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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 4 décembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 160) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« La chambre de commerce des arrondissements d'Ypres et de Dixmude prie la chambre de ne pas donner son assentiment au traité de commerce conclu avec les Pays-Bas. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité.


« Plusieurs fabricants et industriels à Turnhout prient la chambre de donner son assentiment au traité de commerce conclu avec les Pays-Bas. »

« Même demande de la chambre de commerce de Liège. »

- Même renvoi.


M. Delfosse. - La chambre a décidé, sur la proposition de M. Osy, qu'on publierait, par la voie des Annales parlementaires, la pétition de la chambre de commerce d'Anvers ; je demande qu'on prenne la même décision pour les pétitions de deux chambres de commerce dont on vient de nous présenter l'analyse.

M. Malou. - Alors il faut le faire pour toutes les pétitions des chambres de commerce.

- Les propositions de MM. Delfosse et Malou sont adoptées.


« Plusieurs habitants et cultivateurs à Poperinghe demandent une augmentation de droit d'entrée sur le bétail hollandais. »

M. Van Renynghe. - L'objet de cette pétition, signée par un grand nombre d'habitants notables de la ville de Poperinghe, intéresse à un haut degré notre agriculture, et par conséquent mérite d'attirer une attention toute spéciale de la part de la chambre et du gouvernement. Je demande donc que cette pétition soit envoyée à la section centrale chargée du rapport sur le traité de commerce entre la Belgique et les Pays-Bas.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs propriétaires demandent la révision de la loi sur l'expulsion des locataires, la réduction du tarif des frais d'huissier et de greffier en matière d'expulsion et, en général, pour toute exécution de jugement, et la suppression de l'institution des avoués. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Hainin prie la chambre d'accorder au sieur Maertens la concession d'un chemin de fer de Boussu à Tournay, avec garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. »

- Même renvoi.

Rapport sur une pétition

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi concernant l'expropriation forcée sur la pétition qui lui a été adressée par les avoués de Bruges.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi sur la détention préventive

Discussion des articles

Chapitre premier. Des mandats de dépôt et d’arrêt

Article premier

« Art. 1er. Après l'interrogatoire de l'inculpé, le mandat de comparution ou d'amener sera converti, s'il y a lieu, en mandat de dépôt ou en mandat d'arrêt. »

La section centrale a proposé d'ajouter après les mots : « s'il y a lieu » ceux-ci : « avec indication des motifs. »

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à cette addition ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, M. le président.

Messieurs, l'addition qu'on propose a trait à la forme des mandats ; or, c'est là une chose spécialement prévue par différents articles du Code, auxquels nous ne touchons pas. Je ne pense donc pas que ce soit ici le lieu de rien modifier à cet égard.

M. de Decker. - Messieurs, je déclare d'abord que je me rallie à l'amendement de la section centrale ; je demanderai ensuite s'il n'y aurait pas lieu d'indiquer le délai endéans lequel le mandat d'amener ou de comparution doit être converti en un mandat de dépôt.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je désirerais savoir d'abord ce qu'on entend par ces mots : « avec l'indication des motifs » ; qu'est-ce que l'indication des motifs dans un mandat ? Dans le mandat on indique simplement le fait.

Je le répète, la forme des mandats est prévue par les articles 91, 95 et 96 du Code d'instruction criminelle ; nous ne pouvons donc pas toucher ici à la forme des mandats.

Quant à la question de savoir dans quel délai le mandat d'amener ou de comparution doit être converti en un mandat de dépôt, elle est résolue par le Code d'instruction criminelle et par l'article 9 du projet de loi ; cette conversion se fait après l'interrogatoire de l'inculpé. De quelles manière procède-t-on ? Un crime se commet ; on délivre un mandat d'amener ou de comparution ; l'inculpé est interrogé, il est ou remis en liberté ou placé sous mandat de dépôt.

M. de Decker. - Messieurs, quatid j'ai présenté mon observation, je savais que la commission qui a été chargée de préparer la réforme du Code d'instruction criminelle avait elle-même signalé des abus relatifs au délai qu'on laisse souvent s'écouler entre l'arrestation et la comparution et l'interrogatoire à la suite duquel on délivre, s'il y a lieu, le mandat de dépôt. Voici ce que je lis à la page 15 :

« Des inculpés attendent quelquefois plusieurs jours avant de subir interrogatoire, parce que leur translation ne peut être effectuée plus tôt. C'est un abus grave qui tient à l'organisation des correspondances de la gendarmerie et peut-être à l'insuffisance du personnel. Les magistrats instructeurs n'y peuvent rien, et cependant, aux yeux du public, ils en portent la responsabilité. »

N'y a-t-il aucune mesure légale à prendre pour rendre de pareils abus impossibles ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'observation de l'honorable M. de Decker porte, non pas sur le délai endéans lequel le mandat de comparution doit être converti en un autre mandat, mais sur le délai qui peut s'écouler entre l'arrestation et l'interrogatoire. Ce sont là deux choses entièrement distinctes. Du reste, la loi exige l'interrogatoire immédiatement dans le cas de mandat de comparution, et dans les 24 heures dans le cas de mandat d'amener.

Le rapport cité par l'honorable M. de Decker s'occupe uniquement des retards apportés dans la translation des inculpés par la gendarmerie.

M. Destriveaux, rapporteur. - Messieurs, je regrette beaucoup de ne pas pouvoir, comme rapporteur de la section centrale, être complètement de l'avis de M. le ministre de la justice.

La section centrale a adopté la proposition de la troisième section, et elle a admis qu'à l'expression : « s'il y a lieu », on joindrait « l'indication des motifs ».

La troisième section et la section centrale ont été conduites à proposer cette addition par le désir de donner une nouvelle garantie à l'inculpé. Les mots « s'il y a lieu » ont une signification tellement vague que le juge d'instruction est parfaitement libre de déclarer qu'il y a ou qu'il n'y a pas lieu de convertir le mandat de comparution ou d'amener en mandat de dépôt ou d'arrêt. N'exprimant aucun motif, on ne sait s'il a été guidé par une juste appréciation des faits de la cause.

La troisième section et la section centrale ont été guidées par le désir de donner à la société et à l'inculpé une nouvelle garantie en déclarant que le juge d'instruction serait obligé d'indiquer les motifs pour lesquels il décide qu'il y a lieu.

Je laisse à la chambre à décider si la troisième section et la section centrale ont été trop loin ou si elle a proposé une garantie utile qu'il ne faut pas repousser.

M. Delehaye. - La section centrale a pensé qu'en exigeant que les motifs fussent indiqués elle donnait une nouvelle garantie à l'inculpé. Pour moi, je vous avoue que cette garantie me paraît inutile. Pour le démontrer, il suffit d'expliquer ce qui se passe en pareil cas. Le mouvement journalier de la maison d'arrêt est communiqué au procureur du roi et au juge d'instruction. Ils savent tous les jours quels sont les individus qui entrent et qui sortent. On indique en même temps les motifs de l'arrestation. Que se fait-il quand le mandat d'amener est converti en mandat de dépôt ?

Le juge d'instruction dit que l'individu sera mis en état d'arrestation par le motif pour lequel il a été arrêté ou contraint de se rendre devant le juge. Je ne vois donc pas de raison pour maintenir l'addition proposée. Quant à l'observation de l'honorable M. Destriveaux, portant sur les mots : « s'il y a lieu », ces mots ne s'appliquent pas au juge d'instruction, mais au fait qui a motive l'arrestation.

Quant à la demande de M. de Decker : Dans quel délai se fera l'interrogatoire ? je répondrai : Il se fera ou à l'arrivée du détenu, ou dans les 24 heures. Le juge d'instruction, comme le procureur du roi, est informé de l'exécution du mandat d'arrêt, il interroge immédiatement l'individu ; c'est alors que le mandat de dépôt doit être décerné ; sans cela le prévenu serait en arrestation sans mandat, les effets du mandat d'arrêt étant expirés.

M. Lelièvre. - Je pense que l’énonciation des motifs sur lesquels serait fondé le mandai de dépôt ne donnerait en réalité aucune garantie à l'inculpé ; en effet, le juge d'instruction qui décernera pareil mandat pourra se borner à le motiver en ces termes : « Attendu que dans l'espèce il existe des circonstances graves et exceptionnelles. »

Or, je le demande, quelle garantie réelle et sérieuse cette énonciation donnera-t-elle à l'inculpé ? A mon avis, il suffit de maintenir l'article premier tel qu'il est énoncé au projet.

Quant à l'observation de l'honorable M. de Decker, je dois faire remarquer que lorsqu'il s'agit d'un mandat de comparution, l'inculpé est assigné à heure fixe pour être interrogé. Dans l'hypothèse d'un mandat d'amener, l'inculpé est conduit par la force publique dans le cabinet du juge, et si celui-ci ne se trouve pas immédiatement dans la ville où il exerce ses fonctions, le prévenu est gardé à vue dans une des salles de la maison commune, car il n'est pas encore incarcéré ; la législation du Code d'instruction criminelle trace à cet égard des règles dont le projet ne s'écarte pas ; et dès lors, je pense que l'on peut adopter l'article premier tel qu'il est proposé.

(page 161) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L’honorable rapporteur de la section centrale ne saisit pas bien à quoi se rapportent les mots : « S'il y a lieu » dans l’article premier du projet. Ces mots ne confèrent aucun arbitraire au juge d'instruction, mais ils se rapportent aux articles 2 et 3 du projet, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas mandat de dépôt s'il s'agit d'un fait qui n'entraîne qu'un emprisonnement ordinaire et qui ne se présente pas accompagné de circonstances graves et exceptionnelles ; ainsi, s'il s'agit d'un simple délit qui n'est pas commis dans des circonstances graves et exceptionnelles, il n'y a pas lieu à mandat de dépôt ; s'il s'agit du fait prévu par l'article 3 emportant la peine des travaux forcés à temps, il y a lieu. Ces mots ont donc rapport aux deux articles suivants et non au plus ou moins d'arbitraire que le juge d'instruction peut mettre dans son action.

