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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 8 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 778) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adopée, et communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Waver-Wahl prie la chambre de statuer sur sa demande relative à la liquidation d'une créance du chef de fournitures de tabacs. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jacques Guillaume, modeleur aux ateliers du chemin de fer de l'Etat à Malines, né à Eich (Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Théodore Paterson, propriétaire à Bruges, né à Londres, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Schnabel, ancien militaire, prie la chambre de le faire admettre dans le corps des vétérans ou de lui accorder une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi autorisant des transferts de crédits au sein du budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Thiéfry. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi ayant pour objet des transferts au département de la guerre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, et mis à la suite de l'ordre du jour.

Compte-rendu de l’emploi des crédits accordés par les lois du 18 avril 1848 et 21 juin 1849

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, par la loi du 18 avril 1848, vous avez ouvert au département de l'intérieur un crédit de 2 millions, et par la loi du 21 juin 1849, vous avez ouvert au même département un crédit d'un million. Des comptes détaillés de l'emploi de ces sommes ont été soumis aux chambres ; ces comptes ont été renvoyés à la commission des finances. La commission a fait deux rapports, l'un par l'organe de M. Vandenpeereboom, l'autre par l'organe de M. de Man.

Vous aviez également renvoyé à la commission des finances les comptes rendus par nos prédécesseurs, de deux crédits extraordinaires s'élevant ensemble à 3,950,000 fr.

La commission des finances vous a fait un rapport sur ces derniers comptes par l'organe de M. Cools. La chambre se trouve en présence de trois rapports répondant à trois crédits extraordinaires, savoir : 2 et 1 millions ouverts au ministère actuel, et 3,950,000 fr. ouvert en 1845 et 4846 au ministère précédent.

Messieurs, une des prérogatives essentielles de la chambre est sans contredit le contrôle de la gestion financière de l'Etat. Qu'on y apporte un examen attentif, sévère, minutieux, rien de plus utile, et pour notre part, nous ne nous en plaindrons jamais. Il importe au gouvernement d'être éclairé dans la gestion des affaires, notamment en ce qui concerne les dépenses publiques, par les lumières, par le contrôle de la représentation nationale.

Où nous aurions, et où le gouvernement aurait lieu de se plaindre, ce serait quand à cet examen sévère, impartial, on verrait substituer une critique en quelque sorte de parti pris, un dénigrement systématique de tous les actes qui auraient été posés. Quand le gouvernement serait en droit de se plaindre, ce serait lorsque, au lieu de juges qu'il doit espérer de trouver dans le sein des commissions, il ne rencontrerait que des adversaires, des adversaires systématiques, critiquant, censurant tout et ne trouvant absolument rien de bon ni de régulier ; ce serait si dans cet esprit de dénigrement...

M. de Man d'Attenrode. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - ... on négligeait les faits principaux, on en dénaturait d'autres, on travestissait les intentions, on omettait les résultats avantageux pour ne faire ressortir que les résultats désavantageux.

Dans ces conditions, le contrôle de vos commissions n'atteindrait pas le but utile qu'on doit en attendre ; car alors la chambre serait portée à n'avoir aucune espèce d'égard même aux observations fondées qui pourraient se rencontrer dans le travail de vos commissions.

Messieurs, je n'ai pas besoin de dire que les allusions que je viens de faire ne sont pas purement imaginaires : elles s'adressent très directement au travail de l'un des rapporteurs de votre commission des finances.

Dans les rapports de ses deux collègues, j'ai trouvé un examen impartial des actes de l'administration. L'on y expose le pour et le contre, les opinions des uns et les opinions des autres ; on n"approuve pas tout, mais on ne blâme pas tout.

Je ne me plains pas de ce que le rapport de M. Cools, sur les crédits alloués à mes honorables prédécesseurs, soit marqué d'un esprit d'indulgence beaucoup plus grand, d'une bienveillance beaucoup plus marquée que le rapport qui a été fait sur mon crédit par l'honorable M. Vandenpeerebom ; je ne m'en plains pas ; je félicite mes honorables prédécesseurs d'avoir rencontré dans la commission beaucoup plus de bienveillance que moi.

Vous allez voir, messieurs, dans quels termes les honorables rapporteurs des premiers crédits se sont expliqués : l'honnorable M. Cools, rapporteur du compte rendu des crédits de 3,950,000 fr., et l'honorable M. Vandenpeereboom, rapporteur du compte rendu du crédit de deux millions.

Ils ont tenu compte, avant tout, des circonstances dans lesquelles ces crédits avaient été votés ; cela baété leur point de départ.

Voici ce que dit l'honorable M. Cools : « Ce n'était pas en temps de crise qu'il fallait songer à se montrer, sous ce rapport, plus sévère qu'on ne l'est en temps ordinaire. » Aussi la commission des finances,, eu égard à ces circonstances, à ces temps de crise dans lesquels il faut se montrer moins sévère que dans les temps ordinaires, a passé très légèrement sur un certain nombre de dépenses qui ont été faites d'une manière plus ou moins régulière, plus ou moins concordante avec les vœux de la loi.

Il les signale en passant ; mais l'honorable rapporteur n'en fait pas le texte de longues récriminations.

« Le mode de distribution de ces subsides a beaucoup varié, remarque l'honorable M. Cools. On trouve à cet égard les indications suivantes dans les pièces déposées :« Travaux publics autres que travaux de voirie, tels que curage de cours d'eau, etc., distribution d'aliments aux nécessiteux, subventions à des comités industriels, avances à des dépôts de mendicité, subsides pour les enfants pauvres des écoles primaires, subside à la société du chemin de fer de la Flandre occidentale, avance au ministre de la justice pour le renvoi des mendiants des Flandres, supplément de salaire aux ouvriers flamands dans la province de Liège. »

Je n'ai pas à critiquer l'application ainsi faite des crédits votés à mes prédécesseurs. Je me suis soigneusement gardé de scruter les actes qui avaient été posés alors ; je crois qu'il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles ils ont été posés et que l'esprit de critique trop sévère serait ici parfaitement déplacé.

Voici maintenant ce que dit la commission des finances par l'organe de M. Vandenpeereboom, autre rapporteur :

« L'impression qui restera à la chambre, lorsqu'elle aura lu ce rapport, sera probablement celle que la commission a ressentie elle-même après s'être livrée à un examen attentif des documents produits, c'est qu'au nombre des actes posés il s'en trouve incontestablement un certain nombre qui se justifieraient assez difficilement si les circonstances avaient été normales. Mais pour juger ces actes, comme pour apprécier l'emploi de tout le crédit dans son ensemble, on doit tenir compte de l'état de crise que le pays avait à traverser au moment où il a fallu, un peu à la hâte, pourvoir aux nécessités extraordinaires du moment. La commission a eu constamment cette considération présente à l'esprit lorsqu'elle s'est livrée à ee travail, qui, sous ce rapport, se différencie fortement de ceux qui ont fait jusqu'à présent l'objet de ses investigations ; elle est en effet puissante, et doit faire tomber toute critique qui voudrait se montrer trop sévère. Il y a d'ailleurs eu plusieurs mesures prises, qui ont eu un résultat heureux pour le pays, la commission est unanime pour le reconnaître. »

Messieurs, la commission des finances a eu trois organes.

Je trouve parmi eux deux organes impartiaux, assez bienveillants. Le troisième ne ressemble pas du tout aux deux autres. La commission des finances a cependant nommé un rapporteur qui est censé représenter son opinion ; je me demande comment il se fait que cette opinion, selon qu'elle se produit par l'organe de M. Cools et de M. Vandenpeerboom ou par l'organe de l'honorable M. de Man, se trouve assez bienveillante ou tout à fait malveillante. Quoi qu'il en soit, je vais spécialement m'occuper du rapport malveillant.

Ce rapport s'ouvre et se ferme par de hautes considérations financières. On pose de grands principes. On rappelle les prescriptions de la Constitution, et l'on ne craint pas de signaler les crédits qui ont été votés par des lois spéciales, comme portant en quelque sorte atteinte à la Constitution. « de crédits extraordinaires ! s'écrie-t-on ; plus de crédits généraux ; plus de faculté de réemployer les fonds rentrés par suite de prêts ; plus de subsides à des personnes.»

