(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 63) M. T'Kint de Naeyer procède à l'appel nominal à 2 heures et demie ; il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée, et fait l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Lardinois demande que les livres écrits en toute langue indistinctement, mais imprimés en Belgique, ou du moins les livres écrits en latin, ainsi que les ouvrages de propriété belge, écrits en français ou dans toute autre langue, soient admis en Hollande au droit d'entrée stipulé dans le traité avec les Pays-Bas, pour les livres en langue hollandaise ou flamande. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité avec les Pays-Bas.
« M. Honinckx, avocat à la cour d'appel de Bruxelles, fait hommage à la chambre de deux exemplaires de sa brochure intitulée : « Examen du projet de loi concernant la révision du Ie' livre du Code pénal. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le ministre de la justice (M. Tesch) présente un projet de loi ayant pour objet de supprimer le second canton de la justice de paix de la ville de Thourout et de le réunir au premier canton de la justice de paix de la même ville.
- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, en ordonne l'impression et la distribution, et, sur la proposition de M. T'Kint de Naeyer, le renvoie à une commission spéciale à nommer par le bureau.
Personne ne demandant la parole, dans la discussion générale, cette discussion est close.
« Art. 1er. Il est ouvert à l'article unique du chapitre III du budget des dotations de l'exercice 1851, un crédit supplémentaire de quatre-vingt-treize mille francs (93,000 francs), destiné à couvrir les dépenses de la chambre des représentants, pendant ledit exercice. »
- Adopté.
« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen d'une émission de bons du trésor. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est est adopté à l'unanimité des membres présents.
Ce sont : MM. Allard, Boulez, Bruneau, Cans, Cools, Coomans, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Decker, de La Coste, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, Destriveaux, de T'Serclaes, de Wouters, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Ernest), Van Iseghem, Visart, Veydt et Verhaegen.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé hier à votre commission, pour les soumettre à un nouvel examen, plusieurs amendements que j'avais eu l'honneur de proposer, d'accord avec M. le ministre de la justice, et qui tendaient à introduire aux articles 19 et 23 du projet la fixation du maximum de l'emprisonnement correctionnel à cinq ans ; la durée de la réclusion de 5 à 10 ans ; les quotités de la peine des travaux forcés à temps de 10 à 15 ans et de 15 à 20 ans. La détention ordinaire devait, suivant ces mêmes amendements, être prononcée pour un terme de 5 à 10 ans et de 10 à 15 ans. Quant à la détention extraordinaire, elle devait être de 15 ans au moins et de 20 ans au plus.
Votre commission a appelé dans son sein M. le ministre de la justice.
Il est résulté de la discussion que le système formulé dans ces amendements forme une conciliation heureuse des idées de la première commission et de celles de la commission législative. La première avait établi un morcellement de toutes les peines criminelles temporaires emportant privation de la liberté. Les amendements restreignent ce morcellement aux peines des travaux forcés à temps et de la détention.
Dans le projet du gouvernement, la quotité pénale était de quatre ans, espace insuffisant pour laisser aux juges la latitude désirable. Les amendements fixent ces quotités à 8 ans.
D'un autre côté, messieurs, votre commission n'a pu méconnaître l'avantage pratique d'une division des deux peines prémentionnées, en quotités. En effet, cette division permettra d'assigner à chaque fait criminel une peine proportionnelle. Elle présente, d'ailleurs, ce grand avantage qu'elle agit en faveur des accusés parce que, si elle restreint le pouvoir du juge, c'est uniquement pour empêcher d'élever la peine et non pour arrêter les atténuations qui pourront résulter des circonstances spéciales à chacune des causes criminelles.
Ces motifs ont déterminé votre commission à vous proposer, à l'unanimité, l'adoption des amendements qui se rapportent aux articles 19 et 23 du projet.
Appelée à délibérer sur le paragraphe 2 de l'art. 26 du projet amendé, paragraphe que vous avez également renvoyé à la commission, la commission a dû subordonner sa décision à la résolution qui sera prise par la chambre relativement à l'article 42 du projet amendé, lequel article donne lieu à une question grave que la commission n'avait pas temps de traiter dans sa séance d'aujourd'hui. En conséquence, la commission a renvoyé l'examen de ce point à une séance ultérieure.
En ce qui concerne les amendements présentés par M. le ministre de la justice sur l'article 38 du projet de la commission, la rédaction nouvelle des dispositions de cet article, divisé en trois articles distincts, paraît présenter plus de clarté que la rédaction qui avait été admise dans le projet du gouvernement et dans le projet amendé de la commission. Les différentes hypothèses sont présentées, dans la nouvelle rédaction, d'une manière non seulement plus claire, mais aussi plus logique. En conséquence, la commission, à l'unanimité, a l'honneur de vous proposer l'adoption de ces amendements.
- Les amendements proposés à l'article 19, et sur lesquels il vient d'être fait rapport, sont mis aux voix et adoptés.
Il en est de même des amendements à l'article 23.
M. le président. - La chambre avait réservé l'article 26, la commission propose de tenir cet article en surséance jusqu'après l'examen de l'article 42 ; je mets aux voix cet ajournement.
- L'article est ajourné.
M. le président. - Hier, la chambre était arrivée à l'article 33, cet article est ainsi conçu :
« Art. 33. La durée de l'emprisonnement correctionnel est de huit jours au moins et de quatre années au plus.
« La peine d'un jour d'emprisonnement est de vingt-quatre heures.
« La peine d'un mois d'emprisonnement est de trente jours. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, par suite de l'amendement qui vient d'être adopté à l'article 19, il faut dire à l'article 33, paragraphe premier :
« La durée de l'emprisonnement correctionnel est de huit jours au moins et de cinq années au plus. »
Je propose, en outre, de terminer ce paragraphe par les mots qui suivent :
« Sauf dans les cas exceptés par la loi. »
En effet, il y aura différents cas dans lesquels l'emprisonnementr pourra excéder 5 années ou être moindre de 8 jours.
- L'article 33, avec cette double modification, est adopté.
« Art. 34. Les individus condamnés à l'emprisonnement correctionnel subissent leur peine dans des prisons appelées maisons de correction.
« Des maisons spéciales sont affectées aux femmes. »
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, dans un article précédent nous avons déjà supprimé cette mention de maison spéciale « affectée aux femmes » ; de sorte qu'il conviendrait d'opérer la même suppression dans l'article 34, c'est-à-dire de supprimer le deuxième paragraphe de l'article.
M. de Muelenaere. - Je voulais faire la même observation.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La suppression des mots dont il s'agit, tant dans un article précédent que dans l'article en discussion, avait été arrêtée de commun accord entre la commission et moi.
- Le premier paragraphe de l’article 34 est adopté. Le deuxième paragraphe est supprimé.
« Art. 35. L'emprisonnement correctionnel est cellulaire. »
M. Roussel, rapporteur. - (page 64) Je propose de rédiger l'article 64 ainsi qu'il suit :
« Les condamnés à l'emprisonnement correctionnel sont renfermés isolément dans une cellule. »
Cette rédaction que je présente, d'ailleurs, sans préjudice de la discussion que pourrait soulever l'application du régime cellulaire à l'emprisonnement, cette rédaction, dis-je, reproduit les termes dans lesquels est conçu l'article relatif au régime cellulaire dans les maisons de force.
- La nouvelle rédaction est adoptée.
« Art. 36. Le condamné à l'emprisonnement correctionnel est employé, selon son choix, à l'un des travaux établis dans la maison.
« Une portion des produits de son travail peut être appliquée à lui procurer quelques adoucissements durant sa captivité et forme un fonds de réserve destiné à lui être remis à sa sortie ou à des époques déterminées après sa sortie. Cette portion ne peut excéder les cinq dixièmes. Le surplus appartient à l'Etat.
« Lorsque la famille du condamné se trouve dans le besoin, le gouvernement peut disposer de la moitié du fonds de réserve en faveur de cette famille. »
M. Orban. - Je suppose qu'il entre dans les intentions de la commission que le gouvernement reste maître d'employer une partie des produits du travail du condamné soit à adoucir sa peine, soit à former un fonds de réserve destiné à lui être remis à sa sortie. Cette intention était clairement exprimée dans la rédaction primitive du gouvernement ; là il est dit qu'une portion des produits de son travail sera appliquée à lui procurer quelques adoucissements pendant sa captivité, s'il le mérite par sa conduite.
Il résulterait de la rédaction nouvelle proposée par la commission que dans tous les cas, soit qu'il le mérite ou non, c'est-à-dire indépendamment de sa conduite, une portion des produits de son travail servirait à former un fonds de réserve qui devrait lui être remis au moment de sa sortie.