- L'amendement de la section centrale est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

Article 2

« Art. 2. Si le fait est de nature à entraîner l'emprisonnement correctionnel, le juge d'instruction ne pourra décerner un mandat de dépôt que dans des circonstances graves et exceptionnelles, ou lorsque l'inculpé ne sera pas domicilié.

« Dans les cas ci-dessus, il devra, dans les cinq jours de la délivrance du mandat, en rendre compte à la chambre du conseil, et le mandat ne deviendra définitif que s'il est confirmé par elle. »

M. le président. - M. le ministre de la justice propose de rédiger cet article comme suit :

« Art. 2. Lorsque l'inculpé est domicilié et que le fait donne lieu à un emprisonnement correctionnel, le juge d'instruction ne peut décerner un mandat de dépôt que dans des circonstances graves et exceptionnelles.

« Ce mandat ne sera maintenu que pour autant que, sur le rapport du juge d'instruction, il soit confirmé dans les cinq jours de sa délivrance par la chambre du conseil. »

M. Destriveanx, rapporteur, déclare se rallier à cette rédaction.

- L'article 2 est adopté avec la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de la justice.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Si le fait est de nature à entraîner une peine seulement infamante, la réclusion ou les travaux forcés à temps, le juge d'instruction décernera un mandat de dépôt, il pourra néanmoins, sur l'avis conforme du procureur du roi, laisser l'inculpé en liberté. »

- Adopté.


« Art. 4. Si le fait est de nature à entraîner une autre peine afflictive et infamante, le juge d'instruction, après avoir entendu le procureur du roi, décernera un mandat d'arrêt. »

- Adopté, avec un amendement proposé par M. le ministre de la justice, consistant à substituer les mots « si le fait emporte » aux mots « si le fait est de nature à entraîner ».

Chapitre II. De la mise en liberté provisoire

Article 5

« Art.5. Lorsqu'un mandat de dépôt aura été décerné, la juge d'instruction pourra, dans le cours de l'instruction et sur les conclusions conformes du procureur du roi, donner main-levée de ce mandat, à charge pour l'inculpé de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu'il en sera requis, et sans préjudice d'un nouveau mandat à décerner, s'il y a lieu. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. L'inculpé pourra également demander à la chambre du conseil la mainlevée du mandat de dépôt décerné contre lui.

« La requête sera transmise au juge d'instruction.

« Dans le cas prévu par l'article 2, le juge d'instruction ne sera tenu de faire son rapport que dix jours après la décision de la chambre du conseil sur la maintenue du mandat de dépôt.

« Dans le cas prévu par l'article 6, il pourra ne faire son rapport que dix jours après l'exécution du mandat du dépôt.

« La chambre du conseil statuera après avoir entendu le ministère public.

« Si la demande est rejetée, elle ne pourra être reproduite que dix jours après cette décision.

« La chambre du conseil, en statuant sur l'inculpation, pourra néanmoins, d'office et dans tous les cas, donner mainlevée du mandat de dépôt. »

M. le président. - M. le ministre de la justice vient de faire parvenir au bureau une nouvelle rédaction des paragraphes 3, 4 et 5, ainsi conçue :

« Le juge d'instruction n'est tenu de faire son rapport dans le cas prévu par l'article 2 que dix jours après la décision de la chambre du conseil, et dans le cas prévu par l'article 5, que dix jours après l'exécution du mandat de dépôt.

« La chambre du conseil, après avoir entendu le ministère public, statuera immédiatement ou au plus tard dans les deux jours qui suivront le rapport. »

M. Lelièvre. - Il me semble que l'on pourrait améliorer singulièrement la législation en déclarant l'article 6 applicable aux mandats d'arrêt et par suite en autorisant l'inculpé à demander la mainlevée de ce mandat, s'il n'est pas justifié par des motifs plausibles. Qu'on ne le perde pas de vue, relativement aux crimes énoncés en l'article 4, c'est-à-dire relativement à tous ceux qui sont punis des peines autres que les travaux forcés à temps et la réclusion, le projet laisse subsister la législation actuelle, il ne donne aucune garantie à l'inculpé et le pouvoir dictatorial du juge d'instruction est maintenu sans réserve. Ce magistrat est constitué juge souverain relativement à la suffisance des motifs qui doivent maintenir l'arrestation.

Quant à moi, messieurs, je voudrais qu'en tout cas possible, l'inculpé pût demander la mainlevée du mandat d'arrêt à la chambre du conseil, sauf aux intéressés, à déférer la décision de celle-ci à la chambre des mises en accusation. Il ne peut y avoir là aucun inconvénient, puisque dans le système du projet, l'instruction sera toujours secrète. Si ce recours était introduit, alors on devrait convenir que le projet réalise une véritable amélioration ; mais si nous maintenons l'article 6 tel qu'il est énoncé, de manière à ne pas le rendre applicable à l'article 4, nous laissons subsister pour les faits énoncés en cette disposition, un arbitraire que, pour ma part, je ne sanctionnerai jamais.

M. le président. - M. Leiièvre propose-t-il un amendement ?

M. Lelièvre. - Non, M. le président.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du moment qu'il n'y a pas d'amendement, je ne puis discuter ; mais bien loin d'améliorer la loi, je crois que l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, si amendement il y avait, que sa proposition rendrait la loi beaucoup plus mauvaise. Il me suffira d'indiquer à la chambre quels seraient les résultats de cette proposition pour le lui démontrer de la manière la plus péremptoire.

D'abord, il n'est pas exact que l'article 4 du projet maintienne la législation actuelle. Quelle est la législation actuelle ? C'est que, lorsqu'il s'agit d'un fait qui entraîne une peine infamante ou une peine afflictive et infamante, l'accusé, le coupable doit toujours être incarcéré. Que faisons-nous, au contraire, par l'article 4 ? Nous déclarons que lorsqu'un fait n'entraînera qu'une peine infamante ou une peine afflictive et infamante qui serait la peine de la réclusion ou la peine des travaux forcés à temps, le juge d'instructiou, d'accord avec le procureur du roi, pourra laisser l'individu en liberté.

Voilà une première garantie.

Une seconde garantie que nous ne trouvons pas dans la législation actuelle, c'est que la chambre du conseil pourra encore accorder la liberté sous caution ou sans caution.

Evidemment ce n'est pas là la législation actuelle ; l'honorable M. Lelièvre ne peut le soutenir.

A quoi aboutirait la proposition de l'honorable M. Lelièvre ? A laisser en liberté les accusés de faits qui entraînent la peine des travaux forcés à perpétuité ou la peine de mort. Car, remarquez que par l'article 4 nous allons jusqu'à permettre la liberté provisoire d'individus qui peuvent encourir la peine des travaux forcés à temps ou la peine de la réclusion.

Evidemment ce serait un système exagéré que celui qui irait jusqu'à permettre d'accorder la liberté provisoire aux accusés des faits les plus graves, de faits qui entraînent une peine aussi grave que celle des travaux forcés à perpétuité ou la peine de mort. Ce système ne me paraît pas admissible.

Remarquez, messieurs, que nous modifions le Code pénal. La plupart des faits, la plupart des crimes seront punis de la peine de la réclusion ou de la peine des travaux forcés à temps. Ce ne sera que pour les crimes les plus graves que l'on maintiendra la peine de mort ou la peine des travaux forcés. Et l'on voudrait que des individus accusés de pareils crimes fussent mis provisoirement en liberté sous caution ou sans caution.

Mais où est donc la garantie possible ? Peut-on sérieusement s'imaginer qu'il y ait des garanties à prendre contre un individu inculpé d'un crime entraînant la peine de mort ou les travaux forcés à perpétuité ?

M. Lelièvre. - M. le ministre de la justice est dans l'erreur, lorsqu'il prétend que j'ai dit que l'article 3 n'innovait pas la législation actuelle. Je suis loin de croire que l'article 3 soit une amélioration réelle ; mais ce n'est pas de l'article 3 que je me suis occupé tout à l'heure, mais bien de l'article 4. Or, à cet égard, je maintiens que rien n'est changé à la législation actuelle, et qu'on laisse subsister le pouvoir illimité du juge d'instruction.

Mais, dit-on, peut-on laisser en liberté des individus inculpés de crimes que la loi punit des travaux forcés à perpétuité et même de la peine capitale ? Je réponds : Oui, sans doute, s'il n'existe pas contre eux des indices suffisants d'arrestation. Pourquoi voudrait-on qu'on maintînt dans les liens du mandat d'arrêt, des individus inculpés de quelque crime que ce soit, si en réalité il n'existe pas contre eux des causes suffisantes justifiant le mandat d'arrêt.

Et remarquez quel est dans mon système le juge de cette question, ce sera la chambre du conseil dont la décision pourra être déférée à la chambre des mises en accusation. Certes, on connaît assez le caractère de nos magistrats près les cours et tribunaux pour se remettre avec confiance à h décision des corps judiciaires dont j'ai parlé.

Je le répète, mon système n'a d'autre conséquence que de constituer les chambres du conseil et d'accusation juges de la question de savoir si l'incarcération est appuyée d'indices suffisants, et certes, il n'est pas exagéré le système qui soumet à de semblables autorités l'appréciation relative au maintien du mandat d'arrêt.

