(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1089) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
Entre l'appel et le réappel, il est procédé au tirage au sort des sections.
M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
Pièces adressées à la chambre
M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Le conseil communal d'Ochamps demande que la loi du 25 mars 1847, sur le défrichement des terrains incultes, soit rapportée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale de Jauche demandent la construction d'un chemin de fer des bassins houillers de Charleroi à Landen. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Boorsheim prient la chambre d'accorder au sieur de Laveleye la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Maestricht, avec embranchement de Bilsen à Ans par Tongres. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Blankenberghe prient la chambre d'accorder aux sieurs Bayer et compagnie la concession d'un chemin de fer de Bruges à Blankenberghe. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Bleid demande qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale.
« Même demande de conseillers communaux, d'électeurs et d'autres habitants de Wodecq. »
« Même demande du bourgmestre et d'autres habitants de Marquain »
« Même demande du conseil communal de Mussy-la-Ville. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Bolinne-Harlen, Taviers-Brancquenée et Hamet demandent que les dictricts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes, nomment chacun un représentant et que l'élection se fasse au chef-lieu du canton. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Elewyt demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »
« Même demande d'électeurs à Leignon. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Warneton demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton ou par agglomération de communes. »
- Même renvoi.
« Des électeurs de Morlanwez demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, que chaque agglomération de quarante mille âmes nomme un représentant et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal d'Ath demande que cette ville soit dotée d'un tribunal de première instance et d'un tribunal de commerce. »
- Même renvoi.
« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Jodoigne prient la chambre d'accorder la la Société Lebon la concession d'un chemin de fer de Jemeppe à Diest avec embranchement de Gembloux à Fleurus. »
« Le conseil communal de Piétrain déclare adhérer à cette demande. »
« Même adhésion du conseil communal de Saint-Remi-Geest. »
« Même adhésion du conseil communal de Marilles. »
« Même adhésion du conseil communal d'Enines. »
« Même adhésion du conseil communal de Saint-Jean-Gcest-Sainte-Marie-Geest. »
« Même adhésion du conseil communal de Bomal. »
« Même adhésion du conseil communal de Melin. »
« Même adhésion du conseil communal de Lathuy. »
- Même renvoi.
« Le sieur Braconnier, ancien préposé des douanes, demande à être réintégré dans ses fonctions. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Peruwelz demandent l'abolition du droit de débit des boissons alcooliques et des tabacs. »
« Même demande d'habitants de Leuze. »
« Même demande d'habitants de Tournai. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des voies et moyens.
« Des habitants de Lierde-Sainte-Marie demandent la révision de la loi sur l'entretien des indigents dans les hospices et dans les établissements de bienfaisance, et présentent des observations contre le projet de loi sur le recrutement de l'armée. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée, et à la commission des pétitions.
« Le sieur Minguet demande que les secrétaires actuels des conseils de milice puissent être continués dans leurs fonctions, bien qu'ils ne soient employés ni du gouvernement provincial, ni du commissariat d'arrondissement. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée.
- M. Ch. de Brouckere demande un congé de dix jours.
- Accordé.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Le Roi m'a chargé de présenter le projet de loi dont la teneur suit : (Nous donnerons ce projet de loi.)
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à l'examen des sections.
M. de Renesse dépose le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à une délimitation de communes dans la province de Limbourg.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.
Sur l'autorisation des sections, il est donné lecture de la proposition suivante :
« Art. 1er. La cour d'appel de Bruxelles est composée de 28 membres :
« Le premier président.
« 3 présidents de chambre.
« et 24 conseillers.
« Le parquet de ce siège sera immédiatement augmenté d'un avocat général.
« Art. 2. Le tribunal de première instance de Bruxelles est composé de 15 membres.
« Le président,
« 2 vice-présidents.
« et 10 juges.
« Le parquet de ce siège sera immédiatement augmenté d'un substitut du procureur du Roi. »
« Art. 3. Les vacances résultant de la présente loi seront directement remplies par le Roi, qui appellera les conseillers en disponibilité à reprendre leurs sièges et pourvoira à la nonimation des conseillers nouveaux.
« Bruxelles, le 18 avril 1853.
« (Signé) Ad. Roussel, Verhaegen, A. Orts, Laubry, baron de Steenhault, Thiéfry, Cans, Previnaire, Anspach. »
M. Roussel. - Je demanderai à développer cette proposition jeudi prochain.
- Plusieurs membres. - Elle devient sans objet.
M. Roussel. - Ceux de mes honorables collègues qui voudraient retirer leur signature sont libres de le faire, mais je maintiens la mienne et je demande à développer la proposition jeudi prochain.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - La chambre se rappellera que, quelques jours avant les vacances de Pâques, l'honorable M. Roussel m'a demandé quand je comptais présenter un projet de loi relatif à l'augmentation du personnel de la cour d'appel et du tribunal de Bruxelles ; en répondant à son interpellation, j'ai exprimé mon étonnement de l'entendre, puisque deux ou trois jours auparavanl je lui avais dit qu'un projet de loi serait prochainement présenté. Les vacances de Pâques ont interrompu vos travaux, et j'en ai profité pour compléter les renseignements qui m'tétaient nécessaires, afin d'établir par l'appel général des causes, le véritable état de l’arriéré. Ces renseignements me sont arrivés le 12 avril avec un nouveau rapport de l'honorable chef de la cour.
Hier, messieurs, j'ai sounrs quelques considérations en conseil à mes collègues, et il avait été décidé qu'un projet de loi serait immédiatement présenté. J'ai appris que l'honorable M. Roussel et quelques-uns de ses collègues avaient cru devoir, sans me prévenir, déposer un (page 1090) projet de loi. Dans ces circonstances, j’ai pensé ne pas pouvoir tarder plus longtemps de présenter le système du gouvernement. Voilà le motif pour lequel je viens de déposer ce projet de loi dont la chambre aurait été saisie peut-être demain ou après-demain. Mais il n’en est pas moins vrai que le projet du gouvernement tend évidemment au même but que celui de l’honorable M. Roussel. S'il y a quelque différence dans les chiffres ou les appréciations, les honorables auteurs de la proposition pourront, au moyen d'un amendement, arriver à leurs fins. Je ne refuse pas de m’expliquer en section centrale, et je me mettrai facilemfnt d'accord avee les honorables membres ; de sorte qu'il me semble qwe le projet, du à leur initiative, devient inutile, et que les explications que je viens de fournir sont de nature à satisfaire les signataires de la proposition.
M. Thiéfry. - Messieurs, lorsque j'ai apposé ma signature au bas du projet de loi dont il s'agit, je ne m'attendais pas à ce que M. le ministre de la justice en présenterait un, le lendemain, sur le même objet. Je pense que ce serait abuserdes moments de la chambre que de donner suite à notre proposition. Si M. le ministre ne présente pas une augmentation suffisante pour le personnel des tribunaux de Bruxelles, nous présenterons des amendements. (C’est cela !) Je prie donc M. le président de vouloir bien considérer ma signature comme retirée.
M. Roussel. - Messieurs, puisque M. le ministre de la justice a rappelé les antécédents de cette affaire, je vais les rappeler à mon tour, en faisant une rectification.
Depuis longtemps, j'ai insisté auprès du ministère de la justice pour obtenir une augmentation du personnel de la cour d’appel de Bruxelles et du tribunal de première instance. J’avais lieu d’espérer qu’il serait fait droit à mes demandes.
Lors de la dernière interpellation devant la chambre elle-même, j'avais été forcé de faire cette interpellation, parce que la cour avait été obligée de chômer. Si vous voulez revoir les Annales parlementaires, vous y trouverez ma déclaration que, si dans un temps extrêmement court, il n’était pas déposé un projet de loi sur la matière, j'userais de mon initiative.
Qu'est-il arrivé ? La cour a continué de chômer pendant plusieurs semaines. Il est en outre advenu, qu'à raison de la récusation d'un conseiller, une autre chambre de la cour a été obligée de chômer pendant plusieurs jours ; de manière que le service de la justice se trouvait réellement interrompu à la cour d'appel de Bruxelles.
Que fallait-il faire ? Il fallait agir, c'est à-dire déposer un projet de loi émané de notre initiative, par la raison qu'il m'était revenu que M. le ministre de la justice et le conseil des ministres se proposaient de renvoyer à la grande commission d'organisation judiciaire un objet d'une telle urgence, c'est-à-diie l'ajourner indéfiniment.
