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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 2 février 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 483) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 3 1/2 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance dont la rédaction est adoptée, et communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Ragemel réclame l'intervention de la chambre pour qu'il ne soit pas donné suite à la signification qui lui a été faite de quitter la Belgique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les bourgmestres du canton de Gedinne présentent des observations sur le projet de Code forestier, et proposent quelques modifications. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de Code forestier.


« Par message, en date du 30 janvier 18b2, le président du sénat informe la chambre que le sénat a adopté : 1° le projet de loi qui autorise la mise en vigueur provisoire de modifications douanières ; 2° le projet de loi relatif à la perception d'un péage sur le pont du Val-Saint-Lambert ; 3° le projet de loi qui approuve le traité de commerce et de navigation conclu le 20 septembre 1851 entre la Belgique et les Pays-Bas. »

- Pris pour notification.

Projet de loi relatif au renouvellement des titres des emprunts de 1848, à 5 p. c

Discussion générale

La discussion est ouverte sur l'ensemble du projet de loi, dont la section centrale propose l'adoption.

M. Cools. - Messieurs, je mentirais à toutes mes convictions, si je ne venais combattre le projet de loi ; je crois qu'il consacre un mauvais système d'amortissement.

A mon avis la chambre ne peut adopter l'article 5.

Cet article est ainsi conçu :

« Art. 5. Les fonds d'amortissement, qui, par suite de la disposition qui précède, resteront sans emploi, serviront soit à la réduction de la dette flottante, soit aux besoins généraux de l'Etat. »

Je pense qu'avec les institutions que nous avons, le fonds d'amortissement devrait servir exclusivement à l'amortissement de la dette constituée.

Je ne soulève pas ici une question nouvelle ; la thèse que je défends a été défendue avant moi en 1844 par les honorables MM. Devaux, Verhaegen, Dumortier et de Corswarem ; elle a succombé, il est vrai, mais seulement après trois jours de lutte ; elle a succombé, parce qu'il s'est formé une majorité qui l'a décidé de la sorte. Mais, je viens en appeler de la chambre de 1844 à la chambre de 1852.

Voici comment la question s'est produite alors : pour tous les emprunts qui avaient été faits jusque-là, en 3, en 4 et en 5 p. c. jamais il n'avait été question d'appliquer l'amortissement à la dette flottante.

Le ministère de 1844 présenta un projet de conversion ; il s'agissait de convertir le 5 en 4 et demi : notez ceci, c'est que, encore alors, dans ce projet de loi, il ne fut nullement question d'appliquer l'amortissement à la dette flottante.

Je parle du texte et de l'esprit de la loi, je ne veux pas m'occuper pour le moment de l'application qui en est faite. Mais le gouvernement prit une autre mesure, il proposa de racheter de la Hollande le 2 1/2 p. c. et de le remplacer par un 4 1/2. Alors, pour la première fois, l'idée vint d'appliquer la réserve de l'amortissement à la réduction de la dette flottante.

Les arguments qu'on fit valoir alors sont à peu près ceux que je ferai valoir aujourd'hui. Cependant il en est un auquel je dois renoncer.

Un membre (je crois que c'est l'honorable (erratum, page 487) M. Devaux) fit observer que si l'on donnait au fonds de l'amortissement la destination de réduire la dette flottante, on ne ferait en réalité pas autre chose que de faire servir aux besoins généraux de l'Etat des fonds destinés à diminuer la dette constituée. Cela fut fortement combattu. Le ministère prétendit que la différence était grande. Aujourd'hui la thèse est changée, non seulement on ne nie plus, mais on pose même la similitude en principe par la loi.

C'est donc un argument auquel je dois renoncer.

Voici au surplus les arguments dont on s'est servi en 1844 pour faire voter la disposition.

On a fait remarquer que ce fonds de rachat était un fonds tout à fait exceptionnel ; que le 2 1/2 p. c. que nous reprenions à la Hollande ne jouissait d'aucune dotation d'amortissement ; que tout sacrifice que nous nous imposerions dans l'intérêt de cet amortissement constituerait donc une charge nouvelle pour l'Etat ; que pour ces motifs, tout exceptionnels, il fallait rendre l'amortissement aussi faible que possible ; il fallait se borner à une dotation tout au plus (erratum, page 487) d'un p. c. ; et dans la pratique, vous le savez, on a créé un amortissement d'un demi p. c. On disait encore que les mêmes motifs qui se présentaient pour créer exceptionnellement un faible fonds d'amortissement autorisaient dans certains moments l'emploi du fonds dans l'intérêt de la dette flottante.

Voilà, messieurs, les motifs tout à fait exceptionnels que l'on invoquait.

Vous voyez que nous avons fait du chemin depuis lors. Ces motifs exceptionnels s'appliquent à un seul de nos fonds ; on veut en faire le principe général en matière d'amortissement pour notre pays. Non seulement on demande de pouvoir l'appliquer au 4 1/2, mais, chose beaucoup plus grave, on demande de pouvoir suivre les mêmes errements pour le 5 p. c.

Et je dis qu'ici la question devient beaucoup plus grave, parce qu'enfin notre 4 1/2 p. c. n'atteindra le pairque dans des cas rares, tandis que notre 5 p. c. en temps normal sera presque toujours au-dessus du pair. Ainsi, pour le 5 p. c, presque toujours on pourra se servir de la dotation de l'amortissement pour réduire la dette flottante ou pour les besoins généraux du pays, ce qui, je le reconnais avec M. le ministre des finances, est tout un. Que vous décidiez que vous appliquerez la dotation de l'amortissement à la réduction de la dette flottante ou aux besoins généraux du pays, vous décidez une seule et même chose.

