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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 novembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 99) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Quelques secrétaires communaux dans le canton de Jodoigne demandent l'établissement d'une caisse de retraite en leur faveur, et prient la chambre de modifier l'article 111 de la loi du 30 mars 1836, concernant le traitement des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs propriétaires et habitants d'Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un impôt sur les vidanges. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Aerts, ingénieur mécanicien, présente trois exemplaires d'une brochure qu'il a publiée au sujet des encouragements que reçoivent les artistes belges de la part du gouvernement, et des abus qui se commettraient au département des travaux publics, et prie la chambre de nommer une commission d'enquête à laquelle il puisse fournir les preuves des faits dont il accuse un fonctionnaire de ce département. »

M. de Renesse. - M. Aerts, ingénieur mécanicien, se plaint du peu d'encouragement que reçoivent, de la part du gouvernement, les artistes belges qui ont découvert des inventions utiles pour le chemin de fer, et croit devoir signaler en même temps à la chambre des abus commis par l'un des fonctionnaires de l'administration du chemin de fer de l'Etat.

J'aurai l'honneur de proposer à la chambre de vouloir ordonner le renvoi de cette pétition à la section centrale des travaux publics avec invitation de présenter un rapport avant la discussion du budget de ce département pour 1852.

M. Delfosse. - La pétition doit être renvoyée à la commission des pétitions ; elle n'a aucun rapport au budget des travaux publics. Je ferai d'ailleurs remarquer que la section centrale a terminé son travail ; elle attend le rapport.

Je demande le renvoi à la commission des pétitions.

M. de Renesse. - Je persiste dans ma demande de renvoyer la pétition à la section centrale des travaux publics.

Lorsqu'il y a des pétitions ayant rapport aux travaux publics, c'est ordinairement à la section centrale des travaux publics qu'on les renvoie. Il y a dans la pétition dont il s'agit, des faits signalés et qui paraissent porter atteinte au budget des travaux publics ; peut-être y a-t-il eu des sommes détournées.

M. Aerts est en mesure de fournir des renseignements, et de prouver les faits qu'il signale ; par conséquent je crois que c'est plutôt la section centrale des travaux publics, que la commission des pétitions qui doit faire rapport à la chambre.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ferai remarquer que la pétition dont l'honorable M. de Renesse vient d'entretenir la chambre est d'abord une question administrative et même jusqu'à un certain point une question judiciaire. De manière que si un rapport doit être fait sur cette pétition, je pense que c'est plutôt la commission des pétitions que la section centrale des travaux publics qui doit en être chargée, car il n'a nullement trait aux matières traitées dans le budget des travaux publics. C'est une affaire spéciale.

M. de Renesse. - Je demande alors que la commission des pétitions fasse son rapport avant que la discussion du budget des travaux publics ne commence.

- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Plusieurs propriétaires, inventeurs, industriels et mécaniciens, à Gilly, demandent la révision de la loi sur les brevets d'invention. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques habitants de Lise, Commune, Boverie et Chatquerre, réclament l'intervention de la chambre, pour qu'il soit donné suite à leurs pétitions qui ont pour objet l'érection de ces hameaux en commune séparée de Seraing, le partage des sarts communaux et l'érection de leur chapelle en succursale. »

- Même renvoi.


« Quelques habitants de Liège demandent l'abolition des octrois communaux. »

- Renvoi à la section centrale chargé d'examiner la proposition de loi relative à l'abolition de quelques taxes communales.


« Message du sénat faisant connaître l'adoption d'un projet de loi de crédit supplémentaire des dotations de l'exercice 1851. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre trois exemplaires du texte français du treizième volume de la Bibliothèque rurale. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. Lelièvre demande un congé de quelques jours pour affaires urgentes.

- Le congé est accordé.


M. le Bailly de Tilleghem annonce qu'une indisposition l'empêche de venir siéger à la chambre (à sa lettre est joint un certificat du médecin).

- Pris pour information.

Projet de loi révisant les deux premiers livres du Code pénal

Discussion des articles

Livre premier. Des infractions et de la répression en général

Chapitre VII. De la participation de plusieurs personnes au même crime ou délit et du recèlement.
Article 86

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, voici l'amendement présenté par l'honorable M. Lelièvre et renvoyé à la commission pour nouvel examen :

« Art. 86. Ceux qui auront recelé ou fait receler des personnes qu'ils savaient avoir commis des crimes contre lesquels la loi prononce la peine de mort ou des travaux forcés, seront punis de huit jours d'emprisonnement au moins et de deux ans au plus, et pourront l'être, en outre, d'une amende de 26 à 500 francs.

« Sont exceptés de la présente disposition les parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement, ainsi que l'époux ou l'épouse même divorcés des criminels recelés.

« Il en est de même de ceux dont les femmes seraient parentes entre elles jusqu'au degré énoncé au paragraphe précédent. »

La tendance de ce nouvel article est :

1° De restreindre l'application au seul recèlement des personnes condamnées à raison de crimes contre lesquels la loi prononee la peine de mort ou celle des travaux forcés, par conséquent d'exclure le recèlement des condamnés à la réclusion et à la détention ;

2° D'étendre considérablement les exceptions portées au dernier paragraphe de l'article 86.

Quant au premier point, votre commission n'a pu s'expliquer l'exclusion du recèlement des condamnés â la réclusion, cette peine devant constituer désormais le châtiment ordinaire des crimes.

A ce point de vue, l'amendement ne peut avoir d'autre portée que de faciliter le recèlement d'un grand nombre de criminels.

Dans la rédaction proposée par notre honorable collègue, la détention se trouve également exclue du recel prévu par l'article 86. Il s'ensuit que l'article ainsi rédigé ne comprendra point l'asile accordé aux condamnés pour infractions politiques graves. A ce propos, votre commission doit faire observer que, dans la rédaction du même article proposée par votre commission et par le gouvernement, un certain nombre de ces condamnés échapperont virtuellement à son application, puisque l'emprisonnement correctionnel de cinq ans au plus est destiné à réprimer plusieurs faits de cette nature.

En ce qui concerne les crimes politiques plus graves, l'on a dû faire remarquer aussi qu'il n'y a nulle raison pour accorder une exemption à ceux qui auraient recelé des criminels de cette espèce, quelquefois très dangereux.

En effet, il y a des crimes politiques fort préjudiciables à l'ordre social. Quel motif grave pourrait légitimer une excuse systématique en faveur de ceux qui ont soustrait ces criminels à la vindicte des lois ?