Je dirai maintenant, pour finir, que je ne mets aucun amour-propre dans mes actes parlementaires. M. le ministre de la justice étant venu après nous, nous pourrions très bien demander qu'on appliquât ici le principe : « priores tempote potieres jure » ; mais je ne fais pas difficulté de renoncer au développement de notre proposition, bien qu'il y ait une différence entre le projet du gouvernement et le nôtre.
Nous pouvons toujours, par voie d'amendement, remplacer les dispositifs du projet qui ne nous conviendraient pas ; je consens donc à ne pas développer la proposition.
Si j'ai apporté quelques insistance à tout cela, c'est uniquement par respect pour l’initiative parlementaire. Je veux bien montrer de la condescendante cette fois ; mais je déclare que doréravant, si un ministre prend les devants de cette manière lorsque j'aurai déposé une proposition de loi, je ne consentirai pas à retirer la mienne, parce qu'une telle méthode finirait par annuler le droit d'initiative appartenant aux représentants de la nation. Un représentant doit, au besoin, faire valoir les droits qu'il tient de son mandat.
M. le président. - La proposition est retirée.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, jamais je n'ai été plus embarrassé qu'aujourd’hui pour prendre la parole dans une discussion générale.
Depuis deux jours il a été prononcé, à l'occasion de la loi qui vous est soumise, beaucoup et d'excellent discours, bien que, le plus souvent, je n'admette pas les conclusions auxquelles sont arrivés les orateurs. Mais il doit être évident pour tout le monde que ces discours n'appartiennent pas, à proprement parler, à la discussion générale.
La meilleure preuve que je puisse en donner, c'est qu'en supposant même parfaitement fondées toutes les raisons exposées dans ces discours, encore n’y aurait-il pas lieu de rejeter la loi, mais seulement de modifier l’un ou l’autre article auquel leur discours s’applique.
Il est fâcheux, je le dis dans l'intérêt de nos discussions, sans récriminer contre personne, que chaque orateur ne s'applique pas à exprimer son opinion à l'occasion des articles ; de cette manière, les arguments seraient tous présents à l'esprit, et la réplique atteindrait mieux son but.
Je désire donc que les honorables membres qui se disposent à prendre la parole veuillent bien se pénétrer de ce que j'ai l'honneur de dire, afin de n'avoir pas à répéter deux et trois fois les mêmes arguments pour réfuter les mêmes opinions.
Je me bornerai pour le moment à présenter quelques considérations générales.
Plusieurs orateurs se sont plaints de la mobilité qu'on semble vouloir imprimer à nos lois de finances. Ce reproche, en tant qu'il s'applique à la loi qui nous occupe, serait injuste, attendu qu'il y avait nécessité de la présenter et qu'il n'était pas libre au gouvernement de ne pas le faire.
Vous vous rappelez tous que quand vous fîtes la loi de 1851, on y inséra un article final imposant l'obligation de présenter, avant le 31 décembre 1852, un projet de loi ayant pour objet de modifier les octrois des villes en tant qu'ils ont trait à l’accise sur les eaux-de-vie indigènes, et de modifier la déduction accordée aussi aux distilleries agricoles.
C'est pour satisfaire à cette obligation que le gouvernement est venu vous présenter un projet de loi.
Les abus qu'il s’agit de faire cesser vous avaient été longuement signalés dans la discusiion qui a précède le vote de la loi de 1851.
Rien sans doute n'est plus équitable qu'une ville, qui perçoit un droit sur la fabrication des eaux-de-vie, accorde la décharge de ce droit au distillateur qui exporte ses produits hors de la villes. Mais, de même que les chambres, les régences communales étaient dans le doute sur le véritable rendement des matières macérées ; il en résulte que, sous prétexte de décharge des droits qui sont censés être payés, on leur accordait une véritable prime. Pour rendre ceci sensible, supposons qu’une ville ait l’opinion bien ou mal fondée que 100 hectolitres de matières macérées ne donnent que 5 hectolites d’alcool à 20 degrés Gay-Lussac.
La ville restituant pour 5 hectolitres les droits qu'elle a perçus sur 100 hectolitres de matières premières, il en résulte qu'en réalité, aujourd'hui qu'il est démontré que de ces 100 hectolitres de matières premières le distillateur extrait non pas cinq, mais sept hectolitres de genièvre, celui-ci a à sa disposition deux hectolitres libres de droits qu'il peut livrer hors ville, indemnes d'impôt, avec une véritable prime, et vient ainsi faire une concurrence redoutable aux distillateurs du plat pays, qui n'ont pas ces primes dans leurs communes. C'est un des abus qui ont frappé votre attention, et que le législateur de 1851 a voulu faire redresser. Nous aurions pu nous borner à proposer à la legislature un ou deux amendements pour corriger ces vices de la loi ; mais, puisqu'elle devait être saisie d'un projet de loi rectifiant ces abus, nous avons cru cette occasion bien choisie, pour apporter quelques légères modifications aux autres articles des lois précédentes, donnant lieu à d'autres abus qui n'avaient pas été prévus.
Ce qui prouve qu'en cela nous n'avons pas eu tort, c'est que ni dans la commission des distillateurs qui s'est réunie au ministère des finances ni dans la section centrale, ces dispositions n'ont soulevé la moindre réclamation. Il en et une cependant qui, ici et au-dehors, a excité vivement l'attention publique, c'est celle qui est relative au drawback. On l'a dit hier, on le répétera encore, comment se fait-il qu'appelés que vous étiez par la loi de 1851 à corriger seulement les vices des lois précédentes, en ce qui concerne l'octroi des villes, vous ayez saisi cette occasion de réviser encore les dispositions relatives au drawback qui ne fonctionnent que depuis un an à peine ? Ce motif, je le dirai très naïvement : une fois que le rendement vrai a été connu, la faveur réelle que cette déchnrge exagérée de 30 fr. 70 c. assure à l'exportation des genièvres vers l'étranger est devenue évidente et ce qui prouve que je ne me suis pas trompé, c'est que ces exportations, ainsi que la décharge à 30 fr. 70 c. qui en est la consequence, ont pris une extension telle qu'à aucune époque depuis 20 ans le trésor n'avait perdu des sommes aussi fortes que depuis quatre mois.
Avant 1850, la décharge accordée par la loi à ceux qui exportaient à l'étranger des eaux-de-vie indigènes était de 28 fr. En 1849, avec cette décharge de 28 fr., on fut tout à coup étonné de voir que nos distillateurs avaient par leurs exportations causé au trésor une perte considerable. En présence du déficit, alors que vous ne connaissiez pas le rendement réel, comme vous le connaissez aujourd'hui par des expériences loyales et vraies, que fîtes-vous ? Immédiatement vous votâtes une loi qui diminua le drawback de 28 à 22 fr.
Eh bien, messieurs, aujourd'hui ce n'est plus une décharge de 341,000 francs obtenue en une année entière, c'est 372.000 fr. obtenus en un trimestre. (Interruption.)
J'entends dire que c'est dans la prévision de la loi que les exportations ont été aussi fortes. Eh bien, messieurs, détrompez-vous, les plus fortes exportations ont commercé depuis le mois d'octobre alors qu'on ne savait pas qu'une loi serait présentée ou du moins que, déterminé par l'évidence des faits, j'aurais accolé à la loi une disposition relative au drawback, attendu que d'après la loi de 1851 que vous avez faite, je n'avais, rigoureusement parlant, mission que de corriger les abus de l'octroi et que je n'étais nullement obligé de toucher au drawback.
Ce qui est plus vrai, messieurs, et je l'entends dire derrière moi, c'est que cette décharge qui, si elle continuait, enlèverait presque un million au trésor à la fin de l'année, c'est que cette énorme exportation se rattache à une circonstance qui se passe en France, la maladie de la vigne.
Il est de fait qu'à l'heure qu'il est, les eaux-de-vie exportées ne sont pas des eaux-de-vie à la preuve de 16° des Pays-Bas, ou si vous le voulez, à 50° Gay-Lussac, ce sont des trois-six, c'est-à-dire de l'eau-de-vie concentrée à 85°, et cette eau-de-vie, ce qui vous étonnera peut-être, c'est la France qui s'en approvisionne.
