(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 184) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Vermeire présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Errembault du Maisnil demande qu'il soit pris des mesures pour atténuer le dommage que fait à sa propriété le canal de Pommeroeul à Antoing. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs et éleveurs de bestiaux à Reninghe et aux environs prient la chambre de ne pas donner son assentiment au traité de commerce conclu avec les Pays-Bas. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité.
« La chambre des avoués près le tribunal de première instance de Gand présente des observations sur le projet de loi relatif à l'expropriation forcée et prie la chambre d'adopter les modifications proposées par les avoués de Bruges. »
« Même demande de la chambre des avoués d'Anvers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les chambres de commerce et des fabriques de Verviers prient la chambre de donner son assentiment au traité de commerce conclu entre la Belgique et les Pays-Bas. »
« Même demande de la chambre de commerce d'Alost. »
M. Bruneau. - Je demande qu'on prenne à l'égard do ces pétitions la décision prise déjà pour des pétitions de même nature : l'impression au Moniteur et le renvoi à la section centiale chargée d'examiner le traité.
- Cette proposition est adoptée.
Par message en date du 27 novembre le sénat adresse à la chambre le projet de loi sur le droit de succession qu'il a amendé.
- Ce projet est renvoyé à la section centrale qui a été chargée de l'examiner.
M. Allard.- J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée de l'examen du budget de la guerre pour 1852.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour
M. le président procède au tirage au sort des sections.
M. Destriveaux, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Orts avait présenté à la chambre un amendement ainsi conçu :
« L'individu détenu préventivement ne pourra être tenu au secret plus de dix jours dans les cas où celle mesure aura été jugée nécessaire
« La mise au secret pourra néanmoins, dans des cas graves, être maintenue pour une période nouvelle de dix jours, avec l'approbation de la chambre du conseil, et à charge par le juge d'instruction d'en rendre immédiatement compte au procureur général du resxort.
« Après sa mise en liberté, ou sa condamnation, le détenu auquel une prolongation de secret aura été imposée, pourra obtenir, à ses frais, copie des rapports du juge ayant déterminé cette mesure. »
La section centrale s'est sérieusement occupée de cette proposition, et à la majorité de cinq voix contre une abstention, elle a exprimé l'opinion que l'amendement, tel qu'il est rédigé, tout en respectant le principe qui l'a dicté, ne pouvait pas être adopté. La section centrale a pensé pouvoir, au moyen de quelques dispositions empruntées au projet de la commission primitive, remplacer la proposition de manière à satisfaire tous les esprits et à surmonter toutes les difficultés.
La section centrale a repris les articles 30, 31 et 32 du projet de la commission, sauf qu'elle a introduit dans l'article 31 deux amendements. Le premier consiste à rédiger comme suit le troisième paragraphe :
« La chambre du conseil, opiès avoir entendu le juge d'instruction et le procureur du roi, statuera dans les deux jours de la requête. »
Le second à ajouter un quatrième paragraphe conçu en ces termes :
« Si la demande est rejetée, elle ne pourra être reproduite que dix jours après cette décision. »
En conséquence, la section centrale a l'honneur de proposer à la chambre d'adopter les articles 30 et 32 du projet de la commission primitive, et l'article 31 avec les modifications ci-devant indiquées.
La chambre, passant à la discussion relative au vote définitif des articles du projet de loi sur la détention préventive, en adopte définitivement les articles 1 à 7.
L'article 8 est adopté avec un changement de rédaction indique par M. Delfosse, comme conséquence d'un amendement adopté au premier vote et qui consiste à substituer les mots « le ministère public entendu » aux mots « après avoir entendu le ministère public. »
« Art. 9. La mainlevée du mandat de dépôt, dans le cas des articles 2, 6, 7 et 8, et, dans tous les cas, la mise en liberté provisoire pourront être subordonnées à l'obligation de fournir caution. »
M. Delfosse. - J'avais proposé d'ajouter les mots et dans tous les cas, parce qu'on laissait subsister ceux qui précèdent : dans les cas des articles 2, 6, 7 et 8. Ne pourrait-on pas faire disparaître toute cette phrase ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Lorsque le juge d'instruction ordonne la mainlevée du mandat de dépôt, dans le cas de l'article 5, il ne peut la subordonner à la caution. Je crois donc qu'il faut laisser subsister l'article tel qu'il a clé adopté.
M. Delfosse. - Je n'insiste pas.
- L'article est définitivement adopté.
« Art. 10. La demande de mise en liberté provisoire sera notifiée à la partie civile, à son domicile réel, lorsqu'elle demeure dans l'arrondissement, sinon à celui qu'elle a dû élire conformément à l'article 68 du Code d'instruction criminelle.
« La partie civile pourra, dans tous les cas, adresser ses observations à la chambre du conseil, sur le cautionnement à exiger de l'inculpé. »
M. Delfosse. - Puisqu'on parle ici du code d'instruction criminelle, il faut aussi en parler à l'article 8. A « l'article 421 », il faut ajouter : « du code d'instruction criminelle ».
- La modification proposée par M. Delfosse à l'article 8 et l'article 10 sont définitivement adoptés.
Les articles 11, 13, 14 et 15 sont définitivement adoptés tels qu'ils ont été admis au premier vote.
« Art. 18. Les actes auxquels le cautionnement donnera lieu seront enregistrés et visés pour timbre en débet.
« Les droits ne seront dus par l'inculpé que pour autant qu'il ait été frappé d'une condamnation définitive. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je déclare accepter l'amendement introduit sur la proposition de l'honorable M. Moreau.
Je dois cependant faire une observation. Cet amendement n'est pas tout à fait à sa place, parce qu'il règle une matière tout à fait fiscale. Comme cette loi est destinée à prendre place ultérieurement dans le Code d'instruction criminelle, j'accepte l'amendement jusqu'à l'époque où nous discuterons la réforme de ce Code. Je pense qu'il y aura lieu alors de le faire disparaître de la loi. La chambre comprendra qu'il y a un certain danger à introduire dans nos Codes, dans une législation étrangère aux matières fiscales, une disposition uniquement relative à ces matières.
Je suis amené, par ces amendements, à faire une autre observation. C'est que cette loi ne pourra pas s'appliquer à la détention préventive en matière de douanes, dans le cas de fraude ni dans les autres cas où la détention préventive est prévue par des lois spéciales.
- L'article est adopté.
L'amendement introduit dans l'article 21 est définitivement adopté.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai qu'il soit introduit un léger changement de rédaction dans l'article 26, bien que cet article n'ait pas été amendé : il est dit à la fin du premier paragraphe : « et contre l'inculpé ou la partie civile à compter du jour de la signification de ladite ordonnance. » On pourrait dire : « et contre l'inculpé ou la partie civile à compter du jour où elle aura été signifiée. »
- Cette modification est adoptée.
M. le président. - Il reste à statuer sur l'amendement de M. Orts. La section centrale, qui n'a pas adopté cet amendement, propose d'y substituer les articles 30, 31 et 32 du travail de la première commission, sauf les changements que voici :
« Art. 30. Lorsque le juge d'instruction croira devoir prescrire, à l’égard de l'inculpé, une interdiction de communiquer, il ne pourra le faire que par une ordonnance qui sera transcrite sur le registre de la prison. »
« Art. 31. Cette interdiction ne pourra s'étendre au-delà de dix jours.
« Elle pourra toutefois êlre renouvelée, mais, dans ce cas, l'inculpé ou, pour lui, un de ses parents ou amis, pourra prèsenter une requête à la chambre du conseil, pour demander la mainlevée de l'interdiction.