Les deux derniers paragraphes de l'article 86 proposé par l'honorable M. Lelièvre rendraient, pour ainsi dire, illusoire, l'article 86 tout entier.

En effet, les exceptions, par leur nombre, effaceraient vraisemblablement l'article 86. La commission pense qu'il ne faut point faire des lois inutiles.

Enfin la disposition du Code pénal qui permet au page, en raison des circonstances atténuantes, de diminuer considérablement les peines, semble à votre commission un palliatif suffisant de la généralité des termes dans lesquels l'article 86 est conçu.

En conséquence, nous avons l'honneur de vous proposer de ne point admettre les amendements présentés par l'honorable M. Lelièvre.

Mais votre commission vous propose d'adopter l'article 86 dans les termes que l'honorable M. Delfosse lui avait assignés, en faisant disparaître la particule « ou » qui s'y trouvait répétée.

M. le président. - Nous reprenons donc l'article 86.

La commission conclut au rejet de l'amendement proposé par M. Lelièvre et à l'adoption de l'article 86 tel qu'elle l'a proposé, sauf le retranchement des mots « non excusés en vertu de la loi » et du mot « ou » répété plusieurs fois.

- Personne ne demandant la parole, l'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 86, modifié comme il vient d'être dit, est adopté.

Chapitre VIII. Des causes de justification et d'excuse
Article 89

« Art. 89. Il n'y a ni crime, ni délit, ni contravention lorsque le fait était ordonné par la loi et commandé par l'autorité légitime. »

M. Orban. - Le mot « action », auquel la commission a substitué le mot « fait », me semblait préférable.

M. Roussel, rapporteur. - Le mot « fait » a été substitué au mot « action » parce que l'article 89 est différent de l'article correspondant du Code (page 100) pénal actuel, qui ne comprend pas la contravention. Or la contravention peut n'être qu'une simple négligence : il a donc fallu ici : « le fait » au lieu de « l’action. »

- L'article est adopté.

Article 90

« Art. 90. Il n'y a ni crime, ni délit, ni contravention lorsque le prévenu était en état de démence au moment du fait, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. »

- La commission, d'accord avec le gouvernement, a proposé de mettre « l'accusé ou le prévenu » au lieu de : « le prévenu ».

M. Orban. -Messieurs, si les faits dont il s'agit dans l'article 90 ne constituent ni un crime ni un délit ni une contravention, il n'y a pas nécessairement poursuite de la part du procureur du roi ; le procureur du roi ne doit poursuivre que les crimes, les délits et les contraventions. Or, il n'y a de prévenu que quand il y a des poursuites. Il faudrait donc rétablir soit l'expression du projet du gouvernement, soit une expression analogue.

Dans l'article suivant, au contraire, le mot « prévenu » est employé avec raison, parce que là il y a nécessairement poursuite : c'est lorsque le résultat des poursuites prouve qu'il n'y a pas eu de discernement, que l'individu est acquitté.

M. Roussel, rapporteur. - Je ne sais si je dois insister. Il n'y a ni crime, ni délit, ni contravention, lorsque l'individu est en état de démence ; mais l'état de démence ne peut se supposer, il doit se prouver. Il se constate ordinairement durant la poursuite. Le cas est donc identique dans les articles 90 et 91, au moins quant à la dénomination dont le législateur doit se servir.

M. Orban. - Le cas n'est pas identique dans les articles 90 et 91. L'article 90 déclare positivement qu'il n'y a ni crime, ni délit, ni contravention, lorsque l'individu est en état de démence.

Or, si le fait n'a aucun de ces caractères, évidemment le ministère public peut ne pas poursuivre. C'est à lui à apprécier si l'un de ces caractères n'existe pas.

Le cas de l'article 91 est tout différent. Là il y a toujours poursuite, car ce n'est que par le résultat de la poursuite qu'il est décidé s'il y a discernement, et lors même qu'il est décidé qu'il n'y a pas eu discernement, il doit être pris certaines mesures à l'égard du prévenu.

- La discussion est close.

L'amendement, proposé par la commission de commun accord avec le gouvernement, et qui consiste à mettre « l'accusé ou le prévenu », au lieu de : « le prévenu », est mis aux voix et adopté.

L'article 90, ainsi amendé, est adopté.

Article 91

« Art. 91. Lorsque le prévenu avait, au moment du fait, moins de seize ans accomplis, s'il est décidé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté ; mais il sera, d'après les circonstances, remis à ses parents ou conduit dans une maison de correction, pour y être élevé et détenu pendant le nombre d'années déterminé par le jugement ou l'arrêt, et qui ne pourra excéder l'époque où il aura accompli sa vingt et unième année. »

- La commission, de commun accord avec le gouvernement, propose 1° de mettre « l'accusé ou le prévenu », au lieu de : « le prévenu » ; 2° de dire : « par l'arrêt ou le jugement », au lieu de : « par le jugement ou l'arrêt ».

- L'article 91, ainsi amendé, est adopté.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On pourrait, pour faire droit à l'observation de l'honorable M. Orban, rétablir dans l'article 90 le mot « agent » ; cependant il est moins usité que les mots « prévenu » et « accusé ». Mais je ne pense pas que dans la plupart des cas, le procureur du roi puisse, de son plein gré, arrêter toute espèce de poursuite ; je ne sais pas même jusqu'à quel point il le pourrait, à moins que la démence n'eût été constatée antérieurement ; il faut qu'il ait été constaté judiciairement que l'individu est en état de démence.

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, le mot « agent » ne me parait pas convenable ; la loi ne l'emploie jamais. Il est en contradiction avec les faits prévus dans l'article, car on peut se trouver en contravention sans être agent le moins du monde. On peut avoir contrevenu par négligence ou abstention. Les mots « accusé » et « prévenu » représentent seuls l'individualité dont parlent les articles en discussion.

Il ne peut d'ailleurs être question de la justification d'un homme non prévenu ou accusé d'un fait punissable. Nous avons intitulé le chapitre VIII comme suit : « Des causes de justification et d'excuse » ; or, on ne se justifie, on ne s'excuse que d'une prévention ou d'une accusation.

Je conclus au maintien des mots « accusé ou prévenu ».

Articles 92 à 97

« Art. 92. S'il est décidé qu'il a agi avec discernement, les peines seront prononcées ainsi qu'il suit :

« S'il a encouru la peine de mort ou celle des travaux forcés à perpétuité, il sera condamné à un emprisonnement de dix ans au moins et de vingt ans au plus.

