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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 11 mars 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 867) M. Maertens procède a l'appel nominal à deux heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Van Cleemputte, ancien chef de bureau à l'état-major de la garde civique de Gand, réclame l'intervention de la chambre pour faire régler sa position. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Defoy demande une loi qui permette aux cultivateurs n'avant pas les moyens de se procurer un port d'armes de chasse, de détruire le gibier qui ravages ses récoltes. »

- Même renvoi.


« Les conseils communaux de Freux et de Moircy prient la chambre ee rapporter la loi du 25 mars 1847, sur le défrichement des terrains incultes. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Sebille, président du comice du premier district agricole de la province de Hainaut, soumet un projet de chemin de fer destiné à satisfaire à la fois aux intérêts du bassin houiller de l'Ouest et a ceux du bassin du Centre. »

- Renvoi à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer d'Erquelinnes.


« Les sieurs Reul, Leros et autres membres du comité des charbonnages de la vallée du Piéton, déclarent adhérer au principe de la direction des transports sur les chemins de fer par la voie la plus courte et prient la chambre de l'adopter. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au tarif des marchandises expédiées par le chemin de fer.


« Des habitants de Mons demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande de quelques habitants de Bruxelles. »

« Deuxième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

« Troisième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

« Quatrième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

« Même demande d'habitants de Laeken. »

« Même demande d'habitants de Jemmapes. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.

« Des habitants de Rooborst demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que It cens électoral pour les villes soit augmenté, et prient la chambre de régler les frais d'entretien des indigents dans les établissements de bienfaisance. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Qorderen demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes et que l'élection se fasse dans la commune ou par section de district. »

- Même renvoi.


« Des électeurs d'Ernage demandent la suppression du vote par scrutin de liste pour la nomination aux chambres et l'établissement de circonscriptions de 40,000 âmes avec vote par fraction de district électoral ou bien l'élection au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Mettecoven demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes, que l'élection se faite dans la commune ou par sections de district, et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Petit Enghien demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Des membres du troisième bataillon de la garde civique de Saint Josse-ten-Noode demandent le maintien de l'organisation actuelle de la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.


« Par cinq messages, en date du 9 mars, le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« Messages du sénat faisant connaître l'adoption par cette chambre des projets de loi relatifs aux objets ci-après :

« Prorogation pour les deux sessions de 1853 de l'article premier de la loi du 4 mars 1851, relativement aux élèves en sciences.

« Crédit de 29,240 fr. au département de l'intérieur.

« Crédit de 61,666 fr. 67 c. au département des affaires étrangères. »

- Pris pour notification.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

M. Vermeire, au nom de la commission de vérification des pourvoirs, présente le rapport sur l'élection de M. de Bronckaert par le collège électoral de l'arrondissement de Liège et propose son admission comme membre de la chambre des représentants.

- Ces conclusions sont adoptées.

En conséquence M. de Bronckaert est proclamé membre de la chambre des représentants.

M. de Brouckaert prête serment.

Rapport sur des pétitions

M. Moxhon. - Messieurs, je vais avoir l'honneur de rendre compte à la chambre de l'examen de deux pétitions dont vous avez demandé un prompt rapport.

La première de ces pétitions vous est adressée par le conseil communal de Diepenbeek, qui vous signale que deux projets de chemins de fer, de Hasselt à Maestricht, sont soumis à vos délibérations. L'un de ces projets est l'œuvre de l’ingénieur Bernard, l'autre de l'ingénieur Delaveleye. Les pétitionnaires entrent dans divers détails pour vous engager à donner la préférence au projet de M. Delaveleye.

Par la seconde de ces pétitions, les habitants de Guygoven demandent l'exécution de trois chemins de fer : d'Ans à Hasselt par Glons et Tongres, d'Ans à Maestricht par Glons, ces deux chemins d'après le projet de M. Bernard ; enfin de Hasselt à Maestricht, par Bilsen et Tongres, d'après le projet de M. Delaveleye.

Votre commission a été frappée d'un fait qui se renouvelle à chaque instant ; c'est que toutes les pétitions qui ont rapport à des concessions de chemin de fer n'ont pour mobile que des intérêts de localités ; tandis que le principe admis par les chambres et le gouvernement a été que les chemins de fer concédés étaient destinés à desservir les intérêts généraux du pays.

En effet, messieurs, lorsque l'Etat abdique, au profit d'une société ou de particuliers, ses droits d'expropriation pour utilité publique, il faut qu'il y ait des raisons majeures pour qu'un pareil acte soit posé par la législature.

La chambre ne peut évidemment se prononcer pour l'un ou l'autre des plans qui lui sont désignés par les pétitionnaires comme devant obtenir la préférence, et votre commission ne peut, dans cet état de choses, que vous proposer le renvoi de ces deux pétitions à M. le ministre des travaux publics.

M. de T'Serclaes. - Je demande que, conformément à la décision prise précédemment par la chambre pour des pétitions de même nature, ces requêtes soient déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Lierre à Turnhout.

- La proposition de M. de T'Serclaes et les conclusion de la commission sont adoptées.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, à la suite d'une décision que ia chambre a prise sur la proposition que je lui en ai faite, l'affaire relative au chemin de fer du Centre vers Erquelinnes a été remise à l'ordre du jour d'aujourd'hui. Elle est placée à la suite du vote définitif sur le crédit de 75,000 fr. au département de l'intérieur.

J'ai déjà eu l'honneur de faire une première communication à la section centrale. J'attends des renseignements ultérieurs pour lui en faire une autre.

Je demande donc à la chambre de placer cet objet à la fin de l’ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi supprimant certains droits et prohibitions à la sortie

Discussion générale

M. Verhaegen. - Messieurs, depuis plusieurs jours, on nous expose certaines théories sur ce qu'on est convenu d'appeler libre échange ; mais jusqu'à présent on ne s'est pas compris ou on a fait semblant de ne pas se comprendre.

Mon honorable ami M. Lesoinne, avec lequel je suis loin d'être d'accord aujourd'hui, a bien voulu témoigner l'espoir de me convertir un jour à son système. Je ne demande pas mieux. Car, je dois le dire, les théories exposées sont fort belles ; elles sont attrayantes, et si je ne m'étais pas tenu en garde, je me serais laissé entraîner peut-être. Mais avant tout, l'intérêt du pays ; je dirai même avant tout, la dignié nationale.

Libre échange ! Je vous demande, mes honorables contradicteurc, ce que cela veut dire ? Mettons-nous bieu d'accord. Je viens solliciter de (page 568) vous une leçon d'économie politique, puisque enfin vous posez la question sur ce terrain. Dites-moi ce que vous entendez par libre échange ?

Quant à moi j'ai toujours pensé que pour qu'il pût y avoir libre échange, il fallait d'abord qu'il y eut échange. En effet, libre échange, si les mots sont faits pour exprimer une idée (je prie mes honorables collègues de contrôler mes paroles et de m'arrèter si je suis dans l'erreur), libre échange, c'est l'échange de la liberté commerciale, plus ou moins étendue ; c'est, si vous le voulez, une liberté relative, et, en l'entendant ainsi, nous serons bientôt d'accord ; mais si, par libre échange, vous voulez entendre la libre entrée et la libre sortie quand même, eh ! alors je ne puis plus être de votre opinion, et je crains bien que de longtemps je ne puisse m'y rallier.

Expliquons-nous plus catégoriquement. Je me permets donc de demander à mes honorables contradicteurs ce qui devrait arriver si une nation voisine maintenait ses droits prohibitifs ou quasi prohibitifs sur certains de nos produits, ce qui devrait arriver des produits similaires de cette nation voisine quant à l'entrée chez nous. On va me répondre sans doute, qu'il faut tout espérer du temps, qu'il ne faut pas de mesures brusques, mais qu'il faut y aller par gradation, qu'il faut même (car, mon Dieu ! tout le monde en demande), qu'il faut même des exceptions. En effet hier encore un très zélé partisan du libre échange demandait une exception pour le minerai, d'autres demandent d'autres exceptions.

Soit, messieurs, mais si, après tout cela, vos voisins maintiennent les droits prohibitifs ou quasi-prohibitifs, ouvrirez-vous vos barrières pour recevoir les produits de ces voisins ? Je supplie mes honorables adversaires de répondre catégoriquement à cette question. Direz-vous à ceux qui vous ferment leurs barrières : Je vous ouvre les miennes, en vertu du libre échange ; je suis plus généreux que vous et j'attends tout des temps et des circonstances ? Est-ce là le libre échange ? je vous le demande ! Si c'est là le libre échange, encore une fois, je n'en veux pas, parce que (pour ne pas employer une expression trop forte) ce serait une duperie.

Mais, messieurs, on ne me dira pas cela, on tournera autour de la question, on invoquera de belles théories, on discutera à perte de vue, mais en aura grand soin de s'écarter de la pratique.

Je n'avais pas tort, au début de la discussion, lorsque je disais que le projet de loi avait une teinte de libre échange théorique dont je ne voulais pas.

On s'est étonné de mon assertion, et cependant la suite de la discussion a prouvé que j'avais parfaitement raison.

Messieurs, dans mon premier discours je m'étais spécialement occupé des os et des chiffons de laine ; mais les observations que je viens d'avoir l'honneur de vous soumettre peuvent s'appliquer aussi à d'autres articles qui ont nécessité des amendements et à l'égard desquels je suis disposé à prendre le même parti.

J'ai fait remarquer qu'il était plus qu'extraordinaire qu'alors que les os, à la sortie de France, payent 200 fr. par mille kilog, les mêmes déchets sortant de Belgique n'ont payé jusqu'à présent que 50 francs par l,0l0 kilog. et qu'on va jusqu'à proposer de réduire ce faible droit à 25 fr. c'est-à-dire au huitième du droit existant en France.

M. le ministre de» finances a objecté que, s'il n'y a plus d'obstacle à la libre sortie des os, il n'y a pas d'obstacle non plus à la libre sortie du noir animal ; cette objection est sans fondement, car si le noir animal sort facilement de Belgique, si ses portes lui sont largement ouvertes à la sortie, les portes de France lui sont complètement fermées à l'entrée. En effet, le noir animal est frappé en France d'un droit d'entrée de 90 francs les mille kilog., et mille kilogrammes représentent, si je ne me trompe, une valeur de 200 fr. ; tandis que le noir animal à l'entrée en Belgique ne paye rien ou ne paye qu'un droit de balance.

