(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 119) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Vermeire présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande que le traité conclu avec les Pays-Bas ne reçoive pas l'assentiment des chambres. »
M. Osy. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi qui approuve le traité. Mais comme c'est une pièce très importante, émanée d'un corps constitué, j'en demande aussi l'impression au Moniteur.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Duinn demande si le maximum des peines comminées par l'article 2 de la loi du 1er mai 1849 pourra encore être appliqué, après la révision du Code pénal ; si les infractions spécifiées dans l'article premier de cette loi devront être considérées comme délits ou contraventions, et si le montant des amendes prononcées en vertu des règlements provinciaux ou communaux, sera, dans tous les cas, perçu au profit de l'Etat. »
- Dépôt sur le bureau pendant le vote définitif du projet de loi contenant révision du Code pénal.
« Le sieur Maistriaux réclame l'intervention de la chambre pour obtenir communication d'un jugement en sa faveur qui aurait été prononcé à Constantinople, et demande une indemnité du chef des frais que lui ont occasionnés ses déplacements en Moldavie et en Turquie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Walravens et Tondeur demandent des modifications aux articles 91 et 94 de la loi du 8 janvier 1817, relative à la milice. »
- Même renvoi.
« Il est fait hommage à la chambre, par M. Emile de Brouwer, d'Ostende, d'un exemplaire de la seconde partie de son ouvrage intitulé : « Essai sur la politique industrielle et commerciale. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Moxhon. - Messieurs, le conseil communal de Péruwelz prie la chambre d'accorder au sieur Maertens la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Tournay par Péruwelz moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt par l'Etat.
Dans sa séance d'hier, la chambre a ordonné un prompt rapport sur ce document. Après examen de cette pétition, votre commission a reconnu que ce ne peut être que par erreur qu'elle a été adressée à la chambre, attendu qu'elle a statué sur la série des travaux publics qui ont été présentés à sa délibération. Néanmoins votre commission ayant égard à l'utilité et à l'importance que ce chemin de fer semble avoir pour la contrée qu'il traverserait, conclut au renvoi de cette pièce à M. le ministre des travaux publics.
M. Allard. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission des pétitions.
Tout n'a pas été dit en fait de chemin de fer, et l'on n'en restera pas à ceux qui ont été discutés dernièrement. Je crois impossible de laisser plus longtemps l'importante ville de Péruwelz sans la relier au chemin de fer, et j'engagerai, par conséquent, M. le ministre des travaux publics à étudier ce projet et à voir s'il ne pourrait pas en faire l'objet d'un amendement au sénat.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai eu l'honneur d'exposer à la chambre, dans une de ses dernières séances, quel était l'état aeluel de notre législation commerciale. J'ai fait pressentir que des réformes étaient indispensables ; qu'on ne pouvait pas tarder trop longtemps à les proposer.
C'est sans doute, on pourrait le croire du moins, dans la même conviction que l'honorable M. Coomans avait déposé la proposition qui nous occupe en ce moment.
Cependant lorsqu'on rapproche de cette proposition les développements qui l'accompagnent, il est difficile de croire que l'honorable membre a été dirigé par la même pensée que nous.
L'honorable M. Coomans est protectionniste.
Il le proclame à toute heure. A ses yeux, le système protecteur est le seul bon. L'autre, pour me servir des expressions de l'honorable membre, « n’est qu une brillante utopie dont l'application aventureuse et aléatoire devrait être épargnée à la patrie par des législateurs prévoyants. » Et pourtant il vous propose de décréter ce qu'il nomme l'utopie « mitigée », en attendant que l'on adopte l'utopie tout entière.
L'honorable M. Coomans pense qu'un régime libéral doit ruiner le pays ; mais il demande que l'on fasse l'essai du système afin qu'il puisse confesser ses erreurs si l'expérience vient à tourner contre lui et que si les sinistres présages qu'il fait entendre se réalisent, il puisse monter triomphalement à la tribune pour demander, c'est encore l'honorable membre qui parle, « pour proposer un prompt retour au régime protecteur » et, suivant son expression « proclamer la révolte des faits contre le despotisme des théories. »
L'honorable M. Coomans se préoccupe fort du sort des classes laborieuses, surtout du sort des ouvriers agricoles ; c'est particulièrement leur bien-être qu'il a en vue, dit-il dans la proposition qu'il nous soumet, à la condition cependant que l'adoption de son projet ne réduise pas ces classes à la misère, bien qu'il affirme que tel doit en être le résultat nécessaire.
Et l'honorable M. Coomans propose en attendant par mesure provisoire afin de préparer probablement les populations au régime de liberté, d'augmenter dans une énorme proportion les droits de douane sur un objet de première nécessité, le café, qui est devenu, suivant l'expression même de l'honorable M. Coomans, presque aussi populaire que le pain.
L'honorable M. Coomans est adversaire implacable des primes et subsides, vous le savez tous ; « De quelque masque, dit-il qu'on les affuble, elles sont à mes yeux une dénonciation manifeste de la ligne que la liberté et l'égalité politique ont tracée aux sociétés modernes » Et, après avoir ainsi parlé, il propose d'accorder des subsides et des primes considérables, en favorisant les provenances directes à l'aide d'une surtaxe énorme sur les marchandises importées des entrepôts d'Europe.
Il me semble, messieurs, que parler comme le fait l'honorable M. Coomans, et proposer ensuite ce que je viens de signaler à votre attention, c'est donner un assez triste spectacle à la chambre. Cette absence complète de foi dans un principe quelconque, cette affirmation ea faveur de certaines idées et la négation des mêmes idées dans une proposition qne l'on nous convie à adopter, c'est là une chose que véritablement nous devons tous regretter. Il vaudrait mieux, suivant moi, je suis mauvais juge de ce que l'honorable membre doit faire, mais il vaudrait mieux, suivant moi, que l'honorable membre, si pénétré de cette conviction, que la doctrine qu'il préconise est la seule bonne, la seule salutaire, persistât à en demander l'application et à combattre le gouvernement en ce qu'il ne l'adopte pas.
Pourquoi, messieurs, toutes ces contradictions de la part de l'honorable membre ? C'est parce que, selon lui nous sommes nous-mêmes en contradiction avec nos idées, qu'il croit utile de se mettre en opposition avec les siennes.
Il vaudrait mieux, pensons-nous, qu'il restât conséquent avec ses convictions économiques.
Mais, messieurs, l'honorable membre se fait une position à la vérité trop commode lorsqu'il veut nous embarrasser.
L'honorable membre, pour justifier la thèse qu'il défend, dit au gouvernement :
« Vous êtes partisans de la liberté commerciale, vous la voulez ; vous êtes des théoriciens ; votre code, c'est un titre d'économie politique ; à l'oeuvre donc ; démolissez, détruisez tout ce qui existe ; si vous ne le faites, vous êtes en contradiction. »
Je conçois qu'en adoptant ce thème, l'honorable membre se donne une position facile pour nous combattre.
Mais le ministère n'a jamais préconisé le système absolu qu'on lui prête, car il serait impossible à un gouvernement quelconque d'en poursuivre la réalisation.
Le gouvernement étudie notre législation, il en constate les vices, il les signale ; il veut des réformes ; il dit quelles seront ces réformes : Mais il ne prétend pas qu'il faut détruire sur-le-champ, maintenant tout ce qui existe.
Sans doute, l'honorable membre peut nous dire que, depuis que nous sommes aux affaires, nous n'avons introduit aucune réforme profonde dans notre législation commerciale ; nous sommes prêts à reconnaître que nous n'avons pas fait jusqu'à présent de proposition tendant à introduire des changements considérables dans notre régime économique.
Mais la raison en est assez simple. : nous nous sommes bornés à y faire des modifications chaque fois que l'occasion s'en est présentée et lorsqu'on le pouvait avec utilité et sans inconvénient.
Nous avons consacré définitivement par la loi du 6 août 1849 le régime le plus libéral peut-être qui existe en matière de transit. Je reconnais qu'il était aussi dans la pensée des administrations précédentes de le faire.
Nous avons supprimé un grand nombre de droits de sortie. Nous annonçons aujourd'hui même des mesures plus importantes, en ce qui concerne nos lois de navigation.
Nous ne pouvions pas prudemment agir plus tôt que nous ne l'avons fait : nous devions attendre la négociation de traités, pour arriver, d'une manière plus avantageuse pour le pays, à introduire ces réformes. Elles seront suivies d'autres mesures analogues.
(page 120) Nous aurons à établir un tarif uniforme pour les marchandises comprises au n°1° de l'article 14 du traité du 20 septembre 1851. Ce sera une réforme considérable pour notre navigation et d'une application générale.
Nous aurons très probablement à supprimer la distinction entre les entrepôts transatlantiques et les pays de production ; deuxième innovation, en ce qui concerne notre navigation.
Il convient d'abolir le droit de 10 p. c. établi par la loi de 1822.
Enfin nous aurons également à proposer à la chambre, dans un court espace de temps, d'assimiler les navires étrangers aux navires belges pour la relâche.
L'honorable M. Coomans ne peut donc avec raison accuser le gouvernement de ne rien faire, de n'avoir ni projets en vue, ni système en matière commerciale. Mais, dans tous les cas, le gouvernement, fût-il dépourvu de systèmes, ne serait pas disposé à suivre celui que propose l'honorable M. Coomans. Son projet de loi, comme je l'ai fait remarquer tout à l'heure, est, dans ses dispositions, en contradiction avec les principes déclarés les meilleurs dans ses développements, par l'honorable membre lui-même. Pourquoi en est-il ainsi ? Ne serait-ce pas parce que l'honorable membre a tiré de la pensée d'un autre la proposition qu'il a formulée ? Est-il le père ou le parrain de son projet de loi ?
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois qu'il n'en est que le parrain.
M. Coomans. - C'est déjà fort honorable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute, mais je crois que la recherche de la paternité n'est pas interdite ; et sans vouloir contester ce qu'il y a d'honorable à vouloir en être parrain, je puis cependant demander qui en est le père.
J'ai lu une brochure publiée en 1850 sous le titre de : La Belgique, l'Angleterre et la Hollande.
Les doctrines de l'auteur ne sont pas tout à fait celles de la liberté commerciale. Ce qui est la préface de l'honorable M. Coomans pour son projet de loi. Il dit que notre système doit subir des réformes, que cela est indispensable ; après les modifications introduites dans la législation de pays voisins. C'est dans ces convictions, écrit-il, que nous venons conseiller à notre pays l'institution immédiate des mesures suivantes : 1° Liberté complète du transit par chemin de fer ; c'est l'article 6 du projet de l'honorable M. Coomans ; 2° nationalisation des navire étrangers moyennant un simple et très modique droit d'enregistrement ; c'est l'article 9 du projet de loi de l'honorable M. Coomans ; 3° libre entrée des matériaux nécessaires à la construction des navires ; c'est l'article 2 du projet de loi de M. Coomans. On voit figurer dans le tableau les marchandises libres à l'entrée, les bois servant à la construction navale, le cuivre et les clous pour doublage de navires, les ancres, etc. 4° Assimilation des navires étrangers aux navires belges pour le cabotage, à charge de réciprocité et le sel excepté (article 4 du projet de loi, avec cette différence que l'assimilation est complète) ; 5° Assimilation au pavillon belge, des pavillons des pays de provenance, à charge de réciprocité, pour les importations des colonies et des pays transatlantiques ; article 4 du projet de loi, sauf que l'assimilation s'étend à tous les pavillons. 6° Suppression de la distinction établie par la loi sur les droits différentiels, entre les entrepôts transatlantiques de provenance et ceux de production (articles 3 et 6 du projet de loi) ; 7° Concentration des droits différentiels sur 5 ou 6 articles importants (l'article 6 du projet de loi en comprend 8).