« S'il a encouru la peine des travaux forcés à temps ou la détention extraordinaire, il sera condamné à un emprisonnement de cinq à dix ans.

« S'il a encouru la peine de la réclusion ou de la détention ordinaire, il sera condamné à un emprisonnement de un à cinq ans.

« Dans tous les cas, il pourra être, par l'arrêt ou le jugement, placé sous la surveillance de la police pendant cinq ans au moins, et dix ans au plus. »

- Cette nouvelle rédaction est adoptée.


« Art. 93. Lorsque l'individu âgé de moins de seize ans aura commis, avec discernement, un délit, la peine ne pourra s’élever au-dessus de la moitié de celle à laquelle il aurait été condamné s’il avait eu seize ans. »

- Adopté.


Articles 94 à 97

« Art. 94. Des maisons spéciales sont affectées aux détenus en vertu de l'article 91, et aux condamnés en vertu des articles 92 et 93. »

« Art. 95. Les détenus en vertu de l'article 91 ne sont soumis au régime cellulaire que durant la nuit. »

« Art. 96. Les condamnés en vertu de l'article 92 ne sont soumis au régime cellulaire de jour et de nuit :

« Ceux condamnés pour crimes emportant peine de mort, travaux forcés à perpétuité ou à temps ou détention extraordinaire, que pendant une année au plus ;

« Ceux condamnés pour crimes emportant une peine moins forte, que durant six mois au plus ;

« Ceux condamnés pour délit, que pendant trois mois au plus.

« A l'expiration de ces termes, les jeunes délinquants ne seront soumis au régime cellulaire que durant la nuit. »

« Art. 97. Les individus détenus en vertu de l'article 91, et ceux condamnés, en vertu de l'article 93, pourront être placés en apprentissage soit chez des cultivateurs, des artisans ou des fabricants, soit dans de» établissements spéciaux.

« Toutefois l'administration pourra toujours ordonner leur réintégration dans les maisons spécifiées en l'article 94. »

La commission, de commun accord avec le gouvernement, en propose la suppression.

M. Roussel, rapporteur. - Si la commission, d'accord avec le gouvernement, demande la suppression de ces articles, ce n'est pas que ni le gouvernement ni la commission en désapprouve le contenu ; mais c'est parce qu'ils doivent prendre place dans la loi sur le régime cellulaire. En effet, vous voudrez bien remarquer que ces articles contiennent un grand nombre de dispositions qu'on peut appeler disciplinaires, qui se rapportent plus particulièrement au régime intérieur des prisons. Nous avons pensé que ce serait tout à la fois simplifier le Code pénal, et permettre à la loi sur le régime cellulaire d'être plus complète, que de supprimer ces articles, d'autant plus que cette suppression permettrait de mettre à la fois en vigueur tous les articles dont se composera la loi sur le régime cellulaire.

- La suppression des articles 94 à 97 est prononcée.

Article 98

« Art. 98. Lorsqu'un sourd-muet, âgé de plus de seize ans, aura commis un crime ou un délit, s'il est décidé qu'il a agi sans discernement il sera acquitté ; mais il sera, d'après les circonstances, remis à ses parents ou placé dans un établissement pour y être détenu et instruit pendant tel nombre d'années que le jugement ou arrêt déterminera, mais qui ne pourra excéder cinq ans.

« S'il est décidé qu'il a agi avec discernement, les peines seront prononcées conformément aux articles 92 et 93 du présent Code.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande qu'après le mot « établissement » on ajoute ces mots : « à déterminer par la loi ».

M. Roussel, rapporteur. - Ce qui avait déterminé la suppression des mots de « sourds-muets » qui se trouvent dans le projet du gouvernement, c'est que l'on craignait qu'il ne fût pas toujours possible de placer les sourds-muets dans un établissement de ce genre.

Je ferai remarquer que les chiffres des articles 92 et 93 devront être changés.

M. Coomans. - Je propose de supprimer la dernière ligne du premier paragraphe et de dire tout simplement : « pour y être détenus et instruits pendant cinq ans au plus. »

J'ai deux motifs pour vous proposer cette rédaction ; c'est d'abord parce qu'elle est plus courte et qu'elle dit autant que le projet de la commission, ensuite parce qu'elle supprime un deuxième membre qui ne fait pas bon effet.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le mieux serait de dire : « dans un établissement déterminé par la loi. » Il faut laisser cela à régler par régime cellulaire, car il serait effectivement possible qu'on ne trouvât pas un établissement qui voulût recueillir un criminel sourd-muet.

- L'article 98 est adopté avec l'addition après le mot « établissement » des mots « déterminé par la loi. »

Article 99

« Art. 99. La peine de mort n'est prononcée contre aucun individu âgé de moins de vingt et un ans, au moment du crime.

« Elle est remplacée contre les individus âgés de moins de vingt et un ans par la peine des travaux forcés à perpétuité. »

M. Roussel, rapporteur. - Il me semble qu'au second paragraphe de cet article il faudrait rétablir les mots « à l'égard des » qui se trouvaient dans le projet primitif.

M. Coomans. - Je dois faire remarquer que si l'on juge convenable de dire dans le premier paragraphe : « au moment du crime », il faudrait répéter cette expression dans le second paragraphe.

M. Roussel, rapporteur. - Cela s'entend.

M. Coomans. - Si cela s'entend pour le second paragraphe, cela s'entend pour le premier.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On pourrait rédiger ainsi le deuxième paragraphe : « Cette peine sera remplacée à l'égard des individus au-dessous de cet âge par celle de la réclusion ordinaire. »

- L'article, ainsi modifié, est adopté.

Article 100

(page 101) « Art. 100. Les condamnés aux travaux forcés à perpétuité ou à temps, à la réclusion ou à l'emprisonnement, qui auront atteint leur soixantième année, pourront être autorisés à communiquer entre eux. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois que c'est encore un article qui pourrait être supprimé et qui doit faire partie de la loi sur le régime cellulaire.

- Cette suppression est prononcée.

Chapitre IX. Des circonstances atténuantes
Article 101

« Art. 101. Nul crime ou délit ne peut être excusé que dans les cas déterminés par la loi. »

- Adopté.

Article 110

« Art. 110. L'appréciation des circonstances atténuantes est réservée aux cours et aux tribunaux. »

-La commission propose la suppression de cet article.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cet article sera mieux placé au Code d'instruction criminelle. C'est le seul motif pour lequel je consens à ce qu'on le supprime.

