bénéfice réel et parce que cela nous dispense de recourir à l'étranger.

Et après toute cette défense du cheval croise, l'honorable membre conclut à un système de prime qui doit précisément faire tomber dans les inconvénients qu'il signale.

Au reste, ce système de prime même à 3,000 fr. ne peut rien produire.

Voici un calcul qui vous prouvera qu'avec ce système vous ne pourrez avoir que de mauvais étalons.

En bon étalon de pur sang coûte en moyenne aujourd'hui 10,000 fr.

Il gagnera 50 saillies à 10 fr., soit, 500 fr., Prime, 3,000 fr. Donc annuellement 3,500 fr. à défalquer.

Entretien, 1,500 fr.

Intérêt, 500 fr.

Reste, 1,500 fr.

Pour amortissement du capital pendant 10 ans, 15,000 fr.

Vente après 10 ans, 800 fr.

De façon que pour 5,800 francs de bénéfice éventuel, un éleveur devra courir toutes les chances défavorables, tous les inconvénients que l'honorable M. David a si bien signalés lui-même.

Espérer cela, messieurs, ce n'est ni plus ni moins qu'une utopie.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Pierre, je n'en parle pas.

Il y a un proverbe qui dit qu'il y a quelqu'un qui a plus d'esprit qu'un seul, c'est tout le monde ; eh bien, messieurs, n'en déplaise aux honorables membres qui proposent la suppression des haras, quelque confiance que je puisse avoir dans leurs lumières, il y a quelqu'un qui, pour moi, m'inspire plus de confiance qu'eux, ce quelqu'un c'est l'Europe entière, ce sont tous les gouvernements de l'Europe.

Pour se poser en exception, pour faire autrement que tout le monde, il faut être bien sûr de ce que l'on fait.

Je ne sais trop jusqu'à quel point mes honorables contradicteurs voudraient assumer cette responsabilité bien lourde à coup sûr.

En France on voulut aussi essayer de l'émancipation de l'industrie privée.

En 1790, au milieu de la tourmente révolutionnaire on voulut essayer de la liberté et se passer de l'intervention du gouvernement.

On dut bientôt se repentir de cette mesure. Un décret impérial rétablit les haras en 1806.

En 1833 un grand essor fut donné à la production, et en 1840 la France trouvait déjà de quoi opérer chez elle la remonte de toutes les troupes sur le pied de paix, excepté de la gendarmerie.

En Prusse, les haras sont établis depuis 1796. Les premières remontes furent faites en 1817 et ce n'est qu'en 1824 que l'on trouva les éléments nécessaires à la remonte entière de l'armée.

Dans le Wurtemberg, on ne s'en occupe sérieusement que depuis 1818. L'administration compte qu'il faut au moins encore dix ans avant que la race nouvelle soit bien établie.

Pour l'Angleterre, messieurs, aucun gouvernement au inonde n'a fait autant que le gouvernement anglais pour l'établissement et l'amélioration de la race chevaline.

Son action se faisait déjà sentir au Xème siècle et ne s'arrête qu'à la suppression du haras de Bamptoncourt, suppression déplorable et à laquelle est attribuée la dégénérescence de l'espèce chevaline en Angleterre.

Permettez-moi de vous citer, messieurs, une autorité de ce pays-là.

Voici l'extrait d'un article du journal anglais « the Veterinarian », écrit par M. Ch. Goodwin, vétérinaire des écuries de la reine d'Angleterre.

M. Ch. Goodwin, après avoir établi la dégénérescence de la race chevaline en Angleterre, en recherche les causes.

Il les trouve dans la suppression du haras de Hamptoncourt, et ne trouve d'autre moyen de prévenir la destruction totale de la vieille souche du cheval anglais que dans l'intervention de l'Etat.

La création d'un haras de l'Etat, la répartition des étalons en stations sont les seuls moyens de relever l'espèce chevaline, de sauver la réputation de l'Angleterre, de créer un type, de satisfaire aux besoins du pays et aux demandes de l'étranger.

Voilà une autorité que je suis heureux de pouvoir citer, parce que ce qu'il dit est à plus forte raison applicable à la Belgique et que je ne pense pas qu'on puisse discuter sa compétence en pareille matière.

Ceci c'est pour l'extérieur.

Mais à l'intérieur, messieurs, n'est-il pas étonnant de voir les adversaires du haras qui ne s'offenseront pas, je crois, de ce que je leur refuse à tous des connaissances hippiques très étendues, venir se mettre en opposition avec les membres de notre commission d'enquête, avec le conseil supérieur d'agriculture, avec les commissions provinciales d'agriculture,.

