(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 747) M. Ansiau procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des habitants de Verviers demande que la loi laisse aux tribunaux de simple police la faculté de prononcer la peine d’emprisonnement dans les cas prévus par les dispositions des articles 474, 478 et 482 du Code pénal. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur de Clercq, fermier à Overslag, demande une loi qui assimile aux céréales en gerbes, le bois en fagots provenant de ses terres situées en Hollande. »
- Même renvoi.
« L’administration communale de Blaton prie la chambre d’accorder au sieur Maertens la concession d’un chemin de fer de Shaint-Ghislain à Tournai. »
- Même renvoi.
« Les habitants de Diest prient la chambre d’accorder à la société Tiberghien la concession d’un chemin de fer de Louvain à Diest, moyennant la garantie d’un minimum d’intérpet de 4 p. c. sur un capital de 4,000,000 de francs. »
- Même renvoi.
« L’administration communale de Bouchout présente des observations en faveur du projet de loi relatif à la concession d’un chemin de fer de Lierre à Turnhout. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi.
« Des électeurs à Melsele demandent que les habitants des campagnes aient les mêmes facilités que les habitants des villes pour exercer leurs droits électorayx et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »
- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.
« Des électeurs à Piétrain demandent que les électeurs aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton ou dans un rayon de 40,000 habitants et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »
- Même renvoi.
« Des électeurs de Rotselaer demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Ousselghem demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton, que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes ayanr chcun à nommer un représentant et qu’un tiers des contributions foncières payées par le fermier ou l’usager lui soit compté pour former le cens électoral. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Duffel demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes, que l’élection puisse se faire au chef-lieu du canton ou dans la commune et que le cens des villes soit augmenté. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Cosen demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes, que l’élection puisse se faire dans la commune ou du moins que le district électoral soit divisé en plusieurs sections et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Nevele demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »
« Même demande des électeurs à Gleize et Deynze. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Thildonck demande l’établissement de convois de petite vitesse faisant halte, pour la ligne de Malines à Hever, Boort-Meerbeek, Wespelaer, Thildonck et Wychmael-Herent. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des propriétaires à Wuestwezel présentent des observations concernant le chemin de fer projeté de Lierre à Turnhout et prient la chambre d'accorder la priorité à l'achèvement du canal de Turnhout à Anvers par St-Job in 't Goor. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout.
« L'administration communale de Borgerhout prie la chambre de rejeter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhouit, et de décider la construction d'un chemin de fer d'Anvers en ligne directe sur Turnhout, ainsi que le canal de Turnhout sur Anvers par St Job in 't Goor. »
« Même demande des propriétaires industriels et commerçants de St-Willebrord et de Zoersel. »
- Même renvoi.
« Des électeurs, à Vynckt, demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton, que le cens électoral pour les villes soit augmenté, et que les subsides accordés aux villes ou aux communes soient proportionnés à leurs besoins et à leurs ressources. »
- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.
« M. de Brouwer de Hogendorp demande un congé pour cause d'indisposition. »
- Ce congé est accordé.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, la chambre paraît avoir virtuellement résolu, dans le sens affirmatif, la question que j'avais indiquée dans la séance d'hier, relativement au pouvoir ou à la convenance de revenir sur le principe de l'article 89 du Code pénal tel qu'il avait été admis par le vote des deux chambres. Il est donc reconnu que l'on peut revenir sur la fixation à 21 ans pour l'âge d'exemption ou d'affranchissement de la peine de mort.
Partant de là, messieurs, je me suis demandé s'il n'y avait pas un moyen de mettre d'accord des opinions divergentes qui ont surgi successivement à l'occasion de cet article 89.
L'article 89 porte que les jeunes gens âgés de moins de 21 ani ne seront condamnés qu'à la peine des travaux forcés à perpétuité lorsqu'ils auront commis un crime entraînant la peine de mort. Le sénat a immédiatement apporté à ce principe deux séries d'exceptions : l'une se rapporte au cas de récidive d'un crime entraînant la peine de mort, l'autre se rapporte au cas de concours de plusieurs crimes dont l'un emporte la même peine.
A la séance d'hier, messieurs, diverses autres catégories d'exceptions ont été annoncées. Ainsi, le cas de régicide, le cas de parricide, le cas d'empoisonnement devaient, pirait-il, faire l'objet d'un amendement et augmenter le nombre des exceptions déjà apportées au principe de l'article 89.
Je trouve, messieurs, que lorsqu'un législateur admet un principe il faut, autant que possible, que ce principe reste intact dans la loi qui le proclame et que lorsque, au lieu de maintenir ce principe d'une manière absolue, on y introduit immédiatement plusieurs séries d'exceptions, le principe perd de sa valeur réelle et qu'il cesse d'être un principe législatif.
Je me suis demandé s'il ne serait pas plus convenable au langage de la loi comme à la dignité du législateur, de chercher une autre expression, une expression moins large de ce principe, et il m'a semblé qu'au lieu de dire, comme l'article 89 le porte, que les jeunes gens de moins de 21 ans seront affranchis de la peine de mort, on pourrait dire que les jeunes gens de moins de 18 ans seront affranchis de cette peine. L'amendement que j'indique consisterait donc à remplacer dans l’article 19 l'âge de 21 ans par l'âge de 18 ans, à supprimer par conséquent le nouvel article 70 introduit par le sénat, et à abroger d'une manière définitive toutes les exceptions au principe.
L'adoption de cet amendement, messieurs, présenterait l'avantage de rendre hommage au principe progressif auquel l'honorable M. Roussel faisait allusion hier, principe qui a une incontestable valeur, puisqu'il a déjà été adopté par les deux chambres. Mais vous auriez aussi l'avantage de rallier probablement à ce chiffre beaucoup de scrupules qui se sont traduits dans les amendements du sénat et qui sont prêts à se traduire dans les amendements qu'on a annoncés dans cette enceinte.
Maintenant, pourquoi la détermination de l'âge de 18 ans, au lieu de l’âge de 21 ans ? C'est que, dans l'ensemble de nos lois, l'âge de 18 ans marque une des majorités relatives consacrées dans nos codes.
Il y a, comme vous le savez, un âge de majorité absolue qui est celui de 21 ans, qui donne la plénitude de la jouissance des droits civils ; il y a une majorité relative fixée à 25 ans, pour le mariage qu'on peut contracter sans le consentement de ses père et mère ; il y a ensuite la majorité relative de 18 ans qui est extrêmement importante dans notre législation et qui est admise dans plusieurs cas que je vais avoir l'honneur d’indiquer à la chambre.
Ainsi, messieurs, aux termes de l'article 114 du Code civil, l'homme peut se marier, devenir chef de famille, êire appelée à élever des enfants ; et, aux termes de l'article 476, le mariage entraîne, à son profit, l'émancipation de plein droit.
En vertu de l'article 374 du Code civil, l'homme, âgé de 18 ans, peut s'enrôler sans le consentement de ses parents, c'est-à dire qu'il peut se soumettre à la discipline et aux lois militaires, c'est-à-dire se soumettre (page 748) à un Code pénal dont les peines sont infiniment plus graves que celles du Code pénal ordinaire.
Aux termes de l'article 384 du Code civil, c'est encore à 18 ans que le citoyen acquiert la jouissance de ses biens. Lorsque l'enfant a atteint l'âge de 18 ans, le père de famille perd la jouissance des biens de cet enfant.
Enfin, messieurs, aux termes de l'article 2 du Code de commerce, c'est à 18 ans que le citoyen peut exercer librement le commerce.
Vous voyez donc que lorsqu'on détermineà 18 ans l'âge auquel le condamné pour un crime capital est affranchi de la peine de mort, on détermine un âge assez sérieux, et le principe que la commission du Code pénal a voulu faire admettre dans la loi, a encore une grande importance.
Et remarquez, messieurs, que ce principe n'a pas le danger que lui ont reconnu ses adversaires, que les crimes commis à l'âge de 18 ans sont infiniment plus rares que ceux que l'on commet entre l'âge de 18 ans et celui de 21 ans, et que, par conséquent, la détermination que j'indique n'a aucun des inconvénients ni des dangers qu'on semblait redouter, par suite de l'admissnn de l'article 89 tel qu'il avait été primitivement adopté.
La proportion que je présente a encore l'avantage de ne pas faire apparaître dans le Code pénal l'influence spéciale, ou le reflet d'événements auxquels on faisait allusion dans la séance d'hier, événements très récents, très graves et très odieux ; d'un attentat dont on argumentait pour introduire une nouvelle exception à l'article 89 du projet de Code pénal.
Il est bon que les lois soient affranchies de ces influences temporaires ou spéciales et qu'un principe général apparaisse dans la loi affranchie, autant que possible, de toute espèce d'exception particulière.
Je pense donc qu'il est assez intéressant de rendre au principe une signification absolue ; il sera moins étendu, mais n'en conservera pas moins ce caractère progressif que la commission désirait voir apporter dans le Code pénal : et il n'aura aucune espèce d'inconvénient dans la pratique.
J'ai dit qu'une seule exécution de condamné à mort âgé de moins de 21 ans avait eu lieu ; je l'ai suffisamment désigné hier ; l'honorable M. Lelièvre a donné sur cette question des détails que j'ignorais, mais qui, d'après lui, étaient de nature à provoquer une certaine indulgence à l'égard de ce condamné.
De 1830 à 1850, il y a eu 28 condamnations à mort prononcées contre des individus âgés de moins de 21 ans ; un seul condamné a été exécuté ; c'est celui dont je viens de parler.
