(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 885) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« M. le ministre de l'intérieur transmet à la chambre un état présentant le résultat des levées de la milice de 1850, 1851 et 18S2, et douze exemplaires de l'avant-projet de loi sur le recrutement élaboré par le comité spécial. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée. Un exemplaire de l'avant-projet sera misa la disposition de chacune des sections.
« Le conseil communal de Beggynendyck déclare adhérer aux pétitions présentées par la ville de Louvain en faveur du chemin de fer dit de la Campme, projeté par les sieurs Riche et Dandelin, »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Soignies demandent la construction du chemin de fer projeté, partant de Houdeng et passant par Soignies. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien.
« Des électeurs, à Meysse, demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton, que chaque circonscription de 40,000 âmes nomme un représentant et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »
- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.
« Des habitants de Winghe-Saint-George demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, et que le cens différentiel soit rétabli. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Diest demandent que les élections se fassent au chef-lieu de canton. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Péronnes demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »
« Même demande d'habitants de Spiennes. »
« Même demande d'habitants de Pommerœul. »
« Mêmes demandes d'habitants de Quiévrain, de Mons, de Houdeng-Cœgnies, d'Uccle, de Jemmapes, de Frameries,de Bernissart, d'Harchies, de Bruxelles. »
- Même renvoi.
« Par divers messages le sénat informe la chambre qu'il a adopté :
« Le projet de loi qui prolonge le délai fixé par l'article 14 de la loi du 7 juin 1837 ;
« Le projet de loi qui accorde un crédit de 95,000 fr. au département des affaires étrangères ;
« Le projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit de 111,000 fr. ;
« Le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Pépinster à Spa ;
« Le projet de loi portant révision des livres I et II du Code pénal. »
- Pris pour notification.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi qui a pour objet de proroger la loi de concessions de péages qui expire le 1er avril prochain.
- Il est donné acteu à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer.
Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen de la section centrale qui a déchargée de l'examen du budget des travaux publics.
M. le président. - Je préviens la chambre que c'est vendredi prochain 18 mars qu'aura lieu le tirage des sections pour le mois de mars ; que le lendemain 19, elles seront appelées à se constituer et à nommer la commission des pétitions à laquelle vous avez renvoyé l'examen des pciitions relatives à la loi électorale.
M. Dumortier. - Je ferai remarquer que la chambre a l'habitude constante de s’ajourner pendant la quinzaine de Pâques. Il pourrait se faire que l'ordre du jour fût épuisé jeudi ou vendredi et que la chambre s'ajournât.
M. le président. - L'ordre du jour est très chargé, il est certain que nous serons encore réunis samedi.
M. Osy. - J'approuve l'avis que vient d'émettre M. le président ; mais nous ferons très bien de décider dès à présent que la chambre s'ajournera du 19 mars au 5 avril. J'en fais la proposition formelle.
- Cette proposition est adoptée.
M. Lebeau. - Messieurs, il y a déjà fort longtemps que la chambre a adopté un projet de loi émané de l’initiative de gouvernement et qui a été transmis à l'autre chambre. Je veux parler du projet de loi relatif au crédit foncier, projet que, quant à moi, je trouve irréprochable en principe et pouvant être très utile dans ses conséquences. Je demanderai à M. le ministre des finances si, comme je le pense, il accepte cet héritage du cabinet précédent et s'il se propose d'en solliciter la mise à l'ordre du jour, le plus promplement possible, de la part de l'autre chambre.
Il serait contraire aux traditions et aux habitudes de l'honorable assemblée dont je parle, de ne pas tenir grand compte de l'initiative exercée au nom de la couronne de même que de l'initiative exercée par cette chambre. Il faut qu'il y ait des raisons particulières que je ne veux pas examiner ici et qui très probablement sont indépendantes de la volonté du sénat, pour que ce projet y soit frappé en quelque sorte d'un embargo.
Je prends la liberté d'adresser à M. le ministre des finances la question de savoir s'il entre dans ses intentions de presser, autant que cela lui sera possible, la discussion de ce projet de loi ou s'il répudie cette partie de l'héritage de son prédécesseur.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Depuis la constitution du nouveau cabinet, il s'est présenté au département des finances tant de graves questions, tant de travaux à préparer, que, je dois l'avouer franchement, je n'ai pas trouvé le temps d'étudier le projet de loi sur le crédit foncier, qui est soumis au sénat.
L'importance de ce projet est d'autant plus grande qu'une fois le pays entré dans cette voie où l’on propose de le faire entrer, il sera impossible d'en sortir. Le projet a donc une importance excessive, redoutable. On ne doit donc pas s'étonner que le sénat apporte beaucoup de maturité à son examen.
Je ne vous cacherai pas que, lorsque je songe que la partie méridionale de l'Europe, à la différence de la partie centrale et du Nord, a su se passer pendant des siècles de cette institution, il me semble qu'il n'y a pas grande hâte à l'adopter, et que l’on peut, sans crainte, sans péril, attendre pendant quelques mois l'expérience d'un pays voisin.
Cependant je me hâte d'ajouter que je n'ai fait aucune démarche ni verbalement ni par écrit pour retarder l'examen de ce projet de loi par le sénat.
Lorsque la commission du sénat aura publié son travail, j'étudierai les deux projets ; car, si je suis bien informé, la majorité du sénat, ou tout au moins de sa commission, n'adoptera pas tout entier le projet de loi sorti de cette chambre.
Le gouvernement verra si le projet amendé n'est pas préférable à celui qui émane de cette assemblée ; car c'est une questiun entièrement neuve en Belgique, et je ne pense pas que personne ait la prétention d'avoir fait de prime saut ce qu'il y avait de mieux à faire.
Encore une fois, réfléchissons à cette vérité : pendant des siècles, nous nous sommes passés de cette institution ; quelques mois de retard ne peuvent rien compromettre. Une fois la loi mise à exécution, il nous serait difficile de l'abandonner, fut-elle reconnue vicieuse. Il est donc bon de n'entrer que dans une voie sûre.
M. Lebeau. - Mon but est presque atteint. M. le ministre des finances n'a pas de parti pris. Je le conçois, et je suis loin de m'en plaindre. Je crois qu'a sa place, à défaut d'un examen approfondi, j'agirais précisément comme lui sur ce point.
Mais je ne crois pas avoir poussé prématurément ou légèrement à la discussion du projet ds loi sur le crédit foncier, lorsque, sachant que, depuis plus d’un an ce projet repose dans les cartons du sénat, j'en viens parler seulement aujourd'hui. Si c'est pour mieux l'examiner qu'on y met le temps, je le conçois. Mais si c'est pour ne pas l'examiner du tout et le laisser en oubli, je ne vois pas pourquoi ce retard à prendre une résolution définitive.
Si l’on ne veut pas du projet, qu'on en fasse un autre ou qu'on le repousse ; mais il ne faut pas qu'une affaire de cette gravité expire devant une simple force d'inertie et languisse indéfiniment sous un embargo ; je répète à dessein cette expression.
Je ferai remarquer que la chambre et le sénat lui-même se sont associes à une série de mesures législatives qui semblent en quelque sorte préjuger l'adoption d'un système de crédit foncier. Je ne parle pas d'un système précis et formulé dans tous ses détails. Je dis seulement que ces mesures semblent préjuger la sanction du principe. Plusieurs de ces mesures sont destinées à rendre possible le crédit foncier. Je citerai la réforme hypothécaire, par exemple, qui a été l'objet des délibérations des deux chambres et convertie, je pense, en loi. Ajoutez-y la réforme du mode d'expropriation forcée.
(page 886) Je ne pense pas avoir fait d'indiscrétion en demandant que quelques explications soient échangées entre M. le ministre des finances et le sénat pour savoir s'il y aura moyen d'arriver à un résultat quelconque, résultat que je ne veux pas préjuger, que je n'ai pas le droit de préjuger ; et dans tous les cas, quelle que puisse être mon opinion sur les causes du relard que j'ai signalé, les convenances m'empêcheraient de dire, pour justifier ma motion, autre chose que ce que j'ai dit.
M. Dumortier. - L'honorable préopinant a adressé au gouvernement une interpellation que, pour mon compte, je ne m'explique pas. Il s'agit de savoir, a-t-il dit, si le gouvernemeut opère ou non un résultat quelconque dans l'action de l'examen d'un projet de loi par l'autre chambre. Mais je prierai l'honorable membre qui doit le savoir tout aussi bien que moi, et même mieux que moi, de se rappeler que nous n'avons aucune espèce de police à exercer sur les travaux du sénat. Le sénat, comme nous, imprime à ses travaux la marche qu'il juge utile et nous n'avons pas de contrôle à exercer sur sa manière de procéder. Chaque chambre reste chez soi et examine les lois comme elle l'entend, sans que l'autre ait rien a y dire.
Il serait d'autant plus inconvenant de notre part de vouloir exercer une police sur l'autre chambre, que l'autre chambre serait à même de nous le rendre très souvent. Respectons les prérogatives de l'autre chambre, si nous voulons qu'on respecte les nôtres. Voilà, en matière de chambre, le seul axiome politique positif.
Je ne suis pas aussi enchanté, aussi ravi, aussi illusionné sur les résultats de la loi relative au crédit foncier que l'honorable député de Huy. Cette loi, je l'ai combattue. Elle a été admise, il est vrai, par cette chambre. Mais je demeure convaincu que si elle se représentait devant la chambre actuelle, elle ne serait plus admise ; et je pense que l'honorable M. Lebeau lui-même doit reconnaître que je dis vrai.
M. Lebeau. - Non !
M. Dumortier. - En ce cas vous ne deviez pas rire de ce que je disais ; car par ces rires vous paraissiez dire que j'ai mis le doigt sur la plaie.
je dis donc que ce projet de loi ne serait plus voté par la chambre actuelle. Pourquoi donc vouloir exiger du sénat qu'il vote une loi que la chambre ne voterait probablement plus aujourd'hui ? (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Vous n'en savez rien.