On vous jette sans cesse à la tête les intérêts de l'agriculture ; mais, messieurs, nos honorables adversaires prétendraient-ils les mieux connaître que ses représentants les plus directs ? Ce serait, là, me paraît-il. messieurs, une prétenttion tant soit peu exagérée.

Je ne nie pas qu'il y ait des améliorations à introduire, mais de là à la suppression complète il y a loin, me paraît-il.

Qu'est-ce qui a placé l'Angleterre si haut dans le monde industriel, C'est surtout le caractère de persistance attaché à toutes ses entreprises.

Ici, au contraire, nous sommes entachés d'un tel esprit de mobilité, d'un tel amour de modification, que nous n'avons pas sitôt fondé quelque chose que nous songeons déjà à la démolir.

C'est là, messieurs, le moyen de ne jamais faire rien de bon. Prétendre que toutes les localités du pays ont un intérêt égal à l'élève du cheval croisé, serait absurde ; mais ce qui est incontestable, c'est que celles qui n'ont rien à y gagner font une très minime exception.

D'ailleurs nous ne sommes pas ici, messieurs, pour discuter des intérêts locaux.

La distribution de la chaux à prix réduit, le défrichement des bruyères de la Campine et leur irrigation, ce qui a été fait pour les Flandres n'a pas été considéré par la Chambre comme des intérêts locaux.

Je prie les honorables membres signataires de la proposition de se le rappeler.

M. le président. - La parole est à M. Orban.

M. Orban. - Je m'étais en effet fait inscrire, mais la discussion menace de prendre des proportions tellement démesurées, que je crois bien faire de renoncer à la parole, pour épargner les moments de la Chambre. J'ai du reste communiqué à un de mes collègues également inscrits, les observations essentielles que j'avais à présenter.

M. le président. - La parole est à M. de Naeyer.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je prierai la chambre de vouloir ajourner ce débat à demain.

- Plusieurs membres. - Il n'est que quatre heures.

M. de Naeyer, rapporteur. - Les défenseurs du haras ont occupé à peu près toute la séance ; soyez justes, il m'est impossible de leur répondre en un quart d'heure.

Si cependant on le désire, je commencerai mon discours aujourd'hui sauf à le continuer demain. (Oui ! oui !)

Messieurs, mon intention n'est pas de discuter devant la Chambre une question de la science hippique. Je pense que la Chambre évitera d'aborder la solution d'un problème scientifique qui exige des études toutes spéciales et sur lequel les hommes qui ont vieilli dans la science et qui ont pâli sur les livres, sont loin d'être d'accord. Car sous ce rapport nous devrions presque tous décliner notre compétence, et cependant qu'on veuille bien le reconnaître, seuls nous sommes compétents pour décider si le haras continuera ou non d'exister.

Il importe donc, avant tout, de placer la question sur son véritable terrain, et ce terrain, le simple bon sens suffît pour l'indiquer : c'est celui de l'utilité de cet établissement au point de vue des vrais intérêts du pays, en appréciant les faits tels qu'ils se sont révélés par les sentiments du pays.

Avant tout, je me demande quel est le but de cet établissement, et ensuite quel est l'objet de la proposition de l'honorable M. Mascart ?

Messieurs, il faut bien le reconnaître, le but du haras est resté longtemps indécis aux yeux du pays, et je puis dire que cet établissement a vécu depuis plusieurs années sur une véritable erreur, sur une appréciation inexacte et fausse.

Le haras n'a aucunement pour objet d'améliorer nos races indigènes en conservant les types qui existent dans le pays et qui sont appropriés aux besoins, au sol, au climat, aux ressources de chaque localité. Tel n'est pas l'objet du haras. Première proposition.

Le haras a exclusivement pour objet de créer dans le pays une race nouvelle de chevaux, à savoir le cheval de selle et de léger trait, et ce résultat il s'agit de l'obtenir par voie de croisement avec l'étalon anglais. Voilà des promesses incontestables, voyons maintenant quelle est l'économie de notre système d'encouragement en faveur de l'industrie chevaline. C'est là le point essentiel de la discussion, et c'est sur lui que je vous prie de bien vouloir fixer votre attention.

Nous avons un haras qui figure au budget pour une somme de 210,000 francs et je prouverai tout à l'heure que la dépense va même au-delà qu'elle est de 240,000 fr., c'est-à-dire que nous donnons annuellement cette somme considérable pour introduire dans le pays une nouvelle race de chevaux. Par contre, il n'y a au budget que 20,000 fr. pour améliorer nos races indigènes, qui ont toujours été pour le pays une source de revenus certains et positifs, tandis que les résultats de la nouvelle industrie qui ne représente qu'une faible partie de notre population chevaline sont incertains et problématiques.