» La chambre du conseil, après avoir entendu le juge d'instruction et le procureur du roi, statuera dans les deux jours de la requête.
« Si la demande est rejetée, elle ne pourra être reproduite que 10 jours après cette décision. »
« Art. 32. Dans tous les cas où le juge d'instruction croira devoir renouveler l'interdiction de communiquer, il en rendra compte au procureur général. »
M. Orts. - Messieurs, en vous soumettant ma proposition, je n'avais qu'un seul but : combler une lacune que le projet laissait ouverte (page 185) Je demandais que la mise au secret ne fût plus complètement arbitraire, quant à sa durée et quant à la faculté de l’imposer. Par les dispositions additionnelles de la commission, mon but est atteint, elles renferment la garantie que je demandais. Cette garantie était double: d'une part le compte rendu à l’autorité judiciaire supérieure, d’autre part l’intervention de la chambre du conseil pour juger des motifs et de la prorogation du secret. Je crois donc, messieurs, pouvoir me rallier à l’opinion de la section centrale et j’accepte les articles additionnels qu’elle propose. Nous sommes en parfaite conformité d’opinion.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je pense, messieurs, qu'il faudrait faire de ces trois articles un chapitre spécial qui serait intitulé : « de la mise au secret. »
- Les trois articles additionnels sont mis aux voix et adoptés.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi :
73 membres répondent à l'appel nominal.
72 répondent oui.
1 (M. Lelièvre) répond non.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont adopté : MM. d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste), Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Landeloos, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Peers, Pierre, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleempulte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Ansiau, Bruneau, Clep, Cools, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, Debroux, de Decker, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters et Verhaegen.
MpV. - Nous avons à l'ordre du jour le projet de loi relatif aux loteries.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je demanderai la remise de cet objet à demain ; je désirerais pouvoir examiner plus attentivement l'exception formelle proposée à l'égard des sociétés anonymes et tontinières. Je ne crois pas qu'il y ait d'inconvénients à renvoyer cette discussion à demain.
M. Cools. - Puisqu'on remet la discussion à demain, j'appellerai l'attention de M. le ministre sur une question soulevée au premier vote et qui a passé trop légèrement : c'est celle de savoir s'il convient d'annuler les billets confisqués.
La propriété de ces billets doit passer à quelqu'un ; sans cela on fait les affaires de ceux qui ont émis ces billets illégalement. L'émission de ces billets crée des relations entre un débiteur et un créancier. Si, pour cause d'utililé publique, on veut faire disparaître le créancier, les obligations du débiteur n'en restent pas moins entières.
J'appelle l'attention de M. le ministre sur ce point, puisqu'on remet la discussion à demain. C'est une question qui mérite d'être examinée.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quoique l'article dont on vient de parler n'ait pas été amendé, je ne me refuse pas d'examiner de plus près la question soulevée par M. Allard. Je le ferai d'ici à demain.
- Le renvoi à demain est prononcé.
M. Loos, rapporteur. - La commission a proposé le renvoi des pétitions aux ministres des finances et des affaires étrangères. Je ne prendrai la parole qu'autant que ces conclusions seront combattues.
M. Delehaye. - C'est sans rien préjuger.
- Les conclusions de la commission permanente d'industrie sont adoptées.
M. Thibaut. - Je ne sais s'il entre dans l'intention de la chambre de commencer immédiatement la discussion de ce projet, il est d'une haute importance, et, vous le savez, composé d'un grand nombre d'articles, de 115 articles sans compter ceux que la commission a ajoutés, cette discussion prendra donc nécessairement un temps assez long. Cependant nous avons deux budgets dont les rapports vont être distribués et qu'il est urgent de voter.
Il me semble qu'il vaudrait mieux les discuter avant d'entreprendre ce long travail sur l'expropriation forcée.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande que la discussion générale soit ouverte.
M. Osy. - Je crois qu'il serait convenable que le gouvernement fît connaître s'il entend que la discussion s'ouvre sur son projet ou sur le projet amendé de la commission afin que nous sachions sur quoi portera la discussion.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai demandé que la discussion s'ouvrit sur le projet primitif du gouvernement, me réservant de m'expliquer sur chaque modification proposée par la commission.
- Personne ne demandant la parole, la discussion générale est close. La discussion des articles est renvoyée à demain.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J’ai l’honneur de présenter un projet de loi ayant pour objet de régler le salaire des conservateurs des hypothèques. Ce projet doit être adopté avant la mise à exécution du régime hypothécaire. Je demande qu’il soit renvoyé à la commission qui a examiné le projet de loi concernant le régime hypothécaire.
- Le projet de loi sera imprimé, distribué et renvoyé à la commission qui a examiné le projet de loi sur les hypothèques.
- Sur la proposition de M. Delehaye, qui fait remarquer que la section centrale, chargée de l'examen du projet de loi relatif à l'approbation du traité de commerce et de navigation conclu avec les Pays-Bas doit avoir encore plusieurs séances, la chambre fixe sa séance de demain à deux heures.
M. Dumortier. - Messieurs, dans les premiers jours de cette session M. le président m'a invité à développer les motifs du projet de loi que j'ai présenté le 3 juillet dernier sur la nomination des bourgmestres et des échevins. Je suis aux ordres de la chambre ; si elle le désire, je pourrai développer ma proposition maintenant. (Parlez ! parlez !)
(M. Dumortier monte à la tribune, et s'exprime en ces termes :)
Messieurs, il y a un an, je vous entretenais de la liberté de la charité, je viens aujourd'hui réclamer la liberté communale dans ce qu'elle a de plus sacré, de plus cher au peuple belge, l'indépendance de ses magistrats.
En Belgique, la liberté communale a toujours été considérée comme la première de toutes les institutions de l'ordre politique. C'est qu'antérieure à toutes les dominations, elle a traversé toules les époques et s'est ainsi profondément enracinée dans les mœurs du pays.
Si, à diverses périodes de notre histoire, elle fut absorbée par un pouvoir envahisseur, le peuple belge n'oublia jamais d'en réclamer le rétablissement aux jours de son émancipation politique, et de chercher à reprendre au pouvoir le droit d'intervenir dans la nomination de ses magistrats communaux.
Dès la période gauloise, les Belges avaient leur magistrature sénatoriale indépendante, et limitant l'autorité du souverain.
Sous la domination romaine, le pouvoir municipal fut soumis à des règles fixes et essentiellement libérales. Chaque cité avait sa magistrature municipale, composée de décurions élus par la curie. Tous les ans, aux ides de décembre la curie élisait les magistrats de l'année suivante ; cette élection avait lieu trois mois avant l'installation. Deux mois après cette élection, aux calendes de mars, les décurions élus nommaient dans leur sein deux duumvirs et les autres principaux chargés de l'action administrative. L'entrée en fondions des nouveaux magistrats avait lieu le 21 mars.
La loi romaine accordait la plus entière liberté dans l'élection des municipalités, le pouvoir n'y intervenait en rien ; les magistrats étaient librement élus par la curie ; les duumvirs librement nommés par les décurions. Jamais les préfets n'intervinrent dans les actes municipaux qui étaient de la seule compétence des magistrats élus par la curie ; et comme la nomination de ces magistrats était annuelle, les abus ne pouvaient avoir de durée.
On conçoit combien une loi aussi sage dut être accueillie avec faveur par les peuples qui, comme le nôtre, ont toujours porté si haut le sentiment de la liberté.
Aussi, quand Céréalis veut persuader aux Belges de Trêves d'abandonner la cause de Civilis, il leur rappelle la boulé des institutions romaines.