N'a-t-on pas vu des notaires inculpés de faux et retenus dans les prisons pendant des mois entiers sur de légers indices ? Eh bien, je le répète, vous ne ferez pas cesser ces actes abusifs, si vous adoptez le système du projet.

(page 162) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Lelièvre s'efforce d'introduire à chaque instant la chambre du conseil dans l’information suivie par le juge d'instruction.

C'est un système qui bouleverse complètement celui du Code, où l'instruction appartient au procureur du roi et au juge d'instruction. Ceux-ci la poursuivent sous leur responsabilité et avec le plus grand secret, condition souvent essentielle de la découverte d'un crime ; or, M. Leliêvre voudrait qu'à chaque instant ils rendissent compte à la chambre du conseil de tous les indices qu'ils auraient découverts, de tous les témoignages qu'ils auraient recueillis et de tous ceux auxquels ils se proposent d'avoir recours.

Ce serait dans bien des cas rendre l'instruction impossible, empêcher qu'on parvienne jamais à la découverte de la vérité. Si jamais on reproche quelque chose au système que nous proposons, ce sera certes d'avoir été trop loin et non pas de n'avoir point été assez loin sous le rapport des garanties accordées aux inculpés.

M. Destriveaux, rapporteur. - Si l'honorable M. Leliêvre avait proposé son amendement à la section centrale, je ne puis pas répondre de l'avis de mes collègues, mais je puis répondre du mien et certainement je n'aurais pas été d'accord avec l'honorable membre sur l'adoption de son amendement.

Je n'ajouterai que deux mots à ce qu'a dit l'honorable ministre de la justice, c'est qu'il me semble qu'il y aurait une espèce de contre-sens à remettre dans la société sous caution l'individu inculpé d'un crime capital ; il y aurait encore un espèce de contre-sens à rencontrer au milieu de la société un inculpé d’un crime pouvant entraîner les travaux forcés à perpétuité.

Je ferai cependant remarquer que dans cette hypothèse même l'inculpe n'est pas encore dépouillé de tout moyen d'adoucir sa situation, car, d'après la loi de 1849, je pense, il est permis à la chambre des mises en accusation d'admettre des circonstances atténuantes qui changent la nature d'une inculpation même capitale et qui permettent de correclionnaliser le fait. Or, si le fait était correctionnalisé, il est certain qu'il y aurait lieu, si la chambre des mises en accusation le jugeait convenable, d'admettre l'individu à la liberté sous caution.

Je pense donc, messieurs, que l'article doit être maintenu et je me range à l'avis de l'honorable ministre de la justice.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Destriveaux déplace complètement la question. Il ne s'agit pas de savoir si des individus suffisamment inculpés des crimes dont parle l'article 4 peuvent être mis en liberté sous caution. A cet égard je pourrais partager l'avis de mes contradicteurs. Mais il s'agit de savoir si la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation ne peuvent pas être appelées à connaître du point de savoir s'il existe des indices suffisants pour maintenir l'arrestation et le mandat d'arrêt.

Or, pour moi, je ne veux pas qu'à cet égard le juge d'instruction continue d'être investi d'un pouvoir sans contrôle, je veux que le mérite du mandat d'arrêt puisse être apprécié par la chambre du conseil et la cour d'appel siégeant comme chambre des mises en accusation. Du reste il n'y a pas lieu à se défier de ces corps judiciaires, qui sauront sauvegarder les intérêts de la société.

Il est impossible de signaler un seul inconvénient à résulter de cet ordre de choses qui, après tout, appelle l'autorité judiciaire supérieure à connaître de la question de savoir si effectivement il existe des indices suffisants pour priver un citoyen de sa liberté, et, comme je le disais, les décisions étant prises à huis clos d'après la législation que le projet maintient, il n'y a pas ombre de motif fondé pour justifier le projet de loi.

Aussi n'en a-t-on signalé aucun, et je persiste avec plus de confiance dans mon système, en présence des objections futiles qu'on lui oppose.

M. Destriveaux. - Je ferai remarquer à la chambre qu'il n'y a pas d'amendement déposé. On fait des observations qui ne peuvent aboutir. Qu'on les traduise en propositions et nous pourrons discuter. Sans cela nous continuerons pendant très longtemps cette espèce de débat sans arriver à aucun résultat.

M. Delehaye. - Messieurs, le système que vient de proposer l'honorable M. Leliêvre est tellement étranger au système qui nous régit actuellement, qu'il est impossible d'en saisir la portée sur une simple inonciation. Si l'honorable M. Leliêvre veut absolument que la chambre s'occupe de s a proposition, qu'il n'a pas soumise à la section centrale, il faut au moins qu'il la formule.

M. Thibaut. - Messieurs, la combinaison des différentes dispositions de l'article 6 amène une conséquence sur laquelle il serait bon que le ministère voulût bien s'expliquer : je suppose que l'inculpé d'un fait de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel demande immédiatement par requête la mainlevée du mandat de dépôt ; d'après le paragraphe 3 de l'article 6, le juge d'instruction ne devra faire son rapport, et la chambre du conseil prendre une décision, que dix jours après une première décision confirmant le mandat de dépôt.

Il pourra donc arriver que cet inculpé d'un fait relativement peu grave demeure quinze jours en prison attendant une décision sur sa requête, tandis que l'inculpé d'un fait plus grave n'y demeurera, aux termes du paragraphe 4, que dix jours. Le maintien de dispositions qui conduisent à ces conséquences me semble assez difficile à admettre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne vois réellement pas où est la difficulté que signale l'honorable M. Thibaut.

L'honorable membre dit d'abord que lorsqu'il s'agira d'un délit peu grave l'inculpé pourra être retenu 15 jours, tandis que l'individu prévenu d'un crime entraînant la réclusion ou les travaux forcés à temps pourrait n'être retenu que pendant 10 jours. Cela n'est pas exact parce que, d'abord, pour un délit peu grave il n'y a pas de mandat de dépôt ; c'est ce que déclare l'article 2.

Ensuite, lorsqu'il s'agit d'un délit commis avec des circonstances graves et exceptionnelles, il existe une première garantie que n'ont pas les individus incarcérés pour des faits entraînant la réclusion ou les travaux forcés à temps ; il faut que le mandat soit confirmé dans les cinq jours par la chambre du conseil, et l'individu ne peut rester en prison pendant les dix jours suivants que lorsque la chambre du conseil a statué une fois, et s'il y reste quinze jours, la chambre du conseil aura statué deux fois. Cet individu a donc une double garantie : deux jugements, tandis que quand il s'agit d'un individu inculpé d'un crime entraînant la réclusion ou les travaux forcés, la première garantie n'existe pas, et avant que la chambre du conseil puisse statuer deux fois comme quand il s'agit d'un fait correctionnel, il aura passé vingt jours en prison.

Il est donc évident qu'il n'y a pas ici la moindre inconséquence ; il y a, au contraire, pour le prévenu d'un délit correctionnel, beaucoup de garantie, puisque dans les cinq jours, le tribunal doit d'office prononcer sur son sort.

M. Thibaut. - Messieurs, je n'ai pas la prétention de tout comprendre ; mais cependant j'avais parfaitement saisi le sens de l'article 6, tel que M. le ministre de la justice vient de l'expliquer.

Mais je fais remarquer que la première décision de la chambre du conseil, celle qui doit être prise dans les cinq jours de la délivrance du mandat se prend sur le rapport seul du juge d'instruction, sans intervention aucune de l'inculpé, tandis que la seconde décision se prend après une espèce de débat contradictoire, puisque le prévenu a, par sa requête, indiqué quels sont les motifs pour lesquels il demande sa mise en liberté. Or, c'est ce débat contradictoire que l'article 6 éloigne pour le prévenu d'un délit, et rapproche pour le prévenu d'un crime. Cela ne me paraît pas admissible.

- La discussion est close.

L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Article 7

« Art. 7. Si, après la mainlevée du mandat de dépôt ou la mise en liberté provisoire de l'inculpé, les circonstances semblent exiger qu'il soit remis en état de détention, le juge d'instruction pourra, sur l'avis conforme de la chambre du conseil, délivrer un nouveau mandat de dépôt. »

- Adopté.

Article 8

« Art. 8. La mise en liberté provisoire pourra en outre être demandée en tout état de cause :

« A la chambre de mise en accusation, lorsque cette chambre est saisie de l'affaire ;

« Au tribunal correctionnel, si l'affaire y est pendante ;

« A la cour d'appel, si appel a été interjeté ;

« A la cour ou au tribunal qui aura prononcé la peine d'emprisonnement, lorsque le condamné, pour rendre son pourvoi admissible, voudra se faire autoriser à rester en liberté, conformément à l'article 421. Toutefois, dans ce cas, si la condamnation a été prononcée par une cour d'assises, la demande sera portée devant le tribunal correctionnel du lieu où siégeait cette cour.

« Dans tous les cas, la juridiction compétente statuera par une ordonnance ou un arrêt rendu en chambre du conseil, après avoir entendu le ministère public. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande que dans le dernier paragraphe on mette, au lieu des mots : « la juridiction compétente statuera, » ceux-ci : « il sera statué. »

M. d'Hondt. - Ne conviendrait-il pas de supprimer dans le premier paragraphe les mois : « en outre ». C'est la première fois qu'on parle de la mise en liberté provisoire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ces mots doivent être maintenus ; ils se rattachent à l'article précédent ; ils signifient : outre la mainlevée du mandat de dépôt.

M. d'Hondt. - Je n'insiste pas.

- L'article 8, tel qu'il est modifié dans le dernier paragraphe, est mis aux voix et adopté.

