(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 241) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Le sieur Capiau demande que son fils et enfant unique, qui a été incorporé dans l'armée avec la classe de 1852, soit libéré du service militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vancauwenbergh, employé en non-activité de l'administration des chemins de fer, réclame l'intervention de la chambre pour que sa position soit améliorée. »
- Même renvoi.
« Le sieur Aubert, ancien gendarme, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale demande la reprise par l'Etat de la rivière l'Yser et du canal de Plasschendaele par Nieuport et Furnes à Dunkerque. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Le sieur Cambier, ancien militaire, commis en disponibilité de l'administration des chemins de fer de l'Etat, réclame l'intervention de la Chambre pour que sa position de disponibilité vienne à cesser, ou que son traitement d'attente soit proportionné à ses besoins. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des entrepreneurs de messageries et voitures publiques prient la Chambre de rapporter la législation sur la poste aux chevaux. »
- Même renvoi.
« Des décorés de la croix de Fer prient la Chambre d'augmenter le chiffre qui est demandé pour leurs pensions. «
M. Roussel. - Messieurs, plusieurs décorés de la croix de Fer, parmi lesquels il y a des blessés de septembre, réclament pour obtenir une amélioration dans leur sort par l'augmentation du chiîfre porté au budget de l'intérieur et destiné à la récompense de leurs loyaux services. Les circonstances cruelles au milieu desquelles nous nous trouvons doivent nous engager à ne pas abandonner ceux qui ont versé leur sang pour la Constitution et pour la nationalité belge.
Je demande donc que la pétition dont il s'agit soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
M. Rodenbach. - J'appuie les observations de l'honorable M. Roussel. En présence de la cherté des vivres, il est nécessaire que nous venions en aide à ceux qui ont défendu la patrie et versé leur sang pour notre nationalité.
- La proposition de M. Ad. Roussel est adoptée.
« Le sieur Jacquinet, notaire à Hervé, demande la révision de la loi sur le notariat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Rouche, ancien sergent-major, réclame l'intervention de la chambre pour que le département des affaires étrangères donne suite à sa demande tendant à faire parvenir ses pièces au gouvernement français. »
- Même renvoi.
M. Coppieters, dont l'élection a été validée dans la séance d'hier, prête serment.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Bruxelles, le 10 décembre 1855, le sieur Roulot, ancien fermier, demande la prohibition à la sortie du froment, du seigle, de l'orge et de l'avoine.
Le pétitionnaire attribue la hausse qui s'est manifestée au marché de Bruxelles à la mesure qui permet la libre sortie des grains ; il en déduit que le bon sens et l'expérience sont préférables aux théories brillantes du libre échange, et termine en vous priant de prohiber immédiatement la sortie libre des céréales.
Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.
M. Van Renynghe. - Messieurs, en appuyant les conclusions de votre commission, je ne veux pas revenir sur un fait malheureusement accompli, au moins en ce qui concerne cette Chambre. Mais, à cette occasion, je crois qu'il est de mon devoir d'informer le gouvernement qu'il est venu à ma connaissance que l'on importe des céréales exotiques avariées, en remplacement, en partie, de celles de bonne qualité, récoltées dans notre pays qui sont, à peu près, toutes enlevées, au fur et à mesure qu'elles sont battues, pour s'infiltrer dans un pays voisin par les frontières de terre.
Ce fait mérite d'attirer une attention toute spéciale de la part du gouvernement.
On prend des mesures hygiéniques sévères à l'égard des viandes que la classe la plus intéressante de la société, à cause des malheureuses circonstances, ne peut consommer. Pourquoi n'en prendrait-on pas de même nature à l'égard des céréales qui sont actuellement l'unique nourriture du peuple ?
Je recommande donc, dans l'intérêt de la sauté publique, cet objet, d'une manière toute particulière, à la sollicitude du gouvernement.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. le président. - La discussion continue sur l'article 166 et les amendements.
M. de Mérode. - Les observations présentées par MM. Moncheur et Pirmez ne permettent pas d'opposer à leur prise en considération une fin de non-recevoir fondée sur de simples précédents. De ce qu'à une époque plus ou moins rapprochée de nous on n'établissait aucune peine quelconque contre la divagation à travers bois hors des chemins et sentiers d'usage, il n'en résulte point que cette faculté soit partout tolérable aujourd hui.
A la fin du gouvernement impérial français sous lequel nous avons vécu, presque tous les bois anciens, tels qu'on les voit sur la carte de Ferraris, subsistaient encore dans toutes les provinces, car le défrichement n'était pas libre ; et je ne crains pas de le dire, le défrichement sans restriction quelconque est une extension nouvelle et outrée du droit de propriété entraînant la ruine du sol dans certains lieux qu'il rend stériles, comme le disait dans cette enceinte feu M. Seron avec exacte connaissance des faits.
De cette faculté absolue que je déclare excessive et nuisible, ce qui prouve que je ne suis pas fanatique d'omnipotence pour le propriétaire forestier, dérive une très grande diminution des bois et leur quasi-disparition dans certains cantons du pays ; mais ce qui n'a pas disparu en même temps, c'est l'idée vulgaire dont l'origine a été fort bien définie par M. Pirmez, que le bois venant d'une manière à peu près spontanée, n'est pas un produit respectable au même degré que les autres récoltes, et que voler en bois une valeur de 20 francs est bien loin d'être un acte aussi condamnable que de soustraire adroitement à quelqu'un dans sa poche une pièce de 20 francs. La transformation d'une quantité considérable du sol jadis boisé et la permanence de l'idée fausse signalée par l'honorable député de Charleroi rend des mesures nouvelles indispensable pour la conservation de certains bois, surtout là où ils sont devenus les plus rares et les moins étendus, et où ils sont cependant les plus précieux à conserver, non pas seulement dans l'intérêt du propriétaire, mais dans l'intérêt de tout le monde.
La forêt de Buggenhout, par exemple, est la seule ressource des constructeurs dans une grande partie de la Flandre occidentale pour certaines pièces de bois très difficiles à trouver ailleurs, et si son propriétaire ne tenait à honneur de la conserver encore comme ornement et ressource du pays, il aurait plus de bénéfice à en réaliser toute la superficie et à en affermer le sol qu'à la garder telle qu'elle est.
Ailleurs il existe des bois de moindre importance qui servent de ressource aux habitants d'une ville ou d'un bourg, et qui sont cependant exposés à des déprédations continuelles, décourageantes pour le propriétaire et qui se décide à l'extirper. J'en connais plusieurs qui sont détruits par ce motif. C'est pourquoi l'on ne doit point assimiler tous les bois les uns aux autres.
Et loin de trouver mauvais que le juge, selon le projet de M. le ministre de la justice, ait la faculté d'appliquer l'amende de 2 fr. ou de ne pas l'appliquer, je repousserais la disposition qui serait rigoureuse et de stricte obligation pour lui, parce qu'elle deviendrait exagérée ; et comme l'a fort bien dit M. Moncheur, lorsqu'on laisse aux organes de la justice civile le droit d'apprécier tels actes inoffensifs en eux-mêmes d'un failli pour lui attribuer le stigmate de banqueroutier et deux ans d'emprisonnement, on peut bien leur laisser le droit de juger s'il y a lieu ou non de frapper celui qui s'écarte dans les bois, des chemins ou sentiers battus, d'une amende de 2 fr.
Notez, messieurs, qu'on ne pourra entraîner le délinquant présumé bien loin de son domicile, quand il sera question d'un bois de particulier puisque le délit sera de la compétence du juge de paix.
Celui qui se trouve hors des routes et chemins pose un acte illicite, disait hier M. Lelièvre. Admettons que le mot « illicite » soit un peu trop fort, toujours est-il au moins irrégulier, et s'il donne une grande facilité au maraudeur, ce qui est incontestable, y aurait-il injustice à réprimer cet acte quand il sera raisonnablement présumé nuisible au propriétaire ?
Tout propriétaire, réplique M. Orts, aura intérêt et propension à mettre bois de son bois à coups de procès-verbaux les gens qu'il y verra. Pour être exact, M. Orts aurait dû dire : Ceux qu'il y verra hors des chemins, car l'article n'atteint nullement la promenade ou le passage dans les chemins et sentiers pratiqués. Mais pour affaiblir des raisons comme (page 242) celles qu'ont produites MM. Moncheur et Pirmez, il faut bien forcer leurs conclusions et les outrer à plaisir pour les rendre inacceptables. M. Orts, de plus, a cité les droits d'usage qui s'opposent à ces conclusions.
Mais elles ne concernent en rien des droits d'usage. Dans un bois qui m'appartient, les habitants ont le droit de prendre tout le bois sec, même sur les arbres ; il est bien clair qu'ils ne pourraient l'enlever s'il leur était interdit d'en approcher partout où il est, hors des chemins comme près des chemins. Mais chacun sait que les privilèges locaux ne se rencontrent généralement que dans les contrées forestières, et non dans les cantons très peuplés où les bois existant encore sont spécialement exposés à un pillage qui leur porte les plus graves préjudices. C'est pour ceux-ci que nous appuyons la proposition de M. le ministre de la justice et s'ils sont défrichés faute de protection suffisante, que deviendra la sollicitude très mal entendue pour les promeneurs et fourrageurs à travers bois hors des chemins et sentiers battus ? Quant à moi, très ancien et habituel promeneur, je ne vois jamais détruire un bois sans regret, et c'est en faveur du promeneur inoffensif que je désire les moyens propres à lui conserver son but favori de promenade. En finissant, messieurs, je vous recommande, en raison de l'expérience que j'ai sur la matière comme un commerçant a l'expérience de ce qui regarde le négoce, de ne pas oublier que l'ancien système forestier a fait place à un ordre tout nouveau, ce qu'on ne se rappelle pas assez.
La maîtrise des eaux et forêts maintenait les derniers et ne livrait pas leur existence à la merci des volontés privées, comme aujourd'hui. Dès lors il faut encourager ces volontés privées à garder ce que la suppression des mesures d'ordre ancien ne conserve plus comme autrefois.
Messieurs, un dernier motif que je crois à propos de faire valoir, c'est l'accord qui doit exister entre les diverses branches du pouvoir législatif. Le Sénat a introduit un amendement dans la loi. Cet amendement, on ne l'adopte pas tel qu'il est, je le conçois. Mais enfin il faut que les pouvoirs publics transigent entre eux sur les questions plus ou moins douteuses. Si chaque pouvoir veut absolument faire la loi tout seul, il est inutile qu'il y en ait deux ; un seul suffit. Il est donc nécessaire de prendre en considération la proposition votée par le Sénat, et de s'en rapprocher autant que possible.
M. David. - Si j'ai bien compris le discours de l'honorable comte de Mérode, je dois en conclure qu'il nous a exprimé la manière de voir des grands propriétaires forestiers. Vous aurez très bien entendu que les grands propriétaires ne se tiennent pas pour satisfaits avec la faculté accordée au juge de condamner ou de ne pas condamner à une amende de 2 fr. le premier venu qui entrera dans une forêt, mais qu'ils veulent que ce soit une obligation.
M. de Mérode. - J'ai dit tout le contraire ; vous ne m'avez pas écouté.
M. David. - J'ai dit que je n'étais pas certain d'avoir compris votre discours ; si je me trompe, je reconnais avec plaisir mon erreur ; cependant je m'étais informé auprès de mes voisins avant de parler.
Du reste, messieurs, les arguments que je vais faire valoir en réponse au discours de l'honorable M. Pirmez et des orateurs qui ont pris la parole en faveur de l'amendement du sénat et de M. le ministre de la justice, répondront également aux observations de l'honorable M. de Mérode.
Notre honorable collègue, M. Pirmez, nous disait hier que l'existence des forêts était attachée à l'adoption de l'article ajouté au projet de loi par le sénat. Je demande, si cette observation était exacte, ce que seraient devenues jusqu'ici les forêts ? Car aucune des lois antérieures n'a interdit d'une manière absolue le parcours dans les forêts.
On s'est promené de tout temps dans les forêts, et les forêts existent encore ; elles sont magnifiques dans beaucoup de localités ; elles sont superbes partout où les propriétaires eux-mêmes ne les ont pas détruites, en ordonnant de couper les taillis d'une manière peu convenable à l'essence qui s'y trouvait, en faisant, par exemple, couper l'essence de chêne à la même hauteur de la souche que l'essence du mort-bois ; en laissant des réserves tellement exagérées en baliveaux, chétifs et malingres, que les taillis ont été complètement étouffés, ont été amaigris et ruinés.
Quant aux hautes futaies, pourquoi n'en avons-nous plus d'aussi belles aujourd'hui ? Ce n'est pas parce qu'on s'est promené dans les forêts ; c'est parce que les grands propriétaires ont le plus souvent laissé croître trop dru et ont conservé trop longtemps les gros arbres qui se trouvaient dans ces forêts, et que ces beaux arbres ont étouffé toutes les jeunes plantes, les jeunes baliveaux destinés à remplacer les arbres mûrs qui devaient être abattus.
Voilà quelques-unes des raisons qui ont amené le dépérissement de certaines forêts.
Il y en a encore d'autres. Beaucoup de propriétaires enlèvent l'humus de leur forêt par l'essartage ; d'autres en fauchant la bruyère pour la litière du bétail. Il y a beaucoup de moyens de faire du mal aux forêts et qui sont presque tous pratiqués par les propriétaires.
On dit que les forêts sont tellement mal protégées par la loi, qu'on est obligé de les défricher. Messieurs, détrompez-vous. Quels sont les propriétaires qui défrichent leurs forêts ? Ce sont ceux qui ne sont pas satisfaits du revenu de 800 à 1,000 fr. que rapporte, au bout de 20 ans, l'hectare de forêt. C'est là également le revenu moyen pour la haute falaie qui n'est mûre qu'à cent ou cent vingt ans.
On comprend dès lors que le propriétaire a intérêt à défricher ses forêts et à les transformer en terres arables qui lui rapporteront annuellement 120 fr. l'hectare. Il faut remarquer que l'on doit encore déduire du revenu de 800 à 1,000 fr. pour les forêts, les frais annuels de gardiennat et les contributions pendant 20 anées ; de sorte que le revenu est infiniment moins considérable que celui des terres arables. C'est là ce qui amène les défrichements dont se plaignent les honorables MM. Pirmez et de Mérode.
