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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 14 novembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 47) M. Vermeire procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Caussin, se plaignant des avantages qu'à la station du chemin de fer du Nord, l'administration accorde aux voitures dites omnibus, alors qu'elle les refuse aux vigilantes, réclame l'intervention de la chambre, pour que le règlement arrêté par le département des travaux publics sur la police des voitures aux abords des stations du chemin de fer, soit exécuté à la station du Nord. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre un exemplaire des recueils des procès-verbaux des séances des conseils provinciaux, session de 1851. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. H. de Baillet demande un congé. »

- Accordé.


M. le président. - Le bureau a composé comme suit les deux commissions chargées d'examiner respectivement les deux projets de loi qui ont été présentés hier par M. le ministre de l'intérieur.

1° Projet de loi qui rectifie la limite séparalive entre la commune de Glons (province de Liège) et celle de Roclenge-sur-Geer (province de Limbourg) : MM. de Theux, de Renesse, Deliége, Julliot, Lesoinne ;

2° Projet de loi relatif à la délimitation entre les communes de Bruly, de Couvin, de Cul-des-Sarts et de Petite-Chapelle (province de Namur) : MM. de Baillet-Latour, Lelièvre, Moxhon, Moncheur, Dautrebande.

Projet d'adresse

Réponse du roi

M. le président. - Messieurs, la grande députation chargée de présenter au Roi l'adresse de la chambre, a été reçue aujourd'hui à midi et demi par Sa Majesté.

Voici la réponse du Roi :

« Messieurs,

« Je reçois avec la plus vive satisfaction l'expression des sentiments de la chambre des représentants. J'apprécie l'esprit de sagesse et de modération qu'elle apporte dans l'examen et la confection des lois. La conformité de ses vues avec celles de mon gouvernement aide puissamment à l'activité des travaux parlementaires et à la bonne direction des affaires publiques. Que cet accord se maintienne et se fortifie, le pays en recueillera d'heureux fruits, et tiendra compte à ses représentants de leurs services désintéressés.

« Veuillez, messieurs, reporter à la chambre l'expression de ma gratitude et lui dire avec quelle confiance je me repose sur son dévouement et son patriotisme. »

- La chambre décide que la réponse du Roi sera imprimée conjointement avec le discours du Trône et l'adresse de la chambre.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget des dotations

Dépôt

M. de Renesse. - Messieurs, organe de la commission de comptabilité, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi tendant à allouer un crédit supplémentaire au budget des dotations, exercice 1851, pour le service de la chambre des représentants.

-- Ce projet sera imprimé et distribué.

M. de Renesse. - Je demande que la chambre le mette à l'ordre du jour de mardi prochain.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi révisant les livres I et II du code pénal

Discussion des articles

Livre premier. Des infractions et de la répression en général

Chapitre II. Des peines
Section première. Des diverses espèces de peines
Article 7

« Art. 7. Les peines applicables aux infractions sont :

« 1° La mort ;

« 2° Les travaux forcés à perpétuité ;

« 3° Les travaux forcés à temps ;

« 4° La détention ;

« 5° La réclusion ;

« 6° L'emprisonnement ;

« 7° L'interdiction de certains droits politiques et civils ;

« 8° Le renvoi sous la surveillance spéciale de la police ;

« 9° L'amende ;

« 10° La confiscation spéciale.

La gravité générale des peines est établie dans l'ordre suivant :

« 1° La mort ;

« 2° Les travaux forcés à perpétuité ;

« 3° Les travaux forcés à temps ;

« 4° La réclusion ;

« 5° L'emprisonnement ;

« 6° L'amende.

« La gravité spéciale est réglée de la manière suivante :

« 1° La détention extraordinaire ;

« 2° La détention ordinaire ;

« 3° L'emprisonnement de moins d'une année ;

« 4° L'amende. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, en terminant hier ses observations sur la peine de mort, l'honorable M. Lelièvre disait qu'il ne pouvait pas se contenter de la proposition faite par la section centrale, qui se bornait à envoyer le condamné à l'échafaud transporté dans une voiture cellulaire ; il disait que cette concession n'était pas en rapport avec les exigences de notre époque, avec les exigences de l'humanité.

Les paroles de l'honorable M. Lelièvre seraient exactes, seraient vraies, si c'était là la seule modification que nous apportions à notre régime pénal actuel. Mais alors qu'aurait fait la première commission, qui a préparé le projet de loi, qu'aurait fait le gouvernement qui l'a présenté, qu'aurait fait la commission de la chambre qui l'a examiné ? Evidemment rien de sérieux.

Je ne comprends pas comment l'honorable M. Lelièvre n'a pas remarqué que l'esprit dans lequel le Code pénal qui vous est soumis est rédigé, est complètement différent de celui dans lequel le Code pénal de 1810 a été conçu. Le Code pénal de 1810 reposait avant tout sur l'idée, le système de l'utile ; or, dans ce système, la peine doit être mesurée principalement sur le degré de terreur que l'on veut produire. La criminalité de l'acte n'est plus qu'un élément secondaire.

Dans le système que nous proposons, quel sera l'élément principal pour la mesure des peines ? Ce sera la criminalité de l'acte, la perversité de l'agent ; le caractère exemplaire de la peine ne vient plus dans cet ordre d'idées que comme élément secondaire.

De cette différence dans les deux systèmes résultent des conséquences très importantes dans la mesure, dans la détermination des peines.

Ainsi dans le Code de 1810 vous aviez la peine de mort à peu près à chaque page. Elle était comminée contre plus de trente faits.

Aujourd'hui nous la réduisons à quelques cas. Notre réforme, en ce qui concerne la peine de mort, ne se bornera pas à envoyer le condamné à l'échafaud dans une voiture cellulaire ; elle aura pour effet de faire disparaître cette peine dans les neuf dixièmes des cas où elle est prononcée aujourd'hui.

