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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 29 novembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 131) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.

La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs propriétaires et locataires à Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un droit sur les engrais. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Faignart demande un congé de quelques jours pour remplir une mission dont la députation permanente du conseil provincial dullainaut l'a chargé.

- Ce congé est accordé.

Motion d'ordre

Parution anticipée du traité avec la Grande-Bretagne dans un organe de presse

M. le président. - Le traité avec la Grande-Bretagne sera distribué ce soir. Les sections seront convoquées pour mardi, à l'effet de l'examiner.

M. de Baillet-Latour. - Je voudrais faire observer que le traité avec la Grande-Bretagne a été publié dans tous les journaux, avant même que la pièce ne fût distribuée à la chambre. Je crois devoir déclarer qu'on ne peut reprocher cette indiscrétion, ni au greffe, ni à l'imprimeur de la chambre. Ce n'est pas au greffe que les épreuves ont été envoyées pour être corrigées.

Le traité a paru dans un journal, trois jours avant la distribution aux membres de la chambre ; il en a été de même pour le traité avec les Pays-Bas.

Les pièces de ce genre devraient être distribuées aux membres de la chambre, avant que les journaux ne les publiassent.

M. le président. - Le bureau est complètement étranger à ces communications.

M. de Decker. - Je suis charmé d'entendre la questure et le bureau de la chambre protester contre les indiscrétions et contre ces communications de pièces qui doivent être avant tout communiquées à la représentation nationale, et je crois devoir protester aussi publiquement contre ces abus.

M. le président. - Je dois répéter que le bureau est complètement étranger à ces communications.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si la protestation contre le fait s'adresse à tout le monde ou ne s'adresse à personne, ce qui revient au même, je n'ai rien à dire. Si elle s'adresse à quelqu'un, on pourrait préciser et je répondrai.

M. de Decker. - Je n'ai pas provoqué ce débat, mais je ne reculerai pas du tout contre une accusation formelle contre M. le ministre des affaires étrangères, si c'est lui qui a donné communication de la pièce.

M. de Baillet-Latour. - Je n'accuse personne ; mais comme ce fait s'est reproduit plusieurs fois, j'ai cru devoir déclarer que le greffe n'est pour rien dans ces communications.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne sais rien du fait particulier dont on parle ; je n'ai pas même vu le traité dans les journaux. Le fait existe, puisqu'il est signalé. M. le ministre des affaires étrangères, lorsqu'il sera présent, pourra s'expliquer sur le reproche qui lui est fait. Mais je dois faire remarquer que toujours, dans tous les pays, aussi bien en France qu'en Delgique et en Angleterre, les journaux parviennent à obtenir communication de certaines pièces, de traités, de notes qu'ils publient aussi promptement que possible. Il n'y a pas à cela un grand mal. La publicité qui y est donnée n'a rien de bien dangereux. Si l'on veut y voir un acte de faveur, pour parler franc, si c'est cela qu'on critique, si ce n'est plus qu'une affaire de commerce, de boutique, nous n'avons guère à nous en occuper.

M. de Decker. - C'est une affaire de convenance.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La communication a été faite à la chambre, le traité de commerce avec l'Angleterre a été déposé sur le bureau de la chambre ; la publication n'en a été faite qu'après. C'est ainsi, je pense, qu'on le constate. Je ne vois donc pas le grand mal qu'il y a eu dans cette publication, ni envers qui on aurait manqué de convenance.

Je répète que, pour ce qui me regarde, je suis tout à fait étranger à ce fait, et M. le ministre des affaires étrangères lui-même, s'il était présent, n'éprouverait aucun embarras à s'expliquer.

M. de Theux. - Je pense, messieurs, qu'il y a une distinction à faire quant aux communications de la nature de celles dont il s'agit. En effet, nous voyons, dans tous les pays, que certains faits diplomatiques sont communiqués à la presse avant d'être communiqués officiellement à la représentation nationale. Il y a pour cela des motifs qu'il est inutile de développer ici ; mais quant à la communication textuelle des documents qui, par leur nature, doivent être communiqués aux chambres, je pense, messieurs, que cela n'est nullement d'usage.

Ainsi, messieurs, il devait y avoir, dans le cas présent, une faute commise, ou par les employés de la chambre, ou par les employés des bureaux ministériels.

Quant à la chambre, cela n'existe point : les déclarations de MM. les questeurs et de M. le président doivent nous donner un entier apaisement ; mais il est évident qu'il a été commis une indiscrétion, une inconvenance, de la part des bureaux du ministère. Je ne dis pas que le fait a été expressément autorisé par les ministres ; c'est à eux de s'expliquer ; mais le fait est qu'il y a inconvenance à communiquer aux journaux ce qui n'a pas été communiqué aux chambres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le traité a été déposé par M. le ministre des affaires étrangères, a été communiqué à la chambre le 26 de ce mois : la publication que l'on incrimine, est-elle antérieure ou postérieure à ce dépôt ?

M. de Baillet-Latour. - Elle a eu lieu le jour du dépôt (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le traité a donc été publié après le dépôt, dans « L’Indépendancee du lendemain matin. Ce fait, on le reproche indirectement à M. le ministre des affaires étrangères.

Sans vouloir m'expliquer sur le fait et sans vouloir admettre que M. le ministre des affaires étrangères n'aurait pas le droit qu'on semble lui contester, ce que je ne reconnais en aucune manière, je demande où sont les preuves pour accuser M. le ministre des affaires étrangères ?

M. de Baillet-Latour. - Je n'ai voulu en aucune manière incriminer M. le ministre des affaires étrangères ; j'ai signalé un fait et j'ai déclaré que le bureau de la chambre y était complètement étranger. Quant au fait, il est certainement regrettable, et ce n'est pas seulement dans des journaux belges que ces publications prématurées ont eu lieu : nous voyons la « Gazette de Cologne » publier une analyse du traité avec l'Angleterre ; d'autres journaux parlent aussi de l'exposé des motifs.

Je le répète, messieurs, je n'ai voulu attaquer personne ; c'est le fait que je signale.

M. de Liedekerke. - Je concevrais, messieurs, que les journaux parvinssent à se procurer le texte du traité avant le journal officiel ; mais qu'ils aient eu l'exposé des motifs, c'est ce qui est vraiment extraordinaire.

M. Delfosse. - Je voulais faire observer qu'il convenait d'attendre M. le ministre des affaires étrangères ; il vient d'entrer et par conséquent mon observation devient sans objet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, quand un projet avec l'exposé des motifs est présenté à la chambre, il est censé publié, car si l'exposé des motifs n'est pas lu, c'est que la chambre l'entend ainsi : si, par exemple, la chambre en demandait la lecture, il paraîtrait au Moniteur ; si elle ne le fait pas, la publication n'en a pas moins lieu par la présentation du projet avec l'exposé des motifs ; par cette présentation, les pièces sont complètement acquises à la publicité et il dépend de la chambre de les faire insérer immédiatement au Moniteur. Il n'y a donc aucun inconvénient à ce qu'elles soient insérées également dans les autres journaux.

M. Malou. - Il faut bien préciser les faits. Ce dont la chambre a à se plaindre, c'est que les pièces dont il s'agit ont été insérées prématurément dans un journal qui est devenu, tout le monde le sait, la première édition du Moniteur. Oui, vous aviez un mode régulier de procéder, c'était de communiquer les pièces au Moniteur, mais la susceptibilité de MM. les questeurs et de la chambre est éveillée à juste titre, lorsque la publication dont il s'agit et toutes les communications qui viennent du gouvernement sont données à un journal avant d'avoir été portées à la connaissance de la législature.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dois protester contre l'allégation de l'honorable M. Malou. Je ne sais si lorsqu'il était au pouvoir il s'abstenait de toute espèce de relations, de toutes communications de quelque nature qu'elles fussent, avec les journaux. (Interruption.)

J'ai d'excellentes raisons d'en douter. (Interruption.) C'est tout autre chose, me dit-on : oui, parce que le titre du journal n'était pas le même.

Nous persistons à dire que cette publication, au point de vue de la chambre, est absolument sans importance, sans importance aucune. La dignité de la chambre n'est nullement engagée ici.

Qu'importe à la chambre, lorsqu'une communication lui est faite, lorsque les piiees sont déposées sur son bureau, que la publicité lui arrive par tel journal plutôt que par tel autre journal ? La dignité de la chambre sera-t-elle sauvée, parce qu'elle aura reçu les documents un peu plus tard par la voie du Moniteur ? Evidemment c'est là un spécieux prétexte de critique qui s'adresse, en définitive, exclusivement au journal. Je n'ai pas à prendre la défense du journal, mais je persiste à dire que le gouvernement doit être mis entièrement hors de cause dans celle affaire.

M. Malou. - Il ne s'agit pas, messieurs, de savoir quels sont les rapports des ministres avec les journaux et quels ont été les rapports que nous avons pu avoir avec les journaux ; si les mêmes rapports avaient eu (page 132) lieu de notre part, ce que je nie formellement, nous aurions mérité les mêmes reproches que nous adressons maintenant aux ministres.

Mais, messieurs, puisqu'on m'appelle sur le terrain, je cite un deuxième fait : A la dernière session que le Roi ait ouverte en personne, je pense que c'était en 1849, j'ai acheté moi-même un numéro de ce journal, qui publiait le discours du Trône au moment où le Roi le prononçait dans cette enceinte.

Proposition de loi modifiant le tarif des douanes

Prise en considération

M. le président. - Nous abordons l'ordre du jour, qui est la suite de la discussion sur la prise en considération de la proposition de M. Coomans.

M. Dechamps. - Messieurs, je viens appuyer la prise en considération de la proposition de M. Coomans, non pas que j'accepte tous les principes de cette proposition et que je m'apprête à les défendre ; non : mon opinion en matière commerciale est assez connue, ainsi que celle de beaucoup de mes amis, pour que la chambre sache d'avance que nous aurons plus à combattre qu'à approuver dans la proposition de mon honorable ami. Pour moi, messieurs, j'ai été l'adversaire constant des prohibitions à introduire dans notre tarif et des mesures qui sont le corollaire des prohibitions.

J'ai été l'adversaire de toutes exagérations protectionistes à introduire dans notre législation commerciale, comme je serai l'adversaire ferme et décidé des exagérations dans un sens contraire, et des idées qui tendent, non pas à réformer, comme on le prétend, mais à détruire nos institutions commerciales.

Si j'appuie donc la prise en considération de la proposition de mon honorable ami, ce n'est pas comme partisan de son système, mais parce que je crois qu'il est convenable et utile que la proposition soit examinée.