Ainsi, le produit de cette fabrication belge est frappé en France d'un droit prohibitif, et le fabricat similaire français, entrant en Belgique, ne paye rien ; et au moyen de quoi la France obtient-elle ce fabricat ? Au moyen des os, matière première qu'on veut laisseer sortir librement de chez nous et que la France ne laisse pas sortir de chez elle.

Nous allons donc laisser sortir une matière première, alors que nos voisins la retiennent soigneusement chez eux ; nous laissons entrer pour rien le résultat de la fabrication, alors que la fabrication similaire est frappée d'un droit prohibitif chez nos voisins.

Est-ce là du libre échange ? Qu'est ce qu'on échange donc ? Nous donnons tout en échange de rien. C'est n'est pas un échange de liberté : il y a liberté d'un côté, prohibition de l'autre. (Interruption.)

Messieurs, je vous ai dit dans mon premier discours que les os servaient à plusieurs fabrications dans notre pays ; et en effet, nous avons quatre ou cinq industries qui sont intéressées à la conservation de cette matière première.

L'interpellation que j'adressais, en termes généraux, à mes honorables collègues, acquiert donc plus de force encore pour l'objet spécial qui nous occupe. Je leur demande s'ils veulent laisser continuer cet état de choses, permettre la sortie des os de Belgique alors que la France empêche la sortie des os de France, permettre la libre entrée du noir animal en Belgique alors que la France frappe le noir animal d'un droit prohibitif à l'entrée chez elle ?

Si la réponse est affirmative, encore une fois, je ne veux pas de ce qu'ils appellent le libre échange, et je persisterai dans l'opinion que j'ai émise dès 1837, époque de mon entrée dans cette enceinte.

Et, messieurs, ce n'est pas seulement l'intérêt du pays, mais encore sa dignité qui est engagée dans la question, car je ne pense pas qu'une nation, sans compromettre sa dignité, puisse jamais consentir à ouvrir largement ses portes à un pays voisin qui lui ferme inexorablement les siennes.

M. Delehaye. - Je me bornerai, messieurs, à répondre quelques mots aux deux députés de Bruxelles qui, hier, ont soutenu le système du libre échange. M. Prévinaire, à l'appui de son opinion, nous a dit que l'industrie houillère et l'industrie métallurgique avaient pris un grand développement en Belgique, qu'elles avaient diminué le prix de leurs produits, que c'était là le résultat de la libre concurrence ; sans doute, c'est le résultat de la libre concurrence entre les producteurs nationaux. Mais ces deux industries ayant joui toutes les deux d'une protection prohibitive, il est clair que le système que nous défendons n'est point un obstacle à la prospérité d'une industrie, comme à l'abaissement du prix des fabricats.

M. Orts vous a cité un autre exemple qui prouve, comme celui cité par son collègue, que les progrès, que la prospérité d'une industrie sont dus à la protection. Un industriel voulant établir une immense fabrique en Espagne, est parvenu à se procurer en France les machines nécessaires, plus avantageusement qu'en Angleterre.

Mais, encore une fois, reconnaissez donc que notre système n'empêche point le progrès, n'entrave point le développement.

Toutefois, je dois à la vérité de dire, que pour l'exemple cité par M. Orts, il peut se faire que si la France l'a emporté sur l'Angleterre pour la production des machines, dans le cas donné, il pourrait se faire que l'industriel d'outre-Manche eût refusé la commande, parce que, peut être, il avait à faire face à tant de demandes qu'il ne se trouvait pas en mesure de livrer ses produits à l'époque indiquée.

Dans les villes industrielles, cela se voit tous les jours. Souvent, tel industriel ayant de grands capitaux, un établissement grandement monté, abandonne à l'un de ses concurrents telle commande qu'il ne peut pas accepter, parce que tous ses moments comme tous ses ouvriers sont occupés.

L'honorable député de Bruxelles vous a dit que la France, qui admet le système le plus protecteur pour l'agriculture, était aussi le seul pays où l'on avait vu en 1847 et en 1848 le spectacle le plus déplorable qui avait rendu nécessaire l'intervention de la justice ; cela s'est vu partout. Quand il y a cherté, il y a souvent des désordres ; la Belgique n'a pas été exempte de ces scènes déplorables.

Quant à la protection de l'agriculture, j'admets l'amélioration de la voirie, la construction de canaux, la propagation de l'instruction, comme les éléments de la protection la plus efficace ; je ne veux pas me prononcer aujourd'hui sur les droits perçus en France sur l'importation des céréales, il me suffira de reconnaître qu'en France, en présence même de son système protecteur, les céréales se vendent à un prix plus bas que parmi nous.

Je bornerai là mes observations et je voterai pour le maintien de la protection.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Coomans. - Il me suffirait de dix minutes pour présenter à la chambre les observations que m'ont suggérées les discours des honorables MM. Orts et Prévinaire. Cependant si la chambre désire clore la discussion, je n'insiste pas pour avoir la parole.

- Des membres. - Parlez ! parlez !

M. Coomans. - Je disais hier que les libre-échangistes sincères, ceux qui ont foi dans le libre échange, ne sont guère dangereux ; j'ajouterai aujourd'hui qu'ils nous sont parfois utiles, par l'appui qu'ils prêtent eux-mêmes au système protecteur. Je n'en excepterai pas l'honorable M. Orts, dont le savant discours a confirmé mes convictions.

Pour démontrer qu'une grande réduction de droits de douane favorise le développement de l'industrie et du commerce, M. Orts a cité l'Angleterre, qui a vu s'élever beaucoup le chiffre de ses exportations et importations depuis 1846. D'après l'honorable membre, ce phénomène commercial est dû à la réforme de Robert Peel.

J'ai interrompu l'orateur pour lui faire observer qu'à partir de la même époque les exportations et impoprtations avaient grandi chez nous dans une proportion plus forte encore qu’en Angleterre. Il a répliqué que ce résultat était dû aux mesures libérales prises en Belgique, relativement au transit et aux droits différentiels. Mais la France, qui a maintenu et renforcé son système prohibitionniste, a obtenu, sous ce rapport, de plus grands succès encore que l’Angleterre ; les importations et exportations de la France se sont accrues de 10 et 20 p. c. au-delà du progrès réalisé en Angleterre. Voilà M. Orts forcé de dire que la prohibition est plus favorbale que le libre échange au développement de l’industrie et du commerce !

Comment l'honorable M. Orts a-t-il pu dire que la Hollande avait adopté un régime libéral, la Hollande qui a maintenu le monopole de Java, c'est-à-dire des deux tiers de son commerce !

Les arguments et les exemples que M. Prévinaire a développés à l'appui du free trade fortifient le système protecteur. En effet, l'honorable membre avoue que le prix du fer a diminué chez nous sous l'empire de la protection, ei qu'en France, malgré une échelle mobile très sévère, le pain est à meilleur marché qu'en Belgique. Ne voit-il pas qu'il démontre ainsi les bienfaits de la protection ? Pourquoi affirme-t-il que celui d'entre nous qui proposerait d'établir en Belgique l'échelle mobile serait un insensé ? Il devrait au contraire la proposer lui-même, puisqu'il lui attribue la vertu de diminuer le prix des céréales.

(page 869) Que ferait, que dirait aujourd'hui M. le ministre des finances s'il n'avait pas les deux millions de francs que lui donne chaque année l'impôt sur les denrées alimentaires ?

A en croire M. Orts, nous le sommons, lui et ses amis, de changer tout, de bouleverser tout, de pratiquer immédiatement et pleinement le libre échange. Il faut, dit-il, marcher pas à pas, avec mesure.

Mais où a-t-il vu que nous demandions l’application du libre échange ? Qui donc ici provoque une révolution économique ? Personne. J'ai proposé 20 p. c. de protection pour celles de nos industries qui en ont aujourd'hui davantage. Est-ce là du libre échange ? 20 p. c. ne vous suffisent-ils pas. Dites-le, nous vous en accorderons 25 peut-être. Vous voulez marcher lentement, mais vous ne marchez pas du tout ; vous n'avez pas fait un pas depuis 6 ans ; pas un seul droit d'entrée n'a été diminué, pas un seul. Au contraire, on a renforcé, exagéré la protection industrielle, par une large distribution de primes et de subsides.

Ce n'est pas le mobile de la vengeance qui nous pousse à demander la réduction des droits dont se trouve frappée l'importation du fer, du charbon, des vêtements. Nous n'ambitionnons pas l'égalité dans la misère. Nous demandons pour l'agriculture une mesure réparatrice. Nous trouvons qu'il est inique de lui faire payer une énorme prime aux usines et aux manufactures alors qu'elle n'obtient rien en retour. De deux choses l'une : ou il faut la décharger de la contribution foncière, ou bien mettre à sa portée le fer et les vêtements de l'étranger.

On perd trop de vue que toute richesse provient du travail, et que la meilleure législation économique est celle qui favorise le plus le travail. MM. les économistes ne voient que des consommateurs, et ils s'imaginent avoir fait merveille quand ils ont diminué le prix des choses par une concurrence effrénée. Mais pour la masse de la population, l'embarras n'en pas d'acheter, l'embarras est de trouver les moyens d'acheter, moyens que le travail seul procure. Notre premier soin doit donc être d’assurer du travail à nos compatriotes.

Le bon marché est chose relative. Le bon marché est souvent mauvais ; il est parfois ruineux. Il peut résulter de la pauvreté des consommateurs et du chômage des travailleurs. Pour être bon, le bon marché ne doit pas nuire aux producteurs, car tout est trop cher pour qui ne peut pas acheter.

Ceci est une hérésie économique, mais c'est une grande vérité que l'expérience de tous les jours démontre. Demandez à nos industries si elles prospèrent quand les prix sont très bas ! Lisez les journaux, même les journaux libre-échangisies ; ils disent que la situation s'améliore lorsque le prix du fer, des charbons, des draps, des tissus de lin, des sucres s'élève. N'est-ce pas un démenti à la science ?