Eh bien, je dis que le pays ne veut plus de ce système, je dis que la Chambre n'en veut plus, et à cet égard je pourrais m'appuyer de nombreux témoignages.

Notre proposition, quel en est donc l'objet ? C'est de porter remède à ce système absurde, dirai-je, que nous pratiquons depuis trop longtemps, en négligeant en quelque sorte une vieille industrie productive pour courir après une nouvelle, dont les résultats utiles fuient pour ainsi dire devant nous.

Nous demandons la suppression du crédit de 100,000 fr. et on nous dit que ce n'est pas de la franchise. Vous voulez, dit-on, la suppression du haras et vous n'osez pas le dire. Ah ! par exemple ! Comme si ce haras nous faisait peur. Mais certainement, messieurs, la suppression du crédit de 100,000 fr. c'est bien la suppression du haras ; personne ne peut se tromper à cet égard.

(page 545) « Mais, dit-on, si vous voulez supprimer le haras, vous faites trop peu, et si vous voulez le maintenir vous faites trop. » Eh bien, messieurs, je dis que nous voulons supprimer le haras et que nous faisons assez pour le moment. Nous voulons supprimer le haras, puisque nous ne voulons pas que le gouvernement achète encore des étalons à l'étranger ; M. Thiéfry, qui est certes un des hommes les plus compétents, nous apprend que cette proposition équivaut à la suppression du haras. C'est vrai, nous sommes parfaitement d'accord, et cela ressortissait si clairement de notre proposition qu'il était inutile de le dire. Mais alors, nous demande-t-on, pourquoi ne supprimez-vous pas également les crédits affectés au personnel et au matériel actuel du haras ? Mais pour une raison excessivement simple, parce que le personnel du service du haras ne peut pas être congédié du jour au lendemain, et parce qu'on ne peut pas laisser crever de faim les étalons qui se trouvent actuellement dans cet établissement ; il faut bien les nourrir en attendant qu'on puisse les vendre. Nous maintenons donc les crédits dont il s'agit afin de permettre au gouvernement d'entretenir le matériel et de rétribuer les employés jusqu'au moment de la vente.

Maintenant nous n'avons pas voulu fixer l'époque où le crédit serait supprimé parce que nous sommes, qu'on nous permette de le dire, parce que nous sommes raisonnables, parce que nous voulons pas mettre le gouvernement dans l'embarras, parce que nous voulons lui laisser la latitude de choisir le moment le plus favorable pour réaliser la vente des étalons.

Si ces déclarations n'étaient pas encore satisfaisantes, eh bien, il suffirait d'ajouter au libellé des deux crédits en question les mots : « jusqu'à la vente prochaine des étalons de l'Etat. » Je pense qu'alors au moins tout serait dit et qu'on ne s'aviserait plus d'équivoquer sur les mots alors que les intentions sont bien claires et ne méritent certainement pas le reproche d'un manque de franchise.

En résumé, donc, messieurs, nous sommes parfaitement d'accord et avec l'honorable M. Pierre et avec l'honorable M. David ; comme eux nous voulons la suppression du haras.

Il y a plus, nous sommes encore parfaitement d'accord avec ces honorables membres pour vouloir que les fonds qui resteront disponibles par suite de la suppression du haras soient appliqués exclusivement aux vrais besoins de l'agriculture. Vous aurez remarqué, en effet, messieurs, que nous ne nous sommes pas contentés de demander la suppression du haras, mais nous avons signé aussi une autre proposition qui tend à augmenter le crédit destiné à la voirie vicinale.

Maintenant, messieurs, ne ferons-nous plus rien pour l'amélioration de la race chevaline ? Le crédit supprimé passera-t-il entièrement à des usages étrangers à l'industrie de l'élève des chevaux ? Telle n'est pas, je pense, l'intention de la grande majorité des signataires de la proposition, et, sous ce rapport, il y aura lieu d'examiner mûrement, dans l'ordre de la discussion, le système d'encouragement mis en avant par l'honorable M. David, homme très compétent, puisqu'il a fait son instruction à la bonne école, à l'école de l'expérience.