Je crois que c'est là une réforme qu'il ne faut pas repousser avec dédain ; et la première et la seconde commission qui ont élaboré le projet de loi et le gouvernement qui l'a présenté, peuvent, au nom de l'humanité, revendiquer ce résultat.

L'honorable M. Lelièvre nous disait encore qu'il ne croyait pas la peine de mort nécessaire. Je le dis avec regret, je le dis avec amertume même, je ne puis pas partager ses convictions, et qu'il me permette de le lui dire, je crois qu'il cède plutôt à la générosité de son cœur, qu'il se laisse plutôt entraîner par son caractère et par l'attrait que présente toujours une cause semblable, qu'il n'est guidé par la combinaison des faits, de ses études, avec les grands intérêts sociaux ; car sans cela comment comprendre qu'il croie la peine de mort inutile dans notre législation et qu'il n'en propose pas formellement, expressément l'abolition, et que de toutes ses forces il n'en poursuive pas l'abrogation ?

L'argument principal qu'on fait valoir pour le maintien de la peine de mort est toujours le même, et les réponses ne peuvent guère varier, et loin de moi la prétention d'inventer quelque chose. Il est des thèses épuisées, des questions où tout a été dit.

La peine de mort, nous dit-on, n'est pas nécessaire ; la vie de l'homme est inviolable.

Voilà, messieurs, l'argument de ceux qui soutiennent la même (page 48) opinion que l'honorable M. Lelièvre. Nous répondons ; La peine de mort est nécessaire, l'inviolabilité de la vie humaine finit là où commence la légitime défense de la société. Voilà, résumé en quelques mots, l'argument principal produit pour et contre l'abolition de la peine de mort. Dans cette discussion, je ne crains pas de le dire, l'on ne trouve pas de ces raisons qui aient la puissance d'une démonstration mathématique. L'on se trouve en quelque sorte en présence d'une négation d'un côté, d'une affirmation de l'autre. Mais de raisons devant lesquelles tout le monde doit s'incliner sans pouvoir ultérieurement discuter, il n'en est pas.

Cependant des raisons, tirées de l'expérience, tirées de la nature même de l'homme doivent, à mon sens, prouver à celui qui ne compte qu'avec la raison, que la peine de mort ne peut pas encore être rayée de nos Codes.

Après la révolution de 1830, l'on tenta l'expérience que nous recommandait hier M. Lelièvre, et dès 1834 on était forcé d'y mettre fin, le nombre des crimes emportant la peine de mort, avait augmenté, et un homne peu partisan, adversaire même de la peine de mort, l'honorable M. Ernst, en présence des réclamations les plus vives, les plus nombreuses, en quelque sorte sous la pression de l'opinion publique, dut en permettre l'exécution.

Il serait impossible de démontrer que l'augmentation des crimes était due à la suppression de l'exécution de la peine de mort, mais voici un fait avéré, connu, incontestable ; c'est que des individus poursuivis à cette époque devant les cours d'assises pour des crimes emportant cette peine n'hésitaient pas à déclarer que s'ils n'avaient pas cru la peine de mort abolie de fait, ils ne se seraient pas exposés à l'encourir.

Ce fait que je cite n'est pas un fait isolé qui se soit produit seulement dans notre pays. En France, après la révision du Code pénal, en 1832, la même opinion, celle de l'abolition de la peine de mort, s'était accréditée dans le public ; bientôt on a vu le nombre des crimes augmenter, et là aussi l'on trouvait journellement parmi les condamnés des hommes qui confessaient que la croyance à l'abolition de la peine de mort avait influé sur leur détermination de commettre le crime qui leur était reproché.

Voici ce que disait le rapporteur de la commission chargée d'examiner la proposition de M. Savatier-Laroche sur l'abolition de la peine de mort :

« Nous voilà donc forcément ramenés à cette question de fait : La société peut-elle à la fois supprimer les exécutions capitales et garantir l'existence de tous ceux qu'il est de son devoir de protéger ?

« Ici, messieurs, permettez.moi de vous rappeler un fait qui a eu, lorsqu'il s'est produit, un grand retentissement. Vous le savez, en 1832, le Code pénal fut réformé ; on effaça la peine de mort de plusieurs de ses articles, on autorisa le jury à admettre dans toutes les accusations les circonstances atténuantes.

« Je me hâte de le déclarer, afin qu'on ne se méprenne pas sur le sens de mes paroles : à mes yeux, cette réforme est peut-être la principale gloire de la révolution de juillet. Néanmoins, lorsque cette loi fut promulguée, un nombre inusité d'assassinats vint tout à coup attrister le pays. Plusieurs des coupables furent condamnés à périr sur l'échafaud ; ils avouèrent qu'ils avaient cru la peine de mort entièrement abolie ; ce bruit s'était répandu dans nos campagnes ; ils avouèrent que, sans cette persuasion, ils n'auraient pas versé le sang humain. »

Ces faits, messieurs, n'auraient pas été confessés par les accusés eux-mêmes, cette crainte de la peine de mort n'aurait pas été révélée par eux que des raisons psychologiques les feraient admettre encore. Que chacun interroge sa conscience, et forts et faibles, stoïciens et matérialistes, tous trouveront que le sentiment le plus vivace au cœur de l'homme est celui de la conservation de soi-même, de la conservation de la vie, et que ce sentiment ne se tait que dans de rares occïsions.

Il est un autre point qu'il ne faut pas perdre de vue. Il est inexact de prétendre que le but de la loi pénale est complètement rempli quand le coupable est réduit à l'impuissance de nuire. La peine n'a pas exclusivement pour but d'infliger un châtiment au coupable, de le séquestrer de la société.

On poursuit encore un autre but en l'appliquant, c'est celui de l'exemple ; la société veut encore inspirer une frayeur salutaire, qui arrête l'accomplissement des crimes, qui préserve les citoyens drs attentats dont ils pourraient être l'objet. Et c'est précisément parce que de toutes les peines la peine de mort est celle qui est la plus redoutée, celle qui inspire le plus de terreur, qu'à ce point de vue encore elle est nécessaire.