M. Prévinaire se plaint du peu de respect que j'ai pour l'économie politique. Je ne m'en excuserai pas. Mais je lui ferai observer qu'il ne traite guère mieux la science éclectique que nous professons. Il a dit que le système protecteur est un vieil édifice lézardé, une sorte de baraque vermoulue, tandis que le libre échange serait un magnifique monument, d'une architecture progressive.

Soit, mais ne nous hâtons pas de démolir la baraque qui nous abrite encore, dans l'espoir d'habiter le superbe château de M. Prévinaire, car je crains fort que ce ne soit un château en Espagne.

M. Lesoinne. - Dans la séance d'hier, l'honorable M. Dumortier, en répondant à ce que j'avais dit dans la discussion, a dit qu'il avait déjà lu mon discours. Je ne sais pas si je me suis répété ; l'honorable membre, lui, ne se répète pas … bien qu'il prenne plus souvent la parole que moi.

L'honorable membre a fait valoir des arguments qui m'ont paru assez singuliers ; il est venu dire que nous n'étions pas dans des conditions à pouvoir lutter contre l’Angleterre, que l'Angleterre avait des capitaux immenses, des machines puissantes et surtout un esprit d'invention qui nous manquait tout à fait.

Je crois que nos fabricants seront peu flattés de l'opinion que l'honorable membre a exprimée sur leur compte. Les faits cependant ne viennent pas à l’appui de cette opinion.

On nous accuse toujours de rester dans les théories et de ne pas faire attention aux faits. Mais c’est en consultant les faits que nous disons qu'il y a dans notre pays plusieurs industries qui luttent avantageusement sur les marxhés étrangers avec les industries similaires de l'Angleterre.

Il y a la fabrique de draps de Vcrviers qui envoie ses produits sur tous les marchés du monde, même en Angleterre.

Il y a la fabrique d'armes de Liège qui envoie aussi ses produits sur tous les points du monde.

Les fabricants de machines commencent aussi à exporter leurs produits en quantités assez notables.

Notre commerce augmente aussi bien en importations qu'en exportations.

Ceci prouverait que les opinions de l’honorable membre ne sont pas tout à fait fondées quant à l’aptitude de nos industries à pouvoir soutenir la concurrence sur les marchés étrangers avec cette formidable Angleterre. Or, s’ils soutiennent cette concurrence sur les marchés étrangers, ils peuvent beaucoup mieux encore la soutenir sur le marché intérieur.

On représente l'Angleterre, du moins l'honorable membre représente l'Angleterre comme une vaste association communiste qui met en commun ses capitaux pour déverser ses produits sur tout le reste du monde, même où l’on ne les lui demande pas. Si elle voulait faire un pareil cadeau aux autres nations, je ne crois pas que son industrie y gagnerait beaucoup.

L'honorable membre ne connaît pas, me semble t-il, la manière dont les transactions commerciales se font. Aujourd'hui que les communications sont plus faciles, qu'elles se perfectionnent de jour en jour, les consommateurs et les commerçants des différents pays demandent directemtnt aux fabriques les objets dont ils croient pouvoir tirer parti.

On commence maintenant à ne plus traiter pour ainsi dire que sur commande. Les négociants belges commandent aux fabriques étrangères les marchandises qu'ils croient pouvoir placer à leur profit en Belgique, de même que les étrangers commandent à nos fabricants, à nos industriels les marchandises qu'ils croient pouvoir vendre chez eux avec avantage. Voilà comment les relations s'établissent et tendent de plus en plus à s'établir en général.

Mais, dit l'honorable M. Dumortier, dans les temps de crise, l'Angleterre viendra nous inonder de ses produits. C'est-à dire que lorsqu'il y aura une crise et que les marchandises ne pourront se vendre chez nous, les Anglais viendront payer des frais de transport, des frais de douane, des frais d'emmagasinage pour pouvoir vendre ensuite leurs marchandises pour rien. Ce serait sans doute, de leur part, un acte de grande générosité, mais je doute qu'ils agissent de cette manière.

« Mais voyez, dit l'honorable membre, comme vous êtes conséquents ! Avant-hier, que vous demandait-on par ce crédit de 75,000 fr. pour distribuer la chaux à prix réduit ? N'était-ce pas d'accorder, aux dépens du trésor, une prime en faveur de l'agriculture de quelques provinces ? Cette prime, ah ! vous la votiez. Et quand il s'agit de droits de douane sur les produits étrangers, pour assurer du travail à nos ouvriers, à nos travailleurs, alors on les repousse en disant que c'est une prime en faveur du travail qui se fait dans les manufactures du pays. »

Messieurs, je ne tiens pas plus que l'honorable membre à ce crédit de 75,000 fr. Je l'ai voté parce qu'il était destiné à une province qui est privée de voies de communication dont nous jouissons et qu'elle a payées, pour sa quote-part, aussi bien que nous. Celait une espèce de compensation que je lui accordais.

M. Dumortier. - Vous vouliez la prime.

M. Lesoinne. - Non ! ce n'était pas une prime, mon honorable collègue ; c'était un secours, un subside, si vous le voulez. Mais comme je viens de le dire, si cela peut contribuer à vous faire abandonner le système protecteur, je consens volontiers à ne pas voter les 75,000 fr. Je crois aussi que ce crédit ne fait pas grand bien, surtout aux petits cultivateurs, pour lesquels il a été établi.

L'honorable M. Verhaegen vient de nous poser uae question en nous défiant d'y répondre. Si, dit-il, un Etat voisin maintient la prohibition sur quelques-uns de nos fabricats, devons-nous admettre chez nous les produits similaires ?

Messieurs, il y a quelques industries qui se trouvent dans ce cas, entre autres l'industrie drapière.

Les draps belges sont prohibés en France, et les draps français peuvent entrer en Belgique.

L'industrie drapière ne souffre pas de cette différence de tarifs ; elle a été chercher des débouches ailleurs et les a trouvés.

L'histoire de cette industrie prouve assez ce que peut l'énergie de nos industriels, lorsqu'il s'agit de ne pas laisser mourir leur industrie.

Sous l'empire français, lorsque nous étions réunis à la France, l'industrie drapière prospérait. La Belgique a été séparée de la France. L'industrie drapière a été obligée de chercher des débouchés ailleurs, elle est parvenue à en trouver.

Les colonies hollandaises, où nous étions admis à des conditions privilégiées, étaient un marché considérable pour l'industrie drapière. Après la révolution de 1830, ce marché lui a manqué ; elle a dit encore chercher ds nouveaux marchés, elle en a trouvé, et cette industrie s'est même considérablement agrandie depuis 1830, bien que la Fraace ait continué à refuser ses produits et qu'ils aient été admis dans les colonies hollandaises sur le pied d'égalité avec les produits similaires ds tous les autres pays.

Je pense que ce sont là des faits et que ce ne sont pas de belles théories.

Eh bien, messieurs, ce qui est vrai pour cette industrie, l'est toujours ; quand les industriels se donnent la peine de chercher des débouchés eux-mêmes, de faire leurs affaires eux-mêmes, ils sont certains de réussir à placer leurs produits.

L'industrie linière, malheureusement, n'a pas été dans ce cas ; l'industrie linière, à l'époque de sa prospérité, n'avait aucune protection ; les toiles étrangères payaient à l'entrée 1 ou 2 p. c. On a cru bien faire en frappant les toiles d'un droit d'entrée, les fils étrangers d'un droit d'entrée ; eh bien, l'industrie a été en décroissant.

Messieurs, quand j'ai dit que la liberté commerciale devait avoir pour but de placer les industriels de notre pays dans les meilleures conditions pour produire à bon marché ; j'ai dit que c'était le seul moyen de les mettre à même d'exporter leurs produits. Vous ne pouvez pas, en imposant un produit qui se sert à une fabrication quelconque chez nous, vous ne pouvez pas imposer ce produit à l'entrée sans placer le producteur qui l'emploie dans des conditions défavorables vis-à-vis de son concurrent étranger.

Nous devons donc tâcher de donner à nos industriels les plus grandes facilités pour produire à bon marché. La Providence nous a dotés du (page 870) plus beau port de l'Europe ; si l'on adoptait une politique libérale, ce port pourrait être aussi fréquenté que le port libre de Hambourg, peut-être le deviendrait-il davantage.

Or, pour des gens pratiques, pour ceux qui ne s'occupent pas de théories, ce qui fait le plus défaut quant aux expéditions vers les marchés lointains, ce font les occasions : nos fabricants de draps, nos fabricants d'armes et d'autres industriels de notre pays sont obligés d'expédier leurs produits par Amsterdam, par Rotterdam, par Hambourg, par le Havre, par Marseille, parce qu'il n'y a pas d'occasions dans le port d'Anvers.

Si, par l'adoption d'un système de politique commerciale libérale, on attirait dans ce port un nombre de navires plus considérable», les occasions seraient plus fréquentes et nos industriels auraient plus de moyens d'exporter leurs produits. Ils pourraient faire de meilleures affaires encore qu'ils ne font.

Je bornerai la, messieurs, mes observations : la discussion a déjà été assez longue, mais lorsqu'il s'agira du projet de loi de réforme douanière que le gouvernement nous a annoncé, nous pourrons entrer dans de plus amples explications sur cette question importante.

- La discussion générale est close, et la chambre passe à l'examen des articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. A partir du 1er juillet 1853, et sauf les exceptions indiquées à l'article suivant, tous les droits et toutes les prohibitions de sortie sont supprimés. »

M. Manilius a proposé les dispositions additionnelles suivantes :

« Toutefois, en ce qui concerne les marchandises considérées comme déchets et les minerais, les mêmes droits, ou prohibitions, pourront de nouveau être rendus applicables, en cas d'urgence, pendant l'intervalle des sessions législatives, par arrêté royal motivé.

« Le gouvernement en donnera connaissance aux chambres dans leur plus prochaine session. »

M. Manilius. - Messieurs, dans la discussion générale j'ai développé les motifs qui m’avaient suggéré mon amendement ; depuis j'ai vu que plusieurs intéressés en ont compris la nécessité et se sont adressés à la chambre par voie de pétition ou par la voie de la presse, pour lui demander de se prononcer dans ce sens. Le gouvernement, d'ailleurs, semble comprendre que dans certaines éventualités il pourrait être utile qu'il possédât la faculté que je propose de lui accorder.