Avant d'entrer dans cette voie, il me semble cependant qu'on devrait faire une réflexion. On devrait se dire que ce système, tel qu'il est proposé, n'existe nulle part. Je ne veux pas dire qu'on ne pourrait, d'une manière absolue, trouver de pays où ce système ne fût pas appliqué. Il y aurait de la présomption de ma part à le dire. Mais j'affirme ceci : c'est que j'ai fait beaucoup de recherches et je n'ai trouvé aucun pays où ce système fût en vigueur. Il n'existe ni en France, ni en Angleterre, ni en Autriche, ni en Piémont, ni en Hollande.

Je viens de citer la France. Peut-être elle seule devrait-elle faire une exception, si je ne me rappelais que ce pays se trouve en ce moment dans une situation qui elle-même est exceptionnelle. Vous savez que dans ce moment la situation financière de la France n'est pas définitivement réglée, qu'on peut l'envisager comme se trouvant dans une position transitoire. Ainsi je reconnais que depuis 1848, mais seulement depuis 1848, non seulement on distrait de la caisse la réserve de l'amortissement pour la faire servir aux besoins généraux du pays, mais même on ne paye plus à la caisse d'amortissement, comme cela c'était toujours fait jusqu'alors, l'intérêt des capitaux que la caisse verse de la sorte dans le trésor de l'Etat, et on ajoute que jamais ces fonds ne feront plus retour à la caisse, mais ce système n'existe eu France que depuis 1848.

Eh bien ! ce système pour lequel il serait difficile de trouver un exemple autre que celui-là, on devrait bien cependant commencer par se demander s'il est bon. Avant de s'abandonner à ce courant d'idées, on devrait en calculer les conséquences et se livrer à des réflexions sérieuses, avant de se décider.

J'en ai entendu faire quelques-unes. On reconnaît que notre système d'amortissement n'est pas bon, que, d'abord, il n'est pas uniforme, que nous avons quelques fonds avec un amortissement de 1 p. c., d'autres avec un amortissement de 1/2 p. c, une troisième catégorie sans amortissement du tout, qu'il faudrait tâcher de sortir de cette voie et d'adopter un système uniforme ; ceux qui font ce raisonnement cherchent toujours à arriver à cette conséquence, qu'il faudrait tâcher de supprimer tout amortissement et d'imiter le système anglais.

Voilà la perspective qu'on a presque toujours en vue. Je le reconnais, messieurs, l'exemple de l'Angleterre, qui, ainsi que je le dirai tout à l'heure, ne peut pas s'appliquer à notre pays, cet exemple de l'Angleterre exerce une espèce de fascination ; c'est celui qui est le plus commode, qui caresse le plus les intérêts et les passions inhérentes à la nature de l'homme.

Avec ce système-là, on amortit quand on veut ; on peut employer tour les fonds qu'on a devant soi à des travaux qu'on regarde comme immédiatement productifs. Quant à l'amortissement, on le reprendra quelque jour, quand on le trouvera bon.

Messieurs, de pareils raisonnements sont des raisonnements d'égoïsme, la raison ne peut pas les avouer.

Voilà, messieurs, pourquoi, disons-le franchement, le système anglais rencontre tant de sympathie. Mais avant de se modeler sur l'Angleterre, il faudrait dans tous les cas se demander si ce pays n'existe pas dans des conditions autres que celles dans lesquelles nous pourrons jamais nous trouver.

Je conçois que l'Angleterre n'alloue pas un fonds déterminé pour l'amortissement ; ce pays est constitué de telle sorte que, grâce à ses colonies, à ses immenses relations commerciales, il faut compter sur des ressources extraordinaires arrivant au moment où il s'y attend le moins. L'un jour ou l'autre, ses revenus pourront se trouver accrus dans une proportion très notable. Nous n'avons pas, nous, une position si belle. Ensuite en Angleterre le caractère national est extrêmement développé ; la nation entière, jusqu'au dernier homme, ne recule devant aucun sacrifice quand l'intérêt du pays le demande ; lorsque le gouvernement reconnaîtra que le moment est opportun pour consacrer une somme importante à l'amortissement de la dette, cette somme sera votée avec empressement, et personne ne se lèvera pour venir déclarer que c'est une dépense improductive.

(page 481) Eh bien, il n’en est pas de même en Belgique ; notre carcatère nationale n’est pas encore formé comme celui de l’Angleterre.

On a fait encore valoir une autre considération ; on dit : Mais faites bien attention à ceci ; Les emprunts que vous avez contractés ont un caractère particulier, ils ont été employés à des travaux d'utilité publique, qui ne profiteront pas seulement à vous, mais qui profiteront aussi, et pour une très large part, aux générations futures ; vous seriez dupes si vous vous imposiez de trop grands sacrifices pour amortir les emprunts que ces travaux ont occasionnés ; il faut les laisser, en grande partie, à la charge de ncs successeurs ; sachons aujourd'hui, amortir avec modération.

Nous avons encore d'autres dépenses ; eh bien, réservons nos fond pour ces dépenses-là, mais quant à l'amortissement, laissons-en une part très grande à nos successeurs.

On ne fait pas attention que le même raisonnement pourrait être fait pour tous les emprunts contractés par les Etats secondaires du continent. Pourquoi les Etats du deuxième et du troisième ordre font-ils des emprunts ? C'est ou bien pour faire des travaux d'utilité publique, comme nous, ou bien pour se défendre contre une agression injuste et se soustraire ainsi à la fatalité des circonstances.

