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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 décembre 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dumon procède à l'appui nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Coninxheim prie la chambre d'autoriser le gouvernement à concéder l'embranchement du chemin de fer de Tongres vers Ans ou Fexhe, avec la garantie stipulée par la loi et à se charger de l'exploitation et de l'entretien de cette ligne, moyennant la moitié du produit de la recette brute. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres des conseils communaux de Saint-Jean-in-Eremo, Sainte-Marguerite et Waterland-Oudeman, demandent la prompte exécution de la quatrième section du canal de Zelzaete à la mer du Nord. »

« Même demande des membres du conseil communal de Watervliet. »

M. Desmaisières. - Je demande le renvoi de ces pétitions à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Motte-Schieris présente des observations relatives à la convention provisoire conclue avec la France et concernant un traité de commerce définitif à négocier avec cet Etat. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la convention provisoire conclue avec la France.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Instruction publique. Enseignement moyen

Article 76

« Art. 76. Dotation des athénées royaux (article 20, § 5, de la même loi) : fr. 300,000 »

(page 343) M. Devaux. - Messieurs, d'honorables membres ont juge à propos de s'occuper de la question des athénées dans une discussion générale. Je placerai mes observations à l'article qui concerne spécialement cet objet et auquel nous sommes parvenus. Je crois en cela user d'un droit.

Messieurs, ce qui se passe depuis quelques semaines dans cette enceinte prouve à l'évidence que si le mot de conciliation se place aisément sur toutes les lèvres, il a plus de peine à pénétrer dans tous les cœurs.

A en croire ce qu'on nous disait, il y a à peine quelques mois, la paix des partis dépendait d'un seul homme ; cet homme éloigné, tout devait rentrer dans le calme. Eh bien, cet homme s'est éloigné ; bien plus, un ministère entier s'est retiré ; et que se passe-t-il ? Pas une séance ne s'écoule sans qu'on se répande pendant des heures en attaques acrimonieuses, passionnées, interminables contre une administration qui n'est plus.

Tout ce que ce ministère a touché est mauvais, est traîné dans la boue ; et ce n'est pas à l'occasion d'un de ces grands principes qui peuvent de temps en temps ramener d'inévitables luttes, c'est au sujet des questions les plus insignifiantes, et les moins faites pour passionner les esprits, à propos de quelques médailles, de quelques subsides pour les beaux-arts, à propos d'écoles d'agriculture, comme si, sur de pareilles matières, les avis ne pouvaient s'énoncer sans aigreur et sans fiel.

Messieurs, dans la question qui nous occupe, que se passe-t-il ? Le ministère se présente devant vous dans une attitude conciliante. En présence des deux lois de l'enseignement moyen et primaire, dont chacune à ses plus chauds partisans dans un côté différent de la chambre, mais rencontre aussi des adversaires dans le côté opposé, le ministère offre aux deux partis la promesse du maintien des deux lois. Du côté de la chambre où j'ai l'honneur de siéger, on lui répond : Il y a des membres parmi nous qui désireraient la révision d'une de ces lois et qui s'en sont expliqués depuis longtemps ; mais par esprit de conciliation, et, pour ne pas susciter de difficultés nouvelles, tous nous acceptons votre programme.

De l'autre côté de la chambre, de ce côté où la conciliation est si souvent sur les lèvres, que répond-on au cabinet : « Des deux lois nous entendons garder celle qui nous convient le plus ; mais à cet effet, votre parole ne nous suffit pas, il nous faut un vote de la chambre ; quant à l'autre loi, nous en tenions la renverser bientôt, son règne touche à sa fin, nous la détruirons. »

Voilà, en fait de modération et de conciliation, la différence de conduite des deux côtés de la chambre. Il faut le dire, messieurs, il y a dans cette chambre des bancs sur lesquels souffle aujourd'hui le vent de la réaction.

Je n'en accuse pas un parti tout entier, je sais bien que dans le sein de ce parti tout le monde n'approuve pas complètement ce que font les plus ardents. Mais je sais aussi (l'expérience me l'a appris) comment dans des circonstances semblables les choses se passent d'ordinaire dans ce parti. Quelques hommes cherchent à entraîner les autres ; ceux qui répugnent à les suivre, craignent de s'en séparer, leur résistent faiblement ; peu à peu ils se laissent entraîner par la chaleur des luttes que les plus ardents excitent et ainsi tout un parti se trouve engagée par quelques-uns dans une voie où d'abord il n'avait pas l'intention d'entrer. Voilà ce que dit le passé, c'est probablement ce que dira l'avenir.

Quel est le langage des deux côtés dans la question de l'enseignement religieux ? Vous l'avez entendu. D'une part on dit : Il nous faut, à tout prix le concours du clergé ; il faut que le ministère l'obtienne ou nous nous prononcerons contre lui.

Ainsi, peu importent les obstacles qu'il rencontrera et les conditions qu'on lui fera, il faut que le ministère obtienne l'assentiment du clergé ; si on lui demande le sacrifice de l'indépendance, de la dignité du gouvernement civil, il faut qu'il sacrifie cette indépendance et cette dignité, car, ce qu'on veut c'est le concours du clergé à tout prix, le concours quand même. Voilà les conseils modérés qu'on donne au pouvoir.

Nous, au contraire, mes amis politiques et moi, nous ne lui disons pas : Il faut rompre avec l'autorité ecclésiastique à tout prix, n'écouter aucune proposition.

Loin de là, messieurs, nous lui disons : Pour obtenir le concours du clergé, faites tous les efforts raisonnables, tous ceux qui peuvent se concilier avec la dignité du gouvernement civil ; mais si après avoir épuisé tout ce qui est raisonnable, tout ce qui est juste, honorable et digne, vous ne réussissez pas, arrêtez vous à cette limite et n'allez pas plus loin.

A une autre époque, l'honorable M. de Theux, ministre de l'intérieur disait dans son projet de loi sur l'enseignement, que si le clergé mettait à son concours des conditions inacceptables, l'enseignement de l'Etat devait continuer sans lui.

Nous disons aussi, que si le clergé met à son concours des conditions inacceptables, le gouvernement, plutôt que de se déshonorer et de s'avilir, doit renoncer à ce qu'on veut lui faire acheter à ce prix.

L'honorable ministre de l'intérieur a exprimé l'espoir qu'il réussira dans les négociations qu'il semble vouloir renouveler. Je désire ce succès. Mais ne nous faisons d'illusions. Je l'avoue, je le crois difficile, je ne le crois pas même très probable. L'honorable ministre de l'intérieur a dit qu'il n'avait manqué qu'une seule chose, c'était la confiance mutuelle. Je crois qu'il y a eu d'autres raisons d'insuccès. Je pense même que si les hommes les plus rapprochés de l'opinion du haut clergé venaient aux affaires, il ne leur serait pas encore facile d'obtenir le concours du clergé à de bonnes conditions. D'où cela vient-il ? C'est que cette question de l'enseignement religieux des collèges n’est pas seulement une question de parti, une question de religion. Si elle n'était que cela, nous l'arrangerions entre nous, je dis même qu'elle serait déjà arrangée ; mais hors de cette enceinte, elle a encore un autre caractère.

C'est une question d'influence épiscopale, une question de rivalité ou de concurence.

On a des établissements à soi, dont on est complètement maître, dans lesquels, par conséquent, on a plus de confiance que dans tous les autres. N'est-il pas naturel, je dirai presque inévitable, qu'au fond du cœur, à son insu peut être et malgré soi, on soit peu porté à faire ce qu'on croit devoir relever d'autres établissements, dont la rivalité est jugée redoutable.

Je voudrais ici ne blesser personne, et ne méconnaître aucune convenance, mais je crois pouvoir dire que s'il n'est pas impossible de s'élever au-dessus des difficultés d'une telle position, cela cependant n'est pas aisé ; il faudrait méconnaître le cœur humain pour en juger autrement.

Messieurs, c'est de ce caractère particulier de la question que naît certain embarras chez ceux auxquels on demande de préciser les garanties qu'ils veulent pour le clergé.

Quand on les presse sur ce point, ils gardent un silence embarrassé et ne font pas de réponse. C'est qu'au fond aucune garantie n'est complétement satisfaisante, car aucune n'empêchera les établissements de l'Elat d'être des rivaux redoutables pour ceux qu'on leur préfère, et j'ajoute qu'il est naturel qu'on les leur préfère, puisque y étant seul maître, on y a une confiance illimitée. C'est aussi, messieurs, de ce caractère particulier de la question que naissent dans d'autres rangs que les nôtres certaines divergences d'opinion dans cette chambre et au-dehors. Car pourquoi ne le dirais-je pas ? Dans les rangs opposés aux nôtres, on est divisé sur la question de l'enseignement ; au-dehors de cette chambre, dans le clergé, on est loin d'ajouter partout aux questions que soulève la loi de l'enseignement, toute l'importance que lui donne l'episcopat.

Les jésuites ne voient pas cette loi du même œil. Les personnes qui ont des rapports avec des membres du bas clergé remarquent que beaucoup de ces membres, tout en s'exprimant avec beaucoup de réserve et sans avouer aucun dissentiment, ne semblent pas cependant s'émouvoir aussi vivement des vices qu'on reproche à la loi de l'enseignement.

Dans le sein de l'episcopat même, si l'on en juge par les antécédents de quelques-uns de ses membres, il est difficile de croire qu'il n'y ait pas quelques nuances d'opinion et que la minorité ne cède quelque chose à la majorité. Enfin, messieurs, il est évident que depuis l'origine, entre l'episcopat et des membres très influents de la droite de cette chambre, l'accord sur ces questions est loin d'avoir été toujours parfait. Ces divisions, ce dernier désaccord surtout, tiennent principalement à la cause que j'ai signalée.

Permettez-moi de vous rappeler succinctement les diverses phases par lesquelles cette question a passé. Quand la loi d'enseignement est arrivée devant cette chambre, j'ose dire qu'elle ne provoqua pas, dès les premiers jours, ces craintes, ces vives alarmes qui se sont répandues depuis ; peu de temps après, dans la Flandre occidentale, on a excité un pétitionnement qui, de là, s'est étendu ailleurs. Qu disaient ces pétitions ?

C'étaient des plaintes extrêmement vagues ; elles accusaient la loi principalement de deux chefs : de violer la liberté communale, de vouloir étouffer la liberté d'enseignement. Pour le dire en passant, qui songe encore aujourd'hui à accuser la loi de 1850 d'avoir porté atteinte à la liberté communale et d'étouffer l'enseignement libre ? La discussion s'ouvrit dans cette chambre ; ces pétitions avaient eu un grand retentissement ; j'ose dire que la discussion n'y répondit pas. De la part de beaucoup de membres du côté opposé à celui où je siège, elle fut très calme.

Je citerai l'honorable M. de Theux, qui signala divers points sur lesquels son opinion s'éloignait de la loi, il faisait la critique de celle-ci, mais il était évident qu'entre cette opinion et la loi il n'y avait pas un abîme ; il n'y avait rien qui pût donner lieu au grand esclandre qu'on avait fait.

Je citerai encore l'honorable M. Vilain XIIII, qui nous disait qu'assez souvent en Belgique, on commençait par se montrer le poing pour se donner la main ensuite et se résumait ainsi :« Querellons-nous, mais entendons-nous ! » C'est assez dire qu'aux yeux de M. Vilain XIIII aussi, le dissentiment n'avait pas la gravité qu'on lui donnait au-dehors.

Aussi qu'arriva-t-il ? Dans la discussion, on se rapprocha beaucoup ; et, par exemple, on lit justice, quant aux athénées, de tous les griefs signalés par l'honorable M. de Theux, ne laissant subsiter que ceux que l'exécution de la loi devait elle-même faire disparaître.

Ces griefs étaient au nombre de cinq.

L'honorable M. de Theux reprochait d'abord à la loi de ne pas assigner pour siège à chaque athénee le chef-lieu de chaque province, de déterminer seulement le nombre des athénées dans tout le royaume, ce qui permettait d'établir l'athénée du gouvernement dan une autre ville de la province, en laissant ainsi dans le chef-lieu un autre grand athénée communal. On ne put faire immédiatement droit à ses réclamations, parce qu'avant de fixer le siège des athénées il fallait que les villes acceptassent les conditions financières de leur établissement. L'exécution de la loi fut chargée de faire droit à la réclamation de M. de Theux, (page 344) et en effet le siège des athénées a été fixé là où M. de Theux désirait qu'il le fût.

L'honorable membre voulait qu'on inscrivît dans la loi l'instruction religieuse parmi les matières d'enseignement et disons ici que si on ne l'avait pas fait ce n'était pas comme on l'a dit hier, par mépris pour la religion, mais par déférence pour le principe de l'indépendance constitutionnelle du clergé belge, à qui l'on ne croyait pas pouvoir faire d'injonction ; c'était encore par cette raison que, si on inscrivait l'enseignement religieux comme obligatoire dans la loi, il semblerait en résulter, qu'en cas de refus de concours du clergé, le gouvernement se trouverait obligé de faire continuer l'enseignement religieux par des laïques. Au reste, l'opinion du gouvernement sur ce point n'était pas sans appui dans la droite ; c'est ainsi que M. Vilain XIIII s'opposait à ce que l'enseignement religieux fût inscrit dans la loi.

Quoi qu'il en soit, du moment que la plupart des membres de la droite semblèrent préférer que l’enseignement religieux fût inscrit dans la loi, nous n'avions pas de raison, de notre côté, pour ne pas déférer à leurs vœux. Je me rappelle que moi-même, dans la section centrale, j'avais dit à un de nos adversaires : Je suis prêt sur cette question à faire ce que vous jugerez le plus convenable dans l'intérêt de votre opinion. Si vous désirez mentionner l'enseignement religieux dans la loi, parmi les matières que le programme doit nécessairement comprendre, je suis prêt à voter dans ce sens ; si votre opinion préfère le contraire, je m'y conformerai également.

La majorité donna ainsi satisfaction au second grief de M. de Theux.

L'honorable membre demandait en troisième lieu qu'il n'y eût pas de privilège pour l'école normale, que d'autres que les élèves de cette école pussent être professeurs dans les établissements de l'Etat. On a effacé le privilège. Aujourd'hui, pour avoir le titre de professeur agrégé, il n'y a qu'à se présenter devant une commission où personne n'est exclu. Le troisième grief venait ainsi à disparaître.

L'honorable M. de Theux demandait ensuite (et c'était là sa garantie pour le clergé, il n'en réclamait pas d'autre) qu'un membre du clergé fût admis au conseil de perfectionnement, et qu'on fît à ce sujet quelque chose de semblable (je crois que ce sont ses expressions) à ce qui avait été fait pour l'instruction primaire. Or, vous savez que, suivant la loi de l'instruction primaire, des membres du clergé sont admis tous les ans, à venir avec voix consultative, dans la commission des inspecteurs civils, exposer leurs observations sur l'enseignement moral et religieux des écoles ; ils se retirent ensuite et la commission ou le gouvernement y a tel égard que de droit.

Ce que l'honorable M. de Theux demandait a été introduit dans la loi. Le gouvernement a proposé un amendement d'après lequel les membres du clergé sont invités à adresser au conseil de perfectionnement leurs observations sur l'enseignement religieux.

Enfin M. de Theux voulait que la loi défendît au gouvernement de faire donner l'enseignement par des laïques en cas de refus de concours du clergé. Le gouvernement pensa que c'était plutôt l'exécution de la loi que la loi elle-même qui devait trancher cette question, et dans l'exécution vous savez, messieurs, qu'il a été fait droit à l'opinion qu'exprimait l'honorable député de Hasselt ; car le clergé refuse son concours, et dans aucun athénée il n'y a eu d'enseignement religieux donné par des laïques.

Ainsi, messieurs, je puis le dire, tous les griefs de l'ancien ministre de l'intérieur, de l'homme que je puis appeler le plus considérable de l'opinion catholique dars cette chambre, tous ses griefs, en ce qui concerne l'athénée, étaient venus à tomber, à l'exception de ceux qui disparurent plus tard par l'exécution de la loi.

On vous a rappelé l'origine du fameux article 8, qui règle l'enseignement religieux, et dans lequel se résument aujourd'hui, aux yeux de nos adversaires, tous les vices de la loi, car désormais on n'attaque plus ses autres dispositions.