Mais, messieurs, l'article 2 renferme déjà bien des exceptions à l'article premier et ces exceptions pourront peut-être s'étendre ; la discussion de cet article nous apprendra donc si ma proposition sera encore utile dans sa généralité ou s'il faut la restreindre.

Je pense, en conséquence, messieurs, que mon amendement trouverait mieux sa place à la suite de l'article 2 qu'à la suite de l'article premier. (Interruption.) Je ne retire pas mon amendement, je le déplace, et le ministère lui-même paraît comprendre qu'il sera alors recevable.

M. Brixhe. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - D'après ce que m'a dit l'honorable M. Brixhe, il va parler sur le minerai de fer ; comme l'amendement qui concerne cet objet porte sur l'article 2, je crois qu'il vaudrait mieux que l'honorable membre prît la parole dans la discussion de cet article.

M. Brixhe. - Je n'insiste pas.

M. Osy. - Je parlerai également sur l'article 2.

- L’article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Les marchandises dénommées ci-après restent assujetties à des restrictions de sortie, savoir :

« 1° La prohibition est maintenue pour les drilles, les chiffons de laine exceptés ;

« 2° Sont maintenus le droit de 6 p. c. ad valorem, sur les charbons de bois, et le droit de 4 fr. 24 c, par 100 kilog. sur les étoupes de lin et de chanvre.

« 3° Le droit de 50 francs par 100 kilogrammes sur les peaux de chevreau brutes continuera à être perçu jusqu'au 1er janvier 1858.

« 4° Sont fixés à 6 p. c. ad valorem le droit sur les écorces à tan exportées par les frontières de terre, et à 25 fr. par mille kilog. de droit sur les os de toute espèce. »

M. le président. - M. Osy a proposé de retrancher du n° 1° les mots : « les chiffons de laine exceptés. »

M. Brixhe. - Messieurs, je laisse aux habiles les hautes régions de la théorie pour me tenir au uiveau terre à terre d'une simple question de fait et de pratique.

Je désire insister un moment sur les minerais de fer. Les observations que je vais avoir l'honneur de vous soumettre tendront à prouver que les minerais sont placés dans une catégorie toute particulière et qu'une loi qui est toujours complètement en vigueur s'oppose à leur libre sortie. Vous déciderez, messieurs, si j'aurai réussi à présenter la démonstration d'une manière satisfaisante.

L'article 73 de la loi du 21 avril 1810 sur les mines et usines ne permet pas que les hauts fourneaux à fondre les minerais de fer s'établissent et soient mis en activité sans une autorisation spéciale accordée par un règlement d'administration publique.

L'article 74 de cette loi règle les formalités auxquelles doit être astreinte l'instruction des demandes d'autorisation de l'espèce. Il exige que l'administration examine les conditions probables d'existence des hauts fourneaux projetés et donne son avis sur la qualité du minerai à traiter, entendant bien refuser l'autorisation pétitionnée en cas d'insuffisance du minerai ou si la consommation d'une nouvelle usine doit nuire ou entraver les approvisionnements des établissements préexistants.

Ainsi, la loi veut que les usines soient toujours amplement pourvues de leur matière première, sans difficulté ni gêne, et c'est en effet, la condition essentielle de leur existence. En un mot, elle ne permet pas que l'approvisionnement des hauts fourneaux puisse être entravé ni compromis par les entreprises inconsidérées des spéculateurs.

Or, ce que la loi défend au point de vue de la concurrence même de l'intérieur, à combien plus forte raison entend-elle l'empêcher au profit des maîtres de forges de l'étranger !

Consultez, messieurs, la loi de 1810 sur les mines et vous y verrez, de l'article 57 à l'article 70, que le législateur s'est constamment préoccupé du soin d'assurer les besoins des maîtres de forges.

Ainsi si elle va jusqu'à attribuer, dans certains cas, le droit d'exploiter les minières, à la place des propriétaires. Ceux-ci sont même tenus d'exploiter en quantité suffisante. En cas de concurrence entre plusieurs maîtres de forges, le préfet est chargé de régler la proportion dans laquelle chaque maître de forge aura droit à l'achat du minerai.

Consultez aussi les délibérations du conseil d'Etat sur la loi de 1810 qui, soit dit en passant, a subi sept rédactions successives, et vous retrouverez partout la même sollicitude du législateur en faveur de la forgerie.

Vous le voyez, messieurs, j'avais, je crois, raison de vous dire que les minerais de fer sont dans une catégorie à part, et j'ajoute que leur libre sortie serait de tout point contraire à l'esprit et aux termes de la loi de 1810 ; qu'enfin pour pouvoir en autoriser la sortie il faudrait d'abord modifier cette loi dont on voudrait bouleverser l'économie incidemment et à propos d'un bout de loi de douane.

Cependant, messieurs, c'est sous l'empire de la loi de 1810, c'est sous la protection des articles 57 à 74 que la forgerie belge a pris l'important développement que vous connaissez tous.

Pouvez-vous songer sérieusement, par une loi de douane, sans discussion régulière, à transgresser la loi de 1810, cette charte de nos mines et de nos usines et à porter la main sur les garanties qu'elle donne aux immenses capitaux qui se sont immobilités dans la forgerie sur la foi de cette loi ?

Modifiez donc d'abord, s'il est possible, la loi de 1810, puis vous pourrez songer à vous occuper de la sortie des minerais.

Messieurs, la loi du 30 avril 1850, citée dans l'exposé des motifs de la loi dont nous nous occupons, porte que « jusqu'au 1er janvier prochain (le janvier 1851), le minerai de fer est déclaré libre à la sortie par les bureaux de la frontière limitrophe du Zollverein. »

Vous le voyez, messieurs, la sortie des minerais n'est plus permise depuis deux ans vers le Zollverein et elle n'a jamais été autorisée à la frontière vers la France.

Il est donc parfaitement inexact de dire, comme le fait l'exposé des motifs, que l'expérience ait démontré l'inutilité de la prohibition de sortie des minerais, puisque la seule frontière du Zollverein a été ouverte pendant une courte période de huit mois et à une époque oii l'on n'avait point encore érigé, en Prusse, les hauts fourneaux qui existent aujourd'hui à la limite des deux pays.

L'inexactitude est surtout flagrante par rapport à la frontière française où la sortie des minerais est et reste toujours fermée, où l'expérience vantée par l'exposé des motifs fait complètement défaut.

Ainsi s'explique donc naturellement le silence gardé sur l'arrêté du 30 avril 1850 par les maîtres de hauts fourneaux de la province de Liège, et surtout de la province de Hainaut.

Mais maintenant que cette importante industrie se croit sérieusement menacée de la libre sortie des minerais, elle s'émeut à bon droit, et vous avez entendu ses observations dans les pétitions qui vous ont été distribuées.

Je ne veux pas reproduire ces observations. Cependant je dois dire que je les crois fondées de tout point.

En commençant j'ai fait remarquer, messieurs, qu'aux termes de la loi de 1810, le gouvernement n'autorise l'établissement des hauts fourneaux qu'après s'être assuré, par les ingénieurs des mines, des existences de minerais suffisant à l'activité constante de ces établissements.

Le gouvernement est-il donc tellement assuré maintenant de ces existences, de leur développement possible, et de leur durée indéfinie, qu'il veuille résolument prendre aujourd'hui la responsabilité des inconvénients plus ou moins graves, plus ou moins prochains, que notre industrie métallurgique pourrait éprouver par le fait de la libre sortie des minerais de fer ?

Les hauts fourneaux du département du Nord s'approvisionnent surtout aux environs de Boulogne. Les transports y sont difficiles et coûteux, tandis que les Français peuvent recevoir les minerais de Charleroî au fret seulement de fr.3 50 par tonne. Or, les pétitionnaires belges vous le disent, la fonte coûterait ainsi en France fr. 10 50 de plus qu'en Belgique ; mais protégés par un droit de 44 francs par tonne, à l'entrèe des fontes belges, les maîtres de hauts fourneaux français conserveraient en leur faveur une marge de fr. 33 50 par tonne de fonte, et si la sortie des minerais était rendue libre, le mieux serait dès lors pour les maîtres de forges belges de transporter leur industrie de l'autre côté de la frontière où ils trouveraient du moins un marché de plus de trente millions de consommateurs.

(page 871) On ne voit pas la nécessité de s'exposer à compromettre la forgerie belge en aidant au développement de la forgerie française, déjà si puissamment protégée contre la nôtre par le droit d'entrée de 44 fr. par tonne, dont nos fontes sont frappées à la frontière.

Devant des éventualités qui deviendraient peut-être désastreuses et dont, ce me semble, il est réellement raisonnable de se préoccuper, je pense que le gouvernement ne voudra pas ici réaliser quand même un principe absolu, ni courir des hasards que rien ne lui impose maintenant, et qu'il n'insistera pas sur sa proposition.

Pourquoi se jeter à tête baissée au-devant de l'inconnu, sans expérience acquise qui nous y autorise, sans réclamations qui nous y provoquent ?

D'ailleurs, messieurs, je crois vous avoir démontré que la libre sortie des minerais de fer serait un fait contraire à la loi de 1810, qui est la garantie des faits accomplis, des capitaux énormes engagés dans notre forgerie.

Je voterai donc contre la libre sortie des minerais, et j'appuierai l'amendement de l'honorable M. Anspach.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, la question que soulève l'amendement de l'honorable M. Anspach est une des plus importantes de celles qui se présentent dans le projet de loi actuel, il s'agit de savoir si, en faveur de l'industrie des hauts fourneaux, on continuera perpétuellement à frapper, d'une sorte d'interdit, d'une servitude légale, la propriété foncière qui recèle dans son sein du minerai de fer.

Ramarquez-le bien, cette question n'intéresse pas seulement le Hainaut, elle intéresse au même degré les provinces de Liège, de Namur, d'Anvers, de Brabant, de Limbourg et même des Flandres. Car vous serez peut-être étonnés d'apprendre que, dans la province de Brabant, il y a 40 communes où l'on trouve du minerai de fer, dans la province d'Anvers, 24, dans la Flandre orientale... Je n'ai pas le chiffre pour les autres provinces.