8° Suppression des droits d'entrée sur un grand nombre d'articles dont le produit, pour le trésor, ne comprend pas les frais ou les embarras de la perception (mesure comprise dans l'article 3 du projet de loi).
A la page 74 de la même brochure, l'auteur cite les principales importations de l'année 1847 ; ce sont : le café, le sucre, le bois de teinture, le bois d'ébénisterie, les cuirs verts et secs, le riz, le coton et le tabac (page 75).
Ce sont identiquement les mêmes marchandises que désigne l'article 6 du projet de loi.
A la page 75, l'auteur évalue à 15 francs par tonneau la protection moyenne sur ces produits, et c'est d'une surtaxe de 15 francs que l'honorable M. Coomans frappe les cargaisons des navires qui ont relâché en route.
Seulement l'honorable M. Coomans s'est écarté un peu du conseil que donnait l'auteur de cette proposition en ce qui touche à la réforme douanière. Homme plus pratique, il comprenait qu'il était impossible d'arriver à décréter d'un trait de plume, comme propose de le faire l'honorable membre lui-même dans l'article premier de son projet de loi, une réduction en quelque sorte aveugle, faite sans examen de tous les droits, ou d'un certain nombre de droits s'appliquant à des objets fabriqués. L'auteur conseillait d'ouvrir sur ce point une enquête à la suite de laquelle, étant éclairé, on pourrait convenablement statuer.
L'honorable M. Coomans a pensé que l'on pouvait se dispenser de procéder ainsi. Et voici ce qu'il propose : il demande d'abord qu'à partir du 1er janvier 1832, tous les droits dépassant 20 p. c. de la valeur perçus sur desobjets fabriqués, qualifiés tels dans.les statistiques publiées par le gouvernement soient réduits à ce taux. Un arrêté royal déterminerait, d'après cette base, le montant des droits de douane à percevoir.
Ici l'embarras a été manifestement grand pour décider ce qu'il conviendrait de faire.
Il aurait fallu, si l'on avait cru devoir procéder comme la simple logique l'indique, puisque l'on voulait formuler un tarif, en rédiger un qui fût simple et décréter une réduction de 20 p. c. sur des objets fabriqués ; mais pour ce qui concerne ces objets, on s'en est rapporté à la statistique commerciale.
Or, cette statistique, qui n'est point du tout faite au point de vue des tarifs, range rarmi les objets fabriqués une certaine catégorie de produits qui ne sont pas fabriqués, dans le sens que suppose le projet de loi de l'honorable M. Coomans.
Il résulterait, par conséquent, de la disposition qu'il propose, les anomalies, la confusion et le désordre le plus incroyable. Ainsi, pour vous citer un exemple...
M. Coomans. - C'est la faute de votre statistique.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, du tout ! Si vous aviez examiné attentivement, vous auriez vu que beaucoup d'objets indiqués « matières premières » sont fabriqués. Presque tous ces objets sont fabriqués quand on se place à un point de vue ; ils sont matières premières quand on les considère sous un autre aspect.
M. Coomans. - Je me suis placé au point de vue de votre statistique.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez ; je vais vous le démontrer par des exemples.
Le fil de lin y est compris comme matière première, tandis que la toile écrue y figure comme objet fabriqué ; on y désigne le fil de coton comme matière premiere et le tissu de coton écru comme fabriqué. Beaucoup d'autres choses sont dans la même condition ; cependant, comme je viens de le dire, ces différents produits sont des objets fabriqués ; mais à l'égard de certaines autres industries, un produit fabriqué est une matière première. On n'est pas dans le faux lorsqu'on les qualifie de l'une ou de l'autre façon, selon l'objet auquel on veut les appliquer.
Que résulterait-il d'une pareille disposition ? C'est que tous les produits tarifés à plus de 20 p. c, tels que le fil de lin, de coton, resteraient soumis au droit actuel. Ce droit serait maintenu indéfiniment.
Voilà un des mille cas d'application de la proposition de l'honorable M. Coomans. C'est là, au point de vue industriel, la manière d'opérer. Cela ne me paraît pas trop sérieux, et vous comprenez qu'une proposition de ce genre, et ainsi formulée, soumise à l'examen des membres de la chambre, ne pourrait manifestement aboutir à aucune espèce de résultat.
Au point de vue de la navigation, voici ce que désire l'honorable membre.
Il a toujours soin de chercher l'étiquette libérale ; mais dans l'application il la respecte peu.
A partir du 1er janvier 1852, tous les pavillons étrangers doivent être assimilés au pavillon belge sous condition de réciprocité.
L'article 6 frappe d'un droit additionnel de 1 fr. 50 c. par 100 kil. les articles sur lesquels il concentre le système des droits différentiels et qui sont au nombre de huit.
Par l'article 7, il stipule que les marchandises, dénommées à l'article 6, importées des entrepôts d'Europe sans distinction de pavillon, payeront un droit additionnel de 4 fr. par 100 kil.
Quel est, messieurs, le sens de cette disposition ? C'est de renforcer à outrance le système des droits différentiels, c'est de l'exagérer outre mesure, après l'avoir concentré sur 8 articles, mais qui, pour le dire en passant, sont les seuls qui aient véritablement une importance, et nous sommes d'accord en cela avec l'honorable M. Coomans, qui probablement de ce chef, va faire opposition aux traités conclus avec les Pays-Bas et avec l'Angleterre.
L'honorable M. Coomans, pour concentrer tout le système des droits différentiels sur ces huit articles, leur donne une bien autre portée.
Depuis la législation actuelle, les importations des en trepôts d'Europe sont aujourd'hui frappées d'une surtaxe :
de fr. 2 40 à 3 90 pour les bois d'ébénisterie ;
de fr. 0 89 à 2 50 pour les bois de teinture ;
de fr. 2 45 à 4 95 pour les cafés ;
de fr. 1 52 à 2 06 pour le coton en laine ;
de fr. 1 34 pour les cuirs ;
de fr. 1 90 à 3 55 pour le riz ;
de fr. 1 10 à 1 69 pour les sucres ;
de fr. 0 75 à 1 25 pour les tabacs.
Cette surtaxe serait augmentée dans une très forte proportion.
D'après l'article 7, il y a lieu d'appliquer un droit additionnel de 4 fr. par 100 kil. Ce droit additionnel serait assez difficile à appliquer pour un certain nombre d'articles que, par l'article 5 du projet, l'honorable membre déclare libres à l'entrée ; on comprend difficilement comment frapper d'une surtaxe de 4 fr. des articles qui sont libres à l'entrée. Mais passons.
L'honorable M. Coomans établit en réalité, il faut dire le mot, un véritable droit de provenance ; et s'il ne l'a pas nommé, c'est qu'il aura craint de dire probablement qu'il voulait protéger, lui l'ennemi des primes, les provenances directes par mer, d'une surtaxe de 40 fr. par (page 121) tonneau, c'est-à-dire quelque chose comme le double du fret d'Anvers à Londres.
Que l'honorable membre mette cela d'accord, s'il se peut, avec sa préface où il parle de la liberté commerciale, des facilités à donner aux échanges ; qu'il nous explique comment il peut accorder de pareilles faveurs, augmenter dans une pareille proportion les droits différentiels, s'il croit qu'il faut essayer de faire de la liberté commerciale.
L'honorable membre dit aussi que la proposition qu'il soumet à la chambre, aura, en tous cas, pour résultat de favoriser les travailleurs, surtout les travailleurs agricoles.
Le résultat immédiat de la réforme, dit-il, sera d'alléger les souffrances de deux millions d'agriculteurs.
Voici, messieurs, entre autres les moyens que se propose d'employer l'honorable membre.
Par l'article 5 de son projet, il nous dit que toutes les marchandises non comprises dans les articles 1 et 3 payeront uniformément les droits les plus élevés du tarif.
D'abord ceci n'est pas très clair. Dire qu'elles paieront uniformément les droits les plus élevés du tarif, est-ce vouloir qu'on applique à toutes les marchandises les droits les plus élevés du tarif, ou bien est-ce le droit le plus élevé applicable à chacun des articles ?
M. Coomans. - Evidemment.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est probablement dans ce dernier sens que l'honorable membre s'est expliqué ; or qu'arrive-t-il ? D'après le tarif actuel, le café est tarifé, selon les cas, à 9 fr., 11-50 et 15-30 par 100 kil. Le droit uniforme proposé par l'honorable M. Coomans serait celui de 15-50.
De même, le riz brut des Indes orientales payerait 5 fr. au lieu de fr. 1-50, 3 ou 4 fr. ; le riz pelé des Indes orientales payerait fr. 11, au lieu de 5, 7-50 ou fr. 9-50 ; les autres riz bruts payeraient fr. 5 au lieu de fr. 2-50, 3-50 ou 5 fr. ; enfin, les autres riz pelés payeraient 11 fr., au lieu de 8, 9-50 ou 11 fr. par 100 kilog.
Si l'on compare les droits que propose d'établir l'honorable M. Coomans à la moyenne des droits appliqués en 1849, voici le résuliat : le droit nouveau serait de 15 fr. 50 c. pour le café ; le droit moyen, appliqué en 1849, a été de 10 fr. 71 c, ce qui est une petite augmentation de 4 fr. 79 c, quelque chose comme 50 p. c.
Pour les riz, autres que les riz des Indes, le droit proposé serait de 5 fr. pour le riz brut et de 11 fr. pour le riz pelé, tandis que la moyenne des droits appliqués a été de 3 fr. 86 c, ce qui fait que, pour le premier, la surtaxe serait de 1 fr. 14 c, et, pour le second, de 7 fr. 14 c. C'est encore dans l'intérêt du plus grand nombre, dans l'intérêt des consommateurs que l'honorable M. Coomans opère ainsi ; c'est ainsi qu'il veut, par sa reforme, alléger immédiatement les souffrances de deux millions d'agriculteurs.
C'est en vérité un singulier moyen de proclamer que le café est devenu aussi populaire que le pain et de proposer, comme réforme libérale, comme mise en demeure de faire un pas dans la voie des réformes, des améliorations, d'augmenter le droit de 50 p. c. ; proposer de prélever de ce chef un impôt que l'honorable membre estime lui-même, dans ses développements, de ce seul chef, en l'appliquant aux quantités mises en consommation en 1849, à une somme de 1,300,000 francs annuellement.
Il faut le reconnaître ici, messieurs, l'honorable membre propose le même système qu'il veut appliquer, quil a essayé d'appliquer aux denrées alimentaires, c'est en vertu du même principe qu'il procède : à son avis, quand les denrées alimentaires sont à un prix élevé, les populations sont dans une meilleure position, elles sont plus heureuses quand les denrées alimentaires sont chères...