De 1830 à 1853, c'est-à-dire en vingt-deux ans ; il y a eu 37 exécutions à mort : une fois elle a été appliqué à un jeune homme de 17 ans et 4 fois à des jeunes gens qui avaient 21 ans accomplis et moins de 25 ans.
Vous voyez que si dans la limite de 18 à 21 ans. en supposant le système que j'indique adopté, des condamnations à mort devaient être prononcées, on ne devrait pas redouter l'abus des exécutions, puisque le droit de grâce a été largement appliqué à 27 condamnés à mort de cette catégorie sur 28. Il y a plus : le système des circonstances atténuantes, tel qu'il est organisé par le projet de loi, permettra encore aux cours d'assises, qui ne doivent pas rendre compte de l'appréciation des circonstances, d'en faire l'application aux crimes de cette catégorie ; l'arrêt pourra donc affranchir de l'exécution capitale le jeune homme de 18 à 21 ans qui aurait encouru cette peine.
Vous voyez, messieurs, que, dans le système, tel que je l'indique actuellement, il ne peut y avoir aucune espèce d'inconvénient pratique, et que vous ne faites pas, en admettant le terme que j'indique, le sacrifice d'un principe qui a été introduit après de longues méditations et une discussion sérieuse, principe qui n'est pas stérile puisqu'il tend à rendre hommage au progrès des lois pénales. Vous faites en même temps droit à certaines susceptibilités légitimes qui ne consentiraient pas à abandonner le piincipe d'une manière absolue.
Je pense que ma proposition est de nature à satisfaire tous les membres de cette assemblée.
M. Roussel, rapporteur. - Au nom des membres présents de la commission, je déclare accepter l'amendement présenté par M. le ministre de la justice, amendement qui paraît un moyen de conciliation nouveau propre à rallier les diverses opinions qui se sont manifestées.
Je crois que si la chambre le juge ainsi, il serait inutile de prolonger la discussion qui n'aurait plus d'objet.
M. de Theux. - Si le système de la commission n'est pas défendu, je renoncerai à la parole, sauf à la redemander si ce système trouvait encore des défenseurs dans le cours de la discussion.
Cependant je demanderai à M. le ministre de la justice de vouloir bien dire combien, parmi les 28 condamnés à mort au-dessous de 21 ans, il y en avait qui n'avaient pas atteint l'âge de 18 ans.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je ne possède par les éléments de ce chiffre. J'ai ici le relevé statistique qui a été fait par catégories. L'âge de chacun des condamnés à mort n'est pas indiqué. Le tableau est par année depuis 183 jusqu'en 1850.
Il y en a 21 du sexe masculin, 7 du sexe féminin. Total 28. Sur ces 28, un seul a été exécuté.
Maintenant si le vote de l'honorable M. de Theux devait dépendre de cette détermination, je pourrais peut-être me procurer immédiatement cette indication. Mais cependant j'en doute ; je crois que la statistique n'indique pas l'âge précis de chaque condamné.
M. de Muelenaere. - Je m'étais fait inscrire pour combattre le système de votre commission. Il me semblait que ce système renfermait des dangers pour l'avenir, et ne présentait aucun avantage.
Toutefois, je le déclare, mon intention n'était pas de provoquer de plus larges exceptions. Je crois qu'une législation pénale qui serait fondée sur des exceptions trop nombreuses serait essentiellement vicieuse. Je vous aurais proposé de deux choses l'une, ou un âge intermédiaire, comme vient de le faire M. le ministre de la justice, ou de revenir purement et simplement à la législation actuelle.
Pour mettre le plus tôt possible un terme à une discussion, devenue pour ainsi dire sans objet, je déclare me rallier à l'amendement de M. le ministre. Je crois que cet amendement est non seulement dans l'intérêt de la société, mais encore dans l'intérêt des jeunes gens eux-mêmes qui n'ont pas 21 ans accomplis. On vous a fait remarquer avec beaucoup de raison que, d'après les observations statistiques recueillies en divers pays, le penchant au crime est déjà très développé dans les jeunes gens de 16 à 21 ans.
Dès lors je pense qu'il est important de prémunir les individus de cette catégorie contre les dangers auxquels ils sont exposés dans le premier âge de la vie.
Peut-être que l'énormité de la peine comminée les empêchera de succomber à leurs mauvaises passions.
C'est par ces motifs, et pour ne pas prolonger le débat, que je déclare adopter l'amendement de M. le ministre de la justice.
M. de Haerne. - Messieurs, je désirerais ne pas prolonger ce débat et me borner à la déclaration qui vient d'être faite par les deux honorables préopinants. Cependant, si la chambre voulait me le permettre, je voudrais entrer dans quelques considérations nouvelles pour justifier l'amendement qui, je l'avoue, n'a besoin de justification qu'à mon point de vue. Je tiens à m'expliquer, vu les débats qui ont surgi hier, débats qui auront du retentissement dans le pays et qui, en présence de certaines opinions qui ont été énoncées, me paraissent de la plus haute importance. Si cependant je craignais d'abuser de la patience de la chambre, je m'abstiendrais de parler.
- Plusieurs membres. - On est d'accord, parlez !
M. de Muelenaere. - Si l'on entame la discussion sur le fond de la question, je demande à conserver mon tour d'inscriptions. J'ai aussi des considérations à présenter.
M. de Haerne. - Je n'émettrai aucune idée irritante ; mais je crois devoir prendre position au milieu des opinions qui se sont manifestées hier. C'est ainsi que je crois rentrer tout à fait dans la pensée de l'amendement que vient de nous soumettre M. le ministre.
- Plusieurs membres. - Parlez !
M. de Haerne. - La plupart des membres de la chambre ont lu sans doute, comme moi, bien des dissertations sur l'abolition de la peine de mort. Plusieurs ont été, comme moi, témoins d'une dizaine de discussions au moins, qui se sont élevées, sur cette grave question, dans cette enceinte depuis le Congrès national.
Dans ces débats on a toujours vu dominer deux idées principales : d'un coté on accuse de barbarie ceux qui veulent maintenir la peine de mort d'une manière absolue ; de l'autre, on adresse le même reproche à ceux qui, en se prononçant contre la peine de mort, semblent donner un encouragement au crime.
Il serait bien présomptueux pour moi, messieurs, de prétendre mettre d'accord ces deux catégories de personnes que je trouve en général également respectables et animées, à deux points de vue différents, de sentiments d'humanité, je dirai de sentiments chrétiens.
Je crois cependant, messieurs, devoir présenter quelques observations qui me semblent de nature à préparer cette conciliation qui serait infiniment désirable.
Il y a, remarquez-le bien, deux faits également incontestables qui dominent la discussion. Le premier, c'est que la peine de mort a été admise dans tous les temps, chez toutes les nations, et qu'elle n'a jamais été abolie que sous forme d'essai. Le second fait, c'est que dans l'application de la peine de mort, on remarque chez les peuples chrétiens une mitigation progressive, et qu'aujourd'hui il serait difficile ou impossible de punir dans certains pays de la peine capitale, comme on le faisait autrefois, des crimes tels que le vol, le faux monnayage, la contrebande.
Je vois un principe d'un côté, un progrès de l'autre.
Que faut-il conclure de là ? D'abord, qu'il serait absurde de contester à la société le droit de retrancher de son sein ceux qui la souillent par des crimes atroces. Il n'y a pas ici de représailles, comme on l'a dit quelquefois par erreur ; il y a l'exercice d'un droit divin dont la société est investie.
On n'a nié ce droit que depuis qu'on a mis en avant le principe (page 749) dissolvant et antisocial de l'athéisme légal. Aussi ceux qui soutenaient ce système, étaient, je le proclame tout haut, conséquents avec eux-mêmes, en demandant l'abolition de la peine de mort.
En effet, la peine de mort étant une peine éternelle, infinie, suppose, dans ceux qui l'infligent, une autorité infinie qui ne vient que de Dieu.
En s'écarlant de ces idées, on ne voit tout naturellement dans l'application de la peine capitale que de cruelles représailles des abus de la force. A Dieu ne plaise que j'accuse ici qui que ce soit ! je sais aussi bien que personne qu'on soutient quelquefois des opinions sans les avoir suffisamment pesées.
Aux yeux du christianisme, messieurs, je dirai même, aux yeux de l'humanité tout entière, la peine de mort est une expiation, une espèce de sacrifice. C'est sous ce rapport qu'on peut expliquer, d'après les idées chrétiennes, un adoucissement progressif dans l'application de cette peine.
Pour faire comprendre ma pensée à la chambre, je lui demanderai la permission d'entrer pour un moment dans un ordre d'idées auquel on est plus habitué dans le parlement américain et anglais que dans le parlement belge, je veux parler d'idées religieuses.
En discutant un sujet aussi grave, en examinant la légitimité, l'opportunité d'un châtiment qui décida pour l'éternité du sort d'un coupable, il doit être permis de se livrer à des considérations d'un ordre supérieur, surtout lorsque c'est dans ces considérations seules qu'on croit trouver la solution d'un problème social.
Le sacrifice sanglant, messieurs, auquel on peut rapporter jusqu'à un certain point la peine de mort, domine partout et sous toutes les formes en dehors du christianisme. Non seulement les sacrifices proprement dits, mais la guerre, et le duel qui est la guerre des individus chez les peuples qui n'ont pas de lois ou dont les lois sont impuissantes, font ruisseler le sang partout où l'esprit chrétien n'a pas pénétré, partout où il ne peut exercer toute son influence.