Or, quelle est en deux mots la question qui se traite ? C'est celle de savoir si, pour faire gagner quelques centimes de plus par 100 kilog. aux maîtres de forges, il sera défendu au propriétaire du sol, qui a du minerai de fer sous la main, de vendre le produit de cette mine à l'étranger, alors même que l'industrie du pays chôme : ce qui arrive quelquefois.

Et ce n'est pas peu de chose que cette éventualité ! Il s'est présenté des années où l'industrie sidérurgique chômait en Belgique et où le minerai de fer aurait pu être livré avantageusement à l'étranger. Et supposons que, dans cette hypothèse, la Belgique eût livré quelques centaines de mille tonnes aux pays étrangers, c'eût été une somme de 3 à 4 millions acquise à la Belgique.

Du reste, la question n'est pas neuve. En 1851, des propriétaires qui avaient des terrains riches en minerai de fer, adressèrent une réclamation au gouvernement pour avoir la liberté d'exporter le minerai. Le gouvernement ouvrit une enquête, il consulta les chambres de commerce, et voici dans quels termes la chambre de commerce de Liège répondit au gouvernement : (L'orateur lit un extrait.)

Quand on y réfléchit bien, on est étonné que l'industrie sidérurgique ose élever une réclamation du genre de celle qui se produit en ce moment, lorsqu'on voit qu'elle est protégée contre la concurrence étrangère, non par des droits de 5 à 10 p. c. comme la plupart des autres industries, mais par des droits qui s'élèvent jusqu'à 100 p. c. sur certains articles de sa fabrication et qui au minimum ne sont pas inférieurs à 35 p. c. sur certains autres articles.

Du reste, messieurs, je ne veux pas exagérer la portée de la proposition que vous soumet le gouvernement. Le minerai de fer est une matière très pondéreuse et a une faible valeur, eu égard à son poids.

Dans les années ordinaires, le minerai de fer, non lavé, ne coûte guère que 3 francs par mille kilogrammes ; et, certes, ces deux circonstances réunies, savoir le faible prix et le grand poids de la matière, seront toujours un obstacle à ce que le minerai de fer aille à de grandes distances et en grande abondance à l'étranger.

L'arrêté royal qui a été pris à la suite de l'enquête dont je viens de vous rendre compte, démontre la vérité de ce que j'ai l'honneur d'annoncer.

En effet, faisant droit aux réclamations des propriétaires du minerai de fer dans la province de Liège, on a ouvert pendant toute l'année 1850 toute la frontière du Zollverein pour la sortie libre du minerai de fer.

Eh bien, contrairement aux prévisions des possesseurs du minerai de fer, il n'y a eu aucune sortie quelconque en 1850.

A entendre l'honorable M. Brixhe, il semblerait que cette question n'intéresse que les exploitants des mines concédées, tandis qu'elle intéresse au même degré ici propriétaires des mines non concédées.

En 1846, alors que les mines de fer concédées n'exploitaient que 155,000 tonneaux, les mines de fer libres ont exploité 189,000 tonneaux. Vous voyez donc que la propriété foncière est grandement intéressée dans cette question.

Je disais tout à l'heure que ces exportations ne seront jamais très abondantes. et en effet, la Prusse et le Zollverein, nos deux seuls concurrents à nos portes, possèdent du minerai en aussi grande abondance que nous, et ce n'est guère que dans des cas très exceptionnels que des exportations pourraient se faire ; mais dans ce cas il faut que le propriétaire du sol qui contient cette richesse ait le droit de s'en servir.

Messieurs, je sais qu'on pourrait me dire que le pas que je veux faire faire à la législature est fort grand, qu'il y a toujours danger à passer de la prohibition complète à la liberté complète.

Eh bien, l'amendement de M. Manilius, dont nous nous occuperons à l'article 3, prévoit ce cas ; si, par impossible, des accaparements pouvaient avoir lieu, vous savez combien la fibre de l'intérêt privé est sensible ; les réclamations des chambres de commerce les plus intéressées se feraient entendre au gouvernement central, et en vertu de l'amendement de M. Manilius, le gouvernement, protecteur de tous les intérêts, se ferait un devoir de rétablir le droit ou la prohibition qui existe aujourd'hui. Je pense donc qu'on peut sans danger ne pas admettre l'amendement de M. Anspach.

M. le président. - Le premier orateur inscrit est M. Osy qui se propose, je pense, de parler sur les chiffons. Il conviendrait, ce me semble, de vider d'abord la question des minerais.

M. Osy. - Je me proposais de parler sur l'amendement de M. Anspach qui est mixte ; car il comprend les drilles et préjuge mon amendement.

M. le président. - L'amendement de M. Anspach ne comprend que le minerai de fer ; il suppose l'adoption de l'article du gouvernement et il propose d'ajouter les mots : « pour le minerai de fer ». Votre amendement reste réservé.

Pour qu'il n'y ait pas de confusion, je pense qu'il faut entendre d'abord ceux qui veulent s'occuper du minerai de fer.

M. Osy. - L'amendement d« M. Anspach, qui nous a été distribué, porte : « La prohibition est maintenue pour le minerai de fer et pour lest drilles, les chiffons de laine exceptés. »

Il me semble qu'ainsi formulé, il détruit ma proposition.

M. Anspach. - C'est dans l'impression que ma proposition a été mêlée avec les drilles, mon intention n'était que de parler du minerai de fer.

M. Malou. - Je propose de discuter la question ainsi posée : Maintiendra-t-on la prohibition à la sortie sur le minerai de fer ? Cette question vidée, on passerait à un autre article.

M. Osy. - Puisqu'on vient de décider qu'on s'occuperait exclusivement des minerais de fer, je viens appuyer la proposition de M. Anspach et ce qu'a dit l'honorable M. Brixhe. Je ne suis ni de l'école des ultra libre-échangistes, ni de celle des ultra prohibitionnistes ; je consulte, dans la cas qui se présente, l'intérêt du pays.

Le gouvernement s'oppose à la proposition de M. Anspach dans l'intérêt des propriétaires fonciers. Je crois que, si nous considérons les propriétaires de mines et les grands intérêts qui se rattachent aux hauts fourneaux, il n'y a pas à balancer, il faut donner la préférence à l'objet manufacturé.

Vous concevez que nos voisins ne consomment qu'une certaine quantité de fer ; la France peut trouver plus avantageux de tirer notre minerai de fer, moyennant un droit de 10 fr., que d'acheter notre fer qui paye un droit de 44 fr. Les Français alors fonderaient des hauts fourneaux à notre frontière et les nôtres chômeraient ; le propriétaire foncier, au lieu de vendre son minerai à des Belges, le vendrait aux Français.

Je préfère que ceux qui ont des minerais les vendent à des Belges plutôt qu'à des étrangers. Il est certain que des capitaux immenses sont engagés dans cette industrie. Vous les compromettriez en permettant la sortie des minerais qui s'opérerait par le batelage et serait facilitée encore par les chemins de fer de Manage à Erquelinnes, de Mons à Maubeuge.

Ne vaut-il pas mieux conserver le minerai pour alimenter notre industrie ? Je ne vois pas d'avantage réel pour le propriétaire à en permettre la sortie, car il ne vendrait pas plus de minerai qu'aujourd'hui, car je crois que l'exploitation des minières n'est pas en rapport avec nos besoins. Depuis que l'industrie métallurgique a repris, le prix du minerai a augmenté plus que celui du fer. Nous ferons donc bien de ne pas permettre la libre sortie du minerai. J'appuie l'amendement.

M. Prévinaire. - J'ai demandé la parole au moment où M. Brixhe développait l'opinion qu'il y a lieu de prohiber la sortie du minerai de fer. Les considérations qu'il a présentées sont de deux natures : il s'est appuyé d'abord sur l'intérêt qu'il y avait pour l'industrie du fer à réserver dans le pays les approvisionnements de minerais afin d'éviter que la France ne fût en mesure de développer son industrie similaire au préjudice de nos exportations.

Ces considérations ont été invoquées à l'appui d'autres demandes de restrictions à la sortie de matières premières, et M. le ministre des finances, à mon point de vue, en a fait justice complète en établissant qu'il existait beaucoup d'industries qui pourraient invoquer le même principe ; qu'ainsi l'on pourrait, avec tout autant de raison, réclamer des restrictions à la sortie des charbons, prohiber la sortie de la fonte dans l'intérêt des fabricants de fer en barre, et à son tour interdire la sortie de ce dernier produit dans l'intérêt de nos fabricants de machines.

Ces déductions me paraissent logiques et j'en conclus que ceux qui réclament les prohibitions de sortie se placent sur un terrain excessivement peu solide et dans une voie dans laquelle nous ne sommes pas sûrs de nous arrêter. Je ne m'occuperai pas davantage de ces considérations qui plusieurs fois déjà ont été longuement combattues dans nos discussions.

Mais il est un autre point du discours de l'honorable M. Brixhe que je (page 872) dois signaler à l'attention de la chambre. Il s'est appuyé sur la loi de 1810. Mais savez-vous ce que c’est que cette loi ? C'est la loi le plus manifestement contraire à notre Constitution, qui a proclamé la liberté de l'industrie ; c'est une loi essentiellement organisatrice du travail.

M. Delehaye. - La Constitution n'a pas proclamé la liberté de l'industrie.

M. Prévinaire. - Elle l'a proclamée implicitement, en ce sens que la liberté de l'industrie est la conséquence de la Constitution. Je prie, au reste, l'honorable M. Delehaye de ne pas m'interrompra ; il est coutumier du fait, bien qu'il soit lui-même très sensible aux interruptions.

Je dis donc que la loi de 1810 est contraire à la Constitution, que c'est une loi organisatrice du travail. La preuve de cette assertion résulte de ce qu'a dit l'honorable M. Brixhe.

Il a dit que cette loi a été portée en vue de favoriser l'exploitation du fer. En vertu de la loi de 1810, l'autorité a le droit d'examiner les conditions de la production du fer, de répartir cette production et de la maintenir.

Je dis que, sous l'empire de la Constitution, l'autorité n'a rien à voir en ces matières, qu'elle ne peut s'immiscer dans une question industrielle, sans violer la liberté d'industrie.