M. Coomans. - Je ferai observer à la chambre qu'il est trèsimportant de savoir à qui l'appréciation des circonstances atténuantes sera réservée. Pour ma part, je veux bien les admettre, mais à la condition que ce soit les cours et les tribunaux qui les prononcent. Je ne pourrais les admettre si l'appréciation en était déférée au jury.

Il me semble qu'il conviendrait de décider maintenant la question de principe, à moins que nous ne soyons tous d'accord pour admettre le principe que consacrait le projet du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je disais tantôt que je n'avai consenti à la suppression de l'article 110 qui consacrait le principe, que les circonstances seraient appréciées par les cours et les tribunaux, qu'à la condition de faire comprendre cet article dans le Code d'instruction criminelle où il trouvera mieux sa place.

Je suis d'avis comme l'honorable M. Coomans que c'est à la cour et aux tribunaux que l'appréciation des circonstances atténuantes doit être réservée. Je déclare que je n'admettrais pas le système des circonstances atténuantes si l'appréciation devait en être réservée au jury.

Voilà mon opinion.

La chambre désire-t-elle dès maintenant discuter sur le principe ? Je le veux bien.

Cela est il opportun ? Je ne pense pas, alors que la place naturelle de cette disposition est dans le Code d'instruction criminelle, qui traite de l'instruction devant la cour d'assises, de la position des questions ?

M. Roussel, rapporteur. - Je dois faire remarquer qu'à deux ou trois reprises le rapport de la commission a fait la même déclaration que celle que vient de faire M. le ministre de la justice, c'est-à-dire que, dans l'opinion, que je crois unanime, de la commission, l'appréciation et la constatation des circonstances atténuantes doivent être laissées au juge. Si l'on veut supprimer cet article, c'est exclusivement parce que cet article sera mieux placé dans le Code d'instruction criminelle.

M. Delfosse. - Il s'agit d'une question qui touche aux attributions du jury. La suppression de l'article étant proposée de commun accord par le gouvernement et la commission, on ne devait pas s'attendre à ce que cette question importante fût disculée aujourd'hui. Je demande donc formellement qu'elle soit réservée.

M. Coomans. - Elle est réservée.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le vote est réservé. Mais, soit comme membre de la chambre, soit sur le banc où je me trouve en ce moment, je maintiendrai l'opinion que je viens d'émettre.

M. le président. - Tout se borne à des opinions qui sont énoncées. Le gouvernement énonce une opinion; la commission en énonce une. Mais la chambre ne décide rien. L'article 110 disparaît du projet.

Article 102

« Art. 102. Au cas où l'existence des circonstances atténuantes est constatée en faveur d'un accusé déclaré coupable, les peines sont modifiées conformément aux dispositions qui suivent. »

- La commission, d'accord avec M. le ministre, propose la rédaction suivante :

« Art. 102. Si l'existence des circonstances atténuantes est constatée en faveur d'un accusé déclaré coupable, les peines sont modifiées conformément aux dispositions qui suivent. »

- Cette rédaction est adoptée.

Articles 103 à 105

M. le président. - Les articles 103,104 et 105, proposés par la commission, sont remplacés par M. le ministre par un seul article ainsi conçu :

« Art. 103. La peine de mort sera remplacée par les travaux forcés à perpétuité ou les travaux forcés de 15 à 20 ans.

« La peine des travaux forcés à perpétuité, par les travaux forcés de 15 à 20 ans ou de 10 à 15 ans.

« La peine des travaux forcés de 15 à 20 ans, par les travaux forcés de 10 à 15 ans ou la réclusion.

« La peine des travaux forcés de 10 à 15 ans, par la réclusion ou même par un emprisonnement qui ne sera pas en dessous de trois ans.

« La peine de la réclusion, par un emprisonnement de trois mois au moins. »

- Cet article est adopté.

Articles 106 et 107

MpV. - M. le ministre propose de remplacer les articles 106 et 107 par un article sous le n°104 ainsi conçu :

« La peine de la détention extraordinaire sera remplacée par la détention de 10 à l5 ans ou de 5 à 10 ans.

« La peine de la détention de 10 à 15 ans par la détention de 5 à 10 ans ou par un emprisonnement qui ne sera pas au dessous de 2 ans.

« La détention de 5 à 10 ans par un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous de 2 mois. »

- Cet article est adopté.

Article 108

« Art. 108. Dans le cas où la loi prononce soit le maximum, soit un degré intermédiaire entre le maximum et le minimum d'une peine criminelle, la Cour appliquera le minimum de la peine. »

« La commission, après un nouvel examen, et d'accord avec M. le ministre, propose de maintenir la rédaction primitive du gouvernement ainsi conçue :

« Art. 117. Dans les cas où la loi prononce le maximum d'une peine criminelle, la cour appliquera le minimum de cette peine, ou même la peine immédiatement inférieure d'après la gradation établie aux articles précédents. »

M. Roussel, rapporteur. - Une observation que je viens d'entendre sur un banc voisin relativement aux mots : « degré intermédiaire entre le minimum el le maximum d'une peine criminelle », écrits dans le projet amendé, me force à donner une courte explication.

Votre commission n'avait point admis le morcellement des peines, mais elle avait reconnu à la loi elle-même la faculté d'établir des degrés intermédiaires entre le minimum et le maximum pour les cas particuliers.

Dans le projet de votre commission l'on devait prévoir ces degrés intermédiaires lorsque des circonstances atténuantes se présenteraient.

Le morcellement des peines a été consacré par la chambre, la rédaction de l'article 117 primitif est évidemment préférable parce qu'elle s'applique à l'état des choses tel que nous l'avons sanctionné par nos votes.

- La rédaction primitive du gouvernement est adoptée.

Article 109

« Art. 109. Les coupables dont la peine criminelle aura été commuée en un emprisonnement, pourront être condamnés en outre à une amende de vingt-six à mille francs.

« Ils pourront être interdits, en tout ou en partie, des droits mentionnés à l'article 42 du Code, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où ils auront subi leur peine.

« Ils pourront en outre être placés par l'arrêt sous la surveillance spéciale de la police durant le même nombre d'années. »

M. Roussel, rapporteur. - Le mot « en outre » doit disparaître dans le premier paragraphe. Il se trouve dans les deux rédactions, mais c'est à tort.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est peut-être inutile mais ce n'est pas à tort, parce que cela se rapporte aux articles précédents qui parlent de la peine corporelle.