Plus de crédits extraordinaires ! Je ne suppose pas que ce soit au ministre actuel que l'on veuille exclusivement adresser le reproche d'avoir eu recours à des crédits extraordinaires ; de tout temps, à toutes les époques, il y a eu des nécesssités qui ont motivé des demandes de crédits extraordinaires et, bien que l'on proclame que, désormais, il n'y aura plus de crédits extraordinaires, j'ose prédire à l'honorable rapporteur de la commission des finances, j'ose lui prédire que toujours il y aura des crédits extraordinaires. Il est impossible, messieurs, et surtout grâce à la sévérité de notre régime financier, il est impossible, au moment de former le budget d'un exercice, par un don de prescience surhumaine, (page 779) de prévoir des besoins qui ne sont pas encore nés, que des circonstances extraordinaires font naître. Aux termes de notre loi de comptabilité, les budgets d'un exercice doivent être présentés dix mois avant l'ouverture de cet exercice. Les dépenses de 1853 doivent être présentées au mois de mars 1852.

Comment voulez-vous, messieurs, qu'au mois de mars 1852 on puisse prévoir tous les besoins qui pourront naître dans l'exercice 1853 ? Cela est tout à fait impossible, à part, encore, messieurs, ces besoins extraordinaires qui naissent de crises tout à fait imprévues.

D'ailleurs, messieurs, la Constitution n'exclut pas les crédits extraordinaires. Elle veut que toutes les recettes et toutes les dépenses soient portées au budget de l'Etat ; eh bien, les crédits extraordinaires sont portés au budget, comme crédits extraordinaires.

Ici, messieurs, je commence par rencontrer une de ces erreurs de fait que je reprochais tout à l'heure à l'honorable rapporteur M. de Man, et cette erreur ne sera pas la dernière.

Le crédit extraordinaire d'un million a été voté, dit il, en dehors des budgets. Eh bien ! l'honorable rapporteur n'aura pas lu, ou aura perdu de vue la loi de juin 1849, qui, précisément, fait rentrer ces crédits dans les budgets de 1849 et de 1850. Voici ce que dit cette loi :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit d'un million.

« Art.2. La moitié de ce crédit (500,000 fr.) sera prélevée sur l'excédant des ressources prévues pour l'exercice 1849, et formera l'article 114 du budget du ministère de l'intérieur pour cet exercice.

« L'autre moitié sera rattachée au budget de l'exercice 1850. »

Il en a été de même pour le crédit de deux millions, qu'un article spécial rattache au budget de 1848. Les crédits extraordinaires ont donc été rattachés au budget ; ils ont été mentionnés sous un article spécial ; dés lors la critique faite par l'honorable rapporteur en ce qui concerne les crédits extraordinaires votés en dehors du budget, cette critique, dis-je, tombe complètement à faux.

Passons au second grief.

« Plus de crédits globaux ; il faut des articles spéciaux. »

Je repousse encore, pour mon compte, ce grief. Ce n'est pas au ministre de l'intérieur actuel qu'il peut s'adresser. Je suis surpris que l'honorable rapporteur qui semble avoir scruté avec tant de soin, avec tant de minutie, jusqu'au dernier centime, l'emploi de la somme d'un million, ait, en quelque sorte, fermé les yeux sur des faits essentiels et importants, ait oublié des antécédents que cependant il devait avoir présents à l'esprit.

L'on me reproche d'avoir demandé des crédits globaux. C'est tout le contraire qui est arrivé, Dans la loi du crédit de deux millions, qu'avait fait le gouvernement ? Il avait indiqué cinq articles entre lesquels le crédit de deux millions se trouvait réparti ; il avait demandé une discussion spéciale et un vote spécial sur chacun de ces articles. Qu'a fait la section centrale ? Elle a supprimé toutes ces divisions ; elle a réuni en un article global les articles spéciaux proposés par le gouvernement, et c'est au gouvernement qu'on vient reprocher d'avoir demandé à la chambre des dépenses sous forme globale et générale !

L'honorable M.Rousselle qui était à cette époque rapporteur de la section centrale se le rappellera : les articles de la loi des deux millions ont été ramenés à un seul par la section centrale ; à la place des articles spéciaux proposés par le gouvernement, la section centrale proposa à la chambre, et la chambre, à l'unanimité des voix, moins celle de M. David, adopta la disposition suivante :

« Art. 1«. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de 2 millions de francs, pour aider au maintien du travail, et particulièrement du travail industriel et pour faciliter l'exportation de fabricats ou produits belges et pour toutes autres mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières.

« Ce crédit formera l'article unique du chapitre XXIII du budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1848. »

Voilà l'étendue que la section centrale d'alors donna aux propositions spéciales du gouvernement ; et je ne crois pas que cette section centrale puisse être accusée d'avoir manqué de notions financières, ou d'avoir voulu porter atteinte à la Constitution. Cette section était composée de tout ce que nous comptions de mieux parmi les financiers de la chambre. Je ne veux pas faire tort aux connaissances spéciales de l'honorable M. de Man, mais il voudra bien me permettre d'opposer à son autorité celle des membres qui composaient la section centrale d'alors. C'étaient M. Liedts, président de la chambre, MM. Mercier, d'Huart, Malou, et ces trois derniers sont d'anciens ministres des finances ; il y avait ensuite MM. Rousselle, Cogels et d'Elhoungne. Voilà comment était composée la section centrale qui transforma la demande de crédits spéciaux formée par le gouvernement en un crédit global si amèrement critiqué par l'honorable rapporteur de la commission des finances.

Pour qu'on ne s'y trompât point, un honorable membre de la section centrale a donné l'explication du crédit global. Voici ce qu'il disait : « Je dois faire observer à la chambre qu'en substituant une formule vague et élastique en quelque sorte à la proposition primitive qui était alors divisée en articles, la section centrale a voulu donner au ministère un moyen de prendre non seulement les mesures qui étaient indiquées dans le projet primitif, mais encore toutes autres dont la nécessité lui serait démontrée.» Voilà comment un honorable membre de la section centrale expliquait l'article. Cet honorable membre n'était aulre que l'honorable M. Malou.

Voilà, messieurs, dans les circonstance d'alors, quelle latitude on donnait au gouvernement ; et aujourd'hui que le gouvernement rend un compte spécial, et détaillé de ces crédits que l'on votait de confiance, vu les circonstances, il faut qu'on examine ces crédits avec un esprit de sévérité et de rigueur, qui n'a jamais présidé à l'examen d'aucune espèce de compte du gouvernement ! Il y aurait eu, permettez-moi de le dire, une espèce de guet-apens, à fournir d'une part au ministre un crédit global aussi largement formulé et à venir plus tard exiger de lui les comptes les plus minutieux, la justification la plus complète de l'emploi de ces sommes, en se réservant de les présenter comme ayant été dépensées irrégulièrement.

Du reste, je ne m'en plains pas, j'ai toujours appelé la discussion des actes posés dans ces circonstances difficiles, et je suis charmé que l'occasion se présente de m'en expliquer complètement, même après quatre ans.

Vient maintenant un troisième grief ; je suis toujours dans les hautes généralités du rapport. Plus de réemploi des fonds rentrés au trésor ! s'écrie-t-on.

Je ne suis pas l'inventeur du système du réemploi des fonds, j'ai trouvé ce système établi. Ce système de réemployer les fonds a été consacré par les lois de crédits votés à mes prédécesseurs, et, chose curieuse, on me reproche d'avoir demandé abusivement la faculté de faire réemploi de sommes rentrées au trésor, tandis que dans la loi du crédit de deux millions cette demande n'a pas été faite.

Je ne suis, dis-je, ni l'inventeur ni le partisan du système de réemploi des fonds rentrant sur des avances faites. Aussi à la première occasion qui s'est offerte, je me suis empressé d'y renoncer.