M. Dumortier. - Eh bien ! ce projet reviendra peut-être à la chambre ; car il n'est pas probable qu'un pareil projet soit adopté sans amendements. (Nouvelle interruption.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Vous pouvez protester tant que vous le voulez ; ce ne sont pas vos huées qui me feront taire. Je dis que la chambre, sortie des élections de 1852, a aussi des devoirs à remplir. Croyez-le bien, messieurs qui m'interrompez, les élections de 1852 ont eu une signification, et vous avez tort de le méconnaître. Voyez nos bancs ; nous n'avons pas été envoyés ici pour laisser continuer tout ce qu'a voulu la politique nouvelle. Nous sommes ici pour rétablir le système de 1850, pour rétablir le système de la Constitution, et vous méconnaissez trop l'opinion publique qui s'est exprimée d'une manière si énergique en 1852, lorsque vous venez prétendre que la chambre actuelle doit être la continuatrice de la chambre précédente.
M. le président. - Je vous en prie, M. Dumortier...
M. Dumortier. - Je réponds aux interruptions singulières que l'on s’est permises.
M. le président. - Je vous prie de ne pas ouvrir une discussion politique en ce moment.
M. Dumortier. - Vous avez raison, M. le président ; mais je ne pouvais m'abstenir de prtlester contre le genre d'interruption dont j'étais l'objet. Je vais achever ce que je disais.
Je disais donc que je ne suis pas aussi ravi, ni aussi illusionné sur les résultats de ce projet de loi, que l'honorable M. Lebeau paraît l'être. Le ministère précédent nous avait présenté deux projets de lois qui devaient transformer le pays : l'un est celui qui a donné lieu à l'interpellation de M. Lebeau, l'autre est le projet de loi sur la caisse de retraite ; le dernier projet est conveni en loi depuis longtemps, et qu'a-t-il produit jusqu'à présent ? 200,000 fr... (interruption) et, comme le dit fort bien l'honorable M. Osy, à l'aide du tambour politique, dont on a fait si largement usage.
Dans un pays voisin, messieurs, on a organisé le crédit foncier par des moyens qui n'engagent pas du tout l'Etat, par le moyen de l'association privée, et je crois que, quand le sénat examinera la loi, il sera tout naturellement amené à donner la préférence à ce système. Quant à moi, je ne suis pas du tout d'avis de mêler le gouvernement à toutes choses ; nous ne savons que trop ce que nous coûte ce système. Je ne veux pas que le gouvernement crée des pensions pour les uns, des cédules hypothécaires pour les autres, des transports à perte ; je ne veux pas que le gouvernement se mette partout à la place de l'intérêt particulier, de l'association.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, à propos d'une interpellation fort simple, l'honorable M. Dumortier a lance une critique très amère contre des actes posés avant l'entrée aux affaires du cabinet actuel.
M. Dumortier. - C'est mon droit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est son droit, dit l'honorable M. Dumortier, et je n'entends pas le lui contester, mais il me permettra de dire que ses critiques ne me paraissent pas du tout opportunes.
M. Dumortier. - C'est mon droit d'examiner si elles sont opportunes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est mon droit de contester leur opportunité.
M. Dumortier. - C'est mon droit, et non pas le vôtre, puisque» vous ne faites pas partie de la chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - L'honorable M. Dumorticr essaye de contester mon droit, le droit du gouvernement, dont je ne cesserai jamais d'user, et je n'hésite pas à dire que j'aurai, pour maintenir ce droit, l'immense majorité de la chambre ; du moment où je ne trouverais plus pour soutenir le gouvernement, comme gouvernement, une grande majorité à droite et une grande majorité à gauche, je quitterais immédiatement le poste que j'occupe. Il ne s'agit pas ici de questions de parti ; il s'agit du gouvernement, et le gouvernement saura toujours se faire respecter.
Je le répète donc, messieurs, usant de mon droit, les observations de l'honorable M. Dumortier ne me paraissent pas très opportunes.
Que demandait l'honorable M. Lebeau ? Il demandait quelle était l'attitude que le gouvernement comptait prendre, en ce qui concerne le projet de loi voté par la chambre, sur le crédit foncier. Voilà une question toute simple, et à coup sûr, l'honorable M. Lebeau, comme tout autre membre de la chambre, avait le droit de la poser au gouvernement. L'honorable M. Liedts a répondu que jusqu'à présent le cabinet ne s'était pas occupé de la question, que par conséquent il n'avait pas d'opinion arrêtée et que, quant au sénat, le gouvernement n'avait pas d'action à exercer sur l'ordre de ses travaux. Ce qui vient de se passer dans cette chambre suffira pour appeler l'attention de l'autre chambre sur la question et pour l'engager à s'occuper, dans un délai plus ou moins rapproché, du projet de loi dont il s'agit en ce moment.
Quant à la décision que prendra le sénat, ce n'est pas à nous à la préjuger ; nous l'attendons, et comme l'a dit mon honorable collègue des finances, du moment qu'il y aura un rapport de la commission dans un sens quelconque, nous l'étudierons, et nous prendrons une décision.
M. Lebeau (pour un fait personnel). - Je vous assure que je ne suivrai pas l'honorable M. Dumortier dans le programme politique qu'il a discuté incidemment devant cette chambre. Je n'ai à cœur de répondre qu'à une seule chose, c'est l'imputation que j'aurais manqué à la dignité du sénat, à son indépendance constitutionnelle vis-à-vis de cette chambre. Je ne crois pas avoir dit un mot qui implique l'idée d'un manque de respect pour le sénat, pour sa liberté d'action, pour son indépendance constitutionnelle.
Je me suis borné à demander à M. le ministre quelle opinion il avait de l'importance du projet adopté par cette chambre, de l'opportunité de sa discussion, et pour le cas où M. le ministre partagerait l'opinion de la majorité qui l'a adopté, je le priais de faire quelques efforts auprès du sénat ( je ne pense pas que cela ait rien de blessant pour cette assemblée) pour obtenir que cette question fût enfin mise à l'ordre du jour.
Personne ne professe un plus grand respect que moi pour l'indépendance du sénat ; car personne n'est plus jaloux que moi de l'indépendance de cette chambre, et je croirais avoir compromis l'indépendance de cette chambre, dont je suis jaloux, le jour où j'aurais porté la moindre atteinte à l'indépendance du sénat.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - J'avais demandé la parole pour répondre quelques mots à ce qu'a dit M. le ministre des affaires étrangères. Un incident s'est élevé entre députés. A cette occasion, M. le ministre des affaires étrangères a cru devoir me donner une leçon, à moi qui m'étais levé pour appuyer le cabinet.
Je sais bien que M. le ministre des affaires étrangères, lui qui veut avoir la majorité dans la droite comme dans la gauche, ne donne des leçons que du côté de la droite, jamais du côté de la gauche. C'est une raison de plus pour que je lui réponde.
M. de Muelenaere. - J'avais demandé la parole. Mais je crois que toute explication devient inutile, après l'explication donnée par l'honorable M. Lebeau. Il est évident qu'il n'est pas entré dans sa pensée d'entraver le sénat dans la maturité qui doit être apportée à l'examen de ce projet de loi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je suis très persuadé que les paroles prononcées par l'honorable M. Dumortier n'auront écho d'aucun côté de cette chambre. Je ne cherche jamais à donner de leçon à personne.
Mais je défendrai toujours les droits du gouvernement dont nous sommes les représentants, et vis-à-vis de la droite et vis-à-vis de la gauche, et vis-à-vis de tous ceux qui voudront y porter atteinte.
M. Dumortier (pour un fait personnel). - Je suis accusé de (page 887) porter atteinte aux droits du gouvernement dans cette enceinte ; c'est un fait personnel ; j'ai le droit de parler.
Jamais je n'ai prétendu contester au gouvernement ni son droit d'initiative, ni les droits qu'il puise dans la Constitution. Mais je dois le dire, je trouve fort étrange, que lorsqu'un débat s'élève entre députés sur un point incident, étranger à toute discussion, M. le ministre des affaires étrangères se lève pour approuver l'un, improuver l'autre et dire des paroles très peu obligeantes.
Je dis que le gouvernement n'a pas le droit de le faire, alors surtout que ses membres sont pris en dehors de cette chambre, et qu'il prétend s'appuyer sur la droite et sur la gauche.
Il ne devrait pas intervenir, comme il le fait toujours, en jetant du blâme sur la droite dont il veut avoir le concours et jamais sur la gauche dont il l'a. Il devrait avoir assez de tact pour ne pas intervenir en faveur des uns et contre les autres.
- La clôture est prononcée.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit provisoire de cinq millions de francs (fr. 5,000,000), à valoir sur le budget des dépenses de l'exercice 1853 dudit département. »
-Adopté.
« Art. 2. Le Roi déterminera, par des arrêtés, l'emploi de ce crédit entre les divers articles du budget, selon les besoins réels du service. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
72 membres ont répondu à l'appel.
71 membres ont répondu oui.
1 membre (M. David) s'est abstenu.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Brixhe, Cans, Clep, Closset, Coomans, Dautrebande, de Baillet (H.), Bronckaert, de Chimay, de Haerne, de la Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau. Le Hon, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Rousselle (Ch.), Thiéfry, Thienpont, Vandenpeereboom (Ernest), Vander Donckt, Van Hoorebeke et Delfosse.
M. le président. - M. David, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. David. - L'organisation de l'armée qui est intimement liée avec le système de défense nationale ne me convient pas ; je n'ai pas pu donner mon vote au projet de loi ; d'un autre côté, je n'ai pas voulu voter contre pour ne pas entraver le service ; je me réserve de voir plus tard si je pourrai voter pour ou contre les budgets de la guerre qui seront proposés ultérieurement quand je connaîtrai la nouvelle organisation de l'armée.
(page 891) M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, j'aurais pu me dispenser de prendre la parole après les discours si clairs, si concluants, prononcés dans la séance de samedi par les honorables MM. Rogier et Faignart. Mais dans cette même séance j'ai entendu un discours tellement hostile à la province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir qu'il m'est impossible de ne pas y répondre. Un honorable député de Louvain ne s'est pas borné à combattre le projet en discussion, mais il en a pris texte pour récriminer, d'abord, contre l'ancien cabinet, pour reprocher au Luxembourg les grandes faveurs qu'il a obtenus, dit-il, et même pour se railler de la situation fâcheuse de ses populations.