Pour éviter cette interprétation et maintenir la faculté laissée au gouvernement par l'article du projet primitif, il faudrait s'exprimer ainsi :
« Une portion des produits de son travail peut être appliquée soit à lui procurer quelques adoucissements durant sa captivité, soit à former un fonds de réserve destiné, etc. »
De cette manière toute faculté est laissée au gouvernement pour les deux cas, tandis que dans la rédaction actuelle il n'yauraitde faculté que pour le premier.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La rédaction de l'article 36 ne m'avait pas complètement satisfait non plus. Nous en avons formulé une autre avec le rapporteur. La voici :
« Une portion des produits de son travail peut être appliquée en partie à lui procurer quelques adoucissements durant sa captivité, en partie à former un fonds de réserve destiné à lui être remis après sa sortie, etc. ».
Il reste convenu que le gouvernement est maître d'appliquer ou de ne pas appliquer de cette manière la portion dont il s'agit des produits du travail du détenu.
Les mots : « s'il le mérite » sont remplacés par les mots : « peut être appliqué ». Le gouvernement conserve la latitude, donnée par le projet.
M. Coomans. - J'avais demandé la parole pour faire la même observation, à peu près, que l'honorable M. Orban. Il y avait d'ailleurs contradiction dans les termes. En effet, ce qui était appliqué aux adoucissements ne pourrait plus servir à former un fonds de réserve. C'est pour cela que je préferais la rédaction du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est pour cela que je propose de dire : « en partie. »
M. Loos. - Je demande la suppression des mots « selon son choix » au premier paragraphe de l'article 36. Ilest impossible de laisser choisir à chaque détenu l'ouvrage auquel il veut se livrer.
Ainsi, pour ne vous citer qu'une maison, celle de Saint-Bernard, que je connais parfaitement, on y fait de la toile et on y fait subir au fil toutes les préparations jusqu'à ce que la toile soit tissée. Quelques-uns des détenus sont employés au tissage, d'autres à filer le lin, d'autres à la blanchisserie, et ces derniers surtout jouissent d'une certaine faveur, puisqu'ils travaillent en plein air. Tous demanderaient à n'être employés qu'à ce travail ; ce serait impraticable. Je demande la suppression des mots « selon son choix ».
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, vous aurez dû voir dans le rapport que l'objection présentée par l'honorable M. Loos a été soulevée dans le sein de la commission législative. Les mots « selon son choix » ont été écrits dans le projet du gouvernement, parce qu'il fallait établir quelque différence entre le travail des criminels et le travail des condamnés à des peines correctionnelles. Le régime cellulaire étant adapté à la fois aux peines emportant privation de la liberté en matière criminelle et à l'emprisonnement correctionnel, force a bien été de chercher dans le régime de la maison et dans la nature d'un travail plus ou moins pénible une différence entre ces deux modes de détention qui avaient du reste une trop grande analogie. Cette différence est de nature à permettre mieux la proportion entre les infractions et les peines.
L'objection présentée, c'est l'impraticabilité du choix par le détenu correctionnel de l'espèce de travail auquel il devra se livrer. Je crois que cette option n'est point réellement impraticable. Voici ce qui arrivera : ou le détenu choisira l'espèce de travail parmi les travaux autorisés dans la maison, ou il refusera ce choix.
S'il le refusait, il devrait s'en prendre à lui-même de l'aggravation qui en résulterait. S'il accepte, au contraire, un travail qu'il choisit lui-même, il se trouve dans les conditions utiles et favorables que la loi veut lui accorder.
Dans le système ancien, c'est-à-dire sous le Code pénal de 1810, les travaux forcés se distinguaient de l'emprisonnement correctionnel par des travaux plus pénibles. Un grand nombre de nuances séparaient non seulement les travaux forcés du travail correctionnel, mais il y avait des conditions attachées aux travaux forcés qui répugnent à l'humauité. Il a fallu, comme transition, admettre une distinction un peu caractérisée entre les deux espèces de travaux.
Les mots « travaux forcés » qui ont été adoptés pour désigner la peine criminelle impliquent non seulement l'idée du travail obligatoire, mais encore celle d'un travail pénible, plus sévère imposé au condamné.
Au contraire, l'emprisonnement correctionnel n'emporte pas cette idée.
Je crois que nous devons nous rallier à la rédaction du gouvernement qui est d'ailleurs parfaitement justifiée dans le savant rapport présenté par l'honorable M. Haus au nom de la première commission.
Vous n'aurez qu'à revoir ce rapport, vous y trouverez la justification parfaite de la différence que l'honorable M. Loos croit impraticable. En ce qui concerne l'applicabilité, c'est une question du régime intérieur dans la maison ; c'est un point dont on peut laisser le règlement à l'administration, qui doit déterminer de quelle manière se fera le choix du condamné.
Je pense donc que l'objection n'est pas suffisante pour faire disparaître les mots dont il s'agit.
M. Loos. - Je crois qu'en théorie, l'honorable rapporteur peut avoir raison, mais je n'ai parlé que de la pratique et je maintiens ce que j'ai eu l'honneur de dire. Quand on en viendra à l'exécution, cela sera complètement impraticable. Quels que soient les travaux qui s'exécutent dans la maison, on ne peut pas laisser aux détenus le choix de faire certaines choses faciles, dont on n'aurait pas besoin, et la faculté de se refuser à faire des travaux plus pénibles dont on aurait besoin. L'industrie que vous ferez exercer dans l'isolement sera le plus souvent le tissage, attendu qu'on place facilement un métier de tisserand dans une cellule ; cependant tous les détenus ne peuvent s'ocuper du tissage ; il faut des fileurs, et tous les autres métiers qui contribuent à la fabrication des toiles.
Ainsi l'établissement d'une industrie régulière, dans les prisons, est tout à fait incompatible avec la faculté qu'on voudrait accorder à chaque détenu d'en exercer telle partie qu'il préférerait.
On se préoccupe beaucoup trop des anciennes expressions consacrées par le Code pénal. Ainsi les mots de « travaux forcés » signifiaient autrefois les travaux du bagne. Aujourd'hui et depuis vingt-cinq ans, cette peine se réduit aux travaux ordinaires des prisons. On a voulu sans doute établir une distinction et laisser aux détenus correctionnels la faculté de faire des travaux de leur choix, tandis que les condamnés aux travaux forcés auraient à exécuter ceux qu'on leur imposerait.
En théorie cela peut paraître juste, mais en pratique cela est impraticable. Abandonner au libre arbitre des détenus le choix de leurs travaux, c'est rendre impossible dans les prisons l'exercice d'une industrie quelconque, car on peut être certain que le plus souvent leur choix s'exercera de façon à rendre impraticables la plupart des industries admises aujourd'hui.
Il faut donc bien se résoudre, malgré les termes du Code, à rendre forcés tous les travaux qui s'exercent dans les prisons, aussi bien dans les maisons de correction que dans les maisons de réclusion ; la distinction ne peut exister que dans le régime de la maison, ou le genre des travaux.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Roussel disait tantôt que la question du choix du travail est une question d'administration intérieure.
Nous pourrions donc sans inconvénient supprimer ces mots du paragraphe premier : « selon son choix ».
Il y a dans l'observation faite par l'honorable M. Loos quelque chose qui doit frapper tout le monde. Ainsi, pour citer la prison de Saint-Bernard, où on se livre au tissage de la toile, le tissage ne vient qu'après le filage et d'autres travaux préparatoires.
Le filage est un des travaux les moins durs, les plus faciles que les prisonniers effectuent. Or, si nous maintenons à l'article 36 les mots « selon son choix, » il arrivera que la plupart des individus, au lieu de tisser, ne voudront plus que filer, et vous vous trouverez ainsi dans l'impossibilité de le contraindre.
Je crois donc que l'on doit laisser exclusivement la réglementation du travail à l'administration des prisons.
M. de Muelenaere. - J'avais demandé la parole pour appuyer l'observation présentée par l'honorable député d'Anvers. Mais d'après ce que vient de dire M. le ministre de la justice je n'ajouterai qu'un mot. Je pense qu'il faut supprimer dans la loi ces mots : « au choix du condamné ». Il est impossible dans la pratique que l'on abandonne au caprice de chaque condamné le choix des travaux auxquels il sera employé dans la prison. Cette décision doit être en dernier ressort abandonnée à la direction des prisons elle-même.
M. de Decker. - Je suis, au fond, de l'avis de l'honorable députe d'Anvers. Cependant je crois que nous devons avoir égard à (page 65) l'appréciation de certains éléments qui jusque présent n'ont pas été suffisamment indiqués et discutés.
Nous voulons que le travail des prisons soit (s'il m'est permis d'employer ici cette expression) aussi attrayant que possible pour les détenus ; car dans l'intérêt même du travail à faire et de l'ordre à maintenir, il importe que le détenu travaille avec goût et sans répugnance.