Nous devons, messieurs, laisser les forêts dans le droit commun. L'article 471 du code pénal régit réellement la matière. Mais cet article ne commine une amende que contre celui qui a causé du dommage à autrui. C'est dans ce sens que l'honorable M. Pirmez devrait vouloir l'application de la loi. Mais, bien loin de là, on veut punir correctionnellement, dans tous les cas, de deux francs d'amende celui qui sera trouvé hors bois et chemins dans une forêt.
Je demanderai, messieurs, quel tort fait un promeneur passant entre deux buissons ou entre deux arbres de haute futaie qui, pour avoir atteint 3 à 4 mètres de tour, doivent se trouver à une distance d'au moins 8 mètres. Le seul tort qui résulte d'un pareil fait n'atteint que les habits du promeneur, ils sont déchirés très souvent ; mais quant au propriétaire il ne lui est fait aucune espèce de tort quelconque. Laissez donc au droit commun le soin de punir ceux qui ont causé du dommage dans une forêt, mais ne tourmentez pas le promeneur inoffensif.
L'honorable M. Pirmez nous disait encore qu'il fallait faire des lois pour le pays et pour l'époque où nous vivons ; c'est aussi de cette manière que je l'entends ; mais alors ne retournons pas au temps où l'on pendait un manant pour avoir tué un lapin sur la propriété d'un grand seigneur ; faisons des lois qui soient en rapport avec les mœurs plus douces et la civilisation de notre époque.
L'honorable membre disait que le code forestier est beaucoup trop bénin. Eh bien, je crois savoir que plusieurs de mes honorables collègues voteront contre le code forestier parce qu'ils le trouvent trop sévère.
L'honorable M. Pirmez disait aussi : On punit bien plus fortement l'homme qui vole pour 20 fr. de drap que l'homme qui vole pour 20 fr. de bois.
Savcz-vous, messieurs, comment peut être puni celui qui vole pour 20 fr. de drap ? Un franc d'amende à 5 années d'emprisonnement. (Interruption.) Depuis la loi de 1849, c'est ainsi. Ou peut correctionnaliser beaucoup de délits.
Je vais maintenant, messieurs, citer quelques articles de ce code si bénin que nous nous occupons de discuter. Je commence par l'article 56. Il est ainsi conçu :
« L'adjudicataire ne pourra effectuer aucun travail de coupe ni d'enlèvement de bois avant le lever ni après le coucher du soleil, à peine de 50 fr. d'amende. »
Vous conviendrez, messieurs, que dans les longues journées d'été on peut très bien travailler dans les bois avant le lever du soleil, sans commettre un acte préjudiciable en quoi que ce soit ; on voit tout aussi clair avant le lever du soleil que pendant le reste du jour pour donner un coup de hache, appliqué de manière à ne point nuire aux souches, on ne fait pas plus de mal aux forêts avant le lever du soleil que lorsque le soleil est resplendissant : cet article, remarquez-le bien, ne s'applique pas à un délinquant, mais bien à un adjudicataire de coupe.
« Art. 57. Il est interdit à l'adjudicataire, à moins que le procès-verbal d'adjudication n'en contienne l'autorisation expresse, de peler ou d'écorcer sur pied aucun des bois de sa vente, sous peine d'une amende de 25 à 300 fr. »
Eh bien, messieurs, ce que vous voulez punir là, écorcer sur pied, cela se fait tous les jours et partout, parce que l'opération ainsi faite est beaucoup plus économique que de commencer par abattre le bois pour l'écorcer ensuite et qu'elle n'est point nuisible à la reproduction des souches.
« Art. 58. Toute contravention aux clauses et conditions du cahier des charges, relativement au mode d'abattage et d'exploitation des bois et au nettoiement des coupes sera punie d'une amende de 10 à 300 fr. »
Je vais citer, messieurs, deux opérations de ce nettoiement des coupes, et vous verrez combien l'amende est disproportionnée avec le délit, exorbitante.
Il est dit dans les cahiers des charges, qu'on doit éparpiller et niveler les taupinières et fourmilières.
Eh bien, un adjudicataire aura oublié de ravaler une taupinière ; il pourra être condamné à une amende de 100 fr., amende qui peut aller jusqu'à 300 fr.
Il y a des ronces dans votre coupe, vous ne les abattez pas, vous n'avez pas nettoyé votre coupe ; vous pourrez encore être condamné de ce chef à une amende de 100 à 300 fr. Voilà la bénignité de ces dispositions.
Que porte le second paragraphe de l'article 99 ? Le voici :
« Les porcs ou bestiaux de chaque commune ou section de commune usagère formeront un troupeau particulier et sans mélange de porcs ou bestiaux d'une autre commune ou section, sous peine d'une amende de 5 à 10 fr. contre le pâtre et d'un emprisonnement de 5 à 10 jours en cas de récidive. »
Les personnes qui n'ont pas encore vu des troupeaux communs parcourir les forêts, ne peuvent s'imaginer combien souvent il arrive de ces mélanges de troupeaux. Dans les chaleurs, par exemple, alors que les mouches tourmentent les animaux, il est pour ainsi dire impossible (page 243) de maintenir de grands troupeaux bien distincts ; le bétail s'écarte et va rejoindre un autre troupeau. Voilà donc un fait entièrement indépendant de la volonté d'un pâtre que vous pourrez condamner, la première fois de 5 à 10 francs, et en cas de récidive, d'un emprisonnement de 5 à 10 jours ; tout cela n'est pas si bénin !
L'article 107 contient les dispositions suivantes dans ses deux derniers paragraphes.
« ... Par chaque charge d'homme, de 2 à 5 francs.
« Les délinquants pourront, en outre, être condamnés à un emprisonnement de un à sept jours »
Eh bien, pour une charge d'homme de feuilles mortes qui vaudra peut-être tout au plus 5 centimes, vous allez punir de 2 à 5 francs d'amende et souvent de un à sept jours de prison celui qui s'est trouvé porteur de cette charge.
Il en est de même pour les genêts qui sont sans valeur, pour les bruyères qui en ont fort peu.
Voyons maintenant les articles 111 à 119.
Ces articles interdisent de bâtir à une certaine distance et dans l'intérieur des forêts ; ces articles ont un caractère draconien : ils exproprient, surtout depuis que nous avons assimilé les bois des communes et les établissements publics à ceux du domaine, ils exproprient peut-être un million de petits propriétaires en sortant complètement du droit commun ; en toute autre circonstance, vous le savez, messieurs, on peut planter à un mètre de la propriété du voisin, bâtir de la même manière et de plus bâtir sur la limite de l'héritage de ce voisin en rendant le mur mitoyen, etc.
Vous voyez donc qu'on n'a pris aucun soin de préserver les forêts : elles sont pour ainsi dire données en partage à tous les habitants de la Belgique.
Maintenant les art. 137 et 138 disent...
M. le président. - Vous passerez en revue toute la loi.
M. David. - M. le président, ce sont les deux derniers articles que j'ai à citer, mais je devais bien prouver à l'honorable M. Pirmez que les délits commis dans les bois étaient plus sévèrement réprimés que d'autres délits de même importance.
Ces articles décrètent que les procès-verbaux feront foi jusqu'à inscription de faux.
En aucune autre matière, il n'est interdit à l'accusé de se défendre au moyen des preuves légales. Ce n'est que pour la matière forestière que nous avons donné ce pouvoir exorbitant aux gardes. Encore une fois, nous n'avons pas protégé la propriété foncière ! Le croyez-vous maintenant. Je ne le pense pas.
L'honorable M. Pirmez vous disait que lorsqu'on serait armé d'un simple couteau on pourrait attenter aux tiges de taillis employées pour cintrer les bures de mines. Je ne sais si vous savez ce que c'est que le bois employé à cet usage. Ce sont des perches ayant au moins deux pouces de diamètre et de 23 pieds de hauteur.
M. Moncheur. - Ce sont des perches grosses comme le doigt.
M. David. - Alors c'est pour des bures à sable, car je suis certain que l'administration des mines ne vous autoriserait pas à conduire des travaux dans des bures cintrées, pour extraction de minerai, avec des bois aussi faibles et présentant si peu de garantie pour la vie des ouvriers. Dans la province de Liège on n'emploie que des bois de la dimension que je viens d'indiquer. Du reste, ce ne sont pas les promeneurs qui commettent de ces délits.
Celui qui veut commettre un semblable délit s'inquiétera peu de voite amende de 2 francs, il continuera à aller dans le bois quand il croira le moment favorable pour faire sa charge de cercles à cintrer les bures des mines.
Les deux francs d'amende n'empêcheront pas les délits, ce qu'ils empêcheront, ce sera les promeneurs honnêtes et inoffensifs de se rendre dans les forêts ; ceux-ci ne voudront pas s'exposer au mauvais vouloir des propriétaires, toujours jaloux de leurs droits.
Si la disposition proposée par le sénat et par M. le ministre des finances avait existé, l'honorable M. Pirmez lui-même, quoique grand propriétaire de bois, aurait été 50 fois peut-être traduit comme délinquant.
M. Moncheur qui a été procureur du roi, je pense, aurait dû aussi très souvent rendre compte au tribunal de ses excursions dans les bois.
M. le ministre de la justice lui-même est allé, sans doute, souvent se promener dans la forêt de Soignes ; donc lui aussi aurait été exposé à comparaître devant le tribunal correctionnel pour promenade illicite d'après l'amendement. Enfin quel est celui d'entre nous qui pourrait avoir la conscience tranquille ?
L'honorable M. Lelièvre disait l'autre jour : Le fait de se trouver dans les bois d'autrui est illicite. La commission est de son avis, mais veut laisser ce point dans le droit commun : quand le propriétaire sera gêné, trouvera mauvais qu'on parcoure son bois, il fera arrêter le promeneur et le traduira devant les tribunaux.
L'honorable M. Moncheur et avant lui M. le ministre de la justice ont prétendu que les articles 163 et 164 qu'on avait cités comme applicables en ce cas ne l'étaient pas.
Cependant, en les lisant on voit que tout dommage apporté aux souches des taillis tombe sous l'application de ces articles. En effet, l'article 163 porte : « Quiconque arrachera des plantes dans les bois et forêts sera puni d'une amende quadruple de celle portée à l'article précédent. »
L'article 164 porte : « Quiconque aura endommagé les souches par attache ou de toute autre manière sera condamné à une amende de 50 centimes par souche atteinte, etc. »
Je demanderai à M. Moncheur s'il est possible de froisser une tige, d'arracher une branche de taillis sans entamer la souche ; je demanderai si le fait de fouler les tiges d'une souche ne tomberait pas sous l'application de l'article 164, car il n'est pas seulement question des souches qui pourraient être écornées par l'essartage ; mais tout dommage causé de quelque manière que ce soit en foulant sous le pied ou en coupant une baguette est punissable ; donc l'article 164 punit le fait d'avoir causé un dommage dans un taillis en le traversant.
Que le garde examine le mal que peut produire un passant, et s'il l'a constaté qu'il lui fasse un procès-verbal, et l'article 164 lui sera applicable.
On nous dit qu'il sera défendu de traverser les forêts, hors des voies et chemins. Ce n'est pas clair. Est-ce que l'on pourra circuler seulement dans les chemins publics, dans les chemins vicinaux ? Ou est-ce que les chemins de vidange ou de service ne seront pas compris dans les parties de la forêt qui pourront être traversées par le promeneur ? Voilà une question que j'adresse à ceux qui ont demandé de renforcer la loi, au point de l'article 166.
L'amendement de l'honorable M. Orban est extrêmement vague. Qu'est-ce qu'on entendra par « arme » ? Est-ce qu'un militaire sera considéré comme en armes, lorsqu'il traversera une forêt avec une épée, un sabre, une baïonnette ? Voilà ce que je désirerais savoir. D'un autre côté, je ne sais quel mal on pourrait faire à une forêt, avec une épée, une baïonnette, ou un sabre.
Du reste, s'il est question de fusil, je crois que le fait est prévu par la loi sur la chasse. Nous avons dans cette loi un article qui, si je me le rappelle bien, porte que lorsqu'on chassera avec des chiens courants, on sera obligé de suivre ses chiens pour aller les rompre. Le plus souvent les chiens courants poursuivent le gibier dans les bois.
Je ne sais si, en me conformant à la loi sur la chasse, je ne m'exposerais pas à tomber en plein sous l'application de l'article 166 et à être traduit devant les tribunaux correctionnels, pour être condamné à une amende de 2 francs. Je voudrais que M. le ministre de la justice examinât cette question.
On nous a beaucoup parlé de la mansuétude des grands propriétaires. Je les crois trop jaloux de leur propriété pour ne pas s'emparer mmédiatement de l'article et isoler ainsi complètement leurs forêts. Mais s'ils ne le font pas, les gardes ont trop d'intérêt à le faire pour ne pas exécuter immédiatement l'article et très sévèrement même. Le seul fait d'entrer dans la forêt devenant un délit d'après la disposition de la loi, tous les gardes s'empresseront de dresser procès-verbal contre ceux qui entreront dans les forêts pour être plus tranquilles ensuite ; quand ils auront dressé quelques procès-verbaux ils pourront rester tous tranquillement au coin de leur feu ; ils n'auront plus besoin de faire leurs tournées aussi souvent, puisque tous les gens qui seront dans les forêts deviennent des délinquants. Vous n'aurez donc plus personne dans les forêts. Les propriétaires pourront supprimer la moitié de leurs gardes, et ceux qui resteront pourront rester dans leur chambre ou dans leur lit, sans faire leurs tournées ni de jour ni de nuit.
On nous dit toujours : Les tribunaux apprécieront ; mais qu'est-ce que cela veut dire ;? Le plus souvent, j'en suis convaincu, les tribunaux acquitteront. Mais pour en définitive ne pas être condamné, un ouvrier devra faire six lieues, prendre un avocat ou un avoué pour présenter sa défense.
Les frais de justice sont énormes ; et en cas d'acquittement le prévenu devra payer les honoraires de son avocat, qui ne sont pas passés en taxe. Car remarquez que je ne parle pas du cas de condamnation, mais du cas d'acquittement. L'ouvrier aura, dans tous les cas, perdu plusieurs journées. C'est pour lui une véritable banqueroute.
J'ajouterai une dernière considération que je trouve la plus forte. Aucune législation étrangère n'érige en délit la circulation dans les bois, quand on n'y fait pas de mal.