Eh bien, il n'y a pas plus de motifs pour imposer à cette génération seule la charge résultant d'un malheur qu'elle n'a pas mérité, qu'il n'y a de motifs pour faire supporter par une génération seule la charge résultant de travaux qui profiteront aussi aux générations futures.

Messieurs, reconnaissons-le, ce sont sous des prétextes transparents des raisonnements égoïstes, des raisonnements d'intérêt actuel qui font toujours répéter le même refrain : l'Angleterre le fait bien ; pourquoi ne le ferions-nous pas ?

Messieurs, si nous avions le choix entre le système anglais ou tout autre que je ne veux pas définir en ce moment, il y aurait beaucoup de motifs à alléguer pour ne pas donner la préférence au système anglais ; alors encore on pourrait objecter avec beaucoup de raison que nous avons une destination toute naturelle pour nos excédants de recettes, si jamais nous parvenons à en obtenir ; que nous avons la dette flottante, cette dette flottante qui sera amortie momentanément au moyen de l'emprunt qui a été contracté il y a quelques jours, mais cette dette flottante qui renaîtra dès que les fonds de cet emprunt recevront leur destination ; que de ce chef nous aurons déjà beaucoup à faire ; qu'il s'écoulera une longue série d'années, avant que les excédants de budget suffiront pour réduire cette dette dans les limites raisonnables ; que, quant à la dette constituée, il faudrait créer un fonds spécial, fonds qu'il faudrait largement doter.

Mais il y a une autre raison beaucoup meilleure à alléguer pour que nous n'adoptions pas le système anglais. C'est qu'on ne peut pas le proposer : nous sommes liés par nos contrats d'emprunts ; par la situation que nous nous sommes faite nous-même, nous sommes entrés dans le système des emprunts à amortissement.

Nous ne pouvons pas en sortir, et nous avons si peu envie d'en sortir que tous les jours nous avançons davantage dans ce système ; pour l'emprunt qui a été contracté, il y a quelques jours, de nouveau nous avons décrété un fonds d'amortissement. Ainsi, on ne songe pas même à introduire le système anglais en Belgique.

Mais on veut faire ceci, on veut se renfermer strictement dans les termes de nos contrats, on veut faire servir le fonds d'amortissement, jusqu'à la limite que les contrats stipulent, c'est-à-dire le faire opérer lorsque les fonds sont au-dessous du pair ; mais aussi chaque fois que les fonds montent au dessus du pair, pour celui-là on veut se réserver les moyens de se rejeter sur le système anglais et n'appliquer à la réduction de la dette que les excédants des budgets.

Savez-vous, messieurs, ce que vous feriez en adoptant ces deux systèmes si différents ? Vous opérez un accouplement monstrueux. Vous réunissez les inconvénients de l'un et de l'autre système, et vons n'obtenez en résultat les avantages d'aucun des deux. Dans un article de la loi, vous décrétez un amortissement ; dans l'article suivant, vous décidez que cet amortissement n'existera que pour la forme. Vous arrivez ainsi à un but tout opposé à celui de l'Angleterre ; car enfin, quand l'Angleterre peut-elle amortir sa dette ? Quand peut-elle faire servira cette destination une partie de ses fonds ? C'est dans le moment où elle est riche ; et nous, messieurs, quand pourrons-nous faire servir une partie des fonds à la réduction de la dette ? Dans le moment où nous sommes pauvres.

D'après vos contrats vous êtes dispensés d'amortir la dette, seulement alors que les fonds sont au-dessus du pair ; ils ne le sont que dans les moments heureux, dans les moments où les affaires vont bien, au moment où nous sommes dans une situation prospère ; mais vienne une crise, des malheurs, alors les fonds descendent au-dessous du pair et bien loin de pouvoir adopter le système anglais, vous vous jettez alors sur votre système ; alors votre amortissement doit travailler, vous devez vous procurer des fonds n'importe où, pour accomplir les termes de vos contrats.

Il semble qu'il doit suffire d'exposer un pareil système pour le faire juger. Un système qui met un pays dans la nécessité de se procurer des ressources au moment où il se trouve dans la gêne, et qui le dispense de se donner toutes ces peines lorsqu'il est riche, un pareil système est essentiellement vicieux.

J'insiste sur cet argument.

Je suis bien certain qu'on ne le rencontrera pas dans la discussion. On parlera des motifs qui doivent nous engager à ne pas trop nous occuper de l’amortissement de nos dette anciennes, lorsque nous sommes à chaque instant exposés à devoit en contracter de nouvelles ; on parlra de beaucoup d’autres choses encore, mais on ne cherchera certainement pas à prouver que c’est une situation régili !re que celle qui vous oblige à rembourser vos dettes lorsque vous êtes dans la gêne et qui vous en dispense lorsque vous vous trouvez à l’aise. Je m’attends à ce qu’on glisse à côté de cette considération.

Avec ce sjstème-là il faudrait cependant se dire : où marchons-nous ? Quel espoir a-t-on de mainterir l'ordre dans nos finances surtout aux époques calamiteuses ? Il est évident qu'avec un 5 p. c. destiné à être constamment au-dessus du pair, si ce n'est dans des cas tout à fait exceptionnels, peu à peu nous nous habituerons à ne plus regarder l'amortissement comme nécessaire, peu à peu nous croirons pouvoir nous dispenser de regarder ces fonds comme ayant reçu une application déterminée, mais alors savez-vous dans quelle situation on se trouve ?