A cet effet, faut-il abandonner au prisonnier seul le choix du travail qu'il doit exécuter ? Je crois que non. Il serait difficile de s'engager jusque-là. Mais faut-il qu'on ne tienne aucun compte de ses préférences, et surtout de ses antécédents et de ses aptitudes dans le travail ? Je crois qu'ici encore ce ferait aller trop loin. Il sera souvent fort utile de consulter l'aptitude, les antécédents industriels du prisonnier.
Mais, messieurs, il y a encore ici un autre intérêt en jeu : c'est celui du gouvernement, celui de l'administration des prisons.
L'administration des prisons indique certains travaux comme susceptibles d'être exécutés dans les prisons. Ces catégories de travaux en général ne sont pas très nombreuses. Le gouvernement a pour les produits de certaines industries beaucoup de débouchés : il n'en a pas pour d'autres, de sorte que le gouvernement est forcé d'employer de préférence les prisonniers à certains travaux dont les produits s'écoulent facilement.
Le gouvernement est donc porté à consulter avant tout ses intérêts à lui, et les intérêts de l'administration des prisons.
Eh bien ! je voudrais qu'on pût concilier les deux intérêts en consultant et l'intérêt du gouvernement, et l'aptitude du prisonnier.
Ce que nous avons à faire de mieux, me semble-t-il, c'est d'abandonner au règlement intérieur des prisons le soin de déterminer comment se fera le travail des détenus.
M. Roussel, rapporteur. - Je ne vois pas de difficulté à abandonner les mots : « selon son choix », dans l'article 36, pourvu qu'il soit tenu compte de cette idée dans la loi qui réglera le régime cellulaire. Je ferai seulement observer que toutes les raisons qu'ont présentées nos honorables collègues sur cette question, laissent présupposer l'existence d'un autre régime, c'est-à-dire du régime en commun.
Veuillez, messieurs, ne pas oublier que, dans le nouveau système, chaque prisonnier travaillera dans sa cellule. Il ne s'agira plus d'un travail en commun. La loi sur le régime cellulaire devra tenir compte de cette circonstance, des règles indiquées par l'honorable M. de Decker, et surtout de la différence dans la nature des peines. Car, messieurs, à quoi servirait la gradation des peines s'il n'y avait d'autre différence que leur durée ?
Du reste, je me rallie à la proposition faite par M. le ministre de la justice.
M. Bruneau. - La disposition qui avait été introduite dans le projet primitif et qui laissait au condamné le choix du travail, doit être attribuée au mode qui était suivi anciennement dans le travail des prisonniers correctionnels. Alors, c'était ordinairement le directeur de la prison qui était entrepreneur du travail dans la prison, et qui donnait à chaque prisonnier le travail qui lui convenait le mieux.
On conçoit que sous ce régime on laisse le prisonnier libre de choisir le travail auquel il veut s'appliquer pour ne pas le soumettre complètement à l'arbitraire du directeur.
Aujourd'hui ce régime a disparu. Le travail se fait, non pas comme entreprise particulière pour compte du directeur, mais il se fait en régie par le gouvernement.
Dans la pratique on consulte ordinairement les aptitudes et les goûts du prisonnier. Cependant on ne peut lui abandonner entièrement le choix du travail qu'il préfère. Car le nombre des prisonniers employés à tel ou tel travail est subordonné nécessairement au plus ou moins de facilité d'écouler les produits de ce travail.
Ainsi, dans une prison où l'on a, par exemple, des tailleurs, des cordonniers, des passementiers et d'autres travaux accessoires, si l'on devait laisser au choix de chaque prisonnier le travail qu'il veut faire et qu'il pourrait vouloir changer à chaque instant, il est évident que cela entraînerait des difficultés d'exécution très nombreuses et pour les administrations des frais considérables. Il faut donc, à mon avis, que la question soit abandonnée au règlement de chaque prison.
Il est certain que dans la répartition entre les différents prisonniers, des travaux qui sont introduits dans la prison, on consulte les goûts et l'aptitude de chaque prisonnier. Je partage à cet égard l'avis de l'honorable M. Loos. Je crois que tous ceux qui connaissent la manière dont le travail se fait dans les prisons, sont également de cette opinion ; je voterai donc pour l'amendement de l'honorable M. Loos.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai la parole pour faire une observation sur la rédaction du dernier paragraphe de l'article. Je pense que l'on pourrait maintenir la rédaction du projet primitif en substituant le présent au futur et dire : « Le gouvernement peut disposer de la moitié de ve fonds de réserve au profit de la famille du condamné, lorsqu'elle se trouve dans le besoin. » On éviterait ainsi la répétition du mot « famille » qui se trouve deux fois dans le dernier paragraphe de la commission.
- L'amendement de M. Loos, tendant à la suppression des mots : « selon son choix », est adopté.
Le dernier paragraphe, modifié comme le propose M. le ministre, est adopté.
M. Orban. - Je propose de rédiger ainsi le second paragraphe :
« Une portion des produits de son travail pourra être appliquée soit à lui procurer quelques adoucissements durant sa captivité, soit à former un fonds de réserve, etc. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch) - J'adopte provisoirement la rédaction de l'honorable M. Orban, sauf à la revoir d'ici au second vote.
- Le second paragraphe, rédigé comme le propose M. Orban, est adopté.
L'article, ainsi modifié, est adopté.
M. le président. - M. le ministre de la justice a propisé de remplacer l'article 38 par trois autres articles. Le premier est ainsi conçu :
« La durée de la peine de l'emprisonnement ne compte que du jour où la condamnation étant devenue irrévocable, le condamné a été écroué.
« Lorsque le condamné se trouve en état d'arrestation, elle compte du jour où le jugement ou l'arrêt de condamnation est devenu irrévocable. »
M. Lelièvre. - Dans mon opinion l'on devrait décompter la détention préventive de la peine d'emprisonnement, et jamais je ne souscrirai à une disposition qui statue au contraire. Toutefois, il est bien évident que lorsque le prévenu se trouve en état de détention préalable, la peine doit courir non pas du jour où le jugement ou l'arrêt est devenu irrévocable, mais du jour même de ce jugement de condamnation, si le prévenu ne se pourvoit pas en appel ou en cassation.
D'après l'amendement de M. le ministre de la justice, la durée de la peine serait suspendue pendant les délais d'appel ou de cassation, or cela ne peut être admis. Du moment qu'il n'y a pas d'appel ni recours contre le jugement, il est évident que la peine doit prendre cours du moment de la décision qui reçoit tous ses effets du jour où elle a été rendue.
Du reste, mon système est conforme à celui émis par la commission, et sous ce rapport, je ne puis me rallier à l'amendement proposé par M. le ministre de la justice. Je propose en conséquence de dire :
« Lorsque le condamné se trouve en état d'arrestation, elle (la durée de la peine) compte du jour du jugement ou de l'arrêt, si le condamné ne s'est point pourvu en appel ou en cassation.
M. de Muelenaere. - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre présente une modification au paragraphe tel qu'il est proposé par M. le ministre de la justice. D'après ce paragraphe, si le condamné se trouve en état d'arrestation, la durée de l'emprisonnement ne comptera que du jour où l'arrêt de condamnation est devenu irrévocable.
Cela me paraît juste, lorsqu'il y a eu de la part du condamné lui-même, ou de la part du ministère public, pourvoi en appel ou en cassation, contre le jugement ; mais si le condamné ne s'est pas pourvu, s'il manifeste l'intention de se soumettre au jugement prononcé contre lui et si la partie publique, de son côté, ne fait aucun pourvoi, il est de toute justice que la peine de l'emprisonnement commence à courir, dans ce cas, à dater du jour du jugement. C'est d'ailleurs ce qui s'est pratiqué sous la législation actuelle. Lorsque le condamné ne s'était point pourvu contre le jugement du tribunal correctionnel qui le condamne à la peine d'emprisonnement, cette peine a toujours commencé à compter du jour du jugement. Il me paraît donc évident que le paragraphe doit être modifié dans ce sens que la peine, s'il y a arrestation préventive, commencera à courir du jour du jugement s'il n'y a point pourvoi de ta part du condamné ou de' la partie publique.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois qu'on pourrait rédiger le dernier paragraphe de cet article, de la manière suivante :
« Lorsque le condamné se trouve en état d'arrestation, et qu'il n'y ait appel ni de la part du ministère public, ni de la part du condamné, la durée de la peine compte à dater du jour du jugement. »
Quant aux autres cas, ils sont prévus par les articles 38 bis et 38 ter.
- L'article est mis aux voix et adopté avec la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de la justice.
« Art. 38bis. Si le condamné n'est écroué qu'après la condamnation et s'il ne s'est point pourvu en appel ou en cassation, la durée de la peine ne compte que du jour de l'écrou. »
- Adopté.
« Art. 38ter. Les dispositions de l'article précédent seront observées nonobstant l'appel ou le pourvoi du ministère public, lorsque cet appel ou ce pourvoi auront été rejetés ou lorsque la peine aura été réduite par suite de cet appel ou de ce pourvoi.