Article 9

« Art. 9. La mainlevée du mandat de dépôt, dans le cas des articles 2, 6, 7 et 8, et la mise en liberté provisoire pourront, dans tous les cas, être subordonnées à l'obligation de fournir caution. »

M. d'Hondt. - Au lieu de : « dans le cas », il faut dire : « dans les cas ».

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande encore qu'on substitue aux mots : « dans tous les cas », celui-ci : « toujours ».

M. Delfosse. - Ce n'est pas la mainlevée du dépôt, mais la mise en liberté provisoire qui peut, dans tous les cas, être subordonnée à l'obligation de fournir caution. Voici comment je propose de rédiger l'article 9

(page 163) « La mainlevée du mandat de dépôt, dans les cas des articles 2, 6, 7 et 8, et, dans tous les cas, la mise en liberté provisoire etc. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me rallie à cette rédaction.

M. le président. - M. Orts a proposé à l'article 9 l'adjonction suivante :

« En matière correctionnelle, la mise en liberté provisoire sous caution re peut être refusée sauf les exceptions formellement prononcées par la loi. »

M. Orts. - Messieurs, je reconnais volontiers que le projet présente par la commission et le gouvernement introduit de nombreuses améliorations dans le régime existant. Je ne crois pas cependant que ces améliorations soient le dernier mot du progrès en cette matière.

Pour caractériser nettement, je dis que le projet de loi permet aux magistrats chargés de l'instruciion de faire beaucoup de bien, mais il présente une lacune.

Tout est de pure faculté ; il n'est rien garanti, comme droit, à l'inculpé.

Dans le système du Code actuel la détention préventive est pour ainsi dire la règle. Je ne suis pas de ceux qui voudraient intervenir les choses et remplacer cette règle par la règle contraire. Je ne veux pas la mise en liberté du prévenu comme règle absolue et l'incarcération comme l'exception. Mais je crois qu'il est utile de déterminer pour les délits de moindre importance, certains cas dans lesquels la mise en liberté pendant l'instruction, moyennant caution, sera de droit.

C’est maintenir un droit que je crois être le principe consacré par le Code d’instruction criminelle, quoique je reconnaisse que l’opinion que j’énonce a rencontré des contradicteurs ; je tiens à ce droit d’être mis en liberté sous cautio, parce que c’est un principe ancien dans notre législation et dans la législation de la plus grande partie dns nations policées. Aujourd'hui si quelques-uns pensent que le Code d'instruction criminelle permet le contraire, on convient en même temps que ce Code a fait alors un pas rétrogade.

En effet, sans remonter très loin, sans aller au-delà des sources les plus immédiates de notre législation, parmi les premières réformes introduites dans la législation criminelle en France après 1789, se trouve cette disposition décrétée par la Constitution de 1791 à l'artice 22 ainsi conçu :

« Nul homme arrêté ne peut être retenu, s'il donne caution suffisante dans tous les cas où la loi permet de rester libre sous caution. »

Mon amendement n'en demande pas davantage. Cette disposition constitutionnelle a été formellement appliquée par une loi complémentaire en date du 22 juillet 1791. Tout inculpé d'un délit correctionnel faisant l'offre d'une caution est immédiatement mis en liberté pendant l'instruction.

Cette même disposition fut étendue plutôt que restreinte, lorsque l'expérience en a été faite.

En effet, le Code d'instruction criminelle, précédant immédiatement la loi qui nous régit et que nous reformons, le Code de brumaire an IV, n'avait pas seulement prescrit que le prévenu correctionnel serait toujours et nécessairement sur sa demande mis en liberté sous caution ; il avait étendu ce droit aux cas de poursuites aboutissant à des peines criminelles qui n'étaient pas afflictives, mais simplement infamantes. Le Code d'instruction criminelle de 1808 en autorisant la détention préventive en matière correctionnelle, malgré l'offre de la caution, aurait fait un pas rétrograde.

Mais il est fort douteux que le Code d'instruction criminelle autorise le contraire de ce que je demande ; il est fort douteux que les législateurs de 1808 aient voulu faire moins pour la liberté individuelle, que les législateurs qui les avaient précédés.

En effet le Code de 1808 a été interprété dès sa promulgation par tout le monde, écrivains ou magistrats, dans le sens de la liberté provisoire obligatoire en matière correctionnelle, moyennant caution.

Jusqu'en 1844 la cour de cassation de France l'a toujours ainsi compris et appliqué. A cette époque seulement elle a cru devoir, chambres réunies en audience solennelle, revenir sur la jurisprudence uniformément suivie pendant trente années par sa chambre criminelle. Cette jurisprudence si libérale, si uniforme, a-t-elle été modifiée par suite des abus que la pratique aurait révélés ? Non, messieurs, au moment où la cour de cassation modifiait sa jurisprudence, le gouvernement français venait de saisir la chambre des pairs, le 23 février 1843, d un projet de réforme du Code d'instruction criminelle où il insérait la disposition que je propose, un projet où il déclarait, adhérant à la jurisprudence de la cour suprême, que la mise en liberté provisoire du prévenu correctionnel, moyennant caution, serait obligatoire.

Devant ce fait éclatant il m'était permis d'affirmer que jamais cette mesure n'avait donné lieu à des abus dans la pratique. S'il en avait été autrement, certes, le gouvernement français, proposant de modifier le Code d'instruction criminelle, aurait été conduit à proposer une disposition contraire au texte de son projet. Il est impossible, d'ailleurs, qu'un abus quelconque puisse jaillir du système que je propose. Quel danger sérieux peut-on signaler à propos de la mise en liberté pendant l'instruction moyennant une caution dont les tribunaux fixent le chiffre pour les matières correctionnelles ?

Vous voulez la garantie que la caution sera suffisante pour contraindre l'individu menacé éventuellement d'une peine correctionnelle à se représenter. Il peut disparaître, dites-vous, et échapper par la suite à l'application de la loi ; mais il faut pour qu’il échappe, il faut qu'il sacrifie son cautionnement ; qu'il s’expatrie pendant tout le temps nécessaire pour prescrire lai peine prononcée par défaut contre lui. Or, cette expatriation équivaut à un vérilible bannissement, et le bannissement dans l'ordre des peines est considéré comme une peine supérieure à toutes les peines correctionnelles quelconques et à bon droit.

Aujourd'ui nous avons une autre garantie encore ; grâce à l'intimité plus grande, aux relations faciles entre les peuples, les conventions internationales d'extradition se généralisent et permettent la poursuite sérieuse des coupables qui se réfugient en pays étranger ; nous avons là un moyen efficace de répression que n'avaient pas les législateurs antérieurs. Et cependant ils n'ont pas reculé devant l'application du principe libéral et progressif que je voudrais voir nettement formuler chez nous.

La mise en liberté provisoire sous caution est du reste de droit pour les délits peu graves, dans la plus grande partie des législations de l'Europe, partout ailleurs que chez les nations régies par le Code d'instruction criminelle de 1808.

En Angleterre, par exemple, depuis de longues années, la mise en liberté provisoire sous caution des individus menacés de peines peu élevées, est tellement de droit que le magistrat qui se refuserait à la prononcer, lorsqu'elle est réclamée par le prévenu, encourrait des peines graves et des condamnations pécuniaires. Je rappellerai à la chambre un précèdent anglais récent qui confirme ce que j'avance.

En 1843 deux juges de paix du comté de Strafford avaient arrêté des chartistes. Ils crurent, en raison de la nature du délit politique impute aux inculpés, ne pas pouvoir leur accorder la mise en liberté provisoire sous caution. Le chartiste qui avait réclamé le bénéfice de la loi anglaise, M. Arthur O'Neil appela les juges de paix devant un tribunal qui les condamna aux dépens pour dommages-intérêts. Si le tribunal s'est abstenu de prononcer une peine plus grave, c'est, comme il le déclara, parce que les magistrats inculpés n'étaient coupables que d'excès de zèle et qu'ils n'avaient pas eu de mauvaises intentions.

Les seuls délits pour lesquels la loi anglaise défend d'accorder la mise en liberté sous caution sont ceux qui entraînent éventuellement la peine capitale et la déportation, et l'on conçoit que, dans ces cas, il n'y aurait aucune garantie pour la société, si l'on admettait la mise en liberté provisoire.

En Hollande, on est, sous ce rapport, bien plus large. Dans ce pays, la mise en liberté, non pas sous caution, mais pure et simple, est de droit pour tous les délits correctionnels, sauf six.

Le juge ne peut incarcérer préventivement en matière correctionnelle que pour six délits déterminés dans la loi M. le ministre, qui prend note de mon observation, n'a qu'à consulter, pour en contrôler l'exactitude, les articles 77 et 88 du Code d'instruction criminelle de Hollande. Les six délits exceptés sont : le vol, l'escroquerie, l'abus de confiance, les blessures, la mendicité et le vagabondage. L'arrestation par le juge n'est pas permise en dehors de ces six cas.

Vous voyez donc, messieurs, que mon amendement n'a rien de bien radical ; il reproduit l'avis d'un grand nombre de jurisconsultes respectables, sur la législation existante ; il en est le maintien pur et simple, ds l'avis de la cour de cassation de France de 1815 à 1844.

Messieurs, je pense que ces quelques mots suffiront pour que la chambre juge mon amendement digne d'être appuyé et mis en discussion.

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'amendement que propose l'honorable M. Orts a déjà été examiné par la section centrale qui l'a rejeté, et je crois que c'est à bon droit que cette décision a été prise.

D'abord, il y a, dans cet amendement, quelque chose de tout à fait incomplet. L'honorable membre demande que l'on déclare qu'en matière correctionnelle la mise en liberté provisoire sous caution ne peut point être refusée, sauf les exceptions formellement déterminées par la loi.