Il est dans la loi de 1810 plusieurs dispositions que l'on doit considérer comme virtuellement abrogées par la Constitution ; il en est de même de certaines dispositions de loi qui se rattachent à la législation de 1810, et qui portaient atteinte au droit du propriétaire foncier d'user de sa propriété, en limitant l’exploitation forestière.

Croyes-vous qu'une pareille législation soit encore, de notre temps, et puisse être du goût de nos concitoyens ?

Sous ce rapport, je m'élève contre la loi de 1810, parce qu'elle est une atteinte a la liberté industrielle en organisant l'industrie de la fabrication du fer.

Il a pu convenir au pouvoir qui disposait a cette époque des destinées de la France, de réglementer ces matières ; mais pour nous, Belges, dans notre petit pays, ne laissons pas porter atteinte à la liberté industrielle, car notre avenir industriel en dépend.

On a dit qu'il y aurait du danger à laisser sortir le minerai. Mais où donc est ce danger ? On établira, dit-on, au-delà de notre frontière en France, des hauts fourneaux qui s'alimenteront de notre minerai. Mais vous n'y avez pat réfléchi : la dépense d'établissement d'un haut fourneau s'élève à 280,000 fr. au moins.

Croyez-vous que l'industrie étrangère soit assez mal avisée pour fonder de tels établissements sur la foi d'une législation qui peut être changée du jour au lendemain ? Vous pouvez, en effet, autoriser le gouvernement à rétablir la prohibition de sortie du minerai, et lorsque certains intérêts auraient fait sentir qu'ils souffrent de la libre sortie du minerai, le gouvernement pourrait bien user de cette autorisation.

Nous ne sommes pas perpétuels, la majorité peut changer, la législation peut changer.

Remarquez d'ailleurs que la levée de la prohibition, si elle devait avoir pour effet le développement ee la production du fer en France, aurait par cela seul pour conséquence d'abaisser les barrières que la France élève contre notre propre production.

La France nous prenant le minerai et le combustible, la fabrication du fer ne lui présenterait plus qu'un intérêt secondaire puisqu'elle se réduirait en une question de main-d'œuvre.

Mais avant tout nous ne devons pas perdre de vue la justice, l'équité, la liberté et l'avenir de l'industrie.

M. Pirmez. - Je pense que l'honorable M. Prévinaire n'a pas bien lu la loi du 21 avril 1810. Car il n'y est nullemrnt question de régler les coupes de bos. Elle n'intervient en aucune manière entre les propriétaires de bois et les maîtres de forges ; je pense qu'elle ne dit pas un mot de tout cela. C'est ce qui doit nous prémunir contre la critique qu'il en a faite. Quoi qu'il en soit, cette loi existe, et elle règle des intérêts fort importants, entre autres ceux des propriétaires des minières et du maître de forges.

J'ai été étonné d'entendre que M. le ministre des firances ne faisait dans son argumentation aucune différence entre la propriété du minerai et la propriété de toutes les autres denrées reprises dans le projet de loi.

Il y a pourtant une différence qui fait de la question de l'exportation du minerai de fer une question toute spéciale, et qui en fait plutôt une question de droit qu'une question économique.

Le propriétaire du minerai de fer ne peut pas disposer de sa propriété d'une manière aussi absolue que le propriétaire des autres denrées qui figurent dans le projet, de la même manière, par exemple, dont on peut disposer des chiffons et des os dont on a tant parlé. Pour ces denréesn le propriétaire peut en user ou ne pas en user, il peut les anéantir si bon lui semble. Il n’en est pas ainsi du propriétaire qui possède dans son terrain du minerai de fer.

Son droit est limité par une loi spéciale, c'est la loi du 21 avril 1810, qui lie et unit en quelque sorte les minerais de fer aux usines établies dans le voisinage avec autorisation légale. Cette loi règle les droits et les obligations réciproques des propriétaires du minerai et des maîtres de forges.

Le plus court pour bien faire comprendre ces droits et ces obligations, c'est de vous lire quelques articles de la section 2 du titre VII de la loi du 21 avril 1810.

(L'orateur lit plusieurs articles de la loi.)

On comprendra maintenant que l'on ne peut assimiler absolument les minerais de fer aux autres denrées reprises au projet et qu'en le faisant on détruit certains droits légalement acquis aux usines, droits spéciaux qui n'existent pas pour les industries qui se servent des autres matières dont on demande la libre sortie.

M. Lebeau. - Messieurs, je n'aurais pas pris la parole dans cette discussion, si j'avais pensé pouvoir exprimer mon opinion au moyen d'un vote par appel nominal. Craignant que le vote n'ait lieu par assis et levé, j'ai cru devoir demander, pour un instant, la parole, parce que je n'ai pas entendu sans une certaine émotion, bien qu'ils ne puissent s'appliquer à moi, les reproches, les accusations d'inconséquences, pour ne rien dire de plus, que l'honorable M. Coomans a adressés aux partisans de la liberté commerciale.

Je tiens à prouver, par quelques roots et par mon vote, que je ne dois pas être rangé parmi ceux à qui l'honorable M. Coomans a adressé ces reproches.

Je suis partisan de la liberté commerciale, et je le suis pour tout le monde. Le jour où la proposition de réduction présentée par l'honorable M. Coomans sur tout notre tarif en général, aura passé par l'examen des ministres qui prendront, comme le fait aujourd'hui M. le ministre des finances, après des études pratiques, la responsabilité de cette proposition, je serai le premier à la voter.

Il faut cependant reconnaître que la législation douanière sur l'agriculture et cette législation en ce qui concerne les produits industriels ne doivent pas être régies par les mêmes principes. Pour la première catégorie de ces produits, il y a nécessairement, on le sait, des limites à la production ; pour les autres la production est à peu près illimitée ; d'autre part les industries similaires se font dans le pays une telle concurrence qu'elles amènent nécessairement une baisse progressive dans les prix et rendent illusoire toute prétention au monopole.

Les conditions ne sont donc pas les mêmes. Cela toutefois n'empêche pas qu'aussi longtemps qu'on ne sera pas entré dans le système indiqué par l'honorable M. Coomans, dans le système où l'honorable ministre des finances entre aujourd'hui, l'agriculture sera dans une position injuste à l'égard du tarif des douanes.

M. Coomans. - C'est cela.

M. Lebeau. - Je voterai donc pour la proposition ministérielle ;, je voterai pour qu'on lève la prohibition à la sortie du minerai de fer.

Quels sont les reproches qu'on a faits, sur une partie de nos bancs, au gouvernement ? C'est d'avoir deux poids et deux mesures, d'être libre-échangiste quand il s'agit de l'agriculture, d être protectioniste quand il s'agit d'industrie.

Eh bien, que fait aujourd'hui l'honorable ministre des finances ? Il fait un premier pas pour rendre moins inégale la position de l'agriculture et la position de l'industrie.

Voyez, messieurs, malgré ce qu'il y a d'anodin dans les disposilions présentées par le ministère, que d'obstacles il rencontre, que de réclamations il a suscitées, et combien il est difficile de réussir, quand, au lieu de se préoccuper des intérêts de quelques-uns, on se préoccupe, comme doit toujours faire un gouvernement, des intérêts de tous ! Rien n'est plus ingrat que tous ; rien n'est plus reconnaissant que quelques-uns.

J'ai été quelque peu surpris, je dois l'avouer, de l'attitude qu'a prise, dans cette circonstance, un honorable député de Charleroi qui nous a habitués à un tout autre langage, à de tout autres doctrines. Ce n'est pas, je dois le dire, de l'honorable député de Charleroi que j'attendais l'éloge de la loi de 1810, loi qui ne me paraît pas seulement en opposition avec les principes de notre Constitution, mais qui me paraît renfermer une véritable atteinte à la propriété, qui est diamétralement contraire à toutes les doctrines que l’honorable député de Charleoi à développées dans cette chambre, avec plus de courage que de succès.

Je dirai d'abord à cet honorable membre que si l'on peut argumenter de cette loi en présence des règles constitutionnelles scus lesquelles nous vivons, elle ne s'applique que très exceptionnellement aux mines belges. La plupart de nos mines ne sont pas concédées et ne peuvent pas l'être. Ce ne sont pas des mines de fer proprement dites ; ce sont des minerais d'alluvion qui forment une dépendance de la propriété et ne devenaient concessibles sous la législation de 1810, que trés exceptionnellement.

C'est à tel point, que la législature n'a plus voulu, à partir de 1837, permettre au gouvernement de concéder nos mines de fer. Elle, les a regardées comme l'annexe de la propriété, comme le droit du propriétaire. Le propriétaire vend donc chez nous son minerai de fer comme il vend son grain, comme il vend les autres produits de sa terre.

La loi de 1810 n'est donc pas applicable, et toute l'argumentation de l'honorable M. Brixhe et de l'honorable M. Pirmez tombe. Elle ne peut s'adapter aux faits, qui sont pour ainsi dire sans exception en Belgique.

Messieurs, nous qui devons quelquefois protester contre l'accusation très grave d'être socialistes, de vouloir l'intervention exagérée du gouvernement dans les affaires industrielles, nous ne pouvons que nous étonner du singulier sans-façon envers la propriété que l'on montre dans la discussion actuelle. J'adresserais volontiers une question à l'honorable M. Osy qui vient de représenter presque comme coupables de lèse-propriété envers les propriétaires de hauts fourneaux, les propriétaires du minerai de fer qui en vendraient à l'étranger.

(page 875) Trouverait-il son droit de propriété bien respecté, si, sous prétexte de favoriser chez nous la fabrication de la bière ou de l'eau-de-vie, on l'empêchait de vendre en Hollande les produits des cultures qu'il a dans quelques polders belges et voisins des provinces néerlandaises ? Ce serait absolument la même façon d'argumenter. Je reconnais volontiers (car j'ai voulu pousser la chose à l'extrême) que dans l'ordre des faits il peut y avoir une différence ; mais dans l'ordre logique il n'y en a pas.