C'est, du reste, encore une erreur de la part de l'honorable M. Lelièvre de croire que toujours et dans tous les cas, la séquestration garantit suffisamment la société ; que toujours et dans tous les cas les prisons et les verrous mettent dans l'impuissance de nuire.

Un individu condamné aux travaux forcés serait en cas d'abolilion de la peine de mort puni du maximum de la peine comminée par la loi. Dans sa prison il attente à la vie de son geôlier. De quelle peine le punirez-vous ? Cet individu parvient à s'évader ; s'il continue sa vie de crime, s'il continue à égorger ses concitoyens, que ferez-vous contre lui ? Ainsi vous aurez dans la société un individu plus puissant que la société elle-même, qui pourra la frapper sans qu'elle puisse l'atteindre.

C'est là encore une des raisons pour lesquelles je regarde la peine de mort comme nécessaire, car jamais je ne pourrai admettre que la société renferme dans son sein un homme qui pourra commettre tous les crimes sans que la société ait plus de moyen de réprimer ses forfaits.

Messieurs, un autre argument que l'on emploie est celui-ci ; la peine de mort est irréparable ; une peine irréparable suppose l'infaillibilité du juge ; or le juge n'est pas infaillible, donc vous ne pouvez pas avoir de peine irréparable. Messieurs, je crois que la conséquence n'est pas exacte. L'on doit tirer de cette vérité que le juge n'est pas infaillible, la conséquence qu'il faut entourer la défense de l'accusé et son jugement de toutes les garanties imaginables, que vous devez faire par tous les moyens que la vérité, que la lumière se fassent jour.

Voilà le remède à la faillibilité du juge. Mais conclure de ce que le juge peut errer, qu'aucune peine ne peut être irréparable, c'est vouloir qu'aucune peine corporelle ne soit appliquée ; car, enfin, la prison même, en cas d'erreur judiciaire, prononcée contre un innocent, peut devenir une peine irréparable.

Ainsi le condamné aura fait son temps, ou bien, ce qui peut arriver, souvent, il sera mort en prison : n'y aura-t-il pas là aussi un fait irréparable ? Pouvons-nous cependant aller jusqu'à dire qu'à l'avenir aucune peine corporelle ne sera prononcée ? Evidemment personne ne le demandera.

Du reste, messieurs, il ne faut pas nous exagérer de semblables arguments : l'erreur judiciaire est une exception, une très rare exception. J'avoue, messieurs, que c'est un malheur, j'avoue que des affaires semblables à celle de Bonne et Geens, qui a été citée, sont de véritables calamités. Mais pour une erreur possible, pouvons-nous sacrifier des moyens de répression que nous croyons encore indispensables à la sécurité de la société ?

Messieurs, on invoque aussi l'humanité. Mais qu'on y prenne bien garde, les partisans de l'abolition de la peine de mort n'ont guère d'humanité que pour les condamnés. Ils oublient un peu trop tous ceux qui peuvent devenir victimes. Sans doute, messieurs, si sans danger pour personne la peine de mort pouvait être supprimée, nous devrions donner cette satisfaction aux sentiments d'humanité. Mais si la suppression de la peine de mort doit entraîner, pour des innocents, des conséquences très graves ; s'ils sont exposés un jour aux coups des assassins, nous aurons posé alors, non pas un acte d'humanité, mais un acte d'imprévoyance, d'impardonnable légèreté.

Qu'on dise que la peine de mort doit être prononcée dans des cas très rares ; c'est, messieurs, ce qui aura lieu ; c'est là un des buts de la réforme que nous proposons.

Qu'on nous dise que des circonstances atténuantes doivent être admises ; c'est ce qui se fera encore.

Qu'on nous dise que le droit de grâce doit s'exercer souvent ; c'est ce que nous pouvons encore accepter.

Qu'on nous dise que plus tard, lorsque l'instruction aura pénétré dans les masses, lorsque le peuple sera plus éclairé, les sentiments moraux plus développés, l'on pourra arriver à la suppression complète de la peine de mort, c'est ce que nous ne contesterons pas. Mais, quant à présent, je crois qu'il n'y a pas autre chose à faire que ce que nous proposons ; je crois que le moment d'une réforme plus radicale que celle que consacre le projet de loi, n'est pas encore arrivé.

M. le président. - M. de Perceval a déposé la proposition suivante :

« Je propose de supprimer la peine de mort. »

La parole est à M. de Perceval pour développer son amendement.

M. de Perceval. - Le sujet que nous discutons est un des plus graves sur lesquels la législature puisse délibérer, c'est un de ceux qui divisent le plus profondément les penseurs et les criminalistes.

Je ne reproduirai pas les éloquents plaidoyers qui ont été écrits contre la peine capitale, au nom des lois divines et humaines ; je me bornerai à déclarer que je me range parmi ceux qui demandent l'abrogation complète de la peine de mort, parce que je désire voir effacer du Code pénal une disposition qui répugne à nos mœurs et qui ne saurait découler de nos institutions libres.

Maintenir la peine de mort, c'est marcher à l’encontre du but que se sont assignées les sociétés modernes, c'est méconnaître l'esprit de notre siècle, la tendance de nos idées, et j'ajouterai les aspirations de notre cœur.

La raison, l'humanité, l'expérience ne viennent-elles point nous prouver l'inutilité du maintien de cette pénalité dans le Code ?

Les exécutions capitales n'ont guère porté de fruits salutaires ; elles servent bien plus de spectacle à une foule avide d'émotions que de moyen de moralisation pour les masses.

L'échafaud, au lieu d'être un billot expiatoire, n'est souvent qu'un piédestal sur lequel le criminel se dresse pour avoir un souvenir momentané dans la tradition populaire.

Le nombre de crimes capitaux a-t-il diminué d'un seul depuis que, sous le ministère de M. Ernst, l'échafaud s'est relevé sur nos places publiques ? Non ; il a plutôt augmenté.