C'est à ces milliers d'hécatombes humaines qu'un des écrivains les plus profonds des temps modernes, le célèbre comte de Maistre, applique les paroles mystérieuses du docteur des nations : Il n'y a pas de rémission sans effusion de sang, « sine sanguinis effusionis non fit remissio ».
Mais comment cette effroyable lave de sang humain a-t-elle été arrêtée ? Par une puissance divine, par un sacrifice d'une valeur infinie, dont ceux de l'antiquité semblent avoir été l'épouvantable prélude et la représentation imparfaite dans l'esprit des nations.
C'est depuis que le sang a coulé sur le Golgotha, depuis l'expiation divine, que les peuples ont commencé à reculer derant l'effusion du sang.
C'est alors qu'a pris naissance cette société spirituelle qu'on appelle l'Eglise et qui a inscrit dans son code cette maxime : « Ecclesia abhorret a sanguins », l'Eglise a horreur du sang.
Mais s'ensuit-il que, d'après les principes chrétiens, il faille considérer la peine de mort comme injuste et illégitime ? Non, le christianisme n'a pas proclamé en principe l'abolition de la peine de mort, pas plus que celle de guerre prise en général et comme moyen de défense contre une injuste agression.
Qu'a voulu la doctrine chrétienne ? Elle a posé, pour la société comme pour les individus, à côté de certains principes absolus, des principes de tendance, un but de perfection, vers lequel l'humanité gravite sans cesse mais qu'elle n'atteindra jamais.
La société chrétienne procède dans cette voie, comme la nature, qui, elle aussi, est l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire, lentement, insensiblement, mais d'un pas sûr.
Voyez ce qu'a fait le christianisme depuis son origine, pour restreindre d'abord, et puis pour abolir l'esclavage. Il a réformé avant tout les maîtres et les esclaves, il leur a inspiré l'idée du devoir d'abord, et ensuite celle du droit. C'est ainsi que cette institution barbare a disparu sans secousse par une espèce d'évolution sociale, et sans révolution. C'est là le cachet d'une œuvre divine.
D'après cela, messieurs, vous comprendrez l'idée que je me fais de l'adoucissement progressif qu'on remarque chez les nations chrétiennes dans l'application de la peine capitale. Je crois que ce progrès est réel, mais graduel et lent, et surtout subordonné à la transformation morale de la société. Mais comme la société ne sera jamais parfaite, je ne crois pas plus à la possibilité de l'abolition complète de cette peine terrible qu'à la possibilité de supprimer la guerre qui, elle aussi, est le triste fruit des passions humaines.
Je serais désolé de dire un mot qui pût déplaire à quelqu'un de mes honorables collègues, mais ceux d'entre eux que, dans cette question, j'appellerai les abolitionnistes, ne me semblent pas plus fondés en raison que les célèbres promoteurs du congrès de la paix. Les uns et les autres partent d'une idée chrétienne, d'un sentiment d'humanité qui les honore, mais ils poursuivent une chimère.
J'entends dire : Il ne s'agit pas d'abolir la peine de mort, il s'agit de savoir s'il ne faut pas en restreindre l'application. Je le sais, messieurs, mais il fallait avant tout poser les principes qui servent de point de départ aux deux opinions.
Maintenant, pour répondre à la véritable question qui nous est soumise, je vous dirai franchement que mon cœur penche pour la modération dans cette matière ; mais qu'en présence de ce qui se passe presque parlout en Europe, ma raison recule devant des mesures trop brusques, et qui ne seraient pas acceptées par l'opinion du pays.
On a parlé au progrès des idées religieuses et morales. Ah ! croyez-moi, je ne suis pas assez pessimiste pour nier ce progrès ; mais il a n’existe encore que dans certaines régions élevées d'où, j'espère, il descendra dans les rangs inférieurs.
Il semble que des passions terribles et féroces s'agitent plus que jamais dans les entrailles du corps social, et annoncent les tiraillements, les convulsions d'un lutte suprême entre le bien et le mal.
Quand a-t-on entendu faire, comme de nos jours, l'apologie, je dirai l'apothéose du poignard et du poison ? Rappelez-vous ce frisson qui s'est emparé de nos âmes, lorsque naguère nous apprîmes le sacrilège qui venait de souiller la ville éternelle, dans laquelle, après un horrible attentat, on promena en triomphe ce trophée sanglant qu'on appelait, je n'ose exprimer le mot en français, « il sagro pugnale » ! Non, jamais les fureurs des Sylla et des Catilina n'avaient produit dans Rome un spectacle plus hideux que cette effroyable ovation qui suivit l'assassinat du malheureux ministre du plus humain des pontifes.
On dira que ce sont des faits exceptionnels que je cite. Soit, mais ce sont des faits qui ont une cause générale.
C'est le fruit de la littérature moderne qui, comme toujours, est l’expression de la société, c'est le fruit de ces romans, de ces écrits licencieux qu'on a répandus sous toutes les formes, et dans lesquels on érige en droit, on présente comme des vertus, comme des devoirs, les plus villes passions, les crimes les plus affreux.
Encore une fois, messieurs, je ne désespère pas de la société ; mais en présence de ce dévergondage, de ce déchaînement des passions que j'ai cru pouvoir vous signaler à l'appui de mon opinion, ce n'est pas le cas de désarmer la justice.
Avant d'entrer, avec quelques-uns ds nos collègues, dans la voie de la démène, attendons que le progrès religieux et moral, qui s'annonce de loin à l'horizon, se soit accompli, et ait pénétré assez avant dans la société, pour permettre à celle-ci de se relâcher de ses rigueurs, comme elle s'en est relâchée successivement à des époques antérieures, dans l'intérêt de la cause de l'humanité, sagement entendue.
Savez-vous ce qu'il faut avant tout, messieurs, pour progresser dans cette voie ? Il faut que l'opinion publique soit dûment préparée aux réformes projetées.
Eh bien, je ne crains pas de le dire, il n'y a rien de plus impopulaire dans notre pays que l'abolition de la peine de mort, et je suis persuadé que ce qui a surtout contribué à faire naître ce sentiment, c'est la manière trop absolue dont on a présenté cette théorie aux yeux de la nation, c'est pour la même raison que l'on s'effraye de toute réforme dans la matière, parce qu'on n'y voit qu'un acheminement à l'application complète du principe, qui consiste à dénier à la société le droit d'amputer les membres gangrenés qui menacent le corps social tout entier.
Si vous soumettiez la question de l'abolition de la peine capitale à l'épreuve du pétitionnement, je ne crains pas de dire qui vous recevriez pour le maintien du système rigourement cent pétitions contre une.
Croyez-moi, l'opinion n'est pas mûre pour des réformes trop brusques dans cette matière, et pour qu'elles se fassent avec fruit, même sur une échelle restreinte, il faut qu'elles aient pénétré dans les mœurs. Elles n'y pénétreront qu'à la faveur du progrès moral et religieux dont je viens de parler. Il faut qu'elles soient prudentes. L'amendement de M. le ministre présente ce caractère de progrès prudent, tel que je viens de l'établir.
C'est un amendement de conciliation qui ne froisse pas les principes et qui, je pense, sera favorablement accueilli dans le pays.
Telles sont, messieurs, les considérations que j'ai cru devoir émettre. Je me borne à ces idées et je demande pardon à la chambre si je l'ai occupée un peu longtemps.
- Plusieurs membres. - Non, non.
M. de Haerne. - Je m'y suis cru obligé, pour qu'aux yeux du pays, comme aux yeux de la chambre, je pusse justifier mon vote.
M. le président. - La parole est à M. Julliot.
M. Julliot. - En présence de l'amendement présenté par M. le ministre de la justice, je renonce à la parole.
M. Lelièvre. - J'aurais nécessairement préféré qui M. le minstre eût maintenu l'âge de 21 ans. Aujourd'hui, pour concilier toutes les opinions, il propose de réduire la disposition à l'âge de 18 ans. Il doit, du reste, être bien entendu que le jeune âge, même supérieur à celui de 18 ans, sera toujours en général considéré comme une circonstance atténuante à laquelle les cours prendront égard, sauf des circonstances spéciales et extraordinaires, de sorte que ce ne serait que dans des cas tout particuliers que les cours ne moduleraient pas les peines conformément aux articles 92 et suivants du projet. Je prends acte de la déclaration qui vient d'être faite à cet égard par M. le ministre.
- La discussion générale est close.
M. Vermeire. - Au nom de la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics, j'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi aillouant au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 462,806 fr. 20 c.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, la chambre, à la demande du gouvernement, a ajourné à un mois la discussion (page 750) du projet de loi relatif au chemin de fer de Manage à Erquelinnes. J'aurai une communication à faire à la section centrale, mais je ne serai en mesure de la faire que d'ici à deux ou trois jours.
Je demande à la chambre de vouloir accorder un nouvel ajournement de quinze jours.
- Cet ajournement est prononcé.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je déclare que les diverses modifications qui ont été indiquées dans le dernier rapport de l'honorable M. Roussel ont été adoptées avec mon assentiment. De sorte que je n'ai aucune objection à opposer aux divers amendements présentés.
M. le président. - M. Lelièvre avait aussi présenté plusieurs amendements. La commission a fait droit à la plupart de ces amendements, et M. Lelièvre, comme M. le minislie de la justice, est d'accord avec elle.