(page 1091) En supposant que la maladie de la vigne fût la seule cause de ces exportations énormes, faudrait-il le tolérer ? Je dis. messieurs, que nous devons y regarder de très près. Car la maladie des vignes, d'après ceux qui oit écrit sur cette matière, consiste en une espèce de champignon qui attaque cet arbuste, et elle peut très bien durer aussi longtemps que la maladie des pommes de teire ; peut-être que d'ici à cinq ans, nous n'en verrons pas la fin.
Du reste, messieurs, lorsqne nous arriverons à l'article relatif au drawback, je donnerai d'autres explications sur ce point.
Messieurs, je ne suis nullement étonné des objections que cette loi recontre. S'il n'y a pas une matière plus imposable, plus équitablement imposable que l'alcool, il n'y a pas non plus de loi plus difficile à faire que celle qui vous est soumise. Le nombre d'intérêts auxquels il s'agit de satisfaire et considérable. En premier lieu, il faut en Belgique que la législation sur l'accise des eaux-de-vie soit basée sur des dispositions presque paternelles qni excluent tout arbitraire, toute vexation. Si tel n'était pas l'esprit de notre pays, la Belgique aurait conservé la loi de 1822. Cette loi aurait fait produire à l'impôt sur les eaux-de-vie indigènes, non pas 5 millions, comme on le voit figurer dans notre budget des voies et moyens, mais bien neuf à dix millions. La Hollande, avec une population moindre de près d'un million, obtient un produit beaucoup plus élevé que le nôtre.
Mais, messieurs, la difficulté est plus grande encore lorsqu'on réfléchit que les différents industriels auxquels la loi s'adresse ont presque tous des intérêts différents ; vous en avez la preuve dans les discours qui ont été prononcés ces jours derniers. Autant de localités, autant d'intérêts distincts. Si je m'adresse à un distillateur de ville, il trouve qu'en accorde trop de faveurs aux distillateurs du plat-pays an détriment de l'industrie urbaine. Si c'est un distillateur des campagnes : Toutes les faveurs de votre loi. dit-il, sont pour l'industrie urbaine, et l'on veut sacrifier les petites distilleries agricoles.
Une autre catégorie, messieurs, est celle des distillateurs qui travaillent pour l'exportation. Leur nombre est très restreint ; mais, en revanche, ils sont très puissants Eh bien, messieurs, ceux-là trouvent que l'on veut tuer leur exportation et que toutes les faveurs sont pour ceux qui alimentent le pays.
Ce qui est de bon atgure, messieurs, c'est que chaque disposition de la loi nouvelle soulève des réclamations de la part d'une catégorie de distillateurs contre leurs rivaux, et qu'à peine un orateur a-t-il fini de demander des faveurs pour l'industrie qu'il défend, qu'ii lui succède un orateur qui trouve qu'il en a déjà beaucoup trop.
Messieurs, et je finirai par là, quant à la discussion générale, le système de la loi que nous avons l'honneur de défendre est excessivement simple : plus de faveurs pour personne aujourd'hui que la vérité est connue, égalité pour tous devant la loi. Que chacun fasse des progrès. La loi est libérale, elle permet d'employer tous les modes de fabrication imaginables. Faites des progrès, concourez, mais que ce soit à armes régales.
Je fais peut-être une exception, messieurs, pour les exportations du pays, car la décharge même qui est inscrite dans le rapport de la section centrale, contient encore, au fond, une légère prime.
Lorsque j'en viendrai à la discussion de l'article où il est question de cette prime, je démontrerai qu'elle est parfaitement justifiable ; mais il n'y a aucun motif de la porter au-delà du chiffie inscrit dans le rapport de la section centrale.
Hier, messieurs, un honorable orateur m'a demandé pourquoi dans le projet de loi il n'est point parlé de la mélasse et il a même déposé un amendement qui aurait pour conséquence d'établir l'impôt à raison d'un rendement de 10 au lieu de 7 lorsqu'on emploie des mélasses dans les distilleries.
Eh bien, messieurs, ma réponse est très simple. Je suis le premier à convenir que tous ceux qui font emploi de mêlasses obtiennent un rendement supérieur à 7 ; mais ce rendement est-il de 7 1/2, de 8, de 9 ou de 10 ?
Aucun document authentique ne le constate.
Des expériences seront faites, et rien ne s'oppose à ce que, dans le projet qui nous occupe, on laisse momentanément cette question à l'écart. L'introduction eta la mélasse dans le pays est défendue, la production à l'intérieur en est limitée.
Si je devais déterminer un chiffre cela me serait extrêmement difficile. La mêlasse n'est pas comme les grains : les grains, lorsqu'on en use exclusivement, donnent le même rendement à tous, tout au moins la différence est peu sensible.
Si le grain d'une année est un peu plus riche en alcool que celui d'une autre, il est le même pour tout le monde ; personne n'a de faveur.
Il n'en est pas tout à fait ainsi pour la mélasse : la betterave, selon le sol sur lequel elle est cultivée, selon la culture qu'elle a reçue,est plus ou moins riche, plus ou moins pauvre en alcool. (Interruption.) Cela est évident. C'est un fait qu'on aurait beau contester, la chimie est là pour le prouver.
Maintenant j'admets volontiers qu'il y a un chiffre minimum qui doit être un jour inscrit dans la loi, quelle que soit la qualité de la mélasse ; mais ce chiffre, il m'est impossible à l'heure qu'il est de le déterminer et, je le répète, il n'y a aucun danger à le passer momentanément sous silence. Le gouvernement s'en occupe et il a lui-même le plus grand intérêt à le faire.
J'ajouterai, messieurs, que ce n'est pas la mélasse seule qui doit nous occuper ; à côté de la mélasse vient se placer le sirop ; à côté du sirop, vient se placer certain jus de betterave, peut-être même votre résidu de bière, que sait-on ?
Tous ces objets seront examinés, mais, je le répète, il est inutile de s'en occuper maintenant.
M. Mascart. - Les observations que j'ai à faire valoir concernent le drawback ; je demanderai à les présenter dans la disussion de l'article premier.
M. le président. - Voici deux amendements à l'article premier qui viennent d'être déposés :
« Nous proposons de porter le taux de la décharge à 23 fr.
« (Signé) Dautrebande, Mascart. »
« «Art. 1er § 2. Le taux de la décharge à l'exportation reste fixé à 30-70 tel qu'ii a été établi par la loi du 20 décembre 1851.
« (Signé) Rodenbach. »
M. Julliot. - Messieurs, je remarque que, quand nous discutons des lois et que nous ne sommes pas d'accord sur le point de départ, on faits de grands efforts pour jeter la confusion dans les idées en présentant comme intérêt public ce qui ne constitue que quelques intérêts privés.
Il ne me sera pas difficile de démontrer, que, dans le projet qui nous occupe, le gouvernement défend l'intérêt public en proposant de modérer des primes qui ne sont pas à justifier, tandis que ceux qui combattent le projet veulent faire prédominer l'intérêt de quelques individus sur celui de la société tout entière.
Je suis fâché de devoir le dire, mais ces mesquines appréciations nous viennent trop souvent des grandes villes, ces foyers de lumières, comme on les appelle, et qui, pour justifier la position qu'elles occupent, devraient nous donner l'exemple du désintéressement.
Je déplore que les hommes distingués par leur talent qui sont envoyés par ces cités fassent si souvent de la science sociale au point de vue étriqué de quelque entreprise privée, qui demande en plus au trésor, ce qu'elle-même se fournit en moins en habileté, en travail ou en capital.
C'est donc à Gand, à Anvers et quelque peu à l'arrondissement de Bruxelles que j'ai affaire, l'entreprise est forte j'en conviens, mais quand on a la vérité pour soi, on n'a peur de personne, car la vérité seule donne la confiance.
J'ai toujours cru, messieurs, et je crois encore, que nous ne sommes pas ici pour nous faire des compliments ; je suis ici pour défendre l'intérêt général contre les rapacités individuelles, de quelque côté du pays qu'elles se manifestent. C'est vous dire que mon appréciation sera juste, empreinte de l'intérêt de tous, et peut-être un peu sévère pour la convoitise.
Tous les orateurs sans distinction qui veulent conserver les primes se sont lamentés sur l'instabilité de nos lois ; eh bien, messieurs, il est de ces idées dont on ne peut se défendre, et la mienne la voici : c'est que si le gouvernement avait ptoposé une augmentation de primes en faveur de leurs commettants, on nous aurait dit le contraire, on aurait vanté le progrès sous forme d'heureuses modifications à la loi.