L'honorable M. de Man ne doit pas avoir oublié que, lors de la discussion du dernier crédit relatif au défrichement, j'ai déclaré que désormais il ne serait plus fait réemploi des sommes qui rentreraient. Quand donc on vient s'écrier fièrement : Désormais, plus de réemploi ! on me fait l'effet, qu'on me passe l'expression vugaire, d'enfoncer les portes ouvertes. C'est un principe qui est aboli ; le gouvernement a renoncé à cette faculté, qui, je le répète n'est pas de son invention pas plus qu'elle n'est de son goût.

Quatrième doctrine générale, et quatrième grief du rapporteur de la commission des finances : Plus de subsides aux personnes !

Je ne crois pas non plus qu'en bonne justice, on puisse me reprocher d'être l'inventeur de ce système, et dire que ce soit seulement à partir de l'application des crédits de l et de 2 millions qu'il ait été accordé dès subsides à des personnes, à des individus. Cette doctrine, on n'y a pas mûrement réfléchi, conduit à l'absurde.

S'il est des dépenses susceptibles d'être faites par l'intervention des provinces, des communes, il en est d'autres qui ne peuvent se faire autrement que par les individus. Demanderez-vous un tableau à un conseil communal, une statue à un bureau de bienfaisance, un livre à une province ?

Pour tout ce qui concerne les lettres, les arts, les sciences, vous accorderez sans doute qu'il faut bien que les subsides se traduisent sous forme de subsides personnels ?

Dans un autre ordre de faits, pour les faits commerciaux, pour les faits industriels, est-il possible d'éviter les subsides personnels ?

Veut-on faire décider que les fonds employés dins l'intérêt de l'industrie et du commerce, doivent passer à l'avenir par les mains de sociétés ? En supposant que cela fût plus prudent, est ce toujours possible ?

Voyons ce qui s'est passé pour l'emploi du crédit d'un million. Ce crédit était destiné en partie à favoriser nos exportations. Le devoir du gouvernement était de poursuivre ce but par tous les moyens. Il avait été convenu que si l'on trouvait des sociétés qui voulussent se charger de faire des exportations, on se mettrait en rapport avec ces sociétés.

On n'a pas trouvé de société générale ; l'honorable M. Osy a déclaré qu'il serait inutile de chercher à former une société générale dans la ville la plus apte à cette institution, que les capitaux manqueraient ; restaient les associations restreintes, le gouvernement a traité avec ces associations ; quand elles lui ont manqué il a traité avec les armateurs isolés, il s'est adressé aux efforts individuels, en prenant des garanties.

Croit-on que tout est sauf, quand le gouvernement a traité avec urte société ? N'est-il pas tel individu qui a plus de crédit que telle société ? Il y a des sociétés solvables et des sociétés insolvables, comme il y a des individus solvables et des individus insolvables ; il faut choisir, il faut que les fonds de l'Etat reçoivent la destination la meilleure, qu'ils soient la mieux garantis et le mieux dépensés en vue du but qu'on veut atteindre.

Voilà la condition qu'il faut imposer au gouvernement, mais il serait absurde de déclarer en principe que désormais les fonds du budget net pourront pas être dépensés sous forme de subsides, d'allocations personnelles. Ce serait une chose vaine, impraticable ; je ne crois pas que la chambre soit disposée à accepter ce quatrième grand principe posé par le rapporteur de la commission des finances.

Je passe maintenant des griefs généraux du rapport aux griefs plus spéciaux articulés ontre l'administration.

Je demande pardon à la chambre, si j'entre dans d'assez longs détails,, elle voudra bien me permettre da me défendre ; là se borne toute mon ambition ; j'ai été, il faut le dire, très amèrement attaqué dans le rapport de l'honorable M. de Man.

Ce rapport a fait grand bruit ; il a défrayé pendant plusieurs jours la (page 780) presse de l'opposition ; il y a été considérablement augmenté, embelli. Le moment est venu d'y répondre d'une manière catégorique et complète.

Je prie l'opposition de vouloir bien me pardonner cette défense, de ne pas me reprocher de glorifier la politique nouvelle, parce que je cherche à défendre ses actes.

Les reproches généraux que je viens de relever s'adressaient moins au ministre qu'à la chambre entière.

Si j'y suis pour quelque chose, j'y suis pour ma faible part de représentant ; la chambre a consacré par ses votes les principes contre lesquels la commission des finances, par l'organe de l'honorable M. de Man, trouve bon de se récrier aujourd'hui.

Viennent maintenant les actes dont je suis plus personnellement responsable et dont j'accepte la responsabilité comme membre du cabinet, sans même, messieurs, vouloir chercher des complices sur les bancs de cette chambre, où j'en aperçois en assez grand nombre, même parmi mes adversaires.

Dans les circonstances difficiles que nous avons traversées, en est-il beaucoup parmi vous, messieurs, qui se soient abstenus de demander au département de l'intérieur, son concours actif, immédiat, pour venir en aide à la situation de leurs localités ?

Eh bien, j'oublie ce qui a été fait alors ; je prends sur moi la responsabilité de tous les actes posés ; je ne tiens pas compte des sollicitations qui, par un grand nombre de voies, m'ont été faites dans ces circonstances difficiles pour obtenir, en faveur de nombreuses localités, les subsides qu'elles réclamaient, comme le plus pressant de leurs besoins.

Si à cette époque ou depuis lors j'avais reçu des reproches, ce n'eût certes pas été pour avoir dépensé trop facilement les fonds du trésor ; ce n'eût pas été pour en avoir disposé trop libéralement ; c'eût été à raison même des résistances que j'opposais aux réclamations dont j'étais incessamment l'objet.

Je fais à cet égard un appel à beaucoup d'entre vous, messieurs ; on me démentira si je m'écarte de la vérité.

On ne tient pas compte aujourd'hui, M. le rapporteur de la commission des finances ne tient pas compte de ces circonstances difficiles ; il me juge, il me condamne avec la plus grande sévérité.

Le crédit d'un million (je m'occupe spécialement de ce crédit, le rapport sur le crédit de 2 millions ne me donnant pas lieu de m'étendre longuement sur celui-ci) s'est réparti de la manière suivante :

« Encouragement à l'industrie et au commerce d'exportation : fr. 134,000.

« Mesures relatives à l'agriculture : fr. 222,132.

« Travaux d'assainissement et de voirie vicinale : fr. 411,405.

« Mesures relatives au choléra : fr. 69,408.

« Dépenses relatives à l'émigration : fr. 90,256

« Encouragements artistiques et littéraires : fr. 65,350.

« Objets divers : fr. 7,537. »

M. le rapporteur de la commission des finances commence par critiquer l'emploi du crédit qui a été fait pour encourager les exportations. Ce n'est point avec des particuliers qu'il fallait traiter, c'était avec des sociétés. J'ai dit tout à l'heure ce que nous avions pu faire avec des sociétés. Quant à une société générale, il n'était pas possible qu'il s'en formât ; quant à des individus associés, nous en avons trouvé et nous avons pu traiter avec eux.

Nous avons traité avec une société d'armateurs à qui appartenait le navire « l'Océanie » ; nous avons traité avec une autre association pour l’établissement d'un comptoir à Santo-Tomas ; nous avons cherché à traiter avec une société pour établir un comptoir à Singapore, mais il ne s'est pas trouvé d'amateurs. Ces moyens d'exportation ne suffisant pas, nous en avons recherché d'autres, notre devoir étant de favoriser l'exportation de nos produits ; ce à quoi la chambre avait surtout poussé le gouvernement.

Il s'est présenté, indépendamment des armateurs associés dont je viens de parler, des armateurs isolés qui ont offert au gouvernement de transporter sur la côte occidentale de l'Amérique, sur des marchés que nous n'avions guères visités jusques-là des produits de notre industrie jusqu'à concurrence de deux millions de francs. Qu'a fait le gouvernement ? Il a accepté ces offres bien qu'elles vinssent d'un armateur isolé. Il a fait un prêt de 100,000 fr., prêt parfaitement garanti, prêt dont le remboursement sera effectué, j'en donne l'assurance à la chambre. En quoi a consisté son intervention ? Le gouvernement eût été parfaitement en droit d'accorder à cet armateur, à titre de prime, les 100,000 fr., qui représentent à peu près 5 p. c. des valeurs transportées ; il a préféré donner cette somme à titre de prêt et ce prêt suffisamment garanti, rentrera dans les caisses de l'Etat.