M. Coomans. - Il faut distinguer entre les années de disette et d'abondance, entre le prix qui rémunère et celui qui ne rémunère pas.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Moi, je ne sais pas faire cette distinction parce que j'ignore où il faut s'arrêter. Si vous avez quelque moyen de fixer le prix des céréales, si vous avez quelque moyen de fixer le prix du café, je conçois votre système ; mais, comme vous n'avez pas ce moyen, que personne ne le possède et que vous augmentez, par vos droits, d'une manière très onéreuse, le prix des choses, je conclus que vous voulez augmenter le prix des denrées de première nécessité.
Voici donc, messieurs, le point le plus saillant qui ressorte de la proposition de l'honorable M. Coomans, après l'exposé que j'ai eu l'honneur de vous soumettre pour faire comprendre à la chambre que nous différons essentiellement d'opinions avec l'honorable M. Coomans : nous voulons des réformes ; ayant signalé celles que nous croyons immédiatement réalisables, ayant annoncé l'intention d'en proposer d'autres, aussitôt que les études auxquelles on se livre seront entièrement terminées, j'ai dû vous faire connaître que ces réformes reposent sur des principes entièrement différents de ceux qui sont consignés dans la proposition que j'ai l'honneur de combattre.
Je ne pense pas, messieurs, qu'on puisse renvoyer aux sections un projet de ce genre.
Il ne peut pas aboutir. Il serait impossible qu'une pareille proposition fût l'objet d'un examen, je ne dirai pas sérieux, mais d'un examen quelconque de la part des membres de la chambre.
Tous les documents font défaut. Les questions que ce projet soulève ne peuvent être examinées qu'après avoir été élaborées complétement par l'administration, à l'aide de toutes les ressources, de toutes les forces dont elle dispose.
Or, comme le gouvernement annonce l'intention de proposer successivement des réformes dans nos lois, en ce qui touche le tarif des douanes et nos droits de navigation, je crois que la chambre pourra s'abstenir de prendre ce projet de loi en considération, si même l'honorable M. Coomans ne trouve plus convenable, sur les déclarations faites par le gouvernement, de retirer sa proposition.
M. Osy. - Messieurs, j'ai demandé la parole avant-hier, lorsque, dans le premier discours prononcé par l'honorable ministre, j'ai entendu taxer l'opposition d'une inconcevable ignorance. Je suis charmé de voir que M. le ministre, dans le Moniteur, a changé ces paroles, et qu'il les a adoucies ; car j'avoue franchement, messieurs, que, représentant une ville si émue du traité avec la Hollande, je ne pouvais pas être indifférent aux premières paroles prononcées par M. le ministre des finances.
On nous annonce, messieurs, que le gouvernement, à la suite du traité avec la Hollande, proposera une disposition, qui a pour objet de changer les droits différentiels pour ce qui concerne l'importation, de trente-six articles.
Nous étions persuadés que si le gouvernement ne le faisait pas, il n'y aurait eu qu'un cri de réprobation, même dans les provinces les plus favorisées, et qu'on aurait forcé le gouvernement au moins à donner à l'Escaut ce qu'on donne à la Meuse. Mais, messieurs, le gouvernement, faisant un exposé des motifs à l'appui du traité avec la Hollande, aurait dû dire, dans cet exposé des motifs, quelle était son intention. Alors, au moins, tout le monde aurait pu juger en connaissance de cause. Ce n'est que quand on a vu l'émotion de la ville d'Anvers que M. le ministre des affaires étrangères, à la demande de la cinquième section, a envoyé une note relativement à ce changement, note qui a été confirmée il y a deux jours par M. le ministre des finances. Voilà douze jours que le traité a été déposé sur le bureau et c'est seulement avant-hier qu'on nous a fait connaître ce que l'exposé des motifs aurait dû nous apprendre. L'exposé des motifs aurait pu nous dire : Nous faisons telle concession à la Hollande, mais nous serons obligés de faire la même concession à tous. On n'en a rien dit, et c'est ce qui a tant agité Anvers ; c'est ce qui l'agite encore malgré les explications données tardivement par M. le ministre des affaires étrangères et de M. le ministre des finances.
Je n'entrerai pas plus avant dans cet incident, dont nous parlerons plus longuement dans la discussion du traité avec la Hollande. Mais M. le ministre des finances nous a fait un tableau du commerce de nos voisins, et il nous a fait pressentir ce qu'il compte faire pour la Belgique. Messieurs, lorsque nous avons introduit, en 1844, notre système de droits différentiels, c'est à la suite d'une enquête parlementaire où l'on a consulté toutes les chambresde commerce ; car on sait que la commission d'enquête s'est rendue dans toutes les villes, afin de connaître l'opinion du pays sur le système commercial qu'il convenait d'adopter.
Certes, messieurs, je suis loin d'approuver entièrement le système qui a prévalu en 1844 ; je l'ai combattu sur plusieurs points, et je n'ai même pas voté la loi de 1844 ; mais ce n'est pas par des traités avec les nations voisines qu'on détruit un système commercial.
Comment ! il y a un an que la Hollande a devancé le traité qu'on veut maintenant renouveler pour 1852, vous saviez que le traité de 1846 resterait en vigueur pendant l'année 1851 ; vous aviez donc toute l'année 1851, qui va finir maintenant, pour consulter le commerce, pour voir ce qu'il y avait à faire, pour voir quelles étaient les dispositions qui pourraient être adoptées par la représentation nationale ; aujourd'hui vous nous forcez la main, vous nous obliger à accepter votre système commercial. En effet, messieurs, ne viendra-t-on pas encore nous dire : Nous sommes à la veille de graves événements ; voulez-vous nous brouiller avec la Hollande, voulez-vous voir chômer l'industrie des Flaudres à la suite des représailles que la Hollande pourrait prendre ? Vous le voyez, messieurs, le moment est choisi pour nous dire : Vous devez accepter le traité avec la Hollande.
J'ai dit, messieurs, que le gouvernement avait un an devant lui pour nous présenter son système commercial et pour négocier ensuite en conséquence ; eh bien, que voyons-nous par la première note communiquée à la section dont j'ai l'honneur de faire partie ? Dès le mois d'avril on disait à la Hollande : Nous ferons des concessions sur les droits différentiels. Eh bien, pourquoi ne pas consulter non seulement la représentation nationale, mais aussi les chambres de commerce ?
Qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pas consulté une seule chambre de commerce. Je fais partie de la chambre de commerce d'Anvers ; on ne lui a rien demandé. Je me trompe, elle a reçu au mois de juin une lettre de M. le ministre des affaires étrangères qui lui demande : Pourrait-on assimiler les briques hollandaises aux briques belges ? Voilà, messieurs, la seule communication que M. le ministre des affaires étrangères ait daigné faire à la chambre de commerce d'Anvers. Je dis donc, messieurs, qu'il est inconvenable de vouloir détruire par un traité de commerce un système commercial qui a été introduit avec tant de labeur et après qu'on eut consulté tout le pajs.
Maintenant, messieurs, je dirai qu'on avait l'exemple de ce qu'a fait la Sardaigne. La Sardaigne, après avoir terminé toutes ses guerres, s'est occupé de ses affaires intérieures.
Le gouvernement de Sardaigne a soumis au parlement un système commercial ; il lui a proposé l'abolition des droits différentiels, et a demandé l'autorisation de négocier avec toutes les puissances. Le parlement a donné cette autorisation au gouvernement, en lui disant : « Vous pouvez négocier avec toutes les puissances, si vous obtenez les avantages de la réciprocité. »
(page 122) Nous avons eu l'honneur de conclure un traité avec la Sardaigne, toutes les autres puissances ont conclu successivement avec le même pays des traités qui sont à peu près analogues à celui que nous avons fait nous-mêmes.
Eh bien, nous suivons une marche tout à fait contraire, non seulement au bon sens, mais aux antécédents des autres puissances.
Je dis que vous auriez dû commencer par faire connaître le système commercial que vous voulez introduire en Belgique ; qu'il ne faut pus présenter par lambeaux une réforme commerciale et industrielle ; car M. le ministre des finances vient de dire que des mesures partielles de réforme seront successivement proposées. C'est un système entier qu'il faut à la Belgique.
Depuis la dénonciation du traité avec les Pays-Bas, depuis le renouvellement du traité avec le Zollverein, vous avez eu une année entière, et vous n'avez rien fait pendant cette année ; vous avez donc perdu une année entière ; cette année sera très fatale pour le grand commerce d'Anvers, parce que vous serez obligés de passer par où notre rivale commerciale voudra nous mener.
Et ne perdons pas de vue que la Hollande garde le souvenir de son traité de Munster ; je sais qu'on ne peut plus demander aujourd'hui la fermeture de l'Escaut, mais la Hollande peut arriver à ce résultat d'une manière indirecte.
Quand nous avons décreté la loi des droits différentiels, que disait alors la Hollande ? « Il me faut une compensation. » Et vous vous rappelez que l'honorable M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, vivement ému des réclamations de la Hollande, est venu, sans consulter personne, demander, en faveur de la Hollande, une exemption qui portait sur le café et le tabac.
En 1846, nouvelles réclamations de la part de la Hollande ; et on y a fait droit de nouveau.
Aujourd'hui, l'on va plus loin, on ne tend à rien moins qu'à la destruction de tout notre système commercial. Aujourd'hui, par la manière dont on nous traite, je vois que la Hollande triomphe entièrement, et que si elle ne peut pas, comme en 1648, imposer la fermeture de l'Escaut, elle veut au moins le plus qu'elle peut amener ce résultat.
Messieurs, si l'on s'est ému si fort du traité à Anvers, ce n'est pas par suite d'ignorance, c'est parce que nous savons ce que nos rivaux commerciaux savent faire contre nous !
Je dirai très peu de chose de la proposition de l'honorable M. Coomans. Vous pensez bien, messieurs, qu'avec mon système commercial, je ne puis pas donner la main à toutes les dispositions que la proposition renferme.
Mais le gouvernement ne faisant rien, je ne voudrais pas qu'elle fût rayée de l'ordre du jour, par le rejet de sa prise en considération ; il faut qu'elle reste debout : elle stimulera peut-être le gouvernement à nous présenter un système commercial et industriel complet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, je regrette de devoir entrer déjà dans un débat qui, me semble-t-il, serait mieux placé lorsqu'on discutera le traité conclu avec la Hollande ; plus tard la chambre sera munie de tous les renseignements qui seront donnés à la section centrale ; elle pourra beaucoup mieux apprécier cet acte important qu'elle ne peut le faire actuellement.
Il est une chose qui doit vous frapper, messieurs, c'est l'extrême empressement que certaines personnes mettent à blâme r le traité, sans entendre toutes les explications que doit nécessairement donner le gouvernement.
Longtemps avant la conclusion du traité, on déclarait déjà que ce traité ne serait pas conclu ; on avait annoncé formellement qu'on n'y parviendrait pas. Lorsqu'on a su que le traité était conclu, qu'a-t-on fait ? On a déclaré, sans même connaître le traité, qu'il était inacceptable.
Force a donc été de continuer le même système et de soutenir la même opinion, sans entendre toutes les explications du gouvernement. C'était sans doute un thème qu'on voulait exploiter.