M. Roussel, rapporteur. - Oui, mais ce mot n'est pas nécessaire.

- L'article ainsi modifié est adopté.

Article 110

« Art. 110. Lorsque la Cour ou le tribunal reconnaît l'existence de circonstances atténuantes la faveur du prévenu, les peines de l'emprisonnement et de l'amende établies par la loi pourront être modifiées ou réduites conformément aux dispositions qui suivent :

« Si l'emprisonnement et l'amende sont prononcées cumulativement, ces peines pourront être réduites, la première à moins de huit jours, et la deuxième à moins de vingt-six francs. Les juges pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces peines.

« Si la peine de l'emprisonnement est prononcée seule, elle pourra être réduite au-dessous de huit jours, et les juges pourront même la remplacer par une amende qui n'excédera pas cinq cenis francs.

« Si l'amende seule est prononcée, elle pourra êlre réduite au-dessous de vingt-six francs.

« En aucun cas, les peines de l'emprisonnement et de l'amende réduites en vertu du présent article ne pourront êlre inférieures à celles de simple police. »

- La commission, d'accord avec le gouvernement, adopte la rédaction primitive ainsi connue :

« Art. 119. Lorsque la cour ou le tribunal est d'avis qu'il existe des circonstances atténuantes en faveur du prévenu, les peines d'emprisonnement et d'amende, prononcées par le présent Code, pourront être modifiées ou réduites, conformément aux dispositions suivantes :

« Si l'emprisonnement et l'amende sont prononcés cumulativement, ces peines pourront respectivement être réduites au-dessous de huit jours et au dessous de vingt-six francs. Les juges pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces peines.

« Si la peine d'emprisonnement est prononcée seule, elle pourra être réduite au-dessous de huit jours et les juges pourront même y substituer une amende qui n'excédera pas cinq cents francs.

« Si l'amende seule est prononcée, cette peine pourra être réduite au-dessous de vingt-six francs.

« En aucun ces, les peines d'emprisonnement et l'amende, réduites en vertu du présent article, ne pourront être inférieures à celles de simple police. »

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, je ne me dissimule en aucune façon le peu de chances que rencontrerait le maintien dans cet article des mots : « établies par la loi » au lieu de « ceux prononcées par le présent Code », qui se trouvent dans la rédaction primitive.

Cependant, il me serait impossible de négliger l'occasion qui m'est (page 102) donnée de faire au moins un effort pour obtenir de la législature, une amélioration notable dans notre législation répressive. Voici, messieurs, la question :

Ce dernier article du projet doit caractériser votre œuvre.

Avez-vous réellement voulu sanctionner un Code normal ? Ou bien le Cole pénal sera-t-il une nouvelle loi spéciale à ajouter à tant d'autres ?

L'état de notre législation pénale est utile à connaître. Nous possédons un vaste arsenal, où se trouve un certain nombre d'armes rouillées que le ministère public dirige quand le besoin s'en fait sentir contre des gens qui souvent ne soupçonnent pas même l'existence de pareilles lois. En demandant que les peines de l'emprisonnement et de l'amende établies par les lois pussent être réduites dans la proportion indiquée par l'article dont il s'agit, la commission de la chambre s'est efforcée d'apporter un remède pratique à ce désordre législatif.

En effet, par la rédaction amendée, nous parviendrions, lorsque les peines portées dans un autre temps sembleraient exorbitantes, à permettre au juge, en vertu du Code pénal élevé à la dignité de Code régulateur, d'appliquer des pénalités proportionnées aux espèces. Qu'arrive-t-il, au contraire, sous le régime du Code pénal de 1810 et qu'arrivera-t-il sous le régime du Code nouveau, si la rédaction primitive du gouvernement reçoit votre approbation ?

Le juge se trouvera encore dans la pénible nécessité d'infliger des peines discordantes et disproportionnées à des infractions dont le caractère grave a disparu nonobstant les vieilles lois qui les ont prévues.

Les temps et les mœurs ont changé et pourtant ces lois sont restées les mêmes. N'est-il pas convenable que le juge puisse les adapter au temps présent par leur application elle-même ?

N'oubliez pas, messieurs, je vous prie, que les délits et les contraventions les plus nuisibles à la société sont punies par le Code pénal.

Ce Code a prévu les grands crimes, les délits ordinaires, c'est-à-dire les délits les plus graves.

Eh bien ! pour ces cas vous accordez au juge la faculté de réduire les peines, vous lui témoignez une confiance qu'il justifiera, soyez-en convaincus.

Mais lorsqu'il s'agit d'une législation surannée où les motifs d'atténuation se présentent plus nombreux encore; quand il s'agit d'une législation qui n'est plus, permettez-moi de le dire, que le superflu des temps passés, vous hésitez à donner aux tribunaux un témoignage de confiance plus indispensable encore.

Pouvez-vous douter que le juge ne fasse ce qui sera nécessaire dans l'intérêt de la société ? Pourquoi cette hésitation d'une part et cet abandon de l'autre ? Pourquoi cette hésitation à propos de délits plus légers, et cet abandon pour l'application des peines à des délits bien plus graves? Vous accordez une latitude considérable au juge, à l'égard du voleur et du meurtrier ; je vous en félicite et partage votre avis.

La même voie est ouverte quant aux lois spéciales, qui datent de 1790 et de plus loin encore.

Pourquoi refuser d'y entrer ?

Messieurs, quand il s'est agi de renforcer le pouvoir du juge, de placer dans ses mains une arme utile et forte, j'ose invoquer votre témoignage, je ne me suis refusé à rien. La loi répressive doit atteindre son but. N'est-il pas juste, lorsque nous autorisons la magistrature à aggraver les peines, de lui donner aussi tous les moyens d'atténuation conciliables avec l'intérêt commun ?

On vous dira, messieurs, que la législation spéciale contient une grande quantité de lois fiscales très sévères. Mais il y a d'autres lois encore dans la législation qu'on appelle spéciale que les lois d'impôt. Pourquoi refuser au juge votre confiance dans l'application de ces lois ? Vous lui permettez de commuer en travaux forcés la peine capitale et vous craignez sa mansuétude à propos de peines pécuniaires ?