Vous le savez comme moi, l'usage de la législature est de consacrer le respect le plus scrupuleux de l'initiative parlementaire. Pour prendre en considération une proposition due à l'initiative d'un membre de la chambre, il suffit que cette proposition ait un caractère sérieux, que son but puisse être utile et qu'elle ne soit pas complètement dépourvue d'opportunité.

Eh bien, quelqu'un dans la chambre pourra-t-il contester que la proposition de l'honorable M. Coomans ait un caractère sérieux ? Je n'en suis pas partisan ; mais il faut le reconnaître, non seulement le travail de mon honorable ami est un travail sérieux, c'est encore un travuil très remarquable.

En second lieu, le but est utile, car enfin quel est le but de l'honorable membre ? C'est de jeter des lumières sur des questions délicates, en matière douanière, à la solution desquelles le ministère nous convie.

La proposition est-elle comme on le prétend, inopportune ? Il me semble qu'il est impossible de nier son opportunité. Quand mon honorable ami présente-t-il sa proposition ? C'est au moment même où le ministère procède à la réforme de notre législation commerciale ; c'est à la veille de la discussion des traités avec la Hollande et avec l'Angleterre, qui, comme on l'a dit, sont une large brèche faite à notre système commercial ; et comment pourrait-on soutenir que la proposition est inopportune ? Voudrait-on qu'il présentât sa proposition le lendemain du jour où nous aurons discuté les questions sur lesquelles le ministère a appelé l'attention de la chambre ? Mais alors la proposition, du moins pour la partie commerciale, deviendrait inutile.

Ainsi donc la proposition est sérieuse ; elle a un but utile, quelle que soit l'opinion que nous ayons nous-même sur le mérite de cette proposition, et elle est opportune.

Pourquoi dès lors vous refuseriez-vous à prendre cette proposition en considération ?

Quand le gouvernement s'oppose à la prise en considération d'une proposition due à l'initiative d'un membre de la chambre, c'est qu'il en combat d'avance le principe ; c'est qu'il est tellement adversaire du principe, qu'il ne croit pas même pouvoir permettre que ce principe soit mis en discussion ; alors je comprends que le gouvernement s'oppose à la prise en considération.

Ici, chose étrange, le ministère est d'accord avec l'honorable M. Coomans sur le principe de la proposition ; le ministère et l'honorable M. Coomans sont d'accord pour soutenir qu'il y a nécessité, opportunité de réformer notre législation commerciale et douanière ; de la réformer dans le sens de l'abaissement de nos tarifs.

Le ministère et l'honorable M. Coomans sont d'accord sur presque toutes les questions de principe. Sur la question commerciale, par exemple, l'un et l'autre veulent supprimer la protection pour le pavillon et ne maintiennent momentanément qu'une protection de provenance ; l'un et l'autre veulent concentrer le système différentiel sur un nombre d'articles limité ; l'un et l'autre veulent l'abaissement des tarifs de douane. L'honorable M. Coomans propose d'abaisser le tarif douanier jusqu'à un droit maximum de 20 p. c. L'honorable M. Frère a fait connaître les points de dissentiment qui existent entre M. Coomans et lui ; mais ils ne concernent que les détails et les moyens d'application du système.

Il est impossible de nier que le ministère et l'honorable M. Coomans soient d'accord sur le principe même et l'urgence de la réforme. Cela est tellement vrai que la première partie du discours de l'honorable M. Frère pourrait servir d'exposé des motifs à la proposition de l'honorable M. Coomans.

Quand nous discuterons la proposition du gouvernement et celle de M. Coomans, l'honorable M. T'Kint de Naeyer qui a parlé hier et moi nous rencontrerons M. Frère et M. Coomans comme des adversaires communs et nous les combattrons de commun accord, je l'espère.

Mais si l'honorable M. T'Kint peut avoir certaines raisons, que je ne partage pas, de s'opposer à la prise en considération, puisqu'il repousse le principe même de la réforme proposée par M. Coomans, le ministère, lui, n'en a aucune, car il est d'accord, au fond, avec l'auteur de la proposition ; car l'un et l'autre veulent procéder à la réforme dans le même sens, par des moyens d'application peut-être différents, mais d'après les mêmes principes, les mêmes idées, les mêmes tendances.

J'ai donc le droit de dire que je ne comprendrais pas que la chambre s'opposât à la prise en considération, c'est-à-dire qu'elle décidât que cette proposition ne mérite pas l'honneur de l'examen ; mais que je le comprendrais bien moins encore de la part du gouvernement, avee les idées qu'il a émises.

Le droit d'initiative parlementaire, c'est le droit d'examen. Refuser la prise en considération, ce serait un refus d'examiner et de s'éclairer ; il ne s'agit que de cela, car il y a des antécédents pour prouver que la chambre a quelque fois pris en considération des propositions dues à l'initiative des membres de la chambre, en ajournant l'examen de ces propositions.

Vous ne voudrez pas vous refuser à vous éclairer, et la majorité tiendra vraisemblablement à conserver cette fois le nom du parti du libre examen qu'on lui a donné.

Messieurs, la discussion est sortie des limites de la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Coomans, et, il faut bien le dire, c'est à l'initiative de M. le ministre des finances que nous devons cette déviation des débats.

L'honorable ministre des finances, dans la première partie de son discours, qui est la partie la plus importante, a discuté, non pas la proposition de l'honorable M. Coomans par rapport à la prise en considération, mais notre système douanier et commercial dans son ensemble. Il a pris cette occasion de défendre les traités conclus avec les Pays-Bas et l'Angleterre avant l'heure de la discussion.

Je n'imiterai pas M. le ministre des finances. Je crois que nous aurions tort de le suivre aujourd'hui sur ce terrain. Le jour de la discussion arrivera, lorsque nous discuterons le traité avec la Hollande, et, que le ministère le sache bien, nous ne déserterons pas cette discussion.

Je n'ai donc pas l'intention de suivre l'honorable ministre des finances dans les développements qu'il a donnés à sa pensée, à son système de réforme, nous le ferons au moment opportun. Mais, messieurs, il est un point sur lequel je dois attirer l'attention de la chambre et qui se rattache plus directement à la prise en considération de la proposition de M. Coomans.

Puisque le ministère se pose en ministère de la réforme commerciale, c'est sa conviction, et il me permettra d'être convaincu, de mon côté, qu'il révolutionne et ne réforme pas ; mais puisqu'il veut imiter le grand reformateur anglais, il aurait dû procéder comme lui. Sir Robert Peel n'a pas opéré une réforme commerciale, financière et douanière par un discours, mais par des actes. Lorsqu'il est venu parler de cette question au parlement, il n'est pas venu condamner d'avance le système de son pays, en ébranlant et en alarmant fort inutilement de puissants intérêts, il est venu, son projet à la main, et il a dit : Voici ma réforme tout entière, jugez-la.

Le ministère a procédé tout autrement. Il a inséré une phrase dans son programme de joyeux avènement du 12 août 1847. Cette phrase indiquait qu'il était partisan d'une réforme libérale dans notre législation douanière. Après quatre années, le ministère présente non pas un projet, mais un exposé des motifs, non d'un projet qu'il présente mais d'un projet à venir et qu'il a maintefois annoncé.

En Angleterre lorsque Robert Peel a présenté son projet de réforme, il a proposé un système d'ensemble, parfaitement coordonné, et comprenant à la fois la réforme financière, agricole, commerciale et industrielle. Le pays a connu le système de réforme tout entier. A côté des sacrifices qu'il imposait à l'agriculture et à la navigation, comme un jour l'honorable M. Tesch l'a fait remarquer à l'honorable ministre des finances, son collègue actuel, à côté de ces sacrifices, il offrait des remèdes et des compensations.

L'honorable M. T'Kint nous l'a dit avec raison, à la séance d'hier, l'agriculture, le commerce, l'industrie sont des choses solidaires et qui se touchent, qu'on ne peut pas envisager isolément, l'une après l'autre, mais d'après un système d'ensemble.

Or, le ministère a présenté la réforme douanière par tronçons et par lambeaux.

Le gouvernement croit qu'il sauve l'agriculture, le commerce et l'industrie ; c'est son appréciation, que je respecte ; il voudra bien respecter la mienne, quand je crois au contraire qu'il va compromettre.ces éléments de la prospérité publique.

Hier, c'était l'agriculture à laquelle on imposait des sacrifices sans compensations ; aujourd'hui c'est le commerce ; demain ce sera l'industrie ; messieurs, pourquoi le ministère qui est, lui, si partisan des projets d'ensemble, des projets indivisibles, lorsqu'il s'agit de réformes financières et de travaux publics, lui qui n’a pas voulu permettre à la chambre d’examiner séparément des projets béritablement distincts les uns des autres, pourquoi le ministère, qui agissait alors par la coalition des intérêts, agit-il aujourd’hui par la division des intérêts ?

Messieurs, je n'attaque pas les intentions ; il n'est pas dans mon (page 133) habitude de prêter aux autres des pensées que je ne voudrais pas qu'on me prêtât, mais je dis qu'il est dangereux de laisser croire, de permettre de supposer que, lorsqu'il s'agirait de la réforme agricole, on a voulu laisser espérer au commerce et à l'industrie que le jour de la réforme pour eux n'arriverait point, et de laisser croire aujourd'hui à l'industrie, lorsqu'il s'agit d'opérer une réforme commerciale, que le jour de la réforme industrielle n'arrivera pas pour elle. (Interruption.)

Je demande au ministère pourquoi il a deux systèmes complètement opposés l'un à l'autre : l'un, quand il s'agit de réformes financières et de travaux publics ; l'autre, quand il s'agit de la réforme agricole, commerciale et industrielle ; pourquoi il a un système d'ensemble, un système d'indivisibilité d'un côté, et pourquoi il procède par division de l'autre ?

Du reste, les illusions de l'industrie ne sont plus permises ; après le discours prononcé par M. le ministre des finances, il faudrait se faire grandement illusion pour espérer que la brèche dont il a parlé et qu'il veut faire au système commercial, que cette brèche ne sera pas faite aussi au système industriel.

L'honorable ministre des finances condamne le passé commercial de la Belgique comme il condamne son passé politique. Voilà sa doctrine. Il veut bien procéder par des réformes partielles, par transition, il veut bien ne pas abattre ces institutions révolutionnairement ; il enlèvera un membre aujourd'hui, un autre membre demain, la tête plus tard ; mais, enfin, notre système commercial, œuvre de tant d'années, le ministère le condamne en principe d'une manière absolue ; seulement il veut mettre du temps à le détruire.