Je suis fondé à dire que la vue du supplice, du couperet qui tombe, du sang qui jaillit et de la tête qui roule, n'inspire point d'effroi aux hommes pervertis.

Le déparlement de la justice subit, je le sais, d'inexorables nécessités que la loi lui impose, mais je ne puis m'empêcher de le déplorer.

Pourquoi la peine de mort, alors que vous pouvez punir par les (page 49) travaux forcés à perpétuité à temps, par la détention, etc. ? Dans mon opinion, ces dernières peines suffisent pour venger les lois méconnues, et avec ces peines, je conserve, de plus, l'espérance de pouvoir rendre, sinon à la société, au moins au repentir et au bien, un homme frappé par la justice.

Et souvent, il faut bien le dire, c'est la misère et l'ignorance qui font les criminels. Ce n'est point par l'application fréquente de la peine de mort que vous rendrez déserts les bancs de nos cours d'assises.

La civilisation, la moralisalion d'un peuple réclament d'autres instruments que la guillotine !

Il est encore une très grave considération sur laquelle j'appelle toute l'attention de la chambre.

Des erreurs judiciaires ont été commises en Belgique. Si vous maintenez la peine capitale, elle peut aller frapper un jour des innocents !.. et que ferez-vous quand l'erreur aura été reconnue ?...

Non, non, je ne veux point de la peine de mort. Je la repousse parce que le Code me donne des pénalités assez fortes pour punir les criminels, je la repousse au nom de l'humanité, de la raison et de l'expérience, je la repousse parce que je ne veux pas maintenir dans la loi une pénalité qui fait dévier la société de sa mission et de son but.

M. le président. - M. Ad. Roussel, d'accord avec le gouvernement, propose à l'article 7 les deux amendements suivants :

Premier amendement : « J'ai l'honneur de proposer à la chambre le remplacement des n°2° et 3° de cet article par un n°2° ainsi conçu :

« 2° Les travaux forcés. »

L'article 19 de la commission comprendrait un paragraphe premier :

Les travaux forcés sont prononcés à perpétuité ou à temps.

Deuxième amendement : « Suppression de l'addition faite par la commission à l'article 7, en ce qui concerne la gravité générale et spéciale des peines, c'est-à-dire des deux derniers paragraphes de l'article amendé par la commission. »

La parole est à M. Ad. Roussel.

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, après le discours si remarquable que M. le ministre de la justice vient de prononcer relativement à la peine de mort, si M. de Perceval n'avait pas jugé convenable de déposer un amendement, la suppression immédiate et absolue de cette peine, il m'eût paru complètement inutile de prendre la parole pour insister sur la nécessité de conserver cette peine dans les cas rares où le projet de loi doit la consacrer.

Mais l'espèce d'indignation que l'honorable M. de Perceval vient de manifester à la seule idée du maintien d'une peine que nous retrouvons encore écrite dans les Codes de presque toutes les nations européennes, écrite avec une prodigalité dont notre Code nouveau ne conservera plus aucune trace ; ce mouvement d'indignation impose au rapporteur de votre commission le devoir de justifier le maintien, dans le projet amendé, d'un genre de peine qui provoque une aussi vive répugnance de la part d'un honorable collègue.

Cependant l'honorable préopinant n'a présenté sur cette question que des arguments complètement généraux qui, sans rapport spécial avec nos institutions, ni avec les traditions légales du pays, ni même avec les principes du droit répressif, de telle façon qu'il devient fort difficile de répondre à son discours autrement qu'en recourant aux principes véritables sur la matière, et en cherchant si effectivement la peine de mort porte en elle-même quelque caractère de légitimité et d'utilité, ce qui constitue l'éternelle question autour de laquelle tournent ceux qui s'en sont occupés.

D'après l'honorable orateur, la peine capitale est condamnée, à la fois, par la raison, par l'humanité, par l'expérience ; deux fois, il l'a affirmé, mais je n'oserais point prétendre qu'il l'a démontré. Efforçons-nous de rechercher si au triple point de vue de la raison, de l'humanité et de l'expérience la peine capitale est définitivement et immédiatement injustifiable en Belgique pour les crimes pour lesquels, après un mûr examen, avec un sincère désir de suppression, les deux commissions l'ont maintenue.

La raison !... Aux yeux de la raison, y a-t-il, messieurs, une légitimité absolue pour les peines ? Aucune peine est-elle légitime, au point de vue de la justice absolue ? Le droit de l'homme à l'existence, à la vie, est un droit sacré, j'en conviens ; mais le droit de l'homme à la liberté n'est-il pas également sacré ?

Lorsqu'on emprisonne un homme pour toute sa vie, lorsqu'on le place dans une cellule, en l'isolant des autres condamnés, ne nuit-on pas à son existence elle-même ? Oui, messieurs, on nuit à son existence en détail ; car la liberté est le complément nécessaire, indispensable, de sa vie.

Si vous contestez la légitimité de la peine de mort, vous devez révoquer en doute aussi la légitimité des peines perpétuelles, de la privation perpétuelle de la liberté ; puis vous êtes conduit par une pente irrésistible à condamner la détention temporaire ; vous finissez par ne pouvoir plus même absoudre les peines pécuniaires, car le patrimoine est un accessoire important de l'existence.

Pour raisonner prudemment en ces matières, il faut se placer dans le milieu social ; il est indispensable d'établir un rapport entre vos lois, vos pénalités et les institutions, les mœurs, les habitudes, le degré de civilisation, auxquels le peuple est parvenu.

Si la peine de mort était réellement illégitime d'une façon absolue, si elle était contraire à la raison, au sentiment de l'humanité, tous nos ancêtres, tous ceux qui nous ont précédés auraient été ou des assassins ou des meurtriers, ou des homicides involontaires ; l'histoire n'aurait plus d’explication et la société aurait été criminelle, non les condamnés.

Faisons-nous une idée plus juste des choses, la peine de mort, comme toutes les autres institutions, a suivi les nations dans la marche progressive de leur civilisation et de leurs mœurs.