Ce système pourra être combiné avec celui proposé par l'honorable M. Mascart, et avec toutes les autres propositions dans le même but, qui pourront surgir dans le cours de la discussion. Mais évidemment, impossible d'examiner tout à la fois. J'en conclus qu'entre l'honorable M. David, l'honorable M. Pierre et les signataires de la proposition, il ne peut pas y avoir de discussion quant au principe ; j'en conclus encore que, pour mettre plus d'ordre dans la discussion, il conviendrait de voter par question de principe. Voici celle que je propose :

Comme j'ai eu l'honneur de le dire, nous donnons aujourd'hui 20,000 fr. pour l'exécution des règlements provinciaux sur l'amélioration de la race chevaline ; je demanderai que la première question de principe soit conçue en ces termes :

« Indépendamment du crédit de 20,000 fr. destiné à l'exécution des règlements provinciaux pour l'amélioration de la race chevaline, l'Etat continuera-t-il à s'imposer des sacrifices pécuniaires en faveur de ‘lindustrie chevaline ? »

Je mets tout le monde à l'aise ; cela ne préjuge pas même la suppression du haras ; cela sert uniquement à interroger l'opinion de la Chambre, quant à l'intervention pécuniaire du gouvernement en matière d'industrie chevaline. Cette première question étant, je le suppose, résolue affirmativement, il s'agit de savoir comment cette intervention du gouvernement doit avoir lieu, et à cet effet je proposerai les deux questions suivantes : 1° L'Etat conservera-t-il un dépôt d'étalons ? 2° Les encouragements en faveur de l'industrie chevaline seront-ils accordés au moyen de primes ?

On pourrait peut-être poser une quatrième question, savoir :

Les économies à résulter de la suppression du haras seront-elles employées exclusivement en faveur de l'agriculture ? Toutefois cette quatrième question serait probablement inutile en présence de l'opinion connue d'avance de la Chambre. Je pense que cette marche permettrait à chacun de voter en pleine connaissance de cause et avec une parfaite liberté. Les principes une fois décidés dans le sens des signataires de la proposition, viendraient les dispositions nécessaires pour ménager la transition du régime actuel au régime nouveau, quant au personnel et quant au matériel. Ensuite, il y aurait à organiser le système des primes, à en fixer le montant et le mode de distribution.

Je viens, je pense, d'indiquer clairement dans quel ordre d'idées doit marcher cette discussion.

Messieurs, le haras peut être envisagé à un triple point de vue ; d'abord, dans ses rapports avec les besoins de l'armée, et la question a été particulièrement traitée par l'honorable M. Thiéfry, encore une fois homme éminemment compétent ; ensuite, dans ses rapports avec l'agriculture ; en troisième lieu, dans ses rapports avec les conditions économiques du pays. Je tâcherai de me renfermer dans ce cercle d'idées.

Le haras est-il nécessaire pour les besoins de notre armée ? Doit-il, par conséquent, faire partie des sacrifices que nous devons savoir nous imposer pour le maintien de notre indépendance et de l'intégrité de notre territoire. Mais s'il en est ainsi, je voudrais bien qu'on cessât de nous le représenter comme un encouragement accordé à l'agriculture ; qu'on nous dise tout bonnement dans cette hypothèse que c'est un appât jeté aux cultivateurs, afin qu'ils produisent des chevaux de cavalerie.

J'ai une grande déférence pour les connaissances militaires de l'honorable M. Thiéfry ; cependant il me permettra de lui dire que je suis beaucoup plus influencé par son autorité, quand il s'agit de l'arme de l'infanterie que quand il s'agit de pourvoir aux besoins de la cavalerie, parce que je fais avant tout grand cas des hommes pratiques.

Vous le savez tous, messieurs, une grande commission a été instituée pour examiner tout ce qui concerne notre établissement militaire. Certainement cette commission n'a reculé devant aucune dépense reconnue nécessaire.

Il n'y a pas longtemps que nous avons pu nous en convaincre, elle n'a rien négligé non plus pour remplir sa mission, elle s'est occupée des moindres détails ; même la musique militaire a fait l'objet de ses graves délibérations.

M. Thiéfry. - Elle ne s'en est pas occupée.

M. de Naeyer, rapporteur. - C'est parce qu'elle ne s'en est pas occupée que je prétends que les besoins de l'armée n'étaient pas en cause.

Eh bien, cette commission a exigé l'intervention du gouvernement pour la fabrication des armes, elle ne l'a pas exigée pour la production du cheval de cavalerie.

Je défie bien l'honorable M. Thiéfry de me prouver le contraire. J'opposerai encore une autre autorité à l'honorable M. Thiéfry. Le grand Frédéric de Prusse comprenait assez bien, je pense, les questions militaires ; il trouva plus sage d'acheter à l'étranger les chevaux nécessaires pour sa cavalerie que de les faire naître dans son pays aux frais des contribuables par l'établissement du haras.

M. Thiéfry. - Qu'est-il arrivé ?

M. de Naeyer, rapporteur. - Cet exemple est de nature à faire cesser nos scrupules au point de vue des besoins militaires.