L'opposition la plus vive à ce projet de loi nous vient principalement de trois localités importantes du pays où résident les distillateurs qui exportent le genièvre et emportent les primes, et tout le reste du pays a un intérêt opposé à celui de ces villes dans la question qui nous occupe.
Aussi, hier j'ai cru m'apercevoir que plusieurs des exportateurs intéressés se trouvent fortuitement en ville ; je dis fortuitement, car loin de moi la pensée d'attribuer leur présence au désir de contrôler si leurs intérêts privés sont défendus avec assez d'habileté et de ténacité ; non, ces plaidoyers éloquents par les citadins et pour les citadins contre le trésor public, tout comme la présence des parties prenantes dans nos murs, n'est qu'une affaire de coïncidence fortuite, une affaire de hasard, j'en suis convaincu.
Je crois comme vrai, que le député en général qui blesse quelques intérêts privés, quelques minimes qu'ils soient, a plus à craindre pour sa position politique que s'il faisait perdre un million au trésor de l'Etat ; c'est triste à dire, mais c'est la vérité.
En voilà, messieurs, suffisamment sur la partie philosophique de la question ; elle n'est pas assez belle pour que je m'y arrête plus longtemps.
Dans le projet que nous discutons, trois intérêts différents sont en présence : celui du trésor de l'Etat, celui des distillateurs urbains et celui des distillateurs agricoles, et, par bonheur pour nos finances, les deux derniers ne peuvent s'entendre, car ce que l'un fabrique en plus, l'autre le produira en moins ; donc, le trésor ne sera pas sacrifié.
Un honorable député de Gand, dans un discours très habile, a cherché à nous présenter la question sous forme d'intérêt général ; comme toujours, il a invoqué les intérêts de l'agriculture, tout en condamnant néanmoins les distilleries agricoles, ce qui implique un peu de contradiction.
L'orateur nous a parlé bétail maigre, bétail gras, lait, maraîchers ; enfin, il a rattaché toutes les positions aux primes de sortie de l'alcool ; il a cherché à nous démontrer que tous les faits s'enchaînent, et que, si les distillateurs reçoivent des primes, ils n'en font pas mauvais usage ; mais il a oublié de nous dire que, quand on fait un vide dans la caisse commune au profit de quelques contribuables, sous quelque prétexte que ce soit, tous les autres contribuables doivent concourir à le remplir. Voilà cependant les deux faits qui s'enchaînent le plus directement et dont il n'a dit mot.
Puis l'honorable membre a invoqué la loi hollandaise pour en extraire (page 1092) la disposition la plus absurde qu'elle contient, à savoir que le pouvoir exécutif peut modifier le rendement quand il est constaté que les eaux employées sont de mauvaise qualité, comme s'il n'était pas plus naturel d'ériger les distilleries près des eaux favorables, que de faire racheter par des primes les qualités qui font défaut.
C'est ainsi, messieurs, que cela se pratique dans le Limbourg. Hasselt compte dans les vingt distilleries, Tongres n'en a pas une, quoique ces deux villes ne se trouvent qu'à la distance de quatre lieues. Et pourquoi ? Parce que dans cette dernière ville les eaux sont peu propices et que la caisse communale n'est pas disposée à primer un travail dans la commune quand il se fait mal ; on se résout dans ce cas à faire autre chose, parce qu'on ne tient pas pour utile d'encourager un mauvais travail qui ne peut se résumer que dans une perte sèche pour le capital social.
L'honorable député de Gand est allé jusqu'à accuser le gouvernement de bouleverser toutes les industries les unes après les autres.
Savez-vous, messieurs, ce que cela veut dire en langage gantois et anversois en fait d'industrie ? Cela veut dire que le trésor n'arrose plus si abondamment les industries que du temps passé, alors qu'on y voyait moins clair.
C'est-à-dire qu'on ne prélève plus autant sur la fortune de ceux qui ne fabriquent pas pour en accroître la fortune de ceux qui raffinent, distillent, ou fabriquent. Voilà le grief dans toute sa simplicité et dont je félicite le gouvernement, car le premier trimestre de cette année nous dit à quelle somme considérable le trésor peut être condamné si nous ne modifions pas la loi, c'est-à-dire à perdre plus d'un million de francs au profit de quelques individualités fort respectables du reste, l'honorable ministre des finances vous l'a déjà dit.
Je dis que le temps est venu où les industries factices qui ne vivent que quand elles sont arrosées par le trésor ont fait leur temps : on commence à comprendre que la spoliation ne réside pas seulement dans le fait de dévaliser les gens dans les rues, mais qu'elle se résume aussi dans la loi qui prélève des impôts sur tous pour les distribuer à quelques-uns, et j'engage les industriels de cette catégorie à se mettre en mesure de se passer de privilège, car on ne les laissera pas en repos tant qu'ils prélèvent des bénéfices dans les caisses de l'Etat, vos lois ne seront stables qu'alors que toutes les industries seront égales devant la loi et que tout privilège aura disparu.
Pour ma part, je ne cesserai de combattre que quand il sera convenu que tout ce que l'Etat nous doit, c'esl la plus grande somme de sécurité possible, et que tout ce qu'il donne au-delà se résume en emprunts forcés prélevés sur les uns au profit des autres.
Un mot à l'adresse des distillateurs agricoles, car leurs prétentions ne sont pas mieux justifiés que celles des exportateurs.
Quand primitivement on a distingué les distilleries agricoles des autres, on avait mis des entraves considérables aux premières ; elles ne pouvaient travailler que peu de matière à la fois, elles devaient se servir du même vaisseau pour faire deux opérations différentes ; aujourd'hui ces entraves sont levées, on peut distiller une quantité beaucoup plus forte et se servir de vases différents ; il n'y a donc plus lieu à distinction. D'ailleurs, que faites-vous pour les petites brasseries ? Rien ; donnez-vous des remises d'impôt au cultivateur pour qu'il fasse du fumier ? Non ; pour les industries quelles qu'elles soient, exercées dans des conditions restreintes, vous n'avez pas de remède quoiqu'il soit reconnu que le travail en grand a des avantages sur celui qui ne l'est pas.
N'ayons donc pas de poids et mesures différents pour les différentes industries, et ne primons surtout pas le travail par cela même qu'il est mal fait.
Messieurs, à mon point de vue le meilleur discours pratique qui ait été prononcé dans la discussion est celui de l'honorable M. Dautrebande ; j'en félicite d'autant plus l'honorable membre qu'il appartient à une localité où l'industrie des distilleries est très importantes. J'engage vivement les partisans de l'intérêt public et des distilleries agricoles à suivre l'honorable membre dans ses propositions en ce qui concerne le chiffre de 23 francs, et de mon côté j'adopte sa proposition tout entière et me joins de grand cœur aux distillateurs des villes pour faire justice d'une exemption d'impôt de 15 p. c. qui n'a plus de raison d'être.
Si les deux votes réussissent comme je l'espère, nous nous serons considérablement rapproches de la vérité en respectant convenablement le dicton du tien et du mien, et la moralité du pays n'y perdra rien ; que les privilégiés en portent leur deuil, et se consolent avec moi et tant d'autres qui ne jouissent d'aucun privilège sous quelque forme que ce soit, qu'ils sachent une bonne fois qu'au fur et à mesure que le sens moral du pays découvre un privilège, il est retiré et doit l'être ; l'égalité devant l'impôt le veut ainsi.
M. Lelièvre. - A l'occasion du projet en discussion, je crois devoir appuyer les réclamations qui ont été adressées à la chambre de la part de plusieurs distillateurs qui ont signalé les abus du régime en vigueur et la nécessité d'adopter des dispositions plus équitables.
Certes, j'applaudis aux dispositions du projet qui maintiennent la déduction de 15 p. c. dont jouissent les produits des distilleries agricoles ; mais je pense qu'il faudrait étendre cet avantage aux distillateurs des villes fortifiées qui cultivent le nombre d'hectares de terrains fixé par la loi dans un rayon de huit kilomètres, et ainsi étendre le rayon restreint à cinq kilomètres par la législation en vigueur.