Messieurs, nous aurons à défendre ce système commercial ; lorsque le moment de la discussion sera venu, nous aurons à prouver que ce système ne repose pas sur les idées protectionnistes, prohibitionnistes, mais qu'il repose sur la protection modérée, plus modérée que celle que l'on maintient en France et en Allemagne, aussi modérée que celle qu'on intronise aujourd'hui en Angleterre.

Messieurs, je comprends que lorsque le commerce et l'industrie du pays déclinent, lorsque de vives souffrances se manifestent dans les grandes industries du pays, je comprends qu'alors les chambres et le gouvernement s'émeuvent, qu'on parle de réformer le système existant ; mais la situation économique du pays est-elle mauvaise ?

Vous n'avez pas oublié, messieurs, le brillant exposé que l'honorable M. d'Hoffschmidt a fait, il n'y a pas longtemps, à la chambre, de la prospérité commerciale et industrielle du pays ; il nous a dit alors combien était magnifique le mouvement ascensionnel du commerce et de l'industrie depuis quelques années ; je cite un seul fait en passant, c'est que depuis dix années, le mouvement commercial du pays, exportations et importations, a doublé, est monté de 500 millions à près d'un milliard. Ni l'Angleterre, ni la France n'en peuvent dire autant.

Eh bien, messieurs, en présence de cette situation prospère, signalée par le cabinet, je le demande, quel besoin a-t-on d'alarmer, je répète le mot, d'alarmer les intérêts industriels du pays, en leur annonçant des réformes essentielles et dont la nécessité est si peu justifiée ?

Je ne veux pas, à coup sûr, l'immobilité ; des modifications prudentes peuvent être introduites dans notre législation douanière, quand les circonstances l'exigent, mais de pareilles modifications qui n'altèrent en rien le système établi, à la réforme de principe annoncée par M. le ministre des finances, il y a un abime.

Quoi qu'il en soit, messieurs, et c'est ici ma conclusion : si l'on veut réformer noire système commercial et industriel comme on a réformé notre système agricole, je dis qu'il faut deux choses, et j'attire l'attention de la chambre sur ce point : Je crois que nous avons le droit d'exiger que la chambre soit saisie de ce projet de réforme dans son ensemble : ces questions sont solidaires et il est impossible, il est dangereux de les examiner isolément les unes des autres ; il faut que nous sachions quelle est la réforme industrielle et douanière du cabinet, comme nous savons à peu près quelle est sa réforme commerciale, et comme nous savons tout à fait quelle est sa réforme agricole. La chambre a le droit de savoir quel est le système du gouvernement dans son ensemble, comme le gouvernement a voulu que la chambre connût l'ensemble de son système, quant à la reforme financière et aux travaux publics. Sans cela la chambre discuterait sans base ; les éléments mêmes de la discussion manqueraient ; une pareille manière de procéder pourrait conduire à l'anéantissement de notre système commercial sans que nous nous en doutions. Ainsi donc présentation d'un système avant que nous puissions adopter des réformes isolées.

En second lieu, le pays commercial doit être consulté. Comment ! cette œuvre commerciale de tant d'années, que vous voulez réformer (je me sers de votre expression), cette œuvre commerciale a été fondée laborieusement, de commun accord avec les chambres de commerce, avec le pays commercial ; et maintenant vous la condamnez, du haut de vos théories, sans consulter les chambres de commerce, sans leur poser des questions de principes, sans les avertir, pour ainsi dire !

Messieurs, permettez-moi de vous rappeler à la hâte les antécédents en cette matière.

M. le ministre des finances nous a rappelé, comme point de départ, que nous avions hérité, en 1830, de la législation des Pays-Bas de 1821 et de 1822. Je me permets de faire remarquer à la chambre que, d'après les idées de M. le minisire des finances, c'est à ce système que nous retournons, et je prie la chambre de ne pas oublier que ce système de 1821 et 1822 a été voté par le Nord contre le Midi, sous le royaume des Pays Bas.

On a appelé cet acte, l'acte de suprématie de la Hollande sur la Belgique. Relisez avec attention le discours de M. le ministre des finances et vous serez convaincus que c'est au tarif de 1832 qu'on veut nous faire retourner ; et le premier acte posé, le traité conclu avec la Hollande, je crains bien qu'on ne puisse l'appeler aussi un acte de suprématie de la Hollande sur la Belgique. Je n'insiste pas sur ce point. Quant aux grands actes par lesquels nous avons inauguré nos réformes douanières, ce sont la loi sur les céréales de 1834, les lois de 1834 et 1840 concernant l'industrie linière, le tarif de la réforme douanière du 7 avril 1838, et la loi commerciale de 1844.

Comment a-t-on procédé chaque fois qu'on a voulu modifier nos tarifs ? Non seulement on a consulté les chambres de commerce sur les projets de loi proposés aux chambres, mais on les a consultées presque toujours sur les principes de ces lois, avant même de les proposer.

Pour ne parler que de la question commerciale, quand M. de Focre a fait en 1834 sa première proposition, elle n'était pas accueillie avec faveur par la majorité ; cependant elle a été prise en considération.

Plus tard la chambre a cru devoir instituer une enquête parlementaire ; la commission qu'elle a nommée à cet effet a interrogé non seulement toutes les chambres de commerce du pays, mais toutes les notabilités industrielles ; et cela non sur un projet qui n'existait pas, mais sur le principe qui devait en être la base ; on lui a demandé : Voulez-vous de ce principe ? Quand la commission a présenté ses conclusions, elles furent de nouveau soumises à l'examen des chambres de commerce et ce n'est que quand treize chambres de commerce sur quinze, se furent prononcées en faveur du principe de ces conclusions,que la réforme commerciale fut décidée.

Quand le projet de M. Nothomb a été présenté aux chambres, une troisième fois nos chambres de commerce ont fait entendre leurs vœux et leur opinion.

Maintenant je vous le demande, est-il possible que nous procédions comme on nous le demande ? Pouvons-nous accepter une discussion de réforme commerciale sans projet d'ensemble et sans que le pays commercial ait été consulté ?

J'appelle l'attention du gouvernement sur ce point : j'engage le gouvernement, dans l'intérêt de sa responsabilité, à présenter le plus tôt possible son système dans son entier et à le soumettre préalablement à l'avis des organes du commerce et de l'industrie du pays.

Je vous ai dit que j'appuyais la prise en considération de la proposition de M. Coomans, parce qu'il serait peu convenable de repousser l'examen d'une proposition d'un caractère aussi sérieux ; mais j'ai un autre motif et je le dis tout de suite, je l'appuie comme une mise en demeure pour que le gouvernement présente un système complet que nous puissions examiner par tous ses côtés, en connaissant parfaitement sa pensée tout entière.

Motion d’ordre

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je vois dans le « Staats-Courant » qui vient d'arriver de la Haye l'exposé des motifs concernant le traité avec la Belgique. Je demande au ministère de faire insérer ce traité au Moniieur pour que nous connaissions tous pour quels motifs la Hollande a fait ce traité.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Si la chambre le désire, je m'empresserai de faire faire la traduction du document dont l'honorable M. Osy vient de parler et de le faire insérer au Moniteur. Du reste la chambre pourrait faire cela aussi bien que le ministère. (Interruption.)

Proposition de loi modifiant le tarif des douanes

Prise en considération

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dechamps vient d'appuyer la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Coomans.

Ce n'est pas cependant qu'il accepte les principes de son honorable ami à ce sujet : loin de là ; il désapprouve cette même proposition et il sera amené à la combattre lorsque le fond sera discuté ; mais il trouve tout simple et tout naturel de demander que la chambre la prenne en considération ; et il s'étonne beaucoup que le cabinet, parfaitement d'accord, selon lui, avec l'honorable M. Coomans, soulève une objection à cet égard.

« Quoi, dit-il, mon honorable ami M. Coomans, et vous, vous partez des mêmes idées, des mêmes principes ; vous tendez au même but et vous venez entraver la discussion de sa proposition. »

Messieurs, j'ai eu le malheur d'être bien mal compris, si j'ai pu induire l'honorable membre à penser que je partageais les idées de l'honorable M. Coomans. Loin de là, je les combats, article par article ; je repousse de tous points le système de l'honorable M. Coomans, et, je l'ai dit hier, je n'en adopte absolument rien. Je ne consentirai jamais à faire une réforme, quelle qu'elle soit, sur les bases indiquées par l'honorable membre. Comprenez-vous maintenant que je combatte la prise en considération ?

J'ai eu l'honneur de dire que, sur deux points fondamentaux, la proposition de l'honorable M. Coomans est directement et absolument en opposition avec nos idées : l'honorable M. Coomans veut renforcer à outrance, exagérer de la manière la plus considérable le système des droits différentiels.

(page 134) Il les concentre, il est vrai, sur huit articles, mais pour ces huit articles, qui sont, en réalité, les seuls importants dans le système des droits différentiels, il veut augmenter la protection des provenances directes au moyen d'une surtaxe de 40 francs par tonneau équivalant au double du fret d'Anvers à Londres. Je dois donc protester contre l'assimilation qu'on veut faire des idées que je défends, et de celles de l'honorable M. Coomans ; elles diffèrent du tout au tout.

L'honorable M. Coomans trouve bon encore augmenter de 50 p. c. les droits de douane sur une denrée qu'il considère comme aussi populaire que le pain. Je proteste de nouveau contre les idées de l'honorable M. Coomans à ce sujet. J'en suis l'adversaire déclaré, irréconciliable, de même que, lorsqu'il s'agit de la question des denrées alimentaires, je suis l'adversaire déterminé, irréconciliable, des idées de l'honorable M. Coomans.

L'honorable M. Dechamps comprendra peut-être maintenant qu'il a fort mal saisi ma pensée, et pourquoi je dois combattre la prise en considération. J'ai des motifs déterminants pour le faire, si c'est au point de vue des principes que je dois me placer.

Mais, comme je l'ai dit, je n'attache aucun prix, aucune valeur à la prise en considération telle qu'elle est sollicitée par les honorables membres : ce n'est là en réalité qu'une affaire de convenance, une simple formule de politesse ; et la proposition n'ira pas moins dormir paisiblement dans les cartons de la chambre ; or, nous n'en demandons pas davantage ; nous nous tiendrons pour satisfaits, si l'on veut montrer cette déférence pour l'initiative des membres de la chambre.