J'ai été étrangement surpris de l'animation que cet honorable député a mise dans son discours, car le projet que nous discutons n'est, à coup sûr, fait pour passionner personne. Je me suis demandé ce qui pouvait valoir au Luxembourg la colère de M. de Man ; serait-ce par hasard que cette allocation de 75,000 fr. proposée pour l'agriculture, émane de l'ancien ministre de l'intérieur. On dit cependant que c'est l'honorable M. de Theux qui en est l'inventeur ; nous n'avons eu, nous, que le mérite de l'application, mérite assez grand cependant, car cette application a produit les plus heureux effets.
Je ne sais donc si c'est à l'ancien cabinet qu'on veut encore adresser une attaque rétrospective. Mais à coup sûr, ce n'est pas lui qu'elle peut atteindre, mais bien ces nombreuses populations de trois provinces qui réclament la continuation d'une mesure si éminemment utile ; ce sont les commissions d'agriculture, les comices agricoles qui la réclament également, qu'on attaque en proposant le rejet du crédit.
L'honorable député de Louvain a reproche aussi à cette province la (page 892) faveur dont, selon lui, elle a joui. Il a parlé du chemin de fer que vous avez voté l'année dernière. Nous sommes certainement très reconnaissants du vote de la chambre sur le chemin de fer. Mais avant de faire valoir les sacrifices de l'Etat, il faudrait au moins que nous eussions le chemin de fer.
Jusqu'à présent je ne sache pas qu'il y ait eu le moindre sacrifice pour l'Etat ; et si un jour l'Etat doit subvenir, nous pensons que ses charges ne seront pas considérables, et qu'en compensation il en résultera d'immenses avantages pour les intérêts généraux du pays. Mais, dans la situation actuelle, nous n'avons ni chemin de fer ni canal, soit dans le Luxembourg, soit dans les parties des provinces de Liège et de Namur appelées à profiter du subside de 75,000 fr. ; car l'intérêt est commun à ces trois provinces.
Je le demande à l'honorable M. de Man : est-ce qu'une semblable position serait tolérable ? Pour doter de chemins de fer les provinces qui en ont été favorisées, on a dépensé jusqu'à 200 millions. La dépense a été de 250 millions, si l'on y joint celle des canaux. Et l'on n'a absolument rien fait, ni pour le Luxembourg, ni pour les deux demi-provinces qui l'avoisinent.
Cette situation, serait-il digne d'un pays riche, comme la Belgique, de la prolonger ? Non, ce serait une profonde iniquité.
Un honorable membre qui siège sur le même banc que l'honorable M. de Man, M. Dumortier, a dit que le chemin de fer avait occasionné un déficit de 45 millions. Il a trouvé, dit-il, ce chiffre dans un document de la cour des comptes.
Si ce déficit est réel, il pèse sur tous les contribuables ; ceux du Luxembourg en ont payé une part comme les autres ; mais malheureusement cette province n'a pas joui jusqu'à présent de l’immense compensation qui est venue enrichir les autres provinces de la Belgique, et dont ne parle pas l'honorable M. Dumortier ; elle n'a pas joui de cette rapidité et de cette économie des transports qui multiplient les relations et développent au plus haut degré le commerce et l’industrie. Nous avons eu les charges ; nous n'avons pas eu les bénéfices. Voilà la différence.
On nous a fait des routes, a dit l'honorable M. de Man, Il ne manquerait plus, par exemple, que de ne pas nous donner des routes ; nous n'en avons que dans la proportion des autres provinces. La province de Luxembourg est pius étendue que les autres ; elle forme la sixième partie du royaume, il n'est pas étonnant que les voies de communication y aient plus de développement. Mais on ne peut comparer le capital dépensé à ce titre dans cette province avec la dépense de 250 millions qu'on a faite pour le reste du royaume.
Parlerai-je maintenant de ces nombreuses faveurs accordées au commerce, à l'industrie, à l'agriculture des autres provinces, tandis qu'on n'en a accordé aucune au Luxembourg ?
Les traités de commerce, qui sont pour la plupart onéreux pour le trésor public, n'ont produit aucun avantage pour le Luxembourg. Un seul nous avait été favorable. Il accordait des avantages pour l'introduction de notre bétail en France. Celui-là a été ajourné et remplacé par un traité provisoire avec la France, qui coûte annuellement au trésor public deux millions de francs.
Vous voyez que, loin d'être favorisés, nous sommes au contraire dans une situation défavorable.
Quand nous aurons le chemin de fer dont parle l'honorable M. de Man, ce sera différent. Aussi quand nous serons dotés de cette voie de communication, nous n'insisterons plus le moins du monde pour le faible crédit qui vous est demandé par le gouvernement.
J'arrive maintenant aux objections que l'on fait contre le projet. On s'est occupé d'abord du principe de l'intervention du gouvernement. Je crois, même que c'est cette intervention qui est la cause du vote hostile qui a été émis dans l'une des dernières séances. Plusieurs de nos honorables collègues repoussent cette intervention d'une manière absolue. Eh bien, cette intervention a été adoptée une première fois en 1849 et une seconde fois en 1851.
On ne peut admettre qu'un gouvernement n'intervienne jamais dans les affaires, soit du commerce, soit de l'industrie, soit de l'agriculture. Un gouvernement qui se laisserait guider d'une manière absolue par un principe d'économie politique semblable serait assurément un détestable gouvernement. Il n'y a pas de principe absolu en économie politique : les plus grands principes comportent des exceptions. Ainsi J.-B. Say, l'adversaire le plus absolu de l'intervention du gouvernement, admet cette intervention ; quand il s'agit d'une industrie naissante, qui pourra prospérer plus tard.
L'illustre et malheureux Rossi distingue entre l'économie politique abstraite et l'économie politique appliquée. Aussi, partout a-t-on toujours fait des exceptions fort larges à ce principe.
C'est dans ce même ordre d'idées que, dans la Campine, on a fait des canaux d'irrigation, que, dans les Flandres, on a dépensé des sommes énormes pour les débarrasser des eaux qui les inondent.
Où est donc mal venu à invoquer un principe qu'on viole à chaque instant.
Si vous ne voulez pas que le gouvernement intervienne, ne faites pas des tarifs protecteurs pour certaines industries. Un tarif protecteur de l'industrie métallurgique, de l'industrie cotonnière, est une intervention du gouvernement.
Les subsides accordés par l'Etat pour l'amélioration de la voirie vicinale constituent une intervention du gouvernement ; car la voirie vicinale est une charge essentiellement communale.
Ces subsides que vous accordez si généreusement constituent donc une intervention du gouvernement en faveur de l'agriculture.
Le gouvernement intervient aussi à Bruxelles pour le jardin botanique. On lui accorde un subside de 24,000 fr. chaque année. C'est pour favoriser la culture des plantes. Il me semble que l'intervention du. gouvernement est bien plus légitime, plus rationnelle, quand il s'agit de favoriser les défrichements dans plusieurs provinces.
Ponr les beaux-arts, le gouvernement intervient également ; il a consacré dernièrement à l'achat d'un tableau une somme équivalente au crédit que nous discutons aujourd’hui.
A coup sûr, l'intervention dont il s'agit dans le projet qui nous occupe est bien anodine ; et l'on n'est pas admissible à le repousser à cause du principe de la non-intervention, principe que l'on viole tous les jours dans cette enceinte.
Une administration doit sans doute prendre pour guide certains grands principes d'économie politique ; mais l'administration qui serait absolue dans ses principes, qui ne voudrait jamais en dévier ni faire d'exception, qui ne tiendrait aucun compte des circonstances, des difficultés, des droits acquis, du bien-être du pays dans son ensemble, cette administration serait mauvaise et réprouvée par le pays.
Messieurs, le crédit qui vous est proposé est aussi d'intérêt public ; le défrichement des bruyères est commandé par l'intérêt général. Dans tous les pays on cherche à amener le défrichement des terrains incultes.
Je pourrais citer pour exemple la Hollande où l'on a fait d'immenses dépenses pour rendre à la culture les terrains couverts par le lac de Harlem. Je pourrais citer la France qui s'occupe activement du défrichement de la Sologne. L'idée première est due, paraît-il, à M. Flocon, et c'est ce qui effraye l'honorable M. de Man ; mais cette idée a été admise par le gouvernement actuel. Le gouvernement de Louis-Napoléon a adopté depuis cette idée et a alloué des sommes considérables pour le défrichement de la Sologne.
Il est donc incontestable, messieurs, qu'il y a un intérêt général dans la mesure qui vous esi proposée. Il y a encore 140,000 hectares de terres incultes dans le Luxembourg ; l'intérêt du pays est d'amener le plus tôt possible, par tous les moyens qui ne froissent pas les intérêts particuliers et communaux, le défrichement de ces terres.
Or, toutes les pièces que vous avez sous les yeux démontrent que le moyen dont nous nous occupons et qui est si peu onéreux pour le trésor, a été très efficace. C'est depuis lors que le défrichement a marché avec une certaine rapidité. Je ne vois donc pas par quels motifs on voudrait, au point de vue de l'intérêt général, s'opposer à une semblable proposition.
Le pays ne produit pas encore assez de céréales pour sa consommation ; c'est un motif de plus pour chercher à amener le défrichement des terres incultes.
L'honorable M. Rousselle, rapporteur de la section centrale, a fait valoir quelques considérations de détails contre le projet de loi. On y a déjà répondu en grande partie ; mais je vais encore les passer rapidement en revue.
L'honorable membre a dit que le vote de ce crédit avait eu pour but de généraliser l'emploi de la chaux dans la culture de la terre. Je lui ferai observer qu'il a eu un autre but ; non seulement on a voulu généraliser l'emploi de la chaux, mais on a voulu aussi la mettre à la portée des petits propriétaires.
Certainement les premiers essais qu'on a faits ont produit un bon résultat ; ils ont généralisé l'emploi de la chaux ; mais d'après l'enquête qui doit nous servir de guide à cet égard, car il est évident que tous ceux qui ont été consultés sont plus à même que nous de connaître la question ; d'après l'enquête, il faut encore plusieurs années pour atteindre le but.
D'autre part le second but, qui est de mettre la chaux à portée des petits propriétaires, ne pourrait être atteint, les premiers efforts seraient perdus, s'ils n'étaient continués jusqu'à l'établissement du chemin de fer.