En effet, plusieurs distillateurs urbains se trouvent dans une position exceptionnelle. La ville de Namur, par exemple, est entourée de fortifications, et ce n'est qu'à plus de 5 kilomètres de distance qu'il est possible de rencontrer des terres et prairies que les distillateurs puissent reprendre en location à un prix convenable ; les terrains plus rapprochés sont convertis en jardins ou ne sont loués qu'à des prix tellement exorbitants que le distillateur ne peut songer à y recourir.
C'est ce qu'on observe en général relativement aux terrains voisins des places fortes.
Il est donc juste de prendre en considération ces circonstances particulières et par conséquent d'étendre le rayon tel qu'il est déterminé sous le régime actuel.
Du reste, messieurs, l'extension que je sollicite ne peut que procurer des avantages notables à l'agriculture, elle produira également d'excellents fruits relativement à l'engrais et à la culture des terrains situés dans le périmètre plus étendu qui sera énoncé dans la loi et sous ce rapport j'espère que le gouvernement se ralliera au vœu légitime des pétitionnaires.
Le rapport de la section centrale, en rappelant les pétitions auxquelles je fais allusion, ne s'explique pas sur les motifs qui ont porté la section à ne pas en adopter les fins.
Plusieurs dispositions du projet me semblent équitables, mais je pense qu'il y a lieu de prendre en considération la position de quelques distillateurs relativement à l'objet dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir. Pour le surplus, je suis convaincu qu'en maintenant la déduction de 15 p c. au profit des distilleries agricoles, on ne fait que conserver un ordre de choses fondé en justice et en équité.
M. de La Coste. - Je renonce à la parole. Je parlerai sur les articles. Je demanderai seulement à quel article se rapporte l'amendement de M. Delehaye.
M. le président. - C'est un article additionnel.
M. de La Coste. - Quel rang lui donnera-t-on dans la discussion ?
M. le président. - Il viendra à la fin si M. Delehaye ne demande pas qu'on lui assigne un autre rang.
- La clôture est demandée.
M. Loos (sur la clôture). - Si la discussion générale est close, je demanderai si les orateurs inscrits dans cette discussion pourront prendre la parole dans la discussion des articles. J'avais principalement à parler sur l'article premier, mais comme j'avais quelques observations générales à présenter, je m'étais fait inscrire dans la discussion générale. Je demanderai mon tour de parole dans la discussion de l'article premier.
M. le président. - Il y a des orateurs inscrits depuis longtemps sur l'article premier ; ils ont droit à la priorité pour la discussion de cet article.
M. Loos. - Alors je demande que la discussion générale continue.
M. Delehaye. - Messieurs, le projet de loi actuellement soumis à nos délibérations est réellement très important. Il est donc à désirer que nous puissions entendre M. Loos. Moi-même je désire présenter quelques observations en réponse à ce qu'a dit M. le ministre des finances. Si nous devons parler sur l'article premier, comme il y a déjà plusieursorateurs inscrits sur cet article, quand notre tour viendra on demandera de nouveau la clôture.
Permettez au moins à ceux que vous voulez condamner, de se faire entendre.
- La clôture est mise aux voix ; elle- n'est pas prononcée.
M. Maertens. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire dans cette discussion. Un de mes honorables collègues de Gand s'est déjà chargé de développer les considérations qui intéressent une catégorie de distillateurs qui auraient surtout à souffrir des dispositions nouvelles de la loi.
Dans cette discussion, tout le monde doit être frappé de la rivalité qui se manifeste. De tous côtés des voix s'élèvent contre la loi, non pas pour critiquer l'ensemble de ses dispositions ,mais pour s'attaquer à quelques dispositions particulières, qui nuisent aux intérêts si divers des différentes espèces de distilleries.
D'après moi, c'est le meilleur signe que la loi n'est pas juste, parce qu'elle ne sauvegarde pas tous les intérêts ; une loi, pour être juste, doit protéger, au même titre, les intérêts divers auxquels elle s'applique. Le projet qui nous occupe n'atteint évidemment pas ce but. Voilà pourquoi je ne puis donner un vote approbatif au projet du gouvernement.
Un fait positif, c'est qu'il existe une lutte très vive entre les distilleries établies dans les grandes villes et les grandes distilleries établies à la campagne.
Quant aux distilleries agricoles, je les laisse de côté, et ne consultant que mes impressions personnelles, j'accepte volontiers la faveur qui leur est accordée dans l'intérêt de l'agriculture.
Mais, quant aux premières, je crains que les nouvelles modifications apportées à la loi n'aillent créer un véritable monopole au profit de quelques grands industriels, au détriment de nos distillateurs urbains.
Le premier objet dont j'ai à m'occuper, c'est celui du rendement, qui est la base des modifications qui nous sont proposées.
Cette base est-elle juste ? Voilà la question que je me pose.
De tous les points du pays on a réclamé contre la majoration que le (page 1093) rendement a subie d'après les expériences faites par les soins du gouvernement et sur lesquelles il s'appuie pour placer cette nouvelle fixation au-dessus de la critique.
En lisant l'exposé des motifs du projet de loi, j'ai été frappé d'un fait, c'est qu'avant même la présentation de ce projet, la base dont il s'agit a été critiquée, par qui ? Précisément par une fraction de ceux qui avaient assisté aux expériences, et qui étaient le plus à même de juger ce que la fixation de cette base pouvait avoir de défectueux.
Si j'insiste sur ce point, c'est qu'on a prétendu que toutes ces réclamations sont venues après coup ; que c'est après la présentation du projet de loi qu'on a fait calculs sur calculs et qu'on a vu que de la manière dont le rendement avait été combiné et avec le drawback et avec la question de l'octroi, il résulterait un véritable préjudice pour quelques intéressés.
C'est avant de connaître les intentions du gouvernement sur les deux autres questions, et s'occupant exclusivement des expériences, que les industriels les ont déjà critiquées. Je tiens à constater ce fait ; car cela prouve que ces expériences n'étaient pas faites dans des conditions telles qu'elles devaient être acceptées par tout le monde.
Les nombreuses pétitions qui nous ont été adressées nous montrent le mauvais côté de ces expériences : c'est qu'on n'a pas tenu compte de la manière normale dont une distillerie travaille.
Elles ont été dirigées par une commission formée des hommes les plus compétents et présidée par un chimiste des plus expérimentés. Toutes les matières qu'on a employées pour constater le rendement ont été de première qualité. Dans toutes les industries il y a parfois des résultats qui ne sont pas satisfaisants ; on n'a pas tenu compte de ces éventualités ; on a dit : « Nous ne pouvons accepter que ce qui a été fait dans les meilleures conditions. »
En un mot, on a fait des expériences modèles. Or, l'industriel qui travaille tous les jours, ne fait pas des expériences, mais il cherche à faire marcher son industrie, il doit passer outre, alors que les résultats ne répondent pas à son attente, il ne peut pas dire : « Je rebute un tel résultat parce qu'il est mauvais. » Car ce serait marcher à sa ruine que de travailler de la sorte ; pour lui les opérations favorables ne peuvent donner une juste appréciation du résultat définitif de ses affaires, mais compensent des opérations malheureuses dont le gouvernement ne tient pas compte dans le projet de loi.
Les réclamations sont donc justes. Or, que demande-t-on ? Que le rendement ne soit pas aussi élevé, mais qu'il soit fixé à 6 1/2 au lieu de 7.
Les réflexions que j'ai eu l'honneur de vous soumettre me semblent justifier parfaitement cette réduction ; aussi, je suis bien résolu à ne pas accepter le chiffre fixé par le gouvernement ; je ne puis m'y rallier d'aucune manière.
Il est une autre question qui n'est que la conséquence de celle que je viens de développer ; c'est celle de l'octroi, c'est-à-dire l'intervention des villes dans les soi-disant protections qu'elles accordent aux distilleries établies dans leur sein.
Sans entrer dans des détails, me bornant à traiter la question de principe, je vous dirai que depuis quelque temps il me semble qu'il s'élève quelque tendance à entraver la liberté communale, à entamer en quelque sorte ce que j'appellerai l'individualité communale.
Ces libertés dont nous sommes si fiers, parce qu'elles sont implantées depuis des siècles dans nos mœurs, dans nos habitudes, dans nos idées, il ne faut pas qu'on les entame sous quelque prétexte que ce soit.
Or, si nous allons suivre cette tendance à limiter l'action financière des communes, chaque poste du budget sera déterminé par une loi. Que deviendra alors l'action communale : Elle n'existera plus ; elle deviendra une illusion. Il me semble que, dans les circonstances actuelles, il faut laisser une grande latitude aux administrations communales, car elles sont le mieux à même d'apprécier la protection qu'elles doivent accorder à l'industrie indigène.
