(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 132) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Des habitants de Wintham demandent une loi qui autorise les électeurs à voter dans la commune de leur résidence et prient la chambre de diviser le pays en autant de districts électoraux qu'il y a de représentants à nommer. »
- Renvoi à la commission des pélitions.
« Plusieurs habitants de Gand demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.
« Des habitants de Louvain prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.
« Le sieur Mueseler, aspirant des mines, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des frais de route et de séjour qu'il aurait dû faire de 1834 à 1836, et le payement des termes arriérés de son traitement. »
-Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Honnoré, ancien vérificateur des douanes, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir les arriérés d'une pension qui lui a été accordée par décret impérial du 3 décembre 1813, et demande que le ministre des finances soit invité à donner des explications sur cette affaire. »
- Même renvoi.
M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi concernant l'interprétation de l'article 18 de la loi du 12 mars 1818 sur l'art de guérir.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur vient de me faire remarquer qu'à l'article 69 (matériel des universités), se trouve comprise une somme de 475 fr. qui devrait figurer à l'article 68 (traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat).
M. le ministre de l'intérieur demande le transfert de la somme de 475 fr. de l'article 69 à l'article 68.
- La chambre décide que ce transfert aura lieu.
M. de La Coste. - La discussion a déjà été longue. Elle est d'une nature irritante. D'un autre côté, la déclaration par laquelle M. le ministre de l'intérieur a ouvert la séance dernière, relativement à l'instruction primaire, me paraît plus explicite, plus complète que celle qui avait été recueillie par la section centrale. Elle me semble devoir entièrement nous satisfaire. Je dirai même que sous le rapport de l'enseignement moyen, les paroles de M. le ministre de l'intérieur ont fait faire un grand pas à la discussion. En effet, M. le ministre de l'intérieur reconnaît ce qui avait été contesté, et c'est là l'origine du débat. M. le ministre de l'intérieur reconnaît formellement que le principe de la loi de 1842 ne porte pas atteinte à l'indépendance du pouvoir civil, qu'il n'est pas attentatoire à la liberté des cultes et à je ne sais combien d'articles de la Constitution.
Dès lors, le gouvernement et la chambre sont parfaitement libres de faire pénétrer l'esprit de la loi de 1842, autant que la nature des choses le comporte, dans l'applicalion de la loi de 1850, dans la matière de l'enseignement moyen en général. Je me flatte que M. le ministre de l'intérieur ne se laissera pas renfermer dans un cercle d'impuissance marqué par les écueils où d'autre sont venus échouer. C'est une nouvelle épreuve que la loi de 1850 va subir. J'espère qu'après avoir semé tant de divisions, elle cessera enfin d'agiter les esprits. Je ne voudrais pas, pour ma part, laisser tomber une seule parole qui pût éloigner d'un but si désirable.
Je réserve pour une autre occasion, qui pourra se présenter bientôt, la plupart des observations que je voulais avoir l'honneur de vous soumettre.
Je me bornerai, en terminant, à une seule : il s'agit d'un accord entre deux autorités d'un ordre différent, mais indépendantes chacune dans leur sphère légitime. L'une de ces autorités est soumise à notre contrôle, parce que nous en faisons nous-mêmes partie. L'autre, dans sa propre sphère, dans la sphère des intérêts religieux, est elle-même le juge de ce que ceux-ci réclament et permettent. C'est là la première notion de la tolérance.
M. de Mérode. - Messieurs, si la loi sur l'enseignement moyen ressemblait à certaines fautes depuis longtemps commises et sans remède, je n'en dirais rien aujourd'hui, les occasions de débats nouveaux se présentant toujours assez fréquemment pour occuper des sessions parlementaires renfermées dans de sages limites.
Mais un acte législatif dont les effets agissent chaque année sur la jeunesse formée, bien ou mal, selon ses prescriptions et, de plus, aussi sur la situation du trésor par des frais susceptibles d'exagération considérables, et qui peuvent avoir de nuisibles conséquences, ne saurait échapper au contrôle d'une discussion annuelle du budget.
Je me crois donc contraint, par un devoir permanent, de rappeler, quand l'occasion s'en prétente, que l'Etat, exclusivement personnifié dans un ministre quel qu'il soit, est incapable de diriger moralement une foule de collèges créés aux dépens du pays et dont la plus grande partie des familles n'ose pas se servir. Je suis contraint de redire hautement à mes concitoyens que de tels établissements sont dangereux pour leurs enfants, danpereux pour la société tout entière, et qu'ils la mènent à la ruine de l'ordre et de la liberté.
Pour l'affirmer, messieurs, je n'ai besoin d'autre preuve que les événements accomplis à côté de nous.
Les anciens Belges de toutes les classes ont toujours été profondément attachés aux garanties qui les préservaient de l'omnipotence despotique. Les siècles passaient sur ces garanties libérales, les froissaient çà et là dans leur cours sans user le sentiment populaire, indomptable à leur égard.
Aussi la nation d'alors ne copiait pas imprudemment les inventions du voisin ; elle voyait sans envie le philosophisme antichrétien préparer en France les sanglantes orgies de la fin du XVIIIème siècle.
Malheureusement, depuis lors, la Belgique a subi la conquête et l'affaiblissement de ses propres convictions, tellement profondes, en 1794, que le peuple belge repoussait en masse la licence effroyable vers lesquelles il était poussé par le conquérant.
Malgré l'altéralion inévitable des mœurs chrétiennes que devait produire la domination prolongée d'un régime qui leur était contraire, en 1830 encore, un Congrès national élu sans aucune pression administrative cherchait à assurer de son mieux le plus complet développement de l'enseignement libre, enseignement que le père de famille belge abandonné à lui-même fait presque toujours servir à l'éducation religieuse.
Le Congrès avait eu soin de n'attribuer au pouvoir royal aucun droit d'élever la jeunesse et déclarait, par un article de la Constitution, que tout enseignement payé par les deniers publics serait réglé par la loi. Jamais il n'eût été possible de lui persuader d'organiser une éducation livrée au pouvoir ministériel et pire que celle que donnait l'Université de France, qui, gardant au moins certaines formes, ne passait pas la religion sous silence pour lui substituer la gymnastique obligatoire.
Les choses ont changé ; les Belges, aux yeux de la loi de 1850 sur l'enseignement moyen, sont censés n'être plus catholiques. L'éducation soldée par les deniers publics est réservée à ceux qui n'ont d'autre souci que la science humaine.
Sous le prétexte d'une indépendance absolue de l'ordre spirituel si mal attribuée au pouvoir civil sur un objet tout différent des affaires purement civiles, le ministre de la nouvelle création universitaire est établi pontife suprême de l'éducation moyenne payée par le trésor de l'Etat.
En vain, a-t-on dit, conformément à l'évidence des faits : « Le contribuable qui paye les impôts est généralement catholique en Belgique, organisez pour lui vos collèges. » On a répliqué obstinément : « Nous faisons nos collèges pour le contribuable, être abstrait ou exceptionnel du moins, qui n'a besoin pour son fils que de science humaine et de gymnastique. Si le catholique n'en est pas content, qu'il paye un autre enseignement. »
Quant à moi, je protesterai jusqu'à mon dernier jour contre ce désordre par lequel l'Eglise est sans influence dans l'éducation publique. Nos pères, chrétiens pieux, savaient garder leurs franchises, mais l'éducation contraire à leurs sentiments produira chez nous comme ailleurs des insouniis sans frein, puis des soumis sans réserve.
Je vous disais récemment à propos de l'action délétère d'une presse dépourvue de règle : « Quand vous serez gâtés, vous serez domptés. » Mais du moins ce n’est pas l'Etat qui fait les frais de cette corrption, il la souffre imprudemment, il ne l'organise pas lui-même.
Dans l'éducation moyenne, au contraire, il agit ici pour le mal en s'attribuant tout pouvoir sur les âmes, en écartant autant que possible l'action du pouvoir spirituel sur l'adolescence. L'exemple des princes du dernier siècle qui croyaient, en affaiblissant l'autorité religieuse, fortifier leur pouvoir politique, et qui l'ont si gravement compromis, l'exemple des classes supérieures de la même époque qui traitèrent avec insouciance le christianisme et portèrent la peine de leur légèreté (page 326) coupable ; l'exemple de la classe moyenne qui, pendant plusieurs années, en France, spécialement de 1815 à 1848, posséda la puissance et livra l'enseignement avec une folle obstination à tous les vents des doctrines les plus incohérentes ; l'exemple du naufrage de la liberté, résultat des tempêtes soulevées par le déchaînement des idées subversives propagées dans les écoles de l'Etat ; tous ces pénibles souvenirs ne sauraient être toujours oubliés en Belgique.
Aucun des articles de la Constitution belge ne livre imprudemment à l'incapacité du pouvoir civil l'instruction donnée aux frais de l'Etat et réglée, selon la mesure des besoins réels, par la loi.
Rien donc n'empêchait et n'empêcherait cette d'être loi établie et appliquée d'une manière conforme aux convenances morales et religieuses des familles et des familles les plus nombreuses particulièrement. Organiser dans la Belgique encore catholique en masse un enseignement public impropre à l'éducation catholique est une absurdité que la Constitution ne commande point. Rien ne s'oppose, ni légalement ni logiquement, à ce que les professeurs de chaque culte différent, en tant qu'ils existent dans le pays et selon leur importance relative, soient chargés dans des établissements distincts d'instruire, aux frais du trésor public, leurs coreligionnaires adolescents.
De la sorte, le désordre qui naît d'impulsions contradictoires replacerait pas nos évêques dans l'immobilité forcée lorsqu'il s'agit pour eux de prendre part à l'enseignement donné aux frais de l'Etat.
Un évêque a la charge la plus délicate en ce monde, celle qui regarde le rapport des âmes avec Dieu pendant leur vie présente et leur salut dans l'éternité. Si par de fausses complaisances, par des considérations humaines, il exposait en raison de son concours non suffisamment médité, légèrement accordé, ces intérêts si graves de la jeunesse, pendant laquelle l'homme reçoit des impressions presque décisives sur son avenir, il aurait beau jouir de l'approbation ministérielle et parlementaire, il lui manquerait l'approbation de sa conscience, l'approbation des laïques chrétiens instruits confiés à sa direction spirituelle, il lui manquerait le jugement favorable de celui par lequel tout existe et dont malheureusement les habiles du siècle s'occupent aussi peu que possible, quand ils n'y pensent point du tont.
Ils ne disent pas, en effet, comme les Juifs :« La loi de Moïse n'est pas encore remplacée par la loi nouvelle qu'annoncent nos écritures, elle est encore la loi vivante, la loi divine. » Ils ne disent pas, en effet, comme les musulmans : « Dieu est Dieu, et Mahomet est son prophète ! » ils disent : « Si personne n'arrange les choses de Dieu comme il nous plaît, en pays catholique, nous nous en passerons. Aux élus municipaux, aux parents qui craignent le régime exclusif dont nous savons appliquer les rigueurs, nous montrerons la clef d'argent par laquelle on ouvre le trésor qui dote l'enseignement scientifique sans boussole chrétienne, l'enseignement civil dans toute sa puissance isolée et fière d'un tel progrès. »
Messieurs, trois influences se présentent dans la question de l'enseignement : celle de la loi, celle du ministre, grand maître de l'université qu'elle a créée en Belgique, enfin celle de l'évêque destiné à lui donner une teinte religieuse.
Selon l'honorable ministre de l'intérieur actuel, la loi serait fondée sur de bons principes, le grand maître son prédécesseur aurait mis toute la bonne volonté possible afin d'obtenir de l'évêque le coloris catholique. Or, la conclusion à tirer de ces deux prémisses est que l'évêque n'a aucune raison de faire le difficile.
Ainsi, dans un démêlé où la loi religieuse et son organe sont en contact litigieux avec la loi humaine et son agent, la première des parties a tort, la seconde est infaillible, car, selon la théorie libéraliste, elle a seule le caractère d'autorité.
En attendant, quand on meurt, et l'on ne peut nier que ce ne soit pour longtemps, on trouve l'autorité civile bien caduque et l'on est forcé, bon gré mal gré, de ne s'inquiéter plus d'aucun pouvoir ou de recourir au pouvoir de l'Eglise, c'est-à-dire de la société spirituelle qui seule a quelque valeur aux yeux du mourant.
Cette courte observation ne doit pas me détourner maintenant du fait que je vais rappeler, et qui justifie pleinement l'épiscopal belge du tort que lui attribue l'honorable ministre de l'intérieur.