Il s'agit donc de continuer encore pendant quelques années un faible sacrifice ; et alors vous aurez réalisé la pensée qui a fait adopter le premier crédit.
L'honorable M. Rousselle a dit ensuite que le chemin de fer ne mettrait pas la chaux plus à portée des propriétaires qu'elle ne l'est actuellement : qu'ii n'aurait, sous ce rapport, aucun résultat.
Je crois que c'est là une erreur. J'ai ici un document qui émane de la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg, qui démontre le contraire. Voici ce qui est dit dans ce document :
« Avec un chemin de fer, l'hectolitre de chaux ne coûtera plus que 41 centimes aux chaufours, au lieu de 50 ou 52. La dépense de la chaux, prise aux lieux de production, ne sera donc plus, pour un hectare de terrain en culture, que de 10 fr. 25 c. à 16 fr. 40 c, au lieu de 13 à 22 fr.
« Pour un hectare vague à défricher, que de 22 fr. 55 c. à 55 fr. 60 c, au lieu de 28 à 32 fr., etc., etc. »
Ainsi, quand le chemin de fer sera fait, les cultivateurs pourront se procurer la chaux à un prix infiniment moindre, c'est-à-dire au prix à peu près où ils se la procurent avec l'avantage que leur accorde aujourd'hui le gouvernement.
L'honorable M. Rousselle vous a parlé aussi des abus qu'il y a, dit-il, dans la distribution de la chaux ; S'il existe quelques abus, c'est une (page 893) affaire d'administration ; que le gouvernement, que la deputation permanente prennent des mesures pour que les abus viennent à cesser.
Mais il faut voir les résultats dans leur ensemble. Dès lors nos adversaires doivent bien reconnaître que le subside a produit les meilleurs résultats ; tout le monde est unanime à cet égard ; tout le monde demande que la mesure soit continuée, le gouvernement lui-même, qui est en position d'apprécier les faits, le demande. C'est là, messieurs, ce qu'il faut voir, et non quelques abus partiels qui pourraient s'être révélés.
Ainsi, par exemple, voici comment s'exprime le gouverneur de la province du Luxembourg, M. Smits, qui, sans doute, est très désintéressé dans la question :
« Il ne peut donc s'agir, dit-il (page 6), de supprimer une mesure qui compte parmi les mesures les plus utiles que le gouvernement a prises en faveur de Luxembourg. Si l'agriculture de la province est en voie de progrès, c’est à cette mesure qu'elle le doit. Il y a plus, c'est que toute la question du défrichement des bruyères et des terrains vagues y est attachée. »
Voilà ce que dit M. le gouverneur de la province qui a pris des renseignements. Jamais mesure plus utile n'a été prise pour arriver au défrichement. Toute la question des défrichements y est attachée.
Voici maintenant comment s'exprime en résumé la commission d’agriculture :
« Le voyageur qui autrefois a connu les Ardennes est étonné des progrès qui se font remarquer partout, grâce à la chaux cédée à prix réduit ; cette mesure continuée, il sera bientôt possible de s'adonner à la culture réglée du froment, des graines oléagineuses.
« L'œuvre commencée par le gouvernement est trop belle, trop bienfaisante pour l'humanité, pour qu'il s'arrête au moment d'arriver au but par l'établissement du chemin de fer. »
Messieurs, en présence d'opinions qu'on ne peut récuser et qui sont répétées dans trois provinces par les organes de l'agriculture, j'avoue que je ne comprendrais pas le maintien de la réduction mesquine qui a été prise par la chambre, réduction qui ne se justifierait d'aucune manière et qui serait presque incompréhensible. Je verrais avec infiniment de regret que la chambre adoptât définitivement la proposition de la section-centrale ; je pense qu'elle doit peser mûrement sa résolution, avant de persister dans son premier vote, le vœu de trois provinces, l'intérêt agricole, le développement du défrichement, la situation fâcheuse des habitants d'une grande province, se réunissent pour l'engager à adopter le projet du gouvernement.
(page 887) M. Orban. - Messieurs, ce n'est pas sans une certain émotion que j'ai entendu le discours prononcé dans la séance de samedi, par un de mes honorables amis. Depuis quelques temps ou ne laisse échapper aucune occasion de prendre à partie la province à laquelle j'appartiens et de lui demander compte en quelque sorte de ce qu'elle coûte et de ce qu'elle vaut à la Belgique. Si de pareils sentiments eussent existé chez nos devanciers du Congrès national et de nos premières législatures, les luttes mémorables dont elles retentirent si longtemps pour le maintien de l'intégrité du territoire n'auraient jamais eu lieu et la page la plus belle de notre histoire n'existerait pas. A cette époque, messieurs, l'on ne voyait en nous que des frères, et loin de se demander ce que nous pouvions valoir en sous et deniers, cent fois dans les élans d'un patriotisme désintéressé l'on se montra disposé à tout compromettre : les résultats d'une révolution heureuse, les espérances d'un avenir qui alors déjà s'annonçait sous les plus brillantes auspices, au désir de ne point contracter une cruelle séparation et de maintenir entière la famille belge.
L'on ne devait point s'attendre alors que l'on irait un jour jusqu'à nous reprocher, comme on l'a fait samedi, un secours législatif destiné à soulager nos populations réduites à la faim par la coïncidence d'une mauvaise récolte de céréales et d'une mauvaise récolte de pommes de terre. L'on a fait plus, messieurs, l'on a été jusqu'à nier la réalité de cette misère et à exprimer l'opinion que nous aurions mis en avant une détresse imaginaire pour surprendre les secours et la commisération de la chambre. L'honorable membre n'oublie qu'une chose, c'est que la Belgique entière qui de toutes parts nous a envoyé le produit de ses généreuses souscriptions ait eût trompée avec vous.
Il n'y a dans les paroles prononcées par l'honorable membre qu'une seule chose qui soit vraie. C'est l'étonnement qu'il a éprouvé de voir former une semblable demande en faveur dn Luxembourg. Ce n'est point de ce côté en effet que viennent d'habitude de semblables demandes. L'habitant du Luxembourg, pauvre, laborieux, n'a pas l'habitude de tendre la main ; quelque dure que soit sa condition, il accepte son sort et ne s'en rapporte qu'à lui-même du soin de le soulager. Quant à moi, mon plus ferme espoir est qu'un semblable secours ne vous sera pas demandé une seconde fois, en faveur du Luxembourg, et cet espoir est cent fois plus vif encore, depuis que le bienfait de la veille lui a été en quelque sorte reproché dans cette enceinte.
le n'entrerai pas dans la voie qu'on m'a ouverte ; je n'imiterai pas mon honorable collègue, et n'examinerai pas s'il a été avantageux pour nos intérêts d'appartenir à la famille belge. Je ne rappellerai pas ce que nous avons perdu moralement et matériellement par une séparation d'avec nos frères luxembourgeois qui a interrompu nos relations les plus fructueuses et les plus intimes. Non, messieurs, nous ne nous souvenons que d'une chose, c'est des généreux efforts qui nous ont conservés à la Belgique ; nous n'éprouvons qu'un sentiment, c'est l'orgueil de porter le nom belge qui retentit si honorablement dans le monde depuis bientôt un quart de siècle. Je reconnaîtrai même volontiers une chose, c'est que la province de Luxembourg n'est point restée étrangère à ce mouvement universel de progrès qui s'est manifesté depuis 1830. Nous aussi, messieurs, nous avons vu nos écoles primaires s'organiser, notre voirie s'améliorer, les édifices consacrés à l'administration, au culte, à l'instruction, partout construits ou réparés. Et si notre situation matérielle forme un fâcheux contraste avec ces faits, si notre bétail est à vil prix et si par suite toutes les branches de l'agriculture sont frappées de langueur, si notre forgerie a cessé d'exister et si par suite le travail industriel auquel elle donnait lieu a été anéanti, si la suppression totale des travaux publics a succédé à l'activité qui a régné pendant une assez longue période de temps, si par suite de toutes ces circonstances il règne dans la province de Luxembourg une pénurie, un malaise, dont je ne vous fais pas, croyez-le bien, un tableau de fantaisie, je ne veux point en rejeter toute la responsabilité sur le gouvernement, qui ne peut tout faire et qui surtout ne peut tout faire en un jour.
Mais, messieurs, est-il vrai, comme on l'a dit, comme on l'a répété souvent, que la province de Luxembourg ait été traitée d'une manière privilégiée ? Est-il vrai que, notamment en ce qui concerne les travaux publics, nous ayons été l'objet d'un traitement exceptionnel ? Savez-vous, messieurs, pourquoi l'on a construit un grand nombre de routes dans la province de Luxembourg ? Je ne dirai pas que c'est parce que nous en manquions complètement avant 1830 et qu'il y a beaucoup à faire là où rien n'est fait encore. Un pareil raisonnement ne serait pas aujourd'hui de saison, mais c'est parce que chez nous on construit une lieue de route pour 40 à 50 mille francs, tandis qu'il est telle province où elle coûte 150 à 200 mille fr. Il en est résulté qu'avec la même somme nous avons construit une étendue de routes deux ou trois fois plus considérable que partout ailleurs. Qu'avons-nous obtenu, en définitive, pour la construction de ces routes ? Là est la question. Nous avons obtenu notre part, et rien de plus, dans le crédit extraordinaire de 6 millions voté pour l'exécution de routes ordinaires. Quant au crédit de 2 millions accordé à la province de Luxembourg pour lui tenir lieu du chemin de fer qu'elle devait avoir en vertu de la loi du 1er mai 1841 et que l'on se dispensait de lui donner quant au crédit de 2 millions, qui forme à peu près l'équivalent d'une lieue de chemin de fer entre Liège et Pepinsler, il sera temps encore de nous le reprocher, lorsque la compagnie à laquelle vous avez accordé le chemin de fer avec minimum d'intérêt, aura rempli ses engagements, ou que vous l'aurez exécuté à sa place. En attendant, au lieu d'avoir inscrit au budget une dette de 800,000 francs, comme le disait l'honorable membre auquel je réponds, nous ne coûterons pas un centime au trésor, et nous payerons notre part dans les 70,000,000 votés par nous sans compensation aucune.