Si, dit-on, elles accordent quelque faveur à une industrie, c'est au détriment des autres ; mais croyez-vous que les autres industries ne viendraient pas réclamer si ces faveurs n'étaient pas justifiées. La ville de Gand est dans une situation exceptionnelle, et les faveurs qu'elle pourra accorder à ses distilleries ne seront critiquées par personne. Cela tient à la position exceptionnelle de la ville de Gand, qui est située au milieu de terrains sablonneux qui doivent leur fertilité, en grande partie, aux distilleries.
Sans les distilleries qui existent dans le sein de la ville de Gand, la culture maraîchère serait impossible dans ses environs, parce que les maraîchers n'ont que les résidus de ces distilleries pour nourrir leur bétail. Voilà pourquoi la ville de Gand tient à conserver dans son sein les distilleries qu'elle possède.
Une preuve que tout ce qu'on a fait jusqu'à présent dans l'intérêt des villes ne constitue pas une faveur qui puisse nuire aux industries rivales, c'est que l'industrie des villes n'a fait aucun progrès dans les villes ; qu'elle y est restée stationnaire quand elle n'a pas décliné ; tandis que nous voyons de grandes distilleries s'établir dans les campagnes et y prendre un développement excessif. Et ce sont celles-là qui prétendent que nous voulons leur ruine. Ces faits que j'invoque sont tellement positifs qu'il est impossible d'y opposer la moindre objection.
Je ne puis donc accepter le projet du gouvernement. Je voulais proposer des amendements, mais d'autres membres m'ayant devancé, j'attendrai la discussion des articles pour voir jusqu'à quel point je puis m'y rallier.
Je vous prie de croire, messieurs, que je ne suis animé d'aucune idée d'hostilité contre qui que ce soit ; mais je viens demander une loi, qui tout en sauvegardant les intérêts du trésor n'amène pas la ruine de toute une catégorie d'industriels qui attendent avec anxiété que la chambre ait prononcé sur leur sort. J'ose espérer, messieurs, que vous aurez égard aux observations que j'ai cru devoir vous soumettre, et que vous consentirez à des modifications, que les règles de la justice réclament de vous.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - D'après les ordres du Roi, j'ai l’honneur de présenter un projet de loi relativement à un arrangement à intervenir entre le gouvernement belge et le Saint-Siège, concernant les droits de navigation.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer. Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est un projet d'une très minime importance, ne pouvant donner lieu à aucune espèce de difficulté ; je demanderai si on ne pourrait pas le renvoyer à la section centrale du budget des affaires étrangères qui serait chargée de l'examen de ce projet comme commission spéciale.
- Cette proposition est adoptée.
M. Loos. - Messieurs, je vous ai parlé si souvent des effets nuisibles de l'instabilité de nos lois financières pour le commerce et l'industrie, que je crois inutile d'en parler encore. D'ailleurs, j'ai été devancé par un honorable membre qui, lui aussi, a déploré avec moi les conséquences fâcheuses de l'instabilité de nos lois.
Il est des circonstances cependant où, quoi qu'on fasse, on se trouve dans la nécessité de remanier quelques lois de finances ; quelque regrettable qu'il soit de devoir s'en occuper, l'intérêt du trésor commande, nous ne pouvons pas le laisser péricliter.
Est ce le cas pour la loi qui nous occupe ? Je ne le pense pas. Lors du vote de la loi de 1851, le gouvernement avait pris l'engagement de présenter à la session suivante ses vues sur deux points déterminés ; ces deux points, l'honorable ministre des finances les a indiqués ; c'étaient les octrois des villes et la faveur accordée aux distilleries agricoles. Mais en dehors de cela le cabinet n'avait pas pris d'engagement, n'avait pas reçu de mission de la chambre. Je ne vois pas pourquoi à cette occasion nous mettons en question l'existence des distilleries qui travaillent pour l'exportation ; c'est-à-dire la partie la plus imporlante de cette branche d'industrie au point de vue des intérêts généraux.
Après avoir vu réduire la restitution de droit en décembre 1851, il y avait lieu d'espérer qu'après cette réduction opérée sous l'influence de circonstances urgentes, alors qu'on recherchait toute espèce de moyen de faire produire les impôts, les distillateurs devaient croire que, ce moment passé, il y aurait répit pour leur industrie, qu'ils pourraient la continuer dans les vues qui avaient présidé à leur installation, sans être retenus par la crainte de voir prévaloir de nouveaux principes économiques.
Malheureusement, messieurs, quand on s'occupe d'une loi, on ne s'arrête pas au point qui était indiqué d'avance ; on pousse les investigations beaucoup plus loin et l'on veut tout perfectionner ; c'est-à-dire qu'on remet tout en question.
Aujourd'hui le rapport de la section centrale nous dit qu'il est un point, et M. le ministre des finances le reconnaît, dont la chambre aura à s'occuper avant peu : c'est l'emploi des mélasses et autres matières alcooliques dans les distilleries. On reconnaît qu'il y a quelque chose à faire sur ce point, qu'il faudra remanier donc la loi sous ce rapport. Eh bien ! je prévois donc qu'avant un an d'ici, nous aurons à nous occuper encore d'une manière générale de la loi sur les distilleries ; contre l'intention sans doute de ceux qui veulent qu'on s'occupe de cette seule partie de l'industrie, il m'est démontré qu'avant un an il y aura encore une discussion générale sur les intérêts qui nous occupent en ce moment. Qu'en résultera- t-il ? C'est que quatre années de suite vous aurez modifié la loi sur les distilleries. Je vous le demande, avec cette instabilité dans nos lois financières, est-il possible de faire fleurir une industrie quelconque, d'aviser à des perfectionnements, à des progrès ?
Je disais, messieurs, qu'il est parfois certaines nécessités auxquelles il faut satisfaire. Ainsi je reconnais volontiers que quand nous nous sommes occupés en 1847 de la loi sur les raffineries, il y avait nécessité de s'en occuper. Les intérêts du trésor étaient lèses, il fallait y pourvoir, et quoique je croie avoir toujours défendu assez chaudement les intérêts des raffineries, je n'étais pas opposé à ce qu'un système nouveau remplaçât le système ancien. Je croyais que cette industrie devait payer au trésor ce qui lui revenait légitimement, que l'industrie des sucres était une industrie qui devait sa part d'impôts.
(page 1094) Je pense de la même manière en ce qui concerne les distilleries. Le genièvre, les alcools sont bien une matière imposable, il faut qu'ils payent et qu'ils paient ce qu'ils doivent payer.
Mais, messieurs, est-ce une raison pour empêcher cette industrie de se produire sur ie marché étranger ? Je ne le crois pas. Je crois qu'il faut faire payer aux distilleries le plus qu'elles peuvent payer pour la consommation intérieure. Je crois, au contraire, que pour les exploitations il faut les protéger de manière à ce qu'elles puissent se produire sur les marchés étrangers en concurrence avec les distilleries de nos voisins. De trop grands intérêts sont attachés à cette industrie, pour que nous n'ayons pas tous le désir de maintenir l'exportation de ces produits.
En effet, messieurs, nous sommes tous d'accord quand il s'agit d'exportation. Tout le monde veut qu'on exporte les produits et surtout les produits manufacturés de notre pays. Mais quand il s'agit des moyens d'amener ces exportations, alors le désaccord règne. On craint de trop protéger le commerce et l'industrie.
Messieurs, en ce qui concerne les distilleries, je dirai qu'il n'est pas d'exportation possible, qu’il n’est pas d’armements possble sans que les distilleries fournissent leur contingent d'exportation. Si vous faites votre loi de manière à ce que nous ne puissions plus exporter de genièvre belge, le commerce sera réduit à exporter le genièvre hollandais. Déjà les distilleries de nos voisins entrent pour une très large part dans nos exportations, et je vous dis qu'avec la loi que vous avez l'intention de faire, ce sont exclusivement les genièvres de Hollande qui seront exportés de nos ports.
Nous avons trop d'articles légers, il faut pour l'exportation quelques articles encombrants. Il n'est pas d'armements. il n'est pas d'exportations possibles sans que les navires soient convenablement lestés. Les distilleries fournissent un fort contingent pour nos cargaisons de sortie. Avec la réduction que vous voulez opérer sur le drawback, je vous dis que vous n'exporterez plus que du genièvre hollandais. Eh bien, qu'aura gagné le pays avec la loi qui vous est proposée ?