Les peuples barbares l'appliquent fréquemment ; là, elle est atroce dans sss formes, s'adaptant à un nombre infini d'infractions.

Au contraire, un peuple civilisé n'use du dernier supplice qu'avec répugnance, avec une sobriété salutaire.

Il ne le supprime pas complètement et d'un seul coup, mais il la fait disparaître insensiblement, quand les causes qui l'ont légitimée ont disparu et que la nécessité ne s'en fait plus sentir.

Avant cette suppression, la peine capitale se modifie dans la forme ; le nombre des infractions auxquelles elle s'applique, se restreint tous les jours.

Telle est notre manière d'entendre la légitimité des peines. Montesquieu a écrit avec raison que les lois sont des rapports nécessaires.

La société et le criminel : voih les deux termes de l'équation à établir. Vous avez d'une part le crime et le criminel, et d'autre part l'ordre social. C'est dans la relation établie entre ces deux faits graves que vous trouvez la légitimité de la peine à appliquer.

Je ne crois point devoir dire autre chose de l'allégation que la peine capitale serait absolument condamnée par la raison.

Parlons maintenant de l'humanité dans ses rapports avec la question.

L'honorable ministre de la justice a présenté, au point de vue de l'humanité, une observation frappante de justesse.

En demandant l'abolition immédiate de tout supplice capital dans la loi, si l'on se montre humain à l'égard du parricide, est-on, dans le fait, aussi humain pour les victimes de pareils attentats ?

Dans le véritable sens des termes, l'humanité, c'est l'amour de l'espèce humaine tout entière, mais non la protection exclusivement accordée à quelques individus peu nombreux qui, tout en conservant des droits (car je reconnais que le criminel lui-même a des droits), se trouve cependant dans une position bien hostile à l'égard et de l'humanité et de la société et de sa propre conscience.

Il s'ensuit que l'humanité ne peut être invoquée exclusivement en faveur de l'abolition de tout châtiment suprême. A ce point de vue, l'honorable ministre vous présentait l'exemple du condamné à perpétuité qui s'aviserait de tuer successivement tous ses gardiens.

De quel côté se trouve donc l'humanité ? Est-ce du côté de la société qui se préserve des atteintes de cet infatigable meurtrier, ou du côté de ceux qui voudraient lui conserver légalement une vie incompatible avec celle d'autrui ?

Il me paraît évident que l'humanité bien entendue exige l'application de la mort dans une juste mesure, car je tiens à ce qu'on le sache dans cette enceinte comme au-dehors, je n'aime pas la peine ce mort. Ce n'est pas au reste une chose qu'on puisse aimer. Je la veux donc dans une mesure extrêmement restreinte ; mais je crois qu'il est démontré que dans cette mesure elle est encore, pour le moment, indispensable à l'humanité.

Enfin l'on a invoqué l'expérience pour combattre le demier supplice.

Messieurs, l'expérience n'a jamais été faite d'une manière complète et satisfaisante, de façon à permettre d'un seul coup une abolition absolue.

Un essai a eu lieu en Toscane pendant un nombre d'années qui n'est pas très long. Cet essai démontre peu de chose quant à d'autres pays. La légitimité et l'utilité des peines n'existe que par le rapport établi entre elles et les mœurs, les constitutions du pays où elles doivent être appliquées. Cet exemple unique, qu'on a toujours cité, ne semble point concluant

Dans le jugement que nous avons à porter, il ne faut pas tenir compte d'un seul fait, mais il faut rechercher aussi les traditions du pays. C'est une observation importante à faire que, dans tous les pays, les traditions exercent une vive influence sur le droit.

La tradition seule de la peine de mort en Belgique a peut-être préservé du crime un grand nombre de malheureux.

La menace de la peine écrite dans la loi agit aussi très fortement. Tout à l'heure, quand je parlerai d'un autre essai fait en Belgique et indiqué par l'honorable M. Lelièvre, j'insisterai sur l'importance sociale de la menace de la peine. En Toscane, cette menace a été légalement abolie quant à la peine de mort ; en Belgique, elle ne l'a jamais été.

Nous pouvons donc négliger l'essai fait en Toscane, non qu'il n'ait son importance, mais parce qu'il n'est pas concluant pour nous.

Occupons-nous, messieurs, si vous le permettez, de l'essai fait en Belgique. Veuillez remarquer d'abord qu'il n'a pas eu lieu dans la forme législative, et qu'il ne présente rien de caractérisé. Durant quelsques années, cinq ans je crois, au moyen du droit de grâce, le gouvernement a empêché l'exécution de quelques sentences capitales. D'abord, ainsi que le dirait fort bien M. le ministre, cet essai a été malheureux en ce sens qu'il a fait naître des espérances qui paralysaient l'effet de la menace de la peine.

Ensuite, l'épreuve n'était point législative ; la menace subsistait toujours et la peine restait écrite dans la loi. Et cependant, n'est-il pas vrai que la menace de la peine arrête le bras du criminel autant que (page 50) l'exécution ? La perspective de la peine de mort n'a-t-elle pas détourné bien des hommes de la pensée de commettre certains crimes ?

L'accusé menacé du dernier supplice ne tremble-t-il pas à la seule idée du châtiment ? Ne cherche-t-il pas à conserver quelque doute et quelque espoir jusqu'au dernier instant ? Et vous voudriez que la menace seule d'une peine aussi terrible, devant laquelle l'imagination humaine se confond, vous voudriez qu'une pareille menace restât sans effet salutaire sur l'esprit des hommes les plus endurcis ; qu'elle n'empêchât pas quelquefois un criminel de se livrer aux plus noirs forfaits ?

Je nie que l'expérience de l'abolition de la peine de mort ait eu lieu, dans les conditions d'un essai propre à opérer quelque conviction.

Dans l'absence de toute épreuve décisive, qu'a fait le gouvernement, qu'ont fait les deux commissions ? Tous à l'envi nous avons cherché par des raisons peut-être différentes, à adoucir, à atténuer.