« Art. 14. L'exécution aura lieu publiquement dans la commune qui sera indiquée par l'arrêt de condamnation.
« Le condamné sera transporté de la maison de détention au lieu du supplice, dans une voiture cellulaire, accompagné du ministre du culte dont il a réclamé ou admis le ministère.
« Il sera extrait de la voiture cellulaire au pied de l'échafaud et immédiatement exécuté. »
- Adopté.
« Art. 15. Le corps du supplicié sera délivré à sa famille, si elle le réclame, à la charge par elle de le faire inhumer sans aucun appareil. »
M. Osy. - Messieurs, je profite de l'occasion pour prier M. le ministre de la justice de faire en sorte que les exécutions ne se fassent plus à Anvers sur la grande Place. La chambre est saisie d'une pétition de tous les habitants de la grande Place et des environs qui demandent cette mesure, déjà adoptée pour d'autres grandes villes.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Il y a déjà quelques semaines, la résolution a été prise de faire faire désormais les exécutions capitales, à Anvers, sur l'Esplanade. Je me suis entendu sur ce point avec mon honorable collègue de la guerre et avec le gouverneur de la province et tous les ordres sont déjà donnés dans ce but.
- L'article 15 est adopté.
« Art. 17. Lorsqu'il est vérifié qu'une femme condamnée à mort est enceinte, elle ne subira sa peine qu'après sa délivrance. »
- Adopté.
« Art. 22. Chaque condamné est employé au travail qui lui est imposé.
« Une portion du produit de ce travail forme un fonds de réserve qui lui est remis à sa sortie ou à des époques déterminées après sa sortie.
« Cette portion ne peut excéder les quatre dixièmes pour les condamnés à la réclusion, et les trois dixièmes pour les condamnés aux travaux forcés. Le surplus appartient à l'Etat.
« Le gouvernement peut disposer de la moitié de ce fonds de réserve, au profit du condamné, pendant sa détention, ou au profit de la famille de celui-ci, lorsqu'elle se trouve dans le besoin. »
La commission propose de remplacer les mots : « au profit du condamné pendant sa détention » par ceux-ci : « au profit du condamné pendant qu'il subit sa peine. »
L'article est adopté avec l'amendement proposé par la commission.
« Art. 23. La détention est à perpétuité ou à temps.
« La détention à temps est ordinaire ou extraordinaire.
« La détention ordinaire est prononcée pour un terme de cinq à dix ans ou de dix à quinze ans.
« La détention extraordinaire est prononcée pour quinze ans au moins et vingt ans au plus. »
- Adopté.
« Art. 24. Les condamnés à la détention sont renfermés dans une des forteresses du royaume ou dans une maison de réclusion ou de correction désignes par un arrêté royal.
» Ils ne communiquent pas entre eux.
« Ils ne communiquent avec les autres personnes de l'intérieur, ni avec cettes du dehors, que conformément aux règlements. »
- Adopté.
« Art. 25. L'arrêt portant condamnation à la peine de mort, des travaux forcés ou de la détention à perpétuité, sera imprimé par extrait et affiché dans la commune où le crime aura été commis, dans celle où l'arrêt aura été rendu et dans celle où se fera l'exécution. »
La commission propose la rédaction suivante :
« L'arrêt portant condamnation à la peine des travaux forcés ou de la détention à perpétuité sera imprimé par extrait et affiché dans la commune où le crime aura été commis et dans celle où l'arrêt aura été rendu. L'arrêt portant condamnation à la peine de mort sera en outre imprimé par extrait et affiché dans la commune où se fera l'exécution. »
M. Lelièvre. - Je pense que l'article 25 serait mieux rédigé de la manière suivante :
« L'arrêt portant condamnation à la peine des travaux forcés à perpétuité sera imprimé par extrait et affiché dans la commune où le crime aura été commis et dans celle où l’arrêt aura été rendu. L’arrêt portant condamnation à la peine de mort sera en outre affiché dans la commune où se fera l'exécution. »
- L'article est adopté avec la rédaction proposée par M. Lelièvre.
« Art. 27. Tous arrêts de condamnation à la peine de mort, des travaux forcés et de la réclusion porteront, pour les condamnés, la destitution des titres, grades, fonctions, emplois et offices publics dont ils sont revêtus.
« La cour d'assises pourra prononcer cette destitution contre le condamné à la détention. »
La commission propose une nouvelle rédaction ainsi conçue :
« Tous arrêts de condamnation à la peine de mort, des travaux forcés, de la détention perpétuelle ou extraordinaire et de la réclusion porteront, pour les condamnés, la destitution des titres, grades, fonctions, emplois et offices publics dont ils sont revêtus.
« La cour d'assises pourra prononcer cette destitution contre le condamné à la détention ordinaire. »
M. Van Overloop. - Il me semble, messieurs, qu'il conviendrait de remplacer le mot « porteront » par le mot « emporteront ».
M. Lelièvre. - Il y a une décision de la chambre.
M. Roussel, rapporteur. - Après une longue discussion qui a eu lieu au sein de cette assemblée il a été décidé que la destitution ainsi que les autres conséquences de l'arrêt devaient être introduites dans l'arrêt lui-même. C'est en conséquence de cette décision qu'on a substitué le mot « porteront » au mot « emporteront ».
M. Van Overloop. - Je n'insiste pas.
- L'article est adopté avec la rédaction proposée par la commission.
« Art. 28. Toute condamnation à la peine de mort emporte, du jour où elle est devenue irrévocable, l'interdiction légale du condamné.
« L'interdiction cesse si le condamné obtient la remise ou la commutation de la peine en une peine correctionnelle ou de simple police. »
- La commission propose la suppression du dernier paragraphe.
L'article ainsi amendé est adopté.
« Art. 29. Sont en état d'interdiction légale, pendant la durée de leur peine :
« 1" Les condamnés contradictoirement aux travaux forcés, à la réclusion ou à la détention perpétuelle ou extraordinaire ;
« 2° Les condamnés contradictoirement à la détention ordinaire dans le cas de récidive ou du concours de plusieurs crimes prévus par l'article 76.
« 3° Les condamnés à mort dont la peine est commuée en celle des travaux forcés ou de la réclusion. »
M. Lelièvre. - Je pense que la rédaction du paragraphe final de l'article 29 n'est pas exacte. Elle porte : « les condamnés à mort dont la peine est commuée en celle des travaux forcés ou de la réclusion ». Mais ne serait-il pas possible que la peine de mort fût commuée en celle de la détention perpétuelle ou extraordinaire, hypothèse où d'après la loi, il y a aussi interdiction légale ? Pour être exact, il faudrait dire : « Les condamnés à mort dont la peine est commuée en une autre peine entraînant l'interdiction légale, aux termes du présent Code ». Je soumets cette observation à M. le ministre.
Du reste, dans le pénultième paragraphe, au lieu de l'article 76, il faut évidemment lire l'article 75. C'est une erreur évidente.
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, la première observation présentée par l'honorable M. Lelièvre, est parfaitement fondée ; il faut le chiffre de l'article 75, au lieu de l'article 76, qui a été imprimé par erreur.
Quant à la deuxième observation, je dois faire obssrver à l'honorable membre qu'il n'est pas possible que la peine de mort soit commuée en la détention ; voici pourquoi : c'est que la détention ne sera appliquée qu'aux délits politiques ; il a été constaté dans le rapport de la première commission que la peine de mort ne serait jamais prononcée contre une infraction de cette espèce ; de sorte que l'hypothèse dans laquelle s'est placé l'honorable M. Lelièvre non seulement est improbable, mais elle est même impossible, par suite des engagements pris dans le rapport de la première commission.
M. Lelièvre. - Je pense, messieurs, que mes observations restent intactes. Il peut, en effet, arriver que pour un fait qui aurait certains rapports avec la politique, par exemple, un assassinat politique, le Roi trouve bon de commuer la peine capitale en celle de la détention perpétuelle ou extraordinaire.
Or, n'est-il pas juste en ce cas que l'individu, objet de cette mesure, soit soumis à l'interdiction légale, puisque la peine choisie par le Roi entraîne cette conséquence ? Nous ne pouvons limiter la prérogative royale.
Or, le Roi est bien libre de remplacer la peine de mort par telle peine qu'il trouvera bon de choisir. Il est donc essentiel de prévoir toutes les hypothèses et par conséquent d'énoncer un principe général dans le sens de l'amendement que j'ai annoncé tout à l'heure et que j'ai l'honneur de proposer à la chambre. Nous n'avons pas à discuter les motifs qui peuvent engager le Roi à commuer la peine capitale en celle de la détention perpétuelle ou extraordinaire. Il suffit que le fait soit possible pour que nous devions le prévoir et en régler les conséquences légales.
- L'amendement de M. Lelièvre est appuyé.
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, sans admettre les conséquences qui ont précédé la présentation de l’amendement et sur (page 751) lesquelles je réserve mon opinion, je regarde l'amendement comme très utile.
En effet, il rend d'une manière plus nette la pensée du projet. Mais je n'admettrais point, par exemple, que la peine de mort, infligée pour un délit ordinaire, pût donner lieu à une commutation en une détention, car dans l'esprit de la commission qui a été chargée de la rédaction du Code pénal, la détention a un caractère tout spécial, et ne doit jamais convenir à une infraction entraînant la peine de mort.
- L'amendement de l'honorable M. Lelièvre est mis aux voix et adopté.
L'article 29, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.
« Art. 33. Pendant la durée de l'interdiction légale, il ne peut être remis au condamné aucune somme, provision ou portion de ses revenus. »
- Adopté.