Mais, qu'est-ce que 2 millions d'exportations, dit l'honorable M. de Man, et quelles sont les industries qui y ont pris part ? Ce sont des industries insignifiantes ; on ne s'est pas occupé des industries principales ; c'étaient des cotons, c'étaient des lins qu'il fallait exporter ! Au lieu de cela, on a exporté des draps, des armes, des cigares, des bijouteries, de l’argenterie, des plantes ! (L'honorable M. de Man en veut beaucoup aux plantes, nous y reviendrons tout à l'heure.) Eh bien, messieurs, ici encore je remarque une de ces omissions fâcheuses que j'indiquais en commençant.

L'honorable M. de Man donne, dans son rapport, un extrait du tableau des marchandises exportées ; il cite quelques articles insignifiants et il oublie un poste de 100,000 fr, concernant des vêtements confectionnés, des vêtements destinés aux pays chauds, c'est-à-dire des vêtements de toile et de coton ; légère omission de 100,000 fr. à imputer au profil des exportations de cotons et de lins que l'on disait si complètement négligées.

Je cite seulement cette légère omission de l'honorable M. de Man pour faire voir dans quel esprit son rapport est rédigé.

De plus, l'honorable M. de Man, qui est si attentif, si minutieux, a perdu de vue que pour ce qui concerne l'exportation des cotons et des lins, il y avait eu des mesures particulières, des mesures d'encouragement spéciales. L'honorable M. de Man savait parfailement, il ne pouvait l'ignorer, il étudie avec trop de soin, avec trop de minutie tous les détails ; cela avait été renseigné dans mes comptes rendus ; l'honorable M. de Man devait savoir que pour ce qui concerne l'exportation des cotons et des lins, une avance de 200,000 fr. avait été faite à des négociants qui l'ont remboursée, à la condition qu'ils fissent des commandes aux fabriques de coton jusqu'à concurrence de cette somme et au-delà.

D'autres prêts, qui ont été également renseignés dans mes comptes rendus, avaient spécialement pour but d'encourager les commandes des cotons et des lins. En outre, il y avait des primes spéciales de 10 et de 11 p. c. pour les exportations de ces tissus ; et dès lors il n'était pas étonnant que l'armateur, qui a fait des exportations pour 2 millions de francs, n'ait pas pris des cotons et des lins, lesquels trouvaient des débouchés beaucoup plus avantageux à l'aide de ces primes spéciales.

Un des thèmes de M. le rapporteur est celui-ci : vous avez invoqué la situation malheureuse des populations flamandes et vous n'avez rien fait pour ces populations. Vous avez donné 100,000 fr. à un armateur d'Anvers pour qu'il fît des exportations, et dans ces exportations les cotons et les lins ne figuront que pour une valeur insignifiante. Mais en juge impartial, en contrôleur impartial, n'aurait-il pas dû ajouter que si les cotons et les lins n'avaient été compris dans l'expédition des deux millions exportés, ils avaient été exportés jusqu'à concurrence de 5 millions de francs, à l'aide de primes spéciales accordées par le gouvernement, et à l'aide de prêt fait à condition d'exportation.

Remarquez, enfin, que, suivant les termes de la loi qu'on nous accuse de méconnaître, ce n'était pas seulement pour l'exportation des cotons et des lins que les crédits étaient votés, c'était pour aider à l'exportation de toutes les industries, à l'accomplissement de toutes les mesures qui pouvaient se combiner alors avec le maintien de l'ordre public.

On trouve aussi fort mauvais (car rien, rien de bon, suivant l'honorable M. de Man, n'a été exécuté par le département de l'intérieur ; il a eu en tout la main malheureuse), on trouve mauvais qu'il ait été accordé des bourses de voyage à un certain nombre de jeunes gens.

Messieurs, nous considérons ces bourses de voyage comme une des institutions les plus utiles pour le commerce de notre pays, c'est elle qui à l'avenir pourra dispenser le trésor de faire des dépenses pour aider à l'exportation des produits.

Nous avons aidé 40 jeunes gens, la plupart appartenant à des maisons de commerce, à aller s'établir dans différents centres commerciaux du globe.

Nous avons dépensé de ce chef une somme de 80,000 fr., nous l'avons fait de l'assentiment, aux applaudissements de toutes les chambres de commerce.

Dans ces jeunes gens on n'a vu peut-être que des créatures du ministère. Je déclare ne pas en connaître un seul personnellement, et n'avoir donné de bourse qu'à ceux qui m'étaient recommandés par les chambres de commerce.

Ces jeunes gens ont déjà rendu des services ; ils sont appelés à en rendre beaucoup d'autres dans l'avenir. Je pense que si une institution devait trouver grâce aux yeux de M. de Man, c'était l'institution des bourses de commerce qui doit aider si efficacement au développement de nos relations avec les pays transatlantiques.

Je voudrais, messieurs, pouvoir abréger ; mais je tiens à cœur d'en finir une bonne fois avec toutes ces accusations qui circulaient sourdement et qui ont fini par éclater dans un document parlementaire.

On a aussi parlé d'ateliers déserts dans les Flandres. On nous a reproché d'avoir aidé à la création d'ateliers d'apprentissage et l'on nous dit que ces ateliers étaient déserts.

C'est dans le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom que cette accusation se trouve ; mais je puis, je crois, sans aller trop loin, attribuer à l'honorable M. de Man les reproches qui se trouvent dans le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom.

L'esprit qui règne dans tout le rapport de l'honorable M. de Man, je l'ai retrouvé dans la partie critique du rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom.

On a vu, dit-on, des ateliers déserts. Je voudrais savoir quels sont les ateliers situés dans les Flandres qui se trouvent déserts en ce moment On n'a pas, à la vérité, critiqué la dépense faite pour les ateliers ; au contraire, la commission a bien voulu reconnaître (je parle de la commission des finances, ayant pour organe l'honorable M. Vandenpeereboom) la commission a bien voulu reconnaître que ces ateliers d'apprentissage avaient rendu de nombreux et efficaces services. Des membres, cependant, ont parlé d'ateliers déserts. Eh bien, voyons en peu de mots la situation de ces ateliers.

Ils renferment aujourd'hui un nombre d'ouvriers occupés montant à 4,201.

(page 781) Ils ont formé 8,050 ouvriers. Nous ne parlons pas des ouvriers qui travaillent à domicile à des produits qui se rattachent aux ateliers d'apprentissage.

J'ai fourni, messieurs, à la chambre un rapport spécial sur les ateliers d'apprentissage. Je n'ai pas besoin de faire ressortir toute l'utilité, tous les avantages qui sont résultés de ces ateliers pour ces provinces naguère encore si souffrantes, et dont la situation est aujourd'hui si grandement améliorée, on ne peut le nier.

En ce qui concerne l'importance des relations commerciales créées non par le subside, mais par la seule avance de 100,000 francs, voici quelle a été la progression de nos exportations vers les contrées d'Amérique.

Je citerai seulement le Chili et le Pérou. En 1847, nous avions exporté dans ces parages pour 641,000 fr. : nous y avons exporté : En 1848, pour 1,019,000 fr. ; En 1849, pour 1,896,000 fr. Et en 1850, pour 2,063,000 fr.

Je passe à une autre catégorie de dépenses, c'est-à-dire à une autre catégorie de griefs de la part de l'honorable rapporteur.

La deuxième catégorie de dépenses concernait les améliorations agricoles, colonisation, 222,132 fr.

D'après l'honorable rapporteur, je me suis écarté des intentions de la législature, parce qu'au lieu de consacrer toute cette somme de 222,152 fr,, à la colonisation intérieure, je n'y ai consacré que la moitié environ, en réservant l'autre moitié à d'autres mesures agricoles. Eh bien, messieurs, je demande si, d'après le titre même de l'article, je n'étais pas autorisé à en agir ainsi ?