« La Gaule, dit-il, a été livrée à l'ambition et aux guerres jusqu'au moment où vous vous êtes réfugiés sous nos institutions et nos lois. Espérez-vous de Tutor et de Classicus un gouvernement plus doux que le nôtre ? C'est la liberté et les mots séduisants qu'invoquent toujours les hommes qui veulent établir leur domination sur l'asservissement des autres. »
La bonté des institutions municipales romaines ne peut mieux se démontrer que par leur durée. En effet, cette organisation traversa tout le moyen âge, et elle subsista jusqu'à ces derniers temps dans les cités romaines de la Gaule Belgique et dans les villes qui, comme Maestricht et Liège, leur avaient succédé. Tournay, cité romaine, avait ses jurés (jurali) élus chaque année, et choisissant daus leur sein deux prevosts ou duumvirs.
Héritières de la cité de Tongres, Liége et Maestricht avaient leurs deux bourgmestres ; Louvain ses deux consuls, l'un patricien, l'autre plébéien. Chose remarquable ! au quatorzième siècle les élections municipales se faisaient encore à Tournay à la Sainte-Lucie, jour des ides de décembre, et la nomination des prevosts ou duumvirs à la Sainl-Eleuthère aux calendes de mars, conformément aux traditions de la loi romaine, tant furent profondes les racines que les institutions du peuple-roi avaient jetées dans notre pays.
A côté de cette magistrature romaine, l'organisation franque ou la commune apparaît dès la plus haute antiquité dans les bourgs et les villes seigneuriales de la Belgique. Agathias nous apprend en effet que les Francs avaient des magistratures municipales.
(page 186) Les historiens regardent la commune comme surgissant tout à coup au douzième siècle : c’est une erreur. Bien qne plus fortement développée alors, cette institution, qui n'est autre chose que l’organisation franque, apparaît dès la période mérovingienne, La septième formule de Marculfs : « Suggestio seniori communoe » ne permet pas de doute sur l’existence de la commune au septième siècle. La donation de terres situées en Flandre, faite en 745 par le prêtre Félix à l'abbaye de Sithiu, porte la signature d'un échevin, preuve irrécusable de la magislrature communale à cette époque, et par conséquent dès la période mérovingienne.
Sous les carolingiens, les conjurations interdites aux serfs et aux clercs par les capitulaires, ne sont autre chose que des créations de communes. C'est ce que prouve le témoignage d'Ives de Chartres. Il paraîtrait qu'à l'époque carolingienne c'était en Belgique surtout que les habitants recouraient à ces associations de liberté, puisque le capitulaire de Louis le Débonnaire, collecté par Angésise, les interdit spécialement aux serfs de la Flandre et du Memepiscus et condamne les seigneurs à soixante sols d'or, s'ils les tolèrent. Ce capitulaire nous montre le caractère dominant du peuple belge, le besoin d'indépendance et de liberté que l'on retrouve à chaque page de son histoire.
L'interdiction du droit de commune aux serfs et aux clercs démontre l'existence de ce droit pour les hommes libres.
Dans la Belgique actuelle, dont le sol comprend pleinement la terre salique, les communes primitives étaient ordinairement régies par sept échevins. Ce nombre est en effet celui des membres de l'échevinage à Louvain, Bruxelles, Anvers, Bruges, Audenarde, Namur, Luxembourg, Arlon, Ruremonde, Malines, etc.
Les quatre échevinages de Tournay se composaient chacun de sept membres. Or ces sept échevins composant la magistrature franque, ne sont autres que les sept rachimbourgs mentionnés dans les lois salique et ripuaire et dans l'édit de Chilpéric. L'organisation franque ou la commune a donc son type primitif dans le nombre 7. comme l'organisation romaine dans le nombre 2.
Telle est l'origine de la commune et de sa magistrature franque. Celle-ci purement locale et composée d'échevins présidés par un maire ou bourgmestre était distincte de la magistrature romaine qui ne se retrouve que dans les cités, avec sa magistrature duumvirale, et dont la juridiction s'étendait sur tout le territoire qui a formé depuis la circonscription des diocèses.
Elle ne lui succède point dans la terre salique, mais se place à côté d'elle sans la renverser et en respectant son existence et ses droits. Effet remarquable de la permanence des institutions, de même que sous l'empire romain la magistrature curiale étendait son action sur toute l'étendue territoriale de la cité, de même pendant tout le moyen âge les magistratures francques des villes venaient à enquête devant les provots et jurés de l'ancienne cité romaine. C'est ainsi que les échevinages d'Audenarde, de Gand, de Bruges et même de Boulogne venaient dans les causes ardues réclamer enquête et conseil des prévôts et jurés de Tournay.
Les communes existaient donc bien longtemps avant l'époque qu'on leur assigne, aussi les premières chartes communales ne créent-elles point un droit nouveau ; elles ne font que confirmer celui qui existe. Ce qu'on appelle l'établissement des communes au XIIème siècle, n'est point, comme on l'a cru, leur naissance, leur création, mais bien leur élévation à l'indépendance et à la seigneurie : la seigneurie des communes, voilà le grand fait du XIIème siècle.
En vertu du pouvoir seigneurial que leur conférait la reconnaissance du souverain, les communes avaient le droit de justice, de beffroy, de sceau, de cloche, celui de guerre contre les autres seigneurs, le droit d'alliance, c'est-à-dire tous les privilèges inhérents à la seigneurie. Par là, les bourgeois cessent d'être les hommes du seigneur ; ils relèvent immédiatement du souverain et lui payent directement aide en hommes et en argent.
Ouvrez les chartes les plus anciennes, qu'y verrez-vous ? Ce n'est point la commune que crée l'octroi du souverain ; il reconnaît son existence, sa personnification, et par cette reconnaissance, le pouvoir seigneurial du châtelain et du comte passe entre les mains de la communauté des habitants, représentée par les chefs de sa magistrature qui ne relève plus du seigneur mais bien du souverain. Désormais la seigneurie n'est plus dans le châtelain, elle est dans la commune. Ainsi, quand celle-ci obtient l'octroi du souverain, la chatellenie disparaît comme pouvoir dans les villes.
Que si, dans la seconde période, la création de certaines communes offre des circonstances différentes, comme l'achat à prix d'argent, c'est que les souverains, ayant vu dans ce système un affaiblissements des grands vassaux, en firent un moyen politique d'argent et de puissance. Mais, je le répète, l'élévation de la commune à la seigneurie, voilà le grand fait du XIIème siècle.
La seigneurerie accordée aux communes vint donc mettre fin à la domination des châtelains qui s’étaient établis dans les villes à la suite des invasions normandes et qui depuis, à la faveur de la désorganisation politique sous les derniers carolingiens, y avaient empiété sur les droits des municipalité.
Elevées à l'indépendance par la seigneurie, nos villes, librement gouvernées, atteignirent bientôt un degré de prospérité jusqu'alors inconnu. Elles s'accrurent rapidement en population et en richesse ; les manufactures y prirent un essor extraordinaire, au point qu'il fallait sans cesse créer de nouvelles enceintes pour l'augmentation de la population.
Cependant aux treizième et quatorzième siècles, une modification profonde eut lieu dans l'organisation communale par l'accession des métiers au pouvoir. Alors commencèrent les luttes des métiers les uns contre les autres, les émeutes et les désordres. La plupart des villes succombaient sous le fardeau de dettes énormes, et l'on vit les plus hautes dignités municipales confiées à des gens qui ne savaient ni lire ni écrire.