Je me souviens, messieurs, et je ne l'oublierai jamais, que le 20 avril 1850, un honorable député du Limbourg, aujourd'hui vice-président de cette chambre, cita dans un remarquable discours les paroles suivantes extraites du Moniteur et prononcées lors d'une distribution solennelle des prix, à Bruxelles, en présence du ministre, grand maître universitaire, qui présidait en personne la réunion officielle composée d'un grand nombre d'autorités, de parents et d'élèves de dix à vingt ans.
Voici ces paroles, telles que je les ai copiées, ce matin, moi-même, dans le Moniteur de 1849, page 2810, et sans en retrancher ou y ajouter une syllabe, selon ma coutume, car je cherche toujours l'exactitude et jamais je ne m'en écarte, mon but n'étant autre que de trouver la vérité.
C'est un des plus savants professeurs de l'Etat qni portait la parole et disait :
« N'exagérons pas les vices d'un siècle en travail d'un nouvel ordre de choses, confions-nous un peu à la Providence, elle n'a pas cessé de gouverner le monde. Le christianisme a été une reaction contre le caractère matériel du monde. Comme toute réaction, peut être a-t-il dépassé les limites du possible et imposé à l'homme un spiritualisme au-dessus de ses forces, un spiritualisme contre lequel semblent s'insurger les tendances modernes. Qui sait si la sagesse divine ne nous réserve pas à l'avenir un système plus équitable, et cela pour le plus grand bien de l'homme ? Nous y croyons, car nous avons foi dans la perfectibilité humaine, comme dans la bonté et la prescience de Dieu. »
Plus bas on trouve une phrase d'exhortation pieuse adressée aux élèves, en ces termes : Soyez religieux ; aimez et respectez vos parents !
Engager les élèves à être religieux, c'est sans doute un excellent conseil, mais religieux selon les principes et les dogmes de quelle religion ? Est-ce selon les principes et les dogmes du christianisme ? Non, car le christianisme a peut-être dépassé les limites du possible et imposé à l'homme un spiritualisme au-dessus de ses forces. De plus, qui sait si la sagesse divine ne nous réserve pas à l'avenir un système plus équitable ?
« Nous y croyons, » dit l'orateur de l'Etat. Il croit au système plus équitable, pour l'avenir, soit ; et pour le présent quel système faut-il adopter ? C'est ce que le prédicateur de l'Etat n'indique point. Quant au professeur de l'Eglise qui reçoit mission de l'évêque et non d'un grand maître universitaire libre de croire ce qu'il veut et de diriger les autres au hasard dans les voies religieuses, il dit à ses élèves que le christianisme est, non pas une réaction comme toutes les réactions, mais une révélation divine, une loi divine, par conséquent très équitable, malgré les règles sévères qu'elle impose à la conscience ; que dès lors la perfectibilité humaine ne découvrira rien de meilleur, et qu'en dehors du christianisme on ne peut avoir foi dans la perfectibilité des âmes, mais seulement dans celle des machines.
On pourra me dire que tel ou tel professeur de l'Etat, plus ou moins aventureux, n'empêche pas l'ensemble universitaire d'offrir toutes les garanties désirables aux évêques.
Mais j'écoute la réponse du grand maître à la citation du député du Limbourg, citation qui ne s'applique pas à une circonstance obscure, mais qui concerne une grande occasion de parade publique dans la capitale du royaume, au centre vital d'où part la direction des écoles de l'Etat, et voici ce que dit le grand maître :
« Je ne viens pas opposer des paroles sévères au discours de l'honorable préopinant. Nous ne pouvons pas traiter un professeur d'université comme un instituteur primaire. Il faut bien accorder une certaine indépendance d'esprit et d'expression à un professeur d'histoire. Vous comprendrez, messieurs, qu'il serait très dangereux, très inopportun de nous livrer dans cette enceinte à des discussions théologiques et philosophiques ; tout ce que je puis dire à cet égard, c'est que je puis répondre des excellentes intentions de l'honorable professeur dont a parlé l'honorable préopinant. »
Ainsi la position du grand maître universitaire pour l'Etat ne lui permet point de donner aux représentants des explications sur les doctrines théologiques et philosophiques de ses professeurs, il ne peut que certifier l'excellence de leurs intentions.
Après ce débat, si curieux, si plein d'enseignements pour quiconque veut comprendre la nature de l'éducation exclusivement dirigée par un ministre de l'intérieur, je disais le 27 avril 1850 : Que deviennent alors les accusations de mauvais vouloir lancées contre les évêques et leurs assistants, lorsqu'ils reculent devant le mélange de l'enseignement de la religion avec des leçons contraires à la religion ? Et j'ajoute maintenant :
Que deviennent aussi les exhortations qu'adressent les magistrats aux criminels condamnés à mort, comme celle qu'adressait, le 2 mars de la même année, le président de la cour d'assises d'Arras à un jeune élève en médecine, coupable d'assassinat en plein jour sur sa mère : « Prenez garde d'arriver à Dieu les mains rouges du sang de votre mère ; repentez-vous alin que le repentir vous sauve, vous purifie assez pour que vous puissiez aller retrouver dans un monde meilleur votre mère qui vous a déjà pardonné. »
Mais pour accepter cet avis salutaire, en pareille situation, il faut croire qu'il y a un Dieu-personne, non pas le Dieu-nature des panthéistes qui est tellement tout qu'il n'est plus rien, il faut croire à l'efficacité du repentir pour rentrer dans la grâce de ce Dieu-personne et distinct de la nature dont il est le créateur et le maître, il faut croire que l'âme ne finit pas avec le corps, par conséquent à la résurrection. Or toutes ces croyances, par quelle autorité l'Etat les inspirera-t-il, les fera-t-il adopter sincèrement, fermement ? a-t-il à cet égard une doctrine certaine et sur laquelle tous ses professeurs soient d'accord ?
Si le doute existe parmi eux, si des divergences graves les séparent, que penseront les jeunes gens sur le plus important des sujets qui puissent intéresser l'esprit soucieux de l'éternité ? Ils penseront que le plus simple et le plus facile est de ne pas s'en occuper ; ils se diront : La science humaine nous suffit, laissons la théologie aux rêveurs mystiques que la bureaucratie savante de l'Etat invite avec insouciance à venir nous enseigner au jour et à l'heure qu'elle fixe, sans que nous sachions si les membres de cet illustre aéropage croient eux-mêmes quelque peu à ce que nous apprend le professeur de religion.
Certes, les individus rebelles qui ont le plus besoin d'être contenus par la crainte de Dieu, ne seront pas redressés par la science, et si, après avoir reçu l'éducation religieusement vague de l'Etat, l'un d'eux commet un crime atroce et qu'il soit condamné au supplice, il pourra répliquer au président du tribunal : « Au nom de qui me parlez-vous de justice divine, de repentir efficace, de purification et de salut ? J'ai été élevé dans le scepticisme, je ne crois qu'au monde visible, seul domaine de (page 327) l'Etat, mon précepteur. J'y voulais des jouissances conformes à mes passions, on me refusait les moyens de m'y livrer à souhait : j'ai tué. Maintenant, pour assurer son ordre, à lui, l'Etat me fait monter sur l'échafaud par votre arrêt qu'exécutera le bourreau. Ne me donnez pas de leçons, il est trop tard ; le prêtre seul, dont la puissance civile a tant redouté l'influence sérieuse et principale dans mon éducation, pourra peut-être me réformer avant que je meure. Mais maudite soit cette puissance sans foi qui a prétendu m'instruire en souveraine et qui est maintenant incapable de me donner aucune consolation dans mon malheur ! »
De ce que j'ai dit, messieurs, ne concluez pas que je nourrisse quelque animosité soit à l'égard de tel professeur de l'Etat, soit envers son chef, grand maître présent ou passé.
J'ai l'aversion des contre-sens, et la loi de 1850 sur l'enseignement moyen est une absurdité contre nature qui ne produira jamais que le chaos moral d'où résultent infailliblement les chaos sociaux et politiques.
Maintenant si M. le ministre de l'intérieur parvient à surmonter toutes les difficultés que j'ai signalées, je lui en rendrai grâce ; je trouverai qu'il est bien plus habile que ses prédécesseurs et je reconnaîtrai par un hommage complet son savoir-faire.
M. Vilain XIIII (pour un fait personnel). - Je demande pardon à la chambre de me lever au milieu d'une discussion aussi sérieuse pour lui parler de moi ; mais le moment où l'interruption bienveillante de l'honorable M. Rogier s'est fait jour au milieu du discours de M. de Mérode, me force nécessairement à prendre la parole et à expliquer la modération et la conciliation dont il a bien voulu parler.
Je suis peut-être modéré et conciliant toutes les fois qu'il s'agit de questions de politique, de questions de personne, parce que je crois très profondément, et ceci n'est pas une précaution oratoire, parce que je crois que mes adversaires, ceux qui ne pensent pas comme moi sont de bonne foi ; par conséquent, je ne suis jamais irrité en les combattant. Mais toutes les fois qu'il s'agit de questions de philosophie ou de questions religieuses certaines, il m'est impossible d'accepter la qualification d'homme de modération et de conciliation ; personne, en ces matières, n'est moins conciliant que moi, personne de plus absolu.
M. Rogier. - Je n'ai pas du tout rattaché les mots de modération et de conciliation aux idées philosophiques. Mais l'honorable M. de Mérode avait annoncé qu'il voulait faire des citations empruntées au Moniteur, sans en retrancher un mot, une syllabe. Or, en entendant la citation, j'avais remarqué que l'honorable M. de Mérode avait retranché plusieurs mots au commencement de sa citation. Je me suis borné à rappeler que j'avais rendu hommage à l'esprit de conciliation et de modération de l'honorable M. Vilain XIIII. Voilà à quoi je me suis borné, et je n'ai pas voulu rattacher cette phrase aux systèmes philosophiques ou politiques. Je demande à M. de Mérode pourquoi il a retranché celle phrase.
M. de Mérode. - Je répondrai à la question qu'on me fait. On me demande pourquoi j'ai retranché une phrase. Je n'ai rien retranché du tout en ce qui concernait le raisonnement relatif à la matière dont je m'occupais. Je n'ai pas cité toute la discussion de la séance que je rap pelais, mais je me suis tenu strictement dans l'objet dont il était question et je ne devais pas aller au-delà.
M. Verhaegen. - La question qui s'agite en ce moment est grave, et j'entends lui conserver son caractère de gravité.
Depuis plusieurs jours, on cherche à nous entraîner dans une discussion irritante et passionnée ; on cherche à nous conduire sur le terrain glissant des personnalités, et je déclare tout d'abord que je ne suivrai pas mes adversaires sur ce terrain.
Je veux apporter dans ce débat beaucoup de modération et ne pas m'écarter des convenances parlementâmes ; mais ce n'est pas à dire que je veuille sacrifier mes convictions et ne pas dire ma pensée tout entière.
A entendre quelques honorables préopinants, nous aurions provoqué le débat et nous aurions à assumer toutes les conséquences de la discussion qui vient de s'engager.
Quant à moi, je ne recule jamais devant une responsabilité qui m'incombe, mais, qu'il me soit permis de le dire, le débat ne s'est engagé que parce qu'au sein de la section centrale un honorable membre de cette chambre, qui ne partage pas nos opinions, l'honorable M. Osy, s'est occupé de la question de l'enseignement moyen et de l'enseignement primaire et a fait insérer à cet égard une protestation dans le rapport. ; cette protestation a provoqué, de la part de notre honorable président, une réponse qui a été également insérée.
El quelle était mon intention en prenant la parole dans la séance de samedi dernier ? C'était de faire une déclaration en tous points conforme à celle qui avait été formulée par mon honorable ami M. Delfosse ; je n'en avais pas d'autre.
Mais le débat a pris des proportions bien plus grandes, on nous a entraînés sur un terrain qui pourrait devenir brûlant. Nous sommes dans le cas de légitime défense, et on nous permettra, dès lors, de ne pas laisser sans réponse les attaques dont nous avons été l'objet. Si nous gardions le silence, qu'arriverait-il, je ne dirai pas dans quelques années, car les événements se pressent, mais dans quelques mois peut être ? On argumenterait de ce silence et on viendrait vous dire : La loi de l'instruction primaire a été votée en 1842 à la presque unanimité ; deux membres seulement de la législature actuelle MM. Delfosse et Verhaegen avaient voté contre (M. Savart, qui n'est plus, était le troisième opposant} ; mais ces messieurs sont revenus à d'autres idées et il y a aujourd'hui unanimité pour la loi de 1842. C'est, messieurs, ce que nous avons voulu éviter, c'est par ce motif que notre honorable président a fait insérer dans le rapport de la section centrale une note en réponse à la note de M. Osy ; c'est aussi pour ce motif que j'ai pris la parole afin de faire une déclaration semblable à celle de mon honorable ami M. Delfosse.