Je vais vous le dire, ou plutôt, vous le rappeler. Avec ce système, quand on a engagé toutes ses réserves et même jusqu'à l'espérance de ses bons du trésor, car peu à peu on en vient jusque-là, il arrive un moment eù on se trouve dans une impasse sans issue, il arrive un moment où les impôts rapportent extrêmement peu et où il faut cependant faire travailler l'amortissement, alors on cherche des ressources partout, par exemple, dans les caisses d'épargne ou dans les caisses de retraite, si on peut y mettre la main.

Mais ces caisses-là éprouvent également des besoins. Les déposants à ces caisses viennent réclamer le remboursement de leurs dépôts. Ainsi cette espérance disparaît, et au lieu de trouver des ressources dans les caisses d'épargne, on y rencontre des obligations que l'honneur oblige à remplir. Alors malheureusement il ne reste plus qu'un seul moyen de sortir d'embarras. C'est de convertir les bons du trésor et les dépôts aux caisses d'épargne en rentes sur l'Etat, au taux que l'on détermine soi-même. Vous savez si c'est du roman ou tout simplement de l'histoire que je fais là.

Mais vous savez aussi que lorsque les notions du juste et de l'injuste reprennent leur empire, des opérations semblables sont sévèrement jugées ; on ne peut pas leur donner d'autre nom que celui de banqueroute déguisée.

Ce tableau ne peut avoir rien d'effrayant pour nous. C'est parce que nous sommes dans une position financière plus heureuse que celle des puissances qui nous environnent, que j'ai cru pouvoir en parler ; c'est parce que des catastrophes de cette nature sont plus éloignées de nous, que nous devons avec d'autant plus de soin éviter de faire le premier pas dans la voie qui y conduit.

Lorsqu'on est entré dans le système d'amortissement obligatoire des emprunts, il n'y a qu'un seul moyen de l'organiser d'une manière normale, c'est de faire en sorte que l'amortissement agisse dans les mauvais, comme dans les bons moments, sans interruption.

On ne saurait le nier, le régime parlementaire subit en ce moment une sorte de crise. On est frappé de quelques inconvénients qu'il présente, et les passions humaines, des intérêts individuels et un fatal concours de circonstances se réunissent pour le faire tomber presque partout autour de nous.

Nous qui sommes attachés de cœur à cette forme de gouvernement, nous qui croyons que la réaction se fera en sa faveur, nous qui pensons que ce gouvernement, malgré des inconvénients partiels, est celui qui peut assurer le plus de bonheur et de gloire à la nation, nous devons nous fortifier, nous roidir dans nos convictions, nous attacher plus étroitement au gouvernement dont nous jouissons ; nous avons encore un autre devoir à remplir, nous devons chercher à l'améliorer partout où le besoin s'en fait sentir ; il a ses parties faibles ; quelle forme de gouvernement n’en a pas ! Mais plutôt que de chercher à nous faire illusion sur ce point ou de regarder ces imperfections avec indifférence, nous devons chercher à les fortifier ; la partie faible du gouvernement représentatif, c'est de pousser aux dépenses, de ne pas avoir d'intérêt à résister aux entraînements.

Nous avons un obstacle qui s'oppose à ce qu'on se laisse aller avec trop de faeilité sur cette pente. Cet obstacle est faible, insuffisant, je le reconnais ; mais cependant il est réel, c'est l'amortissement, lorsqu'il est sérieux et efficace, c'est l'obligation de faire emploi d'une partie des ressources du pays pour les faire servir à la réduction de la dette constituée. J'ai trouvé sous ce rapport un singulier raisonnement dans les pièces que nous avous sous les yeux.

On commence par poser en principe ce que personne ne cherchera à contester, que pour une nation comme pour un particulier on est plus pauvre de tout ce qu'on doit ; et, passant immédiatement à un autre ordre d'idées, on en tire cette conséquence que si on rembourse une dette qu'on a, on ne fait que fournir le moyen de contracter une dette nouvelle, qu'on n'arrive pas à un autre résultat que de remplacer une dette par une autre. De ce qu'une nation est plus pauvre de tout ce qu'elle doit, il en résulterait qu'elle ne travaillerait pas à se rendre plus riche, en s'efforçant de se débarrasser de sa dette ! Une nation, comme un individu, aurait d'autant plus de facilités pour contracter une dette nouvelle qu'elle devrait faire plus d'efforts, réunir une plus grande masse de capitaux pour les faire servir à l'extinction d'une dette ancienne !

Je ne veux pas m'arrêter longtemps devant cet argument. Quelque peine qu'on voudrait se donner, ou ne parviendra pas à détruire cette vérité, (page 485) que l’amortissement, lorsqu’il fonctionne d’une manière régulière, est un obstacle réel à un entraînement irréfléchi vers des dépenses nouvelles ; il est certain que, quand vous devez employer une partie notable des voies et moyens à réduire la dette constituée, vous êtes d’autant moins disposé à décréter des dépenses facultatives, des dépenses qui quelquefois sont utiles, mais qui quelquefois aussi et malheureusement trop souvent sont des dépenses de luxe.

On fait un autre calcul ; on dit que, si on laisse subsister les dettes anciennes, en économisera les frais auxquels les nouveaux emprunts pourraient donner lieu. Avouez-le, c'est là une raison de l'ordre le plus secondaire. S'il y a une économie de ce chef, est-ce que vous n'en ferez pas une plus importante, avec un bon système d'amortissement ?