Déjà on avait annoncé, l'année dernière, que le gouvernement échouerait dans la tâche qu'il avait à remplir : le renouvellement de grands traités de commerce et la conclusion avec l'Angleterre d'un traité de la plus haute importance. Cette tâche devait présenter de grandes difficultés et, en effet, ces difficultés ont été très nombreuses ; mais on s'attendait bien à ce que le gouvernement éprouverait des entraves ; on espérait que les traités ne pourraient pas être conclus, et l'on en faisait d'avance un thème excellent d'opposition. Je m'attendais donc à l'ardeur de nos adversaires sur ces questions.
Maintenant on nous reproche de n'avoir pas indiqué, dans l'exposé des motifs, tout le système que le gouvernement devait adopter. Messieurs, ce serait tout à fait contraire aux usages. Développer, dans l'exposé des motifs d'un traité, tout un système commercial, cela ne s'est jamais fait.
Je regrette, messieurs, que dans notre métropole commerciale on ait mis tant de précipitation à se prononcer sur le traité dont il s'agit ; on aurait dû attendre toutes les explications du gouvernement. On a eu le tort d'examiner ce traité isolément sans tenir compte du traité avec l'Angleterre, et des modifications que réclame impérieusement notre régime commercial.
On nous reproche aussi de ne pas avoir consulté les chambres de commerce. Mais, messieurs, toutes les questions qui se rattachent à notre traité avec la Hollande ne sont pas des questions nouvelles ; elles ont été longuement examinées en 1846 ; et quant aux droits différentiels, en réalité il n'y a plus rîen à apprendre au gouvernement sur cette question qui est l'objet de discussions depuis plus de 6 années.
Nous attachons, messieurs, beaucoup de prix aux lumières des chambres de commerce et en particulier de la chambre de commerce d'Anvers.
Chaque fois que le gouvernement croit devoir s'éclairer sur un point il s'empresse de consulter les chambres de commerce ; mais les chambres de commerce ont aussi leur initiative, on savait que des négociations étaient ouvertes avec la Hollande, et les chambres de commerce pouvaient, si elles le désiraient, faire connaître leurs vœux au gouvernement. De même, quand on a su que le traité était conclu, si des membres de la chambre de commerce d'Anvers, et parmi eux il en est que je connais particulièrement et pour lesquels je professe la plus haute estime, s'ils étaient venus me consulter, je leur aurais donné tous les renseignements et toutes les explications désirables.
Je regrette donc qu'on ait mis une extrême précipitation à juger l'acte dont il s'agit ; j'ai la conviction profonde que, quand tout le système sera bien développé, quand on coordonnera le traité avec d'autres actes, avec le traité conclu avec l'Angleterre, par exemple, avec les projets de loi qui seront présentés ultérieurement ; j'ai la conviction, dis-je, que le commerce d'Anvers lui-même reviendra de ses préventions.
Vous aurez remarqué, messieurs, que l'honorable M. Oiy est tombé dans une extrême exagération ; il vous a signalé le système que nous allons chercher à faire prévaloir comme devant être la destruction des droits différentiels.
D'abord cela m'étonne de la part de l'honorable membre qui a voté contre cette loi des droits différentiels pour laquelle il semble se passionner aujourd'hui, et, si je ne me trompe, la chambre de commerce d'Anvers était défavorable aussi au système des droits différentiels qui a prévalu.
Je suis donc extrêmement surpris que ce soit de la part de l'honorable membre qui a combattu les droits différentiels que viennent ces appréhensions incroyables concernant les modifications fort modérées que nous allons introduire dans cette législation.
Voyons un peu, en peu de mots, quelles sont ces grandes modifications.
On vous l'a déjà dit, le système des droits différentiels repose sur une importation de 86 mille touneaux. Eh bien, les articles qui se trouvent compris au paragraphe premier de l'article 14 du traité du 20 septembre ne comportent que 20 mille tonneaux, et de ces 20 mille tonneaux il y en a six mille qui nous viennent des entrepôts hollandais.
Quant au pavillon belge, il y prend une part extrêmement minime. Ainsi, la réforme dont il s'agit est bien modérée, puisqu'elle ne porte, en définitive, que sur le quart de l'importation totale favorisée par les droits différentiels.
Voilà ce qui vous fait juger combien est grande l'exagération que l'on attribue à cette question, et ce qui doit encore vous le prouver, c'est ce que mon honorable collègue des finances nous disait tout à l'heure. Il vous a cité un ouvrage publié par un des négociants d'Anvers qui s'occupent le plus de ces questions. N'a-til pas lui-même proposé, non pas de réduire les droits différentiels à dix articles, mais à six articles ? Et le commerce d'Anvers ne s'en est pas ému.
Je me demande maintenant ce que veut le commerce d'Anvers ? Veut-il la conservation intégrale des droits différentiels ? Mais hier l'honorable M. Loos faisait un rapport sur une pétition couverte de nombreuses signatures d'armateurs et de négociants d'Anvers, qui demandent la réforme très prompte, très urgente, si pas l'abrogation des droits différentiels.
M. Osy. - Pour la relâche à Cowes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Pas seulement de relâche, mais des droits différentiels.
M. Malou. - Si on discute le traité, je demande la parole.
M. Delfosse. - C'est M. Osy qui a donné l'exemple.
M. le président. - On répondra.
M. Osy. - C'est M. le ministre des finances qui a commencé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'ai été provoqué par l'honorable M. Osy. Je dois bien répondre quelques mots ; je serai, du reste, très bref, car je désire aussi ne pas prolonger ce débat. Veut-on à Anvers un traité avec l'Angleterre ? Peut-on faire un traité avec l'Angleterre, peut-on vouloir qu'elle nous accorde l'assimilation complète du pavillon dans toutes ses inîmenses possessions, dans tous ses ports, et l'admission de nos produits, et cela sans que nous accordions en retour aucune dérogation à nos droits différentiels ?
Qu'on s'explique, au lieu de blâmer un acte isolé pour tenir compte de l'ensemble des faits. Et si nous accordions ces minces avantages à l'Angleterre en compensation des immenses faveurs qu'elle nous concède, comment voudrait-on traiter avec les Pays-Bas sans les placer dans les mêmes conditions ? Soutenir le contraire serait la négation réelle de tout traité avec les Pays-Bas et l'Angleterre. Ce serait proclamer l'isolement d'Anvers. J'aurais encore à répondre à quelques autres assertions de l'honorable préopinanl, mais je n'en dirai pas davantage puisque l'on désire (et je le désire également) qu'on n'entre pas maintenant dans la discussion du traité, discussion du reste qui a été soulevée par l’honorable préopinant. Cependant la chambre comprendra qu'il m'était (page 123) impossible de ne pas répondre par quelques mots aux allégations qui ont été avancées.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Osy s'est félicité tantôt de ce que le Moniteur n'avait pas reproduit certaines expressions dont je m'étais servi dans la dernière discussion en expliquant le sens véritable de l'article 14 du traité avec la Hollande.
Comme la chambre le sait, ces explications étaient devenues nécessaires par suite de l'état de préoccupation dans lequel on se trouvait sur les conséquences de celle stipulation. Au milieu d'une émotion assez grande et de fréquentes interruptions, je me suis expliqué très vivement sur l'opposition que l'on faisait au traité. J'ai dit à la vérité alors que les attaques injustes dont nous étions l'objet, attestaient une ignorance complète des idées, des intentions, des projets du gouvernement. J'avais cru convenable de ne pas laisser subsister cette expression d'ignorance complète, qui d'ailleurs n'avait soulevé aucune réclamation. L'honorable M. Osy, avec sa bienveillance habituelle, croit devoir la relever après deux jours de réflexion ; s'il y attache quelque prix, je la maintiens.
M. T'Kint de Naeyer. - Je pense que la chambre n'a pas l'intention de donner suite à l'incident qui a été soulevé à l'occasion du traité hollandais. Je m'occuperai uniquement de la prise en considération delà proposition de l'honorable M. Coomans.
Je ne viens pas soutenir que l'ensemble de notre système commercial soit parfait, qu'il n'y ait rien à y changer, à y simplifier ; mais dans une matière aussi délicate on ne doit pas se laisser mener par des mots.
Il faut interroger les faits et surtout tenir compte des droits acquis. Autre chose est d'établir un système, autre chose est de l'abroger. Le gouvernement l'a hautement déclaré dans une des dernières séances. « Les intérêts nombreux qui se rattachent aux différentes branches d'industrie et de commerce qui ont été créées ou qui se sont développées sous la législation actuelle, disait M. le ministre des finances, exigent que toute innovation soit ménagée de telle sorte que personne n'ait à craindre une perturbation violente. Il faut donc, ici surtout, deux choses indispensables : de la prudence et du temps. »
Quand des propositions sages, prudentes, pacifiques, nous seront soumises, nous les examinerons.
Mais lorsque, au lieu d'ouvrir une discussion calme, comme il conviendrait de l'avoir sur un pareil sujet, on viendra apporter à cette tribune des développements dans le genre de ceux que l'honorable M. Coomans vous a présentés, c'est-à-dire une déclaration de guerre, un manifeste passionné contre l'industrie, alors je n'examinerai pas, mais je protesterai de toutes mes forces contre la prise en considération.
S'il y a une vérité incontestable, c'est que la prospérité de la communauté est en raison de la prospérité de toutes les parties qui la composent. Les populations rurales, quoi qu'on en dise, comprennent cette vérité, et je suis autorisé à le dire ; car je ne suis pas plus étranger à leurs intérêts que l'honorable M. Coomans ; mes intérêts les plus chers, les plus considérables sont ceux des populations agricoles.
C'est au milieu de ces populations que je passe la plus grande partie de ma vie.
Eh bien, croiriez-vous que ces populations demanderaient la ruine de l'industrie, qu'elles ne reculeraient pas, l'honorable M. Coomans le soutient, devant l'application du libre-échange, parce qu'elles en souffriraient moins que les classes manufacturières ?
Il est heureux vraiment que des idées aussi égoïstes, aussi anti-chrétiennes ne parviennent pas à prévaloir dans nos campagnes. Mais nos cultivateurs ont infiniment de bon sens ; ils savent parfaitement que c'est dans les centres industriels qu'ils trouvent le plus de consommateurs, et qu'on leur paye les denrées au prix le plus élevé.
D'un autre côté, pourquoi, je vous prie, ces insinuations contre l'industrie ? Entendrait-elle moins bien ses intérêts que l'agriculture ? Croyez-vous qu'elle s'attende à trouver un débouché plus grand dans les campagnes, quand elles seront appauvries. N'y a-t-il pas entre l'agriculture et l'industrie solidarité complète ? Ce sont deux intérêts qu'il est impossible de séparer.
Moi, aussi, je demande protection pour tous les intérêts nationaux, mais je la demande avec discernement, je la demande d'une manière éclairée et judicieuse.
Toute la question est de savoir si tel régime est plus utile que tel autre à telle ou telle industrie.