Maintenant qu'est-il arrivé à la suite de ce premier débat ? Le gouvernement s'est expliqué par l'organe de l'honorable ministre de l'intérieur ; il a répété la déclaration qu'il avait faite dans le sein de la section centrale en réponse à une interpellation d'un membre de cette section, et je dois le dire en toute franchise, la déclaration de M. le ministre de l'intérieur est claire, nette, catégorique. C'est ainsi que je m'en expliquais dans mon premier discours ; c'est encore ainsi que je m'en explique aujourd'hui.
L'honorable M. Piercot a dû convenir qu'il y avait entre la loi de 1842 et la loi de 1850 une différence marquée quant aux principes ; nous sommes d'accord sur ce point, mais voici où commence le désaccord : d'après M. le ministre, la loi de 1842 doit rester debout, parce qu'elle aurait été votée à la presque unanimité des membres de la chambre d'alors, et parce que l'exécution qui y a été donnée depuis dix ans, n'aurait amené ni inconvénient ni conflit.
Qu'il soit permis de le dire : M. le ministre est dans l'erreur, lorsqu'il vient affirmer que l'exécution de la loi de 1842 n'a donné naissance à aucun inconvénient, à aucun conflit. Lisez le rapport triennal du gouvernement sur l'instruction primaire, publié en 1850, et vous y verrez un grand nombre de conflits, survenus par suite de froissements entre ce qu'on appelle bien à tort l'autorité religieuse et l'autorité civile. Vous y verrez ce que certains instituteurs primaires ont eu à souffrir, dans l'exercice de leurs fonctions, quelles vexations ils ont eu à subir par suite du pouvoir légal dont la loi de 1842 a armé le clergé. En dehors des faits signalés dans ce rapport, il en existe beaucoup d'autres : pour n'en citer que quelques-uns qui sont de notoriété, je vous dirai que, dans plus d'une commune rurale, des instituteurs primaires ont été menacés de destitution, par cela seul qu'ils fréquentaient des sociétés d'harmonie, qui n'étaient pas du goût du curé, par cela seul qu'ils étaient abonnés à des journaux qui n'étaient pas de la couleur du clergé. Si l'on osait dénier ces faits, je m'engage à en fournir la preuve.
Je m'abstiendrai d'entrer dans de plus longs détails pour ne pas jeter de l'irritation dans cette enceinte. Seulement qu'il me soit permis de vous citer à l'appui de mon assertion quelques paroles prononcées en 1849 par un honorable membre dont vous ne suspecterez pas la modération et à la conduite parlementaire duquel la droite est dans l'habitude de rendre hommage.
Une proposition avait été faite relativement à la révision de la loi de 1842. Comme vous le sentez fort bien, cetle proposition avait été vivement combattue ; elle l'avait été par toutes les raisons qu'on allègue aujourd'hui : « La loi était bonne, disait-on, elle était parfaite, elle avait répondu aux besoins de la situation, il n'y avait pas eu le moindre conflit dans l'exécution. » Or, voici ce que disait l'honorable membre auquel je fais allusion : « Mais notre proposition concerne aussi l'enseignement primaire. » (La première partie de la proposition concernait la présentation immédiate d'une loi sur l'enseignement moyen.)
« Mais notre proposition concerne aussi l'enseignement primaire. Or : il résulte des paroles de M. le ministre que le gouvernement n'est pas d'accord avec nous sur la nécessité de la révision de cette disposition législative, puisqu'il vient nous affirmer que la loi, bien appliquée, suffit aux besoins du pays.
« Eh bien, messieurs, loin qu'il en ait été ainsi, l'expérience a au contraire démontré que dans son application cette loi a donné lieu aux abus les plus graves. Elle a introduit la suprématie du clergé dans les écoles ; elle lui a conféré, vis-à-vis des instituteurs, une autorité qui les place sous sa dépendance presque absolue. Aujourd'hui il règne en maître dans les écoles primaires et l'inspection provinciale civile est véritablement effacée, elle n'existe plus que de nom.
« Messieurs, nous ne voulons pas exclure l'instruction religieuse de l’enseignement public, mais ce que nous repoussons, c'est l'intervention du clergé à titre d'autorité ; nous voulons qu'il vienne dans les écoles primaires comme il vient dans nos familles appelé par nos vœux et convié par nous.
« Mais nous nous opposons à ce qu'il arrive, la loi à la main, en vertu d'un droit légal dont il est si facile d'abuser.
« Si la religion n'était représentée que par des hommes parfaits, je concevrais que cette autorité qu'on revendique ne présentât aucun inconvénient ; mais, messieurs, les ministres du culte partagent les faiblesses de l'humanité ; de là, certain désir d'empiétement, qu'il est impossible de prévenir, sans restreindre le clergé dans les limites de ses fonctions spirituelles et lui dénier tout droit d'intervention forcée dans les écoles publiques.
« Le système religieux que vous préconisez aujourd'hui, vous avez voulu l'introduire sur un plan plus étendu. Vous avez voulu l'ériger au faîte du pouvoir et vous savez quels fruits il a produits.
« Voyez la correspondance de M. Nothomb avec les évêques, et dites-moi s'il est possible d'annihiler davantage la dignité du pouvoir civil. (page 328) C'est cependant à ce résultat qu'on arrive lorsqu'on admet une autorité religieuse érigée en autorité légale. »
Je vous dirai tantôt le nom de cet honorable membre.
Messieurs, si la loi a été votée en 1842, à la presque unanimité des membres de la chambre d'alors (et je me félicite toujours de ne pas avoir fait partie de la majorité), c'est qu'il était intervenu une sorte de transaction entre les libéraux et les catholiques, transaction qui pourrait bien un jour laisser des dupes.
Cette transaction, messieurs, est loyalement respectée par quelques-lins, mais non par tous les membres de la droite. Vous voyez, messieurs, que j'admets des exceptions : il y a, en effet, parmi nos adversaires politiques des hommes qui admettent franchement ce qui a été fait et qui le proclament ; mais parmi ces hommes ne figurent ni l'honorable M. Malou, ni l'honorable comte de Mérode.
Si la loi de 1842 a été votée à la presque unanimité, je le répète, c'est à la suite d'une transaction. On a dit : On peut être beaucoup plus facile pour l'admission du clergé dans les écoles, quand il s'agit de l'enseignement primaire, c'est-à-dire de l'éducation de l'enfance ; on peut admettre dans ce cas des principes qui ne seront jamais applicables lorsqu'il s'agira de l'enseignement moyen.
Mon ami l'honorable M. Devaux n'a voté pour la loi qu'à cette condition expresse, et le ministre d'alors, l'honorable M. Nothomb a ratifié ce qui avait été dit à cet égard. En d'autres termes il a été formellement entendu par le gouvernement que les principes admis dans la loi de l'enseignement primaire ne seraient pas un précédent pour la loi de l'enseignement moyen.
Et cependant vous avez entendu hier l'honorable M. Malou qui, après avoir critiqué la loi de 1850 dans les termes les plus amers, a fini par la traiter de loi de parti et par annoncer ses prochaines funérailles. L'honorable comte de Mérode en a fait davantage d'ns la séance de ce jour. Vous parlerai-je de l'honorable M. Osy ? Mais l'opinion qu'il a développée dans la séance de samedi et la note qu'il a fait insérer dans le rapport de la section centrale ne laissent aucun doute sur ses intentions.
Messieurs, en 1842, nous avons volé à trois contre la loi de l'enseignement primaire, notre conscience nous avait dicté ce vote, et vous voudrez bien respecter nos convictions comme nous respectons les vôtres. Nous n'étions que trois alors, mais il en était bien autrement déjà en 1849.
Je me rappelle certaine époque où, assis sur ces mêmes bancs, nous n'étions pas même trois ; et cependant les opinions que je professais alors ont fini par triompher, par avoir la majorité dans cette enceinte et par conduire le libéralisme au pouvoir. Ainsi se passent les choses dans ce monde : nous n'étions que 3 en 1842 pour voter contre la loi, et déjà, en 1849, il y avait une majorité pour demander la révision.
La section centrale qui avait examiné le budget de l'intérieur pour l'exercice 1849 avait, comme l'a fait remarquer notre honorable président, M. Delfosse, demandé, à l'unanimité, la révision. La discussion s'engagea sur ce rapport, et quatre membres de la législature d'alors formulèrent une proposition ainsi conçue :
« La chambre s'associe au vœu émis par la section centrale de voir le gouvernement présenter un projet de loi sur l'enseignement moyen et proposer le plus tôt possible la révision de la loi sur l'enseignement primaire. »
Plusieurs honorables membres prirent part à cette discussion, et celui dont je citais tantôt quelques paroles, et un discours dans lequel se trouve entre autres ceci :
« En résumé, il résulle des explications données par le ministère que le gouvernement ne veut pas s'engager à réviser la loi de l'enseignement primaire ; cependant, messieurs, les vœux unanimes réclament cette mesure que l'opinion libérale attend aussi avec la plus légitime impatience. Si le ministère s'obstine à méconnaître la voix de l'opinion publique, il m'est impossible de lui prêter ultérieurement mon concours en conséquence tant est aussi longtemps qu'il n'aura pas satisfait sur ce point aux justes exigences du pays je voterai contre lui dans toutes les questions de confiance qui pourront se présenter. »
Cet honorable membre, c'est M. Lelièvre.
La motion fut mise aux voix et dix-sept membres répondirent affirmativement, ce furent : MM. Cumont, Dautrebande, David, Debourdeaud'huy, Delfosse, Deliége, de Perceval, Destriveaux, Jouret, Jullien, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Moxhon, Pierre, Sinave et Ansiau.
Et moi qu'on présente comme le plus chaud partisan, le partisan quand même de la réforme, j'ai voté contre. Je professais à cette époque l'opinion que je professe aujourd'hui, et cela pourquoi ? Parce que d'après moi il était inopportun alors de s'occuper de la révision, comme je le crois encore inopportun dans le moment actuel.
Plusieurs de mes amis politiques partageaient ma manière de voir, en 1849, sur la question d'inopportunité ; cependant tous comme moi voulaient la révision dans un temps plus ou moins éloigné ; comme moi, ils s'étaient contentés de la promesse faite par le gouvernement en réponse au vœu émis à l'unanimité par la section centrale, vœu qui n'avait été attaqué par personne.
En ajoutant les noms de tous ces honorables aux dix-sept noms des membres qui avaient voté pour la révision immédiate, on constaterait, je n'en doule pas, une majorité en faveur de la révision, et cependant encore une fois en 1842, trois membres seulement avaient voté contre la loi.
M. Lelièvre était allé jusqu'à annoncer qu'il voterait dans toutes les questions de confiance contre le gouvernement aussi longtemps que celui-ci ne proposerait pas un projet de révision. Mais que fera-t-il aujourd'hui ? Déclare-t-il la guerre au cabinet au sujet de la déclaration qu'il a faite ?
Messieurs, on parle toujours de cette union si nécessaire aux intérêts de la patrie ; on parle de l'union qui a amené les événements de 1830 ; quant à moi, je n'ai ni à attaquer ni à défendre cette union ; mais ce que je puis dire, c'est qu'on est bien loin aujourd'hui de ce qu'on appelait l'unionisme, principalement en matière d'instruction.
Les libéraux et les catholiques s'étaient unis en 1828 pour obtenir la réparation de certains griefs, surtout au sujet de l'enseignement. Que demandaient-ils aux états généraux ? Comment formulaient-ils leurs griefs aux états généraux des Pays-Bas ? Que demandaient, avant la révolution, les catholiques belges qui insistaient le plus vivement sur la liberté de l’enseignement ? Ils demandaient que le gouvernement n'eût pas le monopole, la direction exclusive de l’enseignement tout entier ; que le père de famille ne fût pas forcé de mettre ses enfante dans les écoles du gouvernement ; en un mot, que des établissements particuliers pussent librement s'élever à côté des écoles fondées par le pouvoir.
Personne ne songeait à contester au gouvernement le droit d'avoir ses propres écoles et de les diriger. On en reconnaissait, on en proclamait l'utilité. Depuis la révolution, on a abandonné ces principes, on est devenu plus exigeant. Chaque année on a fait un pas en avant et aujourd'hui où en est-on arrivé ? Que demande-t-on ? On ose demander que l'autorité civile, soit gouvernement, soit administration provinciale ou communale, ne puisse nommer un seul professeur dans ses propres écoles que de l'assentiment du clergé.
On était parti de la liberté d'enseignement et on arriva à la dépendance absolue de l'enseignement, au monopole au profit du clergé sous le nom de liberté.