Voilà bien des années que nous avons trouvé moyen de remonter notre cavalerie en achetant une grande partie de nos chevaux à l'étranger.

Cet état est-il alarmant ? Pourquoi alors la commission a-t-elle gardé le silence ? pourquoi les besoins de l'armée à cet égard ne nous ont-ils pas été révélés par le chef du département de la guerre qui a la confiance de l'armée aussi bien que la nôtre, qui comprend ses devoirs et est à la hauteur de sa responsabilité ?

Je pourrais dire qu'on n'est pas recevable à mettre ici en avant les besoins de l'armée. Il y a un assez grand nombre de chevaux croisés dans le pays, pourquoi ne sont-ils pas employés dans l'armée ? Parce qu'un grand nombre sont porteurs d'une épithète qui les rend inadmissibles ; et que d'autres se vendent trop cher, qu'on peut s'en procurer à meilleur marché à l'étranger.

Voulez-vous gonfler encore le budget de la guerre, qui est déjà assez gros, afin de ne plus admettre dans votre cavalerie d'autres chevaux que ceux nés belges ? Je ne pousse pas jusque-là l'exclusivisme national.

Mais, messieurs, veuillez faire attention que pour réaliser cette idée d'employer des chevaux croisés pour la remonte, il faut autre chose que le haras, il faut au moins un dépôt de remonte, peut-être deux ; ce sont des établissements, nous dit l'honorable M. Thiéfry, qui coûteront peu de chose. Je ne pense pas qu'il soit dans les intentions de l'honorable membre de vouloir opérer un miracle. Or un établissement créé, dirigé, géré par le gouvernement et ne coûtant presque rien ou peu de chose, ce serait un véritable miracle, une véritable dérogation aux lois de la nature. Nous ne sommes pas assez novices dans la vie parlementaire pour ne pas savoir cela.

Mais on nous cite les grands pays qui nous entourent : l'Angleterre, la France, et on déploie devant nos yeux le tableau des efforts héroïques, persévérants qui ont été faits pour conquérir une nouvelle race de chevaux. Nous sommes avertis, nous savons ce qu'il en coûte pour arriver jusqu'au bout ; nous avons vu combien de difficultés il faut surmonter, combien de sacrifices il faut s'imposer pour arriver à ces grands résultats qu'on fait briller depuis longtemps à nos yeux.

Je trouve très dangereux de vouloir imiter les grands hommes, parce qu'on n'arrive souvent qu'à les singer. Je préfère les admirer, c'est plus modeste et plus prudent.

Cette maxime pourrait être vraie aussi en ce qui concerne les petites nations relativement aux grandes.

Avons-nous les mêmes nécessités militaires que ces nations, que la France, par exemple ? Ce grand pays peut se trouver en guerre avec tous ses voisins, cela s'est vu et peut se voir encore ; eh bien, dans de semblables situations, alors que toutes les frontières lui seraient fermées, il faut qu'il trouve en lui-même les moyens de remonter sa cavalerie aussi bien que de recruter son infanterie, sans cela il est écrasé. Allons-nous organiser notre armée en vue d’une pareille situation ? Mais si nous nous trouvions en guerre avec tous nos voisins, chose d'ailleurs impossible, pourrait-il encore être question de remonter notre cavalerie ?

(page 546) Voici ce qui peut arriver ; notre territoire pourrait être attaqué par l'un ou l'autre de nos voisins, mais il sera évidemment de l'intérêt de nos autres voisins, de nous défendre et a fortiori de nous vendre ses chevaux.

Messieurs, plaçant cette question sur son véritable terrain, est-ce bien l'armée qui proclame la nécessité de produire dans le pays les chevaux nécessaires à la remonte de la cavalerie ?

Evidemment non, ce sont les partisans de la nouvelle industrie qui réclament le débouché de l'armée pour ses produits. Voilà la vérité tout entière. Qu'est-ce que cela signifie ? Que le budget de l'intérieur ne suffit plus, qu'il faut encore une part au budget de la guerre. Voilà la signification de ce fait. Nous avons alloué au budget de l'intérieur 210,000 fr. pour la production des chevaux de la nouvelle race, eh bien, que sous une forme déguisée nous inscrivions au budget de la guerre une autre somme destinée à faciliter la vente de ces mêmes chevaux dont la production est déjà si onéreuse au trésor. Voilà le fin fond de l'affaire.

Je vais maintenant examiner la question au point de vue de l'intérêt de l'agriculture. Je demanderai à la Chambre de renvoyer la séance à demain.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.