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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 février 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 502) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

Le sieur Lacroix demande que le gouvernement fasse exécuter la route sur Guirsch et le nivellement de la route de Habay. »

- Renvoi a la commission des pétitions.


« Le sieur Delapierre se plaint de ce qu'il n'est point pourvu aux postes d'officiers qui sont vacants dans l'armée. »

- Même renvoi.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion générale

M. Rodenbach. - Messieurs, je donnerai mon assentiment au crédit de 110,000 fr. pétitionné par le ministère pour liquider les primes qu'on a accordées à l'industrie linière et à l'industrie cotonnière jusqu'au 1er janvier 1849 ; mais, messieurs, tout en appuyant ce crédit, je crois devoir déclarer que, selon moi, le ministère a eu grand tort de retirer si brusquement ces primes, car cela a jeté une perturbation dans l'industrie linière. C'est à tel point, messieurs que lorsqu'on examine les rapports officiels concernant les exportations, qui ont été publiés naguère dans le Moniteur, on est frappé de voir combien ces exportations diminuent d'année en année, cela devient effrayant pour les tisserands des Flandres.

Messieurs, le gouvernement paraît avoir totalement abandonné le système des primes ; mais, s'il abandonne ce système, il faut, au moins, trouver le moyen de protéger les exportations. S'il ne veut plus accorder de primes, qu'il tâche au moins d'organiser une société d'exportation et qu'il le fasse de telle manière qu'il en résulte très peu de sacrifices pour l'Etat.

D'ailleurs, messieurs, si je suis bien renseigné il reste encore 100,000 fr. donnés à des industriels et qui ne sont pas rentrés, et si l'on veut absolument supprimer les primes qu'on trouve d'autres moyens pour protéger cette industrie périclitante.

Messieurs, nous sommes à la veille de devoir renouveler le traité avec la France ; le traité actuel nous a coûté immensément cher, car je pense que nous faisons un sacrifice d'un million et demi par an. Eh bien, messieurs, ce traité n'est pas du tout favorable à l'industrie linière.

J'engage fortement le cabinet à bien vouloir examiner cette question. Les vexations douanières n'ont pour ainsi dire que momentanément diminué depuis la conclusion du traité, et plusieurs chambres de commerce de France, notamment celle de Lille, ont depuis peu fait des mémoires adressés à leur gouvernement où elles sollicitent encore plus de vexations. C'est à tel point que Roulers et Courtray ne sauraient plus vendre une pièce de toile en France.

J'engage mes honorables collègues et surtout MM. les ministres à examiner ces mémoires, et ils verront que c'est un système, un parti pris de repousser notre industrie des toiles. Si l'on veut faire un traité avec la France, je demande qu'on y insère des stipulations efficaces pour que nos nombreux tisserands des Flandres aient de l'ouvrage, car il y a péril en la demeure. J'ai dit.

M. Osy. - Messieurs, la section centrale avait demandé le renvoi de la loi présentée par M. le ministre de l'intérieur à la commission des finances. Je crois que c'était là la véritable marche à suivre.

J'ai à demander un renseignement à M. le ministre de l'intérieur.

Hier l'honorable M. de Man a déposé le rapport de la commission des finances sur l'emploi du crédit d'un million voté en 1849. D'après ce rapport, une société californienne, à laquelle on avait fait une avance assez considérable, avait à rembourser une somme de 100,000 fr. ; ce remboursement n'ayant pas eu lieu, elle s'était engagée à le faire pour le 1er février. Je ne sais si le remboursement a été effectivement opéré. En cas d'affirmative, il serait inutile de voter le projet de loi actuel, parce qu'il a été bien entendu que toutes les primes qu'on avait accordées par les différents arrêtés en 1848 et 1849 seraient payées sur les sommes qui rentreraient sur les crédits d'un million et de deux millions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la somme de 100,000 francs dont il s'agit n'aurait pas pu servir, alors même qu'elle serait rentrée, à couvrir le déficit que nous avons éprouvé du chef des primes. Cette somme a reçu sa destination : elle a été réappliquée à une entreprise commerciale connue de l'honorable député d'Anvers, entreprise qui consistait à favoriser l'établissement d'un comptoir à Santo-Tomas. Les 100,000 francs n'ont pas encore fait retour au trésor ; ils n'ont pas été réappliqués jusqu'à présent. S'ils rentraient au trésor, ils devraient recevoir cette destination. S'ils ne recevaient pas cette dernière destination, s'ils n'étaient pas réemployés pour le comptoir dont il s'agit, ils rentreraient au trésor et n'en sortiraient plus ; dès lors les précautions que l'honorable préopinant réclame pour le trésor se trouveraient accomplies.