On convient d'écrire l'enseignement religieux dans la loi, qui, par la raison que je vous ai dite, n'en faisait pas mention d'abord. Restait la disposition primitive du projet de loi, qui disait : « que les ministres du culte seraient invités à donner l'enseignement religieux. » Les honorables MM. de Liedekerke et Dumortier présentèrent un amendement, disant : « Les ministres du culte (je cite de mémoire, je ne crois pas me tromper) seront appelés à donner, à surveiller et à inspecter l'enseignement religieux. »

M. Dumortier. - Je crois que c'est cela.

M. Devaux. - Messieurs, qu'arriva-t-il ? L'honorable M. Lelièvre formula un autre amendement dont le deuxième paragraphe reproduisait à feu près le paragraphe du projet de loi : les ministres du culte seront invités à clôturer cù a surveiller l'c-Escigneiuenl religieux.

Quelle était la différence entre les deux amendements ? Dans l'amendement des honorables MM. Dumortier et de Liedekerke, il y avait « appelés » au lieu d' « invités ». On demanda à ces messieurs, s'ils attachaient quelque importance à telle différence ; ils répondirent que non.

Il y avail dans l'amendement des honorables MM. Dumortier et de Liedekerke : « donner, surveiller et inspecter » l'enseignement religieux. L'honorable M. Frère fit remarquer que surveiller et inspecter, c'était à ses yeux la même chose, qu'il y aurait pléonasme, et l’on mit dans la loi: « donner ou surveiller ».

Après l'adoption, l'un des auteurs de l'amendement témoigna son regret qu'on n'eût pas adopté leur rédaction, parce que, disait-il, elle contenait quelque chose de plus, l'inspection de l’enseignement religieux.

Messieurs, je crois que l'intention a été de comprendre dans le second amendement tout ce qu'il y avait dans la rédaction du premier, et en pratique encore une fois cela s'est vérifié. Si j'ai bonne mémoire, l'archevêque de Malines, ayant eu occasion de demander au ministre de l'intérieur, à propos d'un collège patronné, si le gouvernement entendait inspecter l'enseignement religieux, ou si cette inspection appartiendrait au clergé.

Le ministre ne fit pas difficulté de répondre que le gouvernement n'entendait se mêler en rien de l'inspection de l'enseignement religieux et que le clergé pourrait le donner, l'inspecter comme il le voudrait.

Aussi, messieurs, lorsqu'on en vint au vote sur l'article 8, soixante et douze voix l'adoptèrent, six seulement se prononcèrent contre la loi ; et dans ces six voix figuraient des membres de la droite qui rejetaient la disposition parce que, suivant eux, il ne fallait pas que l'enseignement religieux fût inscrit comme obligatoire dans la loi.

Quatorze membres se sont abstenus ; pourquoi ? C'est l'honorable M. de Theux qui a dit les motifs pour tous ; tous les autres se sont ralliés aux motifs donnés par M. de Theux. Or, qu'a dit l'honorable M. de Theux ? Pourquoi n'a-t-il pas voté pour l'article 8 ? Est-ce parce qu'il n'admettait pas les évêques à titre d'autorité ? Est-ce parce qu'il est humiliant ? Est-ce parce qu'il éloignait le clergé des collèges ? Non, messieurs, : l'honorable M. de Theux ne voulait pas voter contre, parce qu'on avait inscrit l'enseignement religieux dans la loi, comme il l'avait demandé, mais il ne voulait pas voter pour, parce qu'on n'y avait pas inscrit que les laïques ne pourraient pas, à défaut du clergé, donner l'enseignement religieux. Voilà le seul motif qui a porté ces quatorze membres à s'abstenir.

Ainsi, messieurs, j'ai eu raison de dire que si les choses pouvaient se terminer dans cette enceinte, elles seraient bientôt finies. En réalité, elles étaient finies. Il y avait une transaction dont tout le monde était, je ne dirai pas complètement, mais à peu près satisfait, comme il arrive dans les transactions. Si les choses avaient dépendu des chambres seules, c'était évidemment une question vidée et terminée, c'est ce que prouva le calme parfait du second vote où le gouvernement fit spontanément quelques concessions dont tout le monde lui sut gré, et si au vote définitif de la loi, vingt-cinq membres dirent non, ce fut d'une voix bien faible, et, on peut le croire, par égard pour des mécontentements du dehors qui avaient eu beaucoup de retentissement avant la discussion.

Aussi, messieurs, la surprise fut grande chez tous les membre de cette chambre, quand émana du chef-lieu de la Flandre occidentale, une pétition de l'épiscopat contre le projet de loi déjà adopté par notre chambre. Cette pétition m'a toujours paru un symptôme très grave, car elle attestait que la majorité de l'épiscopat était animée d'un esprit tout nouveau.

C'était, en effet, un acte fort extrême que cette réclamation contre un projet de loi déjà adopté par une aussi grande majorité dans une des chambres législatives. Plusieurs parties de cette pétition attestaient de grandes préoccupations, la forme en était fort inusitée, enfin c'était évidemment un désaveu de presque toute la droite dans le vote de l'article 8.

Les griefs des évêques étaient tout autres que ceux qu'on avait fait valoir dans cette enceinte, ils étaient au nombre de cinq ; trois de ces griefs, chose singulière qui prouvait qu'aucun membre de la chambre n'avait été consulté, reposaient sur des erreurs évidentes.

On se plaignait que le nombre des établissements de l'Etat serait illimité, tandis que la loi en fixait le chiffre de la manière la plus précise, qu'elle établissait dix athénées, ni plus ni moins, cinquante écoles moyennes, ni plus ni moins, plus l'école normale.

La loi, disait-on ensuite, déniait au clergé l'inspection de l'enseinement religieux.

Or, la loi donnait au clergé le droit de surveiller cet enseignement, et il était entendu, comme la pratique l'a fait voir, que surveillance de l'enseignement religieux et inspection de l’enseignement religieux, étaient ici synonymes.

On alléguait encore que, d'après la loi, le Roi et non l'évêque aurait nommé les ministres du culte chargés de l'enseignement religieux.

Or, cela n'était entré ici dans les intentions de personne, et pour tous les membres de cette chambre il élait parfaitement certain que ce seraient les autorités ecclésiastiques qui désigneraient les ministres du culte.

Les deux autres griefs se rapportaient à l'article 8, et spécialement à ce mot « invités » auquel la droite s'était ralliée, puisque son amendement contenait le mot « appelés » qu'on avait déclaré être synonyme d'invités. On se plaignait d'être mis par cette expression de la loi dans une position humiliante, le mot cependant avait été bien expliqué dans la discussion.

On avait dit que c'était par égard même pour l'indépendance du clergé qu'on avait préféré l'invitation à une prescription formelle de la loi.

Comment aurait-on pu croire qu'on regarderait comme plus humiliant de recevoir une invitation que de recevoir un ordre ?

Enfin le seul grief que la pétition énonçât encore, c'était que le clergé n'était pas appelé à titre d'autorité.

J'avoue humblemeut que ce grief je ne l'ai jamais compris ; je ne sais pas ce que c'est ; pour le clergé, d'être appelé à titre d'autorité. Les (page 345) ministres du culte sont appelés à titre de ministres du culte. Une fois entrés dans l'établissement, ils ont certainement le droit de commander à leurs élèves comme les autres professeurs. Qu'ils soient invités par le gouvernement, aux termes de la loi, ou que la loi dise : « les ministres du culte donneront l'enseignement religieux, » il m'est impossible de comprendre quelle est, à cet égard, la différence pour l'autorité dont ils jouiront dans l'établissement ; évidemment dans un cas comme dans l'autre, ils auront la même autorité et les mêmes droits.

Ainsi, messieurs, des cinq griefs, trois reposaient sur des erreurs évidentes, les deux autres se rapportaient à une expression de l'article 8 à laquelle la droite s'était évidemment ralliée. J'ai donc eu raison de dire, qu'entre l’épiscopat et la droite il y avait là un dissentiment grave. Je sais bien que ce désaccord on ne l'avoue pas et que comme on le regrette, on cherche à l'amoindrir ou à le dissimuler, et cela me paraît très naturel, je suis loin d'en blâmer personne.

Les erreurs que contenait cette pétition, la faiblesse des objections qu'on y faisait à la loi, prouvaient aussi qu'on avait contre elle des préoccupations qu'on n'énonçait pas tout entières ; c'étaient celle dont je vous parlais il y a quelques instants et que très probablement on ne s'avouait pas à soi-même.

Le sénat, vous le savez, dont la droite se fait si souvent une autorité, ne fut pas arrêté par la pétition des évêques, et il adopta la loi sans la modifier.

Après l'adoption de la loi il fallut l'exécuter et le gouvernement entra en correspondance avec l'autorité ecclésiastique.

La correspondance des évêques, comme leur pétition, commence par attester un mécontentement qu'ils ont peine à formuler d'une manière précise ; ils réclament pour leur concours des garanties qu'ils refusent de déterminer. Leurs griefs sont d'abord fort nombreux, mais de simples explications en font évanouir la plupart, et il en demeure définitivement quatre dans leur dernière lettre : c'était l'admission, dans les établissements, des ministres des cultes protestants et israélites en même temps que celle des ministres du culte catholique ; en second lieu, le grief qui se rapporte au titre d'autorité ; puis la faculté laissée au gouvernement de faire donner l'enseignement laïque ; enfin, le défaut de garantie de l'homogénéité des professeurs et des livres.

De ces quatre difficultés, il y en a trois qui pourront en tout temps se résoudre de la manière la plus facile.

Ainsi, quant à l'admission des ministres protestants et israélites dans les écoles, on a déjà dit que les ministres de ces cultes ont offert le moyen de trancher la question dans la pratique.

Quant au titre d'autorité, je ne vois pas en vérité pourquoi il est nécessaire de s'expliquer sur le titre suivant lequel les ministres des cultes sont appelés ; ils sont appelés comme ministres du culte ; je ne vois pas ce qu'on pourrait faire pour les admettre à un autre titre. Cette question est une de celles qui, avec des explications, peuvent encore s'arranger très aisément.

La question de l'enseignement laïque ne forme pas non plus une question difficile à résoudre. Remarquez que, quelque convention que le gouvernement fît à cet égard avec le clergé, cela ne l'engagerait à rien, car on n'en viendrait à l'enseignement laïque qui si l'enseignement religieux par les ecclésiastiques manquait.

Or, si le concours du clergé est retiré, la convention n'obligerait plus à rien, par par cela même elle tombe. Restait donc la quatrième difficulté. C'est l'homogénéité qu'on veut établir parmi les professeurs et les livres. Remarquez que cette difficulté est nouvelle, qu'elle naît après la discussion des chambres, et même après la pétition des évêques où il n'est fait à l'homogénéité qu'une allusion assez vague, on y exprime l'espérance que le gouvernement nommera des professeurs agréables à l'autorité ecclésiastique, comme celle-ci nommera pour l'enseignement religieux des hommes agréables au gouvernement. C'est cette difficulté nouvelle, cette garantie que l'on veut avoir de ce qu'on appelle l'homogénéité des professeurs et des livres qui fait aujourd'hui la véritable difficulté de cette question ; là est la question de dignité pour le gouvernement, là est l'intérêt d'influence et de rivalité pour les évêques.

Comment établir l'homogénéité entre des professeurs d'origine différente ? comment surtout la garantir ? n'est-ce pas en leur donnant une origine commune ? N'est-ce pas en faisant que ceux qui nomment les ministres du culte nomment aussi directement ou indirectement les autres professeurs ? C'est ce que voulait dans ses brochures l'ancien évèque de Liège. A cette époque il était presque isolé. Et on peut se rappeler ici que plusieurs membres influents de la droite déclaraient publiquement qu'ils n'adoptaient pas ses opinions et qu'ils les regardaient comme exagérées. Je crains fort qu'on soit bien près d'adopter aujourd'hui ce qu'on repoussait à cette époque.

L'honorable M. Malou a dit que les évêques ne réclamarent pas une part dans la nomination des professeurs, on peut lui opposer d'abord une lettre de l'évêque de Liège, du 23 septembre 1845, dans laquelle, s'adressant au gouvernement, il réclame pour tout genre ou degré d'instruction, une mesure qui, suppléant au silence de la loi, lui garantisse une part dans la nomination des instituteurs, maîtres ou professeurs.

Les autres évêques, par une lettre du 23 novembre 1844, réclamaient aussi de M. Nothomb une intervention directe ou indirecte, mais toujours préalable, dans la nomination des professeurs pour tout genre ou degré d'instruction auxquels le clergé serait appelé à donner son concours. Ces lettres, je pense, ont été publiées dans la correspondance qu'en 1847 M. Frère a fait connaître à la chambre. D'ailleurs, la récente correspondance des évêques dit elle-même qu'il ne suffit pas aux évêques du droit d'inspection et de délation ; c'est bien dire qu'ils demandent une intervention préalable à la nomination des professeurs.

Là est le grand obslacle ; en demandant une intervention préalable à la nomination des professeurs, on demande plus que ne voulait M. de Theux, plus même que n'avaient voulu MM. Malou et Dechamps dans leur amendement au projet de leur collègue M. Van de Weyer.

Lorsque la loi de l'enseignement primaire fut adoptée, il fut bien convenu que les principes de cette loi ne pourraient être pour cela même étendus à d'autres degrés d'instruction. Eh bien, non seulement aujourd'hui on voudrait appliquer à l'enseignement moyen les principes de l'enseignement primaire, mais on veut aller beaucoup plus loin.

La loi de l'enseignement primaire ne donne, dit-on, que le droit de délation, et l'on veut, pour la nomination des professeurs, un droit d'intervention préalable. La loi de l'enseignement primaire ne dit nulle part que les nominations des instituteurs doivent être soumises à l'avis préalable des évêques.

M. Malou. - Je demande la parole.

M. Devaux. - M. Nothomb a refusé d'inscrire cette intervention préalable dans un règlement. Je ne sais s'il est des communes qui, sans y être obligées, consultent l'autorité ecclésiastique pour les nominations qu'elles font dans l'enseignement primaire ; mais ce que je sais, c'est que le ministère qui vient de se retirer n'a jamais soumis à l'avis préalable des évêques les nominations qu'il a faites dans l'enseignement primaire et que le clergé n'a pas pour cela refusé son concours. La loi de l'enseignement primaire ne sanctionne donc pas ce qu'on demande pour établir l'homogénéité des professeurs et des livres.

Hier, pendant qu'on traitait cette question, un honorable membre s'est écrié : « Mais prenez la convention de Bruxelles. » Avant d'approuver ou de blâmer la convention de Bruxelles, il faudrait la connaître. Or, je ne sais ce que c'est que la convention de Bruxelles et je n'ai pas pu le savoir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Personne ne la connaît.

M. Devaux. - Je me suis adressé à quelques personnes pour savoir ce que c'était et si le conseil communal avait discuté ou approuvé une convention avec l'évêque. On m'a dit que non.

J'ai demandé s'il existait une convention portant une signature quelconque d'un fonctionnaire communal ; on m'a dit que non. Je ne puis donc apprécier un document aussi vague et aussi mystérieux. Je ne puis respecter, en fait de documents, que ceux qui sont publics et avoués ; mais un document non signé, et qu'à ce qu'il paraît chacun pourra renier quand il voudra, je ne puis en raisonner ici.

Messieurs, si la difficulté est insurmontable, si le gouvernement ne peut obtenir le concours du clergé que par des conditions humiliantcs pour sa propre autorité, il faudra attendre des temps meilleurs ; ces temps viendront peut-être, lorsque l'expérience aura appris que cette concurrence, qui irrite et effraye tant aujourd'hui, n'est mortelle pour personne, mais qu'elle est inévitable.

On se fait encore des illusions à cet égard, on croit que les établissements de l'Etat sont incapables de soutenir la guerre qu'on leur a déclarée. On se détrompera probablement un jour, et alors peu à peu les dispositions pourront changer.