M. Orts. - Ainsi elle pourra être refusée aux repris de justice et aux vagabonds, qui sont exceptés par la loi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien, je ne puis admettre qu'elle ne puisse être refusée que dans ces cas-là.

Il faut tenir compte des modifications que nous apportons au Code d’instruction actuel ; ou bien le délit se préentera entouré de circonstances graves et exceptionnelles, et alors personne ne soutiendra qu’il y a lieu de laisser à l'inculpé sa liberté ; ou bien le délit se trouvera dans les conditions ordinaires, et alors la détention provisoire n'aurai pas lieu. Voilà ce qui résulte formellement des articles déjà adoptés du projet.

L'honorable M. Orts suppose que les magistrats arriveront à éluder la loi et qu'afin de pouvoir maintenir la détention, ils déclareront toujours l'existence des circonstances graves et exceptionnelles. Mais en abondant daus le sens de l'honorable M. Orts et supposant que le juge voulût éluder la loi, ne dépendrait-il pas de lui de fixer un cautionnement qu'il serait impossible de fournir ?

Voici le véritable sens de l'amendement : le juge aurait reconnu des circonstances tellement graves que la société serait menacée ; et parce que de l'argent serait donné, l'intérêt de la société disparaîtrait tout à fait. Cela ne me paraît pas admissible.

(page 164) Mais remarquez qu'il y a des cas (c’est ce que l'honorable M. Orts semble perdre de vue), où l'on incarcère le prévenu non pas seulement dans la crainte qu'il ne soit pas présent à tous les actes de la procédure, non pas seulement pour l'empêcher de faire disparaître les preuves, pour ne pas lui permettre d'influencer les témoins, mais encore pour l'empêcher de continuer des délits commis.

Il y a beaucoup de ces cas où il est indispensable qu'un individu soit séquestré, enlevé à sa liberté, précisément pour assurer la cessation du délit.

Je suppose, par exemple, un individu qui soit dans un état de rébellion continuelle, qui soit à la tête d'une émeute, il est indispensable qu'il soit séquestré, qu'il soit mis en prison, c'est pour cela que la proposition de l'honorable M. Orts ne peut être admise ; car je suis d'accord avec lui qu'à part ces circonstances, le prévenu doit être mis en liberté, non seulement sous caution, mais même sans caution, puisque (s'il est Belge) le bannissement qu'il s'imposerait pour échapper aux conséquences du jugement est une peine plus grave que la peine correctionnelle qu'il a encourue.

M. Coomans. - J'indiquerai en deux mots le motif pour lequel je ne puis adopter la proposition de l'honorable M. Orts, c'est que c'est un privilège accordé à l'argent.

M. Orts. - Messieurs, il a été fait à ma proposition trois objections, deux par M. le ministre de !a justice, une dernière par l'honorable M. Coomans.

L'honorable M. Coomans, et je débute par son objection, parce que, je dois le dire franchement, je la considère comme la moins sérieuse ; l'honorable M. Coomans s'écrie : Vous créez un privilège pour ceux qui ont de l'argent.

Je réponds : Le privilège, ce n'est pas moi qui le crée ; il est dans la loi. La loi que l'honorable M.Coomans va voter crée ou plutôt maintient ce privilège à l'exemple de toutes les autres législations. Il est écrit dans la loi que nous examinons que les tribunaux, en accordant la mise en liberté provisoire, pourront toujours subordonner cette mise en liberté provisoire à l'obligation de donner caution. Le privilège, ce n'est donc pas moi qui le crée.

M. Coomans. - Je ne l'approuve pas.

M. Orts. - Messieurs, s'il est possible, moyennant une garantie d'argent, de faire dans certains cas ce que vous ne croyez pas possible de faire toujours et sans garantie d'argent, pourquoi priveriez-vous d'un bien que vous pouvez concéder à prix d'argent, ceux qui ont les moyens de payer ?

Je concevrais le reproche, si vous pouviez donner gratuitement à tout le monde le bien que je propose de donner à quelques-uns à prix d'argent.

Lorsque vous pouvez donner ce bien à un certain nombre de personnes sans qu'il en résulte de préjudice pour d'autres, ce serait un abus de ne pas le faire.

Du reste, je le répète, j'ai pour moi ce qui se pratique partout. Cette différence de position, toutes les législalions l'ont créée au profit de ceux qui peuvent donner une caution pécuniaire, ou toute autre caution équivalente.

Si l'honorable M. Coomans peut indiquer un autre genre de caution satisfaisante, qu'il la propose et nous la discuterons.

J'aborde les deux objections que m'a faites M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice dit d'abord qu'il est d'accord avec moi sur le principe : l'emprisonnement préventif en matière correctionnelle doit être l'exception et l'exception rare. Mais, ajoute l'honorable ministre, l'emprisonnement préventif en matière correctionnelle, si ce n'est dans des cas exceptionnels, deviendra impossible avec la loi actuelle. Cette loi défend même d'arrêter si ce n'est dans des circonstances graves et exceptionnelles.

L'individu pour lequel vous réclamez maintenant, me dit-on encore, le bénéfice d'être mis obligatoirement en liberté sous caution, ne pourrait venir réclamer cette garantie que dans des circonstances graves ot exceptionnelles, et dans ces circonstances l'intérêt social commande que le prévenu ne soit pas mis en liberté.

Messieurs, je ne comprends pas, en présence de ce qui se pratique presque partout depuis longtemps, que des circonstances graves puissent exiger le maintien en état de détention d'un prévenu menacé d'une peine correctionnelle. Les faits correctionnels sont peu graves ; car c'est pour cela que la loi les correctionnalise ou, ce qui est synonyme, les punit de peines peu sévères, de peines rentrant dans le deuxième degré de l'échelle pénale.

Mais je répondrai plus directement à l'objection de M. le ministre. Remarquez, M. le ministre, que je ne porte aucune atteinte au droit d'arrestation ; je ne parle que de la mise en liberté provisoire, c'est-à-dire de ce qui arrive après qu'une première arrestation a déjà été opérée. Or, les circonstances qui pouvaient être graves et exceptionnelles pour motiver l'arrestation, peuvent très bien ne plus être graves et exceptionnelles à un certain moment de l'instruction, au moment où je veux que le prévenu puisse venir demander sa liberté provisoire, au moment où il est pour la première fois possible de la demander.

Je ne veux pas non plus que les circonstances graves et exceptionnelles au moment de l'arrestation puissent, parce qu'un juge d'instruction le voudra, ou le croira, rester éternellement graves et exceptionnelles. Il peut se faire que des circonstances graves et exceptionnelles au moment de l'arrestation ne le soient plus quelque temps après.

Vous auriez raison, continue M. le ministre, si la détention préventive avait pour but unique la certitude de faire représenter le prévenu à toutes les phases de la procédure et la certitude qu'il pourra être atteint par la peine. Mais bien souvent la détention préventive est motivés par un intérêt plus grand ; dans l'intérêt de la société il s'agit de mettre un individu dans l'impuissance de nuire. Ainsi en cas d'émeute, il faut mettre le chef dans l'impossibilité de s'entendre avec ses complices. Voilà bien l'objection.

On oublie encore une fois en la formulant que je ne demande pas comme un droit pour le prévenu d'un délit correctionnel de pouvoir échapper à toute arrestation.

Je demande qu'à une époque ultérieure de la procédure, après avoir été arrêté, il puisse réclamer le bénéfice de la mise en liberté ; et comme il s'écoulera un certain temps jusqu'à ce que la chambre du conseil ou tout autre tribunal ait statué sur sa demande, vous aurez atteint le but que vous vous proposez. Par l'arrestation, vous aurez mis l'émeutier de votre exemple dans l'impossibilité de se concerter avec ses complices.

Et remarquez, messieurs, que le danger que l'on signale ne peut être bien grand, car les émeutes ne sont pas en Hollande exceptées de la défense d'incarcérer. Dans le Code hollandais que je citais tout à l'heure les faits politiques entraînant des peines correctionnelles sont envisagés comme ne pouvant pas justifier même l'arrestation provisoire du délinquant.

Les inconvénients, messieurs, ne peuvent balancer les garanties certaines que présente, dans l'intérêt des accusés, la disposition que je demande de voir introduire dans la loi.

N'oublions pas, au moment de corriger leur œuvre, n'oublions pas ce que disaient les auteurs du Code d'instruction criminelle en discutant précisément le principe que nous examinons aujourd'hui. Les auteurs du Code d'instruction criminelle disaient au conseil d'Etat de France, que c'était un devoir pour la société de donner le plus d'allégement, le plus de garanties possible à la liberté individuelle, chaque fois qu'un intérêt social supérieur ne venait pas exiger pour sa garantie propre une entrave, une atteinte à ce droit sacré. S'il y a des prévenus qui peuvent être plus tard déclarés coupables, ne faisons pas la loi uniquement au point de vue de ces prévenus. Malheureusement à côté des prévenus déclarés plus tard coupables, il y en a, je conviens que ce n'est pas la majorité, mais il y en a d'autres. Et n'y en eût-il qu'un seul il faudrait s'en occuper avant tout. La loi doit être faite pour la protection des innocents d'abord, et pour la répression des coupables ensuite.

M. de Decker. - La chambre ne doit pas regretter le prolongement de la discussion actuelle. Cette discussion porte sur une question de la plus haute importance. Il y va d'un des intérêts les plus graves de la société, l'intérêt de la liberté individuelle.

Cet intérêt est tellement grand, messieurs, qu'un des premiers écrivains de l'époque n'a pas hésité à dire que l'on peut mesurer le degré de civilisation d'un peuple aux garanties qu'y rencontre la liberté individuelle.