Nous Belges, au XIXème siècle, nous allons imaginer une nouvelle espèce de délits, attraire une quantité de personnes innocentes devant les tribunaux. Ainsi l'on ne connaîtra plus la honte d'être traduit devant le tribunal correctionnel.
C'est extrêmement dangereux. Nous allons démoraliser les populations. N'inventons pas de nouveaux délits pour des vétilles pareilles. Si l'article, tel que le sénat le propose, existait depuis 30 ans, je suis persuadé que toute la ville de Bruxelles serait passée devant le tribunal pour s'être promenée dans la forêt de Soignes.
Il ne faut pas augmenter inutilement le nombre des délits, ne pas attraire les innocents devant les tribunaux ; surtout quand la majorité des prévenus se composera d'enfants, plus portés que les personnes plus âgées à courir dans les bois pour mille causes d'amusements différents.
Je voterai contre l'amendement du Sénat et de M. le ministre de la justice.
M. Orban. - Je serai très bref. Il y a deux ou trois jours que nous discutons sur un article du code forestier qui, à mes yeux, n'a pas une très grande importance, ce qui ne me semble guère conforme aux règles de la justice distributive.
J'ai présenté un amendement tendant à ajouter le mot « armes » à l'énumération des instruments qui aggravent le délit de celui qui est trouvé dans les forêts, hors des chemins. Si ce qui milite en faveur de la (page 244) disposition c'est que celui qui se trouve hors des chemins est présume vouloir commettre un délit forestier, à plus forte raison peut-on invoquer cette circonstance contre celui qui se trouve dans la forêt porteur d'une arme à feu.
Dans les considérations développées par l'honorable M. Moncheur, qui militent en faveur de l'interdiction de se trouver dans les bois d'a-trui, hors des voies et chemins, il a cité des motifs de sécurité publique d'un ordre élevé. Contre la faculté laissée à chacun de circuler dans les bois, il a fait valoir que c'était souvent pour commettre des crimes contre les personnes que l’on se cachait dans les bois. A ce point de vue, il est évident que la présence d'un individu en armes offre un danger bien plus grand que la présence d'un individu porteur d'un instrument propre à la perpétration d'un délit forestier. De plus, il y a un délit contre le propriétaire que peut commettre le porteur d'une arme à feu. Je veux parler du délit de chasse.
Le droit de chasse est pour le propriétaire de bois un droit auquel il attache une grande importance, et qui a une valeur commerciale, puisque ce droit s'aliène, et s'afferme comme les autres produits d'un bois. Sous ce rapport, il est évident que le porteur d'une arme expose le propriétaire d'un bois à un danger auquel ne l'expose pas celui qui circule dans les bois sans arme.
Remarquez que, d'après les règles du droit, l’individu muni d'un port d'arme peut se trouver avec une arme dans la forêt d'autrui. Vous n'avez nullement le droit d'interdire la circulation dans votre forêt au porteur d'un fusil de chasse, muni d'un port d'arme, sous prétexte qu'il est entré dans votre bois pour commettre un délit de chasse ; vous devez tolérer sa présence ; le moyen de l'empêcher, c'est de considérer cette circonstance comme une aggravation de délit qui est aussi bien justifiée que les autres aggravations de délit dont il est question dans l'article.
M. Vander Donckt. - Messieurs, j'aurai l'honneur de vous soumettre quelques observations à l'appui de l’mendement de l'honorable ministre de la justice.
Je ne comprends vraiment pas l'argumentation de nos honorables adversaires.
Si vous entendez les honorables MM. Orts et Tesch, ils vous disent que toutes les mesures sont prises pour garantir la propriété des terrains boisés.
Si au contraire nous entendons l'honorable M. Dumortier, il vient vous dire : Il y a pour le public une servitude acquise en faveur des promeneurs dans les bois. Dieu a fait les bois pour s'y promener. Je vous demande, messieurs, ce que signifient ces paroles.
L'honorable M. Orts vous dit encore : Ou conserve à chacun le droit de se pourvoir en justice contre les atteintes portées à la propriété. D'accord sur ce point avec l’honorable M. de Theux, l'honorable M. Orts vous dit : Le propriétaire a le droit d'engager le promeneur à se retirer ; si celui-ci refuse, le propriétaire a l'action civile en dommages-intérêts. Il a toujours le droit de prendre le maraudeur par le bras et de le faire expulser par son garde. Si le maraudeur résiste, il y aura rébellion, et la peine sera beaucoup plus sévère.
Je demande, messieurs, comment il est possible de concilier ces deux opinions. Je ne comprends plus quels sont les droits du propriétaire qui a consacré un capital à l'acquisition d'un bois. Je prie mes honorables adversaires de vouloir bien déterminer ces droits ; alors on saura à quoi s'en tenir. Avant de faire l'acquisition d'un bois, on saura à quelle condition ; on saura si l'on aura un droit exclusif de propriété ou si la propriété que l'on acquiert est entachée de servitude.
Messieurs, si vous n'adoptez pas l'amendement proposé par l'honorable ministre de la justice, je vous préviens que vous allez nuire d'une manière excessivement dangereuse et faire un tort immense à la propriété et diminuer singulièrement ïa fortune publique. Car les terrains boisés dans nos provinces sont en ce moment fortement dépréciés par l'absence des mesures répressives ; et si vous continuez à permettre que nos bois soient constamment ravagés par les maraudeurs et par ceux qui, sans droit aucun, y viennent exercer leur coupable industrie, la propriété boisée est abandonnée au vague le plus arbitraire. Aussi, c'est par ce dernier motif, comme vous l'ont dit d'honorables préopinants, qu'on ne conserve plus de terrain boisé, à moins qu'il n'y ait pas possibilité de le défricher.
Messieurs, aujourd'hui, il ne faut pas l'oublier, les bois sont des propriétés dont le revenu est excessivement minime et même presque nul. Car, dans nos provinces, les bois taillis donnent à peine un revenu suffisant pour payer les frais de garde et la contribution foncière qui y est bien autrement importante que dans le Luxembourg et dans les Ardennes. Il n'y a que le produit des arbres de haute futaie qui rapporte au propriétaire ; et vous savez qu'il faut uu temps très long pour pouvoir recueillir les fruits de cette nature de bois.
On a prétendu qu'il n'y aurait pas unité de jurisprudence en Belgique, parce que nous aurions certains arrondissements où le fait pourra toujours être puni, tandis que dans d'autres il ne serait pas puni du tout. Autre argument plus spécieux que solide ! Dans un pays aussi différent de mœurs, de langage, d'habitudes et de besoins locaux, vouloir l'unité de jurisprudence, c'est une utopie. Je vous rappellerai à cet égard la loi sur les chemins vicinaux ; n'avez-vous pas laissé aux provinces le soin de réglementer cette matière ? Eh bien, dans une même province, il y a des arrondissements et des fractions d'arrondissements où l'entretien des chemins est une charge des riverains, et d'autres où cette charge est communale, selon la nature forte ou sablonneuse du terrain, selon les usages locaux et la question des bois. Dans les Ardennes, dans le Luxembourg, il y a des bois d'une immense étendue et le pays est très peu peuplé. Dans les Flandres, au contraire, il y a une population pauvre très nombreuse et des bois, en général, d'une petite étendue ; car la propriété y est très morcelée. Eh bien, ce règlement, appliqué d'une manière si différente, y fonctionne parfaitement bien et est approprié aux usages et à l'esprit des populations. Pourquoi n'en serait-il pas de même du Code forestier ;?
Je dirai encore un mot quant aux outils et aux instruments dont il est fait mention à l'article 166 de la loi. Il y a d'autres instruments au moyen desquels on peut nuire dans les bois taillis ; ces instruments sont ceux que la nature a donnés aux maraudeurs. Quand on s'engage dans les taillis et qu'on arrache les branches, la blessure faite à la tige mère est infiniment plus profonde et plus dangereuse que celle faite au moyen d'instruments tranchants. Ainsi le maraudeur, en se transportant dans les bois, n'a pas le soin d'être muni d'outils ou d'instruments pour faire considérablement de dégâts sans instruments. Les éperons de bûcheron, un bout de corde même suffit aux jeunes maraudeurs pour grimper sur les arbres. Si vous leur permettez d'entrer librement dans les bois et de se promener en dehors des chemins, quel moyen aurez-vous de les empêcher de grimper sur les arbres et de vous dire : Je veux respirer un air plus pur encore ; vous vous promenez sur le sol, moi je me promène sur les arbres. (Interruption.)
Messieurs, si vous permettez une promenade dans les bois, vous accordez un privilège singulièrement grand aux maraudeurs et aux braconniers ; car vous leur facilitez le moyen de venir placer leurs lacets et leurs bricoles dans les bois en dehors des chemins. C'est là le moyen de les dérober à la vigilance des gardes. C'est encore une raison qui doit vous engager à admettre l'amendement de M. le ministre de la justice.
On s'est appesanti sur les droits des chasseurs.
Eh bien ! si vous voulez conserver la chasse convenablement, éloignez des bois les braconniers, car ce sont eux qui font le plus de dégât dans le gibier.
Un dernier mot en ce qui concerne la disposition introduite dans la loi par le Sénat. L'honorable M. de Mérode vous l'a déjà dit, la disposition votée par le Sénat mérite tous nos égards. Mais ce qu'il n'a pas ajouté, et je le ferai, c'est que le Sénat n'a proposé cette mesure que pressé par les plaintes fréquentes et incessantes de nos provinces concernant les dévastations des bois.
C'est là le motif qui a engagé le Sénat à prendre une mesure et si le Sénat a été un peu trop loin, si vous trouvez que nous ne pouvons admettre cet amendement dans notre code forestier, au moins faut-il admettre la proposition très modérée de M. le ministre de la justice. Cette proposition ne préjuge rien ; le juge appréciera les cas et appliquera ou n'appliquera pas l'amende selon la nature du délit. Ainsi l’honorable M. David a demandé si l'on ne permettait plus le passage dans les bois que dans les chemins portés au plan cadastral, ou si on le permettrait aussi dans les chemins de vidange, etc. Ces questions sont laissées à l'arbitrage du juge ; le juge, je le répète, appréciera le fait et condamnera, s'il y a lieu.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je désire communiquer à la chambre quelques réflexions très courtes sur l'amendement de l'honorable M. Orban.
Il vous propose d'introduire dans la disposition, après l'énumération des cognées, haches, scies et autres instruments, les armes à feu. Je pense, messieurs, que la chambre ne peut pas s'associer à cet amendement, et voici les raisons de principe qui me semblent s'y opposer. Il s'agit, d'après cette énumération comme d'après le but même de l'article, d'une circulation avec des instruments qui établissent la présomption légale que les porteurs de ces instruments avaient l'intention de commettre un délit dans la forêt, c'est-à-dire de couper des branches, de blesser des arbres, etc., l'arme à feu ne peut pas servir à commettre un pareil délit. Ce serait, par conséquent, sortir de la spécialité de la loi que d'introduire les armes à feu dans l'énumération de l'article. Ce qui regarde les armes à feu, la circulation illicite d'un chasseur dans un bois, les délits de chasse, en un mot, est réprimé par la législation spéciale surla chasse. Je pense donc, messieurs, que si vous adoptiez cet amendement, ce serait étendre la disposition à un ordre de choses pour lequel la loi dont nous nous occupons n'est point faite, ce serait créer ici un délit, une contravention tout à fait en dehors de la série de faits que la loi nouvelle concerne. Je pense qu'il ne faut pas confondre des matières si différentes ni introduire dans l'article une véritable disparate.
Quant aux considérations assez développées qui ont été présentées hier par l'honorable M. Orts, et aujourd'hui par l’honorable M. David, je devrais parler un peu longuement, peut-être me répéter. Je viens d'entendre demander la clôture ; si la Chambre se croit suffisamment éclairée, je renoncerai volontiers à la parole.
- La clôture est prononcée.
L'amendement de M. le ministre de la justice est mis aux voix par appel nominal et adopté par 49 voix contre 27. Un membre (M. Coppieters) s'est abstenu.
Ont voté l'adoption : MM. Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Ansiau, (page 245) Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, de Baillet (H.), de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.) de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Portemont, de Renesse, de Ruddere, de Steenhault, de Theux, de Wouters, Dumon, Jouret, Julliot, Landeloos, Le Hon, Lelièvre, Magherman, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moxhon, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle (Ch.) Thibaut, Thienpont, T’Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorebeke et Van Iseghem.
Ont voté le rejet : MM. Allard, Closset, Dautrebande, David, de Bronckart, Deliége, de Perceval, Devaux, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Lange, Laubry, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Moreau, Orts, Pierre, Roussel (A.), Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Grootven et Delfosse.
M. Coppieters. - Je me suis abstenu, messieurs, parce, que, assistant aujourd'hui pour la première fois aux délibérations de la chambre, il m'a été impossible de me former une opinion sur la disposition dont il s'agissait.
- L'amendement de M. Orban est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'ensemble de l'article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Il reste à voter sur l'article 182. Cet article avait été ajourné par suite de quelques observations de M. Lelièvre et à la demande de M. le ministre de la justice. M. le ministre de la justice a fait connaître, depuis lors, qu'il ne voit pas d'inconvénient à ce que l'article soit adopté tel que l'ont proposé le Sénat et la commission de la Chambre.
L'article 182 est ainsi conçu :
« Les procès-verbaux dressés par les gardes des bois des particuliers seront remis au procureur du roi ou au commissaire de police de la commune ehef-Iieu de la justice de paix ou au bourgmestre dans les communes où il n'y a point de commissaire de police, suivant leur compétence respective, dans le délai d'un mois à dater de l'affirmation. »
- L'article est mis aux voix et adopté.
Le second vote du projet de Code forestier est fixé après le budget des travaux publics et celui de la guerre.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Non, M. le président.
M. le président. - En conséquence, la discussion s'établit sur le projet du gouvernement. La discussion générale est ouverte.
M. Rodenbach. - Messieurs, je ne m'opposerai pas au projet de loi, parce qu'il tend à faciliter considérablement les calculs des employés et des contribuables eux-mêmes.
Je voterai le projet de loi, quoiqu'il y ait une augmentation pour les bières et vinaigres, tandis que pour les vins étrangers il y a une diminution.