Je crains que dans la suite de cette discussion, nous n'entendions certains de nos honorables collègues se plaindre de ce que nos efforts nous ont conduits trop loin. En effet, l'on ne s'est pas borné à changer le mode d'exécution de manière à rendre les derniers moments du condamné les moins pénibles pour lui ; mais l'on a unanimement déclaré que la peine de mort ne serait jamais appliquée à des individus âgés de moins de vingt et un ans.

Voilà qui pourra satisfaire notre honorable et savant collègue M. Lelièvre ; car cette disposition formera le moyen d'une expérience. Si, au bout d'un certain temps, l'on s'aperçoit que cette expérience produit des effets salutaires, comme elle aura été faite en vertu de la loi elle-même, elle remplira les conditions nécessaires pour conduire, dans un temps encore indéterminé, à l'abolition de la peine de mort dans plusieurs des cas pour lesquels elle est maintenue dans le projet.

Même exemption relativement à tous les crimes politiques : cela est convenu.

Une exemption semblable se retrouve dans le projet pour tous les cas où la peine de mort ne découlerait que de la récidive considérée comme circonstance aggravante. Lors même qu'il y aurait récidive, il faudra que le dernier crime entraine par lui-même la peine de mort pour qu'elle puisse être appliquée.

Vous pourrez voir dans le rapport de votre commission les autres atténuations à l'aide desquelles on est parvenu à restreindre tellement la peine de mort qu'elle ne s'appliquera plus qu'aux faits graves, attentatoires à la vie même des personnes, et encore avec des circonstances telles que personne ne puisse nier la férocité, si je puis m'exprimer ainsi, de celui qui s'en est rendu coupable.

Quelque soit l'entraînement de nos cœurs, oserions-nous plus aujourd'hui ? Au risque de voir, dans quelques années, la peine de mort rétablie par suite d'une réaction contre un mouvement généreux, mais imprudent, devons-nous écrire la suppression immédiate de la peine capitale placés, comme nous le sommes, au milieu d'Etats qui l'ont conservée ?

Notre pays pourrait devenir en quelque sorte le refuge de tout ce qu'il y aurait de plus pervers dans les Etats voisins, car notre sol constituait un asile contre le châtiment le plus terrible.

Nous entrons, messieurs, dans une voie nouvelle ; mais nous ne pouvons, sans transition, passer aux extrêmes. La peine de mort est prodiguée dans le Code pénal de 1810 légalement en vigueur jusqu'à ce jour en Belgique.

C'est une raison de plus pour ne point la supprimer sans une transition qui éloigne tout danger.

Ici je dirai que je suis bien éloigné de désapprouver le procédé conseillé par l'honorable M. Lelièvre. Certes, il appartient à la sagesse du Roi et du gouvernement de savoir si, par des grâces plus ou moins multipliées, l'on ne peut pas parvenir à s'assurer des effets que l'abolition complète de la peine de mort pourrait produire.

Ce point forme l'objet d'un travail purement administratif, mais nous ne pouvons introduire ce travail dans le Code pénal.

Pour ma part, je suis persuadé que le gouvernement lui-même examinera s'il ne serait pas utile, surtout pour certains crimes, de faire du droit de grâce un usage prolongé durant un certain temps, à l'effet de savoir si l'abolition de la peine de mort, pour cette espèce d'attentat, ne pourrait être proposée à la législature.

Telles sont les observations que j'ai cru nécessaire de présenter à la chambre sur cette question grave à laquelle la société et l'humanité sont vivement intéressées.

Je pense que l'on ne parviendra point à vous convaincre de la nécessité d'une abolition immédiate et absolue. Que l'on cherche à restreindre encore les cas d'application, je le conçois ; mais que l'on se lance dans la voie des innovations les plus hardies lorsqu'on veut rédiger un bon Code pénal, je ne le comprendrais pas.

M. de Perceval renonce à la parole.

M. Veydt. - Quelle que soit la différence d'opinion qui existe en ce moment entre l'honorable rapporteur et moi, elle ne m'empêchera pas de rendre une entière justice aux améliorations si notables que le travail qu'il nous a soumis apporte au Code pénal de 1810, et principalement en ce qui concerne l'application de la peine de mort.

Je suis heureux de saisir cette occasion pour offrir mes remerciements bien sincères aux deux commissions qui se sont occupées de cette révision et au savant et honorable président de ces commissions, que j’aperçois dans une des tribunes de la chambre (M. le professeur Haus), et dont j'eus l'honneur d'être l'élève à l'université de Gand.

L'honorable M. Roussel a puisé dans le raisonnement et dans des suppositions plus ou moins fondées, suivant moi, les arguments qu'il vient de faire valoir en faveur du maintien de la peine de mort.

Je puise les raisons que j'ai pour la combattre dans le sentiment intime de ma conscience, qui me guide et auquel j'obéis, parce qu'il me domine entièrement.

Je n'ai pas la prétention, messieurs, de discuter la question qui s'agite d'une manière approfondie. Mais il est de mon devoir de dire dans une occasion solennelle, comme celle-ci, ce que je pense de la peine de mort depuis que j'existe, ce qui est chez moi une conviction profonde et ancienne.

Je n'aurai pas le bonheur de voir disparaître la mort de nos lois pénales. La génération qui me suit jouira de ce bienfait. Mais j'aime à constater que ceux qui croient que la peine capitale ne peut pas encore être complètement supprimée, sont d'accord qu'elle doit du moins être réservée à un très petit nombre de crimes, aux crimes les plus graves, et qui sont prouvés à la dernière évidence.

Il y a, de plus, unanimité pour proscrire la peine de mort, quand il s'agit de crimes politiques. Le progrès ne s'arrêtera pas là, la torture, la flétrissure, la mutilation du poing ont commencé par être appliquées avec plus de réserve, avec plus de répugnance avant de disparaître de la législation, il en sera ainsi de la peine capitale.

J'en ai pour garant les progrès incessants de la civilisation, la force de l'opinion publique.