Les tribunaux connaissent aussi bien que nous les intérêts de l'Etat ; ils sont chargés d'appliquer les peines dans la mesure légale. Le juge est l'organe de la loi ; il ne fera pas autre chose que d'appliquer les lois dans leur esprit. Il sait, comme nous, que la société ne peut exister sans impôts, et que frauder l'impôt, c'est encourir une forte répression. Croyez-moi bien, messieurs, l'ordre judiciaire n'abuserait point de la faculté que je voudrais lui voir conférer.

Je le sais, messieurs, je plaide une cause pour ainsi dire perdue. C'est un préjugé (au moins je l'appelle ainsi), c'est un préjugé enraciné dans quelques bons esprits, que cette crainte engendrée par la réduclibilité générale des peines correctionnelles. Quant à moi, je ne puis m'associer à cette manière de voir. Comme rapporteur de la commissioi, j'ai dù proposer la rédaction primitive de l'article 110 ; mais comme membre du parlement, je maintiens le projet amendé.

On ferait à mon avis une chose très utile en régularisant d'un seul coup ces nombreuses lois spéciales et en supprimant, par l'application, toutes les peines disproportionnées. Les masses ne voient la loi que dans sa généralité. Le public ne comprendra pas le bienfait de la réforme du Code pénal si l'on continue l'application rigoureuse de lois spéciales pleines d'incohérence.

Si l'on désire apporter quelque harmonie dans cette législation, force est de ne pas refuser aux tribunaux les moyens de bien faire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, si je repousse le système de l'honorable M. Roussel, je le prie d'être convaincu que ce n'est pas par suite d'un préjugé, mais bien pour des raisons très sérieuses en théorie et très solides en pratique. Je vais le démontrer.

Il y a, messieurs, deux espèces de faits tombant sous l'application de la loi pénale : les uns sont réputés punissables partout où il y a des notions de morale ; ce sont principalement les faits prévus par le Code pénal, faits que réprouve la conscience universelle. Ainsi, voler, assassiner, sont des crimes dans tous les pays civilisés.

Il est une autre catégorie de faits qui ne sont point considérés comme crimes au point de vue de la morale, du droit naturel, que la conscience publique n'envisage point comme délits, qui n'ont ce caractère que dans la législation positive, qui ne sont délits que parce que la loi les répute délits.

Ainsi, messieurs, quand on passe la frontière, sans déclarer les objets dont on est porteur ; quand un brasseur ou un distillateur fait une déclaration inexacte ; quand on entre dans une ville à octroi sans déclarer les objets soumis à l'octroi, on se rend coupable de contravention, mais voilà tous faits qui ne blessent pas la morale, qui sont pas réputés délits par la conscience générale et qui ne sont tels que parce que la loi l'a déclaré ainsi. Je laisse de côté la faute grave que l'on commet toujours eu violant les lois de son pays, en se soustrayant au payement des impôts, je n'examine que le fait en lui-même.

De ces distinctions résulte évidemment, pour l'application des circonstances atténuantes, une très grande différence.

Les infractions ordinaires sont composées de deux éléments, l'élément matériel et l'élément moral ; les délits spéciaux, au contraire, ne sont composés que d'un élément, l'élément matériel. Pour la plupart des délits de cette dernière espèce, c'est le fait qui est puni, indépendamment de l'intention, tandis que pour les infractions ordinaires, meurtre, vol, assassinat, etc., il faut les deux éléments, l'élément moral et l'élément matériel.

Maintenant qu'est-ce, en général, que la circonstance atténuante ? La circonstance atténuante, c'est un fait, une situation, un ordre d'idées, une position donnée, ce sont des antécédents qui viennent atténuer votre criminalité, et qui portent principalement sur l'élément moral ; c'est votre éducation antérieure, c'est la nécessité dans laquelle vous vous êtes trouvé, c'est le degré d'irritation auquel vous étiez parvenu ; voilà toutes circonstances atténuantes qui tombent toujours sur l'élément moral.

Or, comment voulez-vous appliquer les circonstances atténuantes à une catégorie de délits, où le fait matériel seul est punissable ?

Ainsi, un individu aura franchi la frontière, sans passer par le bureau de la douane, il aura beau venir dire qu'il était dans le besoin, prétendre que le délit commis par lui est le résultat d'une éducation vicieuse ; alléguer enfin toute espèce d'excuse ; le juge ne peut voir que le fait matériel qui est puni par la loi.

Il s'agit donc ici de deux espèces de délits tout à fait différentes et auxquelles vous ne pouvez pas appliquer le même traitement.

Maintenant, il y a autre chose : c'est que cette distinction, pour l'application des circonstances atténuantes, est tout à fait fondamentale.

Quand il s'agit d'un crime qui est réputé crime partout, qui blesse la morale, vous comprenez que le juge trouve dans sa conscience la mesure, le degré d'atténuation que certaines circonstances doivent produire. Quand, au contraire, il s'agira d'appliquer les circonstances atténuantes à un fait qui n'est réputé délit que par la loi même, je vous le demande, messieurs, où le juge cherchera-t-il cette règle, cette mesure ? Sera-ce dans sa conscience ? Non, car sa conscience ne condamne pas le fait, du moins d'une manière absolue, ce n'est plus un délit contre la morale, la conscience est en quelque sorte désintéressée et n'est plus un guide sûr, infaillible dans l'appréciation des circonstances atténuantes, comme dans les cas d'assassinat, de meurtre, de vol, etc. Où donc ira-t-il chercher cette règle d'appréciation? Ce sera dans ses opinions, dans des systèmes économiques ; on décidera non pas d'après la morale universelle, d'après les règles générales que tout homme de bon sens adopte, mais d'après les opinions politiques économiques des juges.

Je suppose, par exemple, un tribunal composé de libre échangistes ; il s'agit d'un cas de fraude; le tribunal, ainsi composé, trouvera que ce n'est pas là un immense délit ; il appliquera les circonstances atténuantes, et il ne fixera l'amende qu'à 5 francs.

Un tribunal composé de partisans de l'impôt direct ne trouvera pas mauvais que les distillateurs ou les brasseurs fassent des déclarations inexactes. Des partisans des impôts indirects ne trouveront pas exorbitant que les contribuables ne déclarent pas leurs domestiques ou leurs chevaux de luxe.

L'adoption du système des circonstances atténuantes dans l'espèce est donc inadmissible.

Et c'est quelque chose de grave que l'amendement de l'honorable M. Roussel ! Cet amendement est gros de 30 à 40 millions.