Ainsi, s'il était démontré que l'échelle mobile, au lieu d'être favorable à l'agriculture, lui était nuisible, que, sous l'ancienne législation, les fluctuations de prix étaient plus fréquentes qu'aujourd'hui (vous en avez l'exemple en France), qu'une législation libérale stimule le commerce et donne au cultivateur, en moyenne, un meilleur résultat, je vous le demande, à quoi bon introduire dans votre tarif un mensonge, un prix rémunérateur qu'on n'obtiendra jamais ou au moins très rarement ? Voulez-vous pousser à l'augmentation des baux ? Eh bien, comme propriétaire, je n'hésite pas à le dire, je ne veux pas de cette augmentation factice des baux.
Il est impossible de faire surgir plus d'hectares de terre qu'il n'y en a aujourd'hui.
C'est une raison pour que la valeur des propriétés immobilières se maintienne ; cette valeur doit même augmenter, par la force des choses, en raison de l'accroissement de la population et des capitaux.
La même cause, il importe de le remarquer, fait sur l'industrie un effet complètement opposé, elle suscite la concurrence, car la production des manufactures n'a pas de limites.
On me dit, au moins en ce qui concerne le bétail, il y a quelque chose à faire. L'avilissement du prix est vraiment extraordinaire, j'en conviens. Et quant à moi, j'ai toujours établi une distinction à cet égard, lors de la discussion de la loi sur les denrées alimentaires, j'ai demandé que l'on établît une tarification au poids, et la loi a été amendée en ce sens. On a voté un droit modéré à l'entrée du bétail. Mais ce droit doit-il être augmenté ? Faut-il attribuer à l'augmentation de l'importation du bétail gras l'avilissement des prix ? En consultant la statistique, je ne suis guère tenté de le croire : la Hollande trouve aujourd'hui en Angleterre un marché où elle peut vendre le bétail à des prix plus élevés que chez nous.
D'un autre côté, chose vraiment inexplicable, le prix du bétail sur pied est extrêmement bas, et le prix de la viande ne varie guère.
Ce fait, messieurs, vous a tous frappés. Je l'avais déjà signalé dans une autre occasion, j'avais même engagé le gouvernement à faire étudier la question, à ouvrir au besoin une enquête.
Il est évident que la baisse du prix de la viande aurait pour effet d'augmenter la consommation. Nos éleveurs recueilleraient ainsi des avantages beaucoup plus positifs que ceux qu'ils pourraient espérer d'une aggravation des droits de douane.
En thèse générale je n'ai pas grande foi dans les tarifs lorsqu'il s'agit d'agriculture ; mais il faut bien en tenir compte, certains droits existent à l'entrée des céréales et du bétail. L'agriculture trouve une autre protection moins problématique dans une large distribution des subsides en faveur de la voirie vicinale, dans la suppression des péages sur les canaux et rivières pour le transport des engrais, dans l'établissement de stations pour le bétail, dans l'institution de primes pour encourager l'amélioration des races et le perfectionnement des instruments aratoires, dans l'enseignement, et enfin dans beaucoup d'autres mesures qu'il serait inutile d'énumérer.
Il se peut qu'il reste quelque chose à faire dans cette voie. Le drainage, par exemple, n'est pas encore apprécié dans notre pays comme il devrait l'être.
On reconnaîtra peut-être qu'il serait utile d'avoir recours à des mesures d'encouragement analogues à celles qui ont été prises par le gouvernement anglais. C'est une question sur laquelle je ne me prononce pas d'une manière absolue mais elle mérite examen.
Mais si l'agriculture n'a pas dans le tarif une protection analogue à celle qu'y trouve l'industrie ; si cette protection ne se manifeste pas constamment sous la même forme, est-ce à dire qu'on doive frapper l'industrie, abaisser les droits à l'ombre desquels elle a jeté de profondes racines ?
Je voudrais bien savoir qui, dans les circonstances actuelles, oserait prendre la responsabilité de mesures qui jetteraient la perturbation dans l'industrie, qui la révolutionneraient ! La Belgique est placée entre trois grands pays où il y a des mouvements incroyables dans la production. Nous sommes à la veille d'une crise peut-être, et vous ne craindriez pas d'abaisser les barrières qui nous ont constamment protégés !
Mais lorsqu'il y a une crise en Angleterre ou en Allemagne, ces vastes bassins industriels sont obligés de déverser leurs produits sur les marchés voisins avec 20 ou 30 p. c. de perte. Vous l'avez vu en 1848 et à d'autres époques encore.
Comment notre industrie, naturellement moins puissante, soutiendrait-elle un pareil choc ? Y avez-vous réfléchi ?
Et quand les fabricants auront été obligés de quitter la partie, que ferez-vous de ces milliers d'ouvriers qui trouvent aujourd'hui du travail et qui sont en définitive les meilleurs clients de l'industrie agricole ?
Quant à moi, messieurs, je repousse, comme je l'ai dit en commençant, la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Coomans.
Mon vote sera une protestation contre les développements auxquels j'ai cru devoir répondre.
M. Coomans. - Je l'avoue, messieurs, je suis pris à l'improviste. Je n'ai pu lire que ce matin dans le Moniteur la seconde moitié du discours prononcé avant-hier par l'honorable ministre des finances. J'ai été retenu en section centrale pendant deux heures. Voilà déjà des motifs pour invoquer l'indulgence de la chambre.
J'en ai une meilleure encore. Je ne possède pas l'habileté oratoire de l'honorable ministre des finances, je le regrette ; je ne l'ai jamais autant regretté qu'aujourd'hui. Car ce qui fâche un homme convaincu, c'est la quasi-impuissance où il se trouve de lutter avec le sophisme éloquent, avec ce sophisme habillé de manière à tromper les esprits superficiels.
Je ne m'attendais pas à voir la prise en considération de ma proposition combattue. Si le gouvernement avait dit qu'il convenait d'ajourner la discussion approfondie de cette proposstion de loi jusqu'à ce qu'il eût lui-même saisi la chambre de celle qu'il médite, j'aurais pu me rendre à cette considération, si la chambre n'avait pas jugé que c'était une atteinte portée à l'initiative parlementaire. Mais repousser la simple prise en considération d'une œuvre sérieuse, loyalement présentée, dont je souhaite l'adoption du plus profond du coeur, c'est une prétention que je repousse, et que je suis persuadé que la chambre ne ratifiera pas.
Messieurs, je n'ai pas été peu surpris de voir l'honorable ministre insister surtout sur les prétendues contradictions où, d'après lui, je suis tombé. Si quelqu'un doit se dispenser de me faire pareil reproche, c'est (page 124) l’organe du gouvernement, Car les contradictions et les inconséquences dans la politique commerciale du gouvernement sont manifestes. Je le démontrerai. Je dois d'abord répondre à quelques-unes des objections qui m'ont été faites.
L'honorable ministre a commencé par en formuler deux : d'abord, je ne suis pas l'auteur de ma proposition de loi ; en second lieu, cette proposition n'est pas sincère.
Le premier de ces reproches me touche peu. Je suis très sensible au second.
Je dis que le premier reproche me touche peu, car lors même qu'il serait vrai que je ne fusse pas l'auteur de ce projet de loi, ce ne serait pas un motif pour la chambre de ne pas l'apprécier avec impartialité, lorsque j'en accepte le patronage.
Il est vrai, chacun le sait, que j'ai étudié particulièrement, depuis plusieurs années, les besoins commerciaux du pays avec les conseils de quelques hommes pratiques ; que j'ai pris, à cet effet, l'avis du maître que je considérais comme le plus habile. C'était faire preuve de modestie, à coup sur ; c'était faire preuve du désir de m'instruire et de trouver la vérité.
Je me suis appliqué à l'étude de nos intérêts matériels, avec cet honorable négociant dont le nom s'est trouvé accolé au mien sur une brochure que j'ai pris la liberté de distribuer aux membres de la chambre il y a plus de trois ans. Je me suis mis d'accord sur presque tous les points avec cet honorable négociant, que j'ai consulté pour la rédaction de mon projet de loi. Il me paraît que ce devrait être un motif de plus pour le gouvernement d'admettre la prise en considération de cette proposition, de la considérer comme une œuvre sérieuse. Car, après tout, cet honorable négociant a été consulté souvent par le gouvernement lui-même. Il me paraît que je ne pouvais pas puiser à meilleure source qu'à celle où nos gouvernants ont puisé eux-mêmes depuis quelques années. Je n'hésite pas à le dire, si le gouvernement, avant de conclure avec la Hollande, avait pris l'avis de cet honorable Anversois et de quelques autres, il aurait conclu sans doute un traité moins désavantageux que celui dont se plaint à présent la Belgique commerciale.
Quant au second reproche auquel je suis très sensible, c'est de ne pas désirer l'adoption de mon projet de loi.
J'y suis sensible, non pour moi seul, mais parce qu'on m'attribue des intentions injurieuses pour la chambre. Je prends mon mandat trop au sérieux pour me permettre jamais une aussi mauvaise plaisanterie envers la représentation nationale.
Je ne lui proposerai jamais des mesures que je croirai mauvaises, et M. le ministre m'insulte en insinuant que je suis capable d'un pareil machiavélisme.
Oui, messieurs, je désire sincèrement l'adoption de mon projet de loi.
Est-ce à dire que je le considère comme le meilleur système dont la Belgique puisse être doté ? Pas le moins du monde. Je l'ai dit, je l'ai répété, je suis protectionniste. Si j'étais maître de formuler un système commercial pour la Belgique, je le formulerais autrement. Mais qu'ai-je dit ? Entre deux maux il faut choisir le moindre. La raison le conseille, le patriotisme en fait un devoir. Notre législation commerciale est inique et absurde, l'honorable M. Frère l'a parfaitement démontré. La réforme en est urgente.
Voyant que le gouvernement ne prenait pas l'initiative de réformes, qu'il se contentait de prôner à la tribune, et dont il ne commençait pas l'exécution, j'ai pris les devants et j'ai rédigé un projet de loi réparateur, de façon qu'il eût quelque chance d'être adopté par la majorité libérale de cette assemblée, en même temps qu'il n'offrît pas de danger sérieux pour la Belgique.
Je ne prêterai jamais la main aux votes de lois que je considérerais comme mauvaises ; ce que j'ai dit, je le proclame encore, c'est que le cabinet et sa majorité ont tort de maintenir un état de choses dont ils reconnaissent l'absurdité et l'injustice ; c'est que cet état de choses est intolérable, destructif de légalité constitutionnelle des Belges devant la loi ; c'esi qu'il faut le modifier au plus tôt ; c'est qu'il désunit nos compatriotes et nuit injustement à la première de nos industries ; c'est enfin qu'il doit être remplacé par un régime uniforme, équitable, conçu soit dans le sens protectionniste, soit dans le sens libéral.
A ce mal reconnu de tous, nous voulons tous porter remède. Est-ce à dire que j'exige que ce remède soit porté immédiatement et violemment ? L'honorable ministre, se trompant toujours sur la portée de mon langage, se plaint qu'on exige de lui quelque chose de déraisonnable et d'impossible ; il affecte de croire que je lui reproche de ne pas improviser à tort et à travers l'application complète du free trade, de ne pas avoir pratiqué déjà un système de commerce roide, absolu, démolisseur. L'honorable ministre prétend que je ne lui laisse pas le temps de la réflexion et que je veux réformer, du jour au lendemain, nos lois douanières, dût y périr tout le travail national.