Je le répète, messieurs, je n'attache aucune espèce d'importance à la prise en considération ainsi entendue, ainsi formulée, ainsi justifiée. Seulement j'ai dû faire remarquer à la chambre que la proposition ne peut aboutir à rien, qu'elle ne peut pas être l'objet d'une discussion, et c'est ce qu'avouent même ses défenseurs.

M. Coomans.- Je n'ai pas avancé cela du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez : l'honorable M. Dechamps vient d'avouer que les documents faisant défaut, la proposition ne pourrait pas être sérieusement examinée ni discutée à fond. Eh bien, messieurs, j'ai fait remarquer qu'il était parfaitement inutile de voter la prise en considération d'une proposition alors que celle-ci ne pouvait amener aucun résultat.

Voilà un premier motif. J'en ai un second : le gouvernement, ai-je ajouté, va très incessamment faire des propositions ; ces propositions s'appliqueront au système commercial, et ainsi la chambre sera tout naturellement saisie de la question.

J'ai dit, messieurs, que l'honorable M. Dechamps vient de déclarer que la question n'est pas, dans l'état où elle se trouve, susceptible d'être examinée par la législature. En effet, que soutient l'honorable M. Dechamps contre les idées que nous avons exposées ? Il prétend qu'il est impossible d'admettre de notre part un projet sur de pareilles matières sans avoir consulté personne, sans avoir entendu aucun homme compétent, sans avoir entendu les intéressés, sans avoir enfin consulté les chambres de commerce.

Ainsi il y a une fin de non-recevoir contre les propositions éventuelles du gouvernement, du gouvernement qui dispose de toutes les forces de l'administration, qui a à sa disposition tous les renseignements nécessaires, qui peut s'éclairer et éclairer la chambre ; mais cette fin de non-recevoir n'existe pas contre la proposition de l'honorable M. Coomans ; est-ce logique ? est-ce conséquent ?

M. Malou. - Très logique, très conséquent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui sans doute, c'est très logique, très conséquent, comme le dit l'honorable M. Malou, si, après avoir pris cette proposition en considération, la chambre ordonne qu'elle soit renvoyée au gouvernement pour être examinée et qu'elle soit transmise aux chambres de commerce ; si la chambre décide qu'elle ouvrira une grande enquête. (Interruption.)

Je soupçonnais bien que c'était ainsi qu'on se mettait d'accord avec la logique.

Mais permettez cependant que le gouvernement, lorsqu'il annonce des propositions, se réserve le soin de les justifier quand le moment en sera venu, de les justifier à l'aide de tous les documents qu'il croira nécessaire de réunir, sauf à vous, messieurs, d'apprécier ultérieurement si ces renseignements suffisent pour s'éclairer, sauf à vous de les combattre lorsqu'ils seront produits.

Mais quant à vos critiques anticipées, quant au blâme que vous voulez infliger au gouvernement parce qu'il annoncerait des propositions sans avoir consulté des hommes compétents, attendez que ces propositions nous soient soumises pour vous prononcer.

L'honorable M. Dechamps proteste d'avance contre les projets du gouvernement : le gouvernement, qui a blâmé la politique ancienne, s'ecrie M. Dechamps, condamne aussi, au grand déplaisir de l'honorable membre, la politique commerciale des dix-sept années qui viennent de s'écouler.

Messieurs, lorsque nous sommes arrivés aux affaires, l'honorable M. Dechamps nous disait : « Vous parlez de politique nouvelle ; eh ! cette politique nouvelle ne peut pas exister » ; nous sommes d'accord, il n'y a qu'un simple malentendu entre nous ; c'est un malentendu qui a fait toutes nos querelles pendant 17 ans.

L'honorable membre a fini par s'apercevoir peu à peu, et je crois qu'il est aujourd'hui tout à fait désillusionné, qu'il ne s'agissait pas d'un simple malentendu, mais d'un différend très sérieux, très profond, très radical...

M. Dechamps. - C'est très vrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dechamps se trompait donc dans l'apprécialion qu'il avait faite de nos luttes pendant 17 ans et sur la signification de notre avènement au pouvoir.

Eh bien, je crois qu'il se trompe aussi dans l'appréciation qu'il fait de nos opinions sur la politique commerciale du pays. Nos idées, qui ne seront pas sans doute tout à fait conformes à celles de l'honorable membre ; je n'affirme rien cependant, car les opinions de l'honorable M. Dechamps ne sont ni bien précises, ni bien déterminées, et l'on pourrait prétendre à bon droit qu'elles sont insaisissables. Il n'est pas trop protectionniste, il n'est, pas trop partisan de la liberté commerciale ; pourtant il est plutôt protectionniste, mais d'un proteclionisme mitigé, quelque chose de doux et de bien arrangé.

M. Dechamps. - Modéré.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Modéré ; voilà précisément. Où finit, où commence sa modération ? C'est là ce qu'il faudrait nous indiquer.

L'honorable membre, par contre, afin de relever la position qu'il prend et de pouvoir commodément opposer sa vague modération aux principes qu'il nous attribue, suppose que nous voulons tout détruire, tout renverser, supprimer le tarif des douanes et inaugurer la liberté commerciale comme elle n'existe nulle part ; il affirme que, sans tenir compte des faits les plus graves, des intérêts les plus légitimes, nous voulons tout changer, et dans cette hypothèse, la critique est si belle et si facile !

Eh bien, messieurs, je crois qu'à l'exception de l'honorable M. Dechamps, personne ne se méprendra sur nos idées, sur nos intentions, sur nos projets.

Y a-t-il des vices dans notre législation ? Y a-t-il des anomalies, des inconséquences, je dirai des absurdités ? Peut-on améliorer ce système ? Peut-on réformer les vices qu'on y rencontre ? Qui oserait le nier ?

Faut-il, en améliorant, alarmer nécessairement tous les intérêts, jeter la défiance et l'inquiétude partout ? L'honorable M. Dechamps assure que c'est là ce que nous faisons. Je soupçonne que c'est là ce qu'il voudrait tenter.

Il n'y réussira pas. Nous n'alarmons ni n'inquiétons aucun intérêt légitime, et lorsque nos propositions seront formulées, vous pourrez vous convaincre que les prédictions de l'honorable membre ne se réaliseront pas.

Il faudrait, dit-on, apporter un système d'ensemble, il faudrait soumettre à la chambre un projet de loi sur le système commercial et sur le système industriel ; c'est ainsi qu'on a procédé partout, c'est ainsi qu'on a procédé en Angleterre, c'est l'honorable M. Dechamps qui l'affirme.

Mais d'ordinaire l'honorable M. Dechamps a une histoire à son propre usage ; ce n'est pas précisément de l'histoire vraie, c'est de l'histoire appliquée aux circonstances, modifiée selon les besoins de la cause au nom de laquelle parle l'honorable membre.

Or, rien n'est moins exact que ce que l'honorable M. Dechamps affirme sous ce rapport. Le système commercial de l'Angleterre n'a pas été tout à coup changé profondément, radicalement par la réforme de sir Robert Peel ; le système commercial de l'Angleterre a été attaqué pendant plus de 30 années ; il a été successivement ébréché, dans ce laps de temps, pendant cette longue période de 30 années,

Huskisson, bien avant sir Robert Peel, avait introduit de grandes réformes dans la législation ; il n'a pas tout essayé en même temps, pas plus que sir Robert Peel n'est venu le faire après lui.

Vous prétendez que le système de sir Robert Peel a été présenté d'ensemble, parce qu'au moment où il a proposé des mesures, il a touché à la fois et aux intérêts agricoles et aux intérêts industriels. Mais vous oubliez que, pendant de longues années, le système, en ce qui regarde l'agriculture, a été constamment séparé des autres intérêts, et cela par une raison bien simple, c'est que ces intérêts ne sont susceptibles d'être réglés par les mêmes principes, ni en Angleterre, ni dans aucun autre pays du monde.

Vous oubliez que la législation anglaise sur les céréales a été constamment l'objet de modifications parfois contradictoires pendant plus d'un siècle.

Vous oubliez que sir Robert Peel, bien loin d'apporter ce prétendu système d'ensemble dont vous parlez, proposa la réforme des lois de céréales et du tarif douanier sans s'occuper des lois de navigation et que celles-ci n'ont été abolies qu'en 1849.

Messieurs, lorsque nous aurons à proposer des réformes, nous le ferons au moment utile et opportun. Nous ne croyons pas qu'il y ait cette intime union dont parle l'honorable membre, entre les divers intérêts, et que, pour réformer la législation, relative à la navigation, par exemple, il faille nécessairement toucher en même temps aux lois qui règlent le système industriel. Il y a là sans doute des points de contact, des rapports, mais il n'y a pas de solidarité.

Et si vous l'aviez pensé vous-même, auriez-vous procédé comme vous l'avez fait ? Est-ce que le système que nous avons aujourd'hui - si c'est à proprement parler un système - a été fait tout d'une pièce ? Est-il arrivé en une fois à l'état où nous le voyons ? Est-il né d'une même idée, d'une même pensée ?

Mais vous avez introduit une réforme exclusivement douanière en (page 135) 1830, sans modifier votre régime commercial et de navigation ; en 1834 et en 1835 vous avez introduit d'autres réformes, sans parler du système commercial, du système de navigation ; en 1843, vous avez fait des réformes dans le tarif douanier, toujours en aggravant le système protectionniste, et c'est en 1844 seulement que le système des droits différentiels a été inauguré.

Nous pouvons donc procéder à la réforme de ces diverses lois séparément, de même que vous êtes arrivés à les constituer séparément.

On verra, lorsque les modifications à introduire dans nos lois de navigation vous seront soumises, s'il y a lieu à un plus ample informé ; on verra si cette affaire n'est pas aujourd'hui arrivée à un point de maturité tel qu'il soit utile ou prudent d'en différer la solution ; on verra enfin si l'honorable M. Dechamps lui-même ne sera pas obligé d'avouer qu'il y a nécessité absolue d'introduire des changements dans notre législation.

Je me réserve de démontrer, peut-être même à l'aide des paroles de M. Dechamps, que le moment opportun est arrivé de soulever ces questions, que des modifications doivent être faites, et notamment celles que nous voulons proposer.