« Art. 34. La durée de l'emprisonnement correctionnel est de huit jours au moins et de cinq années au plus.
« La peine d'un jour d'emprisonnement est de vingt-quatre heures.
« La peine d'un mois d'emprisonnement est de trente jours. »
Le sénat a supprimé, à la fin du premier paragraphe, les mots : c Sauf dans les cas prévus par la loi. »
M. Lelièvre. - Quant à moi, messieurs, j'aurais laissé subsister les expressions rayées par le sénat. En effet, dans quelques hypothèses, l'emprisonnement correctionnel peut excéder cinq années. Il en est ainsi en cas de récidive et en cas de concours de délits. Le mineur, âgé de moins de 16 ans, peut être condamné à un emprisonnement qui peut s'élever à vingt ans ; il en est de même des sourds-muets. Eh bien, les expressions supprimées avaient pour objet d'indiquer que les pénalités excédant cinq années étaient néanmoins des peines correctionnelles, et c'était dans ce but que le Code pénal actuel les avait admises. A mon avis, la suppression des mots en question est loin d'être une amélioration.
L'article 40 du Code pénal de 1808 énonçait les expressions supprimées qui avaient une valeur. Elles avaient, en effet, pour objet de décider que des peines d'emprisonnement excédant cinq années, n'étaient cependant que des peines correctionnelles dans certains cas exceptionnels prévus par la loi. Enoncer, au contraire, le principe que l'emprisonnement correctionnel n'est pas d'une durée supérieure à cinq ans, c'est soulever la question de savoir si dans le cas des articles 72, 73 (dans l'hypothèse de l'application d'une peine excédant cinq ans), comme dans l'hypothèse des articles 86 et 88 du projet, la peine doit être considérée comme correctionnelle. Le maintien des mots supprimés, faisant cesser tout doute a cet égard, je propose de conserver la phrase qui se trouvait primitivement dans le projet.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je ne vois aucun inconvénient à rétablir les termes primitifs de la disposition ; les motifs que vient de développer l'honorable M. Lelièvre, justifient parfaitement cette addition.
La commission du sénat avait pensé qu'il allait de soi que lorsque le législateur lui-même avait comminé une peine excédant 5 années d'emprisonnement, il faisait une dérogation à l'article général et que cette dérogation parlait assez haut d'elle-même ; mais enfin puisque le Code pénal actuel renferme, à l'article 40, une disposition analogue, on peut rétablir les mots qui ont été supprimés par le sénat dans l'article 34.
- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et adopté.
L'article 34, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.
« Art. 35. Les condamnés à l'emprisonnement correctionnel subissent leur peine dans des prisons appelées maisons de correction.
« Ils sont enfermés isolément dans une cellule. »
- Adopté.
« Art. 36. Les condamnés à l'emprisonnement correctionnel sont employés à l'un des travaux établis dans la maison, à moins qu'ils n'en aient été dispensés par le jugement ou l'arrêt de condamnation, qui devra toujours indiquer les motifs de cette dispense.
« Dans ce dernier cas, les condamnés peuvent se livrer aux occupations autorisées dans la maison. »
- Adopté.
« Art. 37. Une portion du produit du travail du condamné à l'emprisonnement correctionnel est appliquée, partie à lui procurer quelques adoucissements, s'il le mérite, partie à former un fonds de réserve destiné à lui être remis à sa sortie ou à des époques déterminées après sa sortie. Cette portion ne peut excéder les cinq dixièmes. Le surplus appartient à l'Etat.
« Le gouvernement peut disposer de la moitié du fonds de réserve, en faveur de la famille du condamné, lorsqu'elle se trouve dans le besoin. »
- Adopté.
« Art. 43. Les cours d'assises pourront, par le même arrêt, interdire en tout ou en partie, à perpétuité ou pour 10 à 20 ans, l'exercice des droits énumérés en l'article précédent, aux condamnés à la réclusion ou à la détention. »
- La commission propose de supprimer les mots : « par le même arrêt ».
- L'article, ainsi amendé, est adopté.
« Art. 44. Les cours et tribunaux pourront, dans les cas prévus par la loi, interdire, en tout ou en partie, aux condamnés correctionnels, l'exercice des droits civils et politiques énumérés en l'article 42, pour un terme de 5 à 10 ans. »
- Adopté.
« Art. 46. Le renvoi sous la surveillance spéciale de la police donne au gouvernement le droit de déterminer certains lieux dans lesquels il sera interdit au condamné de paraître après qu'il aura subi sa peine.
« Avant sa mise en liberté, le condamné déclarera le lieu où il veut fixer sa résidence ; il recevra une feuille de route réglant l'itinéraire dont il ne pourra s'écarter, et la durée de son séjour dans chaque lieu de passage.
« Il sera tenu de se présenter, dans les vingt-quatre heures de son arrivée, devant le fonctionnaire désigné dans la feuille de route visée pour se rendre à sa nouvelle résidence. »
La commission propose de rédiger l'article.de la manière suivante :
« Le renvoi sous la surveillance spéciale de la police donne au gouvernement le droit de déterminer certains lieux dans lesquels il sera interdit au condamné de paraître après qu'il aura subi sa peine.
« Avant sa mise en liberté, le condamné déclarera le lieu où il veut fixer sa résidence ; il recevra une feuille de route réglant l'itinéraire dont il ne pourra s'écarter et la durée de son séjour dans chaque lieu de passage.
« Il sera tenu de se présenter, dans les vingt-quatre heures de son arrivée, devant le fonctionnaire désigné dans la feuille de route ; il ne pourra changer de résidence sans en avoir informé, trois jours à l'avance, le même fonctionnaire qui lui remettra la feuille de route primitive visée pour se rendre à sa nouvelle résidence. »
- Adopté.
Article 47
« Art. 47. Les condamnés à une peine criminelle pourront être placés, par l'arrêt de condamnation, sous la surveillance spéciale de la police, pendant cinq ans au moins et vingt ans au plus.
« S'ils sont condamnés de nouveau à une peine criminelle, ils pourront être placés, pendant toute leur vie, sous cette surveillance.
« Cette surveillance a lieu de plein droit pour le maximum établi par le paragraphe premier à l'égard de tout condamné à mort, aux travaux forcés ou à la détention à perpétuité qui obtiendrait commutation de sa peine. »
La commission propote de rédiger le paragraphe 3 comme suit :
« Tout condamné à mort, aux travaux forcés ou à la détention à perpétuité qui obtiendrait commutation ou remise de sa peine sera, de plein droit, sous cette surveillance pour un terme de vingt ans. »
- L'article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
Le sénat a supprimé l'article 47 du projet de loi adopté par la chambre ; il était ainsi conçu :
« Art. 47. L'individu placé sous la surveillance spéciale de la police qui enfreindra les dispositions de l'article 46, sera condamné à un emprisonnement de huit jours au moins et d'un an au plus.
« En cas de nouvelles infractions au même article, la peine sera :
« Pour la première récidive, un emprisonnement de six mois à deux ans et, pour toute récidive ultérieure, un emprisonnement de deux à quatre ans. »
- Cette suppression est mise aux voix et adoptée.
« Art. 51. En condamnant à l'amende, les cours et tribunaux ordonneront qu'à défaut de payement, elle soit remplacée par un emprisonnement correctionnel qui ne pourra excéder le terme d'un an pour les condamnés à raison de crirme ou de délit, et par un emprisonnement de simple police qui ne pourra excéder le terme de sept jours pour les condamnés à l'amende du chef de contravention.
« Les condamnés subissent ce supplément de peine dans la maison où ils ont subi la peine principale.
« S'il n'a été prononcé qu'une amende, l'emprisonnement est, suivant le cas, assimilé à l'emprisonnement correctionnel ou de simple police. »
- Adopté.
« Art. 57. L'exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais, peut être poursuivie par la voie de la contrainte par corps.
« Toutefois, cette contrainte ne peut être exercée contre la partie civile, ni contre les personnes civilement responsables du fait, si ce n'est en vertu d'une décision du juge, »
- Adopté.
« Art. 58. En ce qui concerne la condamnation aux frais, prononcée au profit de l'Etat, le jugement ou l'arrêt déterminera le terme après lequel la liberté provisoire sera accordée aux condamnés qui justifieront de leur insolvabilité, suivant le mode prescrit par le Code d'instruction criminelle, sans que ce terme puisse être au-dessous de huit jours ni excéder un an.
« Si le condamné mis en liberté, par suite d'insolvabilité, avant l'expiration de toute la durée de l'emprisonnement fixée par le juge, recouvre quelques moyens de solvabilité, la contrainte par corps pourra être reprise avec la permission du juge, accordée sur requête préalablement notifiée au condamné. »
La commission propose de rétablir l'artcle 58 primitivement adopté par la chambre.
Il est ainsi conçu :
« En ce qui concerne la condamnation aux frais, prononcée au profit de l'Etat, le jugement ou l'arrêt déterminera le terme après lequel la (page 752) liberté provisoire sera accordée aux condamnés qui justifieront de leur insolvabilité, suivant le mode prescrit par le Code d'instruction criminelle, sans que ce terme puisse être au-dessous de huit jours ni excéder un an.
« Si le condamné mis en liberté, par suite d'insolvabilité, avant l'expiration de toute la durée de l'emprisonnement fixée par le juge, recouvre quelques moyens de solvabilité, la contrainte par corps pourra être reprise avec la permission du juge, accordée sur requête, préalablement notifiée au condamné. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
« Art. 59. La contrainte par corps n'est exercée ni maintenue contre les condamnés qui auront atteint leur soixante et dixième année. »
- Adopté.