L'honorable ministre siège depuis longtemps sur ce banc, depuis 4 ans et demi. Il a eu tout le temps d'improviser un système, et il me paraît qu'après avoir parlé si longuement avant-hier contre le système des droits différentiels de manière à prouver que sa conviction est bien établie à cet égard, il n'a plus l'excuse qu'il invoque. A lui moins que personne, il est permis de temporiser davantage.
D'après l'honorable M. Frère, je serais en contradiction avec moi-même parce que j'ai qualifié le libre échange de brillante utopie et que je viendrais aujourd'hui proposer l'application de cette utopie. Mais il n'en est rien, messieurs. La tactique de l'honorable ministre des finances est de confondre sans cesse le free trade avec ma proposition de loi.
C'est une erreur tout au moins. Le mépris que je professe pour le libre échange ne peut pas retomber sur ma proposition de loi, car le libre échange et ma proposition diffèrent « toto cœlo ».
En effet, l'honorable ministre me reprochait tout à l'heure d'être beaucoup plus protectionniste qu'il n'a lui-même envie de l'être, du moins quant aux droits différentiels ; il me reprochait de demander l'établissement de droits protectionnistes exagérés en matière de provenances directes. Je ne suis donc pas un bien terrible libre-échangiste.
Voilà comment il appréciait mon projet, quant au commerce et à la navigation.
Mais quant à l'industrie, je laisse encore 20 p. c. de protection à nos travailleurs et spéculateurs.
L'honorable ministre {je tiens note de tout ce qu'il a dit sur cette matière) prétendait l'autre jour, ici même, que 20 p. c. de protection équivalaient à une prohibition. (Interruption.) Dans la plupart des cas, 20 p. c. équivalent à la prohibition, disait l'honorable ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela.
M. Coomans. - L'honorable ministre des finances, j'en appelle à la mémoire de tous mes honorables collègues, et je citerai au besoin le Moniteur, disait l'autre jour que pour les nombreux articles qui ne peuvent pas acquitter un droit d'entrée de 20 p. c, ce droit équivaut à la prohibition.
Eh bien, je dis donc que 20 p. c. c'est de la prohibition, dans la pensée de l'honorable ministre des finances, et que 20 p. c. donnent assurément une protection sensible.
Qu'il ne renie pas ces paroles, car elles sont l'expression de la vérité. Pour rencontrer rapidement et successivement les objections que l'honorable ministre des finances m'oppose, je relèverai d'abord ce qu'il a dit du café et'du riz, que je veux imposer d'une manière cruelle pour les populations ouvrières.
Il est vrai qu'il y aurait, du chef de la tarification que je propose, une augmentation de recettes pour le trésor assez considérable et que la plus forte part de cette augmentation proviendrait du café et du riz ; mais à ce sujet, voici les observations que j'ai à faire : d'abord je voulais désintéresser le trésor dans la réforme douanière : je ne pensais pas que les circonstances fussent telles qu'on pût imposer de nouveaux sacrifices au trésor ; je désirais que la douane rapportât au moins, après l'adoption de mon système, ce qu'elle donne aujourd'hui. Il fallait donc que le trésor s'indemnisât, sur certaines denrées, des pertes que lui causait l'affranchissement de quelques autres. Mais si j'augmentais légèrement les droits sur le café et les riz, une compensation notable est accordée au consommateur : si j'élève un peu les droits sur deux denrées coloniales, je diminue ou supprime, d'un autre côté, les droits sur un grand nombre d'articles de consommation populaire.
Le riz, du reste, n'est guère consommé en Belgique que par la classe aisée ; le café, j'en conviens, est d'un usage plus général ; mais je prie l'honorable ministre des finances, qui est si habile à expliquer les choses inexplicables, de bien vouloir me répondre sur ce point-ci :
Il y a deux ans, le prix du café a augmenté de 35 à 100 p. c. et personne ne s'en est aperçu, au moins personne ne s'en est plaint. (Interruption.)
Je soutiens que la cherté du café n'a soulevé aucune réclamation ; que la presse ne s’en est pas émue ; qu’aucun journal n'en a même parlé. D'où vient ce silence ? Que M. le ministre me le dise. Si une augmentation de 100 p. c. n'a pas soulevé la moindre réclamation, comment pourrait-on supposer qu'une augmentation de prix de 2 ou 3 p. c, maximum de celle qui résulterait peut-être de l'augmentation de droit que je propose, ferait crier les populations ?
Du reste, quand on impose le sel à 1,000 p. c, il n'y a pas de motif pour ne pas imposer le café d'un droit de 10 à 15 p. c.
L'honorable ministre des finances m'a reproché d'être grand amateur des primes et des subsides, parce que, selon lui, j'en élèverais le chiffre pour le commerce de certaines denrées de provenance directe. Messieurs, je dois répéter ici quelle signification j'attache aux mots « primes » et « subsides ». J'ai toujours dit que je ne voulais pas de primes distribuées arbitrairement, que je ne voulais ni primes de sortie, ni primes d'entrée, que je ne voulais pas de l'intervention du gouvernement dans la dispensation privilégiée des deniers publics ; mais j'ai dit aussi que je ne considérais pas comme aussi mauvaises les primes accessibles à tout le monde, à savoir les primes résultant de la protection douanière, celles-là je les admets ; toutes les autres primes je les repousse surtout celles dont la principale industrie gantoise a tant profité et qu'on semble vouloir maintenir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez dit que vous ne vouliez pas de primes, de quelque masque qu'on les affublât.
M. Coomans. - De quelque nom qu'on les décorât.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - De quelque masque.
M. Coomans. - Va pour le masque ; c'est surtout aux masques que je fais la guerre. Mais j'ai toujours dit que je ne regardais pas comme de véritables primes les primes douanières. J'avoue qu'au fond ce sont des primes aussi, mais des primes indirectes, des primes à la portée de tout le monde, des primes que le ministère ne distribue pas selon son (page 125) bon vouloir, des primes en un mot que j'ai exceptées de la condamnation générale.
Du reste, suis-je si coupablc pour maintenir les prîmes douanières ? Il paraît que personne ne les dédaigne ici, témoin le tarif belge et le soin qu'on a de le maintenir intact. L'honorable ministre des finances lui-même, free trader rigoureux en théorie, compte bien maintenir les primes, car il maintiendra la douane. Qui ne veut pas de primes du tout, doit supprimer la douane. Ceci, messieurs, me paraît de la simple logique, comme le dit l'honorable ministre de celle que j'emploie ; simple logique soit ; je la préfère à la logique double, dont se servent parfois mes honorables adversaires.
L'honorable ministre me reproche d'avoir renvoyé aux statistiques officielles du gouvernement pour la tarification des produits industriels.
Il s'est donné beaucoup de peine pour démontrer que la statistique du gouvernement est absurde, et je dois lui rendre la justice de reconnaître qu'il m'a presque convaincu sur ce point ; mais l'honorable ministre des finances serait fort embarrassé d'établir lui-même la distinction entre les matières premières et les fabricats, c'est une des questions d'économie politique les plus controversées. Je voudrais bien savoir ce que l'honorable ministre des finances entend par « matières premières ». Je crois qu'il y en a très peu, s'il en existe dans le commerce.
Par exemple, d'après la doctrine du gouvernement et de certains économistes, un bœuf est une matière première. (Interruption.) Oui, messieurs, c'est ce qu'on a toujours prétendu ; c'est parce que l'on a considéré la viande comme une matière première, qu'on a combattu toute espèce de droit d'entrée sur le bétail. Un bœuf est donc, selon le cabinet, une matière première. Cependant il n'y a peut-être pas de produit plus compliqué que celui-là. Il y a peu d'objets qui exigent autant de travail humain qu'un bœuf pour arriver à un état satisfaisant de prospérité. (Interruption.) Il est, je pense, tout aussi difficile de faire du bétail gras que des tissus de coton, et le bœuf est d'une fabrication plus difficile qu'une aune de calicot. Où est la marchandise où il n'entre pas de main-d'œuvre. Je n'en connais guère. Les matières premières (celles qui n'appartiennent à personne parce que personne n'y a mis la main) n'ont pas de valeur.
Ceci est sérieux, messieurs, par le fond sinon par la forme. Je déclare qu'il n'y a rien de plus difficile à distinguer que les matières premières des fabricats.
L'honorable ministre des finances disait tout à l'heure que le fil était un fabricat ; mais beaucoup d'autres personnes disent que c'est une matière première. La vérité est que le fil est une matière première pour celui qui lisse, de même que le tissu est une matière première pour celui qui confectionne des habillements.
Je prie donc l'honorable ministre des finances de bien vouloir m'indiquer, tracer la ligne de démarcation entre les matières premières et les fabricats ; il rendra un vrai service à la science, et je m'engage dès à présent à tarifer les objets compris dans mon projet de loi, selon qu'il le décidera lui-même.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela prouve que votre article n'est pas applicable.
M. Coomans. - Cela prouve que vos statistiques ne valent rien, vous en faites vous-même la critique la plus amère. Vos statistiques portent : « objets fabriqués », je dis que ces objets ne payeront que 20 p. c ; vous m'objectez que ce ne sont pas des objets fabriqués ; eh bien, faites vos errata, je les accepterai.
L'honorable ministre des finances disait tout à l'heure que j'ai soutenu comme axiome que plus le prix des denrées alimentaires est élevé, plus la situation des populations est prospère. Je n'ai jamais formulé une idée aussi fausse et aussi inhumaine : quand la récolte est mauvaise et que les prix s'élèvent, ce qui en est la conséquence infaillible, c'est un grand malheur pour tout le monde aussi bien pour le consommateur que pour le producteur, que pour le propriétaire. Ceci a été cent fois reconnu sur les bancs où je siège.
Je n'ai jamais dit que la cherté fût un bien ; mais j'ai dit que lorsque la récolte était abondante, et que les importations étrangères venaient déprécier encore les prix, de façon à enlever au producteur son gagne-pain, j'ai dit que cette diminution factice était un mal, et je le maintiens.
Si M. le ministre des finances ne veut pas d'augmentations factices de prix, chose dont la fabrique gantoise s'acemomode fort bien, je ne veux pas de diminution factice de prix. Laissez faire la nature et la liberté, sous un régime égal, juste, équitable. Nous ne réclamons rien de plus.
Messieurs, pourquoi ai-je distingué entre les droits différentiels de provenance et les droits différentiels de pavillon ? M. le minisite ne peut pas comprendre le motif qui m'a guidé. Mais j'ai distingué dans l'intérêt du consommateur lui-même, parce que le droit différentiel de provenance a pour but de forcer le négociant belge à chercher les produits aux pays de provenance, même où ils sont au plus bas prix ; et de favoriser ainsi les relations directes avec ces pays de provenance, non seulement pour obtenir les marchandises au meilleur marché, mais encore pour faciliter ainsi l'écoulement des produits belges.
Par conséquent ceux qui ne se bornent pas à recommander le commerce d'échanges, le commerce naturel, le seul véritablement lucratif et utile au pays, mais qui tâchent de modifier la législation dans le double intérêt du travail et des consommateurs, ceux-là favorisent les provenances directes, convaincus que plus nous fréquenterons les pays de production, plus nous écoulerons de produits manufactures tout en abaissant le prix des denrées coloniales.