M. Osy. - Messieurs, d'après les explications que vient de donner M. le ministre de l'intérieur, il paraît qu'il existe encore un engagement d'accorder la somme de 100,000 fr. à une autre société. Je n'ai rien à dire à cet égard. Il faut que les engagements contractés par le gouvernement soient remplis ; mais il est bien entendu, je crois, que si de nouvelles sommes rentraient au trésor, le gouvernement n'en ferait pas usage.

Si nous votons aujourd'hui cent mille francs en dehors du crédit d'un million qui a été voté en 1849, il est bien entendu que si la société californienne remboursait la somme qui lui a été avancée, (page 503) d'autres sommes venant à rentrer, elles resteraient oisives en compensation de la loi que nous votons aujourd'hui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'intention du gouvernement n'est pas de contracter de nouveaux engagements. Si des engagements n'ont pas encore reçu leur exécution de la part du gouvernement, les fonds qui viendront à rentrer seront réappliqués à l'exécution de ces engagements.

Pour ce qui concerne la colonie de Santo-Tomas, si les entrepreneurs ne donnent pas suite à l'entreprise, les fonds qui y étaient destinés resteront sans emploi. Cela est bien entendu.

Quant aux sommes qui doivent encore rentrer au trésor, elles ne resteront également sans emploi que pour autant qu'il n'y ait pas d'engagements de la part du gouvernement. Mais je puis donner l'assurance à la chambre que de nouveaux engagements ne seront point pris.

- La discussion est close.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Il est ouvert au déparlement de l'intérieur un crédit extraordinaire de cent dix mille francs (110,000 francs), pour être affeeté au payement des primes qui ont été établies par les arrêtés royaux en date des 17 mai et 15 juillet 1848, prorogés par ceux des 15 et 21 décembre même année, 26 et 29 juin 1849, en faveur de tissus de lin, de fils de lin retors et de tissus de coton exportés vers certaines contrées. »

- Adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen de bons du trésor, et formera l'article 66ter du chapitre XIV du budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1851. »

- Adopté.

Réouverture de la discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande à faire une observation bien qu'on ait passé au vote. Je remarque dans le rapport de la section centrale une observation isolée de la sixième section et que la seclion centrale n'a pas faite sienne. Je dois cependant donner une explication sur cette observation isolée.

La sixième section pense qu'il est hautement regrettable que les deux millions aient été confiés à des mains peu sûres. Je réponds à cette observation.

Les deux millions ont été confiés à des mains sûres. La totalité du crédit a été employée à une affectation d'intérêt général, il en a été rendu compte ; une très faible partie de cette somme a été avancée à des particuliers. La plupart de ces dernières sommes sont rentrées ; quelques-unes ne le sont pas, cela est vrai, mais elles n'en ont pas moins reçu une affectation très utile, et c'est une singulière exagération que de venir annoncer que deux millions auraient été confiés à des mains peu sûres.

Il a été rendu compte successivement des sommes qui ont été mises à la disposition du gouvernement depuis 1848. Quatre comptes spéciaux ont été rendus à la chambre. J'ai déjà eu occasion de le dire, dans le grand nombre des applications faites du crédit, quelques-unes n'ont pas eu le succès qu'il pouvait en attendre, quelques-unes des avances n'ont pas fait retour au trésor. Mais je ferai observer que le gouvernement ne pouvait dépenser les sommes mises à sa disposition sans chercher à en assurer le recouvrement. Cependant beaucoup sont rentrées et ont été remployées utilement.