« Elles seront également observées lorsque la peine aura été réduite par suite de l'appel ou du pourvoi du condamné. »
M. Coomans. - Il faut dire : « ... lorsque cet appel ou ce pourvoi aura été rejeté, » au lieu de : « auront été rejetés. »
- L'article est adopté avec cette rectification.
« Art. 39. L'emprisonnement pour contravention ne pourra être moindre d'un jour ni excéder sept jours.
- Adopté.
(page 66) « Art. 40. Les condamnés à l'emprisonnement pour contravention subissent leur peine dans les prisons déterminées par le gouvernement.
« Ils sont séparés les uns des autres et placés dans des cellules conformément à la loi. »
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, bien que la majorité de la commission ait jugé convenable de conserver l'emprisonnement cellulaire même en matière de simple police, je ne puis m'empécher, en mon nom personnel, de proposer la suppression du deuxième paragraphe de l'article 40.
En effet, messieurs, je ne vois point que le régime cellulaire puisse s'appliquer à des infractions de la nature des contraventions. Quel est le but du régime cellulaire ? C'est de parvenir à l'amendement des condamnés, à leur amélioration rendue nécessaire, indispensable même par l'infraction assez grave qu'ils ont commise et qui fait douter, pour l'avenir, de la conformité de leur conduite avec la loi.
Or cette nécessité ne se retrouve en aucune façon dans les infractions de simple police. La contravention est, pour ainsi dire, une infraction disciplinaire ; c'est, la plupart du temps,le résultat de l'inattention, d'une négligence, d'une distraction plutôt que la suite d'une pensée criminelle.
Premier motif qui doit, ce me semble, nous déterminer à ne pas soumettre au régime cellulaire les condamnés pour contraventions. Mais ce motif n'est pas le seul, il en est bien d'autres.
Les peines de police, comme vous l'avez vu, sont minimes ; l'emprisonnement s'élève d'un jour à sept jours. Quelle espérance peut-on concevoir par l'application du régime cellulaire à un individu condamné pour une contravention de simple police ? Quel espoir peut-il y avoir de parvenir à l'amélioration du condamné, au moyen du régime pénitentiaire appliqué pendant deux, quatre, six ou sept jours ?
Il est évident, messieurs, que ce régime suppose une détention un peu plus longue qui permette d'accoutumer, si je puis m'exprimer ainsi, d'accoutumer le moral de cet individu à des idées plus justes et à une placidité de caractère rassurante pour la société.
Une troisième considération, c'est que, pour arriver à d'aussi minces résultats, vous serez entraînés à des dépenses considérables. En effet, le régime cellulaire est coûteux ; il le deviendrait doublement si on l'appliquait à l'emprisonnement de simple police ; car il faudrait des maisons cellulaires à proximité de chaque canton, les peines de simple police se prononçant par le juge cantonal.
Ces considérations et d'autres encore que je m'abtiens de développer, me déterminent, et je crois que M. le ministre de la justice est d'accord avec moi sur ce point, à proposer la suppression du deuxième paragraphe de l'article en discussion.
La commission gouvernementale avait admis le système cellulaire, même en matière de simple police, pour donner aux pénalités un caractère uniforme ; elle était mue par le désir de régulariser au même point de vue toutes les peines, emportant la privation de la liberté, de les échelonner en quelque sorte, dans l'idée du système pénitentiaire. Mais cette idée, qui est belle en théorie, me paraît impraticable quand en veut l'appliquer aux contraventions.
Quelques personnes éprouvent déjà quelques doutes relativement à l'application uniforme du régime cellulaire à toutes les quotités d'emprisonnement correctionnel ; car celles de ces quotités qui sont moindres en durée présentent la même anomalie que les quotités d'emprisonnement de simple police, au point de vue cellulaire ; mais pour ne pas appliquer deux régimes à une pénalité uniforme, reconnue telle par la loi, nous sommes obligés d'adopter le système cellulaire. Toutefois, l'emprisonnement de simple police est complètement dégagé des questions que soulève l'emprisonnement cellulaire, de sorte que nous pouvons fort bien admettre le régime de la vie en commun entre les differents condamnés pour contraventions.
Nous ne devons pas nous dissimuler que tout ce régime, en pratique, sera d'une exécution difficile ; il sera même peu facile d'organiser l'emprisonnement de simple police avec le régime en commun ; il le sera surtout avec les lois qui ont étendu la compétence des juges de paix ; nous devons nous abstenir d'augmenter les difficultés que le gouvernement rencontrera dans l'organisation des prisons, en appliquant le régime pénitentiaire à l'emprisonnement de simple police.
M. de Perceval. - Messieurs, je suis au regret de ne pas pouvoir partager l'opinion que l'honorable rapporteur vient d'exprimer sur le paragraphe en discussion ; je demande que ce paragraphe soit maintenu. Je trouve que dans l'intérêt de la moralisation du condamné, il importe, alors même qu'il n'est puni que d'un emprisonnement pour contravention ; il importe, dis-je, qu'il subisse le régime cellulaire.
Quel but voulez-vous atteindre ? Bien évidemment la moralisation du condamné ; or, n'est-il pas évident qui si vous le mettez continuellement en contact avec d'autres condamnés, au lieu de sortir de la prison moralisé et repentant, il la quittera peut-être avec la résolution bien arrêtée de reprendre une vie aventureuse ou coupable.
Les rapports que les condamnes ont entre eux sont presque toujours nuisibles sous le point de vue social. Dans l'intérêt de sa moralisation, faites-lui subir le régime cellulaire ; il faut l'empêcher de se corrompre, et dans ce but, isolez-le.
Et, à ce sujet, permettez-moi de vous dire qu'il me paraît que le système cellulaire n'a pas été suffisamment expliqué à la chambre.
Entend-on par système cellulaire l'isolement le plus complet ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Evidemment non ; c'est dans le rapport.
M. de Perceval. - Je distingue entre le rapport et le texte de la loi. Si l'on permet au détenu de se mettre en communication, soit avec les membres de la commission, soit avec les membres de sa famille, je suis partisan du régime cellulaire ; mais si vous voulez qu'il vive ou pour mieux dire qu'il agonise lentement dans un isolement complet, j'en deviens l'adversaire, car ce serait en vérité un système cruel, barbare, contre lequel je protesterais de toutes mes forces.
Je me résume et je demande que le paragraphe soit maintenu et que le condamné à l'emprisonnement pour contravention subisse, dans l'intérêt de sa moralisalion, le régime cellulaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable préopinant reproche à M. le rapporteur de la commission et peut-être aussi au gouvernement de ne pas avoir suffisamment expliqué le système cellulaire. Je ne sais si l'honorable membre à lu très attentivement à la fois et le rapport fait par la première commission et le rapport fait par l'honorable M. Roussel ; s'il l'a fait, il aura pu y voir quelles sont les véritables intentions du gouvernement, quant à l'application qui sera faite du système cellulaire.
Il ne faut pas confondre le système cellulaire, tel que nous nous proposons de l'appliquer, avec le confinement solitaire, tel qu'il existait primitivement dans le système dit de Philadelphie ; il n'entre pas dans nos intentions de mettre un homme entre quatre murs pendant six mois, sans qu'il puisse voir une créature humaine ; tels ne sont pas nos sentiments ; nous nous proposons de séparer les condamnés ses uns des autres, et de ne les mettre en contact qu'avec des hommes qui pourront leur donner des idées morales, religieuses, des sentiments d'honneur, de probité qui leur manquaient auparavant ; tel est au fond le système cellulaire qui sera appliqué.
Maintenant, quant à l'application de ce système aux condamnés pour contravention, je ne pense pas qu'il soit utile de maintenir la disposition, qui se trouve dans le projet. L'honorable M. Roussel l'a dit avec beaucoup de vérité : les contraventions dénotent bien plus souvent une imprudence qu'une immoralité ; il ne s'agit pas de moraliser les condamnés.
Mais je comprends qu'il faille la séparation pour empêcher que des individus, condamnés pour des contraventions, n'aillent se gâter aux contact d'individus plus coupables qu'eux ; sous ce rapport, j'admets la séparation ; en vertu du premier paragraphe de l'article 40, on aura soin de déterminer des prisons ou des quartiers de prison affectés à chaque catégorie afin d'éviter le contact des condamnés pour contravention avec les prévenus correctionnels ou criminels.
Nous aurons à déclarer que les prévenus criminels ou correctionnels seront mis en cellule. Je ne vois pas de difficulté à ce que des individus condamnés à la même peine de simple police soient réunis. Je pense qu'il faut se borner à adopter le premier paragraphe de l'article 40 et supprimer le reste.