Messieurs, le cadre de mon discours ne me permet pas d'entrer dans tous ces détails ; lisez les documents de cette époque, mettez-les en rapport avec les documents d'aujourd'hui et vous aurez la conviction que je ne vais pas trop loin en m'expliquant ainsi ; et sans en faire l'objet d'une attaque directe, il faut bien reconnaître une chose, c'est que l'opinion catholique est très égoïste au point de vue de ses intérêts ; elle cherche, cette opinion, par tous les moyens qui sont en son pouvoir d'obtenir des concessions de ses adversaires, et quand elle les a obtenues elle en use largement sans en tenir dorénavant aucun compte, et il en est ainsi en toute chose, en matière de principes comme en matière d'administration.
Certes, on n'a pas eu à reprocher au cabinet précédent d'avoir apporté de la partialité dans son administration. Au contraire il y a eu de sa part beaucoup de modération, trop de modération peut-être, au point que quelques-uns de nos amis politiques se sont plaints souvent de certaines nominations. Eh bien, qu'en est-il résulté ? Il en est résulté que le cabinet précédent s'est fait beaucoup d'adversaires dans ses propres rangs et qu'il n'a trouvé aucun appui parmi ses adversaires ; et ceta arrivera toujours ainsi ; le même sort est réservé au cabinet actuel.
Le ministère ne touchera pas à la loi de 1842, il répond du présent, M. le ministre de l'intérieur l'a dit hier, mais il ne répond pas de l'avenir, et en cela il agit très sagement. En effet, le temps peut guérir bien des blessures, mais le temps peut amonceler bien des orages, et ce que l'on veut conserver aujourd'hui pourrait fort bien être démoli dans un temps plus ou moins éloigné.
Moi, je ne demande pas actuellement la révision de la loi de 1842, quoiqu'elle fût demandée par 17 de mes honorables collègues en 1849, j et j'ai dit franchement le pourquoi, c'est parce que j'aime mieux attendre que de compromettre un principe.
Me voilà donc parfaitement d'accord sur ce point avec M. le ministre de l'intérieur.
Je m'inquiète peu des reproches qu'on m'a adressés. A en croire certains de nos collègues, je serais un impie, uu homme sans religion, parce que je combats le système du clergé en matière d'enseignement. Je veux exclure l'enseignement religieux des écoles de l'Etat. Il n'en est rien, messieurs, on m'a fait dire des choses que je n'ai pas dites. On m'a supposé des intentions que je n'ai jamais eues. Je me crois tout aussi bon catholique qu'aucun de ceux qui m'attaquent, et cependant je n'ai pas un mot à retrancher d'aucun de mes discours ; je n'ai à renier aucun de mes actes.
Je suis catholique je le déclare hautement, mais je suis, avant tout, constitutionnel. Avec la liberté d'enseignement, je dois vouloir et vous devez vouloir, avec moi, la liberté des cultes ; non pas la liberté du culte du plus grand nombre, comme le disait hier l'honorable M. Malou, mais la liberté de tous les cultes.
M. Malou. - C'est ce que j'ai dit aussi.
M. Verhaegen. - C'est ce que vous n'avez pas dit. Je donnerai encore à cette idée quelque développement pour qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions ; mais, avant tont, j'aime à prendre itérativement acte des paroles de M. le ministre de l'intérieur, quant à la loi de 1850.
M. le ministre de l'intérieur, dans la séance d'hier, a déclaré de nouveau que le gouvernement ne toucherait pas à la loi du 1er juin 1850, que cette loi sera la règle à laquelle il conformera invariablement ses actes en matière d'enseignement. Je l'ai déjà dit, cette déclaration (page 329) claire, nette, non équivoque, me satisfait. J'ajouterai que j'ai foi dans les hommes qui, à leur avènement au pouvoir, ont franchement arboré le drapeau libéral ; que je ne crains pas, comme l'a insinué l'honorable M. Coomans dans une précédente séance, que l'avènement d'hommes nouveaux doive amener une politique nouvelle destinée à laisser des dupes sur les bancs de la droite ou de la gauche.
Je dirai enfin que je ne crois pas que des hommes sortis de nos rangs consentent jamais à substituer le fait au droit, c’est-à-dire à faire fléchir le texte d'une loi dans l'exécution qu'ils sont appelés à y donner.
Mais cette déclaration, comme vous l'avez entendu, ne satisfait pas nos honorables adversaires. Les honorables MM. Malou et de Mérode s'en sont clairement expliqués.
MM. Malou et de Mérode veulent positivement ce que veut en matière d'enseignement le clergé belge. Or, que veut le clergé ? On a beau le nier, on a beau tergiverser (on n'ose pas le dire ouvertement parce qu'on craint le jugement du pays), le but du clergé, c'est un monopole à l'enseignement tout entier, sous le nom de liberté, et c'est ce qu'a confessé un jour à cette tribune un honorable membre que nous regrettons tous, un homme dont j'ai toujours admiré la franchise, l'honorable abbé de Foere ; c'était à cette époque où je blâmais énergiquement l'intervention du clergé dans les élections. Je blâmais cette intervention, j'en conviens, dans des termes très amers, et que me répondait l'honorable abbé de Foere ? Il disait :
« Vous vous plaignez de l'intervention du clergé ; mais elle est nécessaire ; le clergé a un devoir à remplir ; c'est par les élections qu'il doit sauvegarder ses droits en matière d'enseignement. »
Et, poussant la franchise jusqu'au bout, il me dit en terminant : « Abandonnez au clergé le terrain de l'enseignement qui est son but, il vous abandonnera le terrain des élections. C'était par trop naïf. »
Le clergé veut donc le monopole de l'enseignement et le moyen pour arriver à ce monopole est double : D'abord, on cherche à faire disparaître l'enseignement de l’Etat, et ici, je le répète, on est bien loin de l'unionisme. Le discours de l'honorable M. Malou est un long plaidoyer contre l'enseignement donné aux frais de l'Etat, et ce plaidoyer se trouve confirmé par le discours que vous venez d'entendre de la part de l'honorable comte de Mérode.
Cependant l'honorable M. Malou oublie ce qu'il avait dit un instant auparavant, que l'Etat est entièrement libre dans ses établissements, que si le clergé refuse son intervention, l'Etat peut marcher sans lui, et quand il s'agit de mettre cette indépendance en pratique on emploie tous les moyens imaginables pour rendre cette indépendance illusoire.
Ainsi, d'un côté, l'Etat est très indépendani ; on lui dit : « Marchez en avant ; si le clergé vous refuse son concours, passez-vous-en. » Voilà qui est bien ; mais, lorsque l'Etat veut marcher, on l'arrête tout court, et on lui dit : « Vos écoles sont des écoles d'impiété ; les pères de famille ne peuvent vous confier l'éducation de leurs enfants, et c'est avec l'argent des contribuables catholiques que vous soutenez ces écoles dont les pères de famille ne veulent pas. » Voilà comme on agit à l'égard des écoles du gouvernement.
Et quand il s'agit de l'intervention du clergé pour donner l'instruction religieuse, on rend les conditions inacceptables ; l'honorable ministre vous l'a dit, on ne transige pas sur les principes.
Il est vrai qu'il a ajouté qu'il y a des choses qui tiennent à la confiance réciproque, à la garantie que la loi sera localement exécutée ; le gouvernement ajoute : Il faut que la paix se fasse, il ne faut pas qu'au nom des principes on jette la perturbation dans le pays.
Tout cela est bien ; mais le moyen d'aboutir ? Ne nous dissimulons pas la difficulté. Le clergé veut des garanties, non des garanties morales, mais des garanties légales ; ehl qu'on nous dise, s'il vous plaît, quelles seront ces garanties légales ?
Mon honorable ami M. Rogier demandait hier, à la fin de la séance, à ceux qui l'avaient interrompu : Quelles sont donc les garanties légales qu'on exige pour le clergé ? La question était nettement posée, l'interpellation était directe ; je répète l'interpellation : Quelles sont donc les garanties qu'on demande ?
M. Dumortier. - Vous avez la pétition du clergé.
M. Verhaegen. - Je ne m'inquiète pas de pétitions, je tiens à savoir positivement quelles sont les garanties qu'on demande ; il faut bien se mettre d'accord sur les faits avant de discuter.
M. Osy. - La ville de Bruxelles...
M. Verhaegen. - Je n'ai pas à m'occuper de ce qu'a fait Bruxelles, je ne m'occupe que de la question de principes, je n'ai pas examiné la question toute spéciale quant à la ville de Bruxelles, je ne suis pas député de Bruxelles, je suis le député de la nation. Je ne fais pas même partie de l'administration de la commune et je n'ai ni à blâmer-ni à approuver sa conduite.
Je reprends mon interpellation et je demande quelles sont les garanties légales qu'on exige au nom du clergé ? Je vous en prie, messieurs, ne tournez pas autour de la question, ne faites pas de phrases inutiles et entortillées ; dites ouvertement quelles sont les garanties légales que vous exigez ?
Il y a parmi nos adversaires des hommes plus ou moins ouverts, plus ou moins francs ; si nous nous en rapportons sus honorables MM. Malou et de Mérode, les exigences du clergé ne laissent aucun doute ; à entendre d'autres membres, il ne saurait pas ce qu'il veut ; mais ce n'est là qu'une vaine tactique. Ce qu'il veut, cela ressort de tout ce qui a été dit, écrit et fait sur la matière, les garanties légales qu'il exige sont son intervention dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres.
- Un membre. - C'est le contraire.
M. Verhaegen. - Si c'est le contraire, dites donc quelles sont les garanties légales que vous voulez ? Aussi longtemps que vous ne le direz pas, j'ai le droit de répéter que les garanties légales ne sont et ne peuvent être que l'intervention du clergé dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres. Aussi longtemps que vous ne voudrez pas répondre catégoriquement, j'aurai le droit de soutenir que telle est votre pensée.
D'ailleurs, messieurs, n'avez-vous pas dit tous que ce qu'il fallait c'était l’homogénéité dans l'enseignement.
M. de Mérode. - C'est l'absence de contradiction.
M. Verhaegen. - Ce qui veut dire que lorsqu'un membre du clergé chargé de l'enseignement de la religion se trouvera à côté de professeurs qui ne sont pas agréés par l'épiscopat, il y aura contradiction, défaut d'homogénéité.
Messieurs, veuillez-vous expliquer. Est-ce votre opinion à tous, ou bien est-ce une opinion isolée ? Il faut que nous sachions sur quel terrain nous marchons. Encore une fois, est-ce là ce que l'on veut, oui ou non ? Quant à moi, je n'y vois pas autre chose.
L'honorable M. de Mérode allait même un peu plus loin ; à la question d'enseignement au point de vue du clergé, il a mêlé la question, quant à cette presse qu'il appelle délétère. Si de pareilles idées pouvaient avoir de l'écho, voici ce qui arriverait indubitablement : comme on pourrait dire aussi que quelques pages des écrivains du dernier siècle ont semé plus d'incrédulité que ne le feront jamais tous les maîtres d'école et que le clergé seul est compétent pour connaître de l'orthodoxie de l'écrivain et des livres, on arriverait à la censure ecclésiastique ; de cette manière tout marcherait à merveille, tout serait parfaitement homogène. (Interruption.)
Messieurs, je ne prends pas cela au sérieux. Je réponds à quelques mots prononcés par l'honorable M. de Mérode.
M. Rodenbach. - C'est une plaisanterie.
M. Verhaegen. - Si M. de Mérode a plaisanté, ce n'est pas ma faute. Au reste, quelques-uns d'entre vous, messieurs, ne sont encore que dans les régions intermédiaires ; M. de Mérode est dans les extrêmes, et vous y arriverez avec lui sans vous en douter.
Maintenant, que le ministère mette tout en œuvre, qu'il argumente à perte de vue, il restera toujours certain que s'il ne donne pas au clergén soit par acte patent, soit par acte secret, soit directement, soit indirectement, l'assurance que les professeurs ne seront nommés que de son assenlimenl et qu'il aura le choix des livres, il n'obtiendra jamais son concours.
L'Etat, dit-on, ne peut pas être athée. Mais qu'est-ec à dire ? C'est là une abstraction, c'est de la métaphysique. L’Etat, en Belgique, n'a aucune religion (ce n'est pas une proposition hasardée, elle est écrite dans la Constitution), et c'est précisément parce que l'Etat n'a aucune religion que les oscillations politiques ne sont pas à craindre. L'Etat n'a et ne peut avoir de religion, car il n'y a pas, en Belgique, de religion dominante. C'est là, messieurs, la conséquence du contrat, de la transaction de 1831.