La plupart sont allées aux communes et se sont transformées en travaux publics de tout genre, en travaux de perfectionnement industriel de tout genre. Voilà l'application qui a été faite des sommes votées ; elles ont été aussi consacrées en grande partie à des primes. Ces primes ont été confiées à des mains sûres ; elles n'ont pas été allouées légèrement ; toutes les précautions ont été prises pour que le gouvernement n'éprouvât aucun mécompte ; les primes n'ont été allouées que sur pièces parfaitement en règle.

Une commission a été nommée qui était composée d'industriels notables ; cette commission devait reconnaître la qualité des produits pour lesquels la prime était demandée et la douane délivrait un certificat constatant que les marchandises étaient sorties du royaume ; ce n'était que sur le vu de ces pièces que le ministre ordonnait la liquidation de la prime. Cette liquidation passait ensuite par la cour des comptes ; toutes les précautions ont été prises pour que l'argent du trésor ne fût pas détourné de sa destination.

- - Plusieurs membres. - Je demande la parole. (Non ! non !)

M. le président. - M. le ministre a rouvert la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le ministre a rouvert la discussion parce qu'il importe au gouvernement d'établir que l'observation consignée dans le rapport manquait complètement de fondement.

M. le président. - M. le ministre aurait dû faire son observation pendant la discussion et non après le vote des articles.

M>M. Vermeire, rapporteur. - L'observation faite par M. le ministre de l'intérieur ne regarde pas la seclion centrale. Le paragraphe inséré dans le rapport a été fourni par la sixième section, et je regrette que le membre qui représentait cette section ne soit pas à sa place pour pouvoir répondre à ce que vient de dire l'honorable ministre de l'intérieur. La section centrale ne s'est pas occupée de l'emploi qui a été fait des crédits alloués par la loi du mois d'avril 1848.

Seulement elle a examiné si les 110 mille francs, pétitionnes par le gouvernement, étaient acquis aux industricls qui faisaient des exportations ; et si les conditions imposées exportateurs étaient remplies ; elle a pu se convaincre que toutes l'ont été. D'après les arrêtés royaux qui ont institué ces primes, celles-ci devaient être payées un mois après l'exportation.

Il me semble qu'après trois années d'attente, il est enfin plus que temps que le gouvernement remplisse l'engagement formel qu'il a pris de ce chef.

M. Cools. - Je demande la parole, uniquement pour engager les membres qui pourraient se proposer de répondre à M. le ministre de l'intérieur, à ne pas insister ; car il y a un peu de confusion dans cette discussion ; cela tient à ce que le rapporteur de la section centrale a dû mentionner une observation faite au nom d'une section sur un objet qui n'est pas à l'ordre du jour.

Du moment que l'observation avait été faite, M. le ministre de l'intérieur ne pouvait se dispenser de la relever ; mais cette discussion ne doit pas se prolonger davantage : au premier jour, elle sera reprise. La chambre aura les pièces sous les yeux, et elle sera plus éclairée pour se prononcer sur cette question. Nous avons un rapport de la commission permanente des finances sur l'emploi des crédits mis à la disposition du gouvernement. Alors la question pourra être traitée avec développements, et la chambre pourra se rendre eompte de l'emploi des crédits.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tenais à faire observer que la critique de la sixième section manquait de fondement, et n'était pas à sa place. Ces crédits qui nous étaient alloués, sans conditions, dans des circonstances très difficiles, sont devenus, depuis que le danger a cessé, l'objet de critiques très vives, dans cette enceinte et ailleurs. Il nous importe de démontrer que ces crédits ont eu un emploi utile, conforme aux intentions de la chambre et aux intérêts du trésor, qu'il n'a pas élé fait un gaspillage de ces fonds ainsi qu'on en a fait le reproche, depuis que le danger a cessé. Toutes les fois que l'occasion s'en présentera, je repousserai ces critiques.

En ce qui concerne les deux millions, que la chambre me permette de lui en indiquer l'emploi. On verra dans quelles mains ces sommes ont été remises.