L'honorable M. Dechamps n'a pris aujourd'hui la parole que pour annoncer qu'il serait et qu'il était dès ce moment opposé à la plupart des mesures que suppose le discours que j'ai prononcé dans une précédente séance. Je crois que l'honorable membre se hâte trop. Il a eu, je crois, quelque peine, après avoir relu ce discours, à y trouver quelque arme en faveur de son opposition, car il n'a pas cité un seul mot qui pût justifier les paroles qu'il a prononcées aujourd'hui. Mais il nous attribue des idées, des intentions ; il croit apercevoir une tendance fâcheuse, et c'est cette tendance qu'il se hâte de condamner. J'engage l'honorable membre à plus de justice et de modération. Il ne doit pas autant se hâter de lancer des accusations. Il sera temps de se prononcer quand nos intentions seront formulées en projets de loi.

Quant à la proposition de l'honorable M. Coomans, je termine par la même observation que j'ai faite en commençant ; la prise en considération est sans intérêt pour l'honorable membre. Si c'est une simple formule de politesse qu'il demande, il pourrait se dispenser de la solliciter de la chambre, et ce qu'il y aurait de mieux à faire pour lui, ce serait de retirer sa proposition, sauf à reproduire ses idées quand celles annoncées par le gouvernement seront soumises à la législature.

Jusqu'ici, l'annonce de présentation de projets sur des matières qui avaient été l'objet de l'initiative d'un membre de la représentation nationale, a presque toujours été considérée comme un motif suffisant de retirer les propositions de loi déposées. Il en a été ainsi dans plusieurs circonstances que je crois inutile de rappeler.

M. Delehaye - (page 139) Messieurs, à mon tour je viens combattre la prise en considération de la proposition de M. Coomans, et cela principalement pour deux raisons : la première c'est que, dans mon opinion, l’époque d'abandonner le système protecteur n'est point venue ; la seconde, c'est qu'il faut écarter, dès son origine, toute proposition pouvant ébranler la confiance que réclame l'industrie et sans laquelle nos industriels feraient vainement des efforts pour rivaliser avec l'étranger ; la seconde, c'est que la proposition de M. Coomans présente encore un autre inconvénient dont les conséquences ont dû agir défavorablement sur nos relations avec les pays étrangers, et notamment sur nos négociations avec la Hollande.

Comment en effet, messieurs, peut-on espérer qu'une nation soit bien disposée à faire de grandes concessions à un pays où l'on proclame comme la conception la plus belle et la plus avantageuse l'assimilation de tous les pavillons au pavillon national ?

Pour la Hollande, la question industrielle n'a qu'une importance secondaire. Chez elle, le commerce occupe le premier rang ; il emprunte un caractère d'intérêt national devant lequel tout s'efface ; c'est en faveur de son commerce et par conséquent de son pavillon qu'elle recherche avant tout des concessions. Si vous exceptez la pêche qu'elle favorise moins comme un élément industriel que comme source de sa prospérité navale, si vous exceptez encore quelques parties de son agriculture, la Hollande se montrera assez facile dans les négociations, pour tout ce qui s'attache à l'industrie, alors surtout que vous êtes en mesure de lui présenter quelque faveur de navigation ou de pavillon.

Mais en présence de la proposition de M. Coomans, qui ne tend à rien moins qu'à céder à la Néerlande tout ce qu'elle peut désirer, sans qu'elle nous fasse la plus petite concession, quel motif engagerait encore nos voisins à traiter avec nous ? La Hollande veut avant tout l'assimilation du pavillon, et vous, M. Coomans, vous voulez aller au-devant de tous ses désirs, sans qu'il soit besoin de traité, sans aucune compensation.

Soyez persuadés, messieurs, que la proposition que l'on nous demande de prendre en considération n'a pas peu contribué à rendre plus difficiles les négociations avec la Hollande, que l'on veut tant combattre aujourd'hui.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - C'est très vrai.

M. Mercier. - M. Coomans n'est pas la chambre ; c'est une opinion individuelle qui ne pouvait être invoquée sérieusement contre nous dans la négociation.

M. Delehaye. - Il suffit souvent qu'un seul membre émette une semblable opinion dans une assemblée délibérante, pour que dans une négociation internationale on prévoie le cas où elle rallierait la majorité. Et dans tous les cas, on est sûr de trouver quelque appui.

Messieurs, aussi longtemps que vous n'aurez pas renoncé aux projets de faire ces traités de commerce et de navigation, vous aurez tort de proclamer ici les avantages de la liberté commerciale ou industrielle. Pour quelle raison, en effet, les nations industrielles ou commerçantes chercheraient-elles à entrer en négociation avec nous, si, à tout instant,uous proclamons comme le plus beau système celui du libre échange ?

M. Coomans, faisant allusion à mon opinion sur le système protecteur, vous a dit qu'il était plus rapproché des idées du gouvernement que nous. Cela est vrai, messieurs ; aussi je repousse la prise en considération de sa proposition, comme je repousse les doctrines trop étendues que le gouvernement professe parfois en matière d'industrie. Pour moi, messieurs, il ne suffit pas que l'Angleterre se soit rapprochée sur quelques points du système libéral ; j'examine tous ses antécédents ; je pèse les motifs de ses actes, comme je médite profondément sur la sagesse et la prudence qui président aux résolutions de ses hommes d'Etat. Aussi, messieurs, voyez avec quelle réserve l'Angleterre fait un pas vers le système libéral. Elle proclame la liberté du commerce des céréales, mais elle ne le fait que pour venir au secours de son industrie que le système protecteur le plus puissant a élevée au premier rang en Europe.

Elle veut l'affranchissement du pavillon étranger, mais elle se réserve la faculté exclusive du cabotage intérieur. Elle ne concède à aucune puissance le droit de transporter les produits d'un port anglais à un autre port anglais ; et cependant quelle n'est pas la puissance de sa marine ! Et pour l'industrie, combien n'a-t elle pas de branches qu'elle couvre encore de toute la faveur du système protecteur ! Combien n'y a-t-il pas de nations, de colonies, où grâce à sa puissance, à ses relations puissamment établies, où, seule, son industrie trouve des débouchés inépuisables !

Voyons, messieurs, un autre exemple de l'effet du système que je préconise. En France, l'industrie linière pour laquelle ce pays était notre tributaire, prend tous les ans de nouveaux développements ; nos exportations vers la France diminuent continuellement. La France acquiert insensiblement un degré de perfection pour la production des fils et tissus de lin, qui lui permet de braver toute concurrence. A quoi, messieurs, doit-elle ce perfectionnement ? Croit-on sérieusement que si la France avait admis la libre entrée des produits similaires étrangers elle serait parvenue au point où nous la trouvons ? N'est-ce pas à l'effet de mon système qu'elle doit la supériorité qu'elle a obtenue ? Et nous-mêmes, messieurs, quelle est la branche de notre industrie présentant aujourd'hui quelque avenir que nous n'ayons encouragée à son berceau ? Comme la France et l'Angleterre, comme cette dernière surtout, n'admettons le système du libre échange, que pour ces produits qui sont parvenus à un degré de perfectionnement assez élevé pour ne pas avoir à craindre de concurrence. N'admettons-le surtout qu'en faveur de ces pays qui nous payent d'une juste réciprocité.

En présence des faits que je viens de vous signaler, messieurs, il y aurait inconséquence de ma part de ne pas repousser jusqu'à la prise en considération même de la proposition de M. Coomans.

Les termes dans lesquels elle est formulée rendent mon opposition plus légitime encore.

Il admet indistinctement une protection de 20 et 10 pour des produits dont quelques-uns peuvent parfaitement se passer de toute protection et dont d'autres ne réclament pas à beaucoup près autant.

Pour moi, mosieurs, je n'admettrai jamais une protection dépassant les besoins de l'industrie elle-même. Par la protection je veux affranchir le travail national de toute concurrence inégale ; si cette concurrence peut se faire, dans des conditions égales, je veux respecter les droits des consommateurs, dans l'intérêt desquels j'admets la protection comme pouvant seule les soustraire un jour au monopole qu'exercerait l'industrie étrangère.

Si M. Coamans fixe le degré de protection sans considération des besoins réels de l'industrie, il n'est pas juste non plus envers ceux à qui il dénie toute faveur. La céruse ,par exemple, est privée de toute protection. Cependant, messieurs, ce n'est qu'à l'aide de la faveur douanière que la fabrication de la céruse a pris du développeront dans le pays.

M. Coomans. - Je regarde la céruse comme une matière première.

M. Delehaye. - Un dernier motif qui m'engage encore à repousser la prise en considération, c'est l'un des arguments mis en avant par M. Dechamps. « On pourrait, dit l'honorable membre, ajourner la proposition après la prise en considération. » Oui, messieurs, on pourrait l'ajourner ; pour moi, je verrais là un grand mal ; à l'industrie, il faut de la sécurité ; les intérêts qui y sont engagés ne doivent pas être tenus en suspens.

Permettez-moi, messieurs, de répondre quelques mots aux opinions émises hier sur quelques actes de l'administration communale de la ville dont je tiens un double mandat. Répondant à mon honorable ami, M. T'Kint de Naeyer, l'auteur de la proposition lui reproduit le droit de mouture maintenu à Gand. Ce droit, messieurs, il n'est parmi nous personne qui ne s'applaudirait de sa suppression ; mais, avant tout, il est de notre devoir de chercher à le remplacer. Gand a de grands, d'utiles, de beaux établissements, mais il lui en manque plusieurs que réclame vivement la charité publique. Il nous reste des sacrifices à faire pour (page 140) améliorer la condition de la classe ouvrière. L'instruction publique, à nos yeux, le plus grand bienfait qu'une sage administration puisse étendre sur la population, exige encore d'assez fortes dépenses. L'hygiène publique nous impose aussi des devoirs que, dans notre vive sollicitude, nous désirons remplir promptement. Ces considérations, messieurs, nous mettent dans la dure nécessité d'ajourner, pour quelque temps encore, la réalisation de notre vœu le plus ardent. En attendant que ce droit disparaisse de notre tarif, nous cherchons, par tous les moyens, à le justifier aux yeux de l'homme impartial. Nous en consacrons le revenu au soulagement de la classe ouvrière. Quand le prix du pain est très élevé, c'est dans la réserve que nous permet de faire cette mesure financière que nous trouvons le moyen de mettre le pain à la portée des ressources de nos ouvriers.

Dans l'année calamiteuse de 1848, la ville de Gand a sacrifié plusieurs centaines de mille francs pour réduire le prix du pain, dans l'intérêt de la classe ouvrière.

Voilà ce que l'honorable M. Coomans aurait dû vous dire.