Tout en votant pour le projet de loi, je dirai que je ne suppose pas au ministère l'arrière-pensée de rétablir plus tard les 26 centimes additionnels qu'on veut supprimer aujourd'hui. Il s'agit de l'industrie la plus importante du pays. Dans les années ordinaires, lorsque le prix des grains n'est pas élevé comme actuellement, elle a une importance de 75 à 80 millions. Elle paye à l'Etat un impôt de 6,600,000 francs. C'est sur la classe moyenne et même sur la classe ouvrière que pèse cet impôt. Je n'en dirai pas davantage. Je répète seulement que j'espère bien que le gouvernement ne viendra pas proposer de rétablir plus tard les 26 centimes additionnels.
M. de La Coste. - Messieurs, je ne m'opposerai pas non plus à l'adoption du projet de loi. Je ne pense pas qu'il faille se roidir et se hérisser pour une bagatelle. Je fais cependant observer qu'il est assez extraordinaire qu'au moment où, par le changement, on accorde une légère faveur aux boissons étrangères, on aggrave légèrement, il est vrai aussi, la charge pour les boissons fabriquées à l'intérieur, en leur imposant le timbre fixe de 25 centimes au-delà de celui qui forme la compensation pour le trésor. Il me semble qu'il n'aurait pas fallu chercher ce léger bénéfice, tandis qu'il y a un bénéfice réel dans l'économie des écritures et par suite dans l'économie de personnel qui résultera de la loi elle-même, sans ce petit gain qu'on a voulu se ménager en dehors de la condition principale.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je me demande s'il est bien nécessaire de prendre la parole pour soutenir le projet du gouvernement, attendu que personnelle demande la parole pour le combattre. Cependant j'entrerai dans quelques explications en réponse aux observations consignées dans le rapport de la section centrale.
Messieurs, les Chambres saisissent toutes les occasions pour recommander au gouvernement de simplifier autant qu'il est en lui, les écritures si nombreuses de l'administration centrale. En effet, dans ce siècle paperassier, ce n'est pas un petit service qu'on rend tant à l'administration qu'aux contribuables, lorsqu'on parvient à simplifier les rouages administratifs et la complication des écritures.
Ces simplifications sont de deux genres ; les unes peuvent se faire par arrêté ministériel ; celles-là on les poursuit sans relâche : les autres doivent avoir l'assentiment des Chambres, et le projet de loi tend à consacrer une simplification de ce genre.
Messieurs, en vous présentant ce projet, je n'ai fait que suivre les traces de mes prédécesseurs ; car déjà sur les eaux-de-vie, sur les sucres, sur le sel, on a, par diverses lois, supprimé les centimes additionnels et on les a réunis au principal. Eh bien, c'est encore ce que les deux projets de lois qui vous sont soumis, ont pour objet.
Voici l'origine du premier de ces projets. La loi de 1822 fixe l'accise sur les bières en florins ; ce qui produit par hectolitre de capacité de cuve-matière un franc 48 centimes 8 dixièmes. Une loi de 1839 ordonne que ce principal soit augmenté de 26 p. c. Or, 26 p. c. sur un franc 48 centimes 4 dixièmes, forme 38 centimes 584 millièmes.
Ce n'est pas tout : un timbre de 10 p. c. a été imposé par la loi de 1829 ; 10 p. c. sur la somme que je viens d'indiquer forme 18 cent. 6984/10000.
C'est assez vous dire que quand un petit brasseur surtout, c'est là qu'on rencontre le moins de connaissances mathématiques, quand un petit brasseur se présente chez le receveur et fait une déclaration de 380 hectolitres et 25 litres, par exemple, c'est pour ce chiffre fractionnaire que le droit doit être calculé ; il lui est impossible de vérifier les calculs et de voir par lui-même ce qu'il doit au trésor. D'autre part, il est impossible, fût-on Barème, d'être sûr de ne pas se tromper une fois dans des multiplications aussi compliquées qui arrivent à une série de dix chiffres.
C'est pour introduire une simplification dans le calcul du droit que le projet est présenté ; ce ne sera pas seulement un avantage pour l'administration, mais aussi pour le contribuable. Remarquez que le calcul, établi par le receveur, doit être vérifié par le contrôleur d'abord, puis par l'inspecteur lors de sa visite ; et que ces opérations sont encore vérifiées par l’administration centrale. Il serait difficile d'énumérer les heures qu'on perd chaque année en faisant des multiplications aussi compliquées.
Pour le public, il y aura un double avantage.
Le fabricant gagnera du temps ; une déclaration qui lui demande une heure peut-être aujourd'hui sera établie eu quelques minutes. Il se trouvera, en outre, dans cette position avantageuse de pouvoir s'assurer s'il n'y a pas d'erreur dans la somme qu'on lui fait payer. Ce n'est pas tout ; dans l'ancien système, quand une légère erreur, fût-ce une fraction de centime s'était glissée dans un calcul, comme la plus grande régularité doit régner dans les comptes de l'Etat, il fallait une ordonnance de la cour des comptes pour restituer au contribuable ce qu'il avait paye en trop. De là des écritures, des correspondances sans nombre.
La seule objection de la section centrale, c'est qu'il n'y a pas lieu d'augmenter l'impôt sur les bières. Quand on y regarde de près on a peine à se rendre compte d'une pareille objection. Le produit de l'impôt sur la bière a été en diminuant depuis 1840, non pas qu'on consomme moins de bière, la prospérité et l'augmentation de la population seraient là pour protester contre cette supposition. C'est le progrès de l'industrie et non la réduction de la consommation qui a amené la réduction des recettes.
De la même capacité de cuve-matière, le brasseur trouve moyen de tirer une plus grande quantité de produits.
En 1851 le produit de l'impôt sur la bière était de 7,131,829 francs, en 1852 il n'était plus que de 6,386,000 francs, ce qui fait une diminution de près de 700 mille francs.
En présence de ces chiffres peut-on considérer comme augmentation la somme presque imperceptible de quatorze mille francs.
En résumé l'impôt sur les bières est diminué de 32 centimes par tête d'habilant et je l'augmente de 1/13 de centime.
L'honorable M. Rodenbach vient de demander si, après avoir supprimé les centimes additionnels en les réunissant au principal, le gouvernement ne sera pas tenté de les rétablir. Je réponds que le passé répond de l'avenir.
La simplification que je demande, vous l'avez introduite pour les sucres, pour les eaux-de-vie indigènes et étrangères et pour le sel ; il n'est entré dans la pensée de personne de rétablir les centimes additionnels ainsi réunis au principal.
Je me bornerai à ces observations. Quand nous en serons au deuxième projet, je donnerai quelques explications.
M. Allard, rapporteur. - La section centrale a compris que la mesure proposée devait amener une grande simplification pour l'administration centrale ; elle a cru cependant que le moment n'était pas venu d'augmenter une deuxième fois l'impôt sur les bières.
Il y a trois ans, nous avons voté une nouvelle loi sur le mode de procéder au jaugeage des cuves-matières.
Le gouvernement a dit alors que le nouveau mode amènerait 300 mille francs de recettes de plus au trésor. Aujourd'hui, c'est une légère augmentation, il est vrai, qu'on propose encore.
Remarquez que ce n'est pas le consommateur qui supportera cette augmentation, c'est le brasseur ; il a été impossible de faire supporter par le consommateur une augmentation de 500 mille francs, il en sera de même des 21 à 22 mille francs d'augmentation qui résulteraient du projet qui nous occupe.
M. le ministre dit qu'elle ne sera que de 14 mille francs.
Il oublie d'ajouter qu'il fera payer aux brasseurs 7,500 fr. pour droit de quittance. Je ferai remarquer que la matière première coûtera cette (page 246) année 30 millions de plus aux brasseurs et qu'il leur sera impossible d'augmenter la bière.
Je crois que lorsque le gouvernement vient proposer de faire supporter par le trésor une perte de 1,500 fr. sur les vins qui ne rapportent que 2 millions 500 mille fr. par an, nous sommes en droit de demander une légère diminution de 21 mille francs sur les bières.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je n'ai qu'une seule observation à faire en réponse à l'honorable rapporteur. L'honorable membre vient de dire qu'il y a trois ans à peine vous avez augmenté l'impôt sur les brasseries.
C'est une erreur ; la loi de 1851 n'a eu qu'un but : établir la justice distributive entre les grands et les petits brasseurs. Autrefois tous les faux fonds étaient en bois, ces faux fonds en bois sont encore en usage chez les petits brasseurs ; la loi permettait de faire de ce chef une déduction de 5 p. c.
Les grands brasseurs ont fait des faux fonds en tôle ou autre métal de l'épaisseur d'une feuille de papier ; ils gagnaient cinq centimètres et jouissaient de la déduction aussi bien que les brasseurs qui continuaient à se servir de faux fonds en bois.
La loi de 1851 n'a eu pour but que de rétablir l’égalité entre les brasseurs. Elle n'a pas eu pour effet d'amener une augmentation, car le produit des bières qui, avant la loi, était de 6,636,451, n'a été après son adoption que de 6,386,000 fr. On ne peut donc pas dire que la loi de 1851 a eu pour effet d'augmenter le produit de l'impôt sur la bière.
M. Allard, rapporteur. - Voici ce que disait l'exposé des motifs, « L'adoption de la loi que nous avons l'honneur de vous proposer doit amener dans les recettes une augmentation de 300,000 francs.» C'était une augmentation de 5 p. c. et.même de 5 1/2 p. c.
Quant au produit de l'impôt, il y a des années où la consommation est plus forte et d'autres où elle est moindre. Ainsi, l'année prochaine vous devez vous attendre à voir le produit de l'impôt sur la bière diminuer, vous ne pourrez pas tirer argument de cette réduction, cela dépend des circonstances.
- Le chiffre de 2 fr. 6 c., proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
L'article premier est également adopté.
« Art. 2. Sont supprimés, comme rentrant dans le droit fixe ci-dessus, les centimes additionnels perçus au profit de l'Etat, ainsi que le timbre collectif des quittances. »
- Adopté.
« Art. 3. Chaque quittance du payement de l'accise est frappée d'un droit fixe de vingt-cinq centimes. »
- Adopté.
« Art. 4 nouveau (proposé par la section centrale). Les villes et communes où les droits d'octroi sur la fabrication des bières et vinaigres sont établis en raison de centimes additionnels sur le principal de l'accise de l'Etat, continueront provisoirement à les percevoir sur le principal de 1 fr. 48 c. 4/10 fixé par la loi du 2 août 1822 ».
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je ne viens pas combattre cet article ; je viens seulement faire voir qu'il n'a pas d'importance.
De toutes les villes du pays, il n'y en a que deux qui établissent le droit sur le principal du droit d'accise ; ce sont les villes d'Hérenthals et de Tirlemont. Donc si la section centrale n'avait pas proposé cet article, il est évident que M. le ministre de l'intérieur qui est chargé de proposer au Roi sous sa responsabilité l'approbation des modifications au tarif des douanes aurait réglé cet objet.
Je ne m'oppose pas, au reste, à la disposition.
- L'article est adopté.
« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1854. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté par 71 voix contre 1 (M. Allard), deux membres (MM. David et Coppieters) s'étant abstenus.
Ont voté pour l'adoption : MM. Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Closset, Coomans, de Baillet (H.), de Bronckart, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Deliége, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Magherman, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, A. Roussel, Ch. Rousselle, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem et Delfosse.
M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.
M. David. - Le projet de loi apporte aux écritures de l'administration des accises et des douanes des simplifications utiles tant pour les contribuables que pourles fonctionnaires chargés d'appliquer la loi. D'un autre côté la loi renferme un principe d'augmentation d'impôt sur des objets de consommation, augmentation à laquelle je suis toujours hostile, surtout quand elle porte sur des objets de consommation destinés aux classes inférieures de la société. Je n'ai pu voter ni pour ni contre.
M. Coppieters. - Je me suis abstenu par le motif que j'ai énoncé tout à l'heure.
M. Orban. - Messieurs, je crois remplir un devoir de conscience et d'humanité en interpellant le gouvernement sur les motifs qui l'empêchent d'ouvrir en ce moment la frontière à l'entrée des houilles étrangères. En présence des circonstances urgentes et impérieuses qui réclament cette mesure, je n'eusse point, je l'avoue, gardé le silence si longtemps, si les promesses renfermées à cet égard dans le discours de la Couronne ne m'eussent donné la confiance que cette mesure ne se ferait pas attendre.
La promesse, à laquelle je fais allusion, était de la part du gouvernement, j'aime à le croire, le résultat d'une pensée préconçue et faite en vue des intérêts permanents du pays dont la richesse, dont l'activité, dont la grandeur sont indispensablement liées au bon marché du combustible. Que signifieraient, en effet, messieurs, les mesures libérales appliquées par le ministère à l'entrée des matières premières, si la première de toutes, celle qui en importance égale toutes les autres, restait frappée de droits prohibitifs à l'entrée.
Comment se fait-il donc, messieurs, que décidé d'avance à abaisser, si pas à abolir les droits prohibitifs qui frappent la bouille à l'entrée, le gouvernement s'abstienne en présence d'un renchérissement sans exemple du combustible, se manifestant à l'entrée d'un hiver d'une rigueur inaccoutumée et coïncidant avec une crise alimentaire, qu'elle vient encore aggraver ?
Il est manifeste, en effet, messieurs, que rien n'est plus capable d'aggraver une crise alimentaire que l'obligation pour le peuple de se procurer le chauffage à un prix élevé. Le chauffage et le pain sont les deux besoins les plus indispensables du peuple ; le froid et la faim sont ses deux grandes souffrances. Mais la faim en ce moment ne provient que d'une seule cause, la cherté des céréales, tandis que le froid résulte d'une double cause : la cherté du combustible et la rigueur de la température.
Mais, messieurs, ce n'est là qu'un côté de la question et peut-être le moindre. Si le charbon est le combustible du peuple, il est aussi, et avant tout, le combustible de l'industrie qui ne peut vivre sans lui, qui languit quand il est rare, qui s'arrête quand il fait défaut. Or, l'industrie s'adresse à vous par l'organe des représentants de la principale ville industrielle du pays, pour vous dire que le combustible est arrivé à un degré de rareté et de renchérissement qui compromet ses opérations, qui la menace du chômage, qui l'expose à laisser sans ouvrage la nombreuse population ouvrière quelle emploie. Et ce que vous dit l'industrie de Verviers, toutes les industries du pays pourraient vous le dire également. Ce que vous dit la draperie, à combien plus forte raison ne pourraient pas vous le dire d'autres industries qui, comme la fabrication de la bière, comme la fabrication du genièvre, sont doublement frappées par le renchérissement du combustible et par celui des céréales ?