On veut bien ne pas critiquer les travaux de colonisation agricole. Il en a été exécuté sur plusieurs points de la Flandre et de la Campine. M. le rapporteur, ici, est indulgent ; il doute toutefois que dans la Campine il se soit transporté quelques familles flamandes ; eh bien, si l'honorable rapporteur avait eu la bonté de me demander des renseignements, il aurait vu qu'en effet des familles flamandes sont venues s'établir dans la Campine.

Mais, peu importe : nous avions à fertiliser cette partie de la Campine ; ous ne nous étions pas engagés à la coloniser au moyen de familles flamandes ; je me rappelle même que l'honorable M. Coomans avait protesté contre l'appel de familles flamandes dans la Campine ; il ne s'en souciait pas.

M. Coomans. - J'ai dit que je ne me souciais pas de voir affluer dans la Campine, des vagabonds ; je n'ai pas parlé des Flamands, je les aime trop pour cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici, messieurs, l'énormité que j'ai commise, en ce qui concerne les encouragements agricoles. J'ai encouragé une exposition agricole à Gand et à Bruges. J'avais déclaré qu'à mon sens il s'agissait non pas seulement de donner des satisfactions matérielles aux populations, qu'il fallait aussi, dans les circonstances que nous traversions, leur donner des satisfactions morales, en quelque sorte. Il avait été reconnu utile par tous ceux qui s'occupaient à cette époque, de la situation des Flandres, il avait été reconnu utile de faire constater dans des expositions publiques, les résultats des efforts faits par le gouvernement pour relever la situation des Flandres.

Eh bien, nous avons encouragé, d'abord à Gand, puis à Bruges, une exposition agricole où les campagnards sont venus apporter avec un grand zèle le fruit de leurs efforts et en recevoir le prix. Ces expositions ont fait le plus grand bien. Je n'ai pas à les défendre ici : je présume que ceux qui y ont pris une part plus active que moi, auront soin de répondre sur ce point à l'honorable M. de Man.

Mais ce n'est pas tout ; j'ai commis d'autres énormités. Je suis venu au secours d'une personne placée à la tête d'un établissement horticole.

Je rectifie l'assertion de l'honorable rapporteur : je ne suis pas venu au secours d'une personue, je suis venu au secours de deux personnes ou plutôt je suis venu au secours de deux établissements considérables de Gand, je ne le nie pas. Tout à l'heure, je faisais remarquer que, dans plusieurs parties du rapport, on reproche au gouvernement de n'avoir rien fait pour les populations des Flandres ; ici on lui reproche d'avoir empêché deux des plus beaux, des plus grands établissements horticoles de Gand, de succomber à la suite de la crise de 1848.

Ces établissements devaient être les premiers frappés par la perturbation politique ; c'est ce qui est arrivé ; de toutes parts on est venu me supplier d'empêcher la chute de deux établissements qui font honneur au pays. L'honorable M. de Man qui cependant en ce qui concerne la culture des plantes, porte un nom qui l'oblige, en quelque sorte, l'honorable M. de Man traite cette industrie avec un laisser-aller, avec une légèreté qui prouve qu'il n'est pas du tout pénétré de son importance.

L|honorable M. de Man ne sait-il pas que l'industrie dont il s'agit, donne du travail à des centaines de bras, qu'elle se répartit dans un grand nombre de petits ateliers ? Ignore-t-il que cette industrie exporte pour des millions par an, sans parler de la consommation intérieure ? L'industrie que vous qualifiez ironiquement d'industrie de plantes exotiques, cette industrie est une des branches les plus importantes de la richesse publique du pays et vous la traitez avec un dédain qui m'étonne.

J'ai trouvé le moyen, messieurs, en venant en aide à ces établissements, j'ai trouvé l'occasion d'y fonder une école.

Voilà bien un autre grief ; fonder une école où l'on enseignera l'art de cultiver « les plantes exotiques ; » quel scandale, quelle absurdité !

Eh bien, messieurs, si c'est là une branche des plus importantes de l'industrie nationale, je croîs que fonder une école dans laquelle les fils de nos agriculteurs viendront apprendre l'art de cultiver, de soigner les plantes, fussent-elles exotiques, c'était prendre une initiative destinée à produire les meilleurs résultats et je m'applaudis d'avoir trouvé le moyen de créer, à l'aide de ce subside, une pareille institution.

Il faut avouer, messieurs, que nos horticulteurs jouent de malheur : les voilà tout à coup rayés de la classe des agriculteurs et sans aucun droit aux encouragements de l'Etat. Si, répondant à l'appel, non plus du gouvernement, mais des comices agricoles, ils envoient leurs produits ordinaires aux expositions, ils deviennent le sujet des plaisanteries les plus spirituelles de la part d'un certain nombre d'adversaires.

Ce sont des exposants de navets, de carottes, de choux-fleurs ; on se moque agréablement de ceux qui ont la bonhomie d'envoyer leurs produits à ces spectacles ridicules, inventés pour le besoin de la politique nouvelle.

Voilà donc nos horticulteurs condamnés, sous peine de ridicule, à ne plus envoyer leurs produits ordinaires à nos expositions.

S'ils s'avisent de cultiver des plantes plus relevées, et surtout des plantes exotiques, oh ! alors ils ne sont plus décidément bons à rien ; il faut les laisser succomber dans les moments critiques ; il faut, dût-il en résulter la ruine d'une masse de familles, celle d'une des industries les plus importantes du pays ; il faut que ces établissements succombent ; et pourquoi ? Parce qu'ils s'occupent de la culture de plantes exotiques !

Lisez, messieurs, le rapport de l'honorable M. de Man, et vous verrez que je n'exagère absolument rien, il y a toute une page consacrée aux attaques de l'honorable M. de Man contre les cultivateurs des plantes exotiques...

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - C'est pour les défendre au contraire.

M. Coomans. - Des subsides ne sont pas des fleurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous auriez été les premiers à cette époque, laissez-moi le croire, à blâmer le gouvernement, si, par le fait de son abstention, une industrie aussi importante pour la ville de Gand, était venue à succomber ; dans tous les cas, vous n'auriez pas été en majorité pour blâmer le gouvernement.

Passons à un autre grief : le ministre de l'intérieur a aidé un certain nombre de personnes à émigrer dans les pays étrangers. Or, dit l'honorable rapporteur, cela n'était pas dans l'esprit de la loi ; encore une fois le gouvernement a manquéà ses engagements, il n'a pas exécuté la loi.

Eh bien, l'honorable M. de Man se trompe encore. Lorsque j'ai exposé les mesures qui pouvaient utilement être prises, en vue de diminuer le paupérisme dans les Flandres, j'ai indiqué, outre les améliorations à l'intérieur, l'émigration à l'extérieur dans une certaine mesure.

Je n'étais pas seul de mon opinion ; les conseils provinciaux, la commission spéciale des Flandres avaient aussi émis l'avis que pour diminuer le paupérisme, il y avait lieu, entre autres, d'aider, dans une certaine mesure à l'émigration. C'est ce que j'ai tenté à titre d'essai : des sommes ont été consacrées à favoriser l'émigration d'un certain nombre d'habitants ; le nombre des personnes ainsi aidées est de 141, pour lesquelles il a été dépensé une somme de 79,306 fr.

Je ne prétends pas que tous les essais ont réussi ; que la chambre ne se méprenne pas sur mes intentions : je ne veux pas prôner toutes les mesures indistinctement qui ont été prises dans ces circonstances ; je me borne à défendre l'application des crédits dans leur ensemble ; je soutiens que les crédits ont été employés utilement ; que cet emploi a eu lieu, conformément anx promesses que j'avais faites à la législature.

Venons maintenant aux travaux artistiques et littéraires ; là encore il y a malveillance marquée ; je suis fâché de le répéter.

M. de Man d'Attenrode. - Dites toujours, vous m'avez habitué à ces expressions ; elles ne me touchent guères.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous ne pouvez pas nier qu'il n'y ait malveillance marquée, je le démontre.