Ainsi, dans notre opinion, ces droits sur la mouture ne peuvent se justifier que comme mesure temporaire et par le bon emploi que nous en faisons. C'est pour suppléer en quelque sorte à l'imprévoyance de la classe ouvrière qui, malheureusement, ne songe guère au lendemain, que nous les maintenons.

Mais que l'honorable M. Coomans nous indique un autre moyen de nous créer des ressources pour venir en aide à la classe ouvrière et nous nous empresserons de l'adopter.

L'honorable M. Coomans met encore en cause la ville de Gand ; je ne sais trop pourquoi il a cherché à faire deux catégories d'ouvriers ; il a parlé des ouvriers des villes et des ouvriers des campagnes, et il a oublié que les ouvriers employés dans les fabriques de Gand sont en grande partie des ouvriers de la campagne, car, dans les Flandres, où les exploitations agricoles ont peu d'importance, il n'y a pas pour ainsi dire d'ouvriers exclusivement agricoles, et le travail qu'ils trouvent dans les villes est pour eux une ressource précieuse dont ils ne peuvent se passer.

C'est donc bien à tort que l'on établit pour les ouvriers des villes et ceux des campagnes des catégories qui n'existent pas. Ne voyons que des ouvriers dignes de notre sympathie, de notre sollicitude. Traitons-les également ; ne faisons pas de distinction entre eux.

Un dernier mot :

On a fait à la ville de Gand un reproche des primes qu'on y a reçues. Mais on a oublié que ces primes accordées pour maintenir le travail constituaient pour ceux qui les recevaient un sacrifice plutôt qu'un avantage. On ne remarque pas, messieurs, que les primes n'ont été données qu'en faveur de l'ouvrier, que plusieurs industriels les ont refusées ; qu'on ne les obtenait qu'à des conditions parfois très onéreuses. Ceux des industriels qui ont accepté ces conditions se sont en quelque sorte mis en lieu et place du gouvernement, ils ont continué à donner du travail à des ouvriers qui, en présence de la stagnation, des affaires allaient se trouver sur la place publique sans aucune ressource. Il est à ma connaissance que tel industriel qui, comprenant les intentions bienveillantes du gouvernement, s'y était associé, a perdu des sommes assez considérables.

Telles sont, messieurs, les considérations que j'ai cru devoir vous soumettre.

M. T'Kint de Naeyer. - (page 135) Messieurs, j'ai dit hier quelle est mon opinion sur la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Coomans. L'honorable membre m'a adressé depuis une série d'interpellations. Je craindrais d'abuser des moments de la chambre, si je cherchais à y répondre en détail ; mais que M. Coomans me permette de lui soumettre, à mon tour, une question sur laquelle je voudrais bien avoir son avis.

Supposons un instant que l'échelle mobile soit rétablie. Lorsque les prix des grains seront arrivés à une certaine hauteur, laissera-t-on le cultivateur recueillir tous les bénéfices qu'il pourrait obtenir ? (Interruption.)

Evidemment non, le droit en s'abaissant permettra l'entrée des grains étrangers.

Si, au contraire, le droit était fixe, mais élevé (vous le désirez naturellement ainsi ; car sans cela à quoi bon demander un changement dans le tarif), maintiendrez-vous ce droit en temps de disette ?

M. Coomans. - Non.

M. T’Kint de Naeyer. - Alors ce n'est plus un droit fixe.

Par quel moyen mettrez-vous obstacle à un renchérissement excessif ? Comment suppléerez-vous à ce qui manquera pour l'alimentation du peuple ? Est-ce que vous pourrez, à l'instant même, doubler, tripler la production des céréales ?

Voyons maintenant, messieurs, si les droits d'entrée qui protègent nos manufactures pourront amener des prix exorbitants. M. le ministre des finances vous le disait hier, les prix peuvent augmenter proportionnellement, jusqu'à ce que la concurrence puisse s'établir à l'intérieur. N'esl-ce pas ce qui toujours arrive ?

Croyez-vous de bonne foi que nos fabricants réalisent des bénéfices excessifs ? (Interruption.) Vous voyez donc bien qu'il n'y a aucune assimilation à établir ici, que l'agriculture et l'industrie ne peuvent pas être soumises à la même législation.

La concurrence intérieure est un puissant correctif. Depuis quelques années, le prix de tous les articles manufacturés a considérablement baissé.

L'honorable M. Coomans peut être parfaitement rassuré à cet égard, nos industriels ne prélèvent aucune taxe aux dépens du consommateur. Messieurs, j'ai eu occasion de le vérifier moi-même, les étoffes qui servent à vêtir l'ouvrier ne coûtent pas plus cher en Belgique qu'à Londres ; ainsi, par exemple, une chemise de coton de bonne qualité se vend à Londres 3 schellings, 3 fr. 75 ; vous pouvez obtenir une chemise de coton en Belgique à un prix plutôt inférieur. Mais alors vous me direz : Comment expliquez-vous ce phénomène, pourquoi demandez-vous une protection en faveur de l'industrie ? La raison en est fort simple : l'Angleterre entend autrement la division du travail qu'on ne l'entend chez nous ; en Angleterre, le manufacturier n'est pas commerçant ; il produit immensément et par là il parvient à vendre à bon marché ; la marchandise passe par deux ou trois intermédiaires avant d'arriver à l'ouvrier, et chaque fois un bénéfice a été perçu.

Enfn, le détaillant anglais lui-même, il faut le reconnaître, ne se contente pas de la position modeste qui est faite au détaillant en Belgique, ses dépenses sont plus considérables, il est obligé de vendre plus cher.

Remarquez-le bien, messieurs, c'est là un point capital, ce n'est pas le détaillant qui vient nous vendre les marchandises étrangères, c'est le fabricant.

Pour le coton, par exemple, quand on travaille 300 millions de coton brut comme en Angleterre ou qu'on en emploie 65 millions comme en France, on doit chercher à déverser l'excédant de sa production sur les marchés voisins, on aime mieux vendre là avec 20 ou 30 p. c. de perte que de gâter les prix à l'intérieur.

L'honorable M. Coomans m'a demandé si une protection de 20 p. c. ne me suffisait pas. Messieurs, nous n'avons pas à discuter en ce moment le chiffre de la protection qui convient à telle ou telle industrie, toutefois je consens à résumer ma pensée en ce qui concerne le tarif. Pour que le tarif soit équitable, il ne doit pas seulement tenir compte de l'inégalité qui résulte des lieux, de l'époque où une industrie a commencé, de la différence qui existe dans les dépenses de création et d'établissement, de la différence dans le prix du combustible, dans la somme de la main-d'œuvre, dans l'intérêt des capitaux, mais il faut encore, et c'est là surtout ce qui est important, que le tarif puisse nous protéger contre les révolutions industrielles qui arrivent périodiquement chez nos voisins.

Des mesures exagérées n'auront jamais mon appui, je prie l'honorable M. Coomans d'en être bien convaincu. Je repousse l'estampille d'une manière encore plus absolue que lui, peut-être, car je ne l'ai jamais recommandée, dans aucune circonstance.

Je veux pour l'agriculture une protection réelle, des primes, puisque vous appelez ainsi les subsides pour la voirie vicinale, la suppression des péages, etc. Vous n'en voulez pas, je m'en étonne, et je pense que beaucoup d'agriculteurs seront de mon avis.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. de Theux. - Si la chambre est disposée à clore, je renoncerai à la parole ; mais si la discussion continue, je réclamerai mon tour.

M. le président. - Il y a encore plusieurs orateurs inscrits ; M. Coomans vient après M. de Theux.

Plusieurs membres. - Donnez la parole à l'auteur de la proposition.

M. Coomans. - Messieurs, je suis prêt à renoncer à la défense que j'avais préparée contre certaines attaques qui ne m'ont pas été épargnées, et à mettre un terme à ce débat, quelque épineux qu'il soit pour mes honorables adversaires ; mais je tiens à rectifier quelques faits dénaturés, et à donner un mot de réponse aux honorables députés de Gand.

- Plusieurs membres. - Parlez, parlez.

M. Coomans. - Je n'abuserai pas de la permission. L'honorable ministre des finances vient d'affirmer une chose qui a dû faire impression sur la chambre, c'est qu'il n'accepte pas de ma proposition un seul mot, une seule syllabe. S'il en était ainsi, l'honorable ministre serait certainement logique dans son opposition et je comprendrais jusqu'à un certain point qu'il repoussât la prise en considération de mon projet de loi. Mais, messieurs, il n'en est rien ; je déclare hautement que M. le ministre se trompe. Pour le démontrer, permettez-moi de vous lire certains articles sur lesquels je suis très sûr que M. le ministre sera pleinement d'accord avec moi ; il lui sera très aisé de me répondre par oui ou par non, s'il ne recule pas devant une explication netle et précise.

L'article premier de mon projet de loi établit une protection maximum de 20 p. c. pour les fabricats. A ce propos je dois dire à l'honorable M. Delehaye qu'il s'est mépris sur ce point.

L'honorable membre pense que je voudrais, par mon projet de loi, accorder à tous les fabricats quelconques la même protection. Du tout, messieurs, il se trompe ; je ne propose pas d'élever le taux du droit perçu sur les articles tarifés aujourd'hui au-dessous de 20 p. c. Les articles, par exemple, qui ne payent que 6 ou 7 p. c. continueront à payer 6 ou 7 p.c. Je maintiens le statu quo pour tous les droits au-dessous de 20 p.c, mais je nivelle tous les droits supérieurs à ce taux.

M. Delehaye. - Et la céruse ?

M. Coomans. - Messieurs, la céruse est bien peu de chose dans une tarification générale ; j'espère bien que la céruse ne viendra pas compliquer ce débat qui est déjà bien assez étendu.

Je considère, avec le gouvernement, la céruse comme matière première et j'en propose la libre entrée pour rester fidèle à mon principe. Du reste la céruse n'a qu'à s'en prendre au ministère qui vient de la sacrifier, avec bien d'autres choses, par le traité hollando-belge.

Je disais donc, mtssieurs, que, d'après l'article premier, j'établissais un maximum de protection de 20 p. c. pour tous les objets fabriqués ; j'espère que l'honorable minisire des finances est complètement d'accord avec moi.

Sur ce point, ou je ne comprends rien à la doctrine que l'honorable (page 136) ministre professe avec tant de franchise, ou il doit considérer un droit de 27 p. c. comme suffisamment protecteur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui et non. Cela dépend du prix relatif des marchandises.

M. Coomans. - J'aimerais mieux un oui ou un non tout court.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais cela n'est pas possible.