Je ne sais pourquoi l'on s'effrayerait à l'idée de laisser sortir librement le minerai de fer. Il semble vraiment que nous soyons transformés tout à coup en une espèce de Californie et que notre minerai de fer soit du minerai d'or. Mais le minerai de fer sur place n'a presque pas de valeur ! Sa grande valeur résulte du transport : or, le poids, l'encombrement sont à eux seuls la protection la plus naturelle, la plus efficace en faveur des propriétaires de hauts fourneaux.

Cela est tellement vrai que lorsque, sur les réclamations d'un gouvernement voisin, comme M. le ministre des finances vient de le rappeler encore tout à l'heure, on a ouvert nos frontières à la sortie de notre minerai vers l'Allemagne, il n'en est pas sorti un kilog. (Interruption. )

Vous ne pouvez, dites-vous, vendre votre grain à l'étranger, il est dès lors inutile qu'on vous le défende. Quoi qu'il en soit, si le législateur décrétait une semblable défense, vous trouveriez qu'il est passablement despote et qu'il viole votre propriété, alors même que vous n'auriez nulle idée de vendre votre grain à l'étranger.

El dans quels moments, messieurs, vient-on se préoccuper à ce point de l'industrie du fer ?

Est-ce que, par hasard, cette industrie périclite ? Est-ce que ses produits sont avilis ?

Mais, messieurs, les fers ont subi en Belgique, depuis quelques mois, une hausse d'environ 50 p. c. Cette industrie est-elle aux abois ? Mais elle est si peu aux abois que tout récemment encore, si mes renseignements sont exacts, et j'ai lieu de les croire tels, des navires anglais sont venus en Belgique, dans le port d'Anvers, charger des rails belges pour les exporter aux Etats-Unis. Ainsi, cette industrie, qui serait si menacée si l'on permettait au minerai de fer de sortir du royaume, cette industrie va faire concurrence aux produits de l'Angleterre sur le marché des Etats-Unis.

M. Osy. - C'est une raison de plus pour maintenir ce qui existe.

M. Lebeau. - Eh oui, je vous comprends. On a une manière extrêmement commode d'argumenter du côté de nos adversaires ; quand une industrie est naissante on dit : « Gardez-vous bien de diminuer la protection, d'abaisser vos tarifs : vous allez étouffer l'enfant au berceau. Permettez-lui de se développer ; une fois qu'il sera fort, plein de vie, oh ! alors vous pourrez abaisser toutes vos barrières. » Mais quand l'enfant s'est développé, quand il est devenu géant, alors on vous dit : « Prenez-y garde ! Vous allez toucher à une industrie florissante, qui verse des sommes considérables dans la poche des ouvriers. »

Vous le voyez, messieurs, le raisonnement de mon honorable interrupteur est bon dans toutes les hypothèses, ce qui, selon moi, fait qu'il ne vaut rien dans aucune.

Je déclare, messieurs, que je voterai pour la proposition du gouvernement.

M. Malou. - Je ne rentrerai pas, messieurs, dans la discussion générale sur le système de la protection et sur le système du libre échange : ces questions théoriques posées devant la chambre s'appliquent à des faits ; pour le législateur il n'y a qu'un principe d'économie politique pratique, c'est de donner aux questions qui lui sont soumises la solution la plus conforme a l'ensemble des intérêts nationaux.

Il faut donc nous demander s'il est opportun, s'il est utile de permettre la libre sortie des minerais ?

Remarquez d'abord, messieurs, que la législation des mines forme un ensemble. On dit que cette législation est attentatoire à la propriété. Les libre-échangistes en matière de minerai viennent dire que le libre échange est un article sous-entendu de la Constitution, que toute la législation des mines est contraire à la Constitution parce qu'elle est contraire à la liberté de l'industrie. Ils oublient que le droit de propriété est le droit de jouir de sa chose, d'en user et d'en abuser dans la mesure de l'intérêt public ; or, telle est la raison historique de toutes les restrictions apportées à la jouissance de la propriété, en ce qui concerne les mines, parce que le droit d'user et d'abuser des mines n'est pas seulement l'usage d'un droit inhérent au propriétaire, mais qu'il peut constituer l'abus du droit, eu égard à la société.

C'est pour cela qu'en matière de mines, il y a eu de tout temps une législation spéciale qui restreignait l'usage du droit absolu de propriété pour empêcher l'abus.

La législation des mines forme un ensemble. Mais en ce qui concerne le minerai de fer, elle est aujourd'hui incomplète. En 1837, lorsqu'on a discuté la loi générale des mines, après des débats qui ont occupé, je pense, plusieurs séances, on a décidé que provisoirement les minières de fer ne seraient pas concessibles, on a dérogé pour l'industrie du fer aux principes déposés dans la loi de 1810.

Cette mesure est provisoire : une solution définitive doit intervenir, et c'est dans ce moment que l'on propose incidemment de changer les conditions de la grande industrie du fer.

Voyez, en effet, messieurs, ce qui résulte de cet état de la législation. Vous avez tous pu lire dernièrement au Moniteur l'arrêté par lequel le gouvernement annulait des dispositions prises par une députatinn permanente ; cet arrêté se résumait en ces termes : D'après la législation existante les députations ne peuvent pas donner des concessions de minerai de fer. Ce droit n'appartient qu'au gouvernement. Un deuxième considérant dit que ce droit n'appartient pas au gouvernement.

Ainsi, personne ne peut concéder des minières de fer. Cependant, messieurs, si vous voulez que l'industrie métallurgique subsiste, il faut bien que quelqu'un ait le droit en Belgique d'accorder ces concessions.

La législation est donc incomplète au préjudice de l'industrie, et vous voudriez changer incidemment sa position !

On nous dit que la question a été examinée, que l'expérience a été faite. On cite ce qui s'est passé à Liège. L'expérience faite sur la frontière du Zollverein est une vértiable illusion. L’exportation du minerai de fer du côté du Zollverein était impossible ; c'était offrir de porter de l'eau à la rivière, comme on dit vulgairement.

Là n'est pas le danger pour l'industrie, il est d'un autre côté, et pour le rendre sensible, je citerai deux faits.

Nous sommes aujourd'hui, à l'égard de la France, nous Belgique, nous sommes marchands de fonte, parce que le droit sur les fontes belges, quelque élevé qu'il soit, n'est pas prohibitif.

Nous ne sommes pas marchand de fer, parce le droit sur nos fers est prohibitif.

Qu'est-il arrivé ? C'est qu'à l'extrême frontière, en France, on a établi des usines qui, aujourd'hui, travaillent les fontes belges ; elles les reçoivent à des conditions économiques de transport. Eh bien ! décrétez la libre sortie du minerai, vous ne deviendrez pas marchands de fer, vous ne serez plus marchands de fonte, vous serez tout simplement appelés à fournir la matière première et vous aurez chassé du pays le travail national.

On parle de raisonnements qui frappent dans tous les sens. Mais quelle est la position prise par l'honorable ministre des finances ? Les minerais, dit-il, présentent peu de valeur sous un grand volume ; ils ne peuvent pas supporter un transport à une très grande distance ; donc, il n'y a pas de danger à les laisser sortir du pays par toutes les frontières.

Cependant, ajoute M. le ministre, j'admets l'amendement de M. Manilius ; s'ils sortent en quantité considérable, j'en défendrai la sortie.

C'est là un argument qui frappe de tous les côtés et qui ne frappe juste d'aucun côté.

L'honorable membre qui vient de se rasseoir disait : Cette industrie périclite-t-elle ? Est-elle menacée ? Bien au contraire, elle n'a jamais été dans une position plus prospère.

Je n'hésite pas à dire que c'est aux époques de prospérité que la sortie du minerai est la plus dangereuse pour l'industrie nalionaie. Il est facile de le démontrer.

L'industrie du fer, telle qu'elle est organisée, ne peut pas chômer ; elle ne peut se passer de minerai, pas un jour, pas une heure ; il lui faut un approvisionnement à chaque instant. Or, ce travail a-t-il pour base une organisation régulière ? Non, messieurs, la plupart de nos richesses minérales, les meilleures, les plus précieuses, sont livrées à l'incurie, d'une exploitation qui n'a ni ordre, ni méthode, qui dilapide en partie ces richesses qui ne sont pas destinées à se reproduire. Cette industrie, à sa base, est si mal organisée que dans un moment de prospérité pour l'industrie sidérurgique, vous avez une hausse considérable et disproportionnée sur le minerai, et immédiatement à une époque de prospérité viennent succéder le malaise et l'anéantissement de cette grande industrie...

Voilà donc encore une fois dans quelles conditions nous nous trouvons. Je dis dès lors que c'est précisément aux époques de prospérité qu'il y a le plus de danger à voir se produire les mauvais effets de la libre, sortie du minerai de fer.

Messieurs, les droits des propriétaires ne sont pas en question dans ce moment. Et en effet, à quel minerai pourrait s'appliquer la libre sortie ? A la partie de nos minières qui avoisinent, dans un certain rayon, notre frontière du Midi.

On parle des minerais du Brabant ou de la Campine. Il est évident que, dans quelques conditions que se trouve l'industrie, ces minerais ne pourraient pas supporter les frais du transport à de grandes distances, parce que généralement ces minerais sont les plus mauvais ; ce sont les minerais d'alluvion qui sont phosphoreux. Aussi, les minières de la Campine n'ont-elles été exploitées que par une considération spéciale : c'est que les bateaux qui transportaient du charbon à Anvers pouvaient prendre en retour du minerai de la Campine ; sans cela, ils devraient retourner à vide. C'est par suite de cette circonstance seule que les minières de la Campine ont été exploitées.

La plus grande partie de la propriété foncière est donc désintéressée dans la question.

L'intérêt de la partie qui avoisine la frontière du Midi, quel est-il ? Cet intérêt ne peut pas être mis en balance avec l'intérêt de l'industrie ; lorsque cette industrie prospère, la propriété en profite directement ; elle en profite souvent dans des proportions beaucoup plus considérables que l'industrie elle-même.

Mais je suppose un instant que toutes les observations que je viens de soumettre à la chambre n'aient pas la portée qu'elles ont réellement, je dis encore que la chambre poserait un acte imprévoyant, en décrétant aujourd'hui le principe de la libre sortie du minerai, sans avoir consulté tous les intérêts, sans avoir réglé l'ensemble de la législation. Car, je finis par où j'ai commencé : si vous vouiez être justes, il faut que la (page 874) législation des mines, à l'égard de la propriété, comme à l'égard de l'industrie, procède d'un même principe, soit réglée par des dispositions bien combinées. Aujourd'hui vous allez détruire, mais vous ne savez, pas ce que vous y substitueriez.