Il y a encore ici une omission qui m'étonne de la part d'un contrôleur aussi minutieux que l'honorable M. de Man. Une partie de la somme d'un millon avait été destinée à encourager les travaux artistiques et littéraires : le libellé du projet le portait ainsi, et dans l'exposé des motifs, j'avais eu soin de dire que je demandais la somme comme supplément au crédit du budget, attendu que ce crédit était insuffisant ; il était insuffisant par suite d'engagements pris par le gouvernement, antérieurement à mon entrée aux affaires. J'avais donc annoncé positivement que cette somme devait être employée à titre de crédit supplémentaire au budget de l'intérieur, et était destinée à encourager les travaux artistiques et littéraires.

Que fait l'honorable M. de Man d'Àttcnrode ? Il me dit : « Vous avez reçu une allocation destinée aux artistes ; qu'en avez-vous fait ? Vous en avez distrait une partie pour la consacrer aux littérateurs. » L'honorable rapporteur donne à entendre que j'aurais, en quelque sorte, dépouillé les artistes, pour être utile aux littérateurs, et à quels (page 782) littérateurs ? A des littérateurs qui n’en avaient pas besoin, et sans doute à des littérateurs que j'ai payés pour qu'ils chantaient mes louanges. (Interruption). Cest ce que vous n'avez pas ajouté, mais c'est ce qui était dans votre pensée.

Eh bien, voici les faits : j'ai encouragé la publication d'un ouvrage important d'une histoire du Congés national et je suis bien aise, en passant de rendre hommage aux efforts persévérants d'un écrivain infatigable et courageux qui peut avoir des adversaires, mais qui compte aussi beaucrup d'amis, A l'occasion de la pose de la première pierre de la colonne en l'honneur du Congrès national, j'ai cru qu'il était convenable, opportun de remettre a chacun des citoyens qui ont pris part à cette grande fête politique, un exemplaire de « l'Histoire du Congrès national » ; il a été tiré une édition à part pour cette destination, et chacun des exemplaires a été vendu au gouvernement, avec une remise de près du tiers sur le prix marchand. Voilà en quelques mots ce qui a été fait pour ce littérateur qu'on a eu l'intention de mettre en scène sous un aspect désobligeant.

Mais ce n'est pas le seul subside qui ait été accordé aux littérateurs. Si l'honorable M. de Man avait voulu scruter les dépenses faites depuis 10 ans, avec les soins minutieux qu'il a mis à examiner le compte rendu du crédit d'un million, il en aurait bien trouvé d'autres ; il aurait pu signaler des subsides accordés à des littérateurs qui les avaient beaucoup moins mérités que les littérateurs qu'on critique d'une manière si injuste. Au moins « l'Histoire du congrès » a paru ; il y a des littérateurs qui ont reçu des subsides pour des ouvrages qui sont encore à paraître.

Au reste, ce n'était pas un subside, c'était l'achat d'un ouvrage considérable, consciencieux, qui avait reçu une destination spéciale.

J'avais reçu le crédit pour encourager les travaux artistiques, et suivant l'honorable rapporteur, ce crédit n'a pas reçu son emploi. La preuve, selon lui, c'est qu'une partie de la somme a été consacrée à la restauration des monuments. La restauration des monuments n'a-t-elle rien de commun par hasard avec les travaux artistiques ?

Un subside donné à un conservatoire de musique ne consacre-t-il pas une dépense d'une nature artistique ? Un subside pour encourager des sociétés littéraires, n'est-ce pas là un subside d'une destination littéraire ? Je voudrais bien que l'honorable M. de Man voulût me fournir le moyen de distribuer les subsides d'une autre façon, de leur donner une autre destination. J'attendrai de son imagination qu'il veuille bien m'indiquer ce moyen.

Voici qui est plus fort que tout ce que nous avons vu jusqu'ici.

Une partie, presque la moitié du crédit d'un million, car remarquez, messieurs, que toutes ces dépenses si nombreuses et si diverses, s'élèvent en tout à un million, presque la moitié de ce million a été consacrée à des travaux de voirie vicinale, et à des travaux d'assainissement.

Quant aux travaux de voirie vicinale, je reconnais que l'honorable rapporteur se montre généreux ; il accorde « qu'il y a lieu d'espérer que ces subsides ont été employés d'une manière convenable, » il me fait grâce de cette concession. Pourquoi y a-t-il lieu d'espérer que ces subsides ont été employés d'une manière convenable, ce dont on aurait pu s'assurer en demandant des renseignements ? C'est parce que les administrations communales ont été chargées de surveiller l'application de ces fonds. Ainsi défiance complète dans l'administration centrale, confiance absolue dans l'administration communale. Mais il y a inversion de rôles.

Il se trouve que ce ne sont pas les administrations communales qui contrôlent l'emploi des fonds alloués à la voirie vicinale, que c'est au contraire le, gouvernement. C'est l'administration supérieure, par l'intermédiaire des gouverneurs, des membres de la députation, des commissaires d'arrondissement et particulièrement des commissaires-voyers.

Ainsi s'il y a lieu d'espérer que ces fonds ont été dépensés convenablement, c'est que les commissaires-voyers, les commissaires d'arrondissement auront veillé à ce que les fonds ne soient pas détournés de leur destination.

J'ai confiance dans l'action des administrations locales, mais je ne suis pas fâché de voir comment les fonds sont appliqués.

Je remercie, au surplus, l'honorable rapporteur de la commission de l'indulgence qu'il veut bien ici m'octroyer ; mais l'honorable membre ne reste pas longtemps dans cette veine d'indulgence.

Je me suis avisé d'encourager dans les communes des travaux d'assainissement. Et voici, en passant, une petite remarque consignée dans le rapport de M. de Man et qui ne doit pas rester inaperçue. Il donne le détail des sommes consacrées aux travaux d'assainissement. En tête de ce détail il fail figurer Anvers, chef-lieu de la province, pour 25 mille francs ; puis il ajoute : Flandre occidentale, néant.

D'où il suit que le ministre de l'intérieur, qui a quelques rapports politiques avec le chef-lieu de la province d'Anvers, aurait consacré à ce chef-lieu une somme de 25 mille francs, alors qu'il ne donnait rien à la province de la Flandre occidentale, au secours de laquelle il fallait particulièrement venir.

J'en demande pardon à l'honorable M. de Man, lui qui lit tout si attentivement, il a perdu de vue que si la ville d'Anvers a reçu un subside, d'autres villes avant elle avaient reçu des subsides plus considérables, notamment dans la Flandre occidentale.

Si l'honorable M. de Man veut bien relire mon compte rendu, il verra que parmi les villes qui ont reçu des subsides pour assainissement, se trouvent Bruges, capitale de la Flandre occidentale, Courtray, Ypres, Ostende, Menin, Thielt.

J'ajoute, et je demande qu'on n'en tire pas plus tard parti contre moi, que sur 550 mille francs consacrés à la voirie vicinale dans le crédit de 2 millions, la province d'Anvers n'a reçu qu'une somme de 10 mille francs.

M. Coomans. - Et mon arrondissement n'a rien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je disais ceci pour me défendre, je ne mets pas en doute que cette partie de ma défense ne devienne un moyen d'attaque contre moi. On dira que je ne fais absolument rien pour la province d'Anvers.

Quant à l'arrondissement de M. Coomans, il a été largement doté de toutes espèces de routes et canaux ; s'il reste quelque chose à faire nous le ferons ; j'ai conservé des sympathies pour cet arrondissement.

Ces travaux d'assainissement, on en nie positivement les heureux résultats en ce qui concerne la classe ouvrière ; et, « au surplus, ce n'est pas au gouvernement à se mêler de ces menus détails. » Je trouve, au contraire, que c'est au gouvernement à se mêler de ces détails qui ne sont pas menus, mais les plus importants de l'administration.

Ce principe d'intervention, défendu par le gouvernement, a été consacré par le vote presque unanime de la chambre, à deux reprises, et en dernier lieu dans la loi des travaux publics où le gouvernement a compris une somme de 600 mille francs exclusivement destinée à des travaux d'assainissement. Contrairement à l'avis du rapporteur de la commission des finances, la chambre a décidé que le gouvernement devait s'occuper de ces détails, et elle a fort bien fait.