On connaît le fanatisme des Anglais pour la liberté individuelle. Eh bien, chez nous, toute l'histoire l'atteste, cette même susceptibililéa existe. L'un des premiers, des principaux articles de toutes nos Joyeuses Entrées, de nos Chartes, de nos Constitutions locales, est toujours consacré à proclamer la garantie de la liberté individuelle. Dans notre Constitution de 1830 plusieurs articles sont destinés à garantir cette liberté : liberté de la personne, inviolabilité du domicile, inviolabilité du secret des lettres, toutes garanties, directes ou indirectes, de la liberté individuelle.

Ainsi, messieurs, la question qui s'agite aujourd'hui devant vous est de la plus haute importance. Tous, nous entendons respecter la liberté individuelle, tous nous entendons en subordonner le sacrifice momentané aux seules nécessités de la défense de l'intérêt social. Nous sommes donc de l'avis de l'honorable M. Orts, qu'il faut, dans les matières peu importantes, dans les affaires correctionnelles, accorder, en règle générale, la mise en liberté provisoire. La différence entre l'honorable M. Orts et nous, c'est que l'honorable M. Orts veut que la mise en liberté soit un droit absolu pour le prévenu, tandis que nous, nous voulons qu'elle soit une règle, la plus générale possible, mais admettant cependant des exceptions nécessaires dans l'intérêt de la société.

Pourquoi M. Orts tient il à ce que la mise en liberté soit obligatoire en matière correctionnelle ? Parce qu'il suppose que le juge pourrait refuser la mise en liberté en abusant de la faculté que le projet lui laisse d'admettre des circonstances grave et exceptionnelles.

Mais le juge peut, même dans l'hypothèse de l'amendement de M. Orts, refuser indirectement la mise en liberté du prévenu ; il peut, en élevant le cautionnement au-delà des ressources uu prévenu, le retenir sous les verrous et rendre illusoire son droit à être mis en liberté sous caution.

Ainsi, l'arbitraire est possible avec l'amendement de M. Orts aussi bien qu'avec le projet du gouvenement ; parce que le juge pourra toujours élever, comme bon lui semble, le chiffre du cautionnement.

Il est un autre motif, messieurs, pour lequel je me suis opposé à ce système de la mise en liberté obligatoire sous caution, c'est le motif que vient de présenter l'honorable M. Coomans, et que j'avais déjà fait valoir en section centrale.

(page 165) Le droit absolu d’être mis en liberté moyennant une caution constituerait un privilège exorbitant en faveur de l’argent.

Autant il importe, messieurs, de proclamer le respect le plus absolu des inégalités sociales, naturelles, qui sont de l'essence de toute société, autant il faut s'attacher à diminuer graduellement et avec prudence tous les avantages conventionnels, politiques accordés par la loi à l'argent.

Eh bien, s'il est vrai qu'il existe déjà un avantage pour ceux qui ont de la fortune en ce qu'ils peuvent obtenir facultativement la liberté sous condition, je ne voudrais pas voir étendre cet avantage outre mesure en le proclamant un droit absolu. D'ailleurs, en faveur de qui faut-il surtout faire disparaître autant que possible la détention préventive ? En faveur de ceux dont la liberté constitue toute la fortune, toute la propriété, de ceux qui doivent nourrir leur famille du produit de leur travail ; là, en effet, la détention préventive est doublement onéreuse, non seulement comme sacrifice de la liberté individuelle du prévenu, mais comme cause de ruine pour sa famille. Or, c'est précisément ceux-là que l'amendement de M. Orts abandonne à leur triste sort, tandis qu'il stipule la mise en liberté obligatoire pour tous ceux, relativement moins dignes de notre intérêt, qui sont en position d'offrir une caution.

L'amendement de l'honorable M. Orts se comprendrait, si le gouvernement et la chambre consentaient à admettre une antre espère de caution que l'argent. C'est ce que j'ai eu l'honneur de proposer avec l'honorable M. de Perceval dans la section centrale : nous avons proposé l'admission de la moralité des prévenus comme une autre base du cautionnement.

Sans doute, messieurs, la formule de ce principe nouveau présente ici encore d'incontestables difficultés ; mais, enfin, c'est pour vaincre les difficultés qui s'opposent au bien que nous sommes législateurs. Si nous nous trouvons en présence d'un principe juste, moral, utile, il ne faut pas désespérer de son application parce qu'elle présente des difficultés ; il faut au contraire faire tous les efforts pour triompher de ces difficultés. Eh bien, je suis convaincu,messieurs, que le principe de la moralité admise à l'égal de la fortune, comme caution, serait très utilement introduit dans la législation. Il s'agit ici, ne le perdons pas de vue, messieurs, du grand principe de l'égalité devant la loi, de l'égalité devant la justice, qui est chargée d'appliquer la loi.

M. de Perceval. - Je commence d'abord par déclarer que je voterai l'amendement de l'honorable M.Orts, parce que, dans mon opinion, il garantit, dans une plus large mesure, la liberté individuelle sans toutefois désarmer l'action de la justice.

L'honorable M. Coomans repousse cet amendement, parce qu'il constitue un privilège en faveur de la fortune. Je ferai remarquer à l'honorable député de Turnhout qu'il préjuge la décision de la chambre. En effet,nous ne nous sommes pas encore occupés du cautionnement proprement dit ; nous n'avons pas encore décidé ce qu'il faut entendre par caution. Il n'en est fait mention qu'à l'article 14 du projet de loi. Déjà l'honorable M. Coomans a pu remarquer, s'il a jeté un coup d'oeil sur le rapport de l'honorable M. Destriveaux, qu'un membre a proposé en section centrale d'accepter comme caution, les certificats de moralité et de probité du prévenu. Ce membre, c'est moi ; et pourquoi ai-je demandé que les garanties de moralité et de probité fussent placées sur la même ligne que l'argent, que le numéraire ? Evidemment pour faire disparaître l'injustice, ou pour mieux dire le privilége dont se plaint l'honorable M. Coomans et qui est tout en faveur du riche, du prévenu ayant de la fortune.

La plupart de ceux qui sont appelés devant la justice appartiennent à des familles pauvres ; ce sont presque toujours des ouvriers, des artisans. Ils se trouveront dans la même position que les prévenus fortunés si vous admettez comme caution un bon certificat aussi bien qu'une somme d'argent. La section centrale n'a pas admis ce système, et je le regrette profondément. J'y reviendrai quand l'article. 14 sera mis en discussion. Je n'ignore point que c'est un problème dont la solution est assez difficile et qui demande de mûres réflexions ; mais, enfin, comme l'a dit l'honorable M. de Decker, nous réformons notre Code, notre législation en matière d'instruction criminelle, nous voulons améliorer ntire système de la détention préventive. Pourquoi hésiteriez-vous d'y inscrire une idée nouvelle qui aurait bien certainement l'approbalioa des moralistes et des hommes de progrès ? Faire peser d'un même poids dans la balance de la justice les garanties de moralité et de bonne conduite, aussi bien que le numéraire, pour constituer la caution, c'est là une idée qui ne peut qu'avoir de très bons résultats pour la moralisation des classes pauvres et leur égalité devant le magistrat.

A l'article 14, nous discuterons la question du cautionnement. J'accepte l'amendement de M. Orts ; il me paraît juste et fondé, car d'un côté il protège la liberté individuelle et de l'autre il ne desarme pas la justice.

Mais, messieurs, il est assez étonnant, il faut le constater, que dans cette chambre, en 18S1, l'on conteste la valeur d'un principe que je trouve déjà inscrit dans l'ancien droit constitutionnel du Brabant, dans des ordonnances criminelles qui datent de 1570. J'y trouve un article 53 formulé comme suit : « S'il n'existe contre le prévenu que des soupçons, il seramis en liberté sous caution ». Les articles 2, 6 et 76 de la seconde ordonnance de 1570 confirment et développent ces principes que nous trouvons reproduits dans les articles 38, 39 et 40 de l'edit perpétuel du 12 juilllet 1611.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous appelez cela libéral ?

M. de Perceval. - C’était, M. le ministre, très libéral en 1570.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C’est un singulier libéralisme.

M. de Perceval. - C’était le libéralisme de cette époque, et ce libéralisme avait bien aussi son mérite pour l’an 1570.

Tâchons seulement de l'imiter aujourd’hui en inscrivant dans le projet de loi sur la détention préventive l'amendement de l'honorable M. Orts.

M. Delehaye. - Messieurs, vous voyez combien la proposition de l l'honorable M. Orts fait naître de difficultés dans son application ; l'honorable membre lui-même commence par mettre une exception considérable à sa proposition : il veut que les exceptions soient indiquées par la loi.

Or, vous êtes régis actuellement par une législation qui n'indique pas ces exceptions, et vous êtes en présence d'un projet qui sera converti en loi et immédiatement mis à exécution. Vous voulez proclamer que la mise en liberté provisoire sous cautin ne peut être refusée sauf les exceptions formellement prononcées par la loi.

Eh bien, comme ces exceptions ne sont encore spécifiées nulle part, elles ne porteront que sur les personnes qui pourront fournir une caution ; c'est-à-dire que l'exception serait puisée dans des considérations pécuniaires.

On a déjà fait remarquer que ce serait là constituer un privilège en faveur de ceux qui ont de l'argent, c'est-à-dire que vous iriez donner un caractère aristocratique à cette loi, alors que toutes les autres lois que nous faisons depuis quelque temps portent un caractère libéral ; vous décideriez qu'un individu par le seul fait qu'il est favorisé de la fortune,, ne serait jamais détenu préventivement pour des délits.