Au lieu de porter remède au mal, le pouvoir en prit texte pour renverser les franchises communales. Les ducs de Bourgogne commencèrent, la maison d'Autriche les suivit ; et l'affaiblissement des communes devint la politique dynastique. Les rois de France et d'Espagne étaient parvenus à l'asservissement des communes, la Belgique avait toujours résisté ; la gloire de Charles-Quint fit ce que n'avaient pu la violence et la ruse, elle fit oublier la liberté et la plupart des villes se virent enlever sans murmure la nomination de leurs magistrats. La soumission de Gand acheva de tuer le principe électif ; bientôt le duc d'Albe, d'odieuse mémoire, acheva la destruction du pouvoir communal par l'ordonnance qui soumit les privilèges des villes à la cour de Malines pour statuer sur leur validité.
A partir de cette époque, la magistrature communale devint une espèce de commission du pouvoir, et c'est la période de la décadence de nos grandes cités ; les magistrats, ne devant plus rien au peuple, ne faisaient plus rien pour le peuple. Mais toutes ces mesures n'avaient pu déraciner chez nous l'amour des libertés communales, l'arbre de la liberté est poussé de graine en Belgique ; il y pivote dans le sol, et on a beau le mutiler, il ne périt pas. Aussi, chaque fois qu'un événement politique faisait entrevoir la possibilité d'un retour à la liberté, les communes s'efforçaient de revendiquer leurs anciennes franchises et souvent en reprenaient l'usage. C'est à cet amour des Belges pour les libertés communales que rendait hommage le comte de Metternich, lorsqu'en 1793 il écrivait à la cour de Vienne : « La force des armes pourra bien conquérir momentanément la Belgique, mais jamais dompter l'opinion générale d'un peuple aussi fier qu'énergique pour le maintien de ses droits. »
Cependant la révolution française, passant le niveau sur toutes les existences communales, supprima nos anciennes institutions locales, malgré les protestations du pays, et bientôt l'Empire vint y établir le despotisme des maires. Rocderer, dans son rapport sur la loi du 28 pluviôse an VIII, avait posé cette étrange maxime qui servit de base à la législation impériale : Juger est le fait de plusieurs, administrer est le fait d'un seul ; maxime despotique et fausse, car administrer, c'est juger. A la faveur de cette maxime, toute espèce de liberté disparut dans la commune, et pour la première fois on vit l'autorité administrative confiée aux mains d'un seul homme, nommé directement par le souverain.
Mais lorsque la chute de l'empire eut permis aux peuples de respirer l'air de la liberté, un des premiers soins du roi des Pays-Bas fut de rendre à la nation ses franchises communales sous une faible action du pouvoir.
Par les règlements des villes de 1817, la nomination des bourgmestres et échevins avait lieu par le roi, mais sur une liste triple de candidats présentés par le conseil communal. Dans les communes rurales, le bourgmestre était nommé par le roi, les échevins l'étaient par la députation permanente sur la présentation du conseil communal. Au moyen de cet ordre de choses, la volonté du conseil était déterminante, et il devenait impossible à la couronne d'imposer à la commune un membre de la minorité, contre son gré.
Mais lorsqu'en 1825 le roi Guillaume, entrant dans le système de despotisme qui l'a perdu, entreprit de porter atteinte à toutes nos libertés, il enleva aux conseils le droit de présentation des magistrats communaux, s'attribuant à lui seul celui de les nommer sans l'assentiment des corps municipaux. C'était l'époque de la compression et de la réaction ; on frappait à la fois, aux applaudissements de l'orangisme, et les libertés religieuses et les libertés communales ; on expulsait le prêtre des écoles et l'on retirait aux élus du peuple le droit d'intervenir dans la nomination de leurs magistrats. Tant il est vrai que toutes les libertés sont solidaires et que l'esprit de despotisme et d'empiétement ne s'attache jamais à une liberté seule.
Tandis que les règlements de 1825 attribuaient au pouvoir la nomination des autorités communales, ils n'avaient guère apporté de changements à leurs attributions. Le gouvernement, qui marchait vers le despotisme, s'inquiétait fort peu des attributions ; c'était non les actes qu'il cherchait à surveiller, mais les personnes qu'il voulait subjuguer à ses volontés et à ses caprices, pour en faire les instruments de sa politique. (page 187) Il voulait gouverner par les passions de la minorité du pays, à laquelle, en faussant le système représentatif, il avait donné la majorité dans les chambres. Méconnaissant l'esprit du peuple belge et ses propres engagements, il cherchait, en se donnant le nom de gouvernement libéral, à asservir toutes les institutions, à fausser le caractère national et à régner par le despotisme et non par la liberté. Mais bientôt les actes que le pouvoir avait posés pour établir sa force devinrent sa faiblesse ; ils formèrent autant de griefs qui préparèrent sa chute, et loin de lui donner la moindre autorité, le jour où commença le mouvement populaire, ces agents du pouvoir nommés par le roi et non par l'action communale, se trouvèrent sans puissance pour opposer une digue à l'entraînement du pays.
En 1830, la révolution éclata. Au nombre des griefs de la nation figuraient les mesures de 1825, au sujet de la nomination des bourgmestres et échevins, mesures dont le pays réclamait l'abrogation. Le gouvernement provisoire reconnaissant que le ministère devait être étranger à la nomination des magistrats communaux, et « voulant pourvoir à la recomposition des régences d'après les principes d'une révolution toute populaire dans son but » publia, dès le 8 octobre, un décret qui rendait au peuple la nomination de ses bourgmestres et échevins. Cet état de choses dura jusqu'à la fin de 1836.
Cependant, le 2 avril 1833, M. Rogier, ministre de l'intérieur, déposa un projet de loi communale qui, enlevant au peuple le choix de ses magistrats, accordait au gouvernement la nomination et la révocation des bourgmestres, que celui-ci pouvait choisir à son gré soit en dehors du conseil, soit même en dehors de la commune. Quant aux échevins, il proposait qu'ils fussent nommés et révoqués par le roi dans les communes de 3,000 habitants et au-dessus, et par le gouverneur, dans celles d'une population moindre.
L'importance de cette loi, les vives discussions auxquelles elle donna lieu durant trois années, les diverses péripéties du vote concernant l'institution des magistrats communaux, nous autorisent à rappeler succinctement ce qui se passa alors dans le parlement.
Le projet de loi ayant été envoyé aux sections, celles-ci accordèrent au Roi la nomination des bourgmestres, mais plusieurs membres demandaient que cette nomination ne put avoir lieu que sur une triple présentation faite par le conseil, comme cela se pratiquait, sous les premiers règlements du gouvernement hollandais, jusqu'en 1825.
Quant aux échevins, deux sections demandaient leur élection par les conseils communaux et dans leur sein ainsi que cela a lieu pour les députations provinciales ; une seule désirait leur élection directe.
Le 23 juin 1834 j'eus l'honneur de déposer le premier rapport sur la loi communale.
La majorité de la section centrale y proposait d'accorder au Roi la nomination des bourgmestres, mais en limitant son choix dans le conseil. Elle attribuait également la nomination des échevins au gouvernement, mais sur une liste de candidats présentés par le conseil communal.
Toutes ces décisions avaient été prises à la majorité de 4 voix contre 3, le rapporteur faisant partie de la minorité, qui voulait des garanties plus larges.
C'est dans cet état des choses que s'ouvrit la mémorable discussion de la loi communale, discussion qui occupa le parlement durant trois années.
Après de longs et solennels débats, la chambre des représentants, dans sa séance du 24 juillet 1834, abandonna au gouvernement la nomination du bourgmestre, en stipulant toutefois qu'il devait être choisi exclusivement dans le conseil. Le même jour, elle accorda au gouvernement la nomination des échevins, mais sur une liste de candidats présentés par le conseil communal.