En résumé, messieurs, le nouvel ordre de choses a donné des routes au Luxembourg, il a pour toujours empêché le canal de Meuse-et-Moselle, alors en cours d'exécution et qui devait être pour lui une source de bien-être et de prospérité. Et la province de Luxembourg est la seule de la Belgique qui n'ait pas de chemin de fer, qui n'ait pas de canal construit par le trésor et entretenu par lui et qui possède des rivières navigables qui pourraient rendre de grands services et qui n'en rendent pas, parce que l'Etat ne dépense pas et n'a jamais dépensé une obole pour améliorer leur cours, et faire disparaître les obstacles qui s'y opposent à la navigation.
Voilà, messieurs, quelle est sous son côté le plus favorable, celui des travaux publics, la position exceptionnelle et privilégiée faite à la province du Luxembourg.
J'avoue que je ne me sens pas le courage, après ce qui précède, de (page 888) venir insister encore sur l'adoption du crédit relatif à la distribution de la chaux ; et je n'ajouterais pas un mot de plus si je ne trouvais précisément une occasion de faire ressortir ces préventions aveugles, ces attaques rétrospectives dont le Luxembourg semble devenu l'objet.
C'est vraiment, en effet, avoir peu de souci de sa réputation d'impartialité que de venir, à propos du défrichement et des dépenses dont il a été l'objet, diriger des attaques contre le Luxembourg. La chose est curieuse et mérite la peine qu'on s'y arrête un instant.
Il existe sur deux points différents du pays, au nord et au sud,en Campine et en Ardenne, de grandes étendues de terres restées jusqu'à présent étrangères à la culture. Le gouvernement a pensé que dans un pays comme la Belgique un pareil état de choses ne pouvait subsister, et il a considéré qu'il lui appartenait d'intervenir pour hâter le défrichement. Qu'a-t-il fait, messieurs, dans ce but ? Quel sacrifice a-t-il imposé au trésor ? Comment a-t-il traité le nord et le midi, la Campine et l'Ardennes ? J'ignore l'étendue des bruyères de la Campine ; celle des bruyères de l'Ardenne dans les provinces de Luxembourg, de Namur et de Liège est de plus de 170 mille hectares.
Je ne veux non plus, messieurs, établir entre elles aucune comparaison, j'admets qu'elles méritent également la sollicitude du gouvernement. Je ferai, seulement une observation, c'est que les bruyères de la Campine constituent souvent des déserts dont la population est absente et où l'on doit créer des villages, tandis que les bruyères de l'Ardenne sont réparties autour des villages, de manière que tandis que d'un côté, on doit créer la population pour obtenir l'amélioration, de l'autre, l'amélioration vient en aide à la population existante. Comment, dis-je, le gouvernement a-t-il procédé à l'égard des unes et des autres, quel système a-t-il employé, quelles dépenses a-t-il faites, quels résultats a-t-il obtenus ?
D'un côté, messieurs, en Campine, le gouvernement a entrepris grandement l'œuvre de l'amélioration.
Il a d'abord construit un vaste canal, qui traverse la plus grande partie de la Campine, qui la traversera bientôt sans doute tout entière, et dont le principal, si pas l'unique office, devait être de servir à l'amélioration par l'irrigation des terrains de la Campine. J'ai dit, messieurs, que ce travail devait servir uniquement ou principalement à l'irrigation de la Campine. Les services d'une autre nature que rend le canal, sont représentés par le produit des péages. Le canal a coûté 4,414,000 fr., représentant une dette annuelle à 220 mille francs. Il faut en déduire le montant des péages, montant à 20 mille francs environ ; reste donc pour le service que le canal rend à l'agriculture une rente de 200 mille francs par an.
Or, messieurs, quel résultat avez-vous obtenu, moyennant cet énormissime sacrifice ? Il résulte des renseignements que j'ai puisés à une source officielle, que les irrigations opérées à l'aide du canal, ne peuvent s'étendre à une étendue de plus de quatre mille hectares, l'absorption et la déperdition des eaux ne permettant pas l'irrigation sur une étendue plus considérable, et encore pour obtenir ce résultat a-t-on dû réunir aux eaux de la Meuse qui alimentent le canal, celles de plusieurs cours d'eau que l'on a dû emprunter à grands frais.
Voilà donc, messieurs, d'un côté un capital de plus de 4 millions, dont l'intérêt jusqu'à concurrence au minimum de 200 mille francs de revenu annuel, est employé à transformer en prairie 4,000 hectares de bruyères. Elles coûteront plus que les encouragements accordés à toute l'agriculture du pays.
Et ce n'est pas tout encore, messieurs, deux crédits de 500 et de 600 mille francs ont été demandés en 1847 et 1851 pour être directement employés au défrichement. Les deux tiers de ce crédit ont été employés dans la Campine, c'est-à-dire à organiser l'irrigation et en faible partie à la création d'un nouveau village. Je sais, messieurs, qu'une partie de crédit doit avoir fait retour au trésor, mais je sais aussi que grâce à la faculté de roulement et de remploi que s'était réservée le gouvernement, ce retour n'a guère profité au trésor.
Voilà, messieurs, ce que l'on a fait d'un côté, voilà ce que l'on a dépansé, voilà le résultat obtenu. Plus de 4 millions dépeusés, une renie de plus de 200 mille fraucs inscrite au trésor pour avoir obtenu la transformation en prairies de 4,01)0 hectares de bruyères.Voilà les résultais sur lesquels on garde le silence, que dis-jc les résultats pour lesquels on n'a que des paroles d'admiration I
Et l'on réserve le blâme et la critique pour un léger crédit destiné à venir en aide au défrichement de toutes les Ardenncs ! Voilà la justice et l'impartialité de nos adversaires !
M. Delehaye. - Deux honorables membres, aujourd'hui, et l'honorable M. Rogier samedi, ont dit que le Luxembourg serait en droit de nous d'aucuser d'injustice (interruption)... si nous n'accordons pas le subside demandé par le gouvernement.
Si une province n'a pas le droit d'accuser d'injustice la chambre et le gouvernement, c'est le Luxembourg. Pour moi, ce reproche ne sert absolument de rien, il ne m'effraye nullement ; j'examine le projet de loi présente et je vois s'il atteint le but qu'on se propose.
Une loi doit être d'abord une veritée et je dis que la loi qu'on veut renouveler, telle qu'elle a été exécutée, n'était pas une vérité. Dans une précédente séance, je disais que c'était une erreur de soutenir qu'il fallait 100 hectolitres de chaux pour chauler un hectare de terre.
Je parlais en règle générale.
L'honorable député du Luxembourg a prouvé que j'étais dans le vrai. Vous avez entendu l’honorable M. d’Hoffschmidt vous citant un rapport d’un des directeurs de ces fours qui disait qu’on dépensait de 20 à 22 fr. parhectare ; la chaux coûtant 50 centimes l’hectolitre, cela fait 40 à 45 hectolitres.
M. d'Hoffschmidt. - C'est pour chauler et non pour défricher.
M. Delehaye. - Je demanderai combien on a défriché d'hectares de bruyères, jamais vous n'en avez fait connaître le chiffre.
Je commencerai faire cette déclaration : c'est que je suis disposé à faire pour le Luxembourg comme pour les autres provinces tout le bien possible.
Je n'ai ni animosité ni partialité pour aucune ; quand il sera en mon pouvoir de faire quelque chose d'utils soit à l'agriculture, soit au commerce, soit à l'industrie, d'une province je n'hésiterai pas.
On nous a reproché les travaux de canalisation exécutés dans les Flandres ; mais ces travaux n'ont été rendus nécessaires que par l'acte international posé par M. Nothomb qui était Luxembourgeois ; c'est parce qu'il a consenti à élargir les écluses d'Antoing que ces canaux sont devenus nécessaires. Je n'abuserai pas de ma position en parlant des charges que supportent les deux Flandres ; sous le rapport des sacrifices qu'il s'impose, le Luxembourg aura la modestie de ne pas se comparer aux Flandres. Qu'il fasse telle demande qu'il voudra, si elle est utile, j'y souscrirai ; mais non pas à titre de compensation des sacrifices que cette province s'est imposés.
Mais quel est le but qu'on veut atteindre par le crédit demandé ?
Provoquer par des distributions de chaux le défrichement. Or il y a trois catégories de réductions sur le prix de la chaux : 11, 10 et 22 c. Cela constitue à peu près le tiers ; j'abandonne la fraction au profit des cultivateurs ; les 40 mille fr. alloues constituant le tiers de la somme qui sera employée en amendements par la chaux, cette somme est donc de 120,000 fr., la chaux coûtant 50 centimes on obtient 240 mille hectolitres de chaux.
Prenons, non pas 40 à 45 hectolitres, comme cela résulte des calculs de M. d'Hoffschmidt, mais 60 hectares par hectare, nous pourrons avec cette somme défricher 4 mille hectares de bruyères. Mais hâtez-vous de défricher les 140 mille hectares incultes, dit M. d'Hoffschmidt. Messieurs, en fait de défrichement, c'est lentement qu'il faut opérer, la plupart des défricheurs se sont ruinés parce qu'ils ont été trop vite.
Ce n'est pas le défrichement qui coûte, c'est l'entretien quand un défrichement est effectué, c'est alors qu'il impose d'immenses dépenses. Supposez que les 140,000 hectares soient défrichés, mais le Luxembourg ne sera pas en état de les entretenir. En Flandre même, où il y a tant de capitaux et tant de bras, un défrichement opéré sur 140,000 hectares à la fois donnerait peu de chances de succès.
Le défrichement doit se faire sur une petile échelle, petit à petit ; pour le faire avec utilité, il faut au moins une tête de bétail par hectare ; il faudrait donc supposer au Luxembourg les moyens d'acheter 140 mille têtes de bétail ; pour défricher avantageusement, il faudrait même 200,000 têtes de bétail. C'est ce qui dépasse les forces de cette province, s'il fallait le faire immédiatement. En outre, que ne faudrait-il pas pour engrais ?