M. Vilain XIIII. - C'est une observation de M. Cumont.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une erreur. M. Cumont, à qui je l'ai demandé, m'a dit que c'était une observation qui avait été faite dans sa section et qu'il avait dû la consigner dans son rapport.

Peu importe, au reste, de qui vient l'observation ; je tiens à y répondre.

Voici donc l'emploi des deux millions :

« Avances à des communes pour le maintien du travail. 370,658.

« A la ville de Bruxelles pour la construction d'une nouvelle caserne, 200,000.

« Pour les travaux de l'église St-Boniface, à Ixelles, 10,000.

M. de Man d'Attenrode. - L'ordre du jour !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis étonné de l'espèce d'impatience que manifeste l’honorable M. de Man, lui qui est un des plus grands adversaires du ministère dans cette question spécialement, lui qui a déposé hier un rapport qui, si je suis bien informé, n'est pas très favorable à la manière dont les fonds ont été appliqués.

M. Orban. - L'ordre du jour !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. le président, je demande que vous me mainteniez la parole.

M. le président. - Je ferai remarquer que la question de l'emploi des deux millions est à l'ordre du jour après le Code forestier. La parole est continuée à M. le ministre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale reproduit l'observation d'une section ; d'après cette section, les deux millions auraient été confiés à des mains peu sûres. Je demande à rappeler l'emploi qui a été fait de ces deux millions et on m'interrompt, on ne veut pas me laisser achever.

M. Orban. - On ne pourra pas vous répondre.

M. le président. - Pas d'interruption. Si l'on n'avait pas interrompu, ce serait fini.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il serait inouï qu'il ne fût pas permis à un ministre de se justifier d'une accusation semblable. Est-ce ma justification qui vous déplaît ? Aimeriez-vous mieux que cette accusation restât sans réponse ?

M. Orban. - Non, mais je dis qu'on ne pourra pas vous répondre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On peut discuter un rapport.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande à continuer.

Nous en étions à l'église St-Boniface. (Interruption.)

« Pour les travaux de l'église Sl-Boniface à Ixelles 10,000 fr.

« Pour les travaux de l'église St-Jacques-sur-Caudenberg 10,000 fr.

« A la ville de Gand pour la réparation du campanile du Beffroi 30,000 fr.

« Travaux de voirie et d'assainissement 540,084 fr. 81 c.

(page 504) « Primes d'exportation 189,484 fr. 87 c.

« Commandes à l'industrie cotonnière 200,000 fr.

« Primes aux filateurs qui ont renouvelé ou amélioré leur outillage 11,972 fr. 10 c.

« Prêts et subsides en faveur du commerce d'exportation 155,000 fr.

« Dépenses relatives au travail dans les Flandres, 99,524 fr.

« Bourses de voyage, 58,307 fr.

« Subsides à des institutions de prévoyance et d'épargnes, 7,630 fr. 5 cent.

« Objets divers, 93,644 fr. »

Voilà, messieurs, l'emploi des deux millions.

Je me borne à faire ces simples citations. Je n'y ajouterai plus aucun mot, puisqu'il paraît que cette discussion ne convient pas à tout le monde.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet qui est adopté à l'unanimité des 71 membres présents.

Projet de loi prorogeant la loi du 22 septembre 1835 sur les étrangers

Discussion générale

M. Lelièvre. - Lorsqu'en 1849 un projet de loi analogue à celui en discussion fut soumis à la chambre, je n'hésitai pas à me prononcer contre le pouvoir arbitraire et dictatorial conféré au gouvernement à l'égard des étrangers ayant une résidence dans le pays. Je persiste dans la même opinion. A mon avis, la loi devrait admettre certaines garanties en leur faveur ; ils devraient être entendus contradictoirement avec le ministère public élevant une autorité judiciaire quelconque qui serait appelée à donner son avis sur l'expulsion comme en matière d'extradition.

L'article 128 de la Constitution garantit à l'étranger la protection accordée aux personnes et aux biens.

Or, cette disposition qui tendait précisément à prévenir le retour des expulsions arbitraires consommées sous le gouvernement hollandais, cette disposition, dis-je, n'est qu'une lettre morte s'il dépend du pouvoir exécutif, sur une dénonciation souvent calomnieuse, d'expulser de notre sol hospitalier, sans forme de procès et sans même l'avoir entendu, l'étranger ayant sa résidence chez nous.