Il y a six mois, nous avons entendu de la bouche d'un avocat général, chargé de poursuivre en France un article de journal sur l'illégitimité de la peine de mort, ces paroles : « Ne vous ai-je pas dit moi même que l'abolition de la peine de mort est une affaire de temps et d'opportunité ? »

Rossi, dans son « Traité de droit pénal », s'exprime en ces termes : « Si le temps n'est pas encore arrivé où l'échafaud pourra disparaître à jamais, nous espérons que le supplice d'un de nos semblables ne tardera pas du moins à devenir un événement si rare, si lugubre et tellement solennel qu'il accélérera, par une impression vraiment salutaire, l'arrivée de l'époque où son utilité ne sera plus un sujet de discussion. »

Le roi Louis-Philippe disait de la peine de mort qu'il l'avait détestée toute sa vie, et il avouait à Victor Hugo qu'en le nommant pair de France, il avait surtout eu en vue de récompenser sa lutte si constante et si belle pour l'abolition de la peine de mort.

De pareils témoignages, de pareils actes ne sont pas perdus ; ils sont les précurseurs certains de la réforme plus complète qui s'opérera dans notre législation pénale.

En attendant ce jour, que j'appelle de tous mes vœux, je vote contre le maintien de la peine de mort. L'opposition que je ne cesserai de lui faire à sa source dans ma conscience. Ma conviction est que la justice humaine ne devrait pas aller jusqu'à ôter la vie à un coupable ; qu'il faudrait, pour justifier la peine capitale, qu'elle fût indispensable au maintien de l'ordre social, qu'elle fût le seul et unique moyen que la justice pût employer pour donner force à la loi, ce qui n'est pas ; enfin qu'elle n'eût pas contre elle cet argument, auquel on ne peut répondre, de n'être ni réparable, ni rémissible, reproche accablant qui, seul, devrait suffire pour interdire à la faillibilité humaine d'en faire usage. S'il y a un appel nominal sur cette question, je m'appuierai, messieurs, sur un article du règlement de la chambre pour demander que mon vote négatif soit inséré au procès-verbal.

M. Destriveaux. - Je m'étais fait inscrire dans la pensée que des arguments qui n'avaient pas été présentés seraient développés.

Il y a longtemps que j'ai examiné, et pour mon instruction et pour accomplir un devoir qui était sacré, la légitimité de la peine de mort.

De longues recherches, un sentiment écouté avaient jeté quelques doutes dans mon esprit. A l'aspect de l'homme contre lequel la société se lève, déploie sa force, et dont elle fait un cadavre, il est certain que l'humanité, quelque fortement qu'elle ait été blessée, frémit encore.

Mais si elle frémit à l'aspect d'un condamné qui expie son crime, combien ne doit-elle pas frémir à l'aspect du crime même !

La société tout entière, dit-on, a-t-elle besoin de s'armer ainsi pour se défendre ? Un homme a commis un crime, il est encore debout en sa présence, mais elle est entière tournée contre lui. La société est forte, elle peut s'emparer du coupable, elle le place dans la solitude ; elle s'est ainsi défendue, et sa sécurité est de nouveau maintenue.

Messieurs, on a dit avec raison, en cette enceinte même, que les législateurs les plus sages, les philosophes les plus profonds avaient recherché quel était le caractère de la peine de mort, pour savoir si, dans la législation, on pouvait en faire un moyen de répression. Le résultat de toutes ces recherches, malgré les controverses soutenues avec plus ou moins d'habileté, ont amené la pratique triste, il faut le dire, mais la pratique constante de la peine de mort.

J'entendais tout à l'heure un honorable membre qui a parlé, je l'avoue, avee sagacité et surtout avec sentiment, nous dire : Mais les mutilations, mais les tortures, mais tous les supplices accessoires ont disparu et la mort disparaîtra à son tour.

Oui, messieurs, on conçoit que les tortures aient disparu, parce qu'elles n'étaient pas nécessaires pour l'exemple, parce qu'elles étaient horribles, parce qu'elles étaient le résultat d'une erreur profonde en (page 51) matière de législation ou plutôt en matière de pratique du droit criminel véritable.

Il y a eu un temps où, à côté de l'instrument des tortures, à côté des supplices que j'appellerai les plus atroces, il y avait encore cependant un scrupule qui remplissait l'âme et le cœur du juge. Pour motiver une condamnation capitale, il fallait obtenir l'aveu de celui contre lequel la sentence devait être portée.

Eh bien, par une aberration extraordinaire de l'esprit humain on voulait arracher cet aveu par des tortures atroces, et la douleur répondait à l'inquisition.

Quand je dis inquisition, messieurs, je ne fais pas d'allusion, j'appelle inquisition cette manière d'interroger.

Les tourments accessoires ont disparu, oui, parce que dans ce cas, l'humanité, comme toujours, a été d'accord avec la vraie philosophie. La société ne se défendait plus, lorsqu'elle faisait briser les membres d'un malheureux. La société ne se défendait plus lorsqu'elle le suspendait au-dessus d'un bois mal séché et qu'elle le faisait brûler à petit feu.

Alors quand les passions dont je ne parlerai pas, parce qu'elles sont connues, quand les passions s'amortissent, lorsque l'humanité reprend son empire, lorsque la lumière longtemps cachée met en évidence la vérité tout entière, alors on reconnaît les bornes de la puissance de la société même, et en présence du malheureux brûlé à petit feu ou mutilé sur l'échafaud l'humanité vient dire : Vous violez mes droits, vous violez mes devoirs.

Je désavoue les violences auxquelles vous vous laissez entraîner par l'abus de tout ce qu'il y a de plus sacré au monde.

Mais quand ces abus qu'on ne peut justifier, quand par des révolutions successives et surtout par l'empire d'une religion sainte, ils eurent disparu, on est revenu à examiner froidement, avec réserve même, quels pouvaient rester les droits de l'humanité contre ceux qui attaquaient son existence, alors, messieurs, la question a pris un autre caractère, alors la question de défense est restée tout entière.