Ainsi, messieurs, le chômage de nos industries au milieu d'une crise alimentaire, voilà le dernier mot de la prolongation du système de prohibition à l'égard des houilles étrangères.
Encore un mot, messieurs, et un mot seulement. Là, où il y a tant à à dire, car je n'oublie pas que je ne discute point une question, et que je n'ai la parole que pour adresser une interpellation au gouvernement.
Pour faire face à la crise dont le pays souffre en ce moment, le gouvernement a pris diverses mesures tendant à prohiber la sortie de plusieurs produits agricoles, et à permettre la libre entrée de tous.
Ces mesures, messieurs, auront une double conséquence ; elles feront subir une perte considérable au trésor, privé des droits d'entrée qu'il percevait sur ces produits alimentaires, et le gouvernement sera obligé d'y suppléer en créant de nouveaux impôts. D'un autre côté, par une sorte d'expropriation publique comme on vous l'a dit, on a diminué les bénéfices d'une partie des producteurs agricoles. Dans une pareille situation où l'on fait appel à tous les sacrifices, à tous les dévouements, comment se fait-il qu'une seule industrie se trouve en dehors de cette loi générale ? Une industrie qui, par son importance et sa situation particulière, serait mieux à même qu'aucune autre de s'imposer des sacrifices, car les intérêts qui la constituent résident pour la plupart dans de grandes sociétés, dans les sommités financières de la Belgique et de l'étranger.
Mais, messieurs, je m'exprime mal lorsque je dis que l'industrie charbonnière est seule laissée en dehors des sacrifices que l'on impose au pays tout entier. Pour cette industrie les sacrifices se transforment en une prime, qu'on lui accorde en ce moment. En effet vous n'ignorez pas que le gouvernement, en sa qualité d'exploitant de nos chemins de fer, est le plus grand consommateur de charbons du pays Or, le renchérissement du charbon occasionnera pour lui une dépense en plus, ou une recette en moins, de 800,000 fr. au moins. C'est donc une somme de (page 247) 800,000 fr. que l'Etat payera volontairement à l'industrie dont je parle, pour n'avoir pas voulu abolir les droits qui empêchent l'entrée du combustible étranger.
Messieurs, j'ai trop de confiance dans le patriotisme des Chambres et du gouvernement pour douter un seul instant qu'ils ne comprennent l'un et l'autre ce que commande, ce qu'exige la situation que je viens de caractériser. Mais j'aurai la franchise de le dire aussi, de pareils sentiments ne suffisent pas ; le pays attend avec une légitime impatience qu'ils se manifestent par des faits, et il faut le dire, le silence et l'inaction des dépositaires du pouvoir sont devenus une énigme pour lui. Quant à moi, messieurs, sans me dissimuler la gravité de cette question, sans me dissimuler que la responsabilité du pouvoir est seule à sa hauteur, je crois devoir vous dire que, si cette inaction se prolongeait, je ne reculerais pas, avec plusieurs de mes honorables collègues, devant l'usage de l'iniatiative parlementaire. Il est des circonstances où il faut savoir faire abstraction de sa faiblesse, et ces circonstances sont celles où un devoir aussi impérieux, un besoin aussi urgent se manifestent.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, en résumé l'honorable membre désire savoir si le gouvernement se dispose à présenter bientôt un projet de loi qui a pour but de faciliter l'entrée du charbon étranger en Belgique. Le gouvernement n'a pas attendu qu'il fût poussé par la Chambre pour se préoccuper très vivement de cette question. Avant même la convocation des Chambres, j'ai envoyé à toutes les chambres de commerce un avant-projet de loi qui détermine les conditions auxquelles on pourrait laisser entrer en Belgique les matières premières qui sont énumérées dans cet avant-projet, de même que les charbons étrangers.
Messieurs, ce n'est pas ma faute, si les chambres de commerce qui sont mieux placées que personne pour apprécier l'urgence de ce projet, ont tardé si longtemps pour me faire arriver leurs avis. Ainsi, hier encore, m'est arrivé l'avis de la chambre de commerce de Nivelles. Aujourd'hui j'ai reçu un complément d'avis d'une autre chambre de commerce.
Si, sur des matières de cette importance, le gouvernement se hasardait à venir ici avec un projet de loi, ce serait encore contre le gouvernement qu'on récriminerait. On dirait qu'il n'a pas assez mûri cet objet, qu'il ne s'est pas entouré de toutes les lumières nécessaires. Aujourd’hui qu'il désire s'appuyer de l'avis des chambres de commerce, il semble qu'on veuille le pousser à ne pas attendre.
Du reste, messieurs, je dois le dire, cette impatience je la comprends, mais je voudrais que les honorables membres fissent usage de leurs lumières pour éclairer un peu le pays sur cette question : c'est une grande erreur de croire qu'il dépend du pouvoir législatif de faire obtenir le combustible étranger à meilleur marché que le combustible belge. J'ai encore reçu, il y a peu de jours, une lettre d'un des premiers industriels gantois, qui s'est adressé à Newcastle pour savoir à quel prix on pourrait lui livrer le charbon anglais ; il a bien voulu, spontanément, me communiquer la lettre qu il a reçue ; il en résulte que le charbon anglais, rendu à Gand, reviendrait plus cher que le charbon belge.
- Plusieurs membres. - Alors il n'y a aucun danger.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Il est donc évident, messieurs, que la loi qu'on sollicite ne produira aucun effet, immédiatement.
On dit : Pourquoi hésitez-vous à présenter cette loi ? Messieurs, ce n'est pas seulement le moment actuel qu'il faut avoir en vue, il faut voir l'avenir. La loi est plus importante qu'on ne le croit ; elle a même un côté diplomatique.
Je dis, en terminant, messieurs, qu'à la rentrée des Chambres je présenterai un projet de loi, non seulement sur cet objet mais sur toutes les matières premières dont l'industrie a besoin.
M. Devaux. - Il est regrettable, messieurs, qu'une pareille question soit introduite d'une manière aussi inopinée. Les interpellations ne doivent être introduites qu'avec l'assentiment de la Chambre et au jour qu'elle a fixé. (Interruption.) Personne n'est maître du temps de la Chambre ; personne n'a le droit de dire à la Chambre : Je ne tiens aucun compte de l'ordre du jour que vous avez fixé et j'y intercale les questions que je juge convenable.
En vertu du règlement, la Chambre fixe son ordre du jour, et la volonté d'un seul ne peut pas déroger à la décision que la Chambre a prise à cet égard. Il n'appartient pas non plus à un membre de la Chambre d'obliger ses collègues à suivre une discussion à laquelle ils ne sont point préparés.
Maintenant qu'une réponse a été donnée, on donnera à l'incident telle suite qu'on voudra ; mais si M. le ministre n'avait pas répondu, j'aurais demandé que la Chambre fixât un jour pour discuter la question. Elle est très intéressante, j'en conviens, mais c'est un motif de plus pour ne pas la traiter à l’improviste.
M. Orban. - La chambre appréciera si j'ai abusé de ses moments, si j'ai introduit une interpellation intempestive, comme vient de me le reprocher l'honorable préopinant. L'assentiment que mes paroles ont rencontré dans toutes les parties de cette enceinte répond suffisamment aux observations de l'honorable membre.
L'honorable M. Devaux lui-même a fait, dans sa vie, plus d'une interpellation sans avoir obtenu l'autorisation de la Chambre et dans certaines circonstances il l'a fait d'une manière beaucoup moins heureuse que je ne l'ai fait aujourd'hui.
Je rappellerai entre autres la discussion qu'il a soulevée à propos du pétitionnement pour la réforme électorale et qui tendait évidemment à introduire un débat oiseux et qui devait se reproduire quelques mois après.
Maintenant je demanderai à la Chambre la permission de répondre quelques mots à M. le ministre des finances.
M. le président. - Il faut d'abord statuer sur la motion d'ordre de M. Devaux, tendant à ce que la Chambre reprenne l'ordre du jour.
M. Devaux. - Permettez-moi, messieurs, de répondre d'abord à M. Orban que quand j'ai fait ma motion d'ordre concernant la réforme électorale, il s'agissait de fixer l'ordre du jour. Si l'honorable M. Orban veut demander que la chambre mette l'objet dont il a parlé à l'ordre du jour de demain ou d'après-demain, je l'appuie ; mon observation avait pour but de faire voir qu'il ne peut pas appartenir à un membre de la chambre d'interrompre l'ordre du jour et d'y mettre un objet qui n'y est pas.
Qu'on fasse des interpellations sur des objets en discussion, rien de plus régulier ; mais on ne peut pas introduire une discussion si importante et à laquelle la chambre n'est pas préparée, dans un moment où rien n'est à l'ordre du jour, qui se rapporte à cette discussion. Maintenant si le débat ne doit pas continuer, mon observation tombe ; mais s'il doit prendre de l’étendue, je demande que la chambre fixe un jour pour y donner suite.
L'honorable M. Orban a eu le temps d'étudier la question ; il est venu prononcer un discours dont les éléments étaient préparés, soigneusement préparés, et il veut que d'autres membres qui, eux, ne sont pas préparés viennent immédiatement prendre part à la discussion qu'il soulève. Si cette discussion doit continuer, je demande que la chambre veuille la fixer soit à demain soit à après-demain.
M. Dumortier. - La chambre peut fixer tel jour qu'elle juge convenable pour discuter la question soulevée par l'honorable M. Orban ; je n'ai aucune observalion à présenter sur ce point ; niais je dois dire qu'il m'est impossible de passer sous silence les principes émis par l'honorable M. Devaux. Suivant lui, nul ne pourrait faire une interpellation qu'après avoir obtenu l'autorisation de la chambre et qu'au jour fixé par elle.
Je déclare, messieurs, qu'un pareil système est diamétralement opposé à tous les précédents, que c'est un système entièrement nouveau et dans lequel nous ne pouvons pas entrer sans renier tout notre passé. Lorsqu'un membre de la chambre fait une motion d'ordre et que cette motion peut amener une longue discussion, à laquelle on n'est point préparé, ou lorsqu'elle exige du ministère une réponse qu'il ne peut pas donner immédiatement, il est loisible à un membre de la Chambre de se lever, comme vient de le faire M. Devaux, pour demander la remise de la discussion à un autre jour ; mais ce que nous ne pouvons admettre, c'est qu'il faille demander l'autorisation de la Chambre avant de faire une interpellation. La plus belle prérogative de cette assemblée du peuple, c'est de pouvoir interpeller les ministres. Ce n'est que sous ce seul rapport que la responsabilité ministérielle existe chez nous. La plus belle conséquence de notre glorieuse révolution, c'est que la minorité peut demander au gouvernement compte de ses actes, peut lui demander compte de ce qu'il fait et de ce qu'il ne fait pas ; rien de pareil n'existerait si la majorité pouvait étouffer la voix de la minorité, ce qui arriverait infailliblement par le système qui vient de vous être présenté ! Quant à moi, je défends les précédents de la chambre qui garantissent la liberté de la tribune et les droits de la minorité, et qui constituent la plus belle, la plus utile et la plus noble prérogative des députés de la nation, en repoussant de toutes mes forces la doctrine étrangère qui vient d'être indiquée.
M. Orban. - Je me bornerai à dire, messieurs, que non seulement je n'ai pas fait une chose insolite en introduisant une semblable discussion, mais que je me suis en même temps conformé aux convenances les plus rigoureuses ; j'ai attendu la présence de M. le ministre des finances dans cette enceinte.
J'ai fait plus : je l'ai fait prévenir hier par M. le ministre de l'intérieur de l'intention où j'étais de faire une interpellation et de l'objet de cette interpellation. J'avais de même prévenu M. le président de la chambre, qui est le meilleur juge des prérogatives de cette assemblée comme des membres qui la composent.
Ainsi donc sous tous les rapports, je crois que les observations de l'honorable M. Devaux viennent à tomber.
Cependant, si cet honorable membre, à raison de la gravité de la question, croyait devoir demander un autre jour pour la discuter, je ne m'y opposerais pas ; la motion que j'ai faite n'a point à redouter l'examen, la réflexion ; je m'y opposerai d'autant moins que M. le ministre des finances, par la déclaration qu'il a faite tout à l'heure, répond en grande partie à l’interpellation que j'avais faite.
Cependant, je dois le dire, les circonstances sont urgentes ; quand il s'est agi de la crise alimentaire...
M. le président. - Ce n'est plus la motion d'ordre.
M. Orban. - Je demanderai la permission de répondre tout à l'heure à M. le ministre des finances.
M. de Theux. - Messieurs, je ne dirai que deux mots pour rappeler les précédents de la Chambre.
Quand un membre désire faire une interpellation, il a toujours été (page 248) reçu par la Chambre qu'il pourrait la faire immédiatement ; libre au ministère de répondre immédiatement ou d'ajourner sa réponse. Si l'interpellation doit donner lieu à une discussion, libre à la Chambre de fixer un jour pour la discussion, et de cette manière je pense que tous les intérêts se concilient.
Reste maintenant à savoir si l'honorable M. Orban désire continuer la discussion, et en cas d'affirmative, qu'il soit fixé un jour pour la discussion, ou s'il se contente de la réponse faite par M. le ministre des finances et dans laquelle le gouvernement a annoncé qu'un projet de loi serait présenté à la rentrée de la chambre.
M. Closset. - Messieurs, la discussion ne sera probablement pas très longue ; l'honorable M. Orban a fait son interpellation ; M. le ministre des finances y a répondu. Maintenant, comme l'honorable M. Orban a fait allusion à la pétition des industriels de Verviers, je demande que la discussion continue, afin qu'il me soit permis de dire quelques mots.
M. Rousselle. - Messieurs, je ne vois pas bien sur quoi nous allons discuter. L'honorable M. Orban a fait une interpellation à M. le ministre des finances ; M. le ministre des finances a répondu qu'à la rentrée de la chambre, il déposerait le projet de loi sur les matières premières et dans lequel la houille serait comprise. Nous devons donc attendre cette présentation, à moins qu'un membre de la chambre n'use de son initiative et ne dépose lui-même un projet de loi, projet qui suivrait toutes les formalités qui sont tracées par le règlement. Jusque-là, il n'y a pas matière à discuter.