D'un autre côté, en appelant soit la chambre du conseil du tribunalde première instance, soit la chambre des mises en accusation à émettre son avis sur l'expulsion, le gouvernement dégage jusqu'à certain point sa responsabilité et se trouve en mesure de résister plus efficacement à des exigences mal fondées.

L'article 128 de la Constitution décrète un droit qui doit être sauvegardé, un droit qui participe de la nature des droits civils et par conséquent on conçoit l'intervention des tribunaux par forme d'avis, avis qui est de nature à éclairer le gouvernement sur la justice de la mesure.

Du reste, cette intervention est admise lorsqu'il s'agit de l'extradition réclamée par un gouvernement étranger ; pourquoi n'en serait-il pas de même relativement à l'expulsion ? Il n'y a aucun motif plausible de différence.

En ce qui me concerne, je ne puis donc conférer au gouvernement les pouvoirs qu'il réclame d'une manière illimitée et sans contrôle. Le projet en discussion me paraît essentiellement opposé aux principes que le parti national défendait contre le gouvernement hollandais, et il maintient le régime auquel la révolution de 1830 a mis fin.

Ce que je voudrais aussi voir inscrire dans la loi en discussion, c'est l'exception établie par la loi de 1835 à l'égard des étrangers ayant épousé une femme belge et ayant eu de ce mariage des enfants nés sur notre sol.

En ce cas des liens de famille et d'affection attachent l'étranger au pays, et il n'est pas juste qu'il puisse encore devenir l'objet de mesures exceptionnelles qui ne peuvent être justifiées que pour des cas extraordinaires.

En 1849 l'honorable M. Orts n'hésita pas à qualifier de réactionnaire la disposition dont on demande aujourd'hui la prorogation, parce qu'elle ne reproduisait pas l'exception si juste, si équitable, introduite par la loi de 1835, relativement à l'étranger marié à une femme belge et ayant des enfants nés sur notre territoire. Ceux-ci, comme l'on sait, peuvent même à leur majorité réclamer la qualité de Belges, et en atteignant en ce cas l'étranger, la loi frappe en même temps une épouse et des enfants que nous ne pouvons désavouer.

J'envisage la question sous le même point de vue que notre honorable collègue, et je ne puis, en conséquence, donner mon adhésion au projet de loi tel qu'il vous est soumis.

Sans doute, messieurs, les étrangers qui compromettent la tranquillité publique doivent pouvoir être expulsés ; mais, pour prévenir les abus possibles, il est indispensable qu'on stipule des garanties, afin qu'il y ait certitude que l'expulsé mérite d'être atteint de cette mesure rigoureuse. Ce que je réclame, messieurs, ce sont des formes tutélaires qui impriment à l'acte de rigueur un caractère de justice incontestable et garantissent sa légitimité.

Voilà ce que je regrette de ne pas rencontrer dans le projet qui vous est soumis.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai lu ce matin dans le Moniteur de 1849 le discours que vient de prononcer l'honorable M. Lelièvre, j'ai vu la réponse qui y a été faite et le jugement que la chambre a porté à cette époque. Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'ajouter de nouveaux arguments à la discussion, comme je ne pense pas qu'il y ait lieu pour la chambre de revenir sur sa décision.

L'honorable M. Lelièvrc voudrait, lui, pour l'étranger, des formes tutélaîres, des garanties qui n'existent pas, dit-il, dans la loi. Il voudrait l'intervention du pouvoir judiciaire lorsqu'il s'agit d'expulsion comme quand il s'agit d'extradition.

L'une des plus belles conquêtes du droit public moderne, est la séparation des différents pouvoirs, et celle-ci serait complètement méconnue dans le système qu'il préconise. C'est la justice qui interviendrait dans l'administration, ou, si vous le voulez, c'est la police qui entrerait dans le sanctuaire de la justice. Eh bien, messieurs, cela serait très peu convenable ; l'administration n'aurait qu\ en souffrir, la dignité de la justice n'aurait qu'à y perdre ; quant à des garanties, il y en aurait peut-être moins pour l'étranger et il y aurait certainement moins de sécurité pour le pays.