Cependant le pays s'était soulevé contre cet abandon de la nomination des magistrats communaux. Aussi lors du second vote du projet de loi, le 13 mars 1835, la chambre, revenant sur sa résolution première, laissa à l'élection la nomination des échevins.
Le projet de loi communale fut ainsi transmis au sénat qui, dans la séance du avril 1835, admit la disposition votée par la chambre quant aux bourgmestres, mais rejeta l'élection directe des échevins.
Ainsi amendé, le projet revint à la chambre et subit de nouveau l'épreuve des sections et de la discussion publique. Trois sections admirent la nomination des échevins par le Roi ; deux demandèrent leur nomination par le conseil ; une, par les électeurs. La section centrale, prenant un moyen terme, proposa leur nomination par le Roi sur une liste de candidats présentés par le conseil communal.
La discussion publique s'ouvrit donc pour la troisième fois, et le 6 mai 185 la nomination des bourgmestres fut abandonnée au gouvernement. Cette nomination en dehors du conseil dans des circonstances extraordinaires et sur l'avis conforme de la dépulation provinciale, fut admise par 47 voix contre 32. Enfin, le 8 mai 1835 la chambre rejeta par 47 voix contre 32 la nomination des échevins par les électeurs et elle adopta comme article de loi : « Les échevins sont nommés par le conseil et parmi ses membres ».
La sortie périodique des chambres vint arrêter la continuation des débats. Après les élections, les chambres furent convoquées, et le 4 août 1835, M. de Theux, ministre de l'intérieur, présenta aux chambres un projet de loi amendé qui accordait au Roi la nomination et la révocation des bourgmestres et laissait celle des échevins à l'élection.
Le 10 novembre 1835, j'eus l'honneur de déposerle troisième rapport sur la loi communale, et le 4 février 1836, la quatrième discussion publique commença.
La chambre qui avait vu l'élection directe repoussée par le sénat, et qui elle-même, peu de mois auparavant, avait rejeté ce mode par 47 voix contre 32, pour voter la nomination des échevins par les conseils, crut devoir faire une sorte de transaction. Elle refusa au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres en dehors des conseils et celui de les révoquer, et elle lui accorda la nomination des échevins, afin que toute l'administration émanât d'un même principe. Ce quatrième vote eut lieu le 12 février à la majorité de 50 voix cintre 42.
Enfin, lors du cinquième vote, le 7 mars 1836, la disposition relative à la nomination des bourgmestres et échevins fut définitivement admise. Ainsi, après trois ans de discussions et cinq votes successifs, la nomination des magistrats communaux fut abandonnée au pouvoir.
Nous venons de voir que par la loi communale du 30 mars 1836, le Roi avait la nomination du bourgmestre et des échevins exclusivement dans le sein du conseil ; le 13 mai 1842, M. Nothomb, ministre de l'intérieur, présenta à la chambre un projet de loi destiné à accorder au Roi la nomination du bourgmestre en dehors de ce conseil, parmi les électeurs de la commune. Dans ce cas, le bourgmestre n'avait point voix délibérative dans le conseil, mais seulement dans le collège échevinal. Cette disposition, vivement combattue, finit par être admise par la loi du 30 juin 1842.
Mais l'opinion publique s'était de nouveau soulevée. Elle réclamait à grands cris les libertés communales si chères au peuple belge, et demandait le retrait des mesures réactionnaires.
Pour faire droit à ces réclamations, il fallait rentrer dans les principes de nos antiques libertés et retirer au pouvoir l'intervention dans la nomination des magistrats communaux que la loi de 1836 lui avait abandonnée. Alors le gouvernement eût pu se proclamer le défenseur des libertés communales. Il n'en fut rien, et toute la modification apportée par la loi de 1848 se borna à l'avis de la députalion pour le choix du gouvernement en dehors du conseil. Ce n'est pas tout, la durée des fonctions des bourgmestres et échevins qui était de 8 ans par la loi de 1836, fut réduite à 6 ans, ce qui met la magistrature communale sous l'action plus fréquente du pouvoir et lui enlève une grande garantie d'indépendance.
L'état de choses qui nous régit est donc moins libéral encore que la loi de 1836, puisque par celle-ci le gouvernement devait forcément prendre le bourgmestre parmi les élus du peuple ; tandis qu'aujourd'hui il peut le nommer parmi ceux auxquels le peuple a refusé sa confiance, et cela au moyen d'un avis préalable de la députalion, formalité insignifiante, et qui d'ailleurs avait toujours lieu dans la pratique ; mais l'ordre de choses actuel est bien moins libéral que celui qui régissait la nomination des bourgmestres et échevins dans les villes sous le gouvernement hollandais jusqu'en 1825, puisque alors le roi n'avait le droit de nommer les bourgmestres et échevins que sur la présentatim des conseils. Ainsi, l'un des principaux griefs qui donnèrent lieu à la révolution de 1830 est encore à attendre sa réparation.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous proposer a donc pour but le retrait des mesures réactionnaires contre les libertés communales, retrait exigé en 1846 par une assemblée politique qui a donné naissance au cabinet actuel.
Comme nous l'avons dit, à la suite d'une révolution toule populaire, les libertés communales, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres et des échevins, sont moidres aujourd'hui qu'elles ne l'étaient durant les 10 premières années du gouvernement hollandais. Il y avait là des garanties de liberté qui n'existent plus aujourd'hui. Elles sont aujourd'hui moindres que sous la loi de 1836 elle-même, et le renouvellement du mandat tous les six ans au lieu de huit, a rendu plus fréquente et plus active l'action du pouvoir. Le prochain renouvellement des administrations communales appelle donc une mesure réparatrice : l'émancipation des magistrats locaux et le retrait, si hautement réclamé, des mesures réactionnaires.
L'intervenlion du gouvernement dans la nomination des magistrats communaux est le fait le plus hostile à la liberté municipale. La commune, c'est la famille. Or, n'est-ce pas la plus étrange des aberrations, que de voir la Belgique jouir de toutes les libertés individuelles, liberté de pensée, liberté des cultes, liberté de la presse, liberté d'enseignement, liberté d'association, et prétendre établir la servitude des magistrats communaux ? Un tel régime serait la liberté des individus et l'esclavage de la famille. En effet, c'est dans la commune que le magistrat est en contact avec le citoyen et qu'à chaque instant il exerce sur lui son action.
Mais lorsque le pouvoir nomme les bourgmestres et échevins de nos villes et de nos campagnes, connait-il ceux qu'il nomme ? Connalt-il les personnes qui ont la confiance du conseil dans toutes les communes de la Belgique ? Evidemment il ne les connait pas ; il nomme à l'aventure, forcé de s'en rapporter aux témoignages d'agents subalternes, intéressés souvent à de mauvais choix, de manière que la nomination accordée au Roi n'est que fictive et qu'en fait elle est donnée aux commissaires d'arrondissement, qui très souvent cherchent à se faire des créatures et non à soigner les intérêts du peuple.
Ainsi, en accordant la nomination au Roi qui est dans l'impossibilité de connaître ceux qu'il est appelé à nommer, cette nomination en réalité (page 188) attribuée aux commissaires de district, devient le partage des petites passions, du favoritisme, de l’esprit de parti d’agents subalternes.
Au contraire, où connaît-on mieux les hommes propres à remplir kes fonctions administratives de la commune que dans la commune elle-même ? Qui est plus propre à apprécier les qualités administratives de tel ou tel conseiller communal ? Qui est plus à même de juger celui qui est digne de la confiance du conseil que le conseil lui-même ? Il n’y a pas plus de motifs de donner au Roi la nomination des bourgmestres et échevins des communes que de lui accorder celle des députations provinciales.