- La motion d'ordre de M. Devaux est mise aux voix et n'est pas adoptée.
M. le président. - En conséquence, la discussion sur l'incident continue. La parole est à M. Closset.
M. Closset. - Messieurs, l'honorable M. Orban a fait allusion à la pétition des industriels de Verviers. Cette pétition n'est pas encore parvenue à la chambre ; les membres de cette assemblée n'en ont connaissance que par ce que les journaux en ont dit, et les représentants de l'arrondissement de Verviers attendaient son arrivée pour l'appuyer et pour demander à M. le ministre des finances quelle était son intention.
Messieurs, il est un fait notoire dont j'ai pu m'assurer moi-même dernièrement ; c'est que la houille est d'une nécessité absolue dans l'arrondissement de Verviers. Les établissements chôment en grande partie, et le chômage, dans les circonstances calamiteuses où nous nous trouvons, est extrêmement préjudiciable à la classe ouvrière qui souffre ainsi doublement de la cherté des céréales.
Si, jusqu'à présent, nous n'avons pas fait d'interpellation, c'est que nous espérions que les soins que M. le ministre des finances apportait dans la préparation du projet de loi aboutiraient bientôt. Mais nous aurions nous-même adressé l'interpellation, lors de l'arrivée de la pétition, afin d'engager le gouvernement à hâter la présentation du projet de loi et de rassurer l'opinion publique et les intérêts des industriels de l'arrondissement de Verviers.
M. de Renesse. - Messieurs, j'avais demandé la parole, pour appuyer la motion de l'honorable M. Orban ; il est plus que temps que l'on prenne des mesures immédiates, pour permettre la libre entrée de la houille étrangère ; car le prix de la houille belge est tellement augmenté, qu'il y a impossibilité, pour la classe ouvrière, de s'en procurer, l'on doit attendre aux fosses d'extraction plusieurs jours avant de pouvoir s'en procurer ; aussi les prix ont augmenté, depuis quelque temps, d'environ 80 p. c. ; l'on ne peut laisser, à la veille d'un hiver peut-être très rigoureux, les populations ainsi exposées à manquer de chauffage. Il me semble que l'on aurait dû permettre l'entrée des houilles étrangères, en même temps que l'on a permis la libre entrée des céréales.
Je crois donc qu'il faut absolument prendre les mesures les plus promptes, pour permettre la libre entrée de houilles étrangères.
M. Orban. - Messieurs, j'ai déjà dit que la déclaration de M. le ministre des finances qui a promis la présentation d'un projet de loi à la rentrée de la Chambre m'avait satisfait en partie. Mais qu'il me soit permis de dire que les besoins auxquels il s'agit de satisfaire sont urgents et que plus le projet de loi sera présenté promptement, plus la mesure sera efficace.
M. le ministre des finances alléguait qu'avant de présenter un pareil projet de loi, il avait dû consulter les chambres de commerce. Quand il s'est agi de la crise alimentaire proprement dite, le gouvernement a-t-il consulté les commissions d'agriculture ? a-t-il attendu seulement la réunion des chambres ? Non, il a pris immédiatement des mesures ; il a parfaitement bien fait, et je l'en félicite ; mais je dis qu'il aurait dû agir de même pour obvier à la disette et à la cherté du combustible.
M. le ministre des finances disait que dans un intérêt aussi grave il n'est pas permis de s'abstenir de consulter les chambres de commerce. Eh bien, je rappellerai que l'année dernière vous avez adopté un projet de loi relatif à l'entrée et à la sortie des matières premières, et qui comprenait un nombre considérable d'articles ; que sur aucun de ces articles, les chambres de commerce que ces objets concernent n'avaient été consultées.
A plus forte raison aurait-on pu s'en abstenir dans une question d'une actualité palpitante et où depuis longtemps la lumière existe pour tout le monde.
J'insiste pour que le gouvernement se hâte et n'attende pas, pour déposer son projet, que toutes les chambres de commerce aient donné leur avis, car, sans faire injure à personne, il est évident qu'il en est dans le nombre qui, par des retards calculés, chercheront à paralyser l'action du gouvernement. Attendre l'avis des chambres de commerce, c'est dire qu'on ne veut rien faire ou que l'on nc veut prendre que des mesures tardives.
M. Delehaye. - Il faut sans doute faciliter aux populations les moyens de se procurer de la houille à bon marché, mais il y a un danger plus grave qui doit nous préoccuper, c'est que la houille vienne à faire défaut.
Vous savez que l'industrie gantoise est dans une position assez critique. Je dirai même que sans le patriotisme de ceux qui se livrent à l’industrie dans la ville de Gand, un grand nombre de fabriques devraient cesser de travailler ; mais par humanité, par dévouement, par profonde sympathie pour la classe ouvrière, ils n'ont pas cessé de faire travailler quoique les magasins soient encombrés, et leur volonté est de continuer, mais il faut que le gouvernement prenne soin que la houille ne vienne pas à leur manquer ; les moyens ordinaires d'approvisionnement devenant insuffisants, le gouvernement devrait mettre à la disposition de l'industrie quelques-uns de ses nombreux véhicules et organiser un service de nuit, afin de mettre à la disposition de l'industrie gantoise la quantité de houille qui lui est nécessaire pour n'être pas réduite à chômer.
Je recommande cet objet à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics. Les mesures qu'il pourra prendre pour éviter le danger que je signale, seront de nature à inspirer à nos populations une nouvelle confiance.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Des industriels de Gand se sont adressés au gouvernement à l'effet de solliciter deux choses : d'abord l'organisation de convois de nuit, pour le transport des charbons, 2° une réduction de péages sur les chemins de fer. Quant à la première, je n'ai pas hésité à promettre de la manière la plus formelle d'établir les convois demandés, non seulement pour la ville de Gand, mais pour toutes les localités qui sont de grands centres industriels. L'administration s'est mise en mesure de se procurer le matériel nécessaire.
Quant à la seconde mesure, il ne sera possible de la prendre qu'après avoir examiné les conséquences que pourrait avoir une réduction de péages qui peut-être ne profiterait pas en ce moment à la consommation.
Je suis convaincu que le mal est plutôt dans l’insuffisance de la production que dans l'élévation du prix des transports.
M. Rodenbach. - Je répondrai à M. le ministre que puisque la navigation est interrompue par les glaces, il faut bien que le gouvernement trouve le moyen de faire arriver le combustible dans certaines provinces. A Bruxelles même on se plaint qu'il est beaucoup trop cher. M. le ministre a dit qu'alors même que le combustible étranger serait admis à entrer sans droit, on ne pourrait pas en faire venir.
Le droit est aujourd'hui de 14 fr. 82 c, s'il y a impossibilité d'avoir du combustible, comme les usines ne peuvent pas chômer il faut que le gouvernement trouve les moyens de leur en procurer, car il est du devoir du gouvernement de veiller à ce que les fabriques ne chôment pas et que le malheureux puisse se chauffer.
Il faudrait diminuer des 2/3 le prix de transport de la houille par le chemin de fer.
Je ne pense pas qu'il faille consulter d'administration ou additionner longtemps pour prendre une pareille mesure ; quaud le mal est grand et pressant, on ne peut pas chicaner sur quelques centimes pour le transport du charbon. Ce ne sont pas seulement les fabricants et les pauvres des provinces des Flandres qui se plaignent. Il n'y a qu'une voix dans tout le pays pour se plaindre du prix excessif des charbons ; cela provient de ce que les hauts fourneaux ont de plus en plus à faire.
Les hauts fourneaux, non seulement en Belgique, mais partout, font des bénéfices fabuleux ; et pour favoriser cette industrie, pour lui permettre d'étendre sa fabrication, faut-il que le peuple pâtisse, que les autres industries chôment ? C'est au gouvernement de trouver les moyens de parer à la pénurie qui se manifeste dans un moment aussi malheureux que celui-ci.
A Bruxelles même, si je suis bien instruit, on se plaint de ne pouvoir obtenir dans un magasin un demi-hectolitre de charbon, l'argent à la main, si l'on n'est pas une pratique.
Je demanderai pourquoi M. le ministre pourrait refuser de réduire le prix du transport par chemin de fer dans le service qu'il va organiser.
En France, n'a-t-on pas abaissé les tarifs pour le transport des céréales ?
Les sociétés mêmes, notamment la compagnie du Nord, quand le gouvernement n'exploite pas les chemins de fer, ces sociétés, dis-je, abaissent leurs tarifs par humanité quand le peuple est dans la souffrance, qu'il a de la misère par suite de la cherté des vivres et du combustible ; le gouvernement ne peut pas se refuser à agir de même. Il est de son devoir de le faire promptement, d'autant plus que la libre entrée accordée aux charbons étrangers ne suffirait pas.
M. Manilius. - Je suis reconnaissant des paroles prononcées par M. le ministre des travaux publics en réponse à ce que venait de dire mon honorable ami. M. Delehaye, relativement aux moyens de transport. (page 249) Mais je dois faire observer qu'il ne s'agit pas seulement des moyens de transport pour faire arriver la houille aux grands centres de consommation, car ce n'est pas uniquement le moyen de transport, mais la houille elle-même qui fait défaut. L'extraction ne se fait pas à temps ; cela paraît incontestable, d'après les aveux que j'entends à l'entour de moi par mes honorables collègues.
Puisque j'ai la parole, je me permettrai de répondre quelques mots à l'honorable ministre des finances, qui a dit que cette question était très importante, mais qu'elle nécessitait de longues études et les avis des chambres de commerce, et qu'il se proposait de présenter un projet de loi général comprenant les modifications à apporter aux droits d'entrée sur les matières premières. Quand on reconnaît, comme on vient de le faire, qu'il y a pénurie, je crois qu'il est impolitique de la part du gouvernement de vouloir ajourner la solution d'une pareille question jusqu'au vote d'une loi générale ; la discussion d'un pareil projet, toujours longue par sa nature, nous fera perdre un temps précieux quand il est urgent de parer à une pénurie flagrante ; quand la discussion sera terminée, l'hiver sera passé, et le besoin n'existera plus que pour les usines. C'est à présent que je convie le gouvernement à examiner, en dehors des questions générales qu'il veut traiter, les moyens de nous faire arriver librement les houilles étrangères.
M. le ministre des finances a fait valoir qu'elle ne peut pour le moment être importée à meilleur compte que la houille indigène. Il n'y a donc pas de danger pour le producteur. Il n'y a pas de danger à permettre la libre entrée de la houille, puisqu'il n'en entrera pas d'après M. le ministre. J'aime à en douter.
Ce n'est pas seulement pour l'intérieur que l'extraction de la houille ne se fait pas en quantité suffisante. Elle se fait trop lentement surtout pour l'étranger, pour la conduire à bon marché en Hollande et en France, par les canaux et rivières sur lesquels les péages sont souvent moins élevés pour l'exportation que pour le transport à la consommation intérieure.
Sans vouloir entrer plus avant dans cette discussion, de grâce qu'on laisse arriver la houille d'où elle peut venir. Il y a péril en la demeure. La houille est un agent essentiel pour toutes nos industries principales. Il faut la laisser entrer sans aucune entrave. Que le gouvernement y songe. J'ai dit.
M. Allard. - L'honorable M. Manilius dit que l'extraction de la houille ne se fait pas assez vite. Il semblerait que les extracteurs de bouille ne travaillent pas autant que possible. Mais on travaille jour et nuit ; on manque d'ouvriers ; on s'adresse partout pour en avoir ; c'est ainsi que des houillères du centre se sont adressées dans les Flandres pour en avoir. On a offert des maisons ; on a fait appel aux familles les plus nombreuses. Il n'est venu que trente-six familles. Personne ne veut travailler dans les houillères.
On veut faire descendre le prix du charbon au meilleur marché possible. Il y a un moyen bien simple : qu'on ne fasse plus payer le droit fixe et le droit proportionnel, nos houillères seront dans des conditions meilleures.
En Angleterre il n'y a pas de redevance sur les mines ; les houilles chargées directement sur le navire arrivent, sans avoir payé aucun droit de péage sur la mer d'Irlande, puis à Anvers ou à Ostende ; elles peuvent arriver à Gand dans les mêmes conditions, car il n'y a pas de droits de péage sur le canal d'Ostende à Gand. Faites la même chose pour nos houillères et vous aurez le charbon à meilleur marché.
Quant aux houillères, elles font tout ce qu'elles peuvent faire : le prix de la houille suit les progrès de l'industrie. Quand l'industrie chôme, la houille est à bon marché ; elle est chère quand l'industrie est prospère.
Ainsi la libre entrée en ce moment ne serait pas une faveur pour l'industrie, tandis que dans d'autres moments, elle tuerait le travail national.
M. Loos. - Lorsqu'il s'est agi, dans cette enceinte, de la libre entrée des denrées alimentaires, la chambre se rappellera que j'ai dit qu'il y avait pour le peuple un autre besoin, qui était de se garantir du froid. Si, à cette époque, j'avais eu quelques motifs de croire que le charbon étranger pouvait arriver sur nos marchés à des conditions meilleures que le charbon du pays, je ne me serais pas borné à cette remarque, j'aurais proposé la libre entrée du charbon.
Si je ne l'ai pas fait, c'est que j'étais convaincu, au contraire, que le charbon étranger ne pouvait arriver en Belgique à des conditions meilleures que le charbon du pays. Mais aujourd'hui la question a un peu changé de face. Ce n'est plus de la cherté, c'est de la rareté du charbon qu'il s'agit ; nous ne pouvons obtenir dans notre pays de charbon avec notre argent. Quand on demande du charbon aux houillères, on l'obtient au bout de six semaines, on obtiendrait les charbons anglais au bout de huit jours.
Je suis donc porté à engager le gouvernement à proposer la libre entrée du charbon étranger, parce que nous ne pouvons nous passer de charbon dans le pays.
Pour que cette discussion ne soit pas stérile, je demande que la chambre autorise le gouvernement à permettre, par arrêté, royal à titre temporaire et provisoire, la libre entrée des charbons, en attendant que le projet de loi qu'il prépare puisse être soumis à nos délibérations. J'en fais la proposition formelle.