- La clôture est demandée.

M. Orban (sur la clôture). -- Messieurs, je n'ai à présenter qu'une seule observation. Je crois que cette observation prouvera qu'on ne peut maintenir la prohibition du minerai de fer à h sortie, dune minière absolue, sans anéantir une partie de la richesse nationale. Je prie donc la chambre de ne pas clore ; je serai extrêmement court.

M. de Theux (sur la clôture). - J'engage la chambre à accorder la parole à l'honorable M. Orban. L'honorable membre propose de faire une distinction entre les frontières, d'interdire la sortie pour certains bureaux, de la permettre par d'autres bureaux.

M. de Mérode (sur la clôture). - Messieurs, on ne peut pas voter une semblable disposition à la volée, ni détruire la loi de 1810 en quelques minutes.

- La clôture est mise aux voix et n'est pas prononcée.

M. le président. - La parole est à M. Orban.

M. Orban. - Messieurs, je vous disais tout à l'heure que j'avais une seule observation à vous présenter, mais qu'elle était de nature à démontrer à l'évidence qu'on ne peut maintenir la prohibition absolue du minerai, sans anéantir uue partie de la richesse nationale. Voici cette observation.

Personne ne contestera que le minerai de fer, par sa nature excessivement pondéreuse, ne peut être vendu et livré au commerce, qu'autant qu'il trouve son placement dans un rayon déterminé.

Maintenant si les établissements qui se trouvent dans ce rayon, et auxquels peut être vendu le minerai de fer, sont des établissements étrangers placés au-delà de la frontière, il est évident que vous ne pouvez pas interdire aux propriétaires des terrains recelant des minerais, de le vendre à ces établissements, sans les condamner en même temps à ne tirer aucun parti de ces minerais et à les laisser inexploités.

Pour spécialiser mes observations, je vous citerai, messieurs, un cas particulier. Nous avons dans la province de Luxembourg et précisément sur la frontière française de nombreux gùements de minerai de fer dont la qualité est fort recherchée.

Or, il n'existe plus dans la province de Luxembourg, que je sache, un seul haut fourneau en activité, de manière qu'il y a impossibilité pour les produits de ces minières d'être consommés par l'industrie indigène, car on ne peut pas penser à les vendre dans d'autres provinces de la Belgique.

Ainsi, prohiber la sortie du minerai d'une manière absolue à la frontière, comme je le disais à l'instant, c'est exactement comme si vous disiez aux propriétaires des terrains miniers : Je vous condamne à ne tirer aucun parti de cette portion de la valeur de votre sol.

Or, cela serait d'autant plus fâcheux que précisément à proximité de ces gisements de minerai et de l'autre côté des frontières, il existe de nombreux établissements métallurgiques français qui sont en pleine activité et qui emploieraient ce minerai avec avantage. Il est dès lors impossible de maintenir la prohibition d'une manière absolue.

Si donc on n'était pas disposé à faire disparaître entièrement la prohibition, je serais au moins d'avis d'introduire dans l'amendement de l'honorable M. Manilius une modification, en ce sens que le gouvernement aurait le droit, non seulement de suspendre la prohibition à la sortie d’une manière générale, mais de la suspendre partiellement et par zones, de manière à permettre au moins la sortie des minerais du Luxembourg. Si l'amendement de M. Manilius n'est pas suffisant, j'en proposerai un dans ce sens.

M. de Mérode. - Messieurs, l'intérêt le plus considérable dans la question que nous traitons, celui qui domine tous les autres, c'est celui de l'industrie sidérurgique. Or, où sont les grands établissements métallurgiques ? Généralement dans le Hainaut. Je ne parle pas de ceux de la province de Liège : ceux-là n'ont pas de souci quant à l'exportation du minerai à l'extrême frontière. Ainsi que l'a dit l'honorable M. Malou, on ne va pas porter de l'eau à la rivière ; on ne vend pas du minerai belge dans la province voisine ; mais ici l'intérêt dont a parlé l'honorable M. Orban est un intérêt d'une certaine valeur. Pourtant je suis persuadé qu'il n'est pas comparable en importance à celui de toute la métallurgie du Hainaut. Si je parlais dans mon intérêt, j'abonderais dans le sens de ceux qui demandent la libre sortie du minerai. Je possède une usine métallurgique sur le territoire français ; si le minerai belge pouvait y arriver, j'y trouverais un grand profit, mais je considère l'intérêt belge dans son ensemble et je dis qu'une loi comme celle de 1810 qui a été élaborée avec tant de soin ne peut pas être incidemment écornée par un simple amendement comme des drilles et des chiffons. Il est dangereux d'improviser des dispositions bouleversant des lois qui ont été le résultat d'un long travail.

Si on veut donner au gouvernement la faculté de laisser sortir le minerai du Luxembourg, qu'après mûr examen on fasse une loi autorisant la sortie du minerai de tel endroit de la frontière à tel autre ; mais qu'on ne jette pas la perturbation dans une législation aussi importante que la loi de 1810 ; les intérêts en faveur desquels réclame M. Orban ne seront pas sacrifieé, et vous ne porterez pas préjudice aux exploitants de hauts fourneaux qui ne demandent pas qu'on leur réserve les minerais du Luxembourg, dont ils ne peuvent pas se servir et ne veulent pas non plus empêcher les propriétaires d'en tirer parti.

M. Pirmez. - L'honorable député de Huy m'a reproché, je pense, certaines déviations de principes ou changements de langage. J'ai l'honneur de lui faire remarquer qu'ici je n'ai fait que soutenir des droits, qui me paraissent incontestables et résultant d'une loi.

Et, lorsque l'honorable représentant argumente de cette même loi pour me combattre, je prendrai la liberté de dire que je pense qu'il l'a fort peu étudiée.

A entendre l'honorable M. Lebeau, on dirait que la loi du 21 avril 1810 n'intervient dans la question qui nous occupe, que lorsqu'il existe une concession. Il n'en est rien. Qu'il y ait concession ou non, que le minerai appartienne au propriétaire du sol ou à un concessionnaire, les droits de ceux-ci et des maîtres de forges sont bien réglés par la loi du 21 avril. Pour s'en convaincre, il ne faut que prendre la peine de lire la section II du titre VII de la loi.

M. Lebeau. - Je n'ai qu'un mot à dire, en réponse aux inductions, que l'honorable M. Ml'ou a tirées de la loi de 1837. Je pense que l'honorable membre n'a pas lu assez attentivement cette loi, car il aurait vu que son argument pèche par sa base.

La loi de 1837 n'a pas en réalité suspendu pour nous les effets de la loi de 1810 ; elle a, au contraire, profité à ceux qui ont besoin de se procurer des minerais de fer ; elle a mis l'industrie métallurgique dans une position plus avantageuse. La loi de 1837, en refusant de laisser au gouvernement le droit de concéder les mines de fer qui ne sont concessibles que dans des cas exceptionnels, très rares, s'il en existe même en Belgique, les a mises à la disposition des propriétaires ; la loi a eu pour effet d'empêcher de constituer des monopoles au profit de grandes sociétés, au préjudice de toutes les autres.

De cette manière la loi de 1837 a été, comme je le disais, favorable à tous ceux qui ont besoin d'exploiter les minerais de fer, en permettant à qui en trouve dans son champ de le vendre au plus offrant. Les fabricants de fontes, loin de trouver que cette loi porte atteinte à leur industrie et d'en désirer la révision pour en revenir à la loi de 1810, ne doivent, selon moi, faire qu'un vœu, celui de la conserver. L'exception pour laquelle le gouvernement s'est réservé le droit de concéder, c'est, aux termes de la loi de 1810, le cas où l'exploitation devrait se faire par puits et galeries, ce qui n'existe pas dans la généralité des mines qui se trouvent en Belgique.

Je ne veux pas abuser des moments de la chambre, je sais combien, après de si longs débats, elle est pressée d'arriver à une conclusion.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la question telle que M. Malou a proposé de la poser :

« Maintiendra-t-on les prohibitions à la sortie pour le minerai de fer ? »

Après viendra, s'il y a lieu, la proposition de M. Orban, qui consiste à autoriser le gouvernement à permettre la sortie par certaine frontière.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

68 membres sont présents.

1 membre (M. Coomans) s'abstient.

67 membres prennent part au vote.

37 membres répondent affirmativement.

30 membres votent négativement.

En conséquence, la chambre adoptant l'amennement de M. Anspach, décide que la prohibition de la sortie du minerai de fer est maintenue.

Ont répondu affirmativement : MM. Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mercier, Moncheur, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussel (Ad.), T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Van Iseghem, Van Overloop, Verhaegen, Veydt, Visart, Ansiau, Anspach, Brixhe, Clep, de Baillet (H.), de Breyne, de Decker, de Haernc, Delehaye, de Mérode (F.), de Muelenaere, de Portemont, de Rudder, de Steenhault, de Theux, Dumon, Dumortier, Faignart et Laubry.

Ont répondu négativement : MM. Lesoinne, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Rousselle (C), Thiéfry, Thienpont, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Closset, David, Bronckaert, Deliége, de Naeyer, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Royer, Jacques, Jouret, Julliot, Lebeau, Lejeune et Delfosse.

M. Coomans, fait connaître en ces termes les motifs de son abstention. - Il m'a semblé que mes honorables amis MM. Malou et Brixhe ont parfaitement démontré les inconvénients qui seraient résultés de la libre sortie du minerai. Mais comme toutes ces distinctions, toutes ces exceptions blessent la logique et la justice distributive, je me suis abstenu.

- La discussion est continuée à demain.

Projet de loi portant le budget des non-valeurs et des remboursements de l’exercice 1854

Rapport de la section centrale

M. de Breyne, au nom de la section centrale qui a examiné le budget des non-valeurs et des remboursements pour l'exercice 1854, dépose le rapport sur ce budget.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met la discussion de ce budget à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à 4 heures 3/4.