M. Coomans. - Je demande à dire quelques mots à l'appui des observations très justes présentées par l'honorable rapporteur. Je ne crains pas que les condamnés pour contravention se démoralisent les uns les autres en moins de huit jours ; mais il pourrait quelquefois être convenable de les séparer dans leur intérêt même.
Pour satisfaire toutes les opinions, je propose de dire : « Ils pourront être séparés les uns des autres, etc. »
M. de Decker. - Quel est le but de l'emprisonnement cellulaire ? Ce but est double : éviter le contact des criminels dans l’intérêt social et dans l'intérêt individuel de chacun d'eux.
On a remarque que la plupart des grands crimes se complotent dans les prisons même. C'est donc dans l'intérêt social d'abord qu'on tient à ce que les criminels soient séparés. Sous ce rapport, le contact est dangereux, surtout entre les grands criminels.
Au point de vue de l'intérêt individuel de chaque détenu, plus vous descendez l'échelle de la moralité probable des détenus, moins leur contact est dangereux.
Pour les grands criminels, il n'y a plus à craindre leur corruption : c'est un fait malheureusement accompli.
Au contraire, mais pour les mêmes motifs, les auteurs qui ont écrit sur le système cellulaire sont d'avis qu'en matière d'emprisonnement correctionnel et même préventif, il y a un intérêt spécial à séparer les détenus, parce que plus il y a danger de corruption éventuelle, plus il y a utilité à opérer la séparation cellulaire.
L'honorable M. Coomans ne craint pas que des condamnés pour contravention se corrompent en huit jours de temps. Je ne suis pas tout à fait aussi rassuré, et je crois que, même pour quelques jours d'emprisonnement, la séparation peut être utile, du moins, si pas nécessaire.
Nous ferions donc chose très utile en ne disant pas que toujours les condamnés pour contravention de police seront confondus. Je pense qu'il faudrait adopter l'amendement de M. Coomans aux termes duquel les condamnés pour contravention pourront obtenir d'être emprisonnés séparément.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela se trouve dans le paragraphe premier de l'article du gouvernement.
M. Roussel. - La rédaction du paragraphe premier de l'article 40 n'implique pas nécessairement le régime en commun. Les condamnés pour contravention sont soumis au régime disciplinaire de la maison où ils subissent leur peine ; séparés, si l'administration le juge convenable ; réunis, si elle le croit utile ou nécessaire.
Pour les peines criminelles l'on a dû prescrire la séparation en cellule parce que le danger du contact est constant et permanent.
(page 67) Mais en matière de police, les espèces assez rares citées par MM. Coomans et de Decker tiennent an régime intérieur de la prison, et ces espèces seront prévue par les règlements.
En principe l’on ne peut dire que les condamnés ponr contravention doivent être séparés les uns des autres. Il se rencontrera des hommes fort honorables condamnés pour contravention résultant d'une négligence, d'un fait léger.
Pour ces cas les plus nombreux, on ne peut inscrire le principe de la séparation dans la loi. Le gouvernement sera juge de ce qu'il convient de faire. Je crois qu'il faut se borner à voter le paragraphe premier de l'article 40.
M. Loos. - Je suis de l'avis de l'honorable rapporteur : le régime cellulaire ne doit pas être appliqué aux cas de condamnation en simple police ; mais je demande que les détenus, aussi bien dans leur intérêt que dans l'intérêt de la société, soient séparés. Quels sont les cas les plus fréquents des condamnations en simple police ? Ce sont des individus qui ont déjà subi plusieurs peines correctionnelles ; ce sont des prostituées ; pouvez-vous vouloir qu'une femme honnête, ayant commis une légère contravention de police, subisse sa peine en compagnie d'une prostituée ; qu'un homme, ayant commis une contravention sans importance, soit confondu 2 fois 24 heures avec des hommes qui ont passé 15 ou 20 ans en prison ? C'est subir dix fois sa peine que de la subir au contact d'hommes dégradés.
Au point de vue de la société, comme au point de vue de l'intérêt des condamnés, il est éminemment utile qu'il y ait séparation dans les prisons.
Pour qui connaît le régime des prisons tel qu'il existe, cela ne peut pas faire doute. Je ne voudrais même pas la séparation ou la réunion au choix des détenus, quoique ce soit déjà une grande amélioration que de permettre à celui qui ne veut pas subir le contact des autres de demander la séparation ; mais je pense qu'il faut faire plus, et, dans l'intérêt de la société, établir la séparation en principe.
Comme l'état des maisons de détention en rendrait l'application difficile, dispendieuse, je voudrais qu'au fur et à mesure qu'on reconstruirait des prisons on les fît en vue de ce système. C'est ce qu'on a fait déjà pour les prisons de Liège et de Bruxelles.
M. Delfosse. - L'honorable M. Loos vient de dire d'excellentes choses, mais on ne peut pas mettre dans la loi que les condamnés à des peines de simple police seront toujours et nécessairement séparés. Il y aurait impossibilité d'exécution et cela pourrait nous conduire à d'énormes dépenses.
Il suffit que le gouvernement ait la faculté de séparer les condamnés ; nous devons supposer qu'il en usera convenablement, qu'il veillera, par exemple, à ce qu'une honnête femme ne se trouve pas à côté d'une prostituée. Je serais donc tout disposé à voter l'amendement de l'honorable M. Coomans, si je ne le considérais comme inutile. Il est certain, qu'alors même que cet amendement n'eût pas été présenté, le gouvernement n'en aurait pas moins la faculté d'ordonner la séparation des condamnés ; c'est à lui, en effet, qu'il appartient de régler tout ce qui concerne le régime intérieur des prisons. J'engage donc l'honorable M. Coomans à retirer son amendement.
M. Thibaut. - Je ne reproduirai pas les observations très judicieuses présentées par l'honorable M. Loos, mais je trouve que dans la thèse de l'honorable orateur et de mes honorables collègues, MM. de Decker et Coomans, l'amendement proposé par ce dernier ne suffit même pas. Il faudrait que le condamné à l'emprisonnement de simple police pût toujours, lorsqu'il le désire, être séparé des autres prisonniers. J'y vois, moi, une faveur offerte à ces condamnés, qui toujours la mériteront lorsqu'ils en feront la demande.
Ainsi, l'honorable M. Roussel a cité différents cas où les personnes les plus honorables pourraient, à la suite d'un accident, par une distraction, encourir une peine d'un jour, de deux jours d'emprisonnement ; je suis persuadé que toujours ces personnes demanderont à être isolées plutôt que de vivre en commun avec d'autres condamnés.
Je crois donc qu'il conviendrait de sous-amender la proposition de l'honorable M. Coomans comme suit :
« Ils seront séparés les uns des autres et placés dans des cellules, lorsqu'ils en feront la demande. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois très sérieusement que, pour le moment, il n'y a rien autre chose à faire que d'adopter le premier paragraphe de l'article en discussion. L'honorable M. Thibaut veut laisser aux individus condamnés à des peines de simple police le choix de l'emprisonnement cellulaire ou le choix de l'emprisonnement en commun. Messieurs, cela est à peu près impossible : il faudrait avoir partout des cellules en quantité suffisante pour les mettre à la disposition des individus qui pourront être emprisonnés.
M. Thibaut. - Ils subissent leur peine les uns après les autres.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il peut y avoir dans un arrondissement, un nombre de condamnés tel que tout en leur faisant subir leur peine les uns après les autres il n'y aurait pas encore assez de cellules pour en donner à tous ceux qui en demanderaient.
Le gouvernement aura évidemment soin de séparer les individus de manière qu'il n'y ait aucun danger pour la moralité de gens condamnés pour une contravention d'une importance très légère, pour un fait très peu immoral et qui, souvent même, ne l'est pas du tout. Mais c'est là une affaire d'administration dont la loi ne doit pas s'occuper.
Nous ne pouvons pas aller jusqu'à faire décréter par la loi que dans tous les cas il y aura une cellule à la disposition de chaque condamné en simple police qui en fera la demande ; c'est d'une exécution impossible.
M. de Perceval. - Messieurs, les considérations présentées par M. le ministre de la justicect la réponse qui m'a été faite par l'honorable M. Roussel, ne me paraissent pas assez puissantes pour que je modifie mon opinion. Ne pourrait-on pas prendre un moyen terme ponr rallier toutes les opinions ? L'amendement présenté par l'honorable M. Coomans me paraît devoir atteindre ce but.
Cet amendement porte : « Ils pourront être séparés les uns des autres et placés dans des cellules, conformément à la loi. » Le gouvernement ainsi que M. le rapporteur peuvent, me semble-t-il, se rallier à cet amendement.
En effet, il laisse la faculté au gouvernement et à l'administration des prisons de séparer ou de ne pas séparer les condamnés dont il s'agit. Je le répète, dans mon opinion, je pense qu'il importe de faire subir au condamné le régime cellulaire.