Remarquez-le bien, messieurs, le jour où pour un délit de fraude, le délinquant pourra espérer de n'être puni que d'une amende de 5 francs, ce jour-là, vous mettriez l'armée belge sur la frontière, vous doubleriez le nombre des agents à l'intérieur, vous n'empêcheriez plus la fraude. Les revenus de la commune disparaîtraient, le produit de tous vos impôts indirects seraient mis en péril. Ce n'est que par des pénalités sévères qu'on parvient à faire observer la loi.

Quand il s'agit d'un crime ordinaire, qu'est-ce qui retient bien des hommes ? Ce n'est pas précisément le Code pénal, c'est bien plutôt la morale, c'est un sentiment d'honneur, c'est la religion, c'est la peine qui nous attend dans la vie future. Mais lorsqu'il s'agit d'un délit spécial, d'un délit de fraude, l'on n'est pas retenu par tous ces motifs, l'on (page 103) n'est retenu que par la loi seule, et c'est encore pour cette raison qu'il faut une pénalité sévère, qu'il ne dépende pas du juge de réduire à son gré.

M. Coomans. - Messieurs, je ne puis admettre la théorie que vient de développer M. le ministre de la justice. « Il y a, dit-il, deux espèces d'infractions à la loi : les unes sont condamnées par la loi naturelle, par la morale ; les autres sont des délits conventionnels. La fraude, par exemple, n'est pas défendue par la morale; l'ordre moral n'y est pour rien. »

Je n'accepte point, pour ma part, cette théorie. La fraude, c'est un vol. (Interruption.)

Naguère, aux applaudissements d'une grande partie de cette chambre, l'honorable M. Lebeau prouvait que la fraude est un vol.

Pour moi je déclare, et c'est mon opinion, que la fraude n'est pas un délit conventionnel ; je crois que partout la fraude, commise au détriment de l'Etat ou de toute autre autorité, est un délit naturel, compris comme délit par tous les citoyens.

Si j'étais libre-échangiste, je serais très peu flatté de ce que vient de dire l'honorable ministre de la justice, à savoir que, sans faire tort à sa conscience, on peut, quand on est libre-échangiste, acquitter des individus qui fraudent les droits déterminés par la loi. (Interruption.)

Il n'y a qu'une morale, et c'est pour protester contre les distinctions faites par M. le ministre de la justice, que j'ai demandé la parole. (Nouvelle interruption.) Nous ne sommes pas en Suisse, nous sommes en Belgique, et en Belgique nous considérons la fraude comme un vol, et fort heureusement.

Je dis donc, abondant dans le sens de l'opinion développée par l'honorable rapporteur, qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à ne pas autoriser le gouvernement à admettre des circonstances atténuantes, aussi bien pour les cas de fraude que pour les cas de délit.

Les juges peuvent en juger mieux que l'administration.

Eh quoi ! vous mettez la volonté arbitraire d'un ministre au-dessus de l'appréciation du juge ! Vous ne voulez pas qu'un tribunal fasse ce que peut faire le gouvernement !

S'il faut en croire l'honorable ministre de la justice, en admettant l'opinion de l'honorable rapporteur, on ferait tort à l'Etat de 40 millions, parce qu'on ne pourrait plus réprimer la fraude, lorsque le fraudeur aurait une perspective de devoir payer une amende de 5 fr. seulement.

Mais cette perspective existe. Le ministre a aujourd'hui la faculté que l'honorable rapporteur voudrait réserver aux tribunaux.

J'approuve donc les théories de l'honorable rapporteur et je regrette qu'on n'ait pas de chances de faire prévaloir la rédaction qu'il appuie et que propose la commission.

L'honorable ministre dit encore : On conçoit les circonstances atténuantes en matière de délits ordinaires ; on ne les conçoit pas en fait de fraude. Je ne suis pas de cet avis : il peut y avoir des circonstances atténuantes dans un fait de fraude, aussi bien que dans un assassinat. Ainsi la circonstance que l'on fraude pour la première fois, le besoin, etc., sont des circonstances atténuantes, tandis que, pour la fraude, aussi bien que pour les autres crimes, la récidive est une circonstance aggravante.

Le juge peut donc constater des circonstances atténuantes dans les délits spéciaux, et la loi devrait l'autoriser à en tenir compte dans l'application de la peine.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai dû m'expliquer très mal pour que l'honorable membre m'ait compris comme il l'a fait.

J'ai dit que je n'entendais pas parler de la question de savoir s'il est très honorable de frauder, lorsque la loi le défend. Mais j'ai prétendu que, dans l'ordre naturel, en droit naturel le fait de fraude n'était pas un délit, et c'est très exact.

Ainsi, vous ne pouvez prétendre que ce soit un délit dans l'ordre naturel que la désobéissance à une disposition de la loi en vigueur en Belgique, alors que ce délit n'est pas possible dans les pays où, comme en Suisse, la douane n'existe pas. C'est un délit en Belgique assurément. Mais si c'était un délit au point de vue moral, abstrait, ce serait un délit en Suisse, aussi bien qu'en Belgique.

Mais on dit qu'on ne voit pas pourquoi ne l'on donnerait pas au juge un droit qu'on donne au gouvernement. Il y a une immense différence à faire, sous ce rapport, entre le gouvernement et le juge qui n'a pas à se préoccuper des finances de l'Etat, de l'influence de ses décisions sur les recettes du trésor.

Or, il est évideut que beaucoup de magistrats prononceraient des peines tellement peu graves, que la fraude y trouverait un certain encouragement.

Cela aurait un déplorable résultat sur les recettes, tandis que le gouvernement aurait soin de ne plus admettre de transactions, s'il constatait qu'elles ont pour effet de généraliser la fraude.

Le juge enfin n'a pas de responsabilité, le ministre ne peut s'y soustraire.

Ce sont là les différences qu'il y a entre l'autorité judiciaire et le gouvernement.

Voilà ce que j'avais à répondre à l'honorable M. Coomans.

M. Orts. - Je crois que l'honorable rapporteur et l'honorable ministre de la justice sont tous deux un peu trop absolus dans leur manière de voir, et qu'entre ces deux opinions, il y aurait moyen de placer une amélioration importante pour la législation pénale. J'ai eu l’occasion de m'en expliquer dans la discussion de la loi sur la compétence criminelle, en 1849.

Sans doute on ne peut attribuer à l'autorité judiciaire le droit de réduire à des proportions minimes les peines portées contre les infractions aux lois fiscales. Il y aurait là un danger sérieux, je le reconnais avec M. le ministre de la justice. Mais il ne croit pas, j'en suis sûr, que l'amendement de la commission ait été présenté en vue de ces infractions.