Mais, dit l'honorable M. de Perceval, ceux qui appartiennent à la classe peu aisée pourront faire valoir leur moralité, pour obtenir leur mise en liberté provisoire, et je déposerai un amendement dans ce sens.

L'honorable M. de Perceval perd de vue que dans le projet de loi la moralité joue déjà un grand rôle. Pour qu'un individu soit arrêté il faut qu'il y ait des motifs graves et exceptionnels. Et remarquez que la législation qui nous régit actuellement, n'admet pas cette garantie ; elle est inscrite dans le Code que nous faisons aujourd'hui.

Voyez à quelles anomalies donnerait lieu l'application de la proposition. Je suppose qu'un vol a été commis dans des circonstances peu graves ; je suppose un père de famille qui. voyant ses enfants en proie à la faim, aura, pour venir à leur secours, volé un objet de peu de valeur ; voilà sans doute des circonstances très atténuantes, voilà un délit qui n'a pas un caractère bien grave ; eh bien, cet homme, étant hors d'état de fournir une caution, n'obtiendrait pas sa mise en liberté provisoire ; d'un autre côté, je suppose un individu qui bat continuellement sa femme, qui est arrêté, et qui, s'il obtient sa mise en liberté provisoire, commettra le même délit, et vous ne voulez pas que le juge d'instruction puisse détenir préventivement cet individu en prison ? Vous ne voulez pas non plus, par exemple, qu'un in ividu qui ne cesse de provoquer au mépris des lois puisse être mis en prison par le juge d'instruction.

Mais, il faut, dans cette circonstance, laisser l'appréciation des faits au juge. et qu'on me permette de le dire, notre magistrature n'est pas aujourd'hui dans la position où était la magistrature du siècle que vient de rappeler l'honorable M. de Perceval, la magistrature n'était pas alors inamovible ; aujourd'hui la magistrature ne décide que d'après sa conscience, et je suis heureux de le dire, il n'y a peut-être pas en Europe une magistrature plus digne du respect de tous que la magistrature belge et je saisis avec bonheur cette occasion de lui offrir un témoignage de ma vénération.

C'est à cette magistrature que je veux abandonner l'appréciation des faits pour lesquels on mettra un individu en prison ; je ne veux pas que, par l'adoption du principe de sa proposition de l'honorable M. Orts, cette appréciation se résolve exclusivement en une question d'argent.

M. Roussel. - Messieurs, je suis décidé à voter en faveur de l'amendement présente par l'honorable M. Orts. L'honorable membre a été très probablement frappé comme moi du vague des termes : « circonstances graves et exceptionnelles » qui se rencontrent dans l'article 2 du projet de loi. Toute disposition qu'on introduira dans la loi, paur donner un sens plus précis à ces mots, sera utile par cela même.

Comme l'honorable M. Delehaye, je rends à la magistrature belge un hommage du reste bien mérité ; comme notre honorable collégue, je suis convaincu qu'on peut confier à nos juges toute espèce de pouvoirs sans craindre aucun abus ; mais les hommes changent et les institutions restent. C'est le motif qui me détermine à contribuer par mes votes à rendre la loi nouvelle conforme aux principes et à lui imprimer une précision garantissante.

L'amendement de l'honorable M. Orts offre une garantie de plus à la liberté individuelle, ce bien sacré, à la liberté individuelle de ceux qui ont de l'argent, de ceux qui pourront s'en procurer ou à la liberté individuelle des prévenus qui obtiendront de leurs parents ou de leurs amis la caution qui pourrait être exigée par la justice.

Laissons de côté l'argunnnt tire de ce que la question qui nous occupe se résoudrait en une question pécuniaire. Si une pareille idée pouvait dominer, il n'y aurait plus à discuter sur la mise en liberté sous caution, et l'on condamnerait définitivement une des plus belles garanties (page 166) consacrées dans la législation anglaise, en ce qui concerne l'instruction criminelle.

Comme l'ancien citoyen romain, le citoyen anglais comprend la liberté individuelle ; il a proclamé les principes les plus salutaires pour consacrer le respect qui lui est dû.

L'amendement de mon honorable ami est une heureuse imitation de cette législation qui préfère, quand elle le peut, laisser à l’hommesa liberté en acceptant une caution que de lui confisquer l'une et l'autre en refusant la seconde.

Avant d'aborder les objections qui ont été présentées, je me permettrai une observation générale.

Ainsi que j'avais l'honneur de le dire hier, la détention préventive n'a point pour but d'empêcher l'individu arrêté de commettre d'autres délits ou de continuer le délit qu'il aurait commencé ; le but de cette mesure consiste uniquement à placer l'individu soupçonné en présence de la justice, à l'effet qu'elle puisse agir, à son égard, suivant la procédure criminelle, et obtenir de lui des renseignements indispensables, afin d'appliquer, s'il y a lieu, les peines qui doivent atteindre l'infraction. Mais, de là à considérer la détention préventive comme un moyen de police administrative pour la société, il y a bien loin.

La présomption d'innocence dont le prévenu est investi, empêche que la détention préventive puisse avoir le sens qu'on veut lui attribuer. La détention définitive comme peine peut seule être ainsi justifiée.

La détention préventive, ainsi que le faisait observer M. le ministre de la justice, dans son exposé des motifs, ne s'expliquerait point, si elle n'était légitimée par un besoin social considérable.

Messieurs, je vous le demande, lorsqu'il n'existe de soupçon qu'à l'égard d'un simple délit correctionnel, la détention préventive ne peutelle encore se justifier en présence de l'offre d'une caution suffisante que le juge peut déterminer comme bon lui semble, alors qu'il n'y a nulle proportion entre la peine dont le prévenu est menacé et le résultat qu'il pourrait atteindre en prenant la fuite pour échapper aux poursuites ?

Le projet de loi consacre une amélioration réelle, quoique assez peu précisée dans les termes, en défendant la détention préventive en matière correctionnelle autrement que pour les cas graves et exceptionnels. Mais dans ces cas eux-mêmes, la disproportion que je viens d'indiquer, ne se présente-t-elle pas ? La garantie à résulter de la caution est-elle moins suffisante ? Le prévenu est-il autre chose qu'un homme soupçonné ? La société a-t-elle le droit de porter atteinte à sa liberté personnelle quand il offre d'autres garanties qui assurent sa présence à l'instruction et aux débats ? L'affirmer, ce serait faire le procès à tout le système de liberté provisoire sous caution écrit dans le projet en discussion ; ce serait contredire l'esprit même de ce projet.

Quel inconvénient, d'ailleurs, dans une mesure pratiquée en Angleterre depuis lorgtemps, pratiquée en France durant trente ans depuis la mise en vigueur du Code d'instruction criminelle qui nous régit ; dans une mesure qui est utile aux personnes aisées et qui ne peut faire aucun mal à celles qui ne le sont pas ?

C'est, dit-on, un privilège d'argent qu'on étend outre mesure. Mais, abstraction faite de l'amendement, le juge devrait toujours repousser la mise en liberté sous caution ?

Nullement, dans la plupart des cas, l'esprit du Code est qu'elle soit accordée.

En quoi le privilège est-il étendu par la proposition de M. Orts ? S'applique-t-elle à des hommes plus riches ? Au contraire, il est assez naturel que des personnes possédant une certaine fortune ne commettent pas de délits qui doivent nécessiter le plus la demande de liberté sous caution, le vol par exemple.

Il me semble que ce privilège, loin d'être étendu, reste le même ; pour les cas malheureux dont on a parlé, le juge sera obligé de déférer à la demande de liberté sous caution et il ne la refusera point sans caution, lorsqu'il sera possible. Ce qui est bien en Angleterre où il y a des criminels et des délinquants comme partout et y est pratiqué depuis de longues années aux applaudissements des étrangers, ne saurait être mauvais en Belgique. Pourquoi le serait-il ?

Occupons-nous des objections présentées par l'honorable M. Declehaye. Il nous a entretenus, messieurs, des exceptions que comporte la proposition de M. Orts, et il a dit : Les exceptions que M. Orts assigne lui-même à sa proposition ne sont tirées que du caractère personnel des détenus, des circonstances aggravantes de condamnations antérieures ou de leur état de vagabondage. Eh bien, ajoute l'honorable M. Delehaye, c'est souvent l'infraction qui détermine le caractère grave du fait, et vous ne faites aucune exception pour les infractions graves.

Mais l'exception a été creée par la loi elle-même en reconnaissant que le droit d'arrêter en matière de délit n'est conservé que dans les circonstances graves et exceptionnelles. Quand la caution est suffisante pour ces cas la société est complètement garantie.

Le rejet de l'amendement formerait une contradiction entre le texte et l'esprit libéral du projet.

J'entends un honorable membre qui reproche à notre siècle de faire abus des mots « libéral » et « progrès ». Je réponds à cette interruption que lorsqu'on garantit la liberté individuelle de l'homme, que lorsqu'on cherche à concilier les garanties dues à la société et celles que réclame impérieusement la liberté des citoyens, l'on fait œuvre libérale. C'est l'œuvre à laquelle je convie la chambre, en appuyant le projet de loi qui lui est soumis et l'amendement de mon honorable collègue M. Orts.