M. Coomans. - Cela est possible, mais cela ne vous paraît pas prudent.

Je dis qu'en thèse générale, l'honorable ministre des finances, qui j'avoue libre-échangiste, doit considérer une protection de 20 p. c. comme suffisante, lui qui a soutenu que 20 p. c. équivalent à une prohibition, et que toute prohibition a de mauvais effets.

Après cela il y aurait moyen de s'entendre quant aux détails. (Interruption.) L'honorable ministre veut-il, et c'est, je crois, le sens de son interruption, que certains articles soient protégés de plus de 20 p. c. ? Nous nous entendrons facilement. (Interruption.) Je m'engage d'avance à accepter toutes les augmentations que l'honorable ministre voudra bien m'indiquer. J'espère qu'il n'abusera pas de la carte blanche que je lui donne.

Ainsi nous voilà d'accord sur l'article premier qui renferme plus d'un mot et plus d'une syllabe.

L'article 2 n'est que la conséquence et l'extension de l'article premier. Il tend à établir chez nous, au bout de 10 ans, le régime anglais que M. le ministre admire tant. Donc l'honorable ministre acceptera encore l'article 2. Comptez bien, messieurs.

L'article 3 affranchit de toute espèce de droit d'entrée à peu près 200 articles du tarif qui ne produisent en sommes que 760,000 fr. C'est une simplification de tarif, et je demande formellement à l'honorable ministre des finances si son intention n'est pas de simplifier le tarif dans le sens de mon article 3, s'il ne se propose pas d'en éloigner les articles peu productifs ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le simplifierai autrement que vous voulez le faire.

M. Coomans. - Vous le simplifierez autrement, dites-vous ; je ne connais qu'une manière de le simplifier, qui est la mienne. Mais, nous vous attendrons à l'œuvre. Je pense que nous nous entendrons encore là-dessus.

Je propose d'effacer du tarif 200 articles pour le simplifier de manière à ne pas laisser subsister des taxes nominales, stériles et parfois ridicules. Telle est aussi l'intention de l'honorable ministre, je ne crains pas de l'affirmer, sans être dans le secret de ses bureaux.

Nous sommes donc encore d'accord, bien que M. le ministre affirme que de tout mon projet il n'accepte pas un seul mot, pas une seule syllabe. Comptez toujours.

Je lis l'article 4 :

«A partir de la même époque (1er janvier 1852) tous les pavillons étrangers seront assimilés au pavillon belge sous condition de réciprocité. »

Nous sommes encore d'accord là-dessus, l'honorable ministre des finances et moi. Je le défie de me contredire, car c'est ce qu'il a fait lui-même par son traité avec la Hollande. Il abolit les droits différentiels de pavillon sous condition de réciprocité. Mais j'applique ce principe d'une manière générale ; je proclame d'avance que tous les peuples qui nous accorderont cet avantage en jouiront aussi chez nous ; l'honorable ministre au contraire procède à cette utile réforme par des applications isolées. Voilà toute la différence. Nous voilà encore d'accord, ce me semble. L'honorable ministre ne veut pas des droits différentiels de pavillon. Je les sacrifie également, et non sans regret, afin de nous ouvrir les ports de nos voisins. S'il en veut qu'il le dise. Il ne le dira pas.

L'article 9 me fournit encore l'occasion de constater un parfait accord entre l'honorable ministre et moi. Je sais que cette conformité d'opinion lui déplaît, mais je dois la reconnaître :

D'après cet article 9, je ne soumets qu'à un simple droit d'enregistrement les navires étrangers qui obtiendront le pavillon belge. Je propose 1 p. c. L'honorable ministre diffère-t-il avec moi, sur le chiffre ? S'il me démontre qu'un pour cent est trop ou trop peu, nous pourrons nous entendre encore. Mais je suis persuadé que ce principe est admis par l'honorable ministre. Je suis bien sûr que son intention est de supprimer les primes de construction, et comme conséquence de cette mesure, de facililer la nationalisation des navires étrangers.

L'article 10, le dernier de mon projet, porte que « seront abolis tous les droits et toutes les prohibitions de transit pour les marchandises transportées par chemin de fer ». Nous sommes encore d'accord avec l'honorable ministre des finances qui se vantait hier d'avoir si libéralement affranchi le transit en Belgique.

Voilà presque tout mon projet de loi ; voilà ses bases essentielles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout.

M. Coomans. - L'honorable ministre, je le sais, voit une très grande difficulté dans le maintien que je propose des droits différentiels de provenance ; il trouve que ce droit est trop élevé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tout votre projet est là dedans.

M. Coomans. - Tout mon projet est là dedans, dit l'honorable ministre. Eh bien, il y aura encore moyen de s'accorder ; je suis certain que l'honorable ministre des finances a l'intention de maintenir au moins pour un certain temps, qui pourrait bien durer quelques années, les droils définitifs de provenance.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous verrons.

M. Coomans. - Ces droits doivent être maintenus, c'est mon opinion ; je crois que c'est celle de l'honorable ministre. Ce principe est si évidemment dans la pensée de l'honorable ministre, qu'il est consacré par le traité avec la Grande-Bretagne.

Donc la condamnation générale qu'a prononcée l'honorable ministre contre les droits différentiels souffre déjà une exception grave quant aux droits différentiels de provenance, exécution qu'il a oublié de consigner dans son manifeste de mardi.

Les droits différentiels que je perçois sur certains articles de consommation populaire ne nuiront jamais aux consommateurs, au contraire, attendu qu'il est de leur intérêt d'habituer le commerce à s'approvisionner dans les pays de production.

Ceci me mènerait trop loin, messieurs ; je renonce à justifier en détail cette partie de mon projet.

Un mot de réponse à l'honorable M. Delehaye. Je le remercie de sa parfaite sincérité ; je n'attendais pas moins de lui. Quand on discute avec l'honorable M. Delehaye, on sait toujours à quoi s'en tenir ; il dit nettement ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas. L'honorable membre veut la protection, la protection outrée qui existe aujourd'hui sur beaucoup d'articles et que l'honorable ministre des finances a qualifiée de système prohibitionniste, d'exagération dangereuse et ruineuse pour tout le monde.

Je conçois donc parfaitement l'opposition un peu vive que fait l'honorable M. Delehaye au fond de ma proposition.

Je conçois moins l'opposition qu'il fait à la simple prise en considération. Il se fait illusion sans doute sur les conséquences de ma démarche. Je ne crois pas avoir été aussi coupable que le suppose l'honorable membre lorsqu'il soutient que mon projet de loi a beaucoup nui à nos négociations avec la Hollande, et a fortement alarmé les industries des Flandres.

J'avoue que si tel a été l'effet produit par ce projet en Hollande et en Belgique, j'ai été le dernier à m'en apercevoir, et il faudra d'autres témoignages pour m'inspirer les remords dont M. Delehaye voudrait agiter ma conscience. Je ne pensais pas qu'un seul membre de cette assemblée pût avoir une telle importance, et moi, membre de la minorité, moins qu'un autre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Ce qu'a dit l'honorable M. Delehaye est parfaitement exact.

M. Coomans. - Puisque l'honorable ministre des affaires étrangères insiste sur cette étrange accusation, je dirai ce qui a surtout nui à nos négociations avec la Hollande, et ce qui explique les côtés défectueux de l'arrangement conclu : ce sont les engagements pris par le gouvernement de ne jamais élever les tarifs belges et d'abolir tôt ou tard le régime des droits différentiels.

Cet engagement a été pris par le gouvernement à différentes reprises ; il a été répété, exagéré et annoncé comme imminent par les journaux, qui défendent habituellement le ministère et il est à ma connaissance qu'en Hollande on a dit qu'il était inutile de traiter avec la Belgique, parce que tôt ou tard on obtiendrait gratuitement ce que la Hollande achète aujourd'hui, à bon marché, il est vrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Etait-il à votre connaissance que la Belgique ne parviendrait jamais à conclure un traité avec la Hollande ?

M. Coomans. - Il est très facile de faire des traités désavantageux : personne ne peut nier cela ; je n'ai jamais dit ni écrit que le gouvernement belge ne parviendrait pas à conclure un traité quelconque avec la Hollande ; mais je pense que le gouverment belge n'est pas parvenu à conclure un bon traité avec ce pays. Libre au cabinet d'avoir une autre opinion de son œuvre. Nous l'examinerons en temps opportun.

Je tiens à déclarer que je ne suis mû par aucun sentiment d'hostilité envers la ville de Gand où j'ai longtemps demeuré, où j'ai conservé des relations qui me sont très agréables et dont j'estime fort les honorables représentants. Mais j'ai cru pouvoir m'emparer d'un argument excellent que m'offrait l'octroi de la ville de Gand, pour répondre à une objection cruelle qui m'était faite, à savoir que je voulais affamer les populations en demandant un droit de douane sur le blé et le bétail étranger.

On a voulu me faire passer pour un ennemi de la classe ouvrière ; on a dit que, lorsque je réclamais un traitement égal pour l'agriculture et l'industrie, j'étais surtout mû par le désir de favoriser les intérêts des grands propriétaires. Cela n'est pas. On a mensongèrement, odieusement dénaturé mes intentions.

Avant de nous préoccuper des grands propriétaires, nous avons tous à nous soucier d'intérêts plus urgents encore. Aux grands propriétaires, il ne faut que justice, ils ne demandent pas autre chose ; mais aux petits, aux faibles et aux pauvres, il faut plus, il faut aide et sympathie ; et tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai dit à ce propos n'a eu qu'un but : favoriser le plus grand nombre de nos compatriotes, les travailleurs ruraux. Favoriser ! ce mot m'échappe, l'expression est impropre ; je ne demande pas pour eux de faveurs mais justice. On nous met dans cette étrange situation que nous considérerions comme une grande faveur d'obtenir justice.

C'est ma conviction profonde qu'il faut toujours favoriser le travail national, et que toute place que le travail étranger vient usurper sur notre marché en diminuant le travail national est un tort fait à la production belge, c'est-à-dire à la fortune nationale. C'est avec cette conviction profonde que je m'élève contre le traitement injuste dont l’agriculture (page 137) est victime, et dont les dernières conséquences sont de stériliser notre sol et de réduire nos travailleurs ruraux au chômage.

Je sais bien qu'il y a contre ma proposition, sinon contre ma personne, un préjugé auquel l'honorable M. Frère s'efforce de donner quelque apparence de fondement, mais que je ne puis accepter.