On s'est récrié sur les dépenses qu'occasionnent les athénées, on a été jusqu'à dire qu'elles iraient croissantes à mesure que les élèves diminueraient, et que cette diminuiion ne discontinuerait pas. Cela me rappelle que la veille des élections de 1850, un journal de l'opposition dans mon arrondissement imprimait en toutes lettres que la loi de l'instruction moyenne coûterait au pays 3 millions.

Messieurs, les dépenses des établissements de l'Etat sont fixées d'après la loi ; 300 mille francs pour les athénées, 200 mille francs pour les écoles primaires supérieures, voilà tout ce qui incombe au budget ; tout ce qui dépasse cette double somme est à la charge des communes, et les communes ne supportent à cet égard que des dépenses qu'elles ont elles-mêmes consenties. Voilà des garanties qui doivent pleinement rassurer pour l'avenir.

Quant à la dépense actuelle, elle dépasse ce que coûtaient les anciens établissements, cela est vrai et ou le savait bien à l'avance ; c'est ce qui est arrivé pour l'enseignement primaire quand on l'a organisé ; toute mesure de ce genre doit emporter une augmentation de dépense, et mieux vaut assurément payer un peu plus pour une bonne instruction qu'un peu moins pour une instruction faible et défectueuse.

Les communes ont si peu jugé la dépense excessive, qu'elles se sont volontairement soumises à payer, si je ne me trompe, jusqu'au double de ce que la loi mettait à leur charge. Il en est de même pour le nombre des professeurs qu'on a critiqué. Les villes n'ont pas trouvé ce nombre excessif. Il y en a même qui ont demandé et obtenu de pouvoir augmenter le nombre des professeurs à leurs frais ; je citerai la ville de Tournay et celle de Namur.

M. Dumortier. - On avait supprimé le professeur de rhétorique.

M. Devaux. - On avait fait ce qui se fait encore dans plusieurs collèges ; on a fait faire le cours de seconde par les deux professeurs de rhétorique et de troisième. Toujours ai-je raison de dire qu'à Tournay on a trouvé qu'on avait lésiné dans la dépense pour les professeurs, et qu'on a demandé un professeur de plus. Il en a été de même à Namur ; ce sont les communes qui payent ces augmentations de dépense.

(page 346) Messieurs, on a dit que le nombre des élèves était fort diminué. Je jette les yeux sur le tableau qui nous a été communiqué. Je ne ferai pas comme M. Osy, qui compare 1852 à 1847. Mais je vois ce qui s'est passé depuis l'organisation de 1851, c'est-à-dire depuis qu'on a pu juger de ce qui se passait dans les nouveaux athénées ; or, je vois qu'à l'ouverture de la deuxième année, quatre établissements ont perdu ensemble 81 élèves, cinq autres en ont gagné 186. Reste le dixième établissement, qui est celui de Bruxelles.

L'athénée de Bruxelles a perdu une centaine d'élèves. Mais pourquoi ? Parce qu'on a supprimé la classe préparatoire. Autrefois les élèves qui n'étaient pas assez forts poursuivre les classes de latin, entraient dans la classe préparatoire qui comptait 80 à 100 élèves. On a supprimé cette classe, à la demande de l'autorité locale, pour ne pas faire double emploi avec l'école moyenne, devenue communale. Il en est résulté que les élèves qu'on a trouvés n'être pas assez forts pour entrer en sixième, ont dû être renvoyés de l'établissement, au lieu de rester dans la classe préparatoire, comme autrefois.

Vous ne pouvez pas compter comme perte la conséquence nécessaire de cette suppression d'une classe nombreuse. Il reste donc qne cinq établissements ont gagné 186 élèves et que quatre en ont perdu 81. Cela n'est certainement pas une décadence.

Il fallait bien, dit-on, que ces établissements perdissent, car ils sont organisés contre le vœu des pères de famille.

Il faut s'entendre, de quels pères de famille parle-t-on ? Est-ce de ceux qui, quoi qu'on fasse, n'enverront jamais leurs enfants aux établissements de l'Etat ? Ceux-là, il est possible qu'on ne les ait pas satisfaits, et je doute qu'on les satisfasse jamais ; mais si vous demandez quel est l'avis des pères de famille qui sont disposés à envoyer leurs enfants dans les établissements de l'Etat, et il me semble que c'est bien de ceux-là qu'il faut s'inquiéter, je ne crains pas de dire que leur avis est favorable à l'organisation nouvelle. Les pères de famille, messieurs, ne sont-ils donc pas intervenus dans l'organisation ? Oublie-t-on que les bureaux administratifs donnent leur avis sur toutes les nominations ? Et le bureau administratif est une émanation du conseil communal qui lui-même émane de la majorité des électeurs de la ville. Qui donc peut se dire meilleur représentant des pères de famille que les bureaux administratifs ?

Voulez-vous que ce soit contre le vœu de la majorité des pères de famille que représente le bureau administratif, que les athénées soient organisés, et faut-il que la minorité l'emporte sur la majorité ?

Les athénées, dit-on, ont encouru la défaveur du pays. Je voudrais bien savoir où l'on a recueilli les preuves de cette défaveur.

Pour moi, je connais de près un de ces établissements, je suis membre du bureau administratif chargé de le surveiller, et je puis dire que le nouvel athénée de Bruges jouit aujourd'hui d'une grande faveur parmi les habitants de cette ville, que je n'en ai entendu parler qu'avec la plus grande considération.

Messieurs, depuis bien longtemps, dans ce pays et peut-être dans d'autres, il n'y a pas d'organisation à laquelle on ait mis plus de soins, plus de peine, plus de précautions de tous genres, que celle de nos nouveaux athénées. Des fonctionnaires éminents, des magistrats les plus haut placés, aidés d'hommes spéciaux appartenant à l'enseignement supérieur, ont accepté, et grâces leur en soient mille fois rendues, d'aller sur les lieux pendant des semaines entières inspecter successivement tous les établissements, apprécier chaque professeur, faire une enquête auprès des bureaux administratifs, auprès des pères de famille, s'entourer en un mot de tous les renseignements qui pouvaient les éclairer sur les hommes cl les choses. Les nouveaux candidats qui se présentaient ont été soumis à leur tour à des examens à Bruxelles et à des investigations administratives. Les noms des professeurs qu'on se proposait de nommer ont été ensuite soumis aux bureaux administratifs qui ont pu faire les mêmes investigations.

Je n'ai pas coopéré à l'organisation générale du personnel des athénées ; mais comme membre administratif du bureau de l'athénée de Bruges, je puis dire qu'il n'est pas un des nombreux professeurs nouveaux de cet athénée sur le mérite, les antécédents, le caractère et la conduite duquel je n'aie fait moi-même une enquête.

Aussi je défie la critique d'attaquer une seule de ces nominations, et je puis, non seulement garantir le mérite de ces professeurs, mais assurer que si un ecclésiastique se présentait à l'athénée, loin de trouver l'ombre d'un obstacle dans l'enseignement des autres professeurs, il n'y trouverait qu'aide et assistance.

Je puis dire, messieurs, que les professeurs de cet établissement déjà au bout d'une année se sont élevés très haut dans l'estime publique. Je suis heureux de pouvoir rendre cet hommage à ces hommes utiles qui forment une classe si honorable, dans la société. C'est à de pareils hommes, remplissant avec mérite et dévouement leurs modestes fonctions, modestement rétribuées, se livrant chaque jour à toutes les peines, à toutes les fatigues de l'éducation de nos enfants, qu'on vient ici jeter des injures et de la boue, en représentant les collèges qu'ils composent comme des repaires d'athéisme et d'immoralité.

Honte à un tel langage ! il n'est pas digne d'une législature qui se respecte.

M. de Mérode. - De quelle manière a-t-on traîné les professeurs dans la boue, et qui l'a fait ?

M. Devaux. - Je ne réponds pas, j'aurais trop à dire.

Pourquoi le refus du concours du clergé a-t-il produit peu d'effet sur la population des athénées ? C'est que les pères de famille, s'ils regrettent l'absence de ce concours, sont convaincus qu'on a fait de grands efforts pour l'obtenir.

C'est aussi, messieurs, qu'en Belgique les pères de famille n'ont pas généralement l'habitude de voir les enfants, après leur première communion, recevoir encore l'instruction religieuse.

L'honorable M. Osy déplore le sort des enfants de l'athénée d'Anvers qui ne reçoivent pas l'instruction religieuse après la première communion. Mais qu'il veuille voir ce qui se passe autour de lui : s'il y a à l'athénée d'Anvers 200 enfants qui sont dans ce cas, il y en a, dans la ville, de milliers. Le clergé catholique, en Belgique, n'a pas d'instruction religieuse pour les enfants adolescents qui ont fait leur première communion : il se donne, sous ce rapport, quelques leçons dans certains collèges. Hors de là il n'y en a pas. Je connais des pères de famille dont les enfants ne sont pas placés dans ces collèges, des familles où il y a des jeunes filles élevées à côté de leur mère qui ont fait tous leurs efforts pour obtenir cette instruction religieuse, après la première communion, et qui n'y ont pas réussi. Cela n'existe pas.

M. de Haerne. - Pardon, il y a les écoles dominicales.

M. Devaux. - Il y a les écoles dominicales ! Mais comment sont-elles fréquentées ?

M. de Haerne. - Par un très grand nombre.

M. Devaux. - Elles ne sont pas fréquentées par la classe à laquelle je fais ici allusion. Un très grand nombre de jeunes gens de 14 à 18 ans, soit dans l'industrie, soit dans les bureaux, comme aussi un grand nombre de jeunes filles, sont privés de l'instruction religieuse. C'est une grande lacune. Mais qu'est-ce que cela prouve ? Que le clergé lui-même ne regarde pas cet enseignement comme indispensable ; car, s'il le jugeait indispensable, il ne se bornerait pas à le donner pour les jeunes gens qui reçoivent l'instruction dans les collèges, il l'offrirait à tout le monde.

Voilà pourquoi l'on n'est pas plus affecté de cette lacune dans l'enseignement des athénées, c'est que cette instruction religieuse au fond n'est pas dans les habitudes. Si elle était dans les habitudes, le clergé n'aurait pas pu faire un privilège de ce qui doit être le partage de tout le monde.

L'honorable M. de Theux nous a dit (c'est un argument qu'on fait valoir souvent) ; Il ne faut pas que le clergé donne une fausse enseigne à un établissement qu'il n'approuve pas, qui ne lui inspire pas de confiance.

Cela veut dire que le clergé prend la responsabilité des établissements où il va enseigner la doctrine chrétienne ; il y a deux moyens pour le clergé de se décharger de cette responsable, le premier c'est de déclarer qu'il va porter la parole de Dieu dans tous les établissements où on l'y invite, et que par là il n'entend prendre la responsabilité morale d'aucun, pas plus que quand il va, dans un de ces établissements, porter à un élève malade les secours et les consolations de la religion. Le second moyen qui remplirait une grande lacune dans la mission du clergé, et qui aplanirait bien des difficultés si on avait le ferme désir de les faire disparaître, ce serait de donner dans les églises l'enseignement religieux des adolescents, comme on y donne celui des enfants plus jeunes ; de le donner, non pas pour les élèves de tel collège ou de tel autre, mais pour tous les jeunes gens qui croiraient pouvoir le suivre avec fruit.

On le voit, les moyens de conciliation ne manquent pas pourvu qu'on veuille se mettre au-dessus des intérêts d'influence et de rivalité qui divisent, pour n'écouter que les intérêts de religion et de patriotisme qui rapprochent.

Messieurs, je vous demande pardon de vous avoir entretenus si longtemps. Je vais finir. Je voudrais seulement répondre quelques mots à un honorable membre, M. Ad. Roussel, qui, cédant sans doute à l'influence de l'atmosphère qui règne dans le voisinage du banc où il s'assied, est venu défendre la thèse la plus extrême que, de ce côté de la chambre, on ait jamais soutenue, à savoir que le gouvernement doit se préparer à anéantir son propre enseignement, n'y voir que du provisoire et l'amoindrir le plus qu'il peut.

M. Roussel. - Je demande la parole.

M. Devaux. - Je demanderai à l'honorable M. Roussel (à qui je répondrai dans une autre circonstance sur la question des jurys universitaires), pourquoi le gouvernement doit renoncer à avoir des établissements d'instruction. Parce que le gouvernement n'est pas capable de nommer les professeurs ! Voilà l'argument de l'honorable M.Roussel. Ainsi, messieurs ! c'est chose bien nouvelle, à ce qu'il paraît, que le gouvernement nomme les professeurs. En Europe, cela ne s'est jamais vu, ou en Europe, il y a toujours eu une bien mauvaise instruction ; il n'y a même guère que cela aujourd'hui.

Le gouvernement est incapable de nommer des médecins, des chimistes, etc. L'honorable M. Roussel ne lui accorde qu'une seule aptitude, c'est celle de choisir des joueurs de flûte et de basson, des maitres de musique et de peinture. Il est bien bon de faire cette exception pour la capacité de dillettante de MM. les ministres de l'intérieur. Mais quant à tous les autres enseignements, il ne croit pas que l'intervention du gouvernement soit bonne, il la trouve absurde.

Messieurs, je ne serai pas long dans ce que j'ai à répondre. Je ferai seulement remarquer à l'honorable M. Roussel que ce ne sont pas (page 347) seulement les institutions de l'Etat qui dans ce sens seraient absurdes. Ce seraient d'abord aussi celles du clergé. Car je ne vois pas qu'un évêque ait plus d'aptitude spéciale à nommer des professeurs de médecine et de chimie qu'un ministre de l'intérieur. Ce seraient ensuite les autres grandes institutions libres, celle, par exemple, que l'honorable M. Roussel connaît plus particulièrement. Je lui demanderai par qui il a été nommé, car enfin il ne s'est pas nommé lui-même. Peut-être dira-t-il qu'il a été nommé par un conseil de professeurs ? Mais par qui ce conseil de professeurs a-t-il été nommé lui-même ? Apparemment par des souscripteurs. Eh bien ! l'honorable M. Roussel croit-il qu'un ministre de l'intérieur a moins d'aptitude à faire une semblable nomination que le premier venu qui appose son nom sur une souscription ?

Disons, messieurs, que le ministre de l'intérieur est capable par ses intermédiaires, lorsqu'il ne l'est pas spécialement lui-même, ce qui arrive aussi quelquefois ; qu'il est capable par les intermédiaires, par les hommes spéciaux auxquels il a recours, de diriger l'enseignement, comme toute autre branche de l'administration.

Le gouvernement l'a bien prouvée, cette aptitude, dans l'organisation récente du personnel des athénées ; car, je le répète, jamais organisation semblable n'a été faite aussi soigneusement et d'une manière plus éclairée par qui que ce soit.

Messieurs, le moment est vraiment bien mal choisi pour dire au gouvernement de retirer sa main de l'instruction publique. Nous avous vu ce que c'était que l'instruction quand le gouvernement n'intervient pas. Nous avons eu pendant vingt ans une instruction moyenne dans laquelle le gouvernement n'avait pas d'établissement à lui. Qu'en est-il résulté ? Que le niveau des études classiques est tombé partout si bas qu'il faudra de grands efforts pour le relever. Je ne sais si ce que le gouvernement a fait suffira pour cela, mais il est bien prouvé que ce n'est que par lui qu'il se relèvera.

J'en dirai autant de l'enseignement universitaire. Il n'est pas ce qu'il doit être, il en est plusieurs causes ; l'action du gouvernement dans ses propres universités n'a pas été assez puissante. Si un jour les études universitaires s'élèvent à la hauteur qu'elles devraient atteindre, ce sera surtout par l'émulation que le gouvernement saura leur imprimer.

Voyez ce qui se passe dans l'instruction moyenne ; depuis quelques mois on y réorganise les établissements privés, les évêques nomment de nouveaux inspecteurs, on se prépare à soutenir une nouvelle concurrence. Voilà une bonne et utile émulation. Voilà ce qui ne se serait pas fait si le gouvernement n'était intervenu. Sans le gouvernement donc, je n'hésite pas à le dire, l'instruction moyenne et l'instruction supérieure descendraient chaque jour plus bas. Conservons soigneusement la liberté de l'enseignement que la Constitution garantit ; mais, à côté de la liberté, regardons comme indispensable l'action du gouvernement qui a déjà fait du bien et doit en faire beaucoup encore.