M. David. - Je viens apporter un argument de plus à l'appui de l'urgence d'admettre immédiatement, sinon la libre entrée complète des houilles, au moins une forte diminution de droits. D'abord, en n'abolissant pas complètement les droits, nous aurions un certain produit fiscal qui contribuerait à remplir les caisses du trésor. Mon argument le voici :
Le grand nombre des machines à vapeur établies dans l'arrondissement de Verviers est dû à la rareté de l'eau dans la rivière de la Vesdre. Dans cette saison, les niveaux sont au plus bas.
Si nous n'avons pas d'eau pour faire marcher nos roues hydrauliques, et pas de charbon pour nos machines à vapeur, destinées à donner le mouvement à nos mécaniques, nos ateliers devront chômer ; les ouvriers ne gagneront pas leurs journées.
A l'approche de cette période de l'hiver où toujours notre rivière est à peu près à sec, nous devons insister pour la présentation immédiate du projet de loi.
Le seul obstacle à la présentation immédiate de ce projet de loi, c'est, dit M. le ministre des finances, qu'il attend l'avis des chambres de commerce. Mais que le projet de loi soit présenté, et pendant qu'il sera discuté en sections ou en section centrale, on recevra l'avis des chambres de commerce. Elles se presseront davantage d'envoyer leur rapport lorsqu'elles sauront que nous nous occupons de cette loi.
Je demande donc que le projet soit présenté immédiatement et non à la rentrée des Chambres après le nouvel an.
M. de Mérode. - Il me semble aussi que l'on devrait permettre, sans plus de retard, l’entrée des charbons étrangers, puisque le charbon du pays ne suffit pas à la consommation. Toute ma pratique consiste à savoir, suivant les circonstances, ce qu'il convient de faire, et à résoudre les questions d'après les circonstances.
Il est évident qu'en ce moment on a besoin de charbon étranger.
Il ne pourra, dit-on, en venir dans le pays. C'est une supposition. Mais comme elle peut n'être pas fondée, il y a lieu d'en autoriser la libre entrée.
Je suis donc d'avis que M. le ministre des finances veuille bien ne pas attendre la rentrée de la Chambre, pour faire en sorte que la libre entrée des charbons soit autorisée.
D'un autre côté je ne demande pas que le gouvernement abaisse les péages sur le chemin de fer : car si nous continuons à faire des sacrifices, le déficit qu'a signalé M. le ministre des finances augmentera. En reculant les difficultés et en les rejetant sur l'avenir on n'est pas plus avancé. Les difficultés qu'il y a 20, 15 ou 10 ans, nous avons ajournées ne nous aident pas aujourd'hui ; c'est un embarras de plus pour nous. On a toujours tort de ne pas attribuer à chaque époque les difficultés qui lui sont propres. Ne rejetons pas des difficultés nouvelles sur l'avenir qui est inconnu. La cherté des subsistances se prolonge quelquefois pendant plus d'une année.
Nous ne devons pas jeter au premier vent toutes les ressources du trésor public.
J'appuie donc la demande de ceux qui réclament l'entrée du charbon étranger. Mais je n'engage nullement le gouvernement à baisser les prix de transport et à faire subir encore de ce chef des pertes au trésor de l'Etat.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je ne renouvellerai pas les observations qui vous ont été présentées par plusieurs honorables collègues pour réclamer l'abolition des droits d'entrée sur les houilles étrangères. Ces observations, je ne puis que les appuyer de toutes mes forces.
Je dirai seulement que dans les localités qui me sont pas particulièrement connues, la pénurie de charbon se fait aussi vivement sentir. Ainsi dans la vallée de la Dendre, plusieurs usines très importantes sont sur le point de chômer, parce qu'elles ne peuvent se procurer à aucun pris le combustible.
J'ajouterai ensuite que là aussi les moyens de transports sont insuffisants.
Ainsi, il est à ma connaissance que des industriels qui se trouvent à la tête d'établissements considérables, se sont adressés plusieurs fois vainement à la station d'Alost pour pouvoir louer des waggons destinés à transporter les charbons qui leur sont indispensables pour continuer à procurer du travail à leurs nombreux ouvriers.
Ce fait, je puis le certifier à M. le ministre des travaux publics, et j'espère qu'il voudra bien le prendre en considération.
Messieurs, il y a dans cette situation deux faits dont la coexistence ne doit pas être tolérée plus longtemps. D'un côté il y a, de l'aveu de tout le monde, insuffisance de la production pour pourvoir aux besoins de la consommation ; de l'autre, notre tarif de douane défend l'entrée des produits étrangers qui seraient de nature à suppléer à cette insuffisance. Je dis qu'un tel état de choses, alors surtout qu'il s'agit d'un objet aussi indispensable que le charbon, ne saurait être toléré plus longtemps sans devenir un scandale.
On nous dit : Si l'on abolit les droits, on n'y gagnera rien. Je réponds que c'est une question que nous n'avons pas le droit de préjuger. Ce que nous avons à faire comme législateurs, c'est de faire tomber les entraves créées par la loi, c'est d'accorder toute liberté d'action au commerce, à l'industrie privée qui examinera ce qu'elle peut faire pour remédier à la crise qui pèse sur le pays. Ainsi faisons notre devoir avant tout et permettons au moins au commerce et à l'industrie privée de faire cé qui est possible sans être entravé par nos lois de douanes.
M. Coomans. - Messieurs, je n'ai pas attendu la cherté ni la rareté du charbon pour en demander la libre entrée. Il y a deux ans et (page 250) demi à peu près que j'ai déposé un projet de loi par lequel la libre entrée des charbons, entre autres, était décrétée. Je vois avec plaisir que plusieurs honorables membres de cette assemblée, qui à cette époque combattirent ma proposition, la soutiennent aujourd'hui du moins en ce qui concerne le charbon.
Ainsi l'honorable M. Manilius se montre un des défenseurs ies plus chaleureux de cette réforme. J'en suis heureux, parce que j'espère que l'honorable M. Manilius me suivra bientôt un peu plus loin. Il y a dans cette proposition de loi que j'ai déposée une réduction notable sur tous les fabricats, les cotonnades et autres tissus.
Lorsque l'on dit, et selon moi avec raison, que le peuple a besoin de se chauffer et qu'il a le droit de se chauffer au plus bas prix possible, lorsque l'on apporte cet argument dans cette chambre, ce n'est pas moi qui me poserai en contradicteur.
Mais l'honorable M. Manilius n'aura pas le droit non plus de me contredire, lorsque je lui dirai : Le peuple doit se vêtir lorsqu'il a froid, et même lorsqu'il n'a pas froid ; c'est plus qu'un droit, c'est un devoir ; il a besoin de se vêtir, il a le droit de se vêtir au plus bas prix possible. Or, la fabrique à laquelle l'honorable M. Manilius s'intéresse tout naturellement beaucoup, jouit d'une protection égale à celle dont les charbonniers jouissent, c'est-à-dire d'une protection de près de 100 pour cent. (Interruption.) Ne fût-elle que de 50 p. c, ce serait encore trop.
J'espère donc que, d'accord sur les charbons, nous le serons bientôt sur les cotonnades, sur les produits liniers, sur les produits lainiers et sur une foule d'autres marchandises, en faveur desquelles la prohibition est maintenue.
Tout ce que je tiens à constater aujourd'hui, c'est que réellement nous marchons à grands pas vers le libre échange, c'est-à-dire, vers quelque chose de plus radical que la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de déposer, il y a deux ans et demi, et dont le gouvernement disait à cette époque qu'il ne voulait pas accepter une syllabe. Il en accepte déjà l'article des charbons ; il en acceptera bientôt les autres articles, je ne crains pas de le prédire.
Parmi les moyens proposés pour remédier à la cherté et à la rareté du charbon, il en est un que je n'admets pas : c'est celui dont le gouvernement ferait seul les frais. Je comprends bien, au point de vue industriel, l'honorable M. Delehaye, qui a proposé des transports nocturnes et à prix réduits ; mais je dis que s'il devait résulter de ces transports une perte notable pour le trésor, je ne pourrais pas y consentir, ni la Chambre non plus, j'espère. On n'a déjà que trop diminué les revenus du Trésor.
Je ne consentirais pas non plus à ce que le revenu des péages diminuât trop considérablement. Je pourrais tout au plus consentir à l'emploi de ce moyen ruineux lorsqu'on aurait eu recours au principal remède qui est, selon moi, la libre entrée des charbons étrangers et la suppression des primes de sortie.
Je ferai observer encore qu'en supprimant les droits d'octroi dont les charbons sont grevés aujourd'hui dans beaucoup de villes, on servirait l'intérêt des consommateurs, ainsi que celui des charbonniers, intérêts que je désire concilier autant que possible.
M. le président. - Une proposition vient d'être déposée sur le bureau. Les sections seront convoquées demain pour examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.
M. Osy. - Il est bien établi par la discussion que la cherté de la houille provient de ce que les houillères ne peuvent suffire à toutes les demandes de l'intérieur et de l'extérieur. Mais on demande comme remède une diminution des frais de transport. Messieurs, je demande au contraire une augmentation des frais de transport, et je vais vous dire pourquoi.
Nous prohibons les houilles à l'entrée ; c'est-à-dire que nous avons un droit tel, que la houille ne peut pas entrer. Mais que faisons-nous en même temps ;? Nous facilitons l'exportation de nos houilles à l'étranger. Sur le canal de Charleroi vous ne faites payer à l'étranger que les trois quarts des frais de transport que paye le Belge pour recevoir la houille à Bruxelles et plus loin. Vous donnez donc une prime de sortie pour que nos voisins aient la houille à meilleur marché que nous.
Je demande que lè gouvernement mette sur le canal de Charleroi et sur les autres voies navigables le même droit pour le Belge et pour l'étranger. Alors, au moins, si l'étranger ne prend pas nos houilles, nous les conserverons pour les besoins de la consommation. J'attire sur ce point toute l'attention du gouvernement. Je crois qu'aujourd'hui sur le canal de Charleroi, les péages, depuis la réduction d'un tiers que nous avons accordée, sont de 3 fr. 30 c.
Eh bien, pour recevoir ses houilles par le canal de Charleroi, la Hollande ne paye que 80 cent. Messieurs, un pareil état de choses n'est plus tolérable, et la première mesure à prendre, selon moi, c'est de niveler les péages sur les transports tant pour l'intérieur que pour l'étranger.
Maintenant, messieurs, l'honorable ministre des finances nous a dit qu'à la rentrée des Chambres il présentera un projet de loi ayant pour objet de réduire les droits d'entrée sur toutes les matières premières. Remarquez bien, messieurs, que ce projet nous sera soumis peut-être le 15 ou le 20 janvier, qu'il devra passer par la filière des sections et de la section centrale et que nous ne pourrons guère nous en occuper avant le mois de mars ou d'avril. Eh bien, je demande avec mon honorable collègue M. Loos, s'il y aurait quelque inconvénient à ce que le gouvernement nous présentât, avant l'ajournement, un projet de loi n'ayant qu'une durée de 6 mois et par lequel on abaisserait les droits d'entrée sur les houilles étrangères en même temps qu'on mettrait les frais de transport pour l'étranger au niveau des frais de transport dans l'intérieur ?
Il me semble que cela ne peut nuire à aucun intérêt : les charbonnages n'en souffriront pas puisqu'ils ne peuvent pas nous procurer la houille dont nous avons besoin.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - En présence de la discussion qui vient d'avoir lieu, je n'hésite pas à scinder le projet de loi dont je me proposais de saisir la chambre à sa rentrée, et dès demain je déposerai sur le bureau, au nom du gouvernement, une proposition en ce qui concerne la houille.
M. le président. - D'après la déclaration de M. le ministre, je pense qu'il n'y a pas lieu de donner suite à cette discussion.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Frère-Orban. - Je demande à la Chambre la permission de rectifier un fait, une assertion tout à fait inexacte de l'honorable M. Coomans. Je serai très bref.
M. le président. - Il y a encore six orateurs inscrits, M. Frère-Orban est le sixième ; la Chambre autorîse-t-elle M. Frère-Orban à prendre la parole pour rectifier quelques faits énoncés par M. Coomans ?
- La Chambre décide que M. Frère-Orban sera entendu.
M. Frère-Orban. - Messieurs, j'ai eu l'honneur d'exposer à la Chambre, en 1851, si je ne me trompe, le programme des réformes qui devaient être introduites dans notre tarif des douanes. A mon sens, il devait être révisé dans toutes ses parties. J'annonçais dès ce moment que cette révision était à l'étude ; et au nombre des mesures projetées se trouvaient naturellement celles qui concernent les matières premières et qui ont été récemment annoncées par le cabinet actuel. L'engagement que nous prenions de réviser le tarif des douanes souleva contre nous les plus vives attaques de l'opposition. On ne paraît plus s'émouvoir autant aujourd'hui.
Vers le même temps l'honorable M. Coomans a déposé une proposition qui, selon lui, était destinée à inaugurer le libre échange ; j'ai discuté cette proposition, et je crois avoir démontré de la manière la plus claire et la plus péremptoire qu'elle avait précisément pour but, en dégrevant le tarif à l'égard de certains articles manufacturés, de renforcer à outrance le système des droits différentiels. C'est ainsi que l'honorable membre entendait le libre échange.
M. de Theux. - Ce n'est pas là une rectification, c'est une discussion.
M. Frère-Orban. - La Chambre m'a accordé la parole, et je crois que personne ne peut se plaindre que, dans l'intérêt de la vérité, des faits controuvés soient rectifiés.
M. Coomans. - Qu'est-ce que vous rectifiez ?
M. Frère-Orban. - Je vais vous le dire.
Vous annonciez qne vous vouliez faire un premier pas dans la voie du libre-échange ; mais vous disiez aussi que votre intention était de démontrer, par le fait, l'absurdité de ce système. Vous vous réserviez si, par hasard les événements venaient à prouver que vous aviez tort, de faire amende honorable ; mais vous étiez bien convaincu que ce système, ridicule à vos yeux, que vous aviez raillé en toute occasion, ne résisterait pas à une première expérience.
Ce projet était aussi, à votre sens, destiné à procurer un grand bien aux classes ouvrières, et au nombre de vos réformes se trouvait celle d'augmenter de 25 %, si ma mémoire est fidèle, les droits sur le café, que vous déclariez vous-même, dans votre exposé des motifs, un objet de première nécessité, tout aussi utile au pauvre que le pain.
C'étaient là les réformes que vous entendiez inaugurer. Exagérer les droits différentiels et grever de surtaxes considérables des denrées de première nécessité, voilà quel était votre système douanier.