La société non moins que la moralisalion du condamné le réclament à tous égards. Je persiste dans l'opinion que j'ai émise, et je demande que le second paragraphe de l'article 40 que nous discutons, soit maintenu avec la modification indiquée par l'honorable député de Turhhout.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je pourrais certainement me rallier à l'amendement de l'honorable M. Coomans puisqu'il se borne à donner une faculté au gouvernement ; mais cette faculté, je la trouve déjà dans le premier paragraphe qui permet au gouvernement de désigner la prison dans laquelle les condamnés en simple police devront subir leur peine. Si maintenant la chambre croit que cela ne suffit pas, je ne vois pas d'inconvénient qu'on à ce ajoute la disposition proposée par M. Coomans.
M. Thibaut. - Si M. le ministre me le permet, je ferai remarquer qu'il y aura inégalité dans la peine ; ainsi dans certains arrondissements il sera possible de faire droit à la demande des condamnés, dans d'autres on ne pourra pas.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On ne peut pas dire d'une manière absolue qu'il y aura inégalité dans la peine : il est bien certain que souvent les condamnés préféreront subir leur peine en commun. Ainsi des individus condamnés pour être restés au cabaret trop tard, préféreront subir leur peine en commun, ils trouveront même le moyen de passer gaiement le temps de leur captivité ; d'autres, qui se trouveront dans la position dont parlait M. Loos, qui seront en très mauvaise société, préféreront l'emprisonnement cellulaire. On ne peut pas dire dans quel cas la peine sera plus dure.
M. Coomans. - J'avoue, messieurs, que le sous-amendement de mon honorable ami de gauche rend exactement ma pensée : en effet j'aurais voulu accorder à ces condamnés la faculté, à titre de faveur, de vivre isolément pendant la durée de leur peine ; mais je trouve quelque inconvénient à insérer dans la loi des expressions semblables : « à leur demande » et c'est le seul motif pour lequel je ne puis pas me rallier au sous-amendement de l'honorable M. Thibaut.
Je crois que pour éviter tout inconvénient, il conviendrait d'adopter mon amendement, tel que je l'ai proposé, et auquel le gouvernement se rallie.
M. Delfosse. - Je persiste à croire que l'amendement de l'honorable M. Coomans est inutile ; personne ne peut dénier au gouvernement le droit d'ordonner la séparation des condamnés qui se trouvent dans une prison de simple police. Pourquoi mettre dans la loi des choses inutiles ? J'engage de nouveau l'honorable M. Coomans à retirer son-amendement.
M. Delehaye. - Il est certain que dans la plupart des grandes villes où il existe des prisons cellulaires, le gouvernement appliquera le système de l'isolement aux condamnés à des peines de simple police.
Mais il ne faut pas exagérer les conséquences qui peuvent résulter du contact des condamnés entre eux. Il est certain que les condamnés pour crimes et les condamnés pour délits seront astreints à toutes les rigueurs du système cellulaire.
Dans aucun cas, par conséquent, le condamné à une peine de simple police ne pourra se trouver en contact avec ces deux catégories de prisonniers.
Il ne peut donc s'agir que du contact des condamnés à des peines de simple police entre eux.
Eh bien, je dis que dans les grandes villes où il existe des prisons cellulaires, ces condamnés pourront être enfermés séparément. Le gouvernement a le droit de l'ordonner. Mais pourquoi lui en faire une obligation ? Je dis que si la loi ordonne d'une manière générale que cette catégorie de condamnés sera soumise au système cellulaire, la loi sera inexécutable. Car que ferez-vous dans les cantons ? Construirez-vous-dans tous les cantons des prisons cellulaires ?
Messieurs, j'envisage l'établissement du système cellulaire comme un grand bienfait des sociétés modernes.
Mais voulez-vous que ce système soit promptement établi en Belgique, il ne faut pas l’étendre outre mesure, exiger qu'il soit établi partout. Ce système commence à être exécuté dans quelques localités ; il s'étendra graduellement, mais vous ne pouvez exiger qu'il soit exécuté jusque dans les moindres cantons.
Que fera la proposition de l'honorable M. Coomans ? Elle dit : « Les condamnés pourront être séparés, » et ce « pourront » s'applique au gouvernement. Eh bien, le gouvernement fera tout ce qui est possible, et le fera en vertu de son droit. L'amendement de l'honorable M. Coomans n'a donc aucune portée.
Le gouvernement vous l'a dit, il se réserve le droit d'appliquer le système cellulaire partout où la chose sera possible. Mais comme il y a des localités où la chose est impossible, il ne faut pas établir dans la loi une obligation.
(page 68) Ainsi, comme viennent de le dire M. le ministre de la justice et l’honorable M. Delfosse, je crois que cet amendement doit être repousséé.
M. Coomans. - Nous sommes tous d’accord que l'amendement est inutile. Je le retire bien volontiers.
M. le président. - On est d'accord de supprimer le second paragraphe et de ne maintenir que le premier. Je mets celui-ci aux voix.
- Cet article est adopté.
Article 41
« Art. 41. Ils ne sont astreints à aucun travail et peuvent se livrer aux occupations autorisées dans la maison. »
M. de Perceval. - Le projet du gouvernement portait une disposition que la commission a rejetée. Cette disposition était ainsi conçue : « Les condamnés pourront avoir en leur possession les livres et autres objets que le chef de la maison les autoriserait à garder ou à recevoir du dehors. »
Je voudrais connaître les motifs pour lesquels la commission a cru convenable de rejeter cette disposition.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Parce que c'est une disposition réglementaire.
M. Roussel, rapporteur. - Le rapport indique ces motifs.
Ces motifs sont que cette disposition doit faire partie de la loi sur le régime cellulaire ; que, par conséquent, il était inutile d'introduire dans le Code pénal une disposition de régime intérieur pour les prisons.
Telle est la raison pour laquelle votre commission émet l'avis unanime de supprimer cette disposition, et je pense que le gouvernement se rallie entièrement à l'opinion de la commission.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 42. Tous arrêts de condamnation à la peine de mort ou à celle des travaux forcés emporteront, pour les condamnés, l'interdiction à perpétuité des droits politiques et civils suivants :
« 1° De remplir des fonctions, emplois ou offices publics ;
« 2° De vote, d'élection, d'éligibilité ;
« 3° De porter aucune décoration, aucun titre de noblesse ;
« 4° D'être juré, expert, témoin instrumentaire ou certificateur dans les actes ; de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements ;
« 5° De faire partie d'aucun conseil de famille, d'être appelé aux fonctions de tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si ce n'est de ses enfants et sur l'avis conforme du conseil de famille ;
« 6° De port d'armes, de faire partie de la garde civique ou de servir dans l'armée belge ;
« 7° De tenir école, d'enseigner ou d'être employé dans un établissement quelconque à titre de directeur, de professeur, de maître ou de surveillant. »
A cet article se rattache le second paragraphe de l'article 26, ainsi conçu : « La cour d’assises pourra prononcer également la destitution contre le condamné à la détention. »
M. Roussel, rapporteur. - Il y a au 7° de l'article une faute d'impression, il faut lire : « 7° De tenir école, d'enseigner ou d'être employé dans un établissement quelconque d'instruction. »
M. Lelièvre. - Je dois faire observer que la rédaction proposée par la commission contient une lacune. En effet, dans la prohibition dont sont frappés les condamnés, il faut comprendre les fonctions de subrogé tuteur, dénomination qui est omise dans la disposition de la commission. Je pense aussi que l'interdiction doit s'étendre aux fonctions d'administrateur provisoire déférées par les tribunaux, dans une instance en interdiction, ou même par le conseil de famille, lorsqu'il, s'agit d'un individu placé dans un établissement d'aliénés en vertu de la loi du 18 juin 1850.
Je propose donc d'énoncer dans l'article les mots « d'être appelé aux fonctions de tuteur, subrogé-tuteur, curateur, administrateur provisoire ou conseil judiciaire. »
Enfin je fais observer que puisque l'on interdit au condamné dans notre article le droit de tenir école, il faut nécessairement que cette disposition ait une sanction dans le Code pénal lui-même.
En conséquence, le Code devra contenir une pénalité contre celui qui tiendrait école ou se livrerait à l'enseignement nonobstant l'interdiction dont il est frappé. Je recommande cet objet à la sollicitude du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je me rallie aux modifications proposées par la commission au premier paragraphe de l'article 42, sauf toutefois en ce qui concerne le mot « emporteront » auquel je demande qu'on substitue le mot « porteront ». Le premier paragraphe serait ainsi conçu : « Tous arrêts de condamnation à la peine de mort ou à celle des travaux forcés porteront, pour les condamnés, l'interdiction à perpétuité des droits politiques et civils suivants : »
Ainsi, messieurs, comme vous le voyez, c'est la suppression d'une syllabe seulement que je demande, mais qui cache une très grosse question de principe.