Il en est d'autres qui sont prévues par les lois spéciales, et sur la moralité, ou plutôt sur l'immoralité desquelles on est aussi bien d'accord que sur celle des faits prévus par le Code pénal.

Si M. le ministre admettait l'amendement de la commission avec une disposition ainsi conçue : « Le présent article n'est pas applicable aux délits prévus par les lois fiscales, » je crois que nous aurions fait quelque chose d'utile.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qu'entendez-vous par ces mots « lois fiscales ? »

M. Orts.- Il y a quelque chose à faire. Il faut en trouver le moyen. Il existe une foule de faits qui ne tombent pas sous la disposition bienfaisante de la loi ; et cependant les infractions prévues par ces lois comportent des circonstances atténuantes aussi bien que les faits punis par le Code pénal. Je citerai les lois sur la chasse, sur le duel. le maraudage dans les forêts, les contraventions aux lois sur la pêche, la loi qui défend de prendre un faux nom, etc., etc. Evidemment, il y a quelque chose à faire. Tout n'est pas renfermé dans le Code pénal.

Ah ! si M. le ministre disait : « Je vais refondre dans le Code pénal toutes les lois spéciales qui ne touchent pas aux matières d'impôt, » je comprendrais qu'il repoussât l'amendement. Mais ce n'est pas possible, parce que des besoins nouveaux nécessiteront toujours des lois spéciales, comme des besoins anciens en ont nécessité.

Pour moi, je ne vois pas d'inconvénient au système de la commission, avec cette réserve qu'il ne s'appliquera qu'aux lois spéciales autres que les lois d'impôt.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je comprends qu'on fasse une loi spéciale pour dire que telles lois tomberont sous l'application de l'article que nous discutons. Mais je ne comprends pas une exception, pour les lois fiscales. Ces termes sont trop vagues. La législation forestière, la loi postale seront-elles considérées comme telles ? Je pourrais en citer beaucoup d'autres, sur le caractère desquelles s'élèveraient immédiatement des doutes.

J'admets qu'il y a certaines lois spéciales pour lesquelles on peut admettre les circonstances atténuantes. Mais je ne puis admettre la dénomination générale de lois fiscales.

M. Orts. - Je n'en demande pas davantage.

M. Malou. - Les amendes, les peines prononcées par les lois fiscales ont un caractère tout particulier : ainsi, en matière de douanes l'action du ministère public n'est pas l'action principale. Si l'administration admet une transaction, l'action du ministère public tombe, cela tient à ce que l'amende, comminée en cette matière, a plutôt le caractère d'une peine que d'un délit.

Admettre ici les circonstances atténuantes, ce serait jeter le vague dans la législation pénale, au moment où nous voulons en préserver cette législation. Il y aurait à cela un grand danger.

Que plus tard on constate que certaines lois spéciales comportent des circonstances atténuantes, je le conçois ; mais je ne conçois pas cette disposition, même dans les termes restreints proposés par l'honorable M. Orts. Ce serait jeter la perturbation dans un ordre de faits que nous devons tous désirer garantir.

M. Roussel, rapporteur. - Les deux commissions, dans leurs rapports, ont applaudi à l'idée d'instituer une commission chargée de rédiger un projet de loi indiquant toutes les lois spéciales encore en vigueur.

On pourrait, dans ce projet, déterminer les bases de l'atténuation applicable aux délits spéciaux.

Je reconnais aussi que les infractions aux lois d'impôt sont d'une nature particulière. Je me sentais donc fort disposé à admettre l'exception proposée en faveur de ces lois par mon honorable collègue et ami M. Orts. Mais il vaudra mieux, quand le Code pénal sera terminé, de promulguer une loi comprenant l'indication de toutes les lois ou parties de loi spéciales en vigueur, de manière à leur donner une sanction nouvelle.

On y ajouterait les causes d'atténuation. Il eût été désirable que le Code prît un caractère plus normal. C'eût été plus régulier. Mais le grand nombre de lois spéciales que nous possédons rend peut-être impossible la réalisation d'une idée que je crois juste. Dans tous les cas, la proposition de M. le ministre est un remède salutaire au mal que j'avais l'honneur de signaler.

M. le président. - La parole est à M. Orts.

M. Orts. - Je n'insiste pas. Je suis maintenant d'accord avec M. le ministre de la justice.

- L'article est adopté avec la rédaction du projet du gouvernement.

Chapitre II. Des peines
Section VI. Des peines communes aux trois genres d'infractions
Articles 54 et 59

M. le président. - Il reste à la chambre à statuer sur les articles 54 et 59, sur lesquels le vote a été tenu en suspens.

« Art. 54. En condamnant à l'amende, les cours et tribunaux ordonneront qu'à défaut de payement elle sera remplacée par un emprisonnement correctionnel dont ils détermineront la durée, et qui ne pourra excéder le terme d'un an pour les condamnés à raison de crime ou de délit, et par un emprisonnement de simple police, qui ne pourra excéder (page 104) le terme de sept jours pour les condamnés à l'amende du chef de ontravention.

« Les condamnés subiront ce supplément de peine dans la maison dans laquelle ils ont subi la peine principale. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je propose le paragraphe additionnel suivant : « Si l'amende a été prononcée seule pour le délit ou pour la contravention, l'emprisonnement sera assimilé à l'emprisonnement correctionnel ou de simple police. »

M. Coomans. - Au second paragraphe se trouvent ces mots : « dans la maison dans laquelle ils ont subi ». Je propose de dire : « dans la maison où ils auront subi ».

- L'article ainsi modifié est adopté avec le paragraphe additionnel proposé par M. le ministre.


M. le président. - L'article 59 du projet primitif a été supprimé par la commission.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le gouvernement s'est rallié cette suppression.

Fixation de l’ordre des travaiux de la chambre

M. le président. - Nous sommes arrivés à la fin de la loi. A quel jour la chambre veut-elle fixer le second vote?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je propose de le fixer au mardi 2 décembre. Il faut que le projet adopté soit imprimé et revu avec soin.

- La chambre fixe le second vote à mardi 2 décembre.


M. le président. - Les sections se réunissent demain pour l'examen du traité avec la Hollande. A quelle heure voulez-vous vous réunir ?

- Plusieurs voix. - A 3 heures.

- La chambre décide qu'elle se réunira demain en séance publique à 3 heures.

La séance est levée à 4 heures 1/4.