M. le ministre des finances a fait avant-hier un aveu dont je prends acte et sur lequel je voudrais bien avoir l'avis de l'honorable M. T'Kint de Naeyer. M. le ministre a dit, page 111, deuxième colonne des Annales parlementaires :
« Un des principaux et des plus fâcheux résultats du régime protectionniste a été de renchérir d'abord proportionnellement le prix des produits par l'absence de concurrence et la nécessité de servir l'intérêt des capitaux engagés. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Continuez la phrase.
M. Coomans. - Volontiers. « De comprimer par cela même l'essor de diverses industries secondaires pour aboutir enfin à l'intérieur, sur le marché réservé, à une concurrence ruineuse. »
Je continuerai, si M. le ministre le désire encore, avec d'autant moins de répugnance que beaucoup de ses paroles sont parfaitement conformes à ma manière de voir.
Mais ce que j'ai voulu constater, c'est que M. le ministre des finances a reconnu que tout droit protecteur fait renchérir proportionnellement la marchandise. Ceci est très conforme aux principes, mais ceci est très important à établir. Les droits protecteurs dont jouissent tous les fabricats belges font donc hausser proportionnellement le prix de la marchandise ? Quelle que soit la signification que M. le ministre des finances attache au mot « proportionnellement », toujours est-il, et c'est tout ce que je veux constater, qu'il résulte de la protection douanière une augmentation du prix de la marchandise....
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jusqu'à ce que la concurrence à l'intérieur s'établisse.
M. Coomans. - Vous n'avez pas fait cette réserve dans votre discours, mais soit. C'est précisément ce qui justifie ma proposition de loi. Qu'ai-je voulu obtenir par mes discours et pratiquer par mes actes ? C'est une certaine égalité de traitement douanier, non pas une égalité absolue. On ne gouverne pas avec des idées absolues. Mais une certaine égalité de traitement pour les diverses branches du travail national. Or, M. le ministre des finances a reconnu deux choses : il a reconnu loyalement l'autre jour, en présence d'une déclaration opposée de M. le ministre de l'intérieur, que la libre entrée des denrées alimentaires de l'étranger diminue les prix des nôtres ; que c'était là le but de la loi. Ce but, M. le ministre des finances l'avoue d'autant plus haut qu'il se félicite de l'avoir atteint.
D'un autre côté, M. le ministre des finances avoue que la protection augmente le prix vénal des fabricats. Voilà donc le plus grand nombre de nos compatriotes contrariés dans l'action libre de leur travail par la loi qui, d'une part, mécaniquement, artificiellement, hypocritement, injustement, fait baisser les prix de leurs produits et qui, d'autre part, hausse le prix des produits qu'ils sont obligés d'acheter.
On a beau dire que l'ouvrier des villes doit vivre ; moi je dis que l'ouvrier de la campagne doit s'habiller ; et où est la justice d'imposer à l'ouvrier des campagnes, écrasé par la concurrence étrangère, une prime en faveur de l'ouvrier des villes, mis à l'abri de cette concurrence ?
Nous sommes beaucoup moins éloignés l'un de l'autre, M. le ministre des finances et moi, que ne paraîtrait le faire croire l'opposition qu'il fait à la prise en considération de ma proposition.
M. le ministre des finances s'est plaint avant-hier de ce que notre législation douanière était essentiellement protectionniste ; que c'était là de la prohibition pure ; qu'elle est pleine d'anomalies, de complications inextricables, qu'elle est un dédale, qu'elle consacre jusqu'à 2,800 taxes différents.
Eh bien, mon projet de loi porte un remède à tous ces maux, que M. le ministre des finances déplore éloquemment, mais qu'il maintient prudemment ; mon projet de loi tend à faire disparaître entre autres ces protections exagérées qui sont le « masque » de la prohibition ; mot excellent que j'emprunte à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances a cité à ce sujet des faits et des chiffres ; je puis, à mon tour, lui en citer quelques-uns. Il y a aujourd'hui 700 objets imposés ; un projet tend à faire disparaître du tarif environ 200 de ces objets, non seulement parce que la protection est peu utile à ceux qui, chez nous, produisent les articles similaires, mais parce que le résultat financier est presque nul.
Je vous le demande, messieurs, n'est-il pas ridicule de maintenir dans le tarif belge des articles qui ne produisent presque rien, qui n'y figurent que pour mémoire ?
Ainsi, et je prends l'année la plus favorable, celle où les importations ont été les plus considérables. L'année 1849, l'anis étoile a produit 2 francs ; l'antimoine n'a rien donné ; le benjoin a procuré une recette de 40 francs ; le bois de réglisse, 7 francs, etc. Ce sont là des chiffres ridicules.
Eh bien, voilà encore un des buts que poursuit M. le ministre des finances, et que j'atteins par mon projet de loi.
L'honorable ministre des finances a proclamé un principe qui doit sonner bien mal également aux oreilles de l'honorable M. T'Kint de Naeyer. Il ne veut pas de droits dits protecteurs dont le taux excède le maximum des impôts que peuvent, apporter les produits étrangers destinés à être vendus en concurrence avec nos produits.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela.
M. Coomans. - Je trouve ces paroles dans le Moniteur d'hier, page 112.
C'est un principe admis par les libre-échangistes que la protection (page 126) résultant de la douane ne doit jamais excéder le maximum des impôts que peuvent supporter les produits étrangers destinés à être vendus en concurrence avec nos produits, c'est-à-dire que tous les droits de douane devraient être réduits non à 20 p. c., comme je propose de le faire, mais à 4 ou à 6 p. c, et qu'il faudrait avoir égard en outre à ce point important qu'on ne devrait pas fixer les droits au-dessous de la prime de fraude.
L'honorable ministre considère la fraude comme un grand mal, et non sans raison ; mais pour y obvier, il propose un remède héroïque, que les hommes pratiques regardent comme pire que le mal même. Ce remède c'est l'abaissement des droits à un taux tel que le négociant ait plutôt intérêt à les acquitter qu'à payer une prime de fraude de 4 à 6 p. c.
Il est évident que quand le fraudeur n'aura plus d'intérêt à frauder, il ne fraudera plus. Mais je prie l'honorable M. T'Kint de Naeyer de s'expliquer sur ce principe de M. le ministre des finances, qu'il ne faut pas que la protection résultant de la douane soit plus élevée que le maximum des impôts que peuvent supporter les produits étrangers destinés à être vendus en concurrence avec nos produits.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous me faites dire ce que je n'ai pas dit.
M. Coomans. - La faute en est au Moniteur que je viens de vous lire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La faute en est à votre manière délire.
M. Coomans. - J'ai appris à lire comme vous sans doute. Je ne sache pas qu'il y ait une autre manière.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une mauvaise manière. Je ne vous engage pas à la conserver.
M. Coomans. - ous avez désapprouvé vos propres statistiques, désavouerez-vous maintenant les Annales parlementaires ?
M. T'Kint de Naeyer. - M. le ministre des finances est sans doute meilleur juge de sa pensée que l'honorable M. Coomans.
M. F. de Mérode. - La pensée s'exprime par les paroles.
M. Coomans. - Il y a quelque chose de bien fort, de bien singulier, à mon sens, dans l'opposition que fait à ma proposition l'honorable ministre des finances ; c'est que cette proposition est l'acceptation d'une offre qu'il m'a adressée.
J'avais dit un jour qu'il était étrange que la houille et le fer fussent protégés par des droits plus que prohibitifs, alors que tant d'autres objets, non moins dignes de la sollicitude du gouvernement, étaient protégés par des droits faibles, ou n'étaient pas protégés du tout. Qu'a répondu M. le ministre des finances ? Proposez, a-t-il dit, l'abolition entière de ces droits, et nous accueillerons votre proposition.
L'honorable ministre a même été appuyé dans cette déclaration par d'honorables membres qui siègent près de lui. Je crois que les honorables MM. Delfosse et Lesoinne se sont joints à lui pour m'engager à faire une proposition en ce sens. Vingt fois, les membres du gouvernement m'ont dit :« Ne vous bornez pas à des discours. Posez un acte. Arrivez avec une proposition de loi. » J'arrive enfin avec une proposition de loi, élaborée très consciencieusement, et l'on ne veut pas même l'examiner ; car, en définitive, c'est la portée réelle des conclusions de l'honorable ministre. Il ne veut pas qu'on renvoie ma proposition aux sections.
Je n'ai pas l'ambition de voir voter ma proposition sans amendements. C'est pour nous amender les uns les autres que nous discutons ; c'est pour modifier, pour améliorer nos œuvres. Je désire que, dans les sections, des hommes plus habiles que moi me corrigent. Je suis prêt à accueillir tous les bons conseils et surtout ceux qui viendraient de la part de l'honorable ministre des finances. Je ne pense pas qu'il faille repousser les propositions d'un adversaire, uniquement parce qu'elles sont faites par un adversaire.
Je crois donc avoir démontré que je ne suis pas en contradiction avec moi-même, lorsque je viens présenter un projet de loi modérément protecteur, pour faire disparaître une iniquité manifeste de notre régime douanier. Je ne suis pas inconséquent, lorsque je trouve que l'état actuel des choses est pire que la proposition que je patronne, et que celle-ci constitue une véritable amélioration.
J'ai la conviction qu'il en résultera des avantages notables pour le plus grand nombre de mes compatriotes. Donc je n'ai pas l'intention de sacrifier les intérêts généraux pour le triste et coupable plaisir de faire triompher une idée de rancune et de vengeance, pour embarrasser le cabinet.
Quant au discours de l'honorable M. T'Kint de Naeyer, j'y répondrai peu de chose : cet honorable membre semble aussi favorable que moi, en principe, à une réforme douanière ; mais il demande de la mesure et du temps, surtout du temps.
C'est du temps qu'il faut à cet honorable membre. Pourvu qu'on le lui accorde, il se montrera fort accommodant pour le reste. Mais ce temps dure depuis bien longtemps, et c'est précisément parce qu'il dure trop que nous désirons qu'on pose enfin des actes.
M. T'Kint de Naeyer. - Je vous demanderai si vous accepteriez la responsabilité d'une improvisation en pareille matière.
M. de Theux. - Une réforme mûrie pendant quatre années n'est pas une improvisation.
M. Coomans. - C'est évident. C'est une tâche facile, en quatre ans, pour des hommes qui veulent innover à tout prix, et qui condamnent tout ce qui s'est fait avant eux. Moi, indigne, je me fais fort d'improviser, au bout de 4 ans, un système de douane, surtout, lorsque j'aurais la prétention sinon la conviction que mon système a toutes les qualités de celui de M. le ministre des finances.
D'après l'honorable M. T'Kint de Naeyer, la protection de 20 p. c. que je réserve au travail manufacturier, est un chiffre illusoire, une déclaration de guerre à l'industrie ; c'est la ruine de l'industrie.
M. T'Kint de Naeyer. - J'ai parlé des termes dont vous vous êtes servi dans les développements de votre proposition.
M. Coomans. - J'avais compris que c'était la réduction de la protection à 20 p. c. que l'honorable membre trouvait ruineuse pour l'industrie. Au fond, du reste, telle est sa pensée, il ne me contredira pas.