Qu'a-t-on dit encore ? On a dit qu'il n'y a en Belgique que seize mille dissidents d'après les uns, dix mille d'après les autres ; que la grande majorité étant catholique, il faut bien suivre la religion que donnent les pères de famille catholiques quant au système d'enseignement. Toutes ces raisons, messieurs, étaient bonnes à dira quand on a fait la Constitution ; je comprends qu'on aurait pu alléguer cela quand il s'agissait de fonder la nationalité belge, et si on l'avait fait on aurait avisé.
Mais on ne l'a pas fut, parce que la liberté des cultes a valu à l'opinion catholique beaucoup de concessions qu'elle n'aurait pas obtenues sans cela et dont elle a tiré si grand profit.
Aujourd'hui, l'on veut bien des concessions, des avantages ; mais on ne veut plus du corollaire que l'on considère comme un grave inconvénient.
Dans les pays où il y a une religion dominante, le clergé ne jouit pas des avantages dont jouit le clergé belge ; car, disons-le ouvertement, il n'y a pas de pays au monde où le clergé jouisse d'autant de liberté qu'en Belgique.
M. de Perceval. - C'est évident.
M. Verhaegen. - L'Etat n'a pas de religion, il ne peut pas en avoir ; mais aussi il ne peut être hostile à aucune religion, car s'il était hostile à une religion quelconque, il n'y aurait plus de liberté des cultes.
M. de Mérode. - J’ai expliqué tout cela.
M. Verhaegen. - Oui, à votre point de vue.
On nous a dit (c'est l'honorable M. Maiou) qu'en regard de chaque liberté il y a un droit pour quelqu'un. Je suis d'accord sur ce point avec l'honorable membre. Appliquons cette pensée à la liberté des cultes, et disons qu'en regard de cette liberté, il y a un droit pour les catholiques, mais aussi un droit pour les protestants, pour les dissidents quels qu'ils soient, israélites ou autres.
Mais procédons logiquement jusqu'au bout ; s'il faut aux catholiques, à côté de leur droit, la garantie que l'enseignement religieux de l'Etat ne sera pas contrarié dans les autres branches d'enseignement, il faut une garantie semblable pour les protestants, pour tous les dissidents en général.
On a osé objecter que, suivant les uns pour 16,000, suivant les autres (page 330) pour 10,000 dissidents, il n'y a pas à s'inquiéter ; mais qu'on raye donc de la Constitution l'article 17 !
On invoque le vœu des pères de famille. Mais qu'on ait donc égard au vœu de tous les pères de famille. Si un père de famille qui n'est pas catholique met son fils dans un établissement de l'Etat où le clergé catholique donne l'enseignement religieux, la condition que toutes les autres branches de l'enseignement doivent être imprégnées du même esprit, vous contrariez ce père de famille qui a droit à autant de garanties que les pères de famille catholiques.
C'est un singulier système que celui qui est préconisé par l'honorable M. Malou. Quand il me répond, à moi, il dit qu'il n'y a dans les établissements d'instruction qu'un ou deux élèves des cultes dissidents ; quand il répond à l'honorable M. Rogier au sujet des écoles mixtes il répond qu'il y a beaucoup d'élèves dissidents. Quand donc est-il dans le vrai ?
M. Malou. - J'ai toujours dit qu'il y en a deux ou trois.
M. Verhaegen. - Vous changez vos assertions d'après les circonstances.
Vous voudriez discuter cette question, dites-vous, avec des hommes qui professent une religion positive, et vous allez jusqu'à ajouter que vous aimeriez mieux la discuter avec des protestants qu'avec nous. Voilà, soit dit en passant, une accusation d'indifférentisme qu'on nous jette à la face ; nous n'y répondrons pas.
Vous aimeriez mieux discuter avec des protestants qu'avec nous ! Mais si vous discutiez avec des protestants, pensez-vous qu'ils consentent jamais à laisser insérer dans la loi que le clergé pourra imprimer le cachet catholique à toute l'instruction ? Certes non ; car ce serait en exclure leurs enfants.
Croyez-vous que les protestants, qui ont des droits aussi sacrés que les catholiques, fassent bon marché de ces droits et vous concèdent de faire de par la loi du prosélytisme religieux dans les actes du gouvernement.
Mais vous n'y songez pas. En définitive, c'est là tout votre système, c'est du prosélytisme catholique que vous voulez introduire de par la loi.
Mais quel est, en définitive, mon système à moi ? Je suis heureux de vous le dire : mon système à moi n'est que celui de l'honorable M. de Decker, tel qu'il l'a développé en 1850, et je vais vous le prouver. Il faut concilier deux grands principes, et c'est là le fond de la question, le principe de la liberté d'enseignement et le principe de la liberté des cultes.
J'admets l'un et l'autre de ces principes dans toute leur étendue. Je veux la liberté d'enseignement, quelles que puissent en être les conséquences pour mon opinion, je la veux franchement, et sans arrière-pensée. L'opinion libérale a toujours loyalement tenu à ses engagements, elle n'a jamais, en aucune circonstance, violé le contrat de 1831. N'avons-nous pas aussi, dans cette position, le droit de demander le même respect pour le pacte fondamental à nos adversaires ?
Que demandons-nous ? Nous demandons, en définitive, qu'à côté de la liberté d'enseignement on laisse intacte la liberté de toutes les croyances.
Messieurs, j'ai dit qu'il faut un enseignement religieux : loin d'y trouver un inconvénient, j'y trouve un bien ; mais j'ai ajouté qu'il ne faut pas que ce soit au détriment des principes. Si le clergé intervient à titre d'autorité, s'il est maître dans l'école, s'il y dicte ses lois, ce n'est plus la liberté, c'est le monopole au profit de quelques-uns.
Si le gouvernement, en y mettant toutes les convenances, toute l'urbanité possible, mais sans abandonner aucun des principes, peut s'entendre avec le clergé pour qu'il donne l'instruction religieuse, je ne m'y oppose pas, au contraire ; mais si le clergé formule des prétentions non acceptables, des prétentions exorbitantes, telles que celle d'intervenir dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres, le gouvernement se passera de cette intervention.
Mais l'enseignement religieux sera-t-il suspendu pour cela ? Quelques-uns de mes honorables collègues de la droite le voulaient ainsi. Mais l'honorable M. de Decker ne le voulait pas. Si cela arrive, disait-il, ce qu'à Dieu ne plaise, il faudra renvoyer, pour l'enseignement religieux, les élèves aux églises.
M. de Decker. - C'est la seule solution.
M. Verhaegen. - Nous sommes parfaitement d'accord. Voici une partie de votre discours du 19 avril 1850 :
« Pour nous, comme catholiques, comme amis de la Constitution, nous ne saurions admettre que dans quelque circonstance que ce soit un laïque puisse, sans délégation expresse de l'autorité spirituelle, donner l'enseignement religieux.
« Comment donc résoudre la difficulté ? Eh bien ! le pouvoir civil doit se concerter avec le pouvoir spirituel. Mais si l'on ne parvient pas à s'entendre ? L'obligation une fois inscrite dans la loi de donner l'enseignement religieux, l'Etat peut-il jamais admettre cette conclusion extrême que cet enseignement puisse, comme le disait le projet de loi de l'honorable comte de Theux, être suspendu ? On a exagéré la portée de ces mots et j'ai tout lieu de croire que mes explications sur cette expression concorderont avec celles que donnera cet honorable membre.
« Je suppose qu'il a voulu dire que l’enseignement religieux serait suspendu dans l’établissement, mais pour cela il n'est pas complètement suspendu.
« Voici comment alors la difficulté pourrait être résolue : Où se donne l'enseignement religieux, d'une manière normale, par le clergé ? Dans les temples de la communion catholique. Eh bien, le clergé ne pouvant plus aller donner l'enseignement religieux dans l'établissement même, on ira le chercher là où les fidèles le trouvent, c'est-à-dire à l'église. »
M. de Decker. - Mais comme dernière extrémité.
M. Verhaegen. - C'est ce que je n'ai cessé de proclamer. C'était le système que je défendais en 1842, et si ce système avait été admis, si l'on avait envoyé les élèves aux églises de leurs cultes respectifs, nous n'aurions pas eu à déplorer de fâcheux conflits ; je le demandais déjà en 1842, mais on ne l'a pas voulu alors, on m'accusait d'impiété, d'exagération. J'ai demandé la même chose en 1850, et on a fini par me donner raison, comme on doit encore me donner raison aujourd'hui.
Vous le voyez, messieurs, je suis loin d'exclure l'enseignement religieux. Je le crois nécessaire. Mais je ne veux pas qu'une seule croyance use de ce droit, je demande que toutes les croyances soient mises sur la même ligne parce qu'à côté de la liberté d'enseignement, il y a la liberté des cultes.
Messieurs, je m'arrête ; j'en ai dit assez pour démontrer que mes opinions ne sont pas telles qu'on les a présentées dans les discours que vous avez entendus. Encore une fois, je le répète, je veux la liberté d'enseignement ; mais à côté de la liberté d'enseignement, je veux aussi la liberté des cultes.
M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour entrer dans le fond du grand débat qui nous occupe, mais seulement pour présenter que'ques courtes explications sur l'inexécution, de la part du gouvernement, d'un des articles de la loi du 1er juin 1850 ; je veux parler de l'article 32 qui est relatif aux établissements patronés.
La loi sur l'enseignement moyen reconnaît trois catégories d'établissements d'instruction moyenne ; ce sont : les collèges royaux ou athénées royaux, les collèges exclusivement communaux et les établissements patronés par la commune.
D'après l'article 6 de la loi que je viens de citer, les communes avaient à décider, dans les six mois après sa promulgation, dans quelle catégorie elles entendaient placer leurs établissements d'instruction moyenne, et les résolutions prises à cet effet devaient être soumises à l'avis de la députation permanente et à l'approbation du Roi.
Les communes se sont conformées à ces dispositions et plusieurs, usant de la faculté que leur accordait l'article 32, ont accordé leur patronage à des établissements privés.
Eh bien, jusqu'à ce jour les résolutions n'ont encore pu obtenir aucune approbation du gouvernement. Voila, messieurs, ce que je crois pouvoir signaler comme une inexécution de la loi. La loi est faite, me semble-t-il, pour le gouvernement comme pour les administrations, comme pour les particuliers. Il est vrai qu'il n'y a pas eu de terme indiqué endéans lequel cette approbation devait être accordée ou refusée, mais il y a un temps moral qui ne peut pas être dépassé, sans donner lieu à de justes réclamations.
Ainsi je connais un conseil communal, c'est celui du chef-lieu de l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte, dont la délibération, portant adoption d'un établissement privé, est du 13 juillet 1850 ; et jusqu'à ce jour, c'est-à-dire, depuis deux ans et demi, aucune approbation n'a été donnée, je crois savoir en outre que plusieurs conseils communaux se trouvent dans le même cas.
Je tiendrai un raisonnement fort simple à cet égard et je dirai : Ou les résolutions de ces conseils communaux étaient conformes à la loi et ne renfermaient rien de contraire à l'intérêt général, et alors pourquoi différez-vous votre approbation ? Ou bien bien les résolutions n'étaient pas conformes à la loi, elles blessaient l'intérêt général, les conventions qu'elles avaient conclues n'étaient pas de nature a être sanctionnées, et alors il fallait franchement refuser votre approbation, et annuler ces délibérations.
Je ferai encore remarquer que les difficultés auxquelles a donné lieu l'exécution de l'article 8 et l'article 32 dont je m'occupe n'onl aucun rapport.
Je dois ajouter un seul mot, c'est que la résolution à laquelle j'ai fait allusion a été prise à l'unanimité moins une voix, c'est-à-dire par dix-sept voix contre une ; c'était donc là le vœu des pères de famille de la commune suffisamment exprimé.
Messieurs, j'ai présenté ces quelques observations sans y attacher le moindre caractère de critique, j'ai seulement voulu attirer sur ce point l'attention du gouvernement, et je suis persuadé qu'il me suffira de lui avoir signalé cette lacune pour qu'il s'empresse de la combler.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne viens point prendre la défense du clergé ; je ne suis point son ambassadeur ; je n'ai point reçu de lui mandat pour le défendre ; je suis représentant du peuple, du peuple belge tout entier, et non pas du district qui m'a nommé. Je suis plus particulièrement le représentant des pères de famille qui m'ont envoyé dans cette enceinte. C'est dans l'intérêt des pères de famille, c'est dans l'intérêt de la religion de mon pays, de cette religion qui fait une des bases les plus fortes de son existence, une des bases les plus résistantes de notre édifice social, c'est dans cet intérêt que je me suis levé et que je me lève encore.