En effet, n'est-il pas évident qu'avec un large système d'amortissement vous améliorerez votre crédit, et que, votre crédit étant amélioré, vous pourrez contracter de nouveaux emprunts à des conditions plus favorables ? N'est-il pas évident, en un mot, que l'économie résultant du taux auquel vous contracterez les nouveaux emprunts, après l'amélioration de l'amortissement, compensera, et bien au-delà, les frais auxquels l'émission de nouveaux emprunts pourra donner lieu ? Personne ne le contestera.

Ce qu'il importe surtout d'examiner, c'est de savoir si nous pouvons continuer à dépenser, accumuler emprunts sur emprunts, quelle, du reste, soit leur destination utile, sans trop de souci pour l'avenir, ou si le moment n'est pas déjà venu de nous renfermer dans des limites, de nous imposer à nous-mêmes, dans l'intérêt de l'avenir du pays, de certains freins qui nous retiennent.

Pour cela, il est bon de comparer notre dette à celle des autres pays. Il ne s'agit pas de dire : Notre dette est très légitime, très utile ; elle a été constituée à bon droit. Qu'il en soit ainsi, elle ne pèse pas moins pour cela sur la nation ; il ne faut pas moins supporter la dépense des intérêts. C'est surtout une question de chiffres.

Il s'agit de savoir si la dette qui pèse sur nos épaules est jusqu'à présent moins forte que celle qui pèse sur les épaules de nos voisins.

Comparons.

J'ai pris une année normale, celle de 1842, parce que j'ai pu me procurer pour celle-là des chiffres complets. L'honorable M. Malou avait fait un travail analogue pour l'année 1846 ; les résultats en ont été à peu près les mêmes que pour l'année 1842.

Voici quel était, en 1842, la proportion de la dette avec le montant des impôts, dans les Etats ci-après : (erratum, page 487) en Autriche un tiers, en France, un quart, en Prusse, un sixième, en Belgique, un quart. En Prusse, la dette a encore été notablement réduite dans ces dernières années.

Ainsi, vous le voyez, notre jeune Etat a déjà une dette comparativement aussi forte que la plupart des puissances de l'Europe. Je sais bien qu'il y a des atténuations, qu'on peut donner des explications, dire que le chiffre de nos voies et moyens n'est pas en rapport avec nos ressources, qu'on pourrait l'augmenter, qu'ainsi la proportion serait moindre. Je ne sais si les contribuables accepteront cette atténuation, s'ils seraient satisfaits qu'on augmentât les impôts pour avoir une situation de la dette publique plus favorable.

Mais supposons les impôts augmentés, eh bien, la proportion de la dette sera peut-être d'un cinquième au lieu d'un quart. Toujours sera-t-il vrai de dire que notre dette est à peu près la même que celle de la plupart des nations de l'Europe.

Pour ne pas faire agir l'amortissement avec trop de force, on fait valoir la force de progression de notre amortissement, qui doit s'accroître avec les années, on dit que, pour la plupart des emprunts, nous avons un système d'amortissement à intérêts composés, qui doit augmenter plus tard avec une grande vitesse.

Aujourd'hui, nous amortissons faiblement ; plus tard, nous aurons de grandes ressources à notre disposition.

Remarquez d'abord que le système d'amortissement à intérêts composés n'existe pas pour tous les emprunts, qu'il y a même une catégorie de notre dette, le 2 1/2 p. c. qui n'a aucun amortissement.

Ensuite, pouvez-vous avoir une confiance si grande dans cette progression ? Rappelez-vous ce qui est arrivé, en 1844, alors que tout d'un coup, vous avez fait disparaître les ressources de l'amortissement.

Lorsque vous avez vu l'amortissement du 5 p. c. agir avec une force de 2 p. c, vous l'avez réduit à 1 p. c. au moment de la conversion de ce fonds.

Voilà donc tout l'avantage de la progression qui vous a échappé, à laquelle vous n'avez que trop facilement renoncé à un moment donné. Ce que vous avez fait alors, vous le feriez peut-être encore ! Je ne le crains que trop. Mais indépendamment de cela, tous les jours, vous pouvez être exposé à devoir contracter de nouveaux emprunts, et pour ces fonds-là vous recommencez toujours avec un amortissement de 1 p. c. au plus.

Maintenant, à part les motifs de prévoyance et de sagesse, qui doivent vous déterminer à augmenter le fonds d'amortissement, vous en avez encore un autre qu'il ne faut pas perdre de vue : c'est l'avantage que vous y trouverez pour les conditions des autres emprunts que vous aurez à faire, surtout pour les emprunts devant servir à la conversion des emprunts antérieurs. Ce sont là les opérations qui profitent dans la plus grande mesure aux contribuables, celles qu'un gouvernement prévoyant doit toujours avoir en vue.

Plus votre amortissement agira par continuation avec force, plus vite arrivera le moment où vous pourrez songer à une conversion, plus avantageuses seront aussi les conditions auxquelles cette conversion pourra s'opérer.

A ce point de vue surtout, nous avons intérêt à examiner si notre amortissement agit avec une force assez grande, s'il ne perd pas à la comparaison qu'on voudrait faire avec d'autres pays, qui, comme nous, regardent l'institution d'un fonds d'amortissement comme chose utile.

Si j'appelle votre attention sur ce point, c'est que certaines parties de notre dette n’ont pas d’amortissement, et qu’il faut prendre la dette dans son ensemble, que ce soit dette constituée ou dette flottante.

C'est alors seulement que nous saurons si la puissance que nous avons donnée à notre amortissement peut être regardée comme suffisante.