(page 335) M. Lelièvre. - Plusieurs honorables membres ont cru devoir parler des abus qui se produiraient dans les athénées de l'Etat. Quant à moi, messieurs, je ne saurais reconnaître l'existence de semblables faits.

C'est ainsi qu'à Namur, le personnel du corps enseignant ne laisse rien à désirer sous le rapport de la conduite et des capacités. Le niveau des études est aussi élevé qu'il soit possible de le désirer, et à tous égards, l'enseignement donné dans l'établissement répond à toutes les exigences légitimes, dans l'intérêt élevé de l'instruction publique, et à la confiance des pères de famille.

J'ai voté la loi sur l'enseignement moyen, et je persiste à penser qu'elle ne contient rien que l'on puisse justement critiquer.

L'article 8 consacre le principe de l'enseignement religieux dans des termes qui sauvegardent l'indépendance du clergé et son droit d'abstention, s'il juge convenable de ne pas prêter son concours.

A mon avis, cette intervention ne peut être réglée que par voie administrative, parce que la loi doit par sa nature avoir force obligatoire vis-à-vis de tous les citoyens. Or, dans l'espèce elle ne pourrait obliger l'une des parties contractanctes, le clergé, qui est toujours libre de refuser son concours et qui dès lors ne saurait être lié par l'acte législatif. La dignité de la loi ne saurait permettre que ses dispositions pussent être rendues illusoires par l'effet de la volonté seule d'une des parties contractantes.

D'un autre côté, j'estime que le clergé n'étant pas une autorité légale, on ne peut régler les conditions de son concours que par convention à conclure entre le gouvernement et le pouvoir executif, d'autant plus que ce concours concerne l'exécution de la loi.

Je pense donc, comme M. le ministre de l'intérieur, que le système de la loi de 1850 est à l'abri de toute critique.

Du reste, comme je n'ai aucun doute sur l'importance de l'enseignement religieux dans les établissements publics, je désire vivement que les nouveaux efforts du gouvernement soient couronnés de succès et qu'il intervienne une convention honorable qui concilie l'intervention du clergé avec les droits et l'autorité du pouvoir civil. Je prie le ministère de faire tout ce qu'il est raisonnablement possible pour atteindre ce but.

Quant à l'enseignement primaire, toute la chambre y compris l'honorable M. Verhaegen étant d'accord pour accepter la déclaration du gouvernement, je serais bien exigeant si je n'en étais pas satisfait, d'autant plus que j'ai une confiance entière dans la loyauté du cabinet et dans les sentiments véritablement libéraux dont il est animé. Je ne crois donc pas devoir faire au ministère la guerre à laquelle me semble convier l'honorable député de Bruxelles, et pour mon compte je souscris volontiers à la transaction proposée par le gouvernement de maintenir la loi de 1842 à condition qu'on laisse intact l'acte législatof du 1er juin 1850.

M. Osy. - Je ne répondrai rien à ce qu'il y avait de personnel dans les observations que vous a présentées avant-hier l'honorable M. Rogier. Il a engagé le ministre actuel à se mettre en garde contre mes votes. Messieurs, je suis depuis assez longtemps dans la carrière parlementaire ; je crois être assez connu de chacun de vous pour me dispenser de prouver que j'ai toujours fait preuve d'indépendance envers tous les ministères, que je les ai soutenus quand je l'ai trouvé convenable, d'après ma conscience, et que je les ai combattus de même ; et si, depuis 1850, j'ai fait de l'opposition à l'honorable M. Rogier, je crois qu'il m'en a donné assez de motifs : parmi ces motifs, je citerai la loi sur l'instruction, celle sur le droit de succession, les dépenses énormes qu'a faites l'honorable M. Rogier, sur lesquelles nous avons du souvent et nous devrons souvent encore appeler votre attention.

L'honorable M. Devaux est étonné de ce que nous faisons aujourd'hui de l'opposition à un ministère tombé. Mais nous ne faisons pas de l'opposition au ministère tombé. Nous passons ses actes en revue, pour engager le nouveau ministère à ne pas tomber dans les mêmes fautes que l'ancien ministère. Voilà pourquoi je parle si souvent des actes passés.

J'en viens à l'article du budget dont nous nous entretenons.

L'honorable M. Devaux nous dit, en parlant de la convention de la ville de Bruxelles, qua c'est là un mystère, quelque chose de vague qui n'est pas connu. L'honorable M. Verhaegen me répondait hier : Je n'ai rien à faire avec la ville de Bruxelles, je ne suis pas conseiller communal, je ne connais rien de ce qui s'est fait.

Mais si ces honorables collègues ne connaissent rien, d'après moi le gouvernement doit connaître. Nous savons tous qu'au mois d'octobre 1851, il y a eu une réunion du conseil communal à huis clos dans laquelle a été débattue une convention ou un arrangement fait avec le clergé pour l'instruction religieuse à donner par des ecclésiastiques dans les écoles primaires supérieures, aujourd'hui écoies moyennes de la capitale.

Officiellement je ne connais pas l'arrangement qui a été fait, de manière que je n'ai rien à en dire aujourd'hui. Mais le devoir de M. le ministre de l'intérieur est de s'informer de ce qui se passe dans les conseils communaux.

Car l'article 87 de la loi communale dit clairement que lorsque les conseils communaux font des arrangements contraires aux lois, ces arrangements doivent être annulés par des arrêtés royaux motivés.

Dès lors, de deux choses l'une : ou le gouvernement n'a pas fait ce qu'il devait faire, c'est-à-dire qu'il ne s'est pas informé de la nature de l'arrangement qui a eu lieu ; ou si le gouvernement s'en est informé, j'ai le droit, comme je le fais maintenant d'une manière positive, de demander à M. le ministre de l'intérieur de vouloir déposer sur le bureau la correspondance qui a eu lieu à ce sujet entre le collège communal de Bruxelles et M. le ministre de l'intérieur. Alors nous saurons de quelle manière l'honorable bourgmestre de Bruxelles, avec son conseil à l'unanimité, est arrivé à un arrangement qui lui a procuré des ecclésiastiques pour deux établissements qui sont indépendants et sans subside du gouvernement.

Je demande donc, pour que nous soyons tous éclairés et qu'il n'y ait plus de mystère, je demande positivement que l'honorable ministre de l'intérieur veuille bien déposer sur le bureau la correspondance qui a eu lieu, je pense au commencement de novembre, entre la ville de Bruxelles et M. le ministre de l'intérieur. Si, contre toute attente, et j'insiste sur ce mot, si contre toute attente, on me disait qu'il n'y a pas eu de correspondance, qu'il n'y a pas de documents, je demanderais à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien se mettre en communication avec la ville de Bruxelles, comme l'article 87 de la loi communale l'y autorise, demander des renseignements sur ce qui a été fait avec le clergé et, lorsqu'il aura reçu une réponse, la déposer sur le bureau.

Nous saurons alors positivement ce qui en est et nous pourrons en profiter, car il est évident que si la ville de Bruxelles a pu faire un arrangement avec le clergé, le gouvernement peut également en faire un. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement serait plus difficile qu'une ville où il y a le conseil communal le plus libéral.

Ou nous demande à nous : « Que voulez-vons ? » Mais, comme l'a très bien dit hier l'honorable M. Dumortier, nous ne sommes pas les délégués du clergé, nous ne voulons qu'une chose, c'est que l'article 8 soit exécuté et, s'il ne peut pas être exécuté, nous demandons qu'il soit changé.

Voilà, messieurs, ce que je demande et je le demande positivement parce que je veux arriver à un but. Je ne veux pas, moi, de ces conciliations dont parlait l'honorable M. Devaux et qui consistent à donner raison à la droite sur l'enseignement primaire et à donner raison à la gauche sur l'enseignement moyen ; je veux, moi, l'enseignement religieux aussi bien dans les établissements d'instruction moyenne que dans les établissements d'instruction primaire... (Interruption.) Je veux, un résultat. L'honorable M. Devaux dit aujourd'hui :

« Je désire aussi qu'on puisse s'arranger, mais on ne s'arrangera pas. »

Eh bien, voilà un aveu : « On ne s'arrangera pas. »

Or, moi je veux un arrangement et c'est pour cela que je demande que M. le ministre de l'intérieur communique à la chambre ce qui s'est fait à Bruxelles. Voilà ma conclusion, et je prierai M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir nous dire s'il croit pouvoir y faire droit.

(page 336) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je suis très charmé que l'occasion se présente d'en finir avec ce qu'on appelle « la convention de la ville de Bruxelles ». Je vais donner des explications qui la feront disparaître de ces débats, au moins pour le moment.

Déjà dans la section contrale l'honorable M. Osy avait bien voulu me demander si je connaissais la convention faile par l'honorable bourgmestre de Bruxelles avec Son Eminence le cardinal-archevêque de Malines. Je lui ai répondu ce que j'avais appris depuis longtemps, à savoir qu’il n’existait pas, à proprement parler, d’arrangement officiel ; mais qu’il y avait eu entre la ville de Bruxelles et l’archevêque de Malines des négociations dont le résultat paraissait avoir amené le concours du clergé à l’école administrée par ladite ville.

Quant à moi, j'ai déclaré, et je répète que je ne connais pas ces arrangements. Ont-ils eu simplement, comme je le suppose, le caractère de communications officieuses, et d’engagements de même nature, résultat d'une mutuelle confiance ? C'est probable, mais je n'en sais rien ; le fait est qu'au ministère je n'ai trouvé aucune trace de convention et qu'en dehors du ministère toutes les personnes à qui j'en ai parlé m'ont répondu que probablement il y avait eu échange d'explications et de bons procédés. Quant à moi, je n'en sais pas davantage.

Pour en finir avec cet incident, je ne refuse pas le moins du monde de poursuivre mes recherches, non seulement au ministère de l'intérieur, mais de m'informer auprès de l'honorable bourgmestre de Bruxelles de ce qu'il y a eu ; s'il existe des documents ; si, à défaut de documents, il y a eu des démarches, quel a été le résultat de ces démarches ; mais il faut pour cela un peu de temps.

Maintenant, je suppose qu'il existe une correspondance, des documents quelconques, même une convention, et que ces documents soient mis en mon pouvoir, je vais m'expliquer sur la nature de l'emploi que l'honorable M. Osy désire m'en voir faire.

Il est très probable qu'ici, comme à la section centrale, la demande de l'honorable M. Osy n'a eu d'autre but que de faire aboutir les négociations avec le clergé. Eh bien, messieurs, dans cette hypothèse, ce ne serait point par voie de dépôt sur le bureau de la chambre qu'il y aurait lieu de procéder. Qui donc est chargé de négocier avec le clergé ? Mais c'est probablement le gouvernement qui en a la mission et qui doit, selon nous, faire de nouveaux efforts pour arriver à un arrangement équitable et légal avec le clergé.

S'il en est ainsi, à qui donc les documents doivent-ils être remis ?

Mais, c'est évidemment au gouvernement, et le gouvernement manquerait à son premier devoir, si dans une négociation si délicate, hérissée de tant de difficultés, où, par conséquent, le secret doit être gardé sur toutes les démarches jusqu'à ce qu'elles soient arrivées à leur terme, si le gouvernement allait déposer sur le bureau de la chambre, et livrer à une sorte de publicité les pièces dont il doit faire usage dans ces négociations.

Cela serait-il admissible ? Je le répète, si ces documents existent quelque part et se retrouvent, ils ne peuvent appartenir qu'à ceux qui doivent en faire usage, c'est-à-dire à l'administration seule ; sauf, plus tard, à produire, s'il y a lieu, tout ce qui aura été loyalement employé dans le cours des négociations. Voilà l'usage que je dois faire, ce me semble, et que je ferai des documents dont il s'agit, s'ils apparaissent.

L'honorable M. Osy, revenant sur les arrangements qu'il désire voir conclure avec le clergé, a dit qu'il « veut », lui, qu'un arrangement intervienne.

Messieurs, il est parfaitement commode dire : « je veux. » Si nous pouvions à notre tour dire : « je veux », toutes les difficultés seraient bientôt tranchées. Mais il faut compter avec ceux de qui le concours dépend. Or, cela n'est pas très facile. Je ne me suis jamais fait illusion sur le caractère de ces négociations et sur les difficultés dont elles sont entourées.

M. de Mérode. - Et qu'est-ce qui est la cause de ces difficultés ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Nous en parlerons.

Je ne me fais pas, je le répète, illusion sur les obstacles que le gouvernement aura à surmonter pour obtenir le concours tant réclamé du clergé et que, pour ma part, j'ai toujours désiré, comme je le désire encore, tout comme l'ancien cabinet.

Pourquoi cela est-il si difficile ? Ce n'est pas à cause de ce qu'on a appelé les huit difficultés ; à mes yeux, ces huit difficultés ne sont pour la plupart que des fantômes, du moins pour ceux qui les ont examinées sans prévention. Je parle des hommes qui sans préoccupation étrangère, - et tout à l'heure dans le discours de l'honorable M. Devaux, j'ai rencontré cette pensée - qui, sans préoccupation étrangère, veulent franchement conclure un arrangement. Je pose en fait qu'à des hommes se trouvant dans une semblable disposition d'esprit, à des hommes de bonne foi, animés d'une mutuelle confiance, il ne faut pas une heure d'entretien pour faire disparaître toutes les difficultés.

Ces obstacles n'existent donc pas à mes yeux d'une manière absolue. J'espère qu'ils s'aplaniront un jour.

Maintenant, cela veut-il dire que je me suis aveuglé sur les embarras du gouvernement ? Pas le moins du monde. Je sais que les difficultés écrites ne sont pas les seules ; je ne fais en cela injure à personne.

Il y a peut-être des préoccupations, des craintes ; il y a enfin ce qu'on a appelé le défaut de mutuelle confiance. On a ajouté qu'il existait encore un autre obstacle, celui que l'honorable M. Devaux signalait tout à l'heure et qui résulte de la création d'un très grand nombre d'établissements du clergé. Cependant il me semble que cet obstacle ne doit pas être insurmontable, car le clergé, qui ne peut être animé que d'intentions sincères, et qui voit ses écoles prospérer - tout le monde en convient- ne doit plus avoir aujourd'hui sous ce rapport de véritables inquiétudes.

L'expérience est faite. Il y a place au soleil pour tout le monde, dans le domaine de l'instruction. Les établissements du clergé sont suivis par une jeunesse nombreuse, et à côté de ces établissements du clergé fleurissent aujourd'hui, et je me sers de ce mot à dessein, les établissements de l'Etat.

Là aussi l'expérience est faite, et toutes les sinistres prédictions n'ont abouti qu'à une chose : à grouper autour des écoles de l'Etat tous ces pères de famille dont le nombre n'a pas diminue depuis 1847, quoi qu'on en dise, et qui aujourd'hui assurent la prospérité de nos athénées et de nos écoles moyennes.

Ce sont des faits, des chiffres qui ont répondu, beaucoup mieux que tous les raisonnements du monde, à cette observation, que les établissements de l'Etat seraient désertés, si nous n'obtenions pas le concours du clergé. Et comment la confiance des familles est-elle arrivée à nos établissements ? D'abord, c'est parce qu'ils sont entourés de l'immense garantie qui résulte, ainsi que l'a dit l'honorable M. Devaux, de l'intervention des pères de famille eux-mêmes dans l'administration de nos athénées et écoles moyennes ; ensuite, de ce que les précautions les plus minutieuses ont été prises pour les entourer de la plus juste de toutes les considérations, celle qui a sa source dans le choix d'un personnel à la fois moral et capable.

Qu'est-ce qu'il a fallu encore ? La certitude que le gouvernement ne négligerait rien de ce qui serait humainement possible pour obtenir le concours du clergé pour l'enseignement religieux.

Ce concours aura-t-il lieu ? Je n'en sais rien. Mais je répète encore que j'espère qu'il sera obtenu.