Comme je le disais l'autre jour, il ne devrait point y avoir en matière aussi sainte, aussi'$ nationale que l'enseignement religieux, matière de discussion de parti ; tous nous devrions être d'accord pour nous unir dans un but commun, celui d'améliorer autant que possible la condition du peuple belge, de resserrer tous les liens nationaux.Or, messieurs, le système (page 331) que l'on nous présente offre, à mon avis, cet immense danger de disjoindre les liens que nous désirons resserrer par tous les moyens qui sont en notre pouvoir.
L'honorable préopinant a commencé en disant que depuis quelques jours on a cherché à passionner le débat sur la question qui nous occupe. Messieurs, ce n'est point nous qui avons engagé cette discussion, et quant à moi je proteste contre cette accusation, car elle ne peut en aucune manière m'atteindre. Ceci posé, j'aborde les principes établis par l'honorable membre.
Qu'a voulu, s'est-il demandé, la Belgique en 1830 ? Elle a voulu, comme l'a dit fort bien l'honorable préopinant, que le père de famille eût le choix de l'établissement auquel il voulait confiar ses enfants. Le fait est vrai, il est positif, je le reconnais ; la Belgique en 1830 était ennemie du monopole de l'instruction publique ; mais pour bien se pénétrer de ce qu'a voulu la Belgique en 1830 il faut, avant tout, se reporter à cette époque ; quel était l'état de l'instruction à cette époque ?
On vient nous parler de l'enseignement moyen, eh bien, messieurs, comparons un instant quelle était la situation de l'enseignement moyen au point de vue du trésor public, au point de vue de la liberté, en 1830 avec ce qu'il est aujourd'hui. En 1830 le gouvernement avait le monopole de l'instruction publique, les écoles privées avaient été fermées, et la Belgique réclamait l'ouverture des écoles privées ; mais, d'un autre côté, quelle était l'action du gouvernement dans l'enseignement public ?
Le gouvernement des Pays-Bas avait-il un enseignement de l'Etat ? Non, le gouvernement des Pays-Bas n'avait point d'enseignement moyen par l'Etat. Le gouvernement n'avait pas un seul athénée, un seul collège dans la position dans laquelle on a placé aujourd'hui une foule d'établissements. Il y avait dans nos provinces trois athénées modèles, mais ce n'étaient point des athénées de l'Etat, c'étaient des athénées des villes ; ils étaient confiés aux pères de famille ; la seule différence qu'il y avait entre ces établissements et les autres, c'est qu'ils recevaient uu subside plus élevé.
M. Rogier. - Le gouvernement faisait les nominations.
M. Dumortier. - Il faisait les nominations sur la présentation des conseils communaux ; aujourd'hui le gouvernement les fait sans présentation.
M. Rogier. - Le gouvernement faisait les nominations partout.
M. Dumortier. - Il ne nommait pas et il ne destituait pas sans entendre les autorités locales. L'enseignement était communal.
Mais, messieurs, voyons quelle somme figurait au budget de l'Etat pour l'enseignement moyen, car toutes les questions, même les questions de principes finissent par se résumer au budget en questions de chiffres. Eh bien, j'ai été curieux de vérifier au budget décennal et au budget annal de 1830, quelle était la somme allouée par l'Etat pour tous les établissements d'instruction moyenne, situés dans les limites de nos provinces actuelles. Or, messieurs, voici les chiffres. Le gouvernement fournissait :
Pour le Brabant, 1,525 florins, pour la province de Liège, 300 florins, pour la Flandre orientale, 250 florins, pour la Flandre occidentale, 300 florins, pour le Hainaut, 11,350 florins, pour la province de Namur, 9,000 florins et pour la province d'Anvers, 1,400 florins. Total. 24,125 florins. Voilà, messieurs, toute l'intervention du gouvernement, c'est-à-dire 50,000 francs.
Quel est le chiffre actuel ? 650,000 francs. Ainsi, messieurs, vous avez aujourd'hui à votre budget 13 fois la somme qui était payée par le gouvernement des Pays-Bas. Et cela lorsque la Constitution a proclamé la liberté d'enseignement ! N'avais-je donc pas raison de dire que l'on créait ainsi un monopole nouveau, bien plus dangereux encore que celui qui existait avant 1830, un monopole qui consiste à écraser la liberté sous le poids des finances de l'Etat.
Quel est donc l’établissement qui peut venir lutter contre les établissements soutenus par le budget de l'Etat ? Où sont tous les collèges, institués par les pères de famille, que j'ai vus de mon temps ? Il n'y en a plus et il ne peut plus y en avoir, lorsque l'Etat vient créer des établissements au moyen du budget. Quand on parle de ce que 1830 a voulu, il faut se reporter à cette époque ; invoquer la Constitution sans tenir compte des faits à cette époque, c'est la méconnaître. L'instruction aux frais de l'Etat, dont parle la Constitution, ne peut donc pas s'appliquer à la situation actuelle et au monopole d'argent qu'elle engendre.
Mais, si vous voulez être logiques, conséquents, agissez de même pour d'autres industries. Vous prétendez que votre système de monopole d'argent n'est pas contraire à la liberté ; pourquoi donc ne venez-vous pas établir des boulangeries où vous vendiez à perte, des boucheries où vous vendiez à perte, des fabriques et des magasins de toute espèce où vous vendiez à perte ? Et puis vous viendrez dire aux boulangers, aux bouchers, aux cordonniers, etc.. : « Mais vous avez la liberté ! » Je dis que la liberté d'enseignement est faussée lorsque le gouvernement, au moyen du budget, vient absorber tous les collèges, tous les établissements d'instruction. Je dis que si vous comparez la situation actuelle à celle de 1830, il y a transfert d'un monopole à uu autre. Ce n'est plus maintenant un monopole moral, c'est un monopole financier qui existe, monopole contre lequel tous les efforts de la liberté individuelle doivent succomber.
Mais au profit de qui doit, dans votre système, s'exercer ce monopole du gouvernement ? Car vous avez ici le gouvernement enseignant ; ce monopole du gouvernement doit s'exercer, non pas au profit des intérêts sociaux que tout le monde respecte, non pas au profit des sentiments des pères de famille, il doit s'exercer au profit d'une pensée qui craint que le clergé, formant des jeunes gens à la pratique religieuse, à l'exercice des sentiments religieux, ne crée pas une génération libérale ; car voilà le fond de la pensée ; on veut, comme on l'a dit, opposer le monopole au monopole et obtenir par le gouvernement une génération de gens élevés en l'absence des sentiments religieux, afin de se fortifier un jour.
Je dis, moi, qu'un gouvernement qui se conduirait de cette façon, qui inscrirait sur sa bannière : la guerre à la pensée religieuse d'un peuple, qu'un pareil gouvernement fausserait sa mission, qu'il compromettrait toute l'existence du pays qu'il est appelé à gouverner. Un pareil système peut bien être mis en avant pu l'esprit de parti. Il n'est pas national.
L'honorable préopinant s'est étendu longuement pour demander que de nos bancs on répondît à cette question : « Quelles sont les garanties que vous réclamez au nom de l'épiscopat ? »
En prenant la parole, j'ai déclaré en termes exprès que je n'entendais nullement me rendre ici l'avocat du clergé, que nous n'étions pas les députés du clergé. C'est au clergé à dire ce qu'il veut ; et si l'honorable membre veut parcourir les journaux, il y trouvera la pétition du corps épiscopal au sénat, qui lui dira probablement ce que veut le clergé en pareille matière.
Mais, lorsqu'on insiste pour prétendre que, dans l'opinion de l'épiscopat, les garanties légales doivent consister dans l'intervention du clergé dans la nomination des élèves et le choix des livres, je dis qu'en présence de la lettre qui a été lue hier par l'honorable M. Malou, c'est accuser l'épiscopat belge de mensonge.
Vous admettez ce que vous avez dit, vous voulez qu'on le regarde comme parole d'Evangile ; admettez donc la lettre du cardinal qu'on a lue hier, et ne venez pas l'accuser de mensonge, lui, ainsi que tout le corps épiscopal.
Vous nous demandez ce que nous demandons ; notre réponse est facile.
C'est au gouvernement et non pas à nous à exécuter la loi ; c'est le gouvernement qui a présenté la loi en prenant l'engagement d'en assurer l'exécution. C'est donc lui qui est appelé à l'exécuter, qui doit impérieusement s'entendre avec le clergé. Et ici permettez-moi une réflexion :
Quels sont les plus grands embarras qui se rattachent à la loi de l'instruction moyenne ? Ces embarras sont ceux-ci : lorsque le projet de loi fut introduit dans cette enceinte, il se composait de deux parties bien distinctes : l'exposé des motifs et le texte même de la loi. L'exposé des motifs était empreint d'un cachet d'hostilité contre le clergé, circonstance qui a dû nécessairement n'être pas favorable à la bonne entente sur laquelle on se fondait pour l'exécution de la loi.
Quant à la loi elle-même, elle avait poussé les choses à ce point, dans les idées que je combats en ce moment, que l'enseignement religieux n'y figurait en quelque sorte que pour mémoire, il était facultatif, c'est-à-dire qu'on avait rendu la gymnastique obligatoire, et que l'enseignement religieux était purement facultatif.
Eh bien, que s'est-il passé ? C'est que de tous les bancs de cette chambre, de la gauche comme de la droite, il y a eu une protestation contre ce système d'exclusion de l'enseignement religieux dans l'enseignement moyen ; à un très petit nombre d'exceptions près, la gauche, comme la droite, a exigé qu'on inscrivît dans la loi que l'instruction religieuse serait obligatoire.
Voilà donc la pensée de l'immense majorité de cette chambre : l'enseignement religieux est obligatoire. C'est la condition essentielle que la plus grande partie de la gauche a mise à son vote ea faveur de la loi.
Et, messieurs, ne vous y trompez pas : cette volonté de la chambre, d'avoir un enseignement religieux obligatoire, domine toute la loi ; elle est plus forte que la loi, puisque c'est, aux yeux de la presque unanimité de la chambre, son principe fondamental : tout le monde a voulu que l'enseignement religieux fût obligatoire, et je n'hésite pas à dire que si la loi doit être modifiée de manière à amener ce résultat, les membres qui ont voté la loi à la faveur de cette disposition, comme, ceux qui l'ont rejetée, ne balanceront pas à adopter cette modification, parce que, je ne puis assez le répéter, dans la pensée de tout la monde, l'instruction religieuse devait être obligatoire dans les établissements d'enseignement moyen.
Voilà, messieurs, comment la loi s'est faite. Est venue l'exécution ; eh bien, messieurs, je dois le dire, dans l'exécution, la pensée qui avait présidé à la rédaction du projet de loi me paraît avoir été bien plus exactement suivie que celle qui, plus tard, a forcé le gouvernement à admettre comme obligatoire l'enseignement religieux ; et c'est à cette circonstance principalement que j'attribue l'absence du concours du clergé dans les établissements de l'Etat.
Je dois, messieurs, répondre quelques mots à l'honorable membre au (page 332) sujet du système qu'il a développé devant vous en fait de liberté des cultes.
Personne ne respecte plus que nous la liberté des cultes, et nous en avons fourni des preuves. Qui, dans cette enceinte, a voté des subsides et des traitements pour les cultes dissidents en Belgique, sinon et avant tout les membres qui siègent sur les bancs où je siège moi-même ? Qui a voté les subsides pour les protestants, les israéliles, les anglicans ? Nous l'avons tous fait et nous avons bien fait. Ainsi, nous avons témoigné, par ces votes, notre respect profond pour la liberté des cultes.
Mais de ce que nous avons admis ces prémisses, s'ensuit-il que notre culte à nous doive être sacrifié au nom de la liberté des cultes ? s'ensuit-il que la liberté du culte catholique doive être sacrifice, au grand détriment des pères de famille, dans les établissements d'instruction moyenne à cause qu'il y a en Belgique quelques dissidents ?
Mais voyons : vous avez en Belgique 2,500 communes ; or, dans ces 2,500 communes il y en a probablement 2,400 où l'on ne trouve que des catholiques et uniquement des catholiques, où l'on ne trouve pas un seul dissident ; c'est donc pour sauvegarder un prétendu principe de la liberté des cultes que vous empêcheriez tous les habitants de ces 2,400 communes où il n'y a que des catholiques ; que vous les empêcheriez de recevoir le bienfait de l'enseignement religieux ! Pour être conséquents avec votre principe, vous devriez vouloir tout le contraire.
Voulez-vous au surplus juger ce système, examinez quelles en seraient les conséquences. Si le système que je combats était vrai, il devrait aussi s'appliquer à l'enseignement primaire, et alors quels en feraient les résultats ? Vous le savez, messieurs, dans l'instruction primaire, un seul homme enseigne tout ; religion, grammaire, mathématiques, tout est enseigné par une seule et même bouche, tout arrive à une seule et même personne, à l'instituteur.