M. Coomans. - Il y a une très grande différence.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je le sais bien, je viens de l'indiquer.
Messieurs, dans l'étal actuel de la législation, sous l'empire du Code d'instruction criminelle et du Code pénal, on s'est demandé si lorsque l'interdiction de certains droits était prononcée comme peine accessoire, était prononcée par la loi et dérivait en quelque sorte de la condamnation, n'était pas la peine principale, le roi pouvait ou non en faire remise.
Vous savez, messieurs, que l'article 73 de la Constitution dit que le roi peut faire remise des peines prononcées par le juge.
Ceux qui soutenaient que le roi ne pouvait pas faire remise de l'interdiction de certains droits civils, appuyaient leur opinion sur cette circonstance que cette peine d'interdiction de certains droits civils n'était pas prononcée expressément par le juge, mais était le résultat de la condamnation. Ils disaient encore que la grâce ne pouvait s'étendre, en quelque sorte, qu'à la peine matérielle, ne pouvait pas s'étendre aux peines qui atteignent un individu dans ses droits civils.
A cela, messieurs, les partisans de l'opinion contraire répondaient que la peine de l'interdiction des droits civils n'était que l'accessoire d'une peine plus forte, que le Roi avant le droit de faire remise d'une peine plus forte, il y avait une anomalie à contester le droit de faire remise d'une peine moins forte.
Ils disaient enfin que si cette peine n'était pas prononcée d'une manière tout à fait expresse par le juge, elle l'était au moins d'une manière implicite, parce qu'elle dérivait de la condamnation et que c'était le juge qui prononçait la condamnation.
Quoi qu'il en soit, messieurs, de cette discussion, de cette question d'interprétation (dix ou douze auteurs ont adopté cette opinion, dix ou douze autres auteurs ont adopté une opinion contraire), nous nous trouvons à faire une loi et je me demande quels sont les principes que nous devons consacrer par cette loi.
Vous remarquerez, messieurs, que pour faire disparaître cette difficulté, pour trancher la question, le projet du gouvernement disait que tous arrêts de condamnation à la peine de mort, perpétuelle ou à la réclusion extraordinaire « porteront de plus l'interdiction... » c'est-à-dire que l’interdiction sera prononcée par le juge. L'interdiction étant prononcée par le juge, il n'y a plus de difficulté sur l'application de l'article 73 de la constitution, le roi pourra faire remise de la peine, puisqu'elle est prononcée par le juge.
La commission de la chambre a été d'une opinion contraire : elle a pensé que le roi ne doit pas avoir le doit de faire remise de l'interdiction lorsqu'elle est prononcée comme peine accessoire. C'est pour cela qu'elle a substitué le mot « emporteront » au mot « porteront. »
Messieurs, les motifs qui ont été donnés à l'appui de l'opinion de la commission nommée par la chambre ne m'ont pas convaincu. Subtilité à part, il me paraît évident que la peine de l'interdiction, qui vient comme peine accessoire, est en définitive beaucoup moins forte que la peine principrde qui est prononcée. Or, je ne puis pas admettre que le roi, qui a, en vertu de la Constitution, le droit de faire remise de la peine principale, n'ait pas le droit de faire remise d'une peine beaucoup plus faible, et l'on ne contestera pas que c'est là une peine ; car l'article 7, que vous avez voté, porte en toutes lettres :
« Les peines applicables aux infractions sont : (…)
«7° L'interdiction de certains droits politiques et civils. »
Cette interdiction est donc une peine, qu'elle arrive comme conséquence d'une autre peine, ou de la condamnation ou qu'elle soit prononcée par le juge.
Après cela on dit qu'il y a certains dangers à rendre l'exercice des droits civils à un individu qui a été condamné aux travaux forcés ou à la peine de mort, et qui a été gracié. Messieurs, si l'on veut raisonner ainsi, il faut attaquer le droit de grâce, car il renferme des dangers de toute espèce.
Le plus grand danger pour la société n'est-il pas de voir rendre à la société un homme qui, hier, a commis un crime, qui, le lendemain de sa grâce, pourra en commettre un nouveau ?
Je le demande, le droit de mettre en liberté un individu condamné à la peine de mort ou à la peine des travaux forcés, ne peut-il pas devenir bien plus dangereux que le droit de faire remise de l'interdiction des droits civils et politiques ? L'usage de ces droits rendu au condamné est un danger contre lequel on peut se mettre en garde. Ainsi, l'individu pourra être témoin, mais les parties choisissent leurs témoins ; il aura le droit d'être juré, mais il peut être récusé ; il sera électeur, mais sa voix ira se perdre au milieu de celles des autres électeurs.
Je dis donc que lorsqu'on doit admettre que le Roi a le droit de mettre un condamné en liberté, droit que l'on ne peut pas contester, puisqu'il résulte de la Constitution, il faut également admettre que le Roi peut faire remise de la peine de l'interdiction.
Mais, messieurs, il y a plus, la commission admet, dans l'article 43, que l'interdiction pourra être prononcée lorsque le condamné aura encouru la peine des travaux forcés à temps ou la peine de la réclusion. Or, dans ce cas, où l'interdiction aura été prononcée par le juge, on ne conteste pas au Roi le droit d'en faire remise.
Eh bien, je vous le demande, s'il y a des motifs pour reconnaître au Roi le droit de faire remise de la peine de l'interdiction, n'est-ce pas plutôt dans le cas de l'article 42, c'est-à-dire lorsque la loi prononce elle-même cette peine, que lorsqu'elle est prononcée par le juge ? Lorsque la peine est rattachée d'une manière générale, par la loi, à certaines catégories de faits, lorsqu'elle s'applique d'une manière universelle à ces faits, mais il arrivera très souvent que la loi, dans sa généralité, frappera de cette peine des individus qu'il faudrait pouvoir en dispenser.
Ainsi un individu pourra être condamné pour un meurtre commis dans des circonstances telles que le fait affecte peu la moralité ; un coup, par exemple, donné alors que dans l'intention de celui qui l’a porlé, il ne devait pas produire le résultat grave qu'il a produit : eh bien, dans ce cas-là il faudrait pouvoir faire remise de la peine de l’interdiction comme on peut faire remise de l'application de la peine de (page 69) l'emprisonnement. Quand c'est au contraire le juge qui prononce la peine, on n'est plus devant le danger de la voir appliquer d'une manière injuste, de la voir appliquer alors qu'elle ne devrait pas l'être ; le juge choisit la peine selon la nature, des faits, selon l'immoralité de l'individu.
Dans ce cas, on doit admettre qne le Roi peut faire remise de la peine, et on ne l'admettrait pas lorsque la peine est prononcée d'une manière générale par la loi ! Cela, messieurs, est impossible.
Dans le Code pénal actuel, messieurs, vous avez la dégradation civique comme peine accessoire et comme peine principale ; lorsqu'elle est peine principale, le Roi a le droit d'en faire remise, parce qu'elle est prononcée par le juge ; lorsqu'elle arrive, au contraire, comme peine accessoire, on soutient que le Roi ne peut pas en faire remise. Cela est il logique ? Cela est-il raisonnable ?
J'attendrai, messieurs, les observations ultérieures qui pourraient être faites contre le système proposé par le gouvernement.
M. Lelièvre. - Je partage entièrement l'avis de M. le ministre de la justice, et je pense que le Roi a le droit, en vertu de sa prérogative de faire remise de l'interdiction comminée par notre article. En effet, celui qui peut le plus peut le moins. Or, celui qui peut remettre la peine principale a évidemment le droit de faire remise des accessoires d'après le principe que l'accessoire suit le principal.
Mais voulez-voulez-vous être convaincus que l'interdiction est bien une peine, voyez l'article 44. Le juge peut prononcer la suspension des droits civils en matière correctionnelle. Or, le mal infligé par le juge constitue bien une peine. Maintenant s'il est évident que la suspension momentanée des droits civils a réellement le caractère d'une peine, il en est nécessairement de même de l'interdiction entière.
Ce n'est pas la durée de la prohibition qui en change la nature.
Il est indubitable que dans le cas des articles 43 et 44 du projet l’interdiction est une peine, puisque son application est facultative pour le juge ; or, s'il en est ainsi, il est impossible de ne pas appliquer le même principe à la disposition dont nous nous occupons.
L'article 11 du projet tranche d'ailleurs la question en termes décisifs. Sous ce rapport, je crois devoir combattre le système de la commission et appuyer l'amendement du ministre.
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, je n'examinerai pas en ce moment l'amendement présenté par l'honorable M. Lelièvre et qui tendrait à ajouter les fonctions d'administrateur provisoire à celles dont sont exclus les interdits. Les fonctions d'administrateur provisoire des biens des personnes placées en état d'interdiction, ne sont-elles pas conférées par les tribunaux ?