On objectera les garanties d'ordre public dms la commune ; mais ces garanties se trouvent à chaque page de la loi ; par l'intervention du pouvoir dans tous les actes de l’autorité communale, garantie bien autrement puissante que celle résultant de l'asservissement des magistrats municipaux. Par la loi de 1836 nous avons accordé ou gouvernement l'action la plus entière sur tous les actes soit des conseils, soit du collège échevinal ; là, et là seulement, est la garantie d'ordre public.
La nomination des magistrats communaux ne la donnerait pas, puisque la plupart des actes émanent du conseil, sur lequel le pouvoir n'a aucune action personnelle. S'il était vrai que la garantie d'ordre public fût dans l’action sur les personnes, alors ce n'est pas le collège échevinal, c'est le conseil tout entier que le pouvoir devrait nommer. Et le fait de la nomination par le peuple des conseils communaux, dont seuls peuvent émaner les atces contraires à l'ordre public, prouve bien que les garanties d'ordre auxquelles on fait appel pour justifier la nomination des autorités communales par le pouvoir, n'est qu'un prétexte contre la liberté.
On a dit encore : le bourgmestre et les échevins exécutent la loi, ils doivent donc être nommés par le pouvoir executif. C'est l'argument de la doctrine. Mais où donc est-il écrit que quiconque exécute la loi doive tenir son mandat du pouvoir exécutif ? Dans un gouvernement, toute autorité est instituée pour exécuter la loi, elle n'a pas d'autre mission. S'il était vrai que celui qui est chargé d'exécuter la loi dût tenir sa nomination du pouvoir exécutif, le principe électif devrait être supprimé au système représentatif, tandis que dans cette forme de gouvernement, le principe électif domine tout. Faire du gouvernement représentatif avec les formes de la monarchie absolue, c’est créer un système bâtard, une machine dont les rouages ne s’engrènent pas. Dans le système représentatif tout action du pouvoir engendre un frottement ; tout frottement use. Il est donc vrai de dire que le meilleur, le plus durable des gouvernements est celui dont l’action se fait le moins sentir et qui laisse la part la plus large à la liberté.
Voyez l'Angleterre, ce pays d'ordre et de liberté, si digne de fixer l'attention des hommes d'Etat :le gouvernement n'y a aucune action sur la nomination des magistrats communaux.
Là le peuple nomme le conseil de la commune qui, chaque année, choisit dans son sein les magistrats communaux. Dira-t-on que les garanties d'ordre public n'existent pas en Angleterre, que la magistrature communale ne peut y exécuter la loi parce qu'elle n'émane pas du pouvoir exécutif ? En Angleterre, les hommes d'Etat ont foi dans la liberté ; ils ne pensent pas compromettre l'ordre en n'intervenant pas dans la nomination des magistrats communaux, croyant que ce choix ne peut être mieux confié qu'aux élus du peuple ; et dans toute l'Angleterre, la nomination des maires et des aldermen est laissée au conseil de la commune. Dans ce pays le principe sacramentel : le roi règne et ne gouverne pas, a un corollaire indispensable : le cabinet gouverne et n'administre pas.
Aussi n'est-il pas de gouvernement plus fort et plus régulier que le gouvernement anglais, parce qu'il repose sur la liberté.
En France, à la suite de la révolution de février, un des premiers soins de l'Assemblée nationale a été d'imiter l'exemple de l'Angleterre et d'enlever au pouvoir la nomination des maires, source de si graves abus, pour la laisser au choix des conseils communaux. L'article 10 du décret du 3 juillet 1848 porte : « Le maire et les adjoints seront choisis par le conseil municipal et pris dans son sein » ; et l’article 11 ajoute : « l’élection des maires et adjoints sera faite par les membres du conseil municipal, au scrutin secret et individuel. »
Le système que je propose est donc celui qui constituant notre ancien droit public, n'a cessé d'être en vigueur dans notre pays que par l'envahissement du pouvoir, et sous lequel nos communes sont arrivées au plus haut degré de prospérité ; c'est enfin celui qui régit aujourd'hui la commune en Angleterre et en France. La Belgique est-elle moins digne de la liberté communale que ces deux pays : voilà la question.
On me demandera pourquoi je n'ai point proposé l'élection directe des magistrats communaux ; ma réponse est facile. La question culminante de la liberté communale n'est point de savoir si l'autorité administrative sera élue par les électeurs ou par le conseil, c'est la non-intervention du pouvoir dans la nomination des magistrats communaux, l'émancipation de cette magistrature vis-à-vis du gouvernement. Si la chambre préfère la nomination par l'élection directe, ce n'est pas moi qui rejetterai la loi. Avant tout, l'émancipation de la commune.
Mais pourquoi, dans notre ancienne législation, pourquoi, en Angleterre, en France, la nomination par les conseils a-t-elle été préférée à l'élection directe ? Nous n'hésitons pas à le dire : c'est dans l'intérêt du peuple, afin de mettre les magistrats communaux en présence d'un double mandat, celui du peuple et celui des conseils ; et de créer ainsi une double responsabilité, vis-à-vis du peuple par l’élection, vis-à-vis des conseils par la délégation administrative et le contrôle incessant qu’elle engendre. C’est ensuite que nul n’est plus propre que le conseil communal lui-même à apprécier les qualité nécessaires à l’exécution des actes posés par le conseil auquel appartient de régler tout ce qui est d’intérêt communal, et que rien ne garantit mieux la bonne harmonie entre le pouvoir délibératif de la commune et l’exécutif.
La communauté d'origine entre le pnuvoir délibérant et le pouvoir administratif n'engendre pas nécessairement la communauté de vues et la bonne harmonie. Au contraire, il n'est alors que trop fréquent de voir le pouvoir exécutif entrer en lutte avec le pouvoir délibératif, quoique provenant d'une même origine. Ce qui se passe dans un pays voisin en est la preuve. Mais quand le pouvoir exécutif, issu du même mandat que le pouvoir délibérant, reçoit de ce dernier le mandat d'administrer, alors il devient responsable vis-à vis de ce dernier, et cette responsabilité engendre un contrôle qui est le plus sûr garant de la douceur de l'administration envers les citoyens. Au contraire, un pouvoir administratif émanant de la même origine que le corps délibératif et indépendant de celui-ci, serait un pouvoir irresponsable et par là tendant au despotisme. C'est pour cela que dans toutes les républiques le pouvoir administratif des villes est une délégation des conseils car la responsabilité vis-à-vis du pouvoir délibéralif est la premièie de toutes les garanties d'ordre et de paternité dans l'administration. C'est ce principe qui a présidé à la nomination des députations provinciales, il esl le seul auquel l'histoire assure de la durée.
Les motifs qui nous ont porté à proposer la nomination des bourgmestres et échevins par délégalion des conseils sont donc ceux-ci :
1° Nos anciennes libertés communales ;
2° L'exemple de ce qui se passe dans d'autres pays ;
3° L'exemple de ce qui se passe chez nous pour les députations provinciales ;
4° Le principe de la double responsabilité ;
5° Enfin parce que le sénat a rejeté l'élection directe ; que la chambre elle-même l'a rejelée pour lui préférer le mode de de délégation par les conseils et finalement qu'elle a mieux aimé accorder la nomination des échevins au Roi que de la laisser à l'élection directe.
Les adversaires des libertés communales eussent eu trop beau jeu, si j'avais présenté l'élection directe des magistrats communaux ; ils seraient venus, comme en 1834, objecter les inconvénients qui peuvent résulter de ce mode d'élection.