« Art. 60. Lorsque les biens du condamné sont insuffisants pour couvrir les condamnations à l'amende, aux restitutions et aux dommages-intérêts, les deux dernières condamnations ont la préférence.
« En cas de concurrence de l'amende avec les frais de justice dus à l'Etat, les payementsfaits par les condamnés seront imputés en premier lieu sur ces frais. »
- Adopté.
« Art. 61. Tous les individus condamnés pour une même infraction sont tenus solidairement des restitutions et des dommages-intérêts.
« Ils sont tenus solidairement des frais lorsqu'ils ont été condamnés par le même jugement ou arrêt. »
Paragraphes ajoutés par le sénat :
« Néanmoins, le juge peut exempter tous ou quelques-uns des condamnés de la solidarité, en indiquant les motifs de cette dispense et en déterminant la proportion des frais à supporter individuellement par chacun d'eux.
« Les individus condamnés par des jugements ou arrêts distincts, ne sont tenus solidairement des frais qu'à raison des actes de poursuite qui leur ont été communs. »
M. Lelièvre. - En ce qui me concerne, je donne mon assentiment à l'amendement du sénat. L'expérience démontre que souvent le fait ou la position de certains accusés ont occasionné des frais plus considérables, que-vis-à-vis des autres prévenus. Il en est ainsi, soit en matière correctionnelle, soit en matière criminelle. Or, il n'est pas juste que les accusés restés étrangers à ces frais les supportent néanmoins solidairement. Je pense donc que le sénat à fait sagement en laissant ce point et d'autres à l'appréciation des juges, la cause pouvant présenter diverses circonstances dans lesquelles une condamnation solidaire à charge de tous les prévenus ne serait ni juste ni équitable.
- L'article modifié par le sénat est mis aux voix et adopté.
« Art. 62. Les aubergistes et hôteliers, convaincus d'avoir logé, plus de vingt-quatre heures, quelqu'un qui, durant son séjour, a commis un crime ou un délit, sont civilement responsables de restitutions, des dommages-intérêts il des frais adjugés à ceux à qui ce crime ou ce délit a causé quelque dommage, faute par eux d'avoir inscrit sur leur registre le nom la profession et le domicile du coupable, sans préjudice de leur responsabilité dans les cas des articles 1952 et 1953 du Code civil. »
- Adopté.
« Art. 66. La loi détermine dans quels cas et de quelles peines sont punies les tentatives de délits. ».
- Adopté.
« Art. 72. En cas de concours d'un ou de plusieurs délits et d'une ou de plusieurs contraventions, toutes les amendes et les peines de l'emprisonnement correctionnel seront cumulées, dans les limites fixées par l'article suivant. »
M. Lelièvre. - Je ne puis me défendre de faire observer combien cet article est exorbitant. Ainsi, par cela seul qu’une contravention concourt avc un délit, la peine de celui-ci peut être élevée au double du maximum de la peine la plus forte. Vraiment nous renchérissons de beaucoup sur la sévérité du Code pénal actuel dont les dispositions relatives au concours des délits n’avaient jamais présenté aucun inconvénienr. En ce qui me concerne, je ne puis donner mon assentiment à la nouvelle législation concerbant le concours des crimes ou délits.
- L'article est adopté.
« Art. 75. En cas de concours de plusieurs crimes, la peine la plus forte sera seule prononcée. Cette peine pourra même être élevée de cinq ans au-dessus du maximum, si elle consiste dans les travaux forcés ou la détention à temps ou la réclusion. »
- Adopté.
« Art. 76. En cas de réeidive ou de concours de plusieurs crimes, l'article 89 n'est pas applicable. »
La commiision avait proposé de supprimer cet article et d'ajouter à l'article 89 un paragraphe ainsi conçu :
« Toutefois, s'il y a récidive d'un crime emportant la peine de mort, ou si le crime emportant la peine de mort a été précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime, cette peine pourra être prononcée. »
M. le président. - M. le ministre vient de proposer à l'article 89 un amendement auquel M. le rapporteur s'est rallié. En adoptant cet amendement on supprimerait l'article 76.
L'amendement proposé par M. le ministre consiste à substituer l'âge de 18 ans à celui de 21 ans.
M. Lelièvre. - Je ne m'oppose pas à la suppression de l'article 76, mais je fais remarquer qu'en ce cas il faudra non seulement changer le chiffre des articles des autres dispositions du projet, mais également celui de diverses autres dispositions citées dans ce projet, par exemple, dans les articles 65, 80, 82 et 88. J'appelle l'attention du bureau sur ce point.
M. le président. - C'est l'affaire du bureau.
- L'amendement présenté par M. le ministre de la justice (suppression de l'article 70 et substitution dans l'article 89 de l'âge de 18 ans à l'âge de 21 ans) est adopté.
« Art. 81. Ceux qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l'Etat, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur ont fourni habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion, sont punis comme leurs complices. »
- Adopté.
Les articles 83, 84 et 85 du projet de loi adopté par la chambre ont été supprimés par le sénat. En voici les termes :
« Art. 83. Ceux qui auront recelé ou fait receler des personnes qu'ils savaient avoir commis un plusieurs crises seront punis de huit jours d'emprisonnement au moins et de deux ans au plus, et pourront l'être, en outre, d'une amende de vingt-six à cinq cents francs.
« Sont exceptés de la présente disposition les ascendants, descendants, époux même divorcés, frères, sœurs, oncles, neveux, tantes et nièces des criminels recelés et leurs alliés aux mêmes degrés. »
« Art. 84. Ceux qui sciemment ont recelé, en tout ou en partie, des choses enlevées, détournées, ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit, sont punis d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans, et, le cas échéant, d'une amende de vingt-six à cinq cents francs.
« Ils peuvent être interdits, en tout ou en partie, des droits mentionnés à l'article 42 du présent Code, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où ils auront subi leur peine.
« Ils peuvent être placés, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance spéciale de la police, pendant le même nombre d'années.
« Néanmoins, lorsque la peine applicable aux auteurs du crime sera celle de la mort ou des travaux forcés à perpétuité, les receleurs désignés dans le présent article subiront la réclusion, s'ils ont connu, au temps du recelé, les circonstances auxquelles la loi attache l'une ou l'autre de ces peines. »
« Art. 85. Les faits de recèlement prévus par l'article précédent sont connexes aux crimes ou aux délits à l'aide desquels les objets recelés ont été enlevés, détournés ou obtenus. »
La commission propose le maintien de cette suppression.
« Art. 86. S'il est décidé qu'il a agi avec discernement, les peines seront prononcées ainsi qu'il suit :
« S'il a encouru la peine de mort ou les travaux forcés ou la détention perpétuelle, il sera condamné à un emprisonnement de dix ans au moins et de vingt ans au plus.
« S'il a encouru la peine des travaux forcés à temps ou la détention extraordinaire, il sera condamné à un emprisonnement de cinq à dix ans.
« S'il a encouru la réclusion ou la détention ordinaire, il sera condamné à un emprisonnement de un à cinq ans.
« Dans tous les cas, il pourra être placé, par l'arrêt ou jugement, sous la surveillance de la police, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
« Art. 87. Lorsque l'individu âgé de moins de seize ans aura commis, avec discernement, un délit, la peine ne pourra s'élever au-dessus de la moitié de celle à laquelle il aurait été condamné s'il avait eu seize ans. »
- Adopté.
« Art. 93. La peine de la détention extraordinaire est remplacée par la détention de dix à quinze ans ou de cinq à dix ans.
« La peine de la détention de dix à quinze ans, par la détention de cinq à dix ans ou par un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous de deux ans.
« La détention de cinq à dix ans, par un emprisonnement qui ne sera-pas au-dessous de deux mois. »
- M. Lelièvre a proposé à cet article un amendement consistant dans une disposition initiale de cet article ainsi conçue :
« La peine de la détention perpétuelle est remplacée par la détention extraordinaire ou par la détention de dix à quinze ans. »
M. Lelièvre. - Je dois prier M. le ministre de la justice de bien vouloir songer à la présentation d'un projet de loi ayant pour objet de rendre l'article 463 ou l'article 6 de la loi de mai 1849 (article 96C du projet actuel) applicable aux lois spéciales auxquelles on peut étendre semblable disposition sans inconvénients. De cette manière ou introduira l'uniformité dans la législation et les lois spéciales seront mises en rapport avec les lois générales sur le point important que nous traitons. Dans l'état actuel des choses, il y a une opposition que rien ne justifie entre certaines lois spéciales et les lois générales. Il convient de faire cesser cette anomalie.
- L'article 93 est adopté ave cet amendement.
La chambre adopte définitivement les amendements introduits dans le projet de loi.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté par 67 voix contre 4 et 2 abstentions.
Ont voté l'adoption : MM. verhaegen, Vermeire, Vilain XIIIl, Visart, Allard, Ansiau, (page 753) Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, Dautrebande, de Baillet (H.), Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste. de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Portemont, Dequesne, de Royer, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Dumon, Dumortier, Jacques, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenhach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.) Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van lseghem, Van Overloop et Delfosse.
Ont voté contre : MM. Veydt, de Perceval, Lesoinne et Prévinaire.