L'honorable M. Dautrebande vous l'a dit ; je prends ses chiffres, et certainement s'ils ne sont pas exacts, c'est plutôt contre moi ; mais je les crois et je les prends pour exacts ; il résulte du tableau qu'il vous a soumis, qu'en moyenne les restitutions qui auraient dû être payées d'après la loi qui vous est proposée et qui admet un rendement de 7 litres par hectolitre, nous avons paye en primes en dix ans 515,400 fr.
C'est donc en moyenne 50 mille fr. par an que nous avons payés pour primes, si tant est qu'il y ait prime ; c'eit un point que je vais examiner tout à l'heure. Eh bien ! c'est pour 50 mille fr. par an que vous porteriez la perturbation dans une grande industrie ; c'est pour 50 mille francs que vous empêcheriez d'une manière absolue l'exportation des genièvres belges.
Ainsi l'agriculture qui fournit aux distilleries les céréales serait privée de cet immense débouché.
L'agriculture qui profite des résidus serait encore privée de cette importante ressource..
Je dis que c'est une immense ressource ; car si je regarde le tableau de nos exportations, bien qu’elles ne soient pas arrivées au chiffre qu’elles atteindront sans doute uu jour, je vois que de 1843 à 1853, c'est-à-dire dans une période de dix ans, nous avons exporté en moyenne 7,481 hectolitres de genièvre par an. Ces 7,481 hectolitrès de genièvre n'ont pas donné moins de 6,000 hectolitres de résidus. Calculez le nombre du bétail qui a pu trouver là un aliment, et vous verrez à quelles privations va être réduite l'élève du bétail dans notre pays.
J'ai entendu souvent, dans cette enceinte, présenter des observations sur ce que manque à notreagriculture, j'ai entendu dire aux plus experts en agriculture, que ce qui manque surtout, c'est un nombre suffisant de têtes de bétail. On reconnaît donc que, par le développement des distilleries, au moyen de l'exportation de leurs produits, on pourrait arriver à obtenir ce qui réellement manque à notre agriculture. Ce moyen, votre loi le refuse.
Il y a là une inconséquence pour ceux qui se posent en défenseurs de l'agriculture, et qui en général s'elèvent contre les intérêts d'autres industries. Dans cette circonstance donc, je trouve qu'ils sont très peu conséquents avec leurs principes ; car si l'exportation du genièvre peut être utile au commerce, elle est beaucoup plus utile encore à l'agriculture.
Mais, dit-on, nous sommes les adversaires des primes, et le mot « primes » nous choque ; nous ne voulons plus en entendre parler. Je ne suis pas plus partisan des primes qu'un autre. J'ai concouru, je crois, à faire disparaître celles qui existaient ; je serai le plus souvent du côté de ceux qui combattent les primes. Mais je n'appartiens pas à cette école d'économistes absolus qui disent : « Périssent les colonies, plutôt qu'un principe ! » Je ne suis pas de ceux qui, s'attachant à une théorie, veulent l'appliquer à tout propos, sans tenir compte des circonstances, sans examen intelligent des faits, sans s'inquiéter des résultats immédiats que doit produire l'application de ces théories, disant : « Ces théories sont bonnes, il faut les appliquer quoi qu'il advienne. »
Ils ressemblent un peu à ces médecins qui, ayant foi dans leurs doctrines, tuent leur malade d'après toutes les règles et trouvent que s'il est mort, c'est qu'il y a mis de la mauvaise volonté, persistant à croire à l'infaillibilité du remède qui devait nécessairement le sauver.
Vous ne voyez pratiquer nulle part l'économie politique dont a parlé l’honorable M. Julliot. J'en conviens, je l'ai souvent trouvée dans des discours magnifiques dont j'ai admiré l'inflexible logique. Mais dans l'application, c'est tout autre chose : il faut s'appuyer, non sur une théorie absolue, mais sur la raison, et il faut quelquefois transiger pour arriver à une application utile de certaines théories, bonnes, justes en elles-mêmes. En Angleterre vous voyez pratiquer ainsi les doctrines économiques. Là ces théories ont été proclamées : mais elles ont été appliquées avec modération, avec intelligence, et alors vous les voyez produire les résultats favorables que l'on constate chaque jour.
L'honorable M. Juiliot qui est, lui, un économiste impitoyable, a beaucoup critiqué les idées qu'émettent dans cette enceinte les représentants de certaines grandes villes ; il les qualifie d’idées mesquines. Pourquoi ? Parce que nous ne suivons pas d'une manière absolue ses theories économiques. Je lui répondrai que, quelque justes que puissent être ses théories, nous ne voulons les appliquer que d'une manière modérée, après examen intelligent des besoins du pays.
Au reste, l'honorable M. Juiliot, en dehors de ses théories, n'a jamais indiqué le moyen de remédier à une situation existante, il s'est toujours borné à la critiquer : ainsi, il blâme ce qu'il appelle la prime pour l'exportation des genièvres, sans prouver que cette prime existe réellement dans le véritable sens du mot.
Pour moi, je lui dirai que si je parle en ce moment en faveur du rétablissement de la decharche à 30 fr. 70, c’est parce que je crois que, dans l’état actuel des choses, cela est indispensable. Nous avons dans notre pays pour les distilleries un autre régime qu’en Hollande.
Il résulte de cette différence de système que nos voisins reçoivent la restitution complète du droit qu'ils ont payé, ou plutôt ils ne payent aucun droit travaillant en entrepôt et exportant leurs produits. Si l'honorable M. Julliot avait proposé d'admettre ce système, nous pourrions ëire d'accord avec lui ; mais il ne l'a pas fait ; il s'est borné à critiquer, c'est ordinairement son rôle dans nos discussions.
Je dis qu'avec le régime différent établi en Hollande, si vous ne restez pas dans les termes de la loi de 1851, vous n'exporterez plus, parce que l'exportation sera impossible, en raison du prix de revient supérieur de nos genièvres.
Dans le système qui régit les distilleries en Hollande, on obtient, en dehors du produit principal, un produit accessoire d'une grande valeur, la levure, produit qui nous manque, qui réduit d'une manière importante le prix de revient du genièvre et qu'il est impossible d'obtenir avec les 24 heures de fermentation.
Si, au lieu de se borner à critiquer, l'honorable M. Julliot veut indiquer un moyen, nous examinerons s'il tient compte de la difference d'un système à l'autre.
Pour moi, je m'en tiens au chiffre de 30 fr. 70 c. Si, contre mon attente, des préventions pouvaient rester dans l'esprit des membres de cette chambre, si l'on croyait que cela constitue une véritable prime, quoique cela ne soit pas vrai, je demanderai, du moins pour les produits destinés à l’exportation, le travail en entrepôt. Je ne réclame pas de prime pour les distilleries. Il n’en existe plus pour l’industrie des sucres, et je n’en demande pas pour d’autres industries. Mais je veux que l’on comble la différence existant entre le système qui régit nos distilleries, et celui qui régit les distilleries hollandaises.
Je suis convaincu que la restitution de droits que l’on veut admettre ne comble pas cette différence, et que nous arriverons sur les marchés étrangers dans des conditions d’infériorité, avec des prix supérieurs qui ne permettront pas de nous y produire.
Vous voyez, d’après ces explications, qu’en abaissant de 30 à 24 ou 23 fr., la restitution des droits, vous supprimerez l’exportation des genièvres. Mais comme ils sont indispensables pour parfaire les cargaisons on exportera des genièvres hollandais. Ce résultat est inévitable, si malheureusement, comme je le crains d’après la disposition de la chambre, vous admettez la réduction du drawback.
L’honorable M. Julliot s’étonne beaucoup aussi de ce que les personnes intéressées dans cette discussion se soient trouvées à Bruxelles ; il a bien voulu prétendre que c’était par hasard. Mais n’est-il pas naturel, quand nous nous occupons de questions vitales pour une industrie, que les intéressés se rendent ici pour nos éclairer de leur expérience, pour éclaircir les points dont l’interprétation peut être douteuse ?