Voilà, messieurs, ce que je devais, en acquit de mon devoir, dire encore pour expliquer d'une manière bien nette la pensée du gouvernement dans les efforts qu'il va tenter. Et pour me résumer sur ce point, je dirai : des négociations seront ouvertes de nouveau ; c'était la pensée de l'ancienne administration ; et si ce n'eût été sa pensée, c'eût été la nôtre. On fera des démarches auprès du clergé pour obtenir son concours. Le gouvernement a déjà dit quelle serait sa ligne de conduite ; dans ces négociations, quelle limite il ne dépassera jamais. La loi de 1850 sera notre règle. Rien de ce qui affaiblirait les principes de la loi, rien de ce qui porterait atteinte à l'indépendance, à la liberté du gouvernement ne peut être concédé. Mais je répète en même temps que tout ce que l'esprit de conciliation pourra amener de compatible avec les principes que je viens d'énoncer, tout ce qu'il sera possible, en fait de respect, de procédés, d'offrir au clergé, lui sera offert.

Je ne sais ce qui arrivera ; mais quoi qu'il advienne, je saurai remplir le devoir qui m'est imposé ; je le remplirai avec fermeté et, j'espère, avec dignité et convenance.

Pour ne pas prendre deux fois la parole, je vais répondre à quelques faits qui exigeaient hier des explications de ma part, mais j'avais imparfaitement saisi les observations de l'honorable M. Vanden Branden de Reeth.

L'honorable membre a parlé de l'inexécution de l'article 32 de la loi de 1850.

Cet article est relatif aux collèges privés dont le patronage est accepté par les villes. Les villes sont autorisées à faire, en vertu de l'article 32 de la loi, des conventions, lesquelles doivent être soumises à leur tour à l'approbation royale. L'honorable membre s'est plaint de ce que plusieurs de ces conventions et notamment celle qui concerne la ville de Malines, quoique faite depuis environ deux ans, n'avaient pas encore été approuvées par le gouvernement.

Voici, messieurs, ce qui en est de ces conventions.

En 1850, le gouvernement avait à s'occuper et de l'organisation des athénées et des écoles moyennes et des collèges privés dont le patronage aurait été accepté. Vous comprenez qu'au milieu des difficultés sans nombre qui s'attachaient à l'organisation de toutes ces branches de l'enseignement, le gouvernement a dû se dire qu'il était rationnel de commencer par les plus importantes.

C'est ce qui s'est fait, et le temps qui est écoulé depuis ne lui a pas permis encore de porter son attention sur ces établissements du troisième ou du quatrième degré auxquels on vient de faire allusion.

Quoi qu'il en soit, il a été pris des mesures pour que ces établissements n'aient pas à souffrir de l'état de suspension dans lequel on était, quant à l'approbation des conventions et l'administration de la ville de Malines, notamment, a été, sous ce rapport, l'objet d'une lettre que mon honorable prédécesseur lui a adressée et par laquelle le conseil communal est averti qu'il peut considérer l'établissement comme provisoirement existant. Il en a été de même, je pense, pour d'autres localités.

J'ai une autre rectification à faire qui pourrait donner lieu à un quiproquo, si je ne m'en occupais pas en ce moment.

Hier, à la fin de la séance, l'honorable M. Rogier demandait si le gouvernement n'avait pas l'intention de compléter une demande de crédit relatif à l'enseignement normal pédagogique pour l'enseignement moyen. J'avais mal compris, et ma pensée s'arrêtait un instant à l'enseignement normal moyen du degré inférieur. Il s'agit au contraire de l'enseignement normal pédagogique du degré supérieur, attaché aux universités ; de ce chef, il figure déjà au budget un article de 10,000 francs.

L'ancien ministre de l'intérieur me demandait si cela serait suffisant. Evidemment non ; ce sont les premiers fonds destinés, je pense, aux (pahe 537) bourses ; mais les dépenses occasionnées par l'internal et par l'enseignement lui-même n'y peuvent figurer, attendu que les cours sont à peine commencés. D'ici à quelque temps j'aurai l'honneur de demander de ce chef un crédit supplémentaire à la chambre.

Je pense que maintenant je dois attendre que d'autres articles arrivent pour présenter la suite de mes observations.

M. Osy. - J'ai demandé tantôt le dépôt de certains documents, mais, d'après les paroles de M. le ministre de l'intérieur, je n'insiste pas aujourd'hui pour qu'on dépose ces documents. Il me suffit que M. le ministre s'enquière de ce qui s'est fait à Bruxelles et qu'il examine avec attention ce qui a eu lieu, et qu'après les négociations, si elles n'aboutissent pas, on nous fasse connaître les arrangements et le résultat des décisions du conseil communal de Bruxelles pour que nous puissions les juger et voir si le gouvernement ne pourrait pas changer la loi dans ce même sens. Je ne demande donc plus aujourd'hui le dépôt des documents que j'ai réclamés et j'attendrai le résultat des négociations.

M. Dumortier. - L'honorable M. Devaux, rentrant en quelque sorte dans la discussion générale, s'est principalement attaché à traiter la question pratique de l'instruction dans ses rapports avec la liberté des cultes. Il s'agit de savoir si, pour arriver au but prescrit par la loi sur l'enseignement moyen, le gouvernement a fait son devoir, qui a eu des torts, à qui il faut imputer les fautes. L'honorable membre, en traitant cette question, s'est mis sur ce terrain ; je l'y suivrai.

A entendre l'honorable député de Bruges, et ceux de son côté qui ont parlé avant lui, dans toutes les négociations qui ont suivi la loi de 1850, le gouvernement est innocent de toute espèce de torts ; il n'a rien fait qui puisse prêter au plus petit blâme. On ne dit pas qui est le coupable, mais la conclusion est bien logique ; tous les torts sont du côté de l'épiscopat.

Quant à moi, je demeure profondément convaincu que c'est le contraire qui est la vérité. Je demeure profondémenl convaincu que, dans ces négociations, l'épiscopat s'est prêté de bonne grâce à la solution, avec tout le désir possible d'aboutir à l'intervention du clergé dans ses écoles, et que c'est le gouvernement qui a été la cause que cette intervention n'a pas eu lieu.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. Dumortier. - Comme vous le voudrez. D'abord l'honorable membre a rappelé dans quels termes la proposition relative à l'article 8 avait été introduite, dans quels sentiments mon honorable ami M. de Liedekerke et moi nous avions présenté des amendements pour donner des garanties religieuses dans la loi. Mais l'honorable membre n'a point rappelé, et je regrette cette omission, que le projet de loi n'admettait pas l'obligation de l'enseignement religieux, n'admettait pas cet enseignement comme base de l'éducation moyenne.

M. Devaux. - Je l'ai reconnu ; j'ai même dit pourquoi.

M. Dumortier. - C'est possible, vous présentez cela comme un espoir pour la liberté des cultes. Je réponds que la liberté des cultes, entendue comme elle l'est en ce point par les orateurs de la gauche, c'est l'anéantissement des cultes, car lorsque les cultes ne peuvent plus parvenir à l'enfance, ils sont bientôt déracinés dans les populations. L'honorable membre doit donc prendre un autre point de départ, c'est que ce projet de loi, sous le prétexte de maintenir la liberté des cultes, avait eu pour résultat de blesser ouvertement le sentiment religieux en Belgique en refusant de rendre la religion obligatoire. Lorsque ce projet de loi fut présenté, il causa sur ce point un mécontentement extrême et de la gauche modérée comme de la droite ; on exigea du gouvernement d'introduire cette disposition dans la loi. Ce que l'honorable membre omet de dire, c'est que ce sont les libéraux modérés qui ont forcé le gouvernement d'accepter cette proposition dont il ne voulait point, et nous l'eussions votée avec eux si l'amendement que nous avons présenté, mon honorable ami M. le comte de Liedekerke et moi, avait été admis dans la loi.

Maintenant, comment les choses se sont-elles passées ? Nous demandions, mon honorable ami et moi, d'accord avec toute la droite, comme garantie religieuse, que le clergé fût appelé à donner, à surveiller, à inspecter l'enseignement religieux.

Donner l'enseignement religieux. Evidemment, c'est au clergé qu'il appartient de donner l'enseignement religieux ; le surveiller, parce que la religion ne se compose pas seulement d'une chaire dans laquelle on vient enseigner quelque chose, il y a aussi la pratique religieuse qui doit être mêlée à l'enseignement.

Enfin, il faut que le clergé puisse inspecter, parce qu'il ne faut pas qu'un professeur de grec ou de latin vienne détruire l'enseignement de la religion donné par les professeurs ; il ne faut pas qu'un professeur de grec ou de latin ou d'histoire puisse venir faire prédominer les religions dissidentes ou affaiblir le catholicisme par ses cours ; par exemple, dire que Martin Luther a eu raison de faire la réforme ; cela n'est pas possible et, j'aime à le croire, l'honorable M. Rogier lui-même ne l'eût pas voulu.

Il ne faut pas encore que les professeurs puissent ainsi détruire l'enseignement donné par l'ecclésiastique, et quand ils le peuvent, il n'y a plus d'enseignement religieux. Je n'entends pas certainement que la personne chargée de l'inspection de la religion dans les écoles puisse venir examiner comment s'enseignent le grec, le latin, les mathématiques, la physique, etc., jamais personne de nous n'a eu cette pensée ; il faudrait être doué d'une vraie stupidité pour avoir de pareilles idées ; mais nons sommes en droit d'exiger que l'enseignement de la religion, enseignement si important au point de vue de la morale publique, de la nationalité elle-même, ait une garantie, un gage de ce que toute personne puisse arriver dans un établissement, et s'informer si l'enseignement donné par l'ecclésiastique n'est point détruit par d'autres professeurs non pas qu'il ait le droit de venir dire : Vous destituerez tel professeur, mais de faire savoir au gouvernement que l'enseignement de la religion est détruit par telles maximes enseignées par tels professeurs.

Sous le gouvernement hollandais, j'ai vu un professeur qui, s'étant permis une pareille incartade, a été rappelé à l'ordre par le ministre protestant du gouvernement hollandais.

Voilà, messieurs, la triple garantie que nous demandons. Au lieu de cela, qu'a-t-on donné au clergé ? On lui a donné le droit de surveiller ou de donner l'instruction religieuse. Il avait l'oplion de donner ou de surveiller l'instruction religieuse, c'est-à-dire qu'on retranchait le principe le plus salutaire, le principe de l'inspection dans les termes que je viens d'indiquer. Qu'avons-nous fait ? Nous avons voté soit par l'abstention, soit par un vote direct, au nombre de 26, contre l'article 8.

Nous étions non pas 6, mais 21, qui avons refusé notre vote à l'article 8. Pourquoi plusieurs membres se sont-ils abstenus ? Parce qu'ils n'ont pas voulu repousser le principe de l'instruction religieuse de la loi, mais ils trouvaient ce principe stérile, et il était tellement stérile que l'événement a prouvé que nous avions raison. Quand la loi a été soumise au vote, en a-t-il été comme de la loi sur l'instruction primaire, où trois membres seulement ont voté contre ?

Non, messieurs, toute la fraction catholique de la chambre sans exception a voté contre la loi, la regardant comme une hostilité directe contre l'opinion catholique du pays Quand aujourd'hui nous demandons le redressement de ce grief, le plus considérable qui puisse nous frapper, on nous dit : Vous avez été désavoués par les évêques. Comme je l'ai dit hier en commençant, nous ne sommes pas ici les mandataires des évêques, nous sommes des pères de famille demandant que les établissements d'enseignement soient organisés de manière qu'ils puissent y envoyer leurs enfants. On nous dit : Vous ne les y enverrez pas ; non certes, nous ne les y mettrons pas, et pourquoi ? Parce que vous en chassez la religion et que nous voulons donner de la religion à nos enfants.

Nous demandons que les établissements soient tels que nous puissions y envoyer nos enfants, et c'est ce qu'on nous refuse sous le prétexte de la liberté des cultes. Messieurs, le pouvoir n'a pas été donné au gouvernement d'organiser des écoles pour y enseigner au profit de quelques-uns, mais au profit de tous. Or, en réalité, vous avez fait une loi d'instruction pour les libéraux seuls et pas pour les catholiques. Que demandait le clergé ? Etait-ce un désaveu de ce que nous avons dit ? Loin de là, qu'on examine la pétition que le corps épiscopal a adressée au sénat. C'était ce que nous demandions nous-mêmes, l'instruction religieuse, l'inspection ecclésiastique, la nomination des ecclésiastiques attachés aux écoles par le clergé et l'introduction du clergé à titre d'autorité. L'inspection, on l'avait repousiée. On l'a admise dans la pratique, dit M. Devaux.

J'ignore ce qui s'est passé dans la pratique ; ce que je sais, c'est qu'on l'a repoudsée lors du vote de la loi, quamt nous l'avons proposée comme amendement, en prétendant que c'était compris dans la surveillance. La nomination par le clergé de l'ecclésiastique qui serait chargé de donner l'instruction religieuse n'a pas, dit-on fait question. En effet, c'est conforme à la Constitution. Toutefois, dites-nous pourquoi l'école vétérinaire est sans aumônier. Mais l'admission à titre d'autorité était quelque chose, pourquoi ? Parce qu'une signification très grande avait été donnée à ce mot dans un documentée célèbre.

L'honorable M. Devaux, à la franchise de qui je rends hommage, ne comprend pas ce quoi entend par ces mots : « à titre d'autorité ». Je suis heureux d'enterdre cette déclaration si conforme à mon appréciation ; et je déclare que je ne le comprends pas non plus ; à moins qu'on refuse de reconnaître l'autorité de l'Eglise, alors je dirai : Vous niez donc à l'Eglise l'autorité qu'elle tient de Dieu ; si ce n'est pas cela, je ne comprends pas plus que M. Devaux. C'est pourtant sous le prétexte de ce titre d'autorité qu'on a décidé dans une réunion célèbre, connue sous le nom de Congres libéral, qu'il fallait repousser le clergé, à titre d'autorité, des écoles primaires et moyennes, c'est-à-dire, en supprimant le mot inintelligible que je ne comprends pas et que M. Devaux ne comprend pas plus que moi, qu'il fallait repousser le clergé des écoles primaires et moyennes.

Il était très juste que le clergé sût ce que signifiait ce mot que M. Devaux ne comprend pas plus que moi.

Assurément le clergé n'est pas un pouvoir, il ne vient plus siéger dans cette chambre à titre de prélature, mais il ne cessera pas d'être une autorité, comme représentant l'Eglise, car c'est elle qui dirige les consciences.

Cette question se justifie donc ; à la suite de ce qui avait eu lieu à la réunion dont je viens de parler, la question y avait été soulevée par le ministre des finances, si ma mémoire est fidèle, et elle fut un des arguments principaux pour écarter le clergé de la loi.

J'arrive à la correspondance du gouvernement et des évêques.

Que proposait le gouvernement ? Il nous l'a dit, il proposait d'envoyer aux écoles un « professeur de religion » convenablement rétribué, avec lequel on s'entendrait pour les heures de leçons. Voilà la proposition qu'on a faite. J'ai entendu dans ma vie parler de professeurs de latin, de grec et de mathématiques ; j'ai même entendu parler de professeurs de danse, de professeurs d'escrime, mais jamais de professeurs de religion. (Interruption). (page 338) Sans doute il y a des professeurs de théologie, c'est une science ; mais la religion est une chose qui ne se professe pas comme une leçon de grammaire ; la religion s'inculque, c'est dans la jeunesse qu'elle s'inculque. Cette désignation seule prouve qu'on ne voulait pas de la religion obligatoire. Demander un professeur de religion comme on demande un professeur de gymnastique, c'était montrer le peu de cas qu'on faisait de la religion pour les écoles.

M. Rogier. - Il est impossible de laisser dénaturer ainsi une correspondance.

M. Dumortier. - Vous aviez proposé d'avoir pour la religion un professeur convenablement rétribué, avec lequel on s'entendrait pour les heures de leçon, lesquelles heures passées on aurait dit au professeur de religion, comme vous le nommez : la porte est ouverte pour sortir.

Maintenant dans cette correspondane trois difficultés ont été soulevées par les évêques.

l.a première, la plus importante, est celle des écoles mixtes, et c'est précisément sur cette difficulté que s'est rompue la négociation.

Aujourd'hui on vient dire que ce n'est plus une question. L'honorable M. Rogier nous a dit qu'il avait obtenu une solution satisfaisante de la part des ministres des cultes dissidents, mais je rappellerai que l'an dernier nous discutâmes comme aujourd'hui le budget de l'intérieur ; quand on arriva à ce chapitre, pour obtenir la sanction de la chambre sur la marche des négociations. le ministère a déclaré que la Constitution ne reconnaissait que des écoles mixtes, et n'en pouvait pas reconnaître d'autres.