Mais, ajoute-t-on, car il faut tout blâmer, ces travaux n'ont pas été utiles à la classe ouvrière. Je vous prie d'écouter cette simple phrase du rapport :

« Les dépenses qui tendent à compléter le système de construction des égouts d'une grande ville, à améliorer et à rendre plus abondante la distribution des eaux, à curer les rivières, à substituer des rues larges à des ruelles, qui obligent la classe ouvrière à chercher des habitations ailleurs, ces dépenses ne sont pas faites spécialement pour la classe ouvrière, et si elles lui sont utiles, ce n'est que d'une manière indirecte et souvent très éloignée. »

Et, dans le rapport de M. Vandenpereboom, nous trouvons renforcé cet esprit de critique ; on va jusqu'à me reprocher d'avoir subsidié des travaux d'assainissement en vue de favoriser un spéculateur particulier. Je demande formellement à l'honorable rapporteur de vouloir bien signaler ce spéculateur que j'aurais eu en vue de favoriser par des subisides pour assainissement. J'attendsde sa loyauté qu'il veuille bien me répondre.

M. de Man d'Attenrode. - Qui vous dit que c'est moi qui a fait cette observation ?

M. E. Vandenpeereboom. - Le rapport reproduit les arguments présentés dans la commission

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. de Man trouve que tout a été mal fait, irrégulièrement fait. Je suppose que, comme membre de la commission, il professe les mêmes opinions que comme rapporteur. Dès lors je ne vais pas trop loin en lui atttribuant les motifs d'opposition consignés dans le rapport de M. Vandenpeereboom.

Je ne lui fais pas de tort, en le supposant conséquent avec lui-même, en pensant qu'il a critiqué comme membre ce qu'il a critiqué comme rapporteur. Au reste, il vient de déclarer que ce que je disais de son opposition ne lui déplaisait pas.

M. de Man d'Attenrode. - On ne fonde pas des interpellations sur des suppositions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai peut-être été trop loin en vous citant ici. Si l'observation ne vient pas de vous, je vous en demande pardon ; mais elle vient de quelqu'un, elle vient de l'opposition dans le sein de la commission, et ce quelqu'un, je l'interpelle.

Il y a encore d'autres dépenses qui ont été vivement critiquées dans le rapport de M. Vandenpeereboom : je ne sais si ces critiques appartiennent à l'honorable M. de Man, ou à un de ses amis : il s'agit d'une somme de 200 mille francs avancés à la ville de Bruxelles pour l'aider à activer les travaux de construction d'une caserne.

Cette avance a été attaquée dans le sein de la commission, comme ne constituant pas une dépense nécessaire, et dont le remboursement, dans la meilleure hypothèse, se fera longtemps attendre.

Je ne remercierai pas l'auteur de l'observation de ce compliment adressé au crédit de la capitale. Quant à moi, je pense que, dans toutes les hypothèses, le recouvrement de l'avance faite à la ville de Bruxelles est assuré.

M. Osy. - Je demande la parole. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez ; vous allez voir qu'ici le rapporteur de la commission a tort ; si vous partagez son opinion, vous verrez que vous avez tort aussi.

Le recouvrement, dit-on, dans l'hypothèse la plus favorable se fera longtemps attendre. Je réponds : Aussi longtemps qu'il y aura une garnison à Bruxelles, le recouvrement est assuré puisqu'il se (page 783) prélève sur les frais de casernement.

Ainsi, à moins de supposer qu'un jour la ville de Bruxelles soit dépourvue de garnison, on doit admettre que ce remboursement aura lieu, et en supposant même qu'il n'ait pas lieu de cette façon, je compte assez sur le crédit de la capitale pour être certain qu'il se ferait autrement.

Mais, c'est une faveur spéciale faite à la ville de Bruxelles ! Erreur encore une fois : ce mode a toujours été employé ; non seulement aux époques calamiteuses, mais à toutes les époques ; le gouvernement a accordé des avances pour les reconstructions ou l'entretien de casernes, à beaucoup d'autres villes, et Bruxelles ne figure même qu'à la suite. Ainsi des avances ont été faites à Gand, Bruges, Anvers, Louvain, Liège, Termonde, Saint-Trond, Namur.

M. Thiéfry. - A de meilleures conditions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et même à de meilleures conditions pour elles, comme on me le fait remarquer avec raison. Mais enfin, c'est, en général, à l'aide du casernement que les remboursements se font ; et, si je suis bien informé, plusieurs des villes que je viens de citer sont eu retard d'effectuer ces remboursements, tandis que Bruxelles s'exécute régulièrement.

M. de Theux. - Saint-Trond se plaint depuis longtemps d'avoir été entraîné à de grandes dépenses et de n'avoir pas ds garnisan.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Rappelez-vous que vous avez dit vous-même, à propos de la loi sur la garde civique, qu'on n'avait pas l'esprit militaire dans le Limbourg.

M. de Theux. - Je n'ai pas dit que cette province n'avait pas l'esprit militaire ; car je ne pense pas qu'il y ait une province où le recrutement se fasse plus régulièrement. Quant à la garde civique, j'ai dit que, comme la province était parfaitement paisible, on avait trouvé, dans le chef-lieu, que les exercices n'étaient pas d'une grande nécessité et cela est vrai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà ce qui a été fait pour Bruxelles comme pour plusieurs autres villes, et sous ce rapport, on voudra bien reconnaître que, ici encore, les reproches sont mal fondés.

Je termine, messieurs, je demande pardon à la chambre de l'avoir entretenue si longuement ; mais les attaques ont été si nombreuses qu'une partie des reproches s'il m'en était fait de ce chef, devrait retomber sur mes adversaires.

Je suis bien malheureux, en vérité, avec l'honorable rapporteur de la commission des finances.

M. de Man d'Attenrode. - Il y a deux rapports ; je n'ai pas fait les deux rapports.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je puis avec quelque raison, je pense, vous attribuer les critiques qui se trouvent dans les deux rapports, puisque celles que renferme le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom sont constamment d'accord avec celles que contient le vôtre.

M. de Man d'Attenrode. - Le rapport que j'ai rédigé n'est pas mon œuvre individuelle ; mais celle de la commission, qui l’a adopté à l'unanimité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'autre rapporteur a reproduit toutes les opinions, vous n'en avez exprimé qu'une.

M. de Man d'Attenrode. - Il y a eu unanimité dans celle dont j'ai été l'organe.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je doute fortement que cette commission ait été unanime pour sanctionner tous vos dires. J'ai consulté quelques-uns des membres, et plusieurs m'ont dit qu'ils avaient été absents.

M. de Man d'Attenrode. - Deux seulement ont été absents.

M. de Mérode. - Ils ne comptent pas, ceux-là. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis donc que je suis malheureux avec certains membres de la commission. Si je traite avec des particuliers, ils crient au scandale, à la faveur personnelle ! Si je traite avec des villes, ils me reprochent de faire des dépenses inutiles, qui n'étaient pas indiquées par les circonstances, et dont je n'assure pas assez le remboursement.

Mais à qui donc faut-il confier les fonds que vous m'avez remis ? Les avez-vous votés pour les laisser dormir sans emploi ?

Voici, messieurs, pour finir, le trait le plus curieux.

Plusieurs membres de la commission blâment l'intervention de l'Etat dans beaucoup d'affaires qui ne le concernent pas, il devrait toujours dépenser les crédits avec le concours des communes ou des administrations de bienfaisance ; il devrait faire toujours ces dépenses dans l'intérêt des classes pauvres ; il devrait surtout faire les travaux de voirie vicinale, et les faire exécuter dans les localités où il y a le plus de bras qui chôment et où le manque de travail pourrait occasionner le plus d'inconvénients pour l'ordre public.

Or il se trouve que, pour une dépense spéciale, toutes ces conditions indiquées par les plus rigides dispensateurs des fonds du trésor se trouvent remplies à la lettre ; il s'agit d'une dépense faite dans un centre populeux où un grand nombre de bras étaient inoccupés, et par l'intermédiaire d'une administration de bienfaisance. Cette dépense consistait en travaux exécutés à la voirie vicinale, ayant occupé 600 ouvriers pendant plusieurs mois. Eh bien, vous croirez que, pour cette dépense au moins, on voudra bien reconnaître qu’elle a été bien faite, qu’elle a répondu au but de la loi ? Pas du tout ; on trouve encore moyen de critiquer vivement cette dépense.