L'honorable M. Orban disait qu'il ne s'agissait pas seulement de la province de Luxembourg, mais encore des provinces de Liège et de Namur ; je lis tous les documents qui émanent de ces trois provinces, parce qu'il y a peu de comices agricoles qui comptent des hommes aussi distingués. Or, dans les annales qui nous ont été distribuées, ni ic conseil de Namur ni celui de Liège ne mentionnent la chaux...(Interruption.) C'est si peu une plaisanterie que ce matin j'ai lu le travail qui nous a été distribue, le bulletin du conseil supérieur d'agriculture qui contient les piocès-veibaux des conseils de ces provinces ; il n'y est pas dit un mol de la chaux, cependant ils disent ce qu'il faut faire pour améliorer l'agriculture dans ces provinces.
M. Rogier. - J'ai cité l'enquête.
M. Delehaye. - Je cite des documents officiels, et je vous dis que les conseils provinciaux de Liège et de Namur indiquent les mesures réclamées dans l'intérêt de l'agriculture et qu'ils ne mentionnent pas la réduction à accorder sur le prix de la chaux. Ces conseils réclament des instruments aratoires, des tuyaux à drainer, préconisent l'instruction qui n'est pas assez répandue.
M. Moncheur. - Cela va de soi !
M. Delehaye. - Si cela va de soi, il était inutile que les comices dont vous invoquez les témoignages en fissent mention.
Dans le rapport qui vous a été distribué, a-t-on indiqué le nombre des personnes qui ont demande de la chaux, à prix réduit ? Savez-vous ce qui se passe ? Ce n'est pas pour défricher des terres qu'on demande de la chaux, mais pour améliorer des terres défrichées depuis longtemps.
C'est ce que la loi ne veut pas. C'est pour cela que j'ai dit que la loi n'était pas une vérité.
La chaux à prix réduit ne doit être donnée qu’à deux conditions : le défrichement ou la petite culture. On n'a pas défriché plus de 3,000 hectares avec la somme mise à la disposition du gouvernement ; il faut (page 889) donc que le restant de la somme ait été consacré à d'autres besoins. Avec les 40,000 francs proposés par la section centrale, vous défricherez 4,000 hectares, non pas seulement en employant 45 hectolitres par hectare, résultant des calculs de M. d'Hoffschmidt, mais en prenant 60 hectolitres ; je suis certain que cela dépassera les besoins. Le calcul de M. d'Hoffschmidt vient à l'appui de mon opinion.
M. d'Hoffschmidt. - Cela ne fait rien à la question.
M. Delehaye. - Si cela ne fait rien à la question, pourquoi l'honorable M. d'Hoffichmidt, qui a l'habitude des discussions parlementaires, a-t-il invoqué ces chiffres ? Lorsque je réponds à l'argument qu'il en a tire, il n'est pas fondé à dire que cela ne fait rien à la question,
M. d'Hoffschmidt. - Vous ne m’avez pas compris.
M. Delehaye. - J'ai compris que l'on dépense 20 francs par hectare, et comme la chaux coûte 50 c. par hectolitre je sais assez de mathématiques pour comprendre que cela fait 40 à 45 hectolitres.
Je dis que l'intérêt agricole domine la question et que je repousse la demande parce qu'elle ne sert qu'indirectement la culture. S'il en était autrement, je voterais avec plaisir. S'il s'agissait d'une mesure que j'envisage comme éminemment favorable, très fertilisante, d'une efficacité incontestable telle que celle que présentent les distilleries, je lui donnerais mon appui.
La loi sur les distilleries vous présente un moyen. Les distilleries agricoles jouissant d'une réduction de 15 p. c. sont placées en grande partie dans des localités où elles ne sont pas indispensables, où les besoins de l'agriculture les réclament peu. Le gouvernement accorde à ces distilleries une remise de 15 p. sur les droits d'accise. Je voudrais que la remise fût portée à 60 p. c. pour les distilleries qui seraient établies dans les Ardennes. (Interruption).
Je n'ai pas saisi l'interruption.
M. le président. - Il n'est pas nécessaire de répondre aux interruptions, il y en a déjà eu trop.
La parole est continuée à M. Delehaye.
M. Delehaye. - Si j'étais convaincu de l'utilité de la mesure qui vous est proposée, je n'hésiterais pas à la voter. Je la combats parce qu'elle n'est pas assez efficace ; je reviens à mon sujet.
Je disais qu'aux termes de la loi on impose aux distillateurs, pour prix de la remise de 15 p. c. sur le droit d'accise accordée aux distilleries agricoles, l'obligation de cultiver un hectare par hectolitre et demi de macération.
Ces distilleries sont établies pour la plus grande partie dans des terrains très fertiles ; je demande qu'on les fasse construire dans la Campine, dans les Ardennes, là où elles seraient utiles, et qus la remise soit portée de 15 p. c. à 50 p. c, à 60 p. c. s'il le faut.
Je suis convaincu que le pays y gagnerait, et que l'on hâterait, comme le demande l'honorable M. d'Hoffschmidt, le défrichement des 44 mille hectares qui restent à défricher dans le Luxembourg. Par ces distilleries vous obtiendrez ce qui vous manque : de la nourriture pour le bétail et de l'engrais.
Vous voyez que je ne suis animé d'aucun sentiment hostile contre le Luxembourg. Au contraire, j'appuierai de toutes mes forces toute mesure efficace favorable aux intérêts de cette province. Ainsi je repousserai les reproches injustes qu'on nous adresserait de ne faire aucun sacrifice pour d'autres provinces.
Je me résume : je voterai le chiffre de 40,000 francs proposé par le gouvernement ; je le fais, parce que ce chiffre me paraît suffire pour continuer les essais qui ont été commencés, et parce que le gouvernement pourra porter pareille somme au budget prochain. Mais alors, connaissant le nombre des demandes, le nombre des hectares défrichés, nous pourrons apprécier la mesure.
Jusqu'à présent ces renseignements nous manquent. Si la loi doit rester une vérité (et je veux qu'il en soit ainsi), vous ne pouvez dépasser le chiffre de 40,000 fr. Nous aurons ainsi réalisé une économie de 35,000 fr. Ce n'est pas cette économie qui m'arrête, car...
M. Rogier. - Je le crois : vous proposez une dépense de 3 millions et demi pour achèvement des canaux de Zelzaete et de Schipdonck.
M. Rogier. - Je comptais finir ; mais je suis obligé de répondre a cette interruption.
Je propose une dépense de trois millions et demi, pourquoi ? Pour faire exécuter les engagements pris par la chambre. La chambre a décrété la construction des canaux de Zelzaete et de Schipdonck.
L'honorable M. Rogier était au pouvoir quand on est venu nous demander de voter des millions dans l'intérêt de Liège. Pourquoi, n'écoutant qu'un sentiment de justice, n'al-il pas fait une proposition de même nature, dans l'intérêt des Flandres ? Lorsque aujourd'hui je veux y pourvoir par ma proposition, il n'est pas fondé à m'adresser des reproches.
M. Rogier. - Je suis fondé à vous adresser ce reproche et d'autres encore.
M. Delehaye. - Ni celui-là, ni aucun autre. Quant à moi, j'en aurais plus d'un à lui adresser.
Je suis étonné que M. Rogier me reproche une dépense de trois millions et demi pour l'achèvement de canaux qu'a rendus nécessaire l'élargissement de l'écluse d'Antoing décrété, à la demande de la France, sur la proposition de l'honorable M. Nothomb, alors ministre des travaux publics.
Si le gouvernement avait eu l'énergie de réclamer du gouvernement français l'indemnité nécessaire, pour exécuter les travaux rendus indispensables par cet élargissement, les Flandres, depuis trop longtemps victimes de cette faiblesse envers la France, auraient cessé de vous importuner de leurs trop justes réclamations.
Si aujourd'hui je fais une proposition dont le but est que la décision de la législature soit une vérité, ce n'est pas à M. Rogier à m'en faire un reproche, lui qui, étant au pouvoir, est venu demander 7 millions pour la Meuse, tandis qu'il ne demandait rien pour les Flandres. Pourquoi n'a-t-il pas demandé alors 4 millions pour l'exécution de ces canaux ? Sans doute c'était parce que, voulant avant tout satisfaire aux exigences de Liège, les intérêts des Flandres ne venaient qu'en seconde ligne.
Il n'en sera plus de même aujourd'hui. La chambre comprendra que les douleurs, les privations, les pertes incalculables, occasionnés encore aujourd'hui par de nouvelles et plus terribles inondations, réclament un prompt remède.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, j'ai établi, dans la séance d'avant-hier, que le gouvernement possède encore des ressources suffisantes pour continuer la distribution de la chaux à prix réduit, et que tant que le contraire ne sera pas démontré, rien ne motive l'adoption de la demande de crédit qui nous est faite.
Eh bien, messieurs, c'est à cette partie de mon discours, qui constitue le point le plus essentiel du débat, que n'a pas répondu l'honorable député d'Anvers, qui a parlé après moi.
L'honorable M. Rogier a mieux aimé se mettre à côté de la question, en m'envoyant des personnalités.
Ce genre de réponse me laisse dans un état d'impassibiltc complète. Quand mes adversaires usent de cet expédient pour me répondre, j'acquiers de plus en plus la conviction que la cause que je soutiens est la bonne ; et cela me cause un sentiment de satisfaction.
L'honorable représentant d'Anvers s'est ensuite répandre en plaintes de ce qu'un crédit aussi peu considérable soulevait une discussion aussi longue. Je vous le demande, messieurs, à qui faut-il en attribuer la responsabilité ? N'est-ce pas à l'honorable membre qui a demandé la remise du vote à une séance ultérieure ? S'il n'avait pas demandé cette remise, il y a huit jours qu'il ne serait plus question de subsides pour le Luxembourg ; je me serais abstenu de parler.
Si d'ailleurs le crédit n'est pas considérable, il s'agit d'un principe important.
L'on s'est cru ensuite obligé de nous démontrer l'efficacité de la chaux. Cette démonstration était parfaitement inutile.
Tout ce que cela prouve, c'est combien les contrées, qui ont autant de droit que le Luxembourg à obtenir ce genre d'encouragement, ont lieu de se plaindre de ce qu'en Belgique on accorde des privilèges aussi notables aux uns, tandis qu'on les refuse aux autres.
L'honorable député d'Anvers, pour se tirer d'affaire ensuite, n'a trouvé rien de plus sûr que de décerner à l'honorable M. de Theux, ancien ministre de l'intérieur, le brevet d'invention de ce mode de subsides.