Ici je reprends ce que je disais tout à l'heure.

On a dit que la société est forte, que la société a mille moyens de se défendre, soit par la prison préventive, soit par des peines, mais par des peines qui laissent encore quelque jour à l'espérance, par des peines qui peuvent encore rendre réparables les erreurs possibles des tribunaux. Choisissez-les donc et ayez recours à ces moyens qui tout en maintenant la sécurité publique, qui tout en servant de moyen d'intimidation pour les imitateurs de grands crimes, remplissent le but que vous pouvez rechercher.

Serait-elle bien vraie, messieurs, cette illusion que l'amour égaré, je dirai, de l'humanité méconnue ? Est-il donc bien vrai que dans la lutte la société entière est en face du coupable ? Mais à l'instant où il commet son crime, peut-elle se défendre ? La force de la société est-elle là tout entière pour empêcher le crime ? Non, sans doute.

Qu'est-ce donc que la société ? N'est-ce pas une solidarité générale ? Y a-t-il un seul individu qui, dans l'existence sociale, puisse en être retiré et qu'on puisse abandonner comme victime possible, comme victime peut-être préparée, des passions atroces de ceux qui se rendent coupables des plus grands crimes ? D'abord, non.

Il y a un rapprochement immédiat, calculé d'avance, prémédité, du sacrificateur coupable et de la victime proscrite.

Comment ! celui qui a frappé, qui a tourmenté peut-être, qui a fait sentir les tortures qu'on a supprimées dans la dispensation de la justice, celui-là restera là comme un ennemi qui, étant désarmé, doit mériter la pitié de ceux qui l'ont vaincu. On oubliera, pour de prétendus devoirs qu'on doit remplir envers lui qu'il faut montrer à ceux qui préméditent le crime, la carrière dans laquelle ils veulent entrer, la carrière qu'ils veulent parcourir.

Il y a cependant une limite, et c'est la justice qui l'a établie. La limite dans une pareille occasion, c'est l'échafaud.

On parle de peines perpétuelles.

Vous saisissez un ennemi ; vous le placez dans un cachot, ou bien vous l'enchaînez à des travaux que vous lui imposez. Vous le placez dans un cachot ; le tourmentez-vous moins ?

Vous le placez dans un cachot ; si une peine pareille est littéralement accomplie, cela rappelle la « vade in pace » qu'on prononçait quelquefois sur les victimes.

Vous le livrez à des travaux. Eh bien, enchaînerez-vous tellement les mains du travailleur qu'il lui soit impossible de se soustraire aux liens dans lesquels vous l'enveloppez et par la suite, par une combinaison d'actes de courage et d'énergie, rentrer dans le champ qu'il a parcouru et l'arroser de nouveau du sang de ses victimes ? Ne voit-on pas des individus sortir des bagnes, des individus sortir des prisons les plus étroites et, n'en a-t-on pas des exemples tous les jours, pour faciliter leur faute, assassiner, et pour se nourrir, lorsqu'ils ne peuvent pas trouver un pain légitime, assassiner encore ?

On dit encore : la société tout entière armée contre un seul, ne peut pas abuser de la victoire qu'elle a été forcée de remporter. Ne bornons pas, messieurs, la question à l'examen des droits de l'individualité, en supposant qu'il lui en reste, mais quand vous verrez comme nous l'avons vu, comme peut-être on le voit encore, le crime organisé, le crime fort, puissant par ses ramifications, par l'appui qu'il trouve, par la dépravation répandue dans des endroits où les moyens d'instruction sont pour ainsi dire nuls, où le sentiment religieux est autant étouffe qu'on le peut, lorsque vous verrez les individus courir à la dévastation, courir à l'assassinat, et cela pour obéir à des erreurs qui séduisent, mais pour exécuter les combinaisons les plus odieuses, les plans les plus dévastateurs, alors, messieurs, la société n'a-t-elle à se défendre que contre des individualités ? Des centaines de brigands dévastent vos campagnes, pénètrent dans vos villes ; un plan général est exécuté ; il faut abaisser l'échafaud ! créer de nouveaux bagnes, de nouvelles prisons ! Et là vous amènerez la conversion de tous ces individus, vous les adoucirez, et, si vous persévérez, vous rendrez au pays consolé ceux qui l'auront dévasté. Mais on sent, messieurs, qu'un pareil système ne peut pas être sérieux.

Dira-t-on que je me laisse entraîner par une imagination vagabonde ? Hélas ! messieurs, je dois le dire, mon âge n'est plus celui où l'imagination peut entraîner facilement. J'ai été toute ma vie en défiance contre les écarts de l'imagination ; j'ai toujours été assez enclin à me laisser entraîner par des tableaux fantastiques. Mon imagination est restée souvent rebelle et surtout aujourd'hui elle est en garde contre les entraînements.

Je ne prolongerai pas, messieurs, la discussion, je ne ferais qu'ajouter à ce qui a été dit et développé beaucoup mieux que je ne pourrais le faire.

Ayant eu l'honneur d'être membre d'une commission qui succéda à une commission bien haut placée, ayant eu l'honneur d'être membre d'une commission nommée par la législature, je devais exprimer ma pensée pour montrer que depuis le moment où j'ai commencé, pour l'instruction que j'espérais donner à ceux qui m'étaient confiés, malgré l'examen, malgré quelques exemples, il m'a été impossible de renoncer à la conviction que j'avais, et, en formant les voeux les plus ardents pour que la nécessité de recourir à la peine capitale disparaisse, ne pouvant pas espérer que cette nécessité disparaîtra un jour tout entière, je ne puis m'empêcher d'exprimer ici ma persévérance à voter dans le sens du projet qui nous est soumis.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close sur l'article 7 et les amendements qui s'y rapportent.

Nous avons d'abord l'amendement de M. de Perceval, qui propose la suppression de la peine de mort.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal ; 54 membres seulement sont présents ; en conséquence, il n'y a pas de résolution.

La séance est levée à 4 heures et un quart.