Voilà ce que l'on voulait lors des négociations. On posait ce principe pour décider le clergé à ne pas donner son concours. On soutenait un système diamétralement opposé à celui d'aujourd'hui. Je félicite les honorables membres d'être revenus à des sentiments plus constitutionnels.

Constatons d'abord ce fait, et examinons la marche de la négociation.

Le clergé (vous le savez fort bien) et la foi catholique n'admettent pas le système des écoles mixtes. Personne de vous n'ignore combien de difficultés elles ont suscitées en Irlande. En suscitant en Belgique les mêmes difficultés, on savait qu'on arriverait à un système tel qu'on n'aurait pas abouti. Cependant c'est ce système qu'on a mis en avant vis-à-vis des évêques.

Aptes cela, êtes-vous surpris qu'il y ait pas eu de résultat aux négociations, qu'elles n'aient pas abouti, dés qu'elles ne pouvaient pas aboutir ?

Lorsque le gouvernement s'obstinait à demander ce qu'il n'ignorait pas que le clergé ne pouvait accepter, il savait bien que les négociations n'auraient pas abouti, et je suis autorisé à me demander si l'on n'introduisit pas cette question pour ne pas aboutir.

Je sais bien qu'on disait, et on l'avait dit au sénat pour obtenir son vote, que l'on ferait dans la pratique tout ce qu'il serait possible de faire pour que le clergé pût continuer son concours ; mais le clergé voulait autre chose que de donner des professeurs de religion, il voulait assurer l'efficacité de son concours dans la pratique. Par votre loi, sans le vouloir sans doute, vous avez, en lui refusant une position légale, placé le corps épiscopal dans une position extrêmement délicate. Dans la loi sur l'instruction primaire, vous avez fait au clergé la part qu'il doit avoir pour l'instruction religieuse.

Là tout est clair. Le jour où la loi n'existe plus, le clergé se retire, sa responsabilité vis-à-vis des pères de famille est couverte par le retrait de la loi. Mais dans la loi sur l'enseignement moyen, on n’a pas voulu donner de garanties au clergé. La Constitution, a-t-on dit, ne le permet pas. Qu'est-il arrivé ? Que tout a été réglé par correspondance administrative, par correspondance secrète connue seulement des évêques et de vous.

Mais qu'un désaccord arrive, qu'il y ait pour le clergé nécessité de se retirer, quelle sera sa situation ? Il sera responsable vis-à-vis des pères de famille ; sa correspondance avec vous restant secrète, la cause de sa retraite restera inconnue ; tout le pays peut être le blâmera de s’être retiré, sans savoir pourquoi il l’a fait.

Il fallait donc, comme en France, faire une position légale au clergé.

Quand nous avons demzndé pour lui cette position, dans le bureau administratif, dans le conseil de perfectionnement, ou à ttre d’inspection, on a repoussé systématiquement cette opinion, on a écarté tous nos amendemens ; on ne voulait pas pour lui de cette positionlégale ; on voulait le mettre dans une posiiton telle qu’on pût lui dire : Vous êtes à mes pieds ou vous serez sous mes pieds.

L’honomégénité en veut toujours que ce soit le droit d’intervenir dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres. Quant à moi, cette intervention n’a jamais été de mon goût, et vous avez vi que le corps épiscopal ne la réclame pas. Mais entre cette intervention et un conseil que peut demander le clergé, dans tel ou tel cas, il y a une différence immense.

Quand un ministre, quel qu'il soit, ayant une nomination à faire, demande sur les candidats l’avis de toutes les autorités qui sont sous ses ordes, est-ce que le gouvernement abdique ? Est-ce que la dignité du gouvernement est compromise ? est-ce que l’indépendance du pouvoir civil n’existe plus ? Ainsi quand le ministre de la justice, ayant à nommer un avoué ou un huissier, demade l’avis de la cour, du tribunal, du procureur général, du procureur du roi, du commissaire d’arrondissement, il n’y a pas là abdication de son autorité. Il n’y aurait pas plus abdication de la part de l'autorité civile, si l'on demandait l'avis du clergé. Cet avis donné, le ministre reste maître de son choix.

J’ignore complètement si c’ets là ce que veut le clergé. Mais si c’est là ce qu’il veut, je dis qu’il y a une grande différence entre le droit d’intervenir dans les nominations et le droit d’aviser, sans entraver les droits de l'Etat. J'ignore quelles sont ses intentions. Comme je n'ai rirn trouvé à cet égard dans l'adresse du corps épiscopal au sénat, je ne puis le savoir.

Mais est-ce là l’homogénéité dont on y parle ? Qu'est-elle ? L'homogénéité est dans ce que je vous disais tout à l'heure, qu'un professeur d'histoire, de grec, de latin, de science, ne doit pas détruire l'enseignement religieux donné par les membres du clergé appelés à le donner. Evidemment là est l'homogénéité. Comment ! Vous admettez en principe que, lorsque vous aurez appelé le corps épiscopal pour faire donner dans un établissement le grand bienfait de l’enseignement religieux, il pourra dépendre d'un professeur de détruire cet enseignement ! Cela n'est pas possible. Ce serait la destruction de l'enseignement religieux. Voilà, à mes yeux, le grand point de l'homogénéité, et tout homme sérieux, sensé, sera d'accord sur ce point qu'il n'est pas possible que l'on enseigne la religion dans un établissement quand cet enseignement pourrait être détruit par un professeur dans le même établissement.

Nous avons parlé au nom des pères de famille ; nous avons dit qu'ils réclamaient l'enseignement de la religion dans nos écoles. Il y a, dit l'honorable M. Devaux. deux espèces de pères de famille : ceux qui veulent l'enseignement du gouvernement et ceux qui ne le veulent pas. Je réponds à cela que si beaucoup d'entre nous ne veulent pas de vos écoles, c'est qu'on y donne l'instruction sans religion.

Vous nous forcez violemment à mettre nos enfants dans d'autres écoles que celles du gouvernement dont les frais sont faits par l'Etat. Et vous-mêmes, regardez sur vos bancs, à gauche. Combien d'entre vous mettent leurs enfants dans les établissements des jésuites ou de religieuses ! Je pourrais citer les noms les plus marquants parmi les orateurs de la gauche, et pourquoi agissent-ils ainsi ? Parce que autre chose est de défendre une thèse qui se rattache aux principes du libéralisme, autre chose est de soigner l'éducation de ses enfants. Tout père de famille veut obtenir, de la part de ses enfants, ce respect dont le gage est surtout dans la religion.

Consultez les pères de famille, les professeurs des établissements de l'Etat, dont l'honorable M. Devaux faisait tout à l'heure un juste éloge, tous vous diront qu'il importe au plus haut point que l'enseignement religieux soit donné dans les établissements de l'Etat. Il n'y a qu'une voix à cet égard.

Mais comment les pères de famille sont-ils représentés ? Par les conseils communaux. Eh bien, il y a un an, à pareille époque, l'honorable M. Rogier disait que chaque jour il recevait des présentations d'ecclésiastiques, pour faire partie des bureaux des athénées. Vous voyez par là le vœu des pères de famille ; ils veulent l'éducation religieuse ; ils veulent plus, ils veulent introduire les ecclésiasiiques dans les bureaux des athénées ; ils veulent les amendements que vous avez fait échouer.

Voilà le véritable vœu des pères de famille, il n'y a pas de père de famille qui se soucie de donner à ses enfants une éducation sans religion. Si vous croyez qu’il en est, établissez un collège où vous mettrez pour enseigne : « Ici l’on n’enseigne pas la religion. » Et vous verrez combien d'élèves s'y présenteront.

Mais non, vous n'établissez pas ces collèges ; je fais un appel à votre générosité, à votre dévouement pour votre opinion, mais vous n'y répondez pas.Que voulez-vous ? Vous voulez que ce soit aux dépens du trésort public que ces collèges soient établis, et que ce soit nuous, catholiques, qui payions ces établissements, et vous venez toujoours, dans cette enceinte, établir par les arguments les plus superbes, que c’est le corps professoral qui n’a pas voulu se mettre à vos genoux et accepter les propositions que vous lui faisiez. Vous prétendez que tous les torts sont de son côté et vous vous imaginez arriver ainsi à une solution.

Mais lors mêem que ce que vous dites serait vrai, si vous vouliez l'entrée du corps épiscopal dans vos établissements, vous devriez avoir l'habileté de ne pas parler de la sorte ; vous ne devriez pas parler de ce qui s'est fait. Mais pas du tout : vous ne cessez de faire entendre que tous les tôrts sont du côté du clergé, lorsque en définitive il n'a demandé que ce qui était juste, lorsqu'il n'a demandé qu'une part bien moindre que celle qu'il a obtenue par la loi sur l'instruction primaire.

Messieurs, vous avez devant vous deux exemples. Vous avez la loi sur l'instruction primaire qui marche au gré de tous les parents ; et M. le ministre de l'intérieur, qui peut-être dans son opinion privée, n'approuve pas complétement cette loi, vous disait hier qu'elle marchait au gré de tous les pères de famille, qu'on n'avait pas de reproches à lui adresser. Pourquoi donc alors n'adoptez-vous pas les mêmes principes pour la loi sur l’enseignement moyen ? Remarquez-le bien, si j’étais membre de la gauche modérée, je trouverais très mauvais ce qui se fait dans cette circonstance.

Je dirais : Nous n’avons voté la loi que sur la garantie que l’enseignement de la religion serait obligatoire, et dans l’exécution vous annulez cette garantie ; c’est-à-dire que vous faites de la loi ce qu’était votre projet ; or nous n’aurions pas voté votre projet, parce que nous voulions d’un enseignement religieux. Je le répète, si j’étais membre de la gauche modérée, je ferais de vifs reproches au gouvernement, parce que j’aurais été induit par lui en erreur.

Aussi, messieurs, si l’expérience démontre qu’il est indispensable (page 339) pour obtenir le concours si désiré du clergé, d'apporter quelques légères modifications à l'article 8, je n'hésite pas à dire que les membres de la gauche modérée, qui ont fait dépendre leur vote, pour la loi, de cette considération que l'enseignement religieux serait obligatoire, feraient ce qui est nécessaire pour arriver à ce but.

Que voyez-vous ensuite, messieurs, dans toute cette discussion ?

On veut que le clergé témoigne de la confiance. Moi aussi, je veux que le clergé témoigne de la confiance. Mais voulez-vous obtenir cette confiance ? Commencez par ne pas montrer de la défiance contre lui. Voilà le meilleur des moyens. Car, en définitive, la conclusion de tous vos discours, ce n'est que cela, c'est que le clergé a toujours eu tort : Il s'est mal conduit dans cette affaire ; nous, nous avons été parfaits !

Qu'en résulte-t-il ? C'est que vous ne témoignez pas de confiance au clergé.

Comment ! Vous avez commencé par dire que vous ne rendriez pas l'enseignement religieux obligatoire dans la loi. Vous avez dû subir la volonté de la gauche modérée qui vous a obligé d'introduire cet enseignement religieux dans la loi. Vous n'avez voulu donner au clergé aucune part dans la loi, et il faut qu'il vous montre de la confiance !

Vous avez tout fait pour lui inspirer de la défiance et vous vous plaignez de ce qu'il ne vous montre pas de confiance. Singulière contradiction !

Si vous voulez obtenir la confiance du clergé, commencez par lui en montrer. Confiance pour confiance, je le conçois ; mais confiance de la part de ceux dont vous vous défiez, c'est ce que je ne conçois pas.

Messieurs, quant à moi, je veux sincèrement et très sincèrement, que l'enseignement religieux soit donné dans les collèges de l'Etat. Je le veux d'une part, dans l'intérêt de la foi ; je le veux, d'autre part, afin de faire cesser cette guerre entre l'Eglise et l'Etat. Je le veux en troisième lieu pour assurer la prospérité de nos établissements. Je le veux, parce que je ne puis admettre que les deniers des contribuables viennent ainsi s'accumuler chaque jour, qu'on fasse encore de nouvelles dépenses, comme on vient de l'insinuer, pour organiser monopole sur monopole, comme on vous le disait. Je le veux parce qu'il n'y aura pour le pays de tranquillité parfaite que lorsque la concorde sera rétablie entre l'Etat et l'Eglise. Mais ce que je ne veux pas, c'est que sur la porte de vos établissements il y ait cette étiquette : « enseignement catholique », et qu'à l'intérieur cet enseignement ne puisse être donné.

Cette étiquette, je n'en veux pas, et si c'est là ce que vous voulez, vous n'arriverez pas à votre but ; le clergé a trop le sentiment de sa haute mission, il a trop le sentiment de ses devoirs, vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis des pères de famille pour dire : « Ici on donne l'enseignement religieux, » tandis qu'on l'y détruit.

M. Roussel. - Messieurs, la thèse que j'ai produite et développée dans la séance de samedi dernier a paru fort étrange à l'honorable M. Devaux. Si cette thèse a semblé telle à l'honorable membre, son avis n'a pas été généralement partagé. On a vu dans l'intervention, non supprimée, mais diminuée, du gouvernement en matière d'instruction un moyen ingénieux de resserrer le domaine de cette éternelle et interminable question du clérical et du libéral que l'honorable M. Devaux agite et traite en 1852 comme en 1845. Mes idées n'eussent-elles que ce côté utile, encore cela vaudrait-il la peine de réfléchir, sauf à plaisanter après. Tout le monde ne veut pas être le contemporain du passé.

Vous n'avez pas oublié, messieurs, que mon argumentation reposait sur plusieurs motifs.

je ne refuse pas toute intervention du gouvernement en matière d'enseignement et d'instruction, mais ce que je repousse, c'est la pédagogie universelle de cet être insaisissable qui varie et change de couleur avec chaque ministère. Je la repousse, non comme l'a erronément soutenu l'honorable M.Devaux, par l'unique raison que le gouvernement n'est point capable d'enseigner, mais parce que cette pédagogie universelle est, pour lui, impossible ; parce qu'il n'a pas ce droit, parce que ce n'est pas son devoir ; parce que cette pédagogie est fort coûteuse à l'Etat, fort préjudiciable aux finances publiques et à l'autorité morale des gouvernants ; parce qu'enfin, dans les matières qui ne sont point du domaine social, elle forme un privilège, une faveur pour quelquesuns au détriment de tous les autres.

En ce qui me concerne, M. Devaux plaisante et ne raisonne pas. Il se trompe évidemment quand il prétend que je n'ai accordé à l'Etat le droit d'intervenir que dans l'enseignement des joueurs de flûte, et je laisse à M. Devaux tout le poids de cette plaisanterie et de cette erreur peu dignes du caractère et du talent de mon honorable collègue de Bruges.

Je ne puis admettre non plus que l'allusion qu'il s'est permis de faire à ma situation personnelle dans un établissement libre et indépendant, soit très parlementaire et de fort bon goût. Bien que je n'aie point contesté la capacité du gouvernement pour la nomination des professeurs de ses universités, je consens à dire à mon trop spirituel contradicteur, que ma nomination à l'université de Bruxelles émanait de personnes très compétentes, tenant leur mandat de l'élection, ce qui n'enlevait rien à leur compétence.

Que l'honorable député de Bruges se tranquillise donc. Dans mon système, le gouvernement enseignera encore beaucoup, mais ii ne se fera point le professeur de chacun dans toutes les matières spéciales et individuelles ; et le titre de ministres de l'intérieur n'équivaudra point, au grand dam des contribuables, à celui de docteur en toute science connue et inconnue. J'ai dit.

M. Malou. - Je regrette sincèrement, messieurs, qu'après la clôture d'une première discussion générale, l'honorable M. Devaux en ait ouvert une seconde.

Je regrette surtout que, par l'honorable M. Devaux, cette discussion ait été portée sur le terrain de la négociation avec l'épiscopat ; et j'exprime ces regrets, messieurs, parce que je désire le concours du clergé.