M. Lelièvre. - Pardon ; par le conseil de famille, en vertu de la loi de 1850.
M. Roussel, rapporteur. - Mais je dois examiner la grave question soulevée ensuite par M. le ministre de la justice. Observons d'abord que les adversaires de l'opinion de l'honorable ministre ne peuvent pas se placer sur le terrain que M. le ministre et l'honorable M. Lelièvre ont choisi.
En effet, la loi pénale n'a pour but ni d'étendre ni de restreindre le droit de grâce qui est un droit formellement réservé par la Constitution ; elle a pour but d'étudier les infractions et les peines et d'assigner à chaque fait les résultats nécessaires que la force des choses lui imprime.
Voici, messieurs, ce qui a déterminé la commission à ajouter la syllabe « em » au mot « porteront » que l’on rencontre dans le projet du gouvernement.
Faut-il que le juge soit obligé d'ajouter cette énorme interdiction de l'article 42 à chacun des arrêts qui porteront la peine de mort ou celle des travaux forcés ? Non, messieurs, cela n'est pas nécessaire.
Il existe deux motifs qui ne le permettent pas. Le premier, c'est que cette mention, dans le jugement porté contre tout individu condamné à ces peines, serait complètement inutile, puisqu'elle résulte formellement de la loi et qu'aucune alternative n'est laissé au juge. Un deuxième motif beaucoup plus sérieux, c'est que, si l’interdiction des droits dont il s'agit est réellement dans certains cas facultative pour le juge, c'est par exception.
Il faut, pour apprécier ces exceptions, mettre en rapport les dispositions du Code pénal avec celles du Code d'instruction criminelle.
L'interdiction des droits civils, lorsqu'il s'agit de peines qualifiées jusqu'ici d'afflictives ou d'infamantes, est le résultat de l'arrêt de condamnation ; c'est une conséquence pénale du jugement, non une peine proprement dite.
Je dis que c'est le résultat de l'arrêt de condamnation, je dis que ce n'est pas l'accessoire de la peine, car c'est justement à l'instant où la peine proprement dite vient de finir, c'est à ce moment que, dans l'état ordinaire des choses, l'interdiction des droits civils et politiques commence à produire ses effets pratiques.
Un homme qui se trouve dans une maison de force n'a pas besoin qu'on l'interdise des droits mentionnés dans l'article 42, pour qu'il soit empêché de les exercer ; ce n'est qu'au moment où sa peine est subie que l'interdiction commence à produire ses effets réels.
Quelle est donc la nature de cette interdiction ? C'est de constituer une incapacité résultant de l'arrêt de condamnation. L'arrêt qui frappe un individu de telle peine, à raison de tel crime, déclare par cela même à la face de la nation, que cet homme est désormais incapable d'exercer des droits aussi importants ; qu'il en est indigne, qu'il a perdu la qualité de citoyen ; qu'il est retranché de la société des Belges jouissant du « status ».
Et puisque M. le ministre de la justice a jugé convenable de parler du droit de grâce, je me permettrai de lui faire observer que ci-devant on reconnaissait à la royauté le droit d'abolition des poursuites, qui n'existe plus aujourd'hui pour personne ; le droit de remettre les peines, et finalement le droit de réhabilitation, droit qui n'était pas toujours conféré d'une manière absolue à la royauté, mais qui parfois se partageait entre la royauté et certaines juridictions, droit que l'on soumettait ordinairement à certains préliminaire garantissants.On connaissait donc 1° les lettres d'abolition des poursuites ; 2° les lettres de grâce ou de rémission et 3° les lettres de réhabilitation.
En face de ces précédents, qu'a fait le Code d'instruction criminelle ? Il a établi, pour les matières criminelles proprements dites, tout un système de réhabilitation. Dans ce système, avant que le Roi puisse relever des incapacités perpétuelles, dérivant de condamnations à des peines afilictives et infamantes, l’on exige 1° le séjour prolongé pendant un certain temps dans une commune ; 2° des certificats de l'autorité communale ; 3° un avis de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'individu est domicilié.
Le système que M. le ministre de la justice défend tend au contraire à confondre deux espèces de réhabilitation, l’une qu’on devrait appeler grâcieuse, l’autre réhabilitation légale. Mais la doctrine professée par M. le ministre de la justice dérive d'une confusion entré le droit de grâce, inscrit dans la Constitution, avec le droit de réhabilitation.
Il suffira, pour faire voir les conséquences de cette doctrine, de relire les numéros composant l’article 42 et qui constituent les incapacités qui dérivent de la condamnation criminelle aux travaux forcés :
« 1° Interdiction de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »
Voilà un homme condamné à une peine grave, aux travaux forcés à perpétuité, par exemple, qui peut non seulement être relevé de la peine matérielle, mais qui pourra encore, sans responsabilité pour personne - car le droit de grâce s'exerce sans responsabilité aucune - qui peut encore être relevé de l'interdiction de remplir des fonctions publiques.
Voyons le n°2 : cet homme, lors même qu'on n'aura pris à son égard aucune des précautions salutaires établies par le Code d'instruction criminelle, jouira du droit de vote, d'élection, d'éligibilité ; c'est-à-dire que le droit de grâce, ainsi entendu, pourra d'emblée imprimer au condamné la capacité d'entrer dans cette enceinte, de délibérer sur la loi, et de voter la loi. Je passe directement au n°3 de l’article 42.
Un simple arrêté sans aucune réhabilitation effective pourra rétablir ce criminel de l'interdiction d'être juré ; c'est-à-dire que, sans que cet homme se soit purgé en aucune façon, de la clémence royale, par là seule, il pourra siéger aux bancs des jurés, exercer les fonctions d'expert, être appelé comme témoin instrumentaire et certificateur dans les actes civils.
Donc la société et les parties devront accorder leur confiance à l'homme muni de lettres de grâce. Il déposera en justice autrement qu'à titre de simples renseignements. Voilà des garanties sociales qni s'évanouissent tout d'un coup.
Cependant, autre chose est de jouir de la liberté commune à tous les mortels, ou de déposer sous la foi du serment devant la justice, d'imposer en quelque sorte aux jurés une conviction, sur un point de fait dont la constatation emporte de si graves conséquences. A quelles énormes conséquences n'arrivons-nous point ? L'homme sera donc capable ou incapable, suivant qu'il sera ou ne sera point gracié ? Or, messieurs, la grâce est une prérogative de pure clémence, ce n'est pas un droit de justice ou de juridiction.
Cette prérogative ne comporte pas, comme la réhabilitation, un examen préalable et tutélaire ; on ignore si le condamné s'est complètement amendé ; pour accorder la grâce, le Roi consulte la magniminité de son âme, il écoute la voix du cœur ; il examine s'il peut diminuer ou supprimer la pénalité en tant qu'elle a des conséquences cruelles pour le condamné. Mais de là au droit pour ce condamné d'être témoin, juré, éligible, n'est-ce pas arriver de la clémence jusqu'aux droits des tiers et de la société ? Les deux termes du dilemme ne me semblent pas se trouver d'accord entre eux.
Le droit civil est gravement intéressé dans la question soulevée par le n°5° de Tart. 42 du projet. Le gracié pourrait faire partie d'un conseil de famille, être appelé aux fonctions de tuteur, de curateur, d'administrateur provisoire ou de conseil judiciaire, etc.
Ainsi, les droits du père de famille dériveront non plus d'une sentence judiciaire, mais de l'exercice du droit de grâce.
Cet examen rapide des droits énumérés en l’article 42 démontre péremptoirement que la mesure de l'interdiction n'a point le caractère d'une mesure pénale proprement dite, mais d'une précaution de sécurité commune et d'ordre public à l'égard des condamnés aux travaux forcéj à perpétuité ou à temps.
Pour ma part, j'y vois des garanties en faveur de la procédure criminelle, des droits politiques et civils, des précautions sages contre l'entraînement des électeurs provinciaux et communaux ; ces garanties précieuses doivent-elles dépendre du droit de grâce sans aucun examen (page 70) légal, obligatoire de l'amendement du condamné, sans observation du Code d'instruction criminelle ? Doivent-elles dépendre sans aucune précaution d'une prérogative dans la remise ou l'atténuation de la peine proprement dite, non dans la restitution au condamné d'une capacité dont la perte n'est pas le résultat de la peine, mais de la condamnation solennelle à laquelle la grâce ne touche point ?
Le condamne, aussi longtemps qu'il n'a point été réhabilité, est évidemmemt incapable d'exercer les droits spécifiés à l'article 42.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain t
M. Roussel, rapporteur. - Je demanderai que la parole me soit continuée à demain.
M. le président. - La commission chargée d'examiner le projet de loi déposé au commencement de la séance par M. le ministre de la justice a été nommée par le bureau.
Elle est composée de MM. Devaux, de Muelenaere, Ernest Vanden Peereboom, Peers et Moreau.
- La séance est levée à quatre heures et trois quarts.