La tranquillité publique ne dépend pas seulement d'un fait qui peut être apprécié par le tribunal de tel arrondissement, la tranquillité publique dépend d'un ensemble de faits que le gouvernement seul peut apprécier. Des tendances anarchiques peuvent se manifester sur différents points du pays et il peut arriver qu'à un moment donné, on soit obligé de sévir dans dix ou quinze localités différentes ; et c'est dans un tel moment que vous obligeriez le gouvernement à saisir les tribunaux et qu'il faudrait faire connaître devant les chambres du conseil, devant les chambres des mises en accusation, non seulement tous les renseignements reçus, mais encore lessources d'où ils viennent, les personnes qui les ont fournies et débattre le degré de confiance qu'ils méritent.

Qu'on dise purement et simplement qu'il n'y aura aucune espèce de police quant aux étrangers : ce sera plus simple et on aura fait franchement ce que demande l'honorable M. Lelièvre.

Je dis, messieurs, qu'il y aurait peut-être moins de garanties pour l'étranger, et certainement moins de sécurité pour le pays : les garanties qu'a aujourd'hui l'étranger, elles résident dans la responsabilité ministérielle, elles résident dans l'existence des chambres qui, à chaque instant et pour chaque fait, peuvent venir interpeller le ministère sur l'usage qu'il a fait de la loi relative aux étrangers. A chaque instant l'honorable M. Lelièvre, lorsqu'une expulsion a été ordonnée, peut venir demander pour quel motif elle l'a été.

Je dis qu'il y a là bien plus de garanties que dans une décision prise par un corps collectivement, dont chaque membre qui individuellement n'a aucune explication à donner sur sa décision.

Maintenant, messieurs, qui est responsable de la tranquillité publique ? Sont-ce les tribunaux ? Mais c'est à celui qui est responsable que vous devez laisser le droit d'agir. Dites que les tribunaux répondent au pays de sa tranquillité ! Mais si vous faites incomber au gouvernement la responsabilité de la tranquillité du pays, vous devez aussi laisser au gouvernement sa liberté quant aux moyens qu'il doit employer pour assurer cette tranquillité.

On veut, messieurs, assimiler les formalités introduites pour l'extradition aux formalités qu'on demande quant à l'expulsion ; mais il y a entre ces deux mesures une différence du tout au tout : quand il s'agit d'extradition, quelle est la mission de la magistrature ? Elle n'a qu'à vérifier si la procédure est en règle, si les pièces que la loi exige pour l'extradition et qui lui sont fournies sont dans la forme voulue et émanées des autorités compétentes.

Ils ont à vérifier, d'un autre côté, si les faits pour lesquels l'individu est poursuivi, tombent bien dans la catégorie de ceux pour lesquels la loi autorise l'extradition.

C'est véritablement là la mission du pouvoir judiciaire, c'est de voir si les formalités judiciaires sont remplies et si les faits tombent sous l'application de la loi pénale. Mais ici il ne s'agit pas de cela, il s'agit d'administration, il s'agit de faits qui ne constituent pas un crime, qui ne constituent pas un délit, qui n'ont pas la gravité du complot de la conspiration, mais qui n'en sont pas moins dangereux pour la société, et dont le gouvernement, l'administration par cela même qu'elle étend son action sur tous le pays, peut seul rester juge.

Il y a encore après cela cette énorme différence entre l'extradition et l'expulsion : que, dans le cas d'extradition, non seulement le séjour de l'étranger en Belgique est mis en discussion, mais encore sa liberté ; il s'agit de savoir si on le livrera à des autorités étrangères ; c'est un fait autrement grave que lorsqu'il s'agit d'expulsion : dans ce cas, on laisse à l'individu qu'on expulse le choix du lieu où il veut se rendre. Mais quand il s'agit d'extradition, la liberté de l'étranger est atteinte : il est livré à la puissance qui réclame l'extradition.