J'ai voulu faire une comparaison ; je me suis dit : Comparons le chiffre des intérêts de la dette nationale de toute nature qui se trouve en main tierce, que nous devons amortir tôt ou tard, comparons ce chiffre avec la puissance de notre amortissement pris dans son ensemble. Faisons cette comparaison pour notre pays et pour quelques autres pays de l'Europe. De la sorte nous aurons des termes de comparaison pour la puissance de notre système d'amortissement. Eh bien, prenons toujours cette année 1842 pour exemple.

Je trouve qu'en France, si l'on représente les intérêts de la dette en main tierce par le chiffre 5, ce chifftv se trouve avec celui des intérêts que touche la caisse d'amortissement dans le rapport suivant : comme 5 à 2 1/2.

En Prusse, ils se trouvent également dans la proportion de 5 à 2 1/2 ; en Autriche, dans la proportion de 5 à 1 1/2.

Et chez nous, non pas en 1842, mais à une époque beaucoup plus rapprochée de nous, huit ans plus tard, hier enfin, savez-vous dans quelle proportion se trouvait le chiffre des intérêts qui circulent en main tierce avec le chiffre des intérêts de l'amortissement en 1850. J'ose à peine le dire ; cette proportion n'est que de 5 à 0,75. (Je puise ce renseignement, dans le rapport de la caisse d'amortissement.)

N'ai-je pas raison de dire après cela qu'il y a des motifs puissants pour nous engager à sortir de la voie dans laquelle nous sommes entrés, de chercher plutôt à fortifier qu'à affaiblir notre système d'amortissement.

Mais je puis faire valoir une considération qui, je le pense, fera plus d'impression sur vos esprits : c'est de vous demander si vous savez bien ce qui se passe en ce moment dans un pays que nous ne ferions pas mal, en finance surtout, de prendre quelquefois pour modèle, qui peut nous donner des leçons beaucoup plus utiles que l'Angleterre, pays qui, par rapport à nous, se trouve dans une situation exceptionnelle.

Messieurs, la Hollande se trouve dans des conditions qui se rapprochent beaucoup de celles de la Belgique. Sous certains rapports cependant, la Hollande pourrait être comparée à l'Angleterre, en ce qui concerne notamment le chiffre de la dette.

La dette en Hollande est des plus fortes ; elle est dans la même proportion que celle de l'Angleterre, car entre la Hollande et l'Angleterre, il y a cette similitude que la dette publique absorbe à peu près la moitié des revenus de l'Etat.

Eh bien, croyez vous que la Hollande se soit modelée sur l'Angleterre ? Croyez-vous seulement qu'elle cherche à s'en rapprocher ? Pas le moins du monde. En Hollande, cependant, il est connu qu'on rencontre des financiers fort habiles, toujours la Hollande a été citée comme un modèle, sous ce rapport.

Ce qui se passe en Hollande, je vais vous le dire. Avant 1830, lors la réunion avec la Belgique, il existait en Hollande un syndicat d'amortissement, syndicat très largement doté, mais organisé, tout le monde le reconnaissait, sur de mauvaises bases. Cette institution était entourée d'un mystère tel que personne n'y voyait clair, pas même les personnes qui auraient dû se rendre parfaitement compte de l'état de cette caisse.

L'opinion publique s'est alors déclarée contre cette institution ; le syndicat a été aboli. On est allé plus loin. La Hollande se trouvait dans de grands embarras financiers. La Hollande, comme vous le savez, soutenait une lutte contre la Belgique ; elle devait faire face à de grands armements ; les besoins d'argent étaient pressants.

On a alors trouvé commode de suivre le conseil que j'ai quelque fois entendu donner ici. On a voulu, non pas s'approprier le système anglais, mais au moins s'en rapprocher ; on s'est dit : Abolissons le syndicat d'amortissement ; nous avons quelques contrats (ils ne sont pas nombreux) qui nous imposent l'obligation de consacrer un amortissement. Eh bien ! maintenons ce qui est consacré par les contrats ; mais n’allons pas au-delà. Quant au reste de la dette, amortissons avec l'excédant de nos ressources.

C'est, messieurs, à peu près le langage qu'on semble tenir ici.

La Hollande a agi quelque temps de la sorte ; mais, remarquez-le, une réaction s’y opère. Dès que la Hollande eut surmonté les difficultés contre lesquelles elle luttait, elle s’est dit : ce système est mauvais ; il faut fortifier la caisse d'amortissement ; nous destinons à l'amortissement à peu près un demi-million de florins, parce que les contrats nous y obligent ; cela ne suffit pas ; et M. Van den Bosse, ministre des finances actuel, a fait voter l'année dernière, au mois d'avril, si je ne me trompe, une dotation extraordinaire d'un million de florins pour opérer avec plus de force sur l'amortissement ; et non content de cela, il vient de soumettre, il y a peu de semaines, au parlement, un projet pour demander une nouvelle dotation extraordinaire de 3,200,000 fl., encore une fois (page 486) destinée à la réduction de la dette et il fait assez clairement entendre que plus tard il faudra revenir au système d'un syndicat d'amortissement, opérant d'une manière efficace et continue.

Messieurs, avouez-le, ou l'on se trompe en Hollande ou l'on se trompe ici. Il est de fait que les deux systèmes sont diamétralement opposés. En Hollande, on croit qu'il y a l'ulilité la plus grande à diminuer la dette non seulement pour diminuer les charges de la nation, mais pour arriver plus vite à une conversion. Ici on veut réduire l'amortissement le plus possible et diminuer les sacrifices qu'on s'est imposés jusqu'à présent.