Eh bien, quel sera le rôle que jouera l'instituteur ? Nous entrons dans une école de 100 élèves, 98 sont catholiques, un est protestant, un est israélite. Que va faire l'instituteur ? Il commence par la prière ; il fera d'abord la prière catholique ; ensuite, il fera la prière protestante ; en troisième lieu, la prière israélite.
Maintenant il enseigne la religion. L'instituteur enseigne d'abord la religion aux catholiques au moyen du catéchisme ; il arrive ensuite à l'israélite, il lui dit : Ne croyez pas un mot de ce que je viens de dire là, c'est un tas de faussetés, je vais vous dire la vérité. Il en dira autant au protestant. Je vous demande où cela conduit, à l'absurde ; or, l'absurdité des conséquences démontre à l'évidence l'absurdité de la prémisse.
La conséquence de votre système, la voic i: c'est qu'il faudrait entendre la liberté d'enseignement comme le Congrès l'a entendue : le moins d'action possible de la part du gouvernement dans tout ce qui touche à l'enseignement, et non la concentration de toutes les forces sociales dans la main de l'Etat. L'Etat doit se borner à avoir un certain nombre d'écoles modèles, comme à l'époque de la Constitution, et laisser au pouvoir communal, toujours le premier en Belgique, le soin de pourvoir à l'instrruction des enfants de la commune.
Mais, dit-on, c'est un prosélytisme catholique que vous voulez. Entendons-nous sur ce mot prosélytisme.
Je dis oui et non. S'il s'agit de prétendre que nous ferions des lois pour favoriser avec les deniers de l'Etat tel culte afin de faire des conversions dans son sens, je dis : Nous ne le pouvons pas ; mais si vous entendez par prosélytisme la conservation des sentiments catholiques qui existent dans le pays, je réponds : Oui ; ce prosélytisme nous le voulons, parce que c'est conserver à la Belgique sa religion, son culte ; nous ne voulons pas qu'au moyen de l'argent de l'Etat, vous enleviez au pays le sentiment catholique qui fait sa force. Nous ne vouions pas que vous vous serviez de notre argent pour faire du prosélytisme anticatholique, pour combattre et détruire la foi du pays.
Vous vous étonnez de la vivacité de ces luttes, vous vous étonnez qu'on prenne cette question à cœur ? Mais pénétrez vous donc de cette pensée que le catholicisme, religion essentiellement pure, ne peut exister que par l'instruction du premier âge en formant l'enfance aux sentiments qu'il inculque ; s'il n'était plus enseigné dès les premiers pas dans la vie, si la jeunesse était élevée dans l'absence de l'enseignement et de la pratique de la religion, nous arriverions à la négation du catholicisme. Quand vous prétendez que nous agissons dans des vues politiques, vous vous trompez ; j'ajouterai que vous vous défiez de la société. En effet, quand l'entant a reçu des maximes religieuses et qu'il sort des écoles pour entrer dans la société, la société le prend, le remanie, le façonne, et ce qu'il pourra avoir reçu de trop sera bientôt perdu ; heureux si quelques sentiments religieux lui restent, quand les jours de malheur arriveront ? Il y puisera des consolations que la religion seule peut lui donner.
Messieurs, je sens que la chambre est fatiguée de cette discussion, je n'en dirai pas davantage. J'avais annoncé, à la demande de plusieurs de mes amis des deux côtés de cette chambre, l'intention de présenter un ordre du jour motivé pour trancher la question de l'instruction primaire. Aujourd'hui, je dois reconnaître, après les explications données par le gouvernement, et en voyant que le système de M. Verhaegen, dans lequel il persiste pour être conséquent avec ses précédents, ne paraît pas avoir d'écho dans cette chambre, que personne enfin n'a demandé comme lui de revenir sur la loi de l'instruction primaire.
M. Verhaegen. - Je n'ai pas demandé de revenir sur cette loi ; je ne l'avais pas fait non plus en 1849, bien que dix-neuf de mes collègues l'eussent proposé alors.
M. Dumortier. - Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que ce vote soit nécessaire. Je suivrai au reste la discussion, et je verrai ce qu'il y a à faire.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Devaux. - Je demande la parole contre la clôture.
Si la clôture est prononcée, comme il y a plusieurs articles relatifs à l'enseignement, la discussion reprendra sur un autre article. Dans la discussion qui a eu lieu jusqu'ici, vous avez entendu sept orateurs d'un côté et deux seulement de l'autre. Je demande que la discussion continue.
M. le président. - Si la clôture était prononcée, se serait la clôture de la discussion sur le chapitre et non sur un article.
M. Devaux. - Je demande que la discussion continue sur le chapitre.
- La chambre, consultée, clôt la discussion.
« Art. 72. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 73. Traitement des inspecteurs des établissements d'instruction moyenne : fr. 16,000. »
- Adopté.
« Art. 74. Frais de tournées et autres dépenses de l'inspection des établissements d'instruction moyenne : fr. 7,000 »
- Adopté.
Article 75
« Art. 75. Frais de l'enseignement normal pédagogique, destiné à former des professeurs pour les établissements d'instruction moyenne (bourses) (article 38, paragraphe 3, de la loi du 1er juin 1850) : fr. 10,000. »
M. Rogier. - Je demande à M. le ministre si l'allocation portée à cet article sera suffisante. Je ne le crois pas, je crois qu'il faudra un crédit supplémentaire pour l'enseignement normal.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est probable. Lorsque l'enseignement sera complètement organisé, une section d'enseignement normal sera établie à Nivelles. Je ne sais pas quel sera le chiffre de la dépense, ce sera l'objet d'un crédit supplémentaire quand on connaîtra tous les besoins de l'organisation.
- L'article 75 est nais aux voix et adopté.
« Art. 76. Dotation des athénées royaux (article 20, paragraphe 2, de la même loi) : fr. 300,000. »
M. Dumortier. - Il y a quelques jours, les journaux ont annoncé la démission d'un professeur distingué de l'athénée de Tournay ; cette démission a donné lieu à un vote unanime du conseil communal. Et si je suis bien informé, déjà des réclamations avaient été adressées de ce chef au gouvernement. Je désire connaître quels sont les motifs pour lesquels le gouvernement s'est porté à cet acte que je ne puis comprendre, et qui, pour mon compte, me paraît inqualifiable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le fait auquel on vient de faire allusion est extrêmement simple.
L'arrété royal, qui a paru récemment, aurait pu donner à l'honorable M. Dumortier les explications qu'il demande aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, je n'éprouve aucune difficulté à rappeler les motifs pour lesquels cet arrêté a été pris.
M. Wilbaux, ancien professeur à l'athénée de Tournay, n'a pas cru devoir accepter en 1852 le renouvellement des conditions qui avaient été mises en 1851 par un arrêté spécial à sa nomination à l'athénée de Tournay, nomination qui ne lui était conférée qu'à titre provisoire, ce qui a eu lieu pour beaucoup de professeurs.
M. Wilbaux, qui avait d'abord accepté ses fonctions avec la réserve mentionnée dans l'arrêté, ne crut pas devoir se soumettre à une prolongation de ce régime d'essai en 1852, prolongation jugée indispensable.
Dans cette situation le gouvernement n'avait qu'une mesure à prendre, c'était d'accepter la déclaration faite par M. Wilbaux lui-même le 17 novembre et de prononcer sa non-agréation.
Je le demande : y avait-il une autre issue pour le gouvernement à cette affaire ? Je ne le crois pas, et c'est pour ce motif que j'ai eu l'honneur de proposer à Sa Majesté l'arrêté qui a paru au Moniteur.
M. Dumortier. - La discussion que je viens de soulever a un caractère bien plus grave que celui que vient d'y donner M. le ministre de l'intérieur.
Si on l'en croyait, l'unique motif pour lequel M. Wilbaux aurait été destitué de ses fonctions, c'est qu'il n'a pas voulu continuer à accepter la position provisoire que lui faisait le gouvernement.
Voyons d'abord de quoi il s'agit.
M. Prévinaire. - C'est encourager la révolte.
M. le président. - On n'a pas le droit d'interrompre.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Vous me répondrez, si vous voulez. M. Lebeau. Mais veuillez ne pas m'interrompre.
La nomination de cet honorable professeur date d'une époque bien ancienne. En 1834, c'est-à-dire il y a 18 ans, il fut nommé professeur de botanique et de sciences naturelles à l'athénée de Tournay. Il y a donc 18 ans qu'il est entré dans la carrière professorale. En 1836, il fut nommé professeur de mathématiques attaché à la classe de quatrième. En 1837, c'est-à-dire il y a 15 ans, sa nomination fut agréée par le gouvernement. J'ai sous les (page 333) yeux une copie authentique de cette nomination du gouvernement. Il s'agit donc de savoir comment il se fait qu'un professeur qui se trouvait dans l'enseignement depuis 18 ans, que le gouvernement a nommé depuis 15, n'ait obtenu qu'une nomination provisoire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Le gouvernement était juge.
M. Dumortier. - Mais nous sommes, nous, juges du gouvernement. Je crois que l'honorable M. H. de Brouckere, qui a fait longtemps partie de l'opposition, ne contestera pas les droits de la chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Assurément non !
M. Dumortier. - Voici comment les choses se sont passées :
Lorsque la loi de 1850 vint donner au gouvernement le soin de réorganiser les établissements d'instruction, une nouvelle nomination est devenue nécessaire. Trois professeurs n'obtinrent qu'une nomination provisoire.
Quels étaient-ils ? D'abord M. Wilbaux dont il est aujourd'hui question : puis le professeur de rhétorique M. Moguez, le même qui, au grand concours de Belgique, avait obtenu le premier prix pour un de ses élèves.
Puis, devinez, je vous le donne en cent : une des gloires de l'enseignement en Belgique, M. Adolphe Leschevin, cet homme qui avait obtenu tant de succès, tant de prix au concours général, que M. Rogier lui-même avait décoré en cette occasion, ce professeur éminent dont les élèves sont toujours admis en première ligne à l'école militaire ; cet homme, une des gloires de l'enseignement, n'a aussi obtenu qu'une nomination provisoire.
Ce n'est donc pas faute de science, de capacité, d'intelligence, que ces trois professeurs n'ont été nommés qu'à titre provisoire. Car, remarquez-le bien, le même jour, le 31 septembre 1851, la même mesure frappait à la fois ces trois professeurs.
M. Wilbaux n'a jamais eu d'élèves couronnés au grand concours, parce que les élèves de son cours n'y sont pas admis. Mais M. Moguez, professeur de rhétorique, M. Leschevin, professeur de mathématiques, eux qui avaient obtenu tant et de si éclatants succès, n'ont été nommés qu'à titre provisoire. Il y avait donc à cela un autre motif que celui qu'on a indiqué : c'est que ces messieurs n'appartenaient pas à l'opinion qui dominait alors. Ils n'étaient point de l'association libérale, mais c'étaient des catholiques.
En revanche, tous ceux qui appartenaient à l'opinion du gouvernement, à l'association libérale, ont obtenu par le même arrêté des nominations définitives. Voilà ce que c'est que l'enseignement donné aux frais de l'Etat !
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Si le fait est révoqué en doute, j'aurai à donner des détails qui ne seront peut-être pas agréables pour tout le monde, mais qui seront sans doute agréables à la chambre.
Je puis dire qu'au conseil communal de Tournay, il y a eu des réclamations, dans les termes les plus énergiques, en faveur de M. Leschevin et des autres professeurs.
L'honorable M. Dumon, président du sénat et bourgmestre de Tournay, s'engagea sur l'honneur à obtenir une nomination définitive pour les trois professeurs qui n'avaient eu qu'une nomination provisoire, et qu'il savait dans son âme et conscience être au nombre des professeurs les plus distingués de l'athénée de Tournay, qu'il savait encore être sacrifiés à cause de lui. Il y parvint pour M. Leschevin ; M. Wilbaux n'accepta cette position que sur un engagement formel que sa mort l'empêcha de réaliser.
Il y eut alors des particularités très singulières. On écrivit à la ville de Tournay, que si M. Leschevin n'avait pas reçu une nomination définitive, c'est qu'il ne partageait pas les vues du gouvernement, c'est que ses opinions politiques ne concordaient pas avec celles du ministère. Vous avez là le secret de ces trois nominations provisoires ; c'était non le besoin du service ; non l'incapacité ; c'était une vengeance politique.
En effet, c'était le 27 septembre qu'avaient eu lieu les élections au sénat par suite de dissolution. Or, on avait désiré empêcher la réélection ou empêcher une réélection brillante pour le président du sénat.