L'honorable M. d'Hoffschmidt vient d'avoir recours au même expédient.
Comment ! l'honorable M. d’Hoffschmidt, qui a fait une si vive opposition au crédit demandé pour les défrichements par l'honorable M. de Theux en 1847, qui doit se rappeler que l'honorable M. de Theux refusa nettement d'entrer dans le système des distributions de chaux, l'honorable M. d'Hoffschmidt vient déclarer l'honorable M. de Theux l'inventeur responsable de ce système de subsides. Ceci est un peu trop fort ! Non ; mon honorable ami a toujours été l'observateur trop scrupuleux des engagements qu'il a contractés en obtenant de la chambre l'approbation des propositions de lois de crédits qu'il lui a soumises, pour se permettre de les violer de cette manière.
L'honorable M. Rogier, se fondant ensuite sur ce que le gouvernement distribue de l'eau en Campine pour fertiliser les bruyères, a trouvé qu'il était équitable d'accorder de la chaux comme compensation aux Ardennes.
L'honorable député fit à la section centrale en 1851, quand il était ministre, la même observation ; voici comment elle lui répondit : je trouve la réponse dans son rapport.
« L'analogie indiquée n'est pas tout à fait exacte : car l'Etat ne paye pas l'eau, il la reçoit, il lui facilite seulement les moyens d'arriver ; il se borne à créer à ses dépens les voies pour la laisser venir elle-même. Quant à la distribution de la chaux, c'est tout différent ; l'Etat ne se borne pas aux travaux de voirie, il intervient d'une manière considérable par des remises de prix, etc. »
Eh bien, messieurs, la section centrale avait raison.
L'eau que le gouvernement distribue pour les irrigations de la Campine ne lui a rien coûté. Il la prend dans la Meuse.
Son transport ne lui coûte rien non plus. Elle s'écoule d'elle-même depuis la Meuse jusqu'aux bruyères irrigables.
Ce qui constitue une dépense définitive pour l'Etat, c'est la construction de la voie d'écoulement, le canal avec ses écluses, et ce canal a été construit aussi dans un but de navigation.
Ce que l'Etat devait donc à l'Ardenne pour la traiter comme la Campine, c'étaient évidemment des routes ; car les canaux ne sont guère praticables dans ce pays.
Eh bien, l'Etat belge s'est-il fait prier pour doter cette contrée d'un bon système de communication ? Non certes.
(page 890) Les routes que notre gouvernement a construites sont si nombreuses que la dépense de leur entretien dépasse de 95,000 fr. le produit de leurs péages.
Ce renseignement a été puisé dans des documents officiels.
L'honorable M. Rogier vous a dit ensuite : Mais pourquoi vous effrayer tant des primes, des subsides ? le budget de l'intérieur n'est-il donc pasun budget de subsides ? Oui, je le crois bienl l'honorable membre a contribué largement à lui donner ce caractère. Cela est d'autant plus étrange qu'il professe les doctrines du libre échange.
Au reste, il est à remarquer que ceux qui sont les adversaires des primes douanières sont souvent les partisans les plus chauds des subsides individuels, et d'après mon avis, ces primes sont de la pire espèce, elles sont l'origine de préférences, de privilèges, tandis que les primes douanières sont au moins accessibles à tout le monde ; le privilège est, dès lors, impossible.
Messieurs, décidé à ne pas continuer uns discussion irritante avec les honorables députés du Luxembourg, je me bornerai à maintenir ce que j'ai dit : c'est que leur province n'est pas encore atteinte du fléau du paupérisme et de la mendicité. Je les en félicite. Cet avantage balance heureusement l'absence de grandes richesses.
Je n'irai pas plus loin, le débat ne pourrait amener aucun résultat utile. Mes adversaires défendent les intérêts de leurs commettants ; c'est un devoir que je comprends.
Le but que je me suis proposé a été l'intérêt général. Il doit être permis de se passionner aussi quand il s'agit de défendre cet intérêt-là.
J'en viens donc à la question pratique, que j'ai indiquée en commençant.
Voici la question que je pose au gouvernement :
N'est-il pas vrai que le crédit de 600,000 francs alloué en 1851 pour irrigations, drainage, chaux, n'a pas limité la part à faire à chacun de ces services ?
S'il en est ainsi, c'est-à-dire si le crédit a été accorde sans partage en articles, n'est-il pas positif que tant que le crédit n'a pas été entièrement absorbé, il reste au gouvernement des ressources dont il peut disposer pour les distributions de chaux ?
Tel est le sens de la déclaration que le ministre de l'intérieur a faite en 1851 et qui m'a déterminé à voter les 600,000 fr.
Il a déclaré que les 600,000 fr. suffiraient pendant 4 à 5 ans, que chaque année, un compte rendu serait présenté sur les dépenses accomplies, et qu'à cette occasion la chambre serait à même de décider de la question de savoir s'il y avait lieu de continuer oui ou non les subsides distribués en chaux.
Eh bien, je vous le demande, messieurs, que sont devenus ces comptes rendus ? Au lieu de statuer sur la chaux à propos de leur examen, nous statuons sur la chaux en votant de nouveaux subsides.
Voici ma conclusion : Si le crédit de 600,000,fr. est absorbé, on a manqué à ses engagements ; s'il n'est pas absordé, on n'a que faire du crédit qu'on nous demande.
Or, comme j'ai lieu de croire que le crédit n'est pas absorbé, car outre les 600,000 le gouvernement a encore disposé de rentrées considérables sur les 500,000 fr. alloués en 1847, je ne voterai pas le nouveau crédit de 75',000 fr. que le gouvernement nous demande.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je suis au regret de devoir prolonger cette discussion ; mais on a cité des faits étranges ; on demande des explications qui ont été déjà données et que l'on révoque en doute ; de sorte que je me crois obligé d'éclairer la chambre par quelques mots.
L'honorable M. de Man m'a demandé pourquoi je n'avais pas fait usage d'une partie du créait général qui avait été mis à la disposition du gouvernement. Ce crédit était de 600,000 francs. Dans les documents qui ont été imprimés et distribués à la chambre, le gouvernement a fait voir que jusqu'à présent ce crédit avait été absorbé à concurrence de 500,000 fr. et que le surplus était destiné à des travaux à exécuter dans la Campine.
Remarquez, messieurs, que dans cette somme de 600,000 francs il n'a été compris qu'une somme de 75,000 francs pour distribution de chaux.
M. de Man d'Attenrode. - Il n'y a pas de spécialité pour cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je vous demande pardon ; les documents imprimés attestent le contraire. Le gouvernement n'a disposé que de 75,000 fr. pour distribution de chaux, et il est certain que les 100,000 fr. qui restent doivent être employés à des travaux dans la Campine...
M. de Man d'Attenrode. - Ce n'était qu'un littera.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Peu importe. Les travaux entrepris par le gouvernement, du consentement de la législature, doivent absorber les 600,000 fr., à l'exception de 75,000 fr., affectés à la distribution de chaux.
L'honorable M. Delehaye a prétendu que le gouvernement n'avait donné à la chambre aucun renseignement sur des faits essentiels.
M. Delehaye. - Je n'ai pas dit qu'il n'avait donné aucun renseignement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Qu'il n'avait donné que des renseignements insuffisants, si vous le voulez. Il a demandé notamment pourquoi l'on n'avait pas indiqué la quantité d'hectares défrichés, avec la chaux mise à la disposition des cultivateurs du Luxembourg et des autres provinces.
Messieurs, ces renseignements sont imprimés ; ils résultent du rapport et de l'enquête qui ont été mis à la disposition de la chambre. Ouvrez à la page 17 ; vous trouverez l'emploi qui a été fait de la chaux dans la province de Luxembourg seulement ; et là vous trouverez imprimé dans un document qui émane du président de la commission d'agriculture que, rien que par les particuliers dans cette province, au moyen de l'emploi de la chaux à prix réduit, on a défriché au-delà de 7,000 hectares. Maintenant voulez-vous savoir ce que les communes ont défriché ? Au-delà de 3,500 hectares.
On dit encore que nous n'avons pas fait connaître l'emploi de la somme de 75,000 fr. Mais ici encore on n'a pas lu, ou l'on a oublié les documents qui ont été mis par le gouvernement sous les yeux de la chambre.
En effet, ouvrez ces documents à la page 43 ; vous verrez que l'on y rend parfaitement compte de l'emploi de la somme de 75,000 francs et même de celle de 9,000 fr. en sus, à savoir que dans la province de Luxembourg on a dépensé la somme de fr. 50,789 10 c.
Dans la province de Namur, 22,043 46.
Dans la province de Liège, 1,367 08.
Voilà comment le gouvernement a justifié l'emploi de cette somme de 75 mille fr.
Encore une dernière observation pour ne pas laisser peser sur le gouvernement le reproche de ne pas avoir donné les renseignements dont la chambre avait besoin. Cette observation porte sur les effets du crédit réduit à 40,000 fr.
D'honorables membres pensent encore qu'avec 40,000 fr. on peut produire des effets satisfaisants. J'ai eu l'honneur avant-hier de faire observer à la chambre qu'avec la somme de 40,000 fr. il était impossible d'élever la prime ou la réduction de prix au-delà de 12 cent, pour la zone la plus favorisée, de 9 cent, pour la zone intermédiaire et de 6 c. pour la troisième zone.
Or, tous ceux qui ont des connaissances pratiques en cette matière, savent très bien que, dans le Luxembourg surtout, où il s'agit de parcours de 4, 5 et 10 lieues, c'est une dérision que d'offrir à des cultivateurs une réduction allant suivant les circonstances à 6, 9 et 12 cent. Je dis que c'est une dérision. Il vaut mieux, quand le pays veut faire une largesse à quelqu'une de ses provinces, de la faire dignement, que de faire en quelque sorte une aumône ; et, pour ma part, je ne verrais dans le crédit de 40 mille fr. qu'un embarras pour le gouvernement sans aucun avantage pour les provinces.
- La clôture est demandée.
M. David (contre la clôture). - Messieurs, je n'ai que peu d'observations à présenter ; mais je crois devoir combattre ce singulier système de défrichement que l'honorable M. Delehaye a mis en avant. Je demande à dire quelques mots.