Se sont abstenus : MM. David et Lelièvre.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. David. - Messieurs, en présence des améliorations apportées au Code pénal de 1810 par le projet que vous venez d'adopter, je n'ai pas voulu voter contre ce projet. Mais la peine de mort étant maintenue dans le nouveau Code, je n'ai pu voter pour.
M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que si le nouveau Code contient des améliorations incontestables, d'un autre côté il renferme plusieurs dispositions qui renchérissent en sévérité sur la législation actuelle, notamment relativement au concours des délits et au droit d'atténuer les peines à raison de la conception, peu heureuse, d'une division en deux catégories de la peine des travaux forcés à temps (art. 18 du projet). Or, il m'est impossible de donner mon assentiment à des prescriptions qui aggravent l'état de choses actuel.
M. de Man d'Attenrode (pour une motion d’ordre). - Messieurs, l'ordre du jour appelle maintenant les développements de ma proposition concernant les redevances des mines. Je suis à votre disposition, mais j'ai l'honneur de vous prévenir que la lecture de ces développements demandera environ une heure.
Comme il est 4 heures, je demande à la chambre s'il ne serait pas préférable de remettre cette lecture à l'ouverture de la séance de demain et de nous occuper aujourd'hui du projet de loi relatif aux élèves universitaires.
- La chambre remet à demain les développements de la proposition de M. de Man d'Attenrode, et décide qu'elle passera à la discussion du projet de loi relatif aux élèves en science.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération sur les articles.
« Art. 1er. La disposition contenue dans l'article premier de la loi du 4 mars 1851 et relative aux élèves en sciences, est prorogée pour la première et la deuxième session de 1853. »
- Adopté.
« Art. 2. Le gouvernement pourra, pendant les deux mêmes sessions, dispenser du grade d'élève universitaire les récipiendaires pour la candidature en philosophie et lettres et les récipiendaires pour l'épreuve préparatoire à l'examen de candidat en sciences qui auront commencé leurs études universitaires avant le 1er juillet 1849.
« Ceux de ces récipiendaires qui auront été autorisés à subir l'épreuve préparatoire à la deuxième session de 1853 auront à subir, dans la même session, l'examen de candidat en sciences. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 65 membres présents.
Ce sont : MM. Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, David, de Baillet (H.), Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Dumortier, Jacques, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Osy, Pierre, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (Ad.), Rousselle (Ch.), Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donck, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop et Delfosse.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - Je proposerai à la chambre de s'occuper maintenant du crédit de 29,246 fr, demandé par M. le ministre de l'intérieur et sur lequel M. de Perceval a fait rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - L’article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Il est ouvert au département de l'intérieur, un crédit de vingt-neuf mille deux cent quarante-six francs (29,246 fr.), pour le payement du prix d'achat d'un tableau de Teniers, destiné au Musée royal de peinture et de sculpture.
« Ce crédit sera prélevé sur les ressources de l'exercice 1853 et formera l'article 125, chapitre XXIII, du budget du département de l'intérieur poatr l'exercice 1853. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, une occasion, comme il s'en présente rarement, s'est offerte, il n'y a pas longtemps, au gouvernement, de conserver dans le pays un des chefs-d'œuvre de l'école flamande. Un tableau de Teniers, faisant partie de la collection de M. Van Saeeghem à Gand, devait être mis en vente publique, il y a quelques mois. Le Musée de l'Etat ne possédant pas un tableau de premier ordre de ce grand maître, j'ai pensé devoir prendre une mesure extraordinaire et engager ma responsabilité pour conserver au pays cette œuvre capitale.
D'après le rapport fait au gouvernement par la commission instituée près du Musée de l'Etat, ce tableau est, en effet, de telle nature que la Belgique aurait regretté à jamais de le voir disparaître.
Vous comprenez, messieurs, que pour une acquisition de cette nature le crédit ordinaire qui figure au département de l'intérieur est non seulement de tous points insuffisant, mais qu'il est même impossible de lui donner une semblable destination.
En effet, ce crédit ne concerne que les encouragements à donner à la peinture moderne ; et lorsqu'il s'est agi de tableaux anciens, c'est toujours par voie de crédits extraordinaires que le gouvernement a dû procéder jusqu'à présent.
D'un autre côté, messieurs, il n'était pas possible, pour une acquisition de cette nature, de demander un crédit d'avance, parce que, si l'éveil avait été donné sur les intentions du gouvernement, il est évident que les amateurs étrangers ou nationaux auraient pu porter leurs offres beaucoup plus haut, et que, par conséquent l'Etat n'aurait pu se rendre maître de ce tableau qu'à un prix bien supérieur à celui qu'il a coûté.
J'ai pensé, messieurs, que c'était le cas, pour le gouvernement, d'agir d'office. J'étais persuadé, au surplus, qu'en conservant à la Belgique le tableau dont je parle, le gouvernement ne faisait que se rendre en quelque sorte l'interprète des sentiments de la chambre, et que la chambre s'empresserait, comme elle l'a fait dans d'autres occasions, de ratifier la mesure prise par le gouvernement.
En conséquence, messieurs, et après avoir pris l'avis de la commission du Musée, qui a été unanime pour conseiller l'acquisition, après avoir aussi fixé une limite de prix (car il faut toujours user de prudence, même quand il s'agit de beaux-arts), j'ai donné des instructions à une personne digne de confiance qui a fait l'acquisilion pour la somme de 29,246 francs, frais compris.
C'est cette somme, messieurs, que je viens demander à la législature.
Vous comprenez d'ailleurs, messieurs, que des actes de cette nature seront très rares et que le gouvernement sera aussi sobre qu'il doit l'être de l'initiative qu.il a cru devoir prendre dans cette circonstance.
M. Vilain XIIII. - Je voterai avec bien du plaisir le créd t demandé par M. le ministre de l'intérieur, mais je saisirai cette occasion pour lui rappeler que son prédécesseur a aussi acheté un tableau de Teniers, pour la somme, je pense, de 36,000 fr. Ce tableau n'est pas encore à Bruxelles ; je ne sais pas où il est. Il serait temps cependant qu'il fût exposé an Musée national. Quand on achète des oeuvres pareilles, c'est pour que la capitale et la Belgique en général puissent en jouir.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, mon but, en demandant la parole, était de faire l'observation que vient de présenter mon honorable ami, M. Vilain XIIII. Je ne compte pas combattre la proposition da gouvernement ; mais mon observation tend à faire remarquer à M. le ministre de l'intérieur qu'un tableau de Teniers, du même maître dont il s'agit aujourd'hui, a été acheté par l'Etat, il y a 12 ans, et qu'il est resté à Anvers, où il embellit le musée.
A plusieurs reprises, le département de l'intérieur a fait des démarches, afin de ramener ce tableau dans le musée de l'Etat à Bruxelles ; il paraît que toutes ces tentatives sont demeurées infructueuses, et que le conseil d'administration du musée d'Anvers a formellement répondu qu'il ne se dessaisirait pas du tableau.
Je demande que le gouvernement prenne des mesures pour que ce tableau, qui appartient à l'Etat, soit enfin placé dans son Musée à Bruxelles.
M. Rogier. - Messieurs, il s'agit d'un tableau acheté sous mon administration en 1841. à cette époque, un Teniers de premier ordre fut mis en vente à Gand, et je l'ai fait acheter. L'achat a été ratifié par la chambre.
On dit qu'on ne sait ce que ce tableau est devenu. Je crois que si l'honorable membre avait visité le musée d'Anvers, son ignorance aurait cessé, il aurait vu briller ce tableau parmi les meilleurs.
En 1841, nous n'avions pas de musée de l'Etat à Bruxelles : il y avait au contraire, à Anvers, un musée qui a un caractère national. (Interruption.)
Je ne puis pas considérer le musée d'Anvers comme une propriété purement communale, purement anversoise ; je crois que cette propriété a un caractère mixte. En déposant, à cette époque, le Teniers dans le musée d'Anvers, je crois l'avoir mis à sa véritable place.
(page 754) Je le répète, il n'y avait pas, à cette époque, de musée de l'Etat à Bruxelles. En outre, le musée d'Anvers avait droit aussi au tableau du peintre anversois ; ce musée, qui possède des toiles magnifiques de Rubens, de Van Dyck, n'en avait pas encore de Teniers. Il s'agit d'un paysage, et je crois qu'il doit d'autant plus rester déposé au musée d'Anvers que le musée de Bruxelles vient maintenant d'en obtenir un pour son compte.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, il ne s'agit pas de savoir si ce tableau est bien placé dans le musée d'Anvers, s'il y brille parmi d'autres tableaux d'une égale valeur, la question est de savoir s'il appartient à l'Etat, ou s'il appartient à l'autorité communale d'Anvers.
Le musée d'Anvers est communal, jamais il n'a eu le caractère d'un musée de l'Etat, comme le musée de Bruxelles était communal avant l'achat qui en a été fait par l'Etat, au moyen d'une rente annuelle de 300,000 fr.
L'honorable M. Rogier est venu déclarer qu'à l'époque où il a acquis ce tableau avec les deniers du trésor public, il n'y avait pas de musée de l'Etat à Bruxelles ; il est vrai qu'il en était ainsi en 1841, mais le musée de l'Etat a été constitué à Bruxelles l'année suivante, et je sais pertinemment qu’à plusieuts reprises le département de l'intérieur a fait des démarches fort vives afin que ce tableau fût placé dans le musée, qui appartient au pays. Je trouve, d'ailleurs, fort extraordinaire, que les démarches faites par le gouvernement qui a acheté et payé le tableau n'aient pas abouti et que l'autorité communale d'Anvers, à laquelle ce tableau n'appartient pas, l'ait retenu dans son musée.