D'après ce que disait hier M. le ministre des finances, je n'aurais été mû que par le désir d'embarrasser la majorité de la chambre ; et je ne souhaiterais pas l'adoption de ma proposition « parce que, a dit M. le ministre des finances, c'est un protectionniste qui parle, qui s'avoue pour tel, et qui vient vous proposer de faire un pas dans la voie de la liberté commerciale. »

Mais, messieurs, je le répète encore, je considère la réforme que je propose comme l'atténuation du mal présent, mal très grave, à mon sens, dont je me plains, et que le ministère signale aussi à un autre point de vue.

Ce projet de loi n'est pas celui que je préférerais, s'il dépendait de moi d’en faire triompher un autre ; mais je le regarde comme une amélioration notable apportée à l'état actuel des choses, ce que j'ai suffisamment développé dans mon exposé des motifs.

En cela je ne suis pas le moins du monde en contradiction avec mes principes. J'en atteste la conduite de M. le ministre des finances. L'honorable ministre est libre-échangiste, dit-il, et il maintient une protection outrée en matière d'industrie. Pourquoi, moi protectionniste, ne pourrais-je pas faire un pas vers la liberté commerciale, quand les intérêts que je représente plus particulièrement m'y convient ? Moi protectionniste, je vous demande un traitement d'égalité dans le sens de l'abaissement de la tarification, parce que l'égalité est chose plus importante que la quotité, et vous, gouvernement libre-échangiste, vous maintenez avec force, avec obstination un système protecteur que vous flétrissez ! Si je suis en contradiction à cet égard, (contradiction purement apparente), le gouvernement ne l'est-il pas, en réalité, bien davantage ?

Je ne répondrai pas à ce qu'a dit l'honorable M. Delehaye, qu'il n'y a que peu d'ouvriers agricoles en Flandre, et qu'on ne doit pas s'en préoccuper à ce titre ; je ne répondrai pas non plus, quoique cela me fût fort aisé, à cette singulière révélation qu'on aurait dû forcer les fabricants gantois d'accepter des primes. La chambre appréciera de pareilles assertions. Je conseille seulement à M. le ministre des finances de prendre note de la déclaration, afin qu'il épargne dorénavant ce désagrément à MM. les industriels qu'on a violentés : ce sera tout profit pour le trésor et pour les bons principes.

Ainsi, messieurs, je crois avoir établi que ma proposition est modérée ; je crois d'autant plus qu'elle est modérée qu'elle est repoussée, d'un côté, par les protectionnistes exagérés, parmi lesquels je ne m'inscris pas et qui représentent surtout l'industrie gantoise ; de l'autre côté, par le ministère, qui semble vouloir aller trop loin dans le sens opposé. Il me semble que j'occupe le juste milieu, position que les sages de tous les temps ont toujours recommandée.

Après cela, je n'insiste pas sur la discussion immédiate de ma proposition, comme l'a supposé avec raison l'honorable M. Dechamps ; j'accepte le renvoi de la discussion jusqu'au moment où le gouvernement présentera lui-même son projet, à la condition que ce moment ne se fasse pas trop attendre. Mais j'insiste sur la prise en considération, à laquelle, pour ma part aussi, j'attache la signification d'une mise en demeure. Il n'y a qu'un seul motif qui eût pu m'engager à retirer mon projet de loi, c'est la crainte, ou même un soupçon de crainte qu'il pût nuire à mes compatriotes, en répandant l'alarme dans les centres manufacturiers. Mais comme j'ai déposé la proposition, il y a plusieurs mois, et qu'il n'en est résulté aucune plainte ; comme, au contraire, j'ai été encouragé par des hommes honorables de toute opinion, enfin comme il est urgent de stimuler le ministère qui promet des réformes d'intérêt matériel et n'en réalise jamais, je vous engage tous à voter la prise en considération.

Vous poserez un acte intelligent et utile, et vous prouverez par là au pays que vous vous préoccupez de la situation intolérable que lui a faite notre anarchie douanière. Quand même mon projet de loi devrait reposer quelques mois dans les cartons de la chambre, il n'en sera pas moins une réclamation permanente contre le statu quo d'où il nous importe à tous de sortir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, je ne demande la parole que pour rectifier un fait. L'honorable M. Coomans a contesté ce qu'avait dit tout à l'heure l'honorable M. Delehaye, que la proposition de loi qu'il a soumise à la chambre avait nui aux négociations que nous avions entamées avec les Pays-Bas. Le fait est parfaitement exact.

J'ai reçu des dépêches qui toutes constatent que quand on a vu un protectionniste aussi avancé que l'honorable membre abandonner lui-même la protection et se faire libre-échangiste, on a présumé que cette opinion de la protection devait être abandonnée en Belgique. On conçoit. dès lors combien ce revirement a pu influer sur le gouvernement néerlandais et nuire à nos négociations. Je puis fournir à l'honorable M. Coomans la preuve de ce que j'avance.

L'honorable M. Coomans et quelques-uns de ses amis prétendent toujours a priori que le traité qui a été conclu avec les Pays-Bas est mauvais ; nous n'avons jamais espéré avoir l'approbation de l'honorable M. Coomans ; quel que fût le traité que nous conclurions avec la Hollande, nous étions certain d'avance que lui et la plupart de ses amis le combattraient. Mais nous, nous avons la profonde conviction que c'était un des actes les plus utiles qu'on pût poser en faveur du pays dans les circonstances actuelles, et il ne me sera pas difficile d'en faire la démonstration. Je suis intimement convaincu aussi que les fausses préventions qu'on est parvenu à répandre sur cet acte ne tarderont pas à se dissiper. Ce traité vaut pour le moins celui de 1846. Voilà ce que je tenais à dire, afin de ne pas laisser passer sans protestations des allégations si souvent répétées. L'honorable préopinant qualifie le traité de mauvais ? nous le qualifions d'une autre manière. La chambre et le pays apprécieront.

M. Coomans. - Je demande la parole pour un fait personnel. L'accusation de nuire aux intérêts de ma patrie est assez grave pour permettre, pour me faire un devoir de m'en défendre à titre de fait personnel.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je n'ai pas attaqué vos intentions.

M. Coomans. - Je le reconnais, je ne doute pas des bonnes, des excellentes intentions de M. le ministre des affaires étrangères, je regrette seulement qu'elles n'aient pas été suivies d'un meilleur effet dans les négociations entamées avec la Hollande.

J'aurais donc nui aux négociations avec la Hollande ! Le reproche est formel ! Mais comment cela peut-il être ? M. le ministre des finances vient de dire que le traité conclu est excellent. Si donc ma proposition a pu exercer quelque effet à la Haye, on me force à croire que cet effet a été très favorable.

Le traité est excellent, dit M. Frère. C'est un superlatif ; on ne peut rien imaginer de plus favorable.

L'honorable M. d'Hoffschmidt en juge de même. Il y a là de quoi tranquilliser ma conscience.

Si l'on veut absolument que ma proposition ait produit de l'effet, je le reconnaîtrai, mais avec cette restriction qu'il ne m'en revient ni honneur ni blâme, attendu que ç'a été à mon insu si j'ai exercé quelque influence sur les négociations avec la Hollande. Mais après la satisfaction qu'exprime le gouvernement, je ne puis que m'applaudir du résultat et j'ai droit aux remerciements et non aux reproches de MM. les ministres. Voilà pour la supposition que le traité soit excellent, comme le proclame M. le ministre des finances. Si, au contraire, il n'était pas excellent, je devrais penser que l'honorable M. d'Hoffschmidt plaide d'avance, prudemment, les circonstances atténuantes et que déjà on cherche une victime expiatoire quelconque pour rejeter sur elle la responsabilité de l'échec. Je vous avoue cependant que je ne m'attendais pas à être choisi pour faire les frais de l'holocauste, moi qui suis fort innocent des faits et gestes de notre diplomatie.

- Un membre. - On cherche un bouc émissaire.

M. Coomans. - Je ne me prêterai pas à ce rôle-là.

- La discussion est close.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur la prise en considération.

M. Coomans. - Nous demandons l'appel nominal.

- Il est procédé au vote par appel nominal.

56 membres répondent à l'appel nominal.

28 membres disent oui.

26 membres disent non.

2 membres s'abstiennent.

En conséquence, la proposition est prise en considération ; elle sera examinée dans les sections.

Ont répondu oui : MM. de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Weslerloo, Dumon (Auguste), Faignart, Jacques, Landeloos, Malou, Mercier, Moncheur, Orban, Pirmez, Rodenbach, Roussel (Adolphe), Thibaut, Van Renynghe, Vermeire, Ansiau, Clep, Cools, Coomans, Debroux, Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. de Perceval, De Pouhon, Dequesne, Destriveaux, d'Hoffschmidt, Frère-Orban, Jouret, Lange, Moreau, Moxhon, Pierre, Rogier, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alp.), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grotven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Allard, Bruneau, de Baillet-Latour, Delehaye et Delescluse.

M. le président. - MM. Orls et David, qui se sont abstenus, sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Orts. - Partisan de tout régime libéral en matière de douane, si j'avais pu considérer la proposition comme un pas dans ce sens, j'aurais dû émettre un vote favorable ; si au contraire ce n'est qu'un temps d'arrêt dans la protection, je dois la répousser. L'honorable M. Coomans disait aux partisans de la protection : Mais je demande un droit de 20 p.c. c'est de la protection ; votez pour moi ! Et aux partisans du libre échange : Le droit que je propose n'est plus de la protection, appuyez-moi. Il m'a semblé être en présence de la chauve-souris de la fable ; je n'ai plus compris, je me suis abstenu.

M. David. - Partisan du régime libéral en matière de douane, je ne pouvais repousser la proposition de l'honorable M. Coomans ; mais l'honorable membre maintenant (erratum, page 167) certains droits différentiels sur la navigation, je n'ai pu voter pour la prise en considération de sa proposition.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delehaye. - Pour que chacun de nous puisse avoir le temps de se préparer a l'examen du projet de traité, je propose à la chambre de fixer la prochaine séance à mardi à 2 heures.

(page 138) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le sénat va nous renvoyer la loi sur les successions amendée. Il faudra s'en occuper sans retard.

- Un membre. - On peut décider dès à présent que le projet amendé sera renvoyé à la commission primitive.

M. de Perceval. - Ce projet est trop important pour ne pas le renvoyer aux sections, d'ailleurs la chambre n'est pas saisie.

- La chambre décide que quand le projet de loi aura été envoyé, elle avisera, et maintient la fixation de la prochaine séance à mardi à 2 heures.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.