Je viens répondre à l'honorable M. Devaux, parce que le discours de cet honorable membre ou il ne signifie rien, ou il a pour but, il aura du moins pour résultat de créer un obstacle de plus au concours du clergé. C'est pour cela, que, malgré la fatigue, de la chambre, je la prie de vouloir me prêter quelques instants de bienveillante attention. Je tâcherai de ne pas en abuser.

Me plaçant au point de vue de l'honorable membre, je conçois parfaitement son discours. Depuis bien des années, il nous dit que si la lutte acharnée des partis cessait, il y aurait un marasme, que le sentiment national s'affaiblirait, que la Belgique perdrait sa force ; nous, au contraire, depuis bien des années, nous disons que si l'on veut que la Belgique dure, c'est par l'union qu'elle doit durer, et non par la lutte acharnée des partis.

M. Lebeau. - Vous êtes si modérés !

M. Malou. - Je vais prouver, puisqu'on m'appelle sur ce terrain, que nous avons toujours été modérés, et que vous ne l'avez jamais été qu'en paroles.

Comment, messieurs, parvient-on à nous accuser d'exagération ? En dénaturant complètement ce que nous avons dit, en nous prêtant des intentions qui n'ont jamais été les nôtres, en dénaturant aussi tous les actes de notre carrière politique.

Ainsi, je le demande à l'honorable membre, quel est celui d'entre nous qui a dit que les athénées étaient immoraux, que l'athéisme y était enseigné ? Quel est celui d'entre nous qui l'ait dit ? Et si personne ne l'a dit, vous vous êtes livré très gratuitement à un mouvement oratoire dans le vide, pour dénaturer, à votre insu, j'aime à le croire, notre pensée et nos actes... (Interruption.)

L'honorable M. Pierre me fait l'honneur de m'interrompre. Selon lui, « j'aurais proclamé que l'Etat était athée. » Loin de là. J'ai dit que l'athéisme légal était contraire à la Constitution. J'ai soutenu qu'en vertu de la Constitution l'Etat n'avait pas le droit de se dire athée, mais qu'il devait organiser l'enseignement public de manière que toutes les religions trouvassent des garanties dans l'instruction donnée aux frais de tous. Voilà ce que j'ai dit. Voilà ce qui est national, ce qui est constitutionnel et unioniste, l'entendez-vous ?

Nous avons toujours été modérés dans les exigences qui se sont produites depuis quelques années. Et, messieurs, comment l'honorable membre a-t-il cru réusir à démontrer le contraire ?

Je le répète encore, c'est en dénaturant nos actes. Vous voulez, nous dit-on, plus que la loi de 1842, vous voulez de plus, pour l'enseignement moyen, une part d'intervention dans la nomination des professeurs ; vous n'acceptez plus la transaction de 1842. Je regrette qu'un esprit aussi judicieux que l'honorable membre ait pu à ce point méconnaître la loi de 1842. Non, messieurs, nous demandons beaucoup moins que la loi de 1842 ; mais de ce que la loi de 1842 ne donne pas au clergé un droit d'intervention directe dans la nomination des professeurs, s'ensuit-il que si l'on réclamait ce droit en ce qui concerne la loi de 1850, ce serait une exagération ? Prenons donc dans son ensemble la loi de 1850.

La loi de I842 donne des garanties infiniment plus fortes. Ainsi les communes ne peuvent nommer d'autres instituteurs que ceux qui sortent des écoles normales soit du clergé soit de l'Etat, c'est-à-dire ceux qui ont reçu l'instiruction et l'éducation par l'Etat et le clergé unis, ce qui est une garantie bien plus forte qu'un simple avis donne par le clergé. Prenez, en un mot, tout le système de la loi de 1842, et vous ne direz plus que pour l'enseignement moyen nous demandons davantage.

Nous disons, au contraire, que dans l'enseignement moyen il s'agit d'un autre ordre de faits, d'un autre ordre d'intérêts et que s'il faut des garanties, comme nous le voulons sincèrement, il faut qu'elles soient aussi d'une autre nature, d'une nature moins sévère, dirais-je, que pour l'enseignement primaire.

Dans une précédente séance, répondant à une allégation de l'honorable M. Rogier, j'ai démontré que l'épiscopat ne demandait aucune part dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres ; et que m'oppose-t-on ? L'opinion émise en 1843 par l'ancien évêque de Liège ; ce qui aurait clé fait en 1846 ; est-ce ainsi qu'il faut écrire l'histoire ?

Quand on aspire à écrire l’histoire, ii faut voir les actes sérieux, les volontés officiellement manifestées, les faiis les plus récents. Car enfin, interdirez-vous à l'épiscopat, ce qui appartient à tout le monde, le droit de suivre le mouvement des idées et des faits ? De ce que telle chose a été dite en 1843, telle autre en 1835, par exemple, vous venez argumenter contre l'opinion actuelle, lorsque vous avez cette opinion signée par l'épiscopat !

Je suis en droit de dire que ce n'est pas là de la discussion sérieuse. Cet argument vaut celui de l'honorable M. Verhaegen qui, l'autre jour, invoquait l'opinion émise par mon honorable ami M. Dethamps, en 1835, dans la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur. Pour que nos débats aboutissent, il faut reconnaître que chez les hommes comme au sein des partis nous pouvons mettre à profit l'expérience. Nous pouvons reconnaître que sur cette question nous avons marché comme sur beaucoup d'autres et, pour ma part, je n'ésite pas à le déclarer.

(page 340) Je suis en droit de demander à l'honorable M. Devaux s'il proclame, comme l'honorable M. Verhaegen, que la loi de 1842 est contraire au principe de l'indépendance du pouvoir civil. Voilà ma question. Elle est précise.

Si la loi de 1842 n'est pas contraire à l'indépendance du pouvoir civil, vous pouvez, sans généraliser le système, offrir au clergé, par la loi ou même par arrêté royal, certaines garanties qui lui permettent de donner son concours.

Dans cette négociation de 1850, dont je ne m'étais pas occupé l'autre jour, parce que je ne voulais pas prendre l'initiative d'un débat qui pût faire obstacle à la conciliation, il a été démontré à la dernière évidence qu'on n'avait rien offert ; lorsque le débat public eut lieu, à toutes les idées que nous suggérions, lorsque nous disions, par exemple : « Vous auriez pu appeler les délégués ecclésiastiques à émettre un simple avis, vous auriez pu leur donner le droit de faire partie du bureau administratif ou du conseil de perfectionnement » quelle a été l'invariable réponse du ministre de l'intérieur ? « Condition avilissante pour le pouvoir civil. » (Interruption.) Et si vous le niez, je lirai le Moniteur. C'est un peu long, mais je le lirai quand vous voudrez.

M. Rogier. - Lisez le passage.

M. Malou. - La négociation de cette époque a été entamée et poursuivie de telle manière qu'elle ne pût pas aboutir. Ce fait, messieurs, est acquis par la discussion de 1851, et je crois que l'on ne reviendra plus sur cet acte malheureux du ministère précédent.

Tout à l'heure, traduisant encore d'une singulière façon l'histoire contemporaine, connue de tous, on disait : La droite qui siégeait à la chambre de 1850 a été désavouée dans la pétition au sénat. Etrange manière d'interpréter les faits : la droite, composée alors de 25 membres, vote contre la loi ; après ce vote les évêques adressent une pétition au sénat contre la loi, et c'est là ce qu'on appelle désavouer la droite !

Je viens de dire que la droite était composée de 25 membres, et remarquez l'époque : c'est du 1er juin 1850 que datent vos revers électoraux.

Pourquoi ? Parce que dans cette loi se résumait la politique qui créait, entretenait, aggravait l'antagonisme entre le gouvernement et le clergé et que cette politique froissait tous les sentiments du pays.

La pensée du discours auquel je réponds est celle-ci : le clergé n'est pas de bonne foi dans les négociations ; vous ne pouvez pas aboutir ; les difficultés que l'on vous jette sont des mots ; la difficulté réelle c'est une idée d'influence, de concurrence, on n'a pas prononcé le mot, mais il est au fond du discours de l'honorable M. Devaux ; qu'on me permette de le prononcer, c'est une idée de boutique.

Messieurs, lorsqu'on entreprend une négociation ou lorsqu'on la conseille en disant qu'elle n'aboutira pas, on est à peu près certain qu'en effet elle n'aboutira pas.

Dans un autre ordre de faits, nous en avons un exemple qui date de l'année 1852, je veux parler de la conduite du cabinet précédent dans les négociations douanières avec un pays voisin.

Ici l'on prend exactement la même position, l'on dit : Le clergé vous parle d'homogénéité de l'enseignement, de collèges mixtes ; il vous parle de quelques difficultés secondaires, par exemple, du titre d'autorité ; mais sa pensée n'est pas là : il craint de nuire à ses établissements, il ne viendra dans les vôtres à aucun prix.

Messieurs, c'est méconnaître tous les faits. Encore une fois, c'est rendre impossible le succès de la négociation qu'en paroles on paraît désirer.

Je dis que c'est dénaturer les faits ; et dans les faits contemporains nous en trouvons la preuve. A-t-on oublié que de 1830 à 1842 l'enseignement primaire n'avait pas été organisé par la loi ? A-t-on oublié que ce qui a existé d'enseignement primaire, dans cet intervalle, n'existait guère que par la force, par l'initiative du clergé ?

Si cette mesquine pensée l'avait préoccupé, n'aurait-il pas pu alors, se plaçant au point de vue qu'on lui attribue si gratuitement et si injustement ; n'aurait-il pas pu dire : « J'aime mieux avoir mes écoles libres et lutter avec celles du gouvernement, » et lorsqu'il a détruit celle grande organisation, pour la fondre dans celle de l'Etat, vous venez lui prêter d'autres pensées. Sa mission est aussi grande, mais elle est plus pénible, parce qu'elle est plus dispendieuse dans l'enseignement moyen.

Je réponds donc par un fait à une accusation directe, gratuite qui, si elle était fondée, incriminerait le caractère de ceux auxquels elle est adressée. Si, en effet, pour l'enseignement, l'action du clergé était autre chose qu'une mission, un sacerdoce, nous serions les premiers à déclarer qu'elle est sans motifs ; mais il n'en est rien ; et si vous tombez dans une erreur si grande, c'est parce que vous vous placez toujours à ce point de vue antinational de la lutte avec le clergé, au lieu de chercher à faire concourir les grandes forces de la société, pour que de leur harmonie résulte le bien public.

Avons-nous dit, comme on l'affirme, que le ministère devait à tout prix obtenir le concours du clergé, qu'il devait au besoin se livrer pieds et poings liés ? L'avons-nous jamais dit ? L'honorable membre, après avoir produit cette accusation, rappelle lui-même que dans le projet de loi présenté par le ministère homogène de 1846, nous avions expressément écrit que si le concours du clergé était refusé par des motifs que le gouvernement reconnaîtrait ne pas être fondés, l'établissement serait maintenu.

L'avons-nous dit dans la discussion ? Nous avons toujours demandé et nous demandons encore en ce moment (ce que vous voulez comme nous, dites-vous) ; que le gouvernement, non pas avec l'idée de ne point réussir, mais avec l'espoir de réussir, rouvre les négociations, afin que ce grand mal cesse ; car, messieurs, quoi que vous disiez, quoi que vous fassiez, c'est un grand mal, dans un pays religieux, de voir l'enseignement de l'Etat donne sans l'intervention de l'autorité religieuse.

C'est un grand mal, et lorsque vous me citez le nombre de vos élèves, ne pourrai-je pas répondre que beaucoup de pères de famille ont continué leur confiance aux établissements de l'Etat, parce que vous avez réussi à entretenir l'espoir que les difficultés avec le clergé disparaîtraient ? N'est-ce pas cet espoir qui a soutenu ces établissements ? Je crois être l'interprète de la pensée de tous, en déclarant que tous veulent l'unité dans l'enseignement et que l'influence religieuse ne soit pas séparée de l'instruction proprement dite.

Avons-nous davantage nié d'une manière absolue l'intervention de l'Etat ? J'ai dit, au contraire, non seulement aujourd'hui, mais par des actes posés antérieurement, que nous admettions l'enseignement de l'Etat d'abord pour suppléer à tous les degrés, à toutes les lacunes que laisserait la liberté, en second lieu pour fournir un moyen de progrès par l'émulation.

Mais je combats l'enseignement donné par antagonisme pour le plaisir de le donner, sans nécessité ou même sans utilité ; je combats les dépenses exagérées, inutiles pour la lutte stérile, dépenses qui sont illégitimes et que nous n'avons pas le droit de voter. Ainsi quand vous décrétez partout des écoles moyennes, et que vous devez exercer une espèce de presse pour y avoir des élèves - il y a des localités où cela a eu lieu - je dis que, dans ce cas, l'enseignement de l'Etat est une chose illégitime. Tel est, à mon sens, la véritable question qu'il faut traiter.

Le clergé a laissé des lacunes, dit-on ; il y a certains âges, certaines classes de la société qui ne reçoivent pas suffisamment l'enseignement religieux. Je l'admets un instant : le clergé n'a pas pu tout faire ; il y a des lacunes dans l'enseignement de certaines classes de la société. Mais supposez qu'au lieu de créer partout sans motifs l'antagonisme entre les deux forces, vous eussiez amené le concours, qu'arriverait-il ? Vous auriez immédiatement donné à l'influence religieuse, à l'action du clergé le moyen de rendre, sur un autre terrain, de nouveaux services à la société. Ce serait là, je n'hésite pas à le dire, un très grand résultat, indirectement obtenu, par le concours du clergé, dans les établissements de l'Etat.

On nous demande sans cesse : Quelles garanties voulez-vous ? Nous répondons : Vous n'en avez offert aucune ; demandez, négociez ; ne négociez plus par écrit ; n'échangez plus de lettres ; arrivez à ce résultat auquel sont arrivés le conseil communal et l'honorable bourgmestre de Bruxelles. Il y a là, paraît-il, un grand mystère ; il y a des choses qui se sont passées à huis clos ; il n'y a rien d'écrit ; on ne sait ce que c'est.

Eh bien, tout le monde sait que l'honorable M. de Brouckere et le conseil communal de Bruxelles, à l'unanimité, ont établi le concours pour les écoles moyennes de la capitale. C'est un très grand fait. On ne dira pas, sans doute, que la droite a inspiré le conseil communal de Bruxelles et l'honorable M. de Brouckere ; le résultat obtenu dans des conditions telles a donc une haute et incontestable signification.

Nous vous demandons, en conséquence, de vous arranger de manière, non pas à prolonger l'antagonisme, mais à le faire cesser. Il n'y a, je pense, rien d'exagéré dans une telle prétention.

Messieurs, je ne veux pas prolonger davantage le débat. Je tenais à établir quelle a été notre pensée à toutes les époques ; je tenais à justifier l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, des accusations de l'honorable député de Bruges et à montrer de nouveau que sincèrement nous avons toujours voulu l'enseignement de l'Etat dans une juste mesure, et surtout cet enseignement donné conformément aux vrais sentiments du pays.

Messieurs, on dit que nous sommes divisés sur ce point ; on voit des divisions partout ; l'honorable membre est sans doute le confident des évèques, car il connaît des divisions jusque dans le conseil des évêques, et il vient en parler à cette tribune. Eh bien, je vais vous dire sur quoi, sur ces bancs comme dans le pays, car les sentiments du pays sont conformes aux nôtres, je vais vous dire sur quoi nous sommes unis.

Nous sommes unis pour vouloir que la Belgique se consolide, se fortifie ; nous sommes unis pour vouloir la paix intérieure, dans l'ordre des intérêts moraux ; nous sommes unis pour vouloir que le gouvernement cesse de dire : « Le clergé, c'est mon ennemi, c'est mon adversaire du moins. »

Voilà pourquoi nous sommes unis. Nous sommes unis encore pour vouloir que l'enseignement par l'Etat réponde, avant tout, aux sentiments de la Belgique qui est catholique, qui veut rester catholique parce qu'elle veut rester nation.

M. Lebeau. - Je regrette plus que personne les proportions qu'a prises le débat actuel. Quelles que soient les lumières qu'il ait fait jaillir sur une question, que je mets au premier rang de nos questions politiques, je regrette que cette discussion soit née en ce moment.