Je termine par une dernière observation. Vous avez bien voulu me prêter une indulgente attention. Je vous en suis d'autant plus reconnaissant, que jamais je n'ai eu plus besoin de trouver des appuis dans cette chambre. Par la nature de la thèse que je défends, je suis malheureusement condamné à trouver pour adversaires tous les membres de cette assemblée qui ont passé au ministère des finances depuis 1840. Vous voyez que ma tâche est assez rude.

Voici pourquoi tous les honorables membres qui ont passé au département des finances ont intérêt à se prononcer contre moi. Depuis quelques années vous entendez parler souvent de la réserve de l'amortissement. La première fois qu'il en a été question, c'était dans l'état de situation du trésor de 1843. Alors pour la première fois on est venu vous dire qu'on avait distrait du service de la dette les réserves de l'amortissement pendant les années 1840, 1841, 1842. C'est que la discussion sur le budget de la dette publique venait d'avoir lieu. Cette discussion ava t mis au jour une circonstance qu'on ne savait pas, c'est qu'en matière de dettes il se passait quelque chose qui n'était pas parfaitement régulier.

A cette époque plusieurs membres avaient déclaré qu'il fallait régulariser la situation. Nos lois jusqu'alors, comme je l'ai dit en commençant, n'avaient pas parlé de dette flottante à éteindre, ni d'emploi à faire de l'amortissement à un autre usage qu'à celui de la réduction de la dette constituée. La discussion sur le budget de la dette publique arrive et alors, pour la première fois, on est dans le cas de devoir avouer que dans les contrats conclus avec les bailleurs de fonds pour une partie de l'emprunt de 1840, on s'est écarté des termes de la loi, qu'il avait été stipulé que dans des cas donnés, il serait permis au gouvernement de faire un usage indéterminé, autre que celui que réclamerait le service de la dette des réserves de l'amortissement.

Voici ce que fit observer alors l'honorable M. Cogels : « La clause de suspension de remboursement qui a été introduite pour la première fois dans l'emprunt contracté au mois de septembre 1840 me paraît contraire au traité et surtout à l'esprit de la loi. »

L'honorable M. Mercier, qui avait été ministre des finances en 1840, et qui ne l'était plus à l'époque de cette discussion, ajoutait ceci :

« Dans le premier contrat d'emprunt il est clairement stipulé que le gouvernement a la faculté de ne pas réserver ces fonds, mais c'est une simple faculté et comme la loi d'emprunt a fixé un amortissement de 1 p. c., il faudrait une autre loi, sinon pour suspendre momentanément le rachat des obligations, au moins pour être dispensé de continuer à alimenter le fonds destiné à cet amortissement. Mon intention était de proposer une loi qui n'obligeât pas à réserver le fonds. »

Eh bien l'honorable M. Mercier redevenu ministre en 1844 a persisté dans son opinion. Il a présenté les projets de loi pour les emprunts de conversion et de rachat et dans la discussion il a soutenu qu'il n'y avait pas utilité ou avantage à réserver l'amortissement lorsque le pair est dépassé, pour le service de la dette constituée. Cette opinion fut combattue par les honorables membres que j'ai cités en commençant.

La chambre fit ce qu'elle fit souvent ; elle donna un peu raison à l'un et à l'autre ; elle décida qu'il faudrait une réserve pour le 4 1/2 de la conversion et qu'il n'en faudrait pas pour le 4 1/2 du fonds de rachat.

Ainsi, le fonds 4 1/2 p. c. fut divisé en deux parties, et l'on admit que le fonds de rachat pourrait servir à la réduction de la dette flottante ou, en d'autres termes, aux besoins généraux de l'Etat, ce qui est tout à fait la même chose, comme je l'ai déjà dit.

Dans la discussion qui eut lieu alors, il avait été entendu que la réserve devait profiter au fonds d'amortissement et être représentée par des valeurs quelconques, parce que, disait-on, quand on voudra convertir, la réserve permettra de réduire d'autant la somme à émettre.

La chambre donc, donna tort en partie du moins à l'honorable M. Mercier. Elle voulait que l'amortissement continuât à former une réserve et de part et d'autre on s'expliqua sur le sens qu'il fallait donner à ce mot ; cependant l'habitude était prise et depuis lors tous les ministres qui se sont succédé au département des finances ont interprété la question autrement qu'on ne l'avait fait dans la discussion de la loi, et on a fait servir le fonds d'amortissement à l'usage auquel le gouvernement demande maintenant à pouvoir faire servir également notre fonds 5 p. c. Il est évident que lorsqu'on propose de donner au fait la consécration du droit, et qu'on veut faire passer l'éponge sur une grave irrégularité, tous les ministres qui ont quelque reproche à se faire de ce chef, s'empresseront de déclarer qu'on a grandement raison.