Le résultat avait été inverse et les trois personnes que je viens de citer faisaient partie de la société industrielle qui avait donné son appui au président du sénat. Voilà comment marche l'enseignement public !
Je vous le demande, quels griefs autres que celui-là avait-on contre ces messieurs ? On avait la preuve de leurs capacités par les succès que leurs élèves avaient obtenus dans les concours.
Ce n'était donc pas leur incapacité qui était cause de la mesure dont je me plains, c'était une question politique et ce qui se passe aujourd'hui est encore la conséquence de cet acte. M. Wilbaux est destitué parce qu'il n'est pas membre de la société libérale, et parce qu'il est membre de la société industrielle de Tournay qui a contribué à assurer au président du sénat sa belle réélection.
Vous voyez donc, messieurs, que je suis en droit de demander ici pourquoi ces nominations provisoires ; qu'on veuille bien me dire pourquoi on n'a accordé qu'une nomination provisoire à M. Wilbaux, à M. Moguez, professeur de rhétorique, à M. Leschevin, cette gloire de l'enseignement public en Belgique. Si ce n'est pas pour les motifs que j'indique, qu'on me dise les griefs que l'on a contre eux. Il est bien évident que le talent n'en est pas la cause et que le gouvernement a agi ici par passion politique.
Maintenant vous vous étonnez de ce qu'un professeur, qui a dix-huit ans de fonctions et à qui vous avez donné une nomination provisoire, ne désire pas rester dans cette position. Mais rien, en pareille circonstance, ne doit vous surprendre. Comment ! j'ai professé pendant dix-huit ans, la ville m'a donné plusieurs fois des témoignages de sa satisfaction, elle a protesté en notre faveur, elle a écrit au ministre, elle a fait des démarches pour moi, et vous voulez me mettre à l'essai pendant un an ! Cela se concevrait, si j'étais un novice qui sort des bancs de l'école. Mais voilà dix-huit ans que je professe, que mes élèves obtiennent des distinctions à la fin du cours supérieur. Mais peu importe ; voilà dix-huit ans que je satisfais à toutes les prescriptions de la loi, et vous prétendez que je devrai subir la honte, que je devrai subir l'humiliation de me présenter devant mes élèves comme étant un professeur à l'essai pendant un an ! Evidemment, il n'est pas un homme d'honneur qui puisse accepter une position semblable. Je le répète, une pareille position ne serait acceptable que pour un jeune homme sorti des bancs et que vous nommeriez professeur pour voir quels sont ses talents.
Lorsque, par lettre du 27 septembre dernier, l'administration communale de Tournay fut informée que l'on était résolu de ne pas maintenir M. Wilbaux dans ses fonctions et qu'on voulait lui donner un remplaçant, lorsqu'on eut écrit qu'il avait cessé de faire partie de l'enseignement, que fit le bureau d'administration de l'athénée de Tournay ? Il réclama à l'unanimité auprès de M. le ministre pour lui dire que jamais M. Wilbaux ne s'était exposé au moindre reproche, que c'était un des bons professeurs de l'athénée de Tournay et que ce ne pouvait être que par erreur qu'un pareil acte avait été posé. Survint la retraite de M. Rogier ; lorsque l'honorable M. Piercot est arrivé au ministère, il trouva les choses à ce point. Il lui était bien facile de régler définitivement la position d'un professeur qui méritait tous égards en présence de ses anciens services ; il lui était surtout facile de le faire, alors que la commune de Tournay réclamait en faveur de ce professeur et rappelait les services qu'il avait rendus depuis dix-huit ans à l'enseignement. Eh bien, c'est dans ces circonstances qu'on veut mettre ce professeur à l'essai pendant un an.
Encore une fois, quel est l'homme d'honneur qui, après 18 années de professorat dans un établissement public, pourrait accepter l'humiliation de se présenter à ses élèves à titre d'essai ? Personne n'accepterait une position pareille, et lorsqu'on vient prétendre que le gouvernement doit commander à ses professeurs, je dirai à l'honorable M. Piercot d'essayer d'écrire à un professeur de l'université de Liège : Je vous maintiens pour un an à l'essai, et il verra ce qu'on lui répondra.
Y a-t-il, je le demande encore, un professeur qui voudrait accepter une position pareille ? Non, le corps professoral mérite du respect pour les fonctions qu'il remplit, et c'est porter atteinte à la dignité, à la considération dont un professeur doit jouir vis-à-vis de ses élèves que de vouloir, après dix-huit années d'enseignement, le réduire à une position d'essai.
Vous deviez revenir sur cette mesure.
En présence des demandes de l'administration communale, mieux à même que qui que ce soit de juger les faits, le devoir du gouvernement était de révoquer un acte qui avait été posé par esprit de parti.
Maintenant, qu'a fait le conseil communal de Tournay ? Il n'a pas hésité de remplir un devoir qui honore son indépendance ; il a adressé à M. Wilbaux une lettre pour le remercier du zèle et du talent qu'il avait manifestés dans son cours d'enseignement, aussi longtemps qu'il avait été sous la direction de la ville de Tournay et que celle-ci avait été à même de juger de cet enseignement.
Cette demande a été faite à l'unanimité.
Eh bien, je dis qu'il est regrettable de voir le gouvernement, soit par esprit de parti, soit sur les rapports de gens qui ne sont pas capables d'en faire, et j'ai le droit de tenir ce langage, de voir, dis-je, le gouvernement frapper d'incapacité un professeur, le stigmatiser en présence du pays, alors que le bureau de l'athénée et l'unanimité du conseil communal protestent du contraire.
Maintenant, messieurs, je prends l'arrêté royal et j'y lis un considérant portant que c'est sur le rapport de M. l'inspecteur de l'enseignement moyen pour les sciences, que la destitution de M. Wilbaux a été prise.
Or, de quelle date est ce rapport ? Il est du 31 octobre, et c'était le 27 septembre que M. Rogier annonçait à M. Wilbaux sa démission ; c'était un mois et trois jours auparavant qu'on annonçait à la ville cette destitution. Jugez si c'est sur le rapport de M. l'inspecteur que la destitution a eu lieu.
Mais d'ailleurs, M. l'inspecteur Vinçotte est-il bien capable de juger des cours qu'il est appelé à examiner ? (Interruption). Messieurs, nous discutons des faits graves ; examinons la science de M. l'inspecteur.
Je crois qu'il serait facile de démontrer, non pas l'incapacité de M. Wilbaux, mais l'incapacité de M. l'inspecteur. (Nouvelle interruption.) Messieurs, il faut bien s'éclairer ; j'ai prouvé qu'on mettait à l'essai les professeurs de la plus grande distinction.
Eh bien ! voyons ceux à qui on donne les grades élevés dans l'enseignement.
L'auteur du rapport invoqué était professeur dans un athénée, et il n'est pas à ma connaissance que jamais aucun de ses élèves ait obtenu un prix dans un concours des athénées, ce qui ne prouve pas en faveur (page 334) de son talent. Mais il appartenait à la politique nouvelle et il a été nommé inspecteur ; et alors que s'est-il passé ? Il a posé aux athénées pour le dernier concours une question de mathématiques qu'aucun élève en Belgique n'a su résoudre. Lorsque les examinateurs ont vu les devoirs des élèves et ont reconnu qu'aucun d'eux n'avait su résoudre cette question, ils ont dit : Il doit y avoir dans cette question quelque chose qui empêche de la résoudre.
On examine, et on trouve qu'un grand savant, l'inspecteur, avait fait une question de mathématiques insoluble en omettant un des éléments principaux de la question. Et voilà les hommes chargés de faire rapport sur les capacités des professeurs en Belgique ! Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve ce que vaut le rapport posthume sur M. Wilbaux, ce que vaut l'enseignement de l'Etat : des abus et rien que des abus.
Je dis, messieurs, que ces faits sont excessivement graves et j'invite vivement M. le ministre de l'intérieur à ne plus retomber dans de pareilles fautes, à ne pas se faire l'instrument des passions de son prédécesseur. J'invite M. le ministre de l'intérieur, lui qui a été bourgmestre, à s'éclairer surtout des avis des autorités communales ; c'est là qu'il trouvera des éléments pour apprécier le mérite des professeurs, et je ne puis que regretter amèrement que, dans la loi de 1850, on ail tenu si peu compte de l'opinion des autorités communales en créant une espèce d'université opposée à la Constitution.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je croyais, messieurs qu'il y avait des caractères officiels et des positions qui pouvaient s'attendre à trouver dans cette chambre les égards sans lesquels il est impossible à un gouvernement, quel qu'il soit, de poursuivie sa marche avec dignité et indépendance.
Je regrette donc très sérieusement les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Dumortier, en parlant avec si peu de mesure de fonctionnaires placés par la loi à côté du gouvernement pour le seconder dans l'organisation des établissements d'instruction publique.
Il a parlé des inspecteurs de l'enseignement moyen comme si le gouvernement avait fait en les nommant des choix peu capables de l'éclairer sur la capacité du personnel. Les agents du gouvernement qui remplissent une mission légale et délicate ont, selon moi, droit au respect de tout le monde, et quand le gouvernement dans le cercle de ses attributions les emploie pour juger de la capacité d'un professeur, je pense qu'ils doivent pouvoir compter sur l'appui et la bienveillante appréciation de l'autorité.
J'arrive aux faits.
Il y a des faits, messieurs, sur lesquels le gouvernement doit toujours des explications à la chambre, ce sont ceux dont le caractère est politique ; et, lorsqu'il s'agit de la nomination ou de la démission d'un professeur, le gouvernement ne peut pas se refuser à répondre à toutes les questions tendant à éclaircir le point de savoir si, dans la détermination qu'il a prise, il a été guidé par des motifs politiques. Mais quand il s'agit de faits qui ont rapport aux fonctions elles-mêmes dépendantes du gouvernement ; quand il s'agit de l'appréciation des titres du professeur qoi réclame une nomination ; quand il s'agit, en un mot, de savoir si le professeur convient à l'enseignement pour lequel il est proposé, alors c'est au gouvernement seul qu'il appartient de juger, et il ne doit compte à personne de la décision qu'il a prise. Je pense, messieurs, que ce sont là les vrais principes, et que s'ils n'étaient pas admis, le gouvernement serait dans l'impossibilité de remplir ses devoirs avec liberté et dignité.
Pour en venir à M. Wilbaux, cette démission a-t-elle un caractère politique, comme l'honorable M. Dumortier le prétend ?
Je déclare, après avoir lu tout ce qui se rattache à M. Wilbaux, que personnellement je n'ai pas l'honneur de connaître, j'affirme que j'ai acquis la conviction pleine et entière, que M. Wilbaux ne pouvait pas, dans l'intérêt de l'enseignement dont il devait être chargé, occuper dès à présent à titre définitif le poste auquel le gouvernement ne l'avait nommé qu'à titre provisoire. Ce mandat provisoire, M. Wilbaux l'avait accepté en 1851. (Interruption.) Cela résulte des pièces.
Mais l'essai d'une année n'avait pas paru suffisant, et le gouvernement, par un nouveau motif de bienveillance (je regrette de devoir entrer dans ces détails, mais on m'y a provoqué), avait consenti à prolonger cet essai pendant une année encore. En agissant ainsi, le gouvernement avait cru montrer de la déférence pour le vœu du bureau administratif qui désirait conserver le professeur.
Et c'est alors que M. Wilbaux s'insurge, écrit au gouvernement qu'il n'acceptera jamais de nomination à titre d'essai, et déclare qu'il ne veut qu'un titre définitif, et qu'il demande sa pension. Je le répète, messieurs, un professeur qui, après ce qui s'était passé tient un pareil langage, n'avait qu'un seul parti à prendre, c'était de se faire justice en se retirant. C'est ce qu'il a fait.
Quant au gouvernement, son devoir était tracé par la conduite même de M. Wilbaux. Il devait déclarer que la nomination n'était pas confirmée. C'est ce qui a été fait par l'arrêté inséré au Moniteur.
Voilà les faits dans toute leur vérité. Rien de plus, rien de moins. La politique y est entièrement étrangère. Je n'en ai trouvé aucune trace. J'ajoute, messieurs, que, dans des cas semblables, le gouvernement n'hésitera jamais à se conduire de même.
- Des membres. - La clôture !
M. Devaux. - Nous sommes à l'article principal de l'enseignement moyen, l'article qui concerne les athénées, ces athénées dont on vient de dire qu'ils ne renferment que des abus, rien que des abus, qu'ils sont immoraux, qu'ils ruineraient la Belgique, en un mot, qui ont été attaqués de toutes les manières, je demande si on permettra de les défendre ?
- Plusieurs membres. - A demain !
La séance est levée à 4 heures et demie.