Nous avons le bonheur de vivre sous une forme de gouvernement qui est en ce moment l'objet de vives attaques. C'est assez dire que ce gouvernement, pour première réponse à ces attaques, doit montrer, plus que jamais, dans l'usage du mécanisme qu'il met en mouvement, plus de tempérance, plus de sobriété, plus de modération que jamais.

(page 341) Par une étendue inusitée, et dont mes souvenirs ne me retracent point d'exemple, de nos discussions parlementaires depuis la reconstitution du cabinet ; par l'aigreur, l'acrimonie, la violence qui régnent dans les discours de quelques-uns de ceux qui prennent part à nos débats, au moment même où ils font les plus chaleureux appels à l'union, je suis amené à me demander si depuis huit jours nous ne donnons pas de nouveaux arguments aux adversaires du gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre. Chaque jour, tout autour de nous, j'entends parler de la loquace stérilité du régime sous lequel nous a placés la Constitution, de l'ardeur de plus en plus vive qui règne dans la lutte des opinions diverses.

Nous avons l'air de croire que rien de semblable ne se passe autour de nous et que nous pouvons impunément forcer en quelque sorte les ressorts du régime constitutionnel.

J'aurais donc voulu garder le silence. Mais il m'est impossible de le faire en présence des accusations qui viennent encore d'être dirigées contre une grande partie de cette chambre et du pays.

On a dit que le système de mes amis politiques conduisait à cette maxime que l'Etat est athée. Non, messieurs, nous n'avons jamais proféré cette détestable maxime, professé cette monstrueuse hérésie. Non, l'Etat n'est point athée. Mais ce que nous avons dit souvent, ce que nous pouvons redire, c'est que l'Etat n'est ni catholique, ni protestant, ni israélite ; qu'il est laïque. Et s'il cessait de l'être, il violerait ouvertement les principes de la Constitution et, parmi ces principes, la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté religieuse.

On a été jusqu'à dire que la loi de juin 1850, telle que nous l'entendions, est une loi athée ; et presque au frontispice de cette loi, nous lisons, alors qu'aucun amendement n'était encore venu en modifier les dispositions, que le clergé serait invité à venir donner l'enseignement religieux dans les athénées. Cela était écrit dans la loi au moment où le projet a été apporté dans cette enceinte. Je demande, en présence des explications données par mon honorable ami, le député de Bruges, si les motifs qui avaient porté le gouvernement à ne pas inscrire dans la loi un commandement au clergé, se bornant à y insérer une invitation, n'étaient pas dictés par un sentiment de respect pour l'indépendance du clergé.

Comment est-il donc possible qu'on revienne encore sur ces qualifications outrageantes données à l'esprit dans lequel a été proposé et soutenu le projet de loi adopté en 1850 ? De toutes parts vous entendez parler d'une transaction, d'un rapprochement désirable entre le clergé et l'Etat sur l'exécution de la loi. Et par quelles paroles veut-on faciliter la voie à cette transaction, qui suppose le désir de voir aboutir à l'exécution de la loi, qui suppose dès lors le maintien intact de la loi ? C'est en s'exprimant, comme l'a fait l'honorable M. de Mérode, dont les paroles emportent l'idée qu'à ses yeux cette loi est détestable dans son principe ; qu'elle est mauvaise depuis le premier article jusqu'au dernier ; c'est en disant, comme l'honorable M. Osy, que si le gouvernement n'obtient pas le concours du clergé, il faut changer la loi ; peu importent les motifs du refus de ce concours ; car il ne les juge pas ; il déclare à l'avance que le refus de ce concours doit entraîner nécessairement le changement de la loi.

Voilà comment on arme le gouvernement dans les négociations qu'on le convie à rouvrir avec les membres du clergé.

L'honorable M. Dumortier, toujours sans doute pour faciliter les négociations que tout le monde semble demander au gouvernement, dit que notre loi chasse la religion de l'enseignement.

Je pense, comme je l'ai exposé à la chambre, il y a deux ans, que quels que soient les efforts du gouvernement, si l'on procède même avec les meilleures intentions, avec les dispositions loyales auxquelles j'ai rendu hommage alors, au nom de la section centrale ; si, dis-je, on procède de la même manière qu'on l'a fait en 1850, si l'on veut, en quelque sorte, rédiger une sorte de concordat formulé article par article ; si le clergé et le gouvernement ne peuvent, comme je le crains, s'entendre sur l'exécution de la loi d'enseignement moyen, je crois qu'on arrivera aux résultats que nous avons eu la triste mission, comme rapportieur de la section centrale, de venir constater devant la chambre.

Messieurs, il est un axiome que la prudence a depuis longtemps rendu proverbial, c'est que « scripta nocent, non scripta non nocent » ; c'est qu'il y a des choses qui, dans la pratique, avec des intentions conciliantes, à mesure que les difficultés surgissent, s'arrangent de commun accord, mais à propos desquelles il est difficile, sinon impossible, de poser à l'avance des principes absolus.

En voulez-vous un exemple ? Je vous citerai ce qui paraît avoir été fait à Bruxelles, l'espèce d'accord qui semble s’être établi entre l'autorité communale et l'archevêque. J'ai lieu de penser que cet accord consisterait principalement dans un échange d'explications verbales. Il n'y a rien, paraît-il, dans cet espèce d'arrangement qui ait un caractère officiel, et rien qui ressemble à un contrat synallagmatique. Je puis encore citer un fait qui vient à l'appui de l'opinion que j'exprimais il y a deux ans, et que la chambre partageait, j'en suis convaincu. Il s'est élevé, pendant que j'étais ministre de la justice, entre la commission administrative des hôpitaux de Bruxelles et M. l'archevêque de Malines, un conflit sur le mode de nomination des membres du clergé aux fonctions d'aumônier dans les hôpitaux. La commission des hospices, si mes souvenirs sont fidèles, prétendait avoir le droit exclusif de nomination.

L'archevêque revendiquait le même droit de son côté. Je mis les parties en présence. L'archevêque voulut bien, à ma prière, se rendre dans mon cabinet où la commission se fit représenter. Il fut facile de faire comprendre à la commission des hospices qu'elle n'avait pas qualité, pour discerner l'aptitude d'un ministre du culte comme tel ; que dès lors la désignation devait appartenir à l'archevêque.

Mais il fut aussi reconnu qu'il appartenait exclusivement à la commission des hospices et par des considérations dont elle n'avait pas à rendre compte, de déclarer si elle admettait l'aumônier désigné, et si elle était disposée à lui allouer le traitement attaché à ces fonctions.

Savez-vous comment la difficulté fut résolue ? On convint que l'archevêque, informé qu'il y avait à pourvoir à une place d'aumônier, ferait savoir à la commission des hospices sur qui il jetait les yeux ; qu'on entendrait les représentations officieuses de la commission, et que la nomination ne serait faite que lorsqu'il y aurait certitude que l'aumonier serait admis.

Depuis lors, je pense, sans pouvoir l'affirmer, les faits remontant à près de vingt ans, qu'aucun conflit de cette nature ne s'est plus présenté aux hospices de Bruxelles.

J'ai cité ce fait, non comme un précédent applicable à la question qui nous occupe et qui est régie par d'autres principes, mais comme un exemple de ce que l'on peut obtenir d'un échange de bons rapports officieusement établi et qui n'aliène la liberté d'action de personne.

Messieurs, c'est ainsi que quand on entre dans les faits, dans la pratique, des difficultés qui a priori effrayent les esprits, s'évanouissent comme de véritables fantômes. Nous avons encore de cela un exemple récent. Quand, après avoir essayé de toutes les combinaisons et les avoir trouvées toutes mauvaises, on a abandonné au gouvernement, sans aucune condition, la nomination des membres du jury d'examen ; on a été effrayé du pouvoir immense qu'on lui avait donné.

Qu'est-il arrivé ? Que le gouvernement a agi avec équité, par cela seul qu'il est responsable et qu'il est comptable de ses actes, non seulement envers la majorité mais aussi envers la minorité, et qu'il n'y a pas de majorité, si complaisante qu'elle pourrait être, qui puisse refuser d'admettre les accusations de la minorité, qui seraient fondées sur la justice et sur l'oubli des devoirs du gouvernement.

Si je ne me trompe, tout le monde a reconnu, l'université de Louvain elle-même, que l'exéculion de la loi n'avait justifié aucune des craintes que sa promulgation avait fait concevoir. Il en est de même de quelques-unes des appréhensions de M. l'archevêque, et des autres chefs diocésains, quand ils exprimaient les craintes les plus vives sur la manière dont s'exécuterait une autre partie de la loi sur l'enseignement moyen.

Mon honorable ami, M. Devaux a déjà fait remarquer que la pratique avait fait évanouir les craintes dont les évêques avaient été assiégés sur deux points très importants : sur le mélange de protestants, de dissidents avec des catholiques dans le même local, sur la facilité d'exercer respectivement une sorte de prosélytisme contraire au vœu, à l'esprit de la loi.

Vous avez pu voir, par l'initiative qu'ont prise les ministres protestants, en tous cas par les mesures qu'avait indiquées le ministre de l'intérieur, qu'en fait ce grief ne pouvait plus se produire. Une autre crainte avait assailli l'esprit de l'épiscopat ; elle éclate dans chacune des lettres échangées entre le ministre de l'intérieur et l'archevêque : c'est la crainte qu'après avoir prêté son concours aux établissementsde l'Etat, si ce concours était retiré, l’enseignement religieux ne fût donné par des laïques.

C'était là une des craintes les plus vives qui préoccupaient les évêques.

C'est encore le cas de répéter l'adage si prudent : « scripta nocent, non scripta non nocent ». Il était impossible, constitutionnellement parlant, que le gouvernement reconnût les professeurs laïques complètement inaptes à enseigner le catéchisme ou à faire aux élèves quelques lectures dans un des livres d'enseignement religieux dont le clergé se sert dans ses établissements.

Il ne peut pas le reconnaître sans se mettre à la merci de la partie avec laquelle il veut contracter, mais en réalité, il ne peut pas le faire, il ne l'a pas fait.

Vous voyez comment, en apportant de la bonne foi dans la pratique des affaires, on arrive plus facilement à une conciliation que lorsqu'on veut tout prévenir, tout écrire.

Je crois donc, après y avoir réfléchi de nouveau, que M. le ministre de l'intérieur fera bien de prendre en sérieuse considération l'opinion que j'émets ici, que des communications verbales, officieuses, de nature à laisser à chacun sa liberté d'action, à réserver l'avenir, doivent faire plus pour s'entendre avec MM. les évêques qu'une sorte de contrat sur le sens duquel chaque jour des contestations peuvent s'élever.

J'ai déjà fait remarquer que l'épiscopat est armé d'une force avec laquelle le gouvernement devra toujours compter : c'est son indépendance, la menace de se retirer s'il n'est fait droit à ses réclamations.

Rèpondrai-je après cela à des assertions, à des exagérations auxquelles on a déjà répondu dans vingt circonstances différentes, que le gouvernement a obtenu par la loi du 1er juin 1850 un véritable monopole à l'aide duquel il peut rendre illusoire la liberté de l'enseignement ?

L'on vous dit cela d'une loi qui, si vous la rapprochez des projets présentés par les honorables MM. Van de Weyer, Malou, Dechamps et plus tard par l'honorable M. de Theux lui-même, en diffère très peu. Tous ces projets ne consacraient-ils pas l'existence des dix athénées royaux qui a été consacrée par la loi de 1850 ? Vous y voyez aussi que les écoles moyennes ne sont en grande partie qu'une transformation des écoles primaires supérieures, et que le nombre des écoles constituées en plus est tellement (page 342) minime qu'il serait vraiment ridicule d'y voir la constitution d'un véritable monopole destiné à écraser les écoles libres. J'ai d'ailleurs bien de la peine à concilier cette accusation de monopole organisé par la loi de 1850 avec ce qu'on est venu nous dire, ce que vous savez du reste, que depuis la loi de 1850, les établissements libres étaient plutôt en voie de prospérité qu'en voie de décadence.

On a beaucoup parlé de l'homogénéité de l'enseignement désirable dans les établissements d'enseignement public.

L'homogénéité de l'enseignement est désirable dans tous les établissements d'instruction. Il serait insensé de ne pas rechercher consciencieusement tous les moyens d'empêcher qu'un professeur ne vînt directement ou indirectement détruire l'ouvrage d'un autre professeur. Ce serait absurde, insensé, plus encore que coupable. L'homogénité est donc désirable. Je m'en suis expliqué avec franchise dans une autre occasion. La difficulté n'est pas sur le principe ; elle est dans les moyens.

Vous connaissez les vues qu'on a laissé supposer à l'occasion de cette homogénéité. Je n'incrimine pas les intentions que l'on a manifestées dans les négociations entamées de part et d'autre, j'en suis convaincu, avec les meilleures intentions. Mais, si j'ai bien compris la pensée du clergé, révélée dans une correspondance que j'ai consciencieusement étudiée, il est arrivé à des exigences, qui, selon moi, sont de tout point inacceptables par le gouvernement ; qui seraient son abdication, son humiliation. Si j'étais ministre, je déclare qu'il me serait impossible de souscrire aux prétentions que l'épiscopat a plutôt laissé deviner qu'il ne les a exprimées formellement ; car, lorsque nous demandons à l'épiscopat de préciser les moyens par lesquels il veut obtenir cette homogénéité d'enseignement dans les établissements de l'Etat, il est impossible d'obtenir une réponse précise et catégorique.

Dans cette situation on voudra bien reconnaître que le gouvernement esl allé jusqu'à la limite de ses droits et de ses devoirs. Un honorable député a dit tout à l'heure (et il l'avait dit avec raison dans une séance précédente) : Pas de Belgique, sans religion ! J'irai plus loin ; dans mon opinion consciencieuse, pas de société sans religion. Ce n'est pas seulement la Belgique qui est soumise à cette condition. Je ne connais pas d'Etat où l’irreligion, l'athéisme puissent être enseignés et pratiquer sans faire arriver ce pays à une effroyable dissolution.

Je ne suis donc pas l'ennemi de la religion ; et sans donner à personne le droit de lire dans ma conscience, ce dont je ne dois rendre compte qu'à Dieu, et parlant ici dans la seule qualité que je puisse prendre, en homme politique, je déplorerais, comme un signe inévitable de décadence pour mon pays, l'affaiblissement, l'anéantissement des sentiments religieux. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je professe cette opinion.

Mais prenons-y garde. Il y a divers moyens de saper les fondements de la religion, d'ébranler les croyances religieuses, et plus d'un exemple le prouve. Je n'en citerai qu'un, bien mémorable, il est vrai ; il est arrivé alors ce qui arrivera toujours en pareil cas.

Lorsque la religion ne veut plus s'imposer aux consciences par le seul effet de la discussion, de l'évidence, de la lumière ; lorsque la religion vient chercher dans son alliance avec le pouvoir un auxiliaire qui l'a toujours compromise ou perdue, c'est alors qu'il faut trembler pour elle.

Prenons-y garde, messieurs, ils ne sont pas encore bien loin de nous ces temps de la restauration française, où l'on voulait faire pénétrer dans les cœurs les sentiments religieux par l'influence politique.

Vous savez quel a été l'effet de cette alliance dangereuse entre la religion et le pouvoir : la résurrection du voltairianisme, les éditions à bon marché des ouvrages philosophiques du XVIIIème siècle, les chansons de Béranger, dont chacune était un événement, dont quelques-unes paraissaient à certains égards, comme un scandale ; et enfin, messieurs, la catastrophe que vous connaissez.

Que cela nous serve d'enseignement. Songez-y bien : moins la religion cherchera à emprunter le secours des lois, le secours du pouvoir pour s'imposer aux consciences, plus son triomphe sur les âmes sera certain, inévitable.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Rogier. - Ces débats ont déjà été peut-être trop longs ; j'aurais seulement voulu répondre quelques mots à une accusation qui a été répétée aujourd'hui encore. Cependant si la chambre désire clore, je renoncerai à la parole.

- La discussion est close.

Article 76

« Art. 76. Dotation des athénées royaux (article, paragraphe 2, de la même loi) : fr. 300,000. »


M. le président. - Demain la chambre assistera en corps au Te Deum. Je propose de fixer la séance à 2 heures.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.