J’ai d’autant plus lieu de m’étonner de l’observation de l’honorable M. Jullior que lorsqu’il s’agissait de chemin de fer, il trouvait tout naturel que les intéressés de sa localité vinssent s’adresser aux membres de cette chambre et en particulier à ceux qui faisaient partie de la section centrale du projet de loi de travaux publics.
Alors ses théories magnifiques ne le mettaient peut-être pas à son aise, il n’en tenait cependant aucun compte, et venait demander lui-même que sa localité fût, comme d’autres, dotées d’un chemin de fer aux frais de l’Etat. Je l’ai toujours appuyé, je trouvais ses prétentions justes et naturelles, mais quant à ses principes rigoureux, il savait les faire fléchir en cette circonstance. Je connais beaucoup d’économies qui en pareille occasion en font autant et je ne les blâme point. Il est plus facile de professer certains principes que de se les appliquer.
L’honorable ministre des finances, lui, a un atre système : attendu que personne n’est satisfait du projet de loi, que tout le monde se plaint, il dit qu’il faut nécessairement que la loi soit bonne.
C’est un moyen comme un autre de se mettre à son aise. Il doit être facile aindi d’avoir de bonne lois si, pour qu’elles soient telles, il suffit qu’elles soient trouvées mauvaises par toutes les parties intéressées. Je crois, pour ma part, que ce système nous conduirait bientôt à avoir un arsenal complet de très mauvaises lois.
(page 1095) Je crois qu'une loi n'est bonne que quand elle a subi l'épreuve d'une sage discussion, et quand (surtout pour une loi de finances) on s'est entouré de tous les renseignements, de sorte que chacun ait pu se faire une opinion éclairée, dégagée de toute passion et qu'il n'y ait point de parti pris d'avance.
Ainsi, je dirai en terminant en ce qui concerne la restitution à la sortie, que j'attends qu'on veuille bien me prouver le contraire de ce que j'ai avancé. Je tiens sous la main tous les documents nécessaires pour démontrer que dans les conditions qu'on veut imposer aux distilleries, il est impossible qu'elles songent encore à l'exportation.
M. Delehaye. - M. le ministre vous a fait connaître, messieurs, des raisons pour lesquelles il ne peut pas admettre ma proposition relative aux mélasses.
L'honorable ministre doit avoir oublié ce qu'il a dit à la section centrale, car il a reconnu que le rendement de 10 est plutôt au-dessous qu'au-dessus de la réalité.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Les renseignements dont j'ai parlé ne sont pas authentiques.
M. Delehaye. - Du reste, je n'insisterai pas sur ce point, puisque le gouvernement prend l'engagement d'étudier la question. Je ferai seulement une observation. M. le ministre a dit que la mélasse peut être plus on moins riche, mais il a perdu de vue que plus elle est riche, plus le prix en est élevé ; la valeur de la mélasse porte exclusivement sur la quantité de matière saccharine qu'elle contient, et chacun sait que c'est la matière saccharine qui produit l'alcool.
L'honorable M. Rodenbach a cru hier me réfuter victorieusement en disant que nos distillateurs emploient des fonds de bière qui ne sont pas frappés de droits ; mais, messieurs, les fonds de bière servent à remplacer la levure ; c'est par économie qu'on les emploie, mais ils ne produisent pas de genièvre par eux-mêmes comme les mélasses. L'honorable membre a donc confondu deux choses entièrement distinctes.
L'honorable M. Julliot s'est étonné que les distillateurs se rendent à Bruxelles en vue de cette discussion ; je ne vois à cela, messieurs, rien qui puisse étonner le moins du monde : les distillateurs voient leur existence mise en question et ils se rendent à Bruxelles pour éclairer les députés. Rien de plus simple. Quant à moi, messieurs, j'ai étudié profondément toute la loi, j'ai passé des journées entières dans des distilleries pour me former une conviction, eh bien, l'honorable membre doit savoir que ma localité est complètement désintéressée dans la question du drawback ; mais je suis convaincu intimement que si vous n'admettez pas le drawback vous enlevez à la navigation nationale son principal aliment.
L'honorable M. Julliot a dit qu'un député se faisait plus de tort en imposant à un de ses commettants un sacrifice de dix francs qu'en faisant perdre un million au trésor ; j'ai, moi, la conviction, messieurs, que la plupart des industriels savent très bien quelles sont les exigences du trésor et qu'ils aiment infiniment mieux gagner un peu moins que d'avoir à payer beaucoup pour maintenir la situation financière du pays.
On a parlé du sirop et on a complètement perdu de vue une chose, c'est que le sirop ne peut pas s'employer pour faire du genièvre, puisqu'il a une valeur beaucoup plus grande que celle du genièvre.
Je suis, messieurs, complètement désintéressé dans la question de la mélasse ; il en est de même de mes commettants, mais, au point de vue du trésor cette question est très importante, et je suis étonne que le gouvernement ne se rallie pas à ma proposition. Je le sais, des personnes très puissantes sont intéressées à ce qu'il n'y ait point de droits sur la mélasse ; ce sont les grands distillateurs qui ont, à côté de leurs distilleries, des fanriques de sucre ; mais ce n'est pas là un motif pour sacrifier les intérêts du trésor.
Quant aux petites distilleries, je reste complètement dans l'esprit qui a dicté la disposition primitive sur les distilleries agricoles.
Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Maertens, nous n'avons à Gand aucune distillerie qui ne soit agricole dans toute la force de l'expression. Supposez, messieurs, que, dans une commune quelconque, il y ait deux distilleries : l'une n'a des cuves que pour vingt hectolitres ; elle possède 15 hectares de terre et du bétail en proportion. Voilà ce que, vous appelez une distillerie agricole, et vous lui accordez la déduction de 15 p. c. ; l'autre n'est pas assez riche pour avoir l'étendue de terres et la quantité de têtes de bétail que vous exigez, mais elle cède son résidu à son voisin qui l'emploie pour nourrir son bétail à lui ; cette distillerie-là ne jouit d'aucune faveur.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, quelle différence y a-t-il, au point de vue des services rendus à l'agriculture, entre ces deux établissements ? (Interruption.) On a dit : Les distillateurs agricoles laissent plus d'alcool dans leur résidu afin de donner une meilleure nourriture à leur bétail : je vous avoue, messieurs, que je ne savais pas qu'on nourrît le bétail avec de l'alcool. (Interruption.) La matière saccharine. Mais alors donnez de la betterave au bétail. Pourquoi distille-t-on ? C'est pour extraire l'alcool ? Et qu'est-ce qui produit l'alcool ? La matière saccharine. et vous prétendez que des distillateurs laissent de la matière saccharine dans le résidu, afin de le rendre plus propre à nourrir le bétail ! Evidemment, messieurs, cela n'est pas sérieux.
Quand on distille, on le fait incontestablement pour avoir du genièvre ; eh bien, celui qui distille pour avoir du genièvre a bien soin d'extraire des matières employées tout ce qu'il lui est possible d'en extraire.
Il y a des distilleries qui tantôt sont agricoles et qui tantôt ne le sont pas. Il résulte de là pour elles un véritable privilège, je ne suis, du reste, nullement hostile aux distilleries agricoles ; mais, pour ma part, je ne conçois de véritables distilleries agricoles que dans les Ardennes et la Campine ; j'irai plus loin ; je dirai à ces distilleries : « Vous aurez, non pas 15 p. c, mais 50 p. c. de déduction. » Car, sans ces distilleries, je défie jamais de fertiliser les terres de la Campine et des Ardennes. On a eu donc tort de me dépeindre comme un homme hostile à l'agriculture. Cheque fois qu'il s'agira de venir au secours de l'agriculture, mon vote ne lui fera pas défaut.
M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, j'ai suivi la discussion avec la plus sérieuse attention. J'ai remarqué que cette discussion s'était circonscrite dans le cercle qui a été prévu par la section centrale. On a traité trois questions seulement. La première de ces questions est relative au rendement ; la seconde au taux de la décharge, à l'exportation ; la troisième, aux distilleries agricoles. Je crois, et cependant je n'en fais pas un reproche à mes honorables collègues qui ont parlé avant moi, je crois que ces trois premières questions viendront plus utilement à l'article premier. Les deux autres questions, concernant le droit drs villes, seront examinées avec opportunité à l'occasion de l'article 8 où elles sont résolues. J'attendrai donc que les orateurs inscrits sur l'article premier et l'article 8 aient présente leurs observations pour prendre la parole.
- La discussion générais est close.
La discussion des articles est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.