Il est du reste assez étrange que l'on révoque en doute la modération et l'équité de mon projet de réforme douanière, alors qu'on est membre d'une députation industrielle qui a vingt fois insisté dans cette enceinte sur la nécessité de l'estampille et même des visites domiciliaires, ce nec plus ultra de la protection.
Je m'attendais bien à voir ma proposition qualifiée de toutes sortes de façons, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle serait traitée d'anti-chrétienne par l'honorable M. T'Kint de Naeyer. Rien de plus chrétien que le principe de ma proposition, qui est la justice distributive. Ce qui n'est pas chrétien du tout, je vais le dire à l'honorable M. T'Kint de Naeyer, c'est qu'une grande ville, dont les députés suppriment très volontiers les moindres droits de douane sur les denrées alimentaires de l'étranger, perçoive à son profit, sur ces mêmes denrées produites dans le pays, des droits qui s'élèvent jusqu'à 11 p. c.
M. T'Kint de Naeyer. - J'ai toujours combattu ce système. Rien ne vous autorise à m'en rendre responsable.
M. Coomans. - J'ai été appelé affameur public par des amis politiques de l'honorable préopinant, parce que je proposais de percevoir sur le blé et le bétail exotique un droit d'entrée inférieur à celui que prélève l'octroi de nos grandes cités. Et par qui ai-je été qualifié de la sorte ? Par les représentants mêmes de ces cités et par un ministre.
M. T'Kint de Naeyer. - Je n'ai pas à justifier l'octroi.
M. Coomans. - Je sais que l'honorable membre a des sentiments trop généreux pour approuver les abus de l'octroi, mais j'ai raison de lui dire : Voilà ce qui n'est pas chrétien.
L'honorable M. T'Kint de Naeyer m'engage à ne pas séparer les intérêts de l'agriculture de ceux de l'industrie. Mais c'est moi qui veux les rapprocher par un traitement égal, par une solidarité étroite. C'est vous qui les faites divorcer par un traitement inégal et injuste.
Je dois dire que malgré toutes les promesses que nous a faites avant-hier l'honorable ministre des finances de réformer bientôt notre législation douanière (car son discours d'avant-hier est la mort de notre système douanier) une chose m'inspire quelque confiance, c'est l'accord qui semble exister entre les représentants de l'industrie belge la plus affamée de primes et l'honorable ministre des finances.
Quand je vois la députation d'une ville dont la principale industrie jouit d'une protection douanière de cent pour cent ne s'inquiéter de rien, et ne pas s'émouvoir de ce que le gouvernement parle de réformer de fond en comble notre législation douanière, je suis très défiant, je l'avoue, et je suis tenté de croire que le cabinet se bornera à faire des discours contre le régime protecteur.
L'honorable M. T'Kint de Naeyer nous a dit tout à l'heure : Laissez une protection suffisante à nos manufactures (probablement une protection de cent pour cent) et l'agriculture aura des primes.
Eh bien, nous n'en voulons pas. Les primes sont des aumônes distribuées arbitrairement par les ministres. Pas plus de primes pour l'agriculture que pour l'industrie ! Ce que nous voulons, c'est un traitement égal et juste, aussi égal, aussi juste qu'il peut l'ètre sans rien bouleverser. Mais des primes, nous n'en voulons pas ! Nous demandons qu'on nous fasse justice et non l'aumône.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous concevez parfaitement, messieurs, qu'après les explications que j'ai déjà données sur la question qui vous occupe, je n'ai pas l'intention de rentrer dans la discussion, et de répondre mot à mot au discours que vous venez d'entendre. Je dois seulement prolester contre cette tactique habituelle à l'honorable membre qui consiste à prêter à ses adversaires des idées qu'ils n'ont pas émises, des paroles qu'ils n'ont pas prononcées...
M. Coomans. - Ce n'est pas mon intention.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est fâcheux que, sans intention, vous procédiez toujours de cette manière.
Pour prendre un exemple entre cent, dans votre discours que j'ai écouté avec beaucoup d'attention, vous venez de dire tout à l'heure que vous vous étonniez de cet accord qui paraissait s'établir entre des membres de cette assemblée favorables au système de la protection, et même de la protection exagérée, et le gouvernement qui, par mon organe, aurait annoncé qu'il veut tout détruire, tout réformer.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit détruire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'avez pas dit détruire, c'est vrai : qui veut tout réformer, qui veut renverser de fond en comble le régime de douanes ; voilà vos expressions.
Eh bien, je fais un appel à la bonne foi de tous les membres de cette assemblée, je dirai presque à l'honorable M. Coomans lui-même, et je demande s'il est vrai que je n'ai prononcée ces paroles, s'il n'est pas (page 127) vrai que j'ai dit absolument et identiquement le contraire de ce qui m'est attribué par l'honorable membre.
J'ai exposé très complètement, je crois, très loyalement, très sincèrement, quelle était notre législation, quels en étaient les vices, et j'ai eu soin de dire presque à chaque pas que je faisais : mais cette législation existe depuis longtemps, elle a créé de grands intérêts, le gouvernement ne veut jeter la perturbation nulle part ; le gouvernement veut des réformes, il ne veut pas des révolutions.
Voilà ce que je n'ai pas cessé de répéter. Comment donc l'honorable membre peut-il, en présence de l'assemblée qui à deux jours d'intervalle a entendu ces paroles, me prêter un langage aussi opposé à celui que j'ai tenu ? Est-ce que cela révélerait peut-être la véritable portée de la proposition, la tactique qui l'a fait produire ? Serait-ce pour essayer de jeter la division dans la chambre, pour essayer de mettre certains de nos amis en opposition avec le ministère ? Messieurs, votre tactique vous pouvez y renoncer ; elle ne réussira pas.
Le gouvernement agira sagement, prudemment, comme il doit le faire. Il a signalé déjà dès à présent, des réformes dans une partie importante de notre législation commerciale ; il les produira en temps opportun, quand il le jugera utile.
Vous venez nous dire que le ministère qui est depuis 4 années aux affaires n'a pas encore apporté ce système et ces réformes qu'il fait espérer.
On n'improvise pas de pareilles mesures, disait-on à l'honorable M. Coomans. Et l'honorable M. de Theux, interrompant, répondait : Mais ce ne serait pas les improviser quand on a eu quatre ans pour les préparer.
Depuis quatre années que nous sommes aux affaires nous avons eu des lois bien importantes à soumettre à la législature. Nous avons introduit dans une grande partie de notre législation de notables réformes.
Ce n'est pas certes d'inactivité que l'on peut nous accuser. Tout ne peut se faire en même temps. Est-ce qu'il fallait choisir pour une réforme douanière, le temps pendant lequel éclatait la crise financière de 1847 ? Fallait-il choisir le moment où l'industrie et le commerce étaient sous l'influence de la crise formidable de 1848 ?
Vous l'eussiez désiré peut-être. Est-ce que la proposition, par hasard, devait être faite à dessein de semer l'inquiétude et l'irritation dans le pays ? Est-ce là ce que vous demandez ? Est-ce là ce que vous cherchez ?
Le gouvernement n'est nullement disposé à vous venir en aide. Le gouvernement veut procéder dans le calme, dans la paix, à des réformes de cette nature. Tout ce qui est possible aujourd'hui, il est disposé à le faire ; tout ce qui est immédiatement réalisable, il veut le pratiquer.
Et c'est ainsi que le moment étant venu de toucher à nos lois de navigation, le gouvernement vous annonce que des propositions vous seront incessamment soumises. Si, avant d'avoir traité avec l'Angleterre et les Pays-Bas, il était venu vous proposer une réforme des lois de navigation, vous n'auriez pas eu de paroles assez amères pour condamner son imprudence et son imprévoyance. Lorsque l'heure lui paraît opportune, le gouvernement agit. Il continuera à faire ainsi.
Quant à la proposition en elle-même, je ne suis pas disposé à attacher une grande valeur à sa prise en considération. On sait par les habitudes de la chambre quelle est la signification d'un pareil vote. Mais dans le cas particulier qui nous occupe, lorsque par les développements donnés à la proposition, on a provoqué une discussion approfondie, lorsqu'il est démontré que la proposition que l'on nous convie d'adopter, n'est pas susceptible d'examen dans les sections, qu'elle ne peut y être discutée utilement, à quoi bon la prendre en considération ? A quoi bon la renvoyer en sections, lorsqu'il est certain dès à présent qu'il ne peut rien sortir de leurs délibérations ? A quoi bon la renvoyer en sections lorsque le gouvernement vous annonce des propositions relatives aux lois de navigation dont s'occupe notamment la proposition de l'honorable membre ?
Lorsque le gouvernement vous annonce d'autres réformes, d'autres améliorations, d'autres changements qui exigent une étude complète et des documents que vous ne possédez point et qu'il serait impossible de mettre à présent sous vos yeux, à quoi bon la prise en considération ? Quelle serait son utilité ? Et si elle n'a pas d'utilité, pourquoi l'admettre ? Ne vaudrait-il pas mieux que l'honorable M. Coomans suivît le conseil que je lui ai donné de retirer sa proposition, sauf à la reproduire, lorsque les projets du gouvernement vous seront soumis ?
Une partie des propositions de l'honorable M. Coomans viendront immédiatement. Elles pourront être appréciées avec les modifications quer nous aurons à proposer à nos lois de navigation. J'engage donc l'honorable membre à retirer sa proposition.
M. T'Kint de Naeyer (pour un fait personnel). - Messieurs, j'ai à me plaindre autant que M. le ministre des finances de l'interprétation, que l'honorable M. Coomans a jugé convenable de donner à mes paroles et de sa manière d'argumenter.
J'ai parlé de deux choses ; en ce qui concerne les réformes à introduire dans notre système commercial, j'ai fait toutes mes réserves. J'ai dit qu'en pareilles matières il fallait agir avec une extrême prudence. J'ar ajouté que lorsqu'on nous soumettrait des proposition prudentes, sages pacifiques, je les examinerais.
En ce qui concerne la proposition de l'honorable M. Coomans, je me suis soigneusement abstenu d'en discuter le fond.
Je me suis contenté d'attaquer les développements que l'honorable M. Coomans a présenté. Ces développements, je vous engage à les lire, vous verrez alors si les expressions d'anti-chrétiennes dont je me suis servi sont suffisamment justifiées.
Lorsque l'honorable M. Coomans vient vous dire que les populations agricoles ne reculeraient pas au besoin devant le libre échange, devant la ruine de nos industriels, parce qu'elles en souffriraient moins que les classes manufacturières, cela a été imprimé en toutes lettres, il doit m'être permis de qualifier sévèrement un pareil langage.
L'honorable M. Coomans a fait quelques objections sur d'autres points, mais comme je n'ai en ce moment la parole que pour un fait personnel, je dois demander à la chambre si elle veut bien m'autoriser à lui répondre immédiatement.
- Plusieurs membres. - A demain.
M. le président. - Demain je réunis la section centrale pour le budget de la guerre. La séance publique pourrait être fixée à 12 heures.
- Plusieurs membres. - A une heure.
M. le président. - En ce cas, je réunirai la section centrale du budget de la guerre à 10 heures.
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.