On a à Anvers si peu la conscience du droit de propriété à ce tableau, qu'il est fixé au mur au moyen d'une chaîne.
J'insiste pour que le gouvernement ait la fermeté suffisante pour que le droit de propriété de l'Etat soit enfin respecté.
M. Veydt. - Messieurs, la question soulevée par les honorables MM. de Man et Vilain XIIII mérite bien quelques instants de discussion, et, en ce qui me concerne, elle m'a assez vivement ému.
Le charmant tableau de Teniers, dont il s'agit, est depuis plus de douze ans au musée d'Anvers. Il y est en très bonne compagnie, et je crois qu'il faut l'y laisser.
Le musée d'Anvers, vient de dire l'honorable M. de Man, est un musée communal. Si cette désignation pouvait avoir pour conséquence de rendre la ville propriétaire exclusive des chefs-d'œuvre qu'il renferme, comme Anversois, je remercierais l'honorable membre de toutes mes forces. Quel magnifique cadeau il nous aurait fait ! Mais n'agitons pas cette question de propriété.
Admettons plutôt qu'il y a deux musées nationaux, celui d'Anvers, le premier en date, le premier en importance. Et certes que le gouvernement, et en son nom l'honorable ministre de l'intérieur de 1840, ont sagement fait de si souvenir du musée a'Anvers, en lui envoyant le tableau de Teniers, acheté à Gand et qu'on réclame à tort en ce moment pour le musée de Bruxelles.
Le partage de pareilles faveurs, si rares et si enviées, entre les deux musées est un acte de justice, un acte de bonne politique. Grâce à la nouvelle acquisition d'un Teniers, chacun des deux aura un chef-d'œuvre de ce maître. On pourrait changer, mettre pour un certain temps à Bruxelles celui qui est à Anvers et là celui qu'on vient d'acheter ; mais priver le musée d'Anvers de son Teniers sans compensation, ce n'est pas possible ; ce serait faire naître de vives réclamations, ce serait presque un grief contre le cabinet qui prendrait cette mesure. On fera sagement, messieurs, de laisser les choses comme elles sont.
M. Prévinaire. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour citer un fait qui réponf à la prétention élevée par les honorables M. de Man et Vilain XIIIl.
Le gouvernement belge avait fait acheter à la vente des tableaux déposés au palais du prince d'Orange, un tableau d'un mérite extraordinaire, qui a été envoyé au Musée d'Anvers ; mais par contre, le Musée de Bruxelles a reçu deux autres tableaux, dont un paysage, et provenant de la même vente.
Je crois qu'effectivement il existe une certaine connexité enlre les deux Musées et que les précédents posés par le gouvernement sont d'une nature telle, qu'il me paraîtrait difficile de donner suite à la réclamation des deux honorables membres.
Quant à moi, comme habitant de la ville de Bruxelles, je ne demanderais pas mieux que de voir enrichir le Musée de la capitale ; mais la question d'équité domine ici.
M. Osy. - Messieurs, je ne vois pas pourquoi on ne voudrait pas traiter le musée d'Anvers de la même manière que le musée de Bruxelles. Oa a envoyé au musée d'Anvers un tableau de Teniers acheté à Gand, comme on a envoyé au musée de Bruxelles un Teniers acheté dans cette ville. Ne faisons donc pas de ceci une question de clocher ; ces chefs-d'œuvre ne sont-ils pas la propriété de tout le pays ?
M. Rogier. - Messieurs, je dois croire qu'ici encore on veut faire une querelle à l'ancien ministre ; mais cette querelle n'est pas fondée. J'ai déjà expliqué pourquoi en 1841 le tableau avait été déposé à Anvers. Je ne sais quelles démarches on a faites depuis pour que ce tableau sortit du musée d'Anvers ; l'Etat ayant acheté ce tableau, le gouvernement est parfaitement libre de le faire transporter à Bruxelles. Mais probablement les ministres qui m'ont suivi après 1841 ont pensé que le tableau de Teniers avait reçu sa destination naturelle, étant déposé au musée d'Anvers ?
L'honorable M. de Man vient, de son autorité privée, faire à la ville d'Anvers un présent magnifique ; il a déclaré que le musée d'Anvers est un musée communal. Mais la parole de l'honorable M. de Man ne fait pas loi.
Je ne considère pas le Musée d'Anvers comme communal, je crois qu'il est national au même titre que le Musée de Bruxelles ; et nous sommes assez riches en objets d'art pour avoir deux musées appartenant à l'Etat. Les œuvres des artistes anversois sont bien placées à Anvers ; et si on veut les admirer, le transport de Bruxelles à Anvers n'est pas si difficile qu'il soit un obstacle pour ceux qui ont l'amour des arts.
Le Musée d'Anvers est subsidié par le budget de l'Etat. On perd de vue qu'au chapitre des beaux-arts, il y a une allocation pour ce musée ; cette allocation sert à faire des acquisitions ; certes les acquisitions faites par le budget de l'Etat restent bien propriété nationale.
Ainsi que l'a dit M. Prévenaire, trois tableaux ont été achetés par moi à la Haye ; deux ont été placés au Musée de l'Etat à Bruxelles, l'autre a été envoyé à Anvers. Le Musée d'Anvers a fait une partie des fonds ; la ville d'Anvers, qui tient à conserver son Musée et à s'y rattacher par le plus de liens possible, a offert de contribuer à la dépense ; peut-on prétendre que ce tableau doit élre rapporté au Musée de Bruxelles ?
Je désire que le Musée de Bruxelles s'enrichisse, mais je ne voudrais pas que ce fût en appauvrissant le musée d'Anvers, qui jette sur le pays un si grand éclat, qui est connu dans le monde entier et plus connu que le Musée de Bruxelles. Je ne pense pas qu'on insiste pour faire transporter à Bruxelles le paysage de Teniers, je me rallierais à la rigueur à la proposition de M. Veydt de faire un échange momentané, mais je préfère que les tableaux restent où ils sont ; les déplacements présentent toujours des inconvénients.
M. de Man d'Attenrode. - L'honorable représentant d'Anvers vient de dire, en plaisantant, je suppose, que j'avais fait un beau cadeau à la ville d'Anvers en déclarant son musée communal ; je répliquerai à l'honorable membre qu'il a fait à son arrondissement... (interruption) un cadeau beaucoup plus réel.
Je vous le demande, messieurs, quand vous autorisez des achats de tableaux, vous convient-il que MM. les ministres de l'intérieur aient la faculté d'en disposer pour faire des actes de munificence selon leur guise ? S'il en est ainsi, pourquoi ne serais-je pas en droit de demander que le musée de Louvain eût sa part de ces munificences, et que le tableau qu'on vient d'acquérir soit placé dans son musée ? Avec ce système, la justice distributive exige que les tableaux acquis au moyen du trésor public soient répartis entre les différentes villes du pays qui ont des musées ; je ne vois pas pourquoi Anvers jouirait d'un privilège ; cela n'est pas admissible.
M. Rogier. - Louvain a autre chose, Louvain a des collections de l'Etat.
M. Dumortier. - Je verrais avec déplaisir que le tableau de Teniers fût retiré du musée d'Anvers.
Le musée d'Anvers est, sans conteste, le premier des musées du pays, je le verrais avec beaucoup de peine, parce que de toutes les gloires nationales, celle qui est la plus incontestee, c'est notre école de peinture ; cette école où est-elle ? A Anvers ; on ne la déplacera pas ; eh bien, c'est à Anvers, sous les yeux des jeunes gens qui se destinent aux beaux-arts, qu'il faut placer les modèles qui doivent les former.
Ce serait une faute que de vouloir dépouiller ce musée pour enrichir la capitale, qui a assez de moyens de se faire valoir pour ne pas prétendre enlever à la ville d'Anvers sa magnifique école, qui est encore aujourd'hui la principale gloire nationale.
Le gouvernement a autorisé l'acquisition de chefs-d'œuvre de nos grands maitres, je l'en félicite. Je vois avec plaisir qu'ils soient représentés dans la ville de Rubens ; je regarde le musée d'Anvers comme national, comme plus national même que celui de Bruxelles, car c'est le seul où l'on puisse se former une juste idée de notre école de peinture.
Les objets d'art ont une trop grande propension à quitter le pays. Rien de plus triste que de jeter les yeux sur le voyage qu'un écrivain fit à la fin du siècle dernier ; on y voit que la Belgique alors formait un immense Musée de l'école flamande ; eh bien, tout cela a disparu ; si on n'y prend garde, il faudra aller la chercher partout ailleurs qu'en Belgique. Ce serait une chose très déplorable, très regrettable.
Je suis heureux de voir que le gouvernement chercher à conserver dans nos musées les pages de nos artistes qui ont conquis à l'école flamande une si grande renommée, que quand la Belgique était effacée de la carte des nations, elle vivait dans les cabinets des souverains qui, en voyant les chefs-d'œuvre de ses enfants, se rappelaient qu'il existait une Belgique.
Je désire qu'on puisse voir l'école flamande en Belgique, je désire que le gouvernement s'entende avec la ville d'Anvers pour enrichir son musée des œuvres qu'on pourra rencontrer des hommes qui ont porté si haut le nom de l'école flamande.
- La discussion est close.
Il est procédé au vote par appel nominal.
La chambre ne se trouvant plus en nombre, le vote est renvoyé à demain.
- La séance est levée à 4 heures et demie.