Quant à moi, qui me place à un autre point de vue, je ne saurais trouver bon un système qui est mauvais dans son essence. Si le gouvernement trouvait que la question est trop grave pour la trancher à l'occasion de ce projet de loi, s'il voulait la réserver pour un autre moment et retirer l'article 5, qui est nouveau dans la législation, alors je n'insisterais pas ; mais nous sommes assez habitués à voir l'honorable M. Frère ne pas céder même sur les détails et si le gouvernement persiste à maintenir l'article 5, je proposerai de remplacer cet article par l'amcndemen suivant :

« Les fonds d'amortissement qui, par suite de la disposition précédente, resteront sans emploi, seront affectés à l'amortissement d'une autre dette constituée. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, nous n'avons pas à examiner théoriquement la question de savoir si l'on doit réduire successivement la dette à l'aide du fonds d'amortissement ou s'il est préférable de n'appliquer que les excédents de ressources à l'extinction de la dette constituée ; cette question serait de pure théorie pour nous, parce que nous sommes liés par des contrats que nous sommes obligés d'exécuter. Nous sommes obligés d'amortir dans les termes de stipulations formelles nos emprunts à 5, à 4 1/2 à 4 et à 3 p. c

Nous devons aujourd'hui appliquer certaines règles à l’emprunt forcé de 37 millions. C'est un emprunt fait en 5 p. c. ; quelles règles devons-nous suivre ? Evidemment les mêmes règles qui sont, dès à présent, appliquées aux autres emprunts 5 p. c. Le principe admis pour les autres emprunts 5 p. c. est celui-ci : obligation pour l'Etat d'affecter une dotation de 1 p. c. annuellement à l'amortissement ; obligation pour l'Etat d'amortir, excepté lorsque le fonds est au-dessus du pair. En d'autres termes, l'Etat dit : Ayant reçu au plus 100 fr. pour 5 fr. de rente, je m'engage à rembourser 100 fr. pour les susdits 5 fr. de rente ; mais je ne m'engage pas à donner éventuellement 102, 104, 106 ou 108 fr.

De ces stipulations que résulte-t-il ? Il peut arriver que le fonds 5 p. c. se trouve au-dessus du pair ; que fera-t-on de la dotation de l'amortissement dans cette hypothèse ? voilà la question.

Le discours de l'honorable préopinant, dégagé de tout ce qui y est étranger, de la digression sur le régime parlementaire et autres, se réduit à ceci : Lorsque vous n'employerez pas le fonds d'amortissement destiné au 5 p. c, parce que ce fonds sera au-dessus du pair, les sommes disponibles seront appliquées au rachat des autres fonds. C'est bien là la pensée de l'honorable préopinant. Or, messieurs, ce système repoussé à l'unanimité par la section centrale, ne me paraît pas non plus admissible.

L'honorable membre vous a dit, je crois, d'une manière fort inexacte, que ce système a été défendu autrefois dans cette chambre, par les honorables MM. Verhaegen et Devaux. Il me semble qu'il doit y avoir erreur dans cette assertion. Ces messieurs ont soutenu peut-être que les fonds destinés exclusivement au rachat de la dette constituée devaient toujours être tenus en réserve pour empêcher l'accroissement de notre dette constituée.

M. Cools. - C'est la même chose.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas du tout la même chose ; je vais expliquer la différence.

Je comprends fort bien que l'on dise : Tenez les fonds en réserve ; ne les engagez pas dans les dépenses générales de l'Etat ; vous diminuerez d'autant les emprunts que vous aurez à contracter ultérieurement, car vous n'êtes pas au terme de vos emprunts. Je comprends cette thèse, mais je ne comprends pas l'extension que veut y donner l'honorable membre ; je ne comprends pas qu'on oblige l'Etat à appliquer l'amortissement destiné au 5 p. c, à l'amortissement du 4 1/2, du 4 et du 3 p. c. Cela n'est pas admissible ; pourquoi ? Parce qu'il est de toute évidence que du jour où vous auriez contracté une pareille obligation, et les fonds 5 p. c, en temps normal, étant destinés à être au dessus -du pair, vous accroîtriez dans une proportion extrêmement forte la dotation du 3, du 4 et du 4/2 p. c. et vous arriveriez aussi dans un temps très rapproché, à avoir le 4 1/2 p. c. lui-même au-dessus du pair, de sorte que vous appliqueriez exclusivement le fonds d'amortissement au 3 et au 4 p. c. Ainsi l'Etat emploierait tous les moyens en son pouvoir pour faire en sorte que les fonds 3 et 4 p. c. atteignissent le taux le plus élevé possible, afin de les racheter le plus cher possible.

Je ne comprends pas qu'on puisse conseiller une semblable opération à l'Etat. Je ne m'occupe ici que de l'intérêt du trésor. En quoi cet intérêt, qui est l'intérêt du pays, peut-il être engagé dans la question soulevée par l'honorable M. Cools ? Qu'est-ce que vous auriez en peu de temps ? Vous auriez une dotation de 5,500,000 fr, pour votre 3 p. c. et votre 4 p. c. ; ces fonds étant bien classés créés en 1836 et en 1838, atteindraient bientôt une élévation extraordinaire. La proposition de l'honorable membre, on le voit, n'a rien de commun avec la question de savoir si nous suivrons le système anglais qui a supprimé l'amortissement ; la question de savoir si nous suivrons le système anglais se présenterait si nous étions parfaitement libres, si nous avions à décider quels sont les principes à appliquer à note dette ; mais il n'en est pas ainsi ; nous n'avons pas à examiner cette question ; nous avons uniquement à décider s'il faut appliquer aux 37 millions dont nous nous occupons les règles qui ont été appliquées à notre 5 p. c. Il me semble qu'il est impossible de s'en écarter maintenant.

Je crois que ces observations suffisent pour faire écarter l'amendement proposé à l'article 5 par l'honorable préopinant.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi, tendant à allouer un crédit supplémentaire de 62,000 francs au département de l'intérieur, exercice 1851.

- Ce rapport sera imprime et distribué.

La chambre le met à l'ordre du jour de demain.

La séance est levée a 5 heures.