Une autre observation de l'honorable M. Lelièvre porte sur ce qu'on a supprimé l'exception qui se trouvait dans la loi de 1835, en faveur des étrangers, mariés à des femmes belges, dont ils ont eu des enfants pendant leur séjour en Belgique. Cette exception se trouvait, il est vrai, dans la loi de 1835 ; mais dès 1845, on en a reconnu les inconvénients, et elle n'a pas été maintenue depuis.

Dans la pratique, le gouvernement qui, en général, fait un usage très modéré de la loi sur les expulsions, et la preuve en est dans les chiffres qui sont mentionnés dans le rapport de la section centrale ; le gouvernement, quand de mauvais renseignements lui sont donnés sur le compte d'un étranger de cette catégorie, tient compte de cette position ; il sait que l'expulsion atteindra une femme née sur le sol belge et des enfants qui pourront un jour revendiquer la qualité de Belge. Cette position, qui mérite certains ménagements, ne doit cependant pas aller jusqu'à (page 505) compromettre la sécurité du pays. ll ne faut pas que ce soit une exception tellement absolue qu'elle consacre l'impunité en faveur d'un individu qui croit pouvoir faire par exemple de la propagande socialiste sur notre sol. Depuis le peu de temps que je suis aux affaires, j'ai été dans le cas d'expulser un individu qui avait épousé une Belge, et qui en avait eu des enfants pendant son séjour en Belgîque. Eh bien, je le déclare, cette considération seule m'a arrêté pendant quelques mois et ce n'est que quand des autorités m'ont prévenu qu'il y avait danger à tolérer plus longtemps le séjour de cette personne en Belgique, que j'ai pu me résoudre à l'expulsion. Au moment même où je parle il y a encore des étrangers qui seraient peut-être expulsés sans cette considération.

Ainsi, que l'administration tienne compte de cette circonstance, rien de mieux ; les droits de ces étrangers se rapprochent en quelque sorte des droits des Belges eux-mêmes ; mais l'administration ne doit pas être liée par la loi d'une manière absolue : ce serait sacrifier, je ne dirai pas aux droits, mais aux convenances d'étrangers, les droits de la société, les intérêts de la sécurité générale. (Aux voix ! aux voix !)

- La discussion générale est close.

On passe aux articles.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. La loi du 22 septembre 1835, telle qu'elle a été modifiée par celle du 25 décembre 1841, est prorogée jusqu'au 1er mars 1855. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


On passe à l'appel nominal pour le vote sur l'ensemble.

68 membres répondent à l'appel.

64 répondent oui.

2 (MM. de Perceval et Lesoinne) répondent non.

2 ( MM. David et Orts ) s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté, il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Rodenhach, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte,Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebetc, Van Iseghem, Vermeîre, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Allard, Ansiau, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, de Haerne, de La Coste, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo. De Pouhon, Dequesne, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Lange, Lebeau, Malou, Manilius, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Osy et Verhaegen.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. David. - Si je puis donner mon assentiment à une loi d'expulsion d'étrangers dans des cas tout à fait spéciaux et excessivement rares, je ne saurais admettre une pareille loi quand elle est applicable à des étrangers mariés avec des Belges, alors surtout que des enfants sont nés de ces mariages pendant le séjour des parents en Belgique.

M. Orts. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs qu'en 1849.

Ordre des travaux de la chambre

- L'ordre du jour est épuisé.

M. Delfosse. - On doit distribuer probablement demain le rapport sur le Code forestier. C'est un projet de loi très important ; il faut avoir le temps de l'étudier. La chambre a décidé qu'il figurerait à l'ordre du jour de mardi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On pourrait mettre à l’ordre du jour de mardi comme premier objet, le projet de loi sur la détention préventive ; car d'après ce qu'a dit l'honorable rapporteur, la section centrale se rallie aux modifications admises par le sénat d'un commun accord avec le gouvernement ; cette loi serait ainsi achevée et pourrait être publiée sous peu.

M. Delfosse. - Il faudrait autoriser le bureau à faire imprimer le rapport.

- La chambre décide qu'elle se réunira mardi à 2 heures.

La séance est levée.