Ils auraient dit que nous faisons de la liberté sans ordre et sans responsabilité, et que la liberté sans responsabilité c'est l'anarchie ; ils auraient fait remarquer que, par l'élection directe, les bourgmestres et échevins n'étaient soumis ni au contrôle du pouvoir, ni à celui du conseil, et qui c'était l'omnipotence ; ils auraient dit que ce régime n'est admis dans aucun pays, n'a jamais pu avoir de durée ; qu'il avait subi une épreuve de 1830 à 1836, et que le pays l'avait abandonné ; et ainsi ils auraient, comme en 1835, profilé de l'absence de contrôle, de garanties et de responsabilité qu'engendre l'élection directe, pour s'opposer aux libertés communales.
C'est pour éviter ces objections, pour nous rattacher à nos anciennes franchises, à nos libertés séculaires ; c'est pour suivre dans la voie de la liberté les institutions communales de France et d'Angleterre, que j'ai proposé le mode de délégation par les conseils, mode qui unit la liberté à l'ordre, l'indépendance au contrôle et à la responsabilité. Mais, partisan avant tout des libertés communales, je ne repousse pas d'une manière absolue l'élection directe, et si la chambre lui donnait la préférence sur le mode proposé, je joindrais mon vote à celui des amis de la liberté, car il ne faut pas qu'un agent de bas étage, un commissure de district, soit plus longtemps le maître de tous les bourgmestres et échevins de son arrondissement et que le quatrième pouvoir de l'Etat soit aux ordres d'une autorité non-constitutionnelle.
Il est d'ailleurs un motif de l'ordre le plus élevé pour accorder à nos magistrats communaux l'indépendance et la liberté : c'est la nécessité de la sincérité des élections pour la représentation nationale. Le régime constitutionnel est le gouvernement du pays pir le pays ; ce régime n'est vrai, il n'est sincère, que quand le parlement est la libre émanation des partis qui cherchent à diriger la chose publique. La sincérité du gouvernement représentatif est a ce prix ; hors de là, il cesse d'être une vérité et devient pour les peuples un régime de fausseté et de folie.
Le jour où le ministère peut, par ses commissaires dire aux bourgmestres et aux échevins des 2,500 communes du royaume : Si vous ne votez pas pour mon candidat, vous ne serez pas renommés, ce jour-là, le pouvoir électoral passe des mains du peuple en celles du ministère, et le régime représentatif devient un mensonge, la Constitution un vain mot.
C'est cette action désordonnée du pouvoir qui a dessiné la chute du royaume des Pays-Bas, parce que la Belgique ne trouvait plus le moyen d'obtenir le redressement des abus par le parlement : c'est elle qui a perdu deux fois la France en faussant le gouvernement représentatif et en empêchant le mouvement de l'opinion de se faire jour dans le parlement au moyen du jeu libre des institutions constitutionnelles.
Le gouvernement de juillet, prévenu contre l'élément religieux et la liberté, mais voulant l'ordre, se regardait comme l'ordre incarné et (page 189) n’avait foi qu’en lui seul pour faire triompher dans le parlement l’esprit d’ordre contre les tendances anarchiques ; il ne voualit d’autorité communale que par lui. C'est l'erreur de tout pouvoir qui n'a foi qu'en lui seul. Il croit faire de la force par la centralisation et en pesant sur les élections et ne crée que faiblesse et désorganisation. Lorsque l'ordre se résume dans le pouvoir, il peut bien dominer pour un temps par son action sur le corps électoral, mais il ne pénètre pas dans les masses sur lesquelles le pouvoir est toujours sans action, et comme tout pouvoir tend à s'affaiblir, l'anarchie prend bientôt le dessus.
Ce n'est pas en sacrifiant la liberté et la sincérité des élections qu'un gouvernement crée l'ordre public, mais en secondant par la liberté l'action moralisante de l'élément religieux qui seul engendre l'esprit d'ordre. En agissant autrement, on fausse à la fois l'esprit public, la représentation nationale, la liberté, et loin d'amener le triomphe de l'ordre, on rend la catastrophe plus imminente et plus terrible.
L'Angleterre l'a compris et c'est pour que la représentation nationale soit toujours l'émanation sincère de l'opinion publique, pour que le gouvernement représentatif soit une vérité, que dans ce pays le cabinet a proposé lui-même la non-intervention du gouvernement dans la nomination des magistrats communaux.
En présentant la loi, sir Robert Peel se faisait une gloire d'assurer ainsi la sincérité des élections et de rendre le parlement la libre expression de l'opinion publique Si cela est vrai en Angleterre, combien ne l'est-ce pas davantage en Belgique où les campagnes n'ont qu'un électeur sur trois dans les villes et où une influence désordonnée du pouvoir fausserait le système représentatif pour en faire la monarchie absolue des ministres !
La grande force d'un gouvernement représentatif n'est point dans la concentration de tous les pouvoirs entre les mains des ministres ; elles est dans l'alliance de la liberté qui assure l'indépendance de l'homme et du principe religieux qui met un frein à ses mauvaises passions, en lui imprimant le respect de l'autorité et le sentiment du devoir, seules garanties de l'ordre public. En deçà, c'est le despotisme, au-delà c'est l'anarchie.
Mais lorsqu'un peuple est élevé dans le sentiment du devoir que le principe religieux seul peut donner, alors il a ce respect de l'autorité, ce principe d'ordre qui le rendent digne d'être libre, car l'homme n'est propre à jouir de la liberté qu'en raison inverse de ses mauvaises passions et en raison directe de sa soumission aux liens du devoir.
Rendons hommage au peuple belge, à ce peuple plein de sagesse, qui a vu passer le cataclysme bouleversant la vieille Europe et a résisté inébranlable à ses violentes secousses. Si, en 1843, le pays par son attitude a sauvé le principe monarchique en Europe, c’est que la Belgique est un pays de foi et de liberté, qu’elle a la moralité d’un peuple religieux et l’esprit d’indépendance qu’engendre la fierté d’un peuple libre par ses oeuvres. Elle est bien digne de la loi que je vous propose, cette généreuse nation qui fit l'admiration de l'Europe, en 1830 par sa force, en secouant par le fer le joug de l'étranger, et en 1848 par sa sagesse en conservant le principe monarcbiqnc au centre même du volcan qui renversait les trônes et couvrait le monde de débris.
A la suite des événements de février 1848, la réforme parlementaire fut entreprise. Une loi des incompatibilités a été portée contre la corruption parlementaire, dans la crainte du vote servile des fonctionnaires publics et pour assurer le vote consciencieux et indépendant des membres du parlement ; une autre loi a étendu le cens électoral en l'abaissant aux limites de la Constitution. Bien que l'on puisse contester les effets de ces lois, on ne peut méconnaître que dans leur principe elles devaient amener une réforme parlementaire. Mais lorsque l'on cherchait à prévenir la corruption parlementaire, rien n'a été fait contre la corruption électorale ; et les lois que nous venons d'indiquer appellent comme premier complément l'émancipation des bourgmestres et échevins.
En effet, par la loi qui réduit la durée des fonctions de ces magistrats de 8 à 6 ans, on les a mis de plus en plus sous la dépendance du pouvoir et l'on a enlevé au pays une des principales garanties d'indépendance contre la corruption électorale. Une mesure est donc nécessaire, indispensable, comme complément de la réforme parlementaire, et c'est l'émancipation des magistrats communaux. J'aurais désiré vous proposer la délégation annuelle des bourgmestres et échevins comme cela avait lieu dans nos anciennes institutions et comme l'ordonne la loi anglaise ; c'est à mes yeux une des plus importantes améliorations. Mais j'ai craint de compromettre le principe, et je dois me borner à appeler sur ce point toute l'attention de la chambre.