M. Coomans (sur la clôture). ) J'étais inscrit pour donner à la chambre quelques explications qui auraient réfuté les assertions très erronées d'un honorable député du Luxembourg relativement à la Campine. Mais je n'insiste pas et si la chambre prononce la clôture ; j'interpréterai son vote comme si elle trouvait mes explications inutiles.
M. Rogier (sur la clôture). - J'aurais voulu parler sur le fond ; mais si la chambre est pressée de clore, je n'insisterai pas.
J'aurais aussi voulu dire quelques mots sur une question purement personnelle.
Je dirai seulement que je m'étais borné à constater que l'honorable membre qui parlait alors et qui faisait sentir l'importance d'une économie de 55,000 fr., avait proposé une dépense de 3,500,000 fr.
Cette simple observation ne devait pas provoquer l'apostrophe violente dont j'ai été l'objet. Si je m'abstiens d'y répondre, j'espère que la chambre en fera justice.
M. d'Hoffschmidt (sur la clôture). - J'aurais voulu pouvoir répondre quelques mots à un honorable député des Flandres qui peut parfaitement connaître certaines provinces, mais qui certainement ne connaît pas aussi bien le Luxembourg. J'aurais voulu qu'on n'établît pas le moindre antagonisme entre les différentes provinces.
M. le président. - Ce n'est pas la question de clôture. Parlez sur la clôture.
M. d'Hoffschmidt. - Voilà pourquoi j'aurais voulu que la discussion ne fût pas close. Si la chambre ne me permet pas de répondre,, je dirai comme l'honorable M. Coomans, je croirai qu'elle juge que c'est inutile.
M. David. - Messieurs, si vous ne permettez pas de combattre un système tel que celui de l'honorable M. Delehaye, et qui consiste à établir des distilleries agricoles au milieu des bruyères, je dirai aussi que c'est parce que vous le jugez inutile.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Je mets aux voix le chiffre de 40,000 fr, adopté au premier vote.
M. d'Hoflfcchmldt (sur la position de la question). - Quand il y a deux chiffres, il est dans les usages de la chambre de voter d'abord sur le chiffre le plus élevé.
(page 891) M. le président. - On suit cette marche au premier vote, lorsque la chambre ne s'est pas encore prononcée sur la question du chiffre. Mais lorsqu'il s'agit du vote définitif, c'est l'amendement adopté (et ici l'amendement adopté est le chiffre de 40,000 fr.) qui doit être soumis au vote. Ainsi le veut l'article 45 du règlement.
M. Devaux. - Je demanderai à faire une observation sur la manière de voter ; nous allons nous mettre en contradiction avec tous les précédents de la chambre. Je n'attache pas beaucoup d'importance à la question, quant à l'objet dont il s'agit en ce moment, mais nous allons poser un précédent, et sous ce rapport la chose est très importante. Jamais quand il s'est agi de deux chiffres....
- Un membre. - Il n'y a pas deux chiffres.
M. Devaux. - Il y a deux chiffres : celui de 75,000 et celui de 40,000 fr.
Si vous commencez, messieurs, par le chiffre de 40,000 fr., comment voulez-vous que votent ceux qui ne veulent pas de chiffre du tout ? Il faut qu'ils votent contre les 40,000 fr., c'est-à-dire qu'ils augmentent les chances d'adoption du chiffre de 75,000 fr. Pour que tous les votes soient libres, il faut commencer par le chiffre le plus élevé ; alors ceux qui veulent un chiffre moindre et ceux qui ne veulent pas de chiffre du tout, votent contre la proposition. Dans le mode qu'on veut suivre, au contraire, le chiffre de 40,000 fr. pourrait être rejeté, et par ceux qui veulent 75,000 fr. et par ceux qui ne veulent pas de chiffre du tout.
M. de Theux. - Je crois, messieurs, que l'opinion de l'honorable M. Devaux est fondée, voici pour quel motif. L'amendement qui a été adopté consiste dans le rejet partiel de la proposition du gouvernement ; on a réduit le subside de 75,000 à 40,000 fr., je crois qu'en prenant la question de cette manière tout le monde sera parfaitement à l'aise : on votera d'abord sur le chiffre de 75,000 fr. et s'il n'est pas admis on mettra aux voix celui de 40,000 fr.
M. Dumortier. - Je trouve qu'il n'y a qu'une seule manière de procéder, c'est celle qui est indiquée par le règlement. Le règlement est aussi clair que possible en ce qui concerne le second vote : « Seront soumis à une discussion et à un vote définitif, les amendements adoptés et les articles rejetés. » Il faut donc nécessairement, comme l'a dit tout à l'heure, avec beaucoup de raison, M. le président, mettre aux voix l'amendement qui a été adopté au premier vole. L'honorable M. Devaux vient demander ce que feront ceux qui ne veulent pas de crédit du tout. Mais, c'est fort simple, ceux qui ne veulent pas de crédit du tout voteront contre tout ; ils voleront contre l'amendement et contre la proposition primitive. Il n'y aurait rien de changé pour eux si l'on mettait d'abord aux voix le chiffre le plus élevé : ils voteraient toujours contre les deux chiffres.
Je demande, messieurs, que le règlement soit exécuté. La proposition du gouvernement n'existe plus ; elle est anéantie par le premier vote ; il ne reste, à la suite de ce vote, qu'une seule chose, c'est l'amendement qui a été adopté ; on ne peut donc mettre aux voix que cet amendement.
Et puisqu'on a parlé de précédent, je dis que le système de M. Devaux serait un précédent contraire à tous les précédents de la chambre. On a toujours mis aux voix d'abord les amendements adoptés au premier vote, et je crois que pour procéder autrement il faudrait faire dire au règlement absolument le contraire de ce qu'il dit.
M. Devaux. - Messieurs, si nous changeons l'usage de la chambre pour le second vote, il faut le changer également pour le premier vote, car là le règlement dit aussi que les amendements seront mis aux voix avant la proposition principale. Or, cela n'a jamais empêché que, lorsqu'un amendement avait pour objet de réduire un chiffre proposé par le gouvernement, on ne commençât par le chiffre le plus élevé.
Ainsi, messieurs, si vous voulez être rigoristes, il faut, au premier vote aussi, commencer par le chiffre le moins élevé. Eh bien, c'est ce qui ne s'est jamais fait ni en Belgique ni en France, ni dans aucune législature : on a toujours pensé qu'il fallait commencer par le chiffre le plus élevé pour que chacun pût voter librement.
D'ailleurs, messieurs, il n'y a pas réellement ici d'amendement ; il y a deux propositions en présence. Un amendement, c'est ce qui change quelques mots à une disposition, tout en la laissant subsister dans son essence ; ici rien de semblable : il y a deux chiffres émanant l'un du gouvernement, l'autre de l'initiative de la chambre ; or eu pareil cas on commence par voter sur la proposition que les besoins de la délibération doivent faire passer la première, c'est-à-dire le chiffre le plus élevé.
Tout à l'heure d'honorables collègues me disaient qu'ils ne voulaient d'aucun crédit ; eh bien, s'ils votent contre le crédit de 40,000 francs, il est évident qu'ils facilitent par là l'adoption de celui de 75,000 francs. On ne peut pas les mettre dans une telle position.
M. Rousselle. - Je crois, messieurs, que la réclamation de l’honorable M. Devaux est fondée et je trouve les motifs de mon opinion dans l'article 45 du règlement. Que dit le dernier paragraphe de cet article ? Il dit :
« Il en sera de même des nouveaux amendements qui seraient motivés sur cette adoption ou ce rejet. »
Ainsi, messieurs, un membre de la chambre a le droit de dire : Au premier voie vous avez adopté tel amendement ; je le sous-amende et au lieu de 40,000 fr. je propose 75,000 fr. Dès lors, d'après les usages de la chambre, il faudrait bien commencer par voter sur le chiffre de 75.000 francs. Si donc ce chiffre est proposé par un membre et je crois qu'il le sera, il me semble qu'aux termes du dernier paragraphe de l'article 45 il doit être mis aux voix le premier.
M. de Theux. - Je n'ai, messieurs, qu'un seul mot à ajouter. Je pense qu'un chiffre rejeté doit être assimilé à une proposition rejetée ; or d'après le règlement toute proposition rejetée au premier vote doit subir l'épreuve du second vote ; ici le chiffre du gouvernement a été rejeté, c'est donc sur le chiffre du gouvernement qu'il faut voter en premier lieu.
-La chambre, consultée, décide qu'elle votera en premier lieu sur le chiffre de 75,000 fr.
Il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre de 75.000 francs. En voici le résultat :
66 membres prennent part au vote.
38 répondent oui.
28 répondent non.
En conséquence, le chiffre de 75,000 francs est adopté.
Ont répondu oui : MM. Van Iseghem, Verhaegen, Veydt, Anspach, Closset, Coomans, David, de Baillet (H.), Bronckaert, de Chimay, de Haerne, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon, Faignart, Lange, Laubry, Le Hon, Lesoinne, Loos, Matthieu, Moncheur. Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Thibaut, Thiéfry, Vandenpeereboom (E.) et Van Hoorebeke.
Ont répondu non : MM. Van Overloop, Van Renynghe, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Brixhe, Clep, Dautrebande, de La Coste, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Ruddere, Dumortier, Landeloos, Magherman, Malou, Mascart, Mercier, Osy. Pirmez, Rodenbach, Rousselle (Ch.), Thienpont, Vander Donckt et Delfosse.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
64 membres répondent à l'appel.
38 répondent oui.
26 répondent non.
En conséquence, la chambre adopte le projet de loi. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu non : MM. Van Overloop, Van Renynghe, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Clep, de La Coste, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Muelenaere. de Naeyer, de Perceval, de Ruddere, Dumortier, Landeloos, Magherman, Malou, Mascart, Mercier, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle (Ch.), Thienpont, Vander Donckt et Delfosse.
Ont répondu oui : MM. Van Iseghem, Verhaegen, Veydt, Anspach, Closset, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (H.), Bronckaert, de Haerne, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon, Faignart, Lange, Laubry, Le Hon, Lesoinne, Loos, Matthieu, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Thibaut, Thiéfry, Vandenpeereboom (E.) et Van Hoorebebe.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.