Voici ce qui a eu lieu. En I848, un grand nombre de bras étaient inoccupés à Bruxelles ; l'administration des hospices eut la bonne idée de faire construire un embranchenent de voirie vicinale aux environs de Bruxelles ; elle demanda un subside au gouvernement ; il y eut 600 ouvriers occupés ; le gouvernement n'intervînt pas directement ; il exécuta à la lettre, jusqu'au dernier mot, le programme des plus sévères financiers, et l'on trouve encore que la dépense a été mal faite et elle a donné lieu à de vives critiques dans le sein de la commission !

Je demande, messieurs, si c'est bien là l'esprit d'impartialité, je ne dirai pas de bienveillance que nous étions en droit d'attendre de la commission des finances.

Il y a, messieurs, une considération générale qui n'est pas touchée par l'honorable M. de Man : le but que l'on poursuivait en 1848 et 1849 a-t-il été atteint, le travail a-t-il été maintenu dans le pays ; la tranquillité a-t-elle été assurée ? Avons-nous traversé sans entrave, sans danger, sans inconvénient grave une situation difficile ? Pas un mot, messieurs, du but que l'on poursuivait ; pas un mot du résultat que l'on a atteint.

Loin de moi, je n'ai jamais mis cette vanterie en avant, de prétendre qu'avec les crédits de un et de deux millions, nous avons obtenu ce grand résultat. La grande part, la part essentielle revient au pays qui a su se suffire à lui-même. Mais nous croyons que nous avons aidé à ce résultat pour notre part, jusqu'à concurrence des sommes mises à notre disposition.

Il me semble qu'on aurait pu nous faire cette concession, sans être accusé d'ultra-ministérialisme. Loin de là ; tout a été trouvé mauvais, tout a été critiqué, heureusement que presque tout a été dénaturé.

A cette époque, messieurs, un honorable membre, un des membres les plus éminents de l'opposition d'aujourd'hui, montrait de l'indulgence. Qne l'honorable prince de Chimay veuille bien me permettre de rappeler, comment, à cette époque, il appréciait les efforts du gouvernement et les résultats obtenus.C'est très court, et j'aime à la rendre l'éditeur responsable du jugement porté alors sur nos actes.

Voici donc ce que disait le prince de Chimay dans la séance du 6 juin 1849 :

« J'abandonnerai à d'autres, l'appréciation et la critique du passé. Pouvait-on faire mieux ? pouvait-on faire plus ? Quant à moi, je trouve qu'on a fait beaucoup ; sans doute on a pu errer, comme cela arrive inévitablement dans l'application de toute idée nouvelle ; mais,en somme, on a agi avec zèle, intelligence, pendant qu'ailleurs on se contente de parler et que l'on se perd dans les utopies.

« Croyez que ce ne sera pas une des moindres gloires de notre gouvernement constitutionnel de mettre journellement en pratique les améliorations que tant de peuples autour de nous demandent en vain aux utopies révolutionnaires. »

Voilà comment s'exprimait l'honorable prince de Chimay dans une séance de l'année 1849. Je ne puis que le remercier de cette appréciation. Mais quand je la rapproche des attaques si diverses, si multipliées de son honorable ami M. de Man, je me demande comment ces deux honorables amis parviendront à se mettre d'accord sur ce point.

M. de Man d'Attenrode. - Il n'y avait pas de faits accomplis à cette époque. Il n'y avait que des crédits, il n'y avait pas d'actes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable prince de Chimay parlait de faits accomplis ; il se déclarait l'ennemi des utopistes et des théoriciens ; il s'agissait de faits de même nature que ceux que vous avez si fortement, si injustement et si généralement critiqués.

Il est temps, messieurs, d'arriver aux conclusions de la commission et ici j'éprouve un certain embarras. Le langage de la commission diffère suivant les rapporteurs, et ses conclusions diffèrent également suivant les rapporteurs ; d'où je conclus que la commission a été, je ne dirai pas légère, mais quelque peu distraite dans l'examen de toute cette affaire.

L'honorable M. de Man conclut à ceci.

M. de Man d'Attenrode. - La commission.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, la commission, par l'organe de l'honorable M. de Man.

M. de Man d'Attenrode. - J'accepte la responsabilité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Moi aussi. Nous sommes chacun responsables, c'est pourquoi je me permets de répondre à vos attaques par des attaques qui, je l'espère, ne vous blesseront pas ; car je ne suis animé d'aucun esprit d'inimitié personnelle contre vous. Je me défends.

M. de Man d'Attenrode. - J'accepte l'expression de votre bienveillance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis que mes observations ne sont dictées par aucun esprit malveillant envers vous.

Après toutes les énormités qui m'ont été reprochées dans le rapport de la commission, je m'attendais à une conclusion des plus sévères. Je me disais : les conséquences répondront aux prémisses. Voilà un ministre qui n'a rien fait de bon, qui n'a commis que des actes irréguliers, (page 784) qui n'a accordé que des faveurs personnelles ; on va sans aucun dute conclure à un blâme en bonne et due forme contre un pareil ministère.

Pas du tout. Le rapporteur dénonce toutes les énormités du ministre, et il ne parvient pas à formuler une conclusion.

Et cependant il en eût fallu une, et des plus significatives, si j'ai mérité tous les reproches que l'on m'adresse en détail. Un membre de la commission avait proposé la conclusion suivante : « Les sommes prêtées par le département de l'intérieur seront inscrites au sommier de l'administration des douanes, chargée de pourvoir à leur recouvrement. » Ce membre ignore sans doute comment les choses se passent.

L'honorable M. Cools, membre de la commission des finances, et qui a été attaché au département des finances à l'époque où la plupart de ces dépenses s'effectuaient, aurait pu informer le membre qui avait fait cette proposition, qu'elle était complètement inutile, attendu que les sommes prêtées par le département de l'intérieur sont aujourd'hui inscrites au sommier de l'administration des domaines, chargée de percevoir leur recouvrement. C'est une chose qui se fait régulièrement, qui s'est toujours faite, la recommandation eût donc été complètement inutile.

L'honorable rapporteur, M. Vandenpeereboom, propose une autre conclusion. Après avoir résumé d'une manière impartiale le pour et le contre des observations, il propose qu'il soit joint tous les ans, au budget des voies et moyens, un relevé des prêts à terme, indiquant les sommes -emboursées et celles qui doivent encore faire retour au trésor.

Est-ce là tout le résultat de cette grande enquête entreprise par la commission des finances ? C'est bien peu de chose ! (Interruption). Cette conclusion ne fait que consacrer ce qui s'est fait jusqu'ici et ce qui peut se faire parfaitement encore : En formulant une pareille conclusion la commission a perdu de vue le texte de la loi, qui en dit davantage. Vous vous contentez d'un état des sommes à recouvrer, à joindre au budget des voies et moyens chaque année ; mais la loi exige beaucoup plus ; n'atténuez pas les garanties qu'elle vous donne. Voici ce que la loi porte ;

« Il sera rendu compte annuellement aux chambres des dépenses et recettes faites en vertu de la présente disposition. »

Or, ces recettes concernent toutes les rentrées.

Au lieu de cela, vous demandez, quoi ? Un état insignifiant. Nous voulons, nous, nous conformer à la loi et rendre compte, chaque année, des sommes recouvrées et de celles qui ne le sont pas.

Nous tenons à nous conformer à ce texte, parce que, plus on peut nous susciter de difficultés, plus on peut faire d'obscurité, plus on peut supposer une application des fonds, qui ne serait pas parfaitement loyale, parfaitement régulière, plus nous tiendrons, aussi longtemps que nous serons ministres, à rendre un compte complet et détaillé de nos actes.

Ainsi, quant à vos conclusions, si vous voulez qu'elles soient quelque chose, il faut les formuler en d'autres termes ; sinon, permettez-moi de vous le dire, elles seraient complètement illusoires.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.