L'émancipation des magistrats communaux est dans l'esprit de notre glorieuse émancipation politique, comme l'a proclamé le gouvernement provisoire ; elle est dans l'esprit de nos anciennes franchises et de nos institutions séculaires ; elle est une des bases essentielles de notre édifice constitutionnel. Si l'Angleterre a jugé le peuple anglais, la France le peuple français, dignes de cette émancipation, vous ne ferez pas au peuple belge l'injure de le croire indigne de cette importante garantie et vous n'hésiterez pas à lui restituer une liberté qu'il chérit entre toutes et que le patrie attend de vous.
« Projet de loi
« Léopold, Roi des Belges, etc.
« Article unique. Les bourgmestre et échevins sont nommés par les conseils communaux et dans leur sein. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne pense pas qu'au point de vue pratique la proposition de l’honorable M. Dumortier ait un caractère sérieux. Je ne crois pas qu'elle ait la moindre chance d'être adoptée par la chambre.
Depuis quelque temps on s'occupe de propositions plus ou moins radicales.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a quelques jours c'étaient les octrois que l'on voulait abolir, maintenant c'est la liberté que l'on veut restituer aux communes, comme s'il existait un pays où il y ait plus de libertés communales qu’en Belgique. L'on veut, dit-on, rendre à la Belgique le régime dont elle est privée depuis 1830. Mais on oublie qu'en 1817 et plus tard l'administration actuelle a redressé les torts qui avaient été faits à nos institutions communales, notamment en ce qui concerne la nomination des bourgmestres et échevins en dehors du conseil.
On avait dans un but que je n'ai plus à apprécier, obtenu dls chambres d'alors que les bourgmestres fussent nommés en dehors du conseil. On a fait usage de cette faculté, on en a fait abus. L'administration actuelle est venue demander de rendre à la commune la part dont elle jouissait autrefois dans la nomination de ses magistrats. La règle est aujourd'hui que le bourgmestre est nommé dans le sein du conseil, l'exception est que pour des motifs administratifs et sur l'avis conforme de la députation permanente, le bourgmestre peut être nommé en dehors du conseil.
A-t-il été fait abus de cette faculté par le gouvernement ? Si, comme, à une autre époque, il en avait été fait abus, je concevrais qu'un membre de l'opposition vînt faire une proposition pour y mettre un terme.
Eh bien, il a été fait usage de cette disposition une seule fois depuis qu'elle est remise aux mains du gouvernement.
Voilà de quelle manière la liberté communale se trouve actuellement asservie.
J'ai peine à comprendre comment l'honorable M. Dumortier, à une autre époque, à l'époque où la porte était ouverte à toute espèce de réforme, en 1848 notamment, j'ai peine à comprendre, dis-je, comment M. Dumortier n'a pas déposé à cette époque une proposition ayant pour but de rendre aux communes les libertés dont il prétend qu'elles ont cessé de jouir. Cependant, si je ne me trompe, à ce moment l'honorable M. Dumortier a gardé le silence.
M. Dumortier. - Je ne siégeais pas alors dans la chambre.
M. le président. - Vous savez qu'on ne discute pas maintenant la prise en considération.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, M. le président. Je voulais seulement faire observer à l'honorable auteur de la proposition que, si sa proposition a, d'une part, un caractère inopportun, elle a, d'autre part, un caractère d'urgence. Car si elle n'est pas adoptée, d'ici à peu de jours, le gouvernement fera usage du droit que lui confère la loi communale de nommer les échevins.
Je demande au surplus ce que l'on compte faire de cette proposition. Dernièrement on a pris en considération celle de l'honorable M. Coomans, sans lui attribuer aucune portée et à titre de simple formalité.
S'il doit en être de même de celle-ci, je pourrai consentir à ne la point discuter. Si, au contraire, on veut la considérer comme une proposition sérieuse, ayant une portée pratique, je me réserve de la discuter et de la combattre.
M. Dumortier. - La proposition que j'ai faite est sérieuse, très sérieuse ; M. le ministre de l'intérieur le sait parfaitement bien : elle résume l'opinion que je n'ai cessé de soutenir élans cette enceinte depuis 20 ans.
Elle est loin d'être radicale, puisqu'elle ne fait que rendre au peuple belge ce que l'honorable M. Rogier avait contribué à lui donner sous une autre forme en 1830. A moins que l'honorable M. Rogier déclare qu'en 1830 il professait des opinions radicales, il faut bien qu'il reconnaisse que ma proposition n'est pas entachée de radicalisme. Ce n'est du reste là qu'un mot pour combattre ma proposition. Mais quand Robert Peel est venu proposer à la chambre d'Angleterre précisément la même disposition que je propose aujourd'hui, avez-vous dit que c'était du radicalisme ?
Vous vantez souvent Robert Peel ; vous citez ses discours, ses actes, lorsqu'il s'agit de la liberté commerciale ; citez-le également lorsqu'il s'agit des libertés publiques, de ces libertés dont le peuple a toujours joui, en Belgique, excepté dans les moments d'usurpation.
J'ai dû dire ces mots pour protester contre l'accusation de radicalisme que l'honorable ministre a lancée contre la proposition que j'ai déposée le 3 juillet et qui n'a pas été prise alors en considération à cause des grands travaux qui occupaient le parlement.
Je dois dire que M. le ministre de l'intérieur a donné d'excellentes raisons pour qu'on examine le plus tôt possible la loi communale, il faut d'ici à quinze jours faire les nominations des échevins. Si ma proposition est rejetée, le gouvernement procédera à ces nominations. Si au contraire, comme j'en ai le ferme espoir, la chambre rend au peuple la nomination de ses magistrats, et y procédera lui-même.
On demande comment j'ai attendu jusqu'aujourd'hui pour faire ma proposition. Messieurs ce n'eet pas aujourd'hui que je l'ai présentée, c'est le 3 juillet dernier que j'ai eu l'honneur de déposer mon projet de loi sur le bureau de M. le président. Depuis lois, il est vrai, je n'ai pu en présenter les développements. Vous en connaissez les motifs. Vous (page 190) étiez occupés de chemins de fer, de travaux publcis de toute espèce, et dans ces circonstances vous ne m’auriez pas écouté.
Mais aujourd'hui le moment me paraît venu, d'autant plus que le gouvernement ne nous présente aucun projet de loi. La chambre est sans travail ; les sections n'ont rien à examiner ; et quand nous arriverons au mois de mai, les projets nous viendront en masse, on les jettera à profusion sur le bureau ; et la chambre, pressée d'en finir, votera tous ces projets de loi avec la puissance d'une machine à vapeur.
Je vous déclare, messieurs, que je voudrais que les choses marchassent autrement ; je voudrais que le gouvernement nous présentât ses projets de loi en temps utile de manière que la chambre pût les examiner sérieusement. Mais puisque le gouvernement ne nous présente rien, je saisis cette occasion pour prier la chambre de s'occuper de ma proposition.
M. le président. - MM. les secrétaires viennent de constater que la chambre n'est plus en nombre ; ce n'est donc que demain qu'elle pourra fixer le jour où elle s'occupera de la prise en considération de la proposition de M. Dumortier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ferai seulement observer que la chambre a des travaux ; et n'eût-elle rien à faire, ce ne serait pas un motif pour démolir nos institutions.
- La séance est levée à quatre heures et demie.