Il est permis à l'honorable M. Coomans, au moment où le vent paraît souffler aux réformes douanières, de se proclamer aujourd'hui l'initiateur des réformes et libre-échangiste par excellence. C'est un rôle que je ne puis pas lui laisser. Il serait plus digne de lui de conserver sa véritable position. L'honorable M. Coomans n'a pas de conseil à recevoir de moi, mais je crois qu'au lieu de faire parade d'idées libre-échangistes, il ferait mieux de continuer à défendre le système prohibitioniste qu'il a toujours soutenu.
L'annonce d'un projet de loi, qui vient d'être faite par M. le ministre des finances, me dispense d'insister sur l'urgence qu'il y a d'apporter dès modifications profondes au tarif en ce qui concerne les houilles, et, en tous cas, de suspendre provisoirement le droit dont elles sont frappées à l'entrée.
M. de Theux. - Par suite de la déclaration faite par M. le ministre des finances, je renonce à la parole ; je l'avais demandée pour réclamer la mesure qu'il vient d'annoncer.
M. Julliot. - J'ai demandé la parole pour protester contre le discours tout entier de l'honorable M. Rodenbach. L'honorable membre exige du gouvernement qu'il transporte le charbon à perte et somme le gouvernement de s'exécuter de suite ; c'est encore au nom de son peuple qu'il veut cette mesure.
Mais que fera-t-il pour notre peuple qui n'a pas de chemins de fer ? ou y a-t-il pour l'honorable membre peuple et peuple ?
Savez-vous ce que veut M. Rodenbach ? Il veut que les populations qui (page 251) sont dotées d'un chemin de fer ne payent plus que la moitié du prix de transport, et que les populations qui n'ont pas de chemin de fer payent par leurs impôts le surplus au profit des favorisés après avoir payé leurs propres transports plus cher encore qu'ils ne les payent habituellement.
Dans quel texte de la Constitution cet honorable auteur de notre charte a-t-il introduit ce privilège ? Qu'il veuille me le dire ; je ne le trouve pas, je suis prêt à voter immédiatement la libre entrée du charbon, quand elle ne devrait donner qu'une satisfaction morale, mais je conjure le gouvernement de ne pas transporter son charbon à perte ; il doit y avoir justice ici pour tout le monde.
Je désire me nourrir, me chauffer et me vêtir à bon compte, mais je ne demande pas à le faire aux dépens des autres, comme le demande M. Rodenbach. Je ne puis écouter ces invocations populaires sans demander : Qui trompe-t-on ici ?
Abaissons donc considérablement les droits sur les vêtements et laissons entrer librement les blés et les charbons.
M. Dumortier. - ; Il me reste, messieurs, bien peu de choses à dire. Je m'étais fait inscrire pour réclamer autant qu'il eût été en moi, en faveur du travail national et des travailleurs. Je regarde toutes les dispositions d'un tarif protecteur comme les anneaux d'une chaîne multiple et lorque vous en brisez un seul, vous aurez bientôt brisé tous les autres. Je crains bien qu'après avoir établi le free-trade pour les céréales vous ne retendiez successivement à tous les produits de notre industrie. Et qui fera les frais de tout cela ? Ce sera le travail national, ce seront nos ouvriers.
J'entends dire qu'il faut de la houille à bon marché, du drap à bon marché, de la toile à bon marché, tous les objets dus au travail de l'ouvrier à bon marché. C'est à merveille. Mais ce qu'il faut avant tout au travailleur, c'est du travail pour se procurer l'argent nécessaire à acheter tous ces objets à bon marché. Et lorsque, par la suppression de la protection, vous aurez préféré le travail de l'étranger à celui de vos ouvriers, dites-moi, où ceux-ci iront-ils chercher l'argent pour acheter tous vos produits à bon marché ? Dans la débâcle que j'entrevois, vous oubliez une seule chose, le travail national qui, sans la protection, peut, en manquant au pays, amener de déplorables catastrophes.
Je me rallie complètement à l'opinion exprimée par l'honorable M. Osy, et j'engage beaucoup le gouvernement à mettre l'étranger sur la même ligne que les Belges en ce qui concerne les moyens de transport ; je l'engage, avant de prendre aucune autre mesure, à supprimer cette prime déguisée, et aujourd'hui inutile, qu'il accorde à l'étranger au détriment du pays. D'un autre côté, je l'engage à ne pas recourir trop vite à un abaissement des péages du chemin de fer, ce qui causerait un préjudice considérable au trésor public. La principale cause de la rareté du charbon dans certains centres industriels, c'est peut-être, pour la plupart d'entre eux, beaucoup moins un déficit dans la production que le manque d'eau dans les voies navigables ; que les pluies reviennent et les moyens de transport ne manqueront plus.
M. Manilius. - Messieurs, j'ai traité tout à l'heure la question de la houille, d'après les exigences de l'actualité ; je suis charmé d'apprendre que le gouvernement est dans l'intention de scinder le projet de loi général, et de nous faire une proposition spéciale pour l'entrée des houilles étrangères, comme je l'y avais engagé.
Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre deux mots à l'honorable M. Coomans.
L'honorable membre est curieux de savoir ce que je ferai, quand il s'agira, non plus des produits houillers, mais des cotonnades, des produits liniers, etc. Je suis prêt à lui déclarer que j'agirai alors avec la même franchise qu'aujourd'hui ; je traiterai la question suivant les exigences du moment, et avec toute confiance en moi-même. L'honorable M. Coomans peut être sûr, si j'ai l'honneur de siéger ici, qu'il me trouvera sur la brèche ; il peut être sur aussi que les exigences du moment détermineront seules la manière dont je traiterai la question, n'ayant jamais des idées absolues ni préconçues en matière d'économie politique.
M. Rogier. - Messieurs, je ne puis pas appuyer les observations qui ont été faites par MM. Osy et Dumortier. Je constate d'abord avec grand plaisir les progrès étonnants qu'a faits le libre échange ; ce libre échange qui a été pendant si longtemps l'objet de tant de plaisanteries, bonnes et mauvaises. Mais si, comme tout l'annonce, nous livrons à la concurrence étrangère les produits houillers du pays, il ne faut pas qu'à l'exemple de ce que la majorité a fait récemment pour les pommes de terre, nous entravions la libre sortie des produits houillers.
L'honorable M. Osy, si je l'ai bien compris, voudrait, tout en admettant le charbon étranger à la libre entrée, apporter des entraves à la libre sortie des charbons... (Non ! non !) Permettez ! L'honorable membre s'est élevé contre le régime actuel qui a pour but de favoriser la sortie de nos charbons, en abaissant les péages sur les charbons destinés à l'exportation.
Eh bien, il serait impossible qu'au moment où vous livreriez à la concurrence étrangère les produits de nos houillères, vous entraviez les moyens d'exportation. Ce serait faire du libre échange d'une main et de la prohibition de l'autre. J'engage les ministres à maintenir un régime libéral pour le transport des charbons destinés à l'exportation.
Faut-il réduire les péages sur les charbons destinés à la consommation intérieure ? C'est une autre question. Mais je demande pour le moment que lorsque le gouvernement viendra proposer la libre entrée des charbons étrangers, il ne propose pas en même temps des mesure qui auraient pour effet de restreindre la sortie de nos houilles. Il fau au moins maintenir pour elles le régime actuel.
Si l'on veut établir, en abaissant les péages, l'égalité entre les houilles destinées à l'exportation et celles qui sont destinées à la consommation intérieure, je ne m'y opposerai pas. Il est certain qu'en livrant du jour au lendemain l'industrie houillère à la concurrence étrangère, il faut aussi user vis-à-vis d'elle à l'intérieur de certains ménagements, et rendre, autant que possible, le transport des houilles, à l'intérieur, facile, avantageux.
M. Coomans. - Messieurs, l'honorable M. Frère a annoncé qu'il avait de nombreuses et graves rectifications à faire à mon discours. Ces rectifications, je les cherche en vain ; je les demande à mes honorables voisins et ils ne les trouvent pas.
Je me demande ce que l'honorable membre a eu à rectifier dans ce que j'ai dit ; je réponds : Rien. J'ai dit que j'avais en 1851 proposé la libre entrée de toutes les matières premières et une réduction notable sur les droits d'entrée, appliquée à tous les produits manufacturés ; voilà ce que j'ai dit. Cela est-il vrai ou n'est-il pas vrai ? Cela est vrai ; donc l'honorable M. Frère n'avait pas à me rectifier, il n'a pas rectifié mon discours, je vais rectifier le sien.
L'honorable M. Frère a cru pouvoir qualifier de ridicule le système que j'ai proposé à la Chambre, en insinuant que je savais que ce système était ridicule ; ce qui veut dire en bon français que je me serais moqué de la Chambre. Or, je ne puis permettre à personne, pas même à M. Frère, à qui l'on permet bien des choses, de m'attribuer une aussi mauvaise et absurde intention.
La proposition de loi que j'ai déposée n'était pas ridicule. Si elle l'avait été, aurait-elle été prise en considération par la Chambre ? Est-ce respecter la Chambre que de lui dire qu'elle a pris en considération des choses ridicules ? Ma proposition était sérieuse ; elle est plus sérieuse aujourd'hui qu'il y a deux ans. Je suis persuadé que bientôt la Chambre sera de cet avis, si elle n'en est déjà. Cette proposition avait une base très sérieuse ; celle de la justice distributive qui est ou qui devrait être le point de départ et la pierre de touche de toutes nos lois.
Maintenant cette proposition était-elle, comme l'affirme M. Frère, l'inauguration du libre échange ? L'ai-je donnée pour telle, comme l'honorable membre l'en accuse ? Point du tout ; elle inaugurait si peu le libre échange, que je maintenais 20 pour cent à l'entrée sur les produits manufacturés, sauf à descendre annuellement d'un pour cent pour arriver et nous arrêter à 10 pour cent, système raisonnable, qui n'est autre que le système anglais. Je suis très étonné que l'honorable M. Frère qui nous a parlé si souvent en termes si louangeurs du système douanier anglais, vienne qualifier ce système de ridicule.
Si le système était ridicule, je n'en serais pas coupable : je me suis borné à l'emprunter à l'Angleterre. Si l'Angleterre perçoit aujourd'hui en moyenne 10 p. c. de droits d'entrée sur toutes les marchandises manufacturées...
- Un membre. - Et quelquefois davantage.
M. Coomans. - Je le sais bien ; elle a encore des droits prohibitifs, ce qui ne l'empêche pas de passer dans le monde pour une nation libre-échangiste. Mais la vérité est que le droit général est de 10 p. c., droit que je voudrais établir chez nous en 10 années, en partant de 20 p. c. pour arriver à dix. L'honorable M. Frère admire la Grande-Bretagne et il me blâme, moi qui l'ai prudemment copiée. Vraiment cette manière de raisonner m'étonne dans la bouche d'un honorable membre si prompt à réprimander ses collègues !
Mais l'honorable membre n'a pas dit quel était en réalité le résultat de l'augmentation de 25 p. c. qui le scandalise. Le droit sur le café est aujourd'hui de 10 fr. en moyenne. J'ai proposé de le porter à 12 fr. 50 par 100 kilogrammes, soit une augmentation de 2 centimes et demi par kilo. Cette augmentation devait indemniser le trésor de la perte d'autres impôts que je supprimais dans l'intérêt des classes laborieuses. Voyez, messieurs, comme je suis coupable. J'ai voulu porter de 10 fr. à 12 fr. 50 c. le droit de douane sur une denrée que les classes riches consomment autant que les autres. Quelle horreur ! oser prélever 12 fr. 50 c. sur une denrée de consommation populaire !
Il est vrai que les Anglais prélèvent 62 fr. sur 100 kilogrammes de café, ce qui ne les empêche pas d'être considérés comme une nation progressive et humanitaire par mon honorable contradicteur. Il est vrai encore que M. Frère a prélevé 10 fr. et même 12 fr. sur cet aliment du peuple, et il est l'ami du peuple ; mais quand je propose d'en percevoir 12 et demi, je suis un ennemi du peuple ! En France, on paye 60 à 90 fr. par 100 kilogrammes de café. Cependant je n'ai pas entendu sortir de la bouche des hommes les plus avancés de ce pays des lamentations sur la cherté du café.
Les gens d'expérience savent que le consommateur ne se serait pas ressenti d'une augmentation de 2 à 3 fr. sur 100 kil. de café, attendu que des hausses dix et trente fois plus fortes se produisent dans le commerce de cette denrée, sans que personne se plaigne. D'aileurs, si j'augmentais le droit sur le café, je diminuais le droit sur mainte autre marchandise de première nécessité, de manière que le public s'en serait bien trouvé.
Ainsi disparaît un argument défectueux que j'engage l'honorable membre à ne pas reproduire devant la chambre.
M. Loos. - J'ai demandé la parole pour déclarer que par suite de la promesse que vient de faire M. le ministre des finances, moi et mes (page 252) collègues nous retirions la proposition de loi que nous avions déposée sur le bureau.
M. de Mérode. - Malgré ce que vient de dire M. Rogier, j'ai demandé la parole pour engager MM. les ministres des finances et des travaux publics à établir l'égalité de droit de transport par les canaux pour les charbons, qu'ils soient à destination de l'étranger ou de l'intérieur. Les charbons belges n'ont pas besoin de protection maintenant ; pourquoi leur a-t-on donné une prime d'exportation au moyen d'une diminution de droit sur les canaux ? C'est parce que les orifices des bures étaient encombrés. Aujourd'hui la position est tout autre ; il faut faire à chaque moment ce que les circonstances exigent. Quand le charbon encombrera encore nos houillères, je voterai pour les mesures destinées à faciliter l'écoulement de leurs produits ; avec des systèmes absolus, invariables, quelle que soit la situation, on ne fera rien qui vaille.
- La discussion est close.
M. le président. - Il nous reste à voter un projet de loi qui a pour objet la suppression des centimes additionnels et des timbres collectifs dont est passible l'accise sur les vins et la réunion de ces taxes au principal.
La section centrale propose l'ajournement de ce projet.
Je ferai remarquer à la section centrale qu'elle ne peut pas proposer un ajournement indéfini. Il faut fixer un terme.
Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition d'ajournement ?
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Non, M. le président.
M. Osy. - Le gouvernement ne se ralliant pas à la proposition de la section centrale, il y aura discussion. Je demande la remise à demain.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures 3/4.