M. Coomans. - L'honorable M. Orts a dit que, pour trouver son amendement mauvais, je devais repousser toute espèce de cautionnement. En effet, en cette matière, je ne sais ce que signifie ce mot cautionnement. Nous sommes d'accord sur ce point qu'il ne faut admettre la détention préventive, que lorsque le besoin de l'instruction l'exige ou quand elle est une précaution nécessaire contre la récidive. Voilà les deux raisons qui justifient la détention préventive ; or, sous ce double rapport, le cautionnement est inutile ; si le juge croit que la détention n'est pas nécessaire ou s'il n'a pas à redouter la récidive, s'il pense que le détenu est digne de la liberté, il le mettra en liberté. Le cautionnement n'y fait rien ; il est illusoire. D'un autre côté, il a le caractère, qu'a défini l'honorable M. de Decker, d'un privilège que nous ne devons pas étendre. Le prévenu amené devant le juge, dans les trois cas ordinaires que je viens d'indiquer, sera mis en liberté provisoire. Le cautionnement me paraît un mauvais principe en cette matière, et il serait plus conséquent d'en.demander la suppression.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le projet est beaucoup plus libéral que l'amendement de M. Orts. Il déclare qu'en matière correctionnelle on ne pourra incarcérer le prévenu que dans des circonstances graves et exceptionnelles, c'est-à-dire quand l'intérêt public l'exigera.

Maintenant, que faites-vous ? Lorsqu'il s'agit du riche vous subordonnez l'intérêt social à la question d'argent. C'est une inégalité que vous créez. Ainsi, lorsqu'un pauvre aura commis un délit dans des circonstances graves et exceptionnelles, vous voulez qu'il ne puisse pas être mise en liberté ; si au contraire l'inculpé est riche la liberté provisoire lui sera toujours accordée.

Pour justifier votre système, à quel point de vue vous placez-vous ? Vous vous placez au point de vue de l'abus possible. Je peux m'y placer comme vous et démontrer que votre système ne mène à rien. L'honorable M. de Decker l'a déjà fait tantôt.

Ou vous admettez que le juge sera raisonnable, équitable, qu'il appréciera les circonstances loyalement, comme il le doit ; ou bien, vous supposez qu'il se déterminera d'une manière arbitraire. Si vous admettez qu'il sera juste et équitable, il y a dans le projet les mots : « circonstances graves et exceptionnelles », qui sont suffisants pour garantir la liberté individuelle.

Si vous supposez que ie juge ne tiendra pas compte de la loi, qu'il déclarcra toujours, qu'il y a des circonstances graves et exceptionnelles, c'est-à-dire qu'il commettra toujours des abus, pourquoi serait-il interdit de supposer que le juge, convaincu de la nécessité de la détention, fixera le cautionnement à une somme telle que l'inculpé ne pourra jamais la fournir ? Mais le législateur ne doit pas raisonner comme si les magistrats chargés d'appliquer la loi devaient abuser du pouvoir qu'on leur confie.

Votre système est bien moins libéral que celui que nous proposons et dans lequel la liberté est également garantie pour tous.

Maintenant, l'honorable M. Orts a très bien senti qu'il ne pouvait pas répondre à l'argument dont je me servais tantôt et qui consiste à dire qu'il est des cas où l'emprisonnement préventif est nécessaire pour arrêter un individu dans les délits que déjà il a commencés, et qu'il est en voie de continuer. Il répond que l'arrestation ne peut avoir lieu dans ce cas ; mais je ne parle pas de l'arrestation. L'arrestation de l'accusé et la mise en liberté sous caution sont deux choses tout à fait concomitantes. L'inculpé doit être interrogé par le juge d'instruction dans les 24 heures de son arrestation et même instantanément, immédiatement ; il a le droit de demander sa mise en liberté et immédiatement si le tribunal se conforme au vœu de la loi, il accueille sa demande.

Si vous repoussez cette conséquence, vous voulez donc simplement inscrire dans la loi un principe libéral tout en laissant au juge le droit de ne statuer que dans dix ou quinze jours. De deux choses l'une, ou c'est un principe illusoire que vous inscrivez dans la loi, et alors il est inutile, ou c'est une disposition sérieuse, et alors vous avez le danger que je vous signalais, le danger très grave de laisser en liberté un prévenu, dans des cas d'émeutes, de coalitions d'ouvriers, de menaces de mort.

Je pourrais vous citer dix cas dans le Code pénal, où il est indispensable d'incarcérer l'inculpé au moment même pour éviter des dangers,, des crimes peut-être, des cas où l'instruction est impossible si le prévenu reste libre.

Il est donc indispensable que l'on maintienne le projet.

M. Roussel. - Puisque M. le ministre de la justice insiste sur l'argument tiré de ce que la détention préventive aurait pour but d'empêcher de nouvelles infractions, je me contenterai de lire le passage de l'exposé des molifs auquel j'ai fait allusion tantôt :

« Mais à coté du principe abstrait vient se placer un impérieux besoin social. Il est indispensable que la société ait à sa disposition les moyens d'arriver à la découverte des délits qui compromettent son existence ; il faut qu'elle puisse empêcher les individus signalés comme auteurs d'un méfait de se soustraire par la fuite à l'application éventuelle de la peine.

« Ces nécessités doivent donc être la juste mesure du sacrifice momentané de la liberté. »

Voilà tout ce que nous croyons devoir répondre à cet argument.

M. Dumortier. - Mon honorable ami M. Roussel a tout à l'heure fait part à l'assemblée d'une simple observation que j'avais communiquée à l'un de mes voisins. Je me bornais à dire qu'on fait un étrange abus des mots « libéral » et « progressiste », lorsqu'on se borne à demander en (page 167) faveur des personnes détenus préventivement une plus grande facilite pour obtenir leur mise en liberté. Il me semble qu'il y a là rien de « libéral », rien de « progressiste ». Le libéralisme et le progrès (mots souvent mal compris) n’ont en vérité rien à voir ici.

Pour moi, je ne suis pas du tout partisan de la détention préventive, et j’ai de bons motifs pour cela ; j'ai eu l'honneur d'être deux fois arrêté et emprisonné, de passer dans le Luxembourg trois jours en prison et de faire cinq lieues, entre les chevaux des gendarmes, avec des voleurs de grand chemin.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Y a-t-il longtemps de cela ?

M. Dumortier. - Il y a de cela 30 ans. Mais le souvenir que j'en ai conservé m'empêche d'avoir une sympathie bien vive pour la détention préventive.

Je suis heureux de voir que la chambre s'occupe sérieusement d'améliorer la législation sur la détention préventive, à une époque où, dans un pays voisin, on devrait la discuter d'une manière très mûre et très réfléchie.

Je voudrais voir dans la loi toutes les garanties possibles en faveur des personnes détenues préventivement.

Mais, je vous le déclare, je ne voudrais pas que la garantie fût uniquement une garantie d'argent.

Je ne veux pas parler de la valeur ou de la non-valeur des certificats de moralité. Mais je dis avec l'honorable ministre de la justice que lorsque vous vous bornez à exiger du juge qu'il ne refuse jamais la garantie d'argent, vous avez fait quelque chose pour ceux qui ont de l'argent et vous n'avez rien fait pour ceux qui n'en ont pas.

Mais je demanderai à M. le ministre de la justice qui a présenté des observations extrêmement minutieuses, notamment en ce qui concerne les cas de menace de mort, les cas d'émeutes, s'il ne serait pas possible de stipuler dans la loi, comme on l'a fait dans la loi hollandaise que l'on vous citait tout à l'heure, des cas où la détention préventive ne pourrait pas être maintenue par le juge. Vous laisseriez ainsi la faculté de laliberlé possible pour les cas qui se présentent le plus souvent.

Ainsi, lorsque dans un cabaret des coups de poing sont échangés entre des hommes ivres d'une manière un peu robuste, et lorsque le voisin s'en ressent, on est mis en prison.

Et cela va souvent très loin ; on a vu des individus de la classe inférieure arrêtés et détenus préventivement pendant un temps deux ou trois fois plus long que celui de la peine.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce ne sera plus possible. Le projet exige qu'il y ait des circonstances graves.

M. Dumortier. - C'est déjà beaucoup. Mais je soumets à l'honorable ministre cette pensée : ne serait-il pas possible de stipuler les cas qu'il a indiqués, cas qui sont très sérieux et dans lesquels le juge pourra maintenir la détention préventive. Ainsi, il est certain que si, dans une émeute un émeutier est arrêté, et si vous êtes obligé de le lâcher le lendemain, c'est dire que l'émeute recommencera le lendemain.

M. Orts. - Les émeuliers n'ont pas le sou.

M. Dumortier. - Il y en avait en 1830 qui avaient beaucoup d'argent.

Je crois, messieurs, qu'il serait à désirer que l'on imitât la loi hollandaise et que l'on stipulât dans la loi les cas dans lesquels le juge pourra refuser la liberté provisoire ; de manière que pour tous les délits de peu d'importance on donnerait à la liberté individuelle toutes les garanties possibles, comme le veut notre constitution. C'est une reflexion que je soumets à l'honorable ministre de la justice, aux lumières duquel j'ai toute confiance.

- La discussion est close.

L'appel nominal est demandé sur l'amendement de M. Orts. Il y est procédé ; en voici le résultat :

60 membres prennent part au vote.

47 votent contre l'amendement.

15 votent pour.

En conséquence l’amendement n'est pas adopté.

Ont voté le rejet : MM. Allard, Boulez, Cans, Clep, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Brouckere, de Decker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Mérode (Felix), de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Destriveaux, d’Hont, Dumon (Auguste), Frère-Orban, Jouret, Landeloos, Loos, Mascart, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Osy, Peers, Pirmez, Reyntjens, Rogier, Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, Tremouroux, Van Cleemputte, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynhe, Vermeire et Verhaegen.

Ont voté l'adoption : MM. Cools, David, de La Coste, de Perceval, de Steenhault, Dumortier, Jacques, Lelièvre, Lesoinne, Orts, Rodenbach, Roussel (Adolphe) et Veydt.

L'article 9, modifié comme le propose M. Delfosse, est adopté.

La séance est levée à 4 3/4 heures.