(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence dc M. Verhaegen.)
(page 1533) M. Ansiau fait l'appel nominal à 2 heures et 1/4.
La séance est ouverte.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Vander Rivière, employé dans les ateliers des chemins de fer de l'Etat, blessé dans l'exercice de ses fonctions, ayant été mis en disponibilité, prie la chambre de lui faire obtenir une indemnité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs propriétaires et locataires à Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un droit sur les engrais et autres matières nécessaires à la culture et au défrichement. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Sancy et Mersch, brasseurs à Arlon, présentant des observations à propos du projet de loi tendant à augmenter le droit d'accises sur les bières, qui sera soumis à la chambre, proposent d'adopter le système d'impôt sur les bières qui fonctionne en Allemagne ou bien de remplacer le faux fond de la cuve-matière par une augmentation de centimes au profit de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Les membres de la société de rhétorique dite : de Goud bloem », à Saint-Nicolas, demandent l'abolition de la contrefaçon et l'exemption de tout droit pour les livres envoyés de la Hollande en Belgique et réciproquement.
« Même demande du sieur Bulaeye. »
- Même renvoi.
M. de T'Serclaes. - Messieurs, depuis quelque temps nous avons reçu plusieurs pétitions ayant pour objet de demander l'abolition de la contrefaçon et la libre entrée des livres entre la Belgique et la Hollande ; je demanderai qu'il soit fait un prompt rapport sur ces pétitions. Je demanderai subsidiairement qu'elles soient déposées sur le bureau pendant la discussion du budget des affaires étrangères, il est probable que pendant cette discussion la chambre aura à s'occuper du traité de commerce qui est négocié aujourd'hui avec les Pays-Bas. Or, les pétitionnaires demandent instamment que l'objet soit pris en très sérieuse considération dans les négociations.
- La chambre décide que les pétitions seront déposées sur le bureau pendant la discussion du budget des affaires éirangères et que la commission sera invité à faire un prompt rapport.
« Le sieur Hautteman, ancien instituteur primaire, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le payement des prestations militaires qu'il a faites en 1814. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
L'administration communale de Namur adresse à la chambre 113 exemplaires d'une note à l'appui de la réclamation de ladite ville du chef de la dépossession des routes qu'elle a fait construire.
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.
M. le président. - Un membre, usant de son initiative, a déposé un projet de loi sur le bureau. Les sections seront consultées demain sur la question de savoir si la lecture de ce projet sera autorisée.
M. Cools. - Je demanderai à M. le ministre de la justice quand il se propose de nous présenter le projet de loi sur la charité. Il y a quelques jours, M. le ministre a déposé plusieurs lois très importâmes ; j'aurais pu demander pourquoi le projet de loi sur la charité n'y était pas compris ; mais la chambre était alors absorbée par une discussion importante, et je voulais attendre qu'il n'y eût plus de doute sur le sort de cette loi.
Aujourd'hui, je rappellerai à M. le ministre qu'il s'est formellement engagé, il y a plus de trois mois, à présenter le projet de loi sur la charité, de manière qu'il pût être voté avant la fin de la session actuelle ; je lui demanderai quand il se propose de tenir cette promesse.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le dépôt que j'ai fait de différents projets aurait dû indiquer à l'honorable M. Cools la cause pour laquelle je n'ai pas déposé le projet de loi sur la charité, car il est assez difficile de préparer, d'étudier tous les projets de lois à la fois. J'ai déposé des projets de lois d'une très grande importance et réclamés très souvent par la chambre ; je les ai déposés à mesure qu'ils avaient été préparés par les commissions, examinés et modifiés par moi.
Quant au projet de loi sur la charité, je ne puis que répéter et que j'ai dit à plusieurs reprises, c'est que je compte le déposer avant la clôture de la session.
Je n'ai jamais pris et je n'ai jamais pu prendre l'engagement de le déposer, de manière qu'il pût encore être discuté pendant la session actuelle. J'ai dit que je ferais ce qui dépendrait de moi pour qu'il en soit ainsi ; mais un engagement formel à cet égard, je le répète, il m'était complètement impossible de le prendre.
Je répondrai donc à l'honorable membre que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour déposer, avant la clôture de la session actuelle, le projet de loi sur la charité.
M. Cools. - Messieurs, les explications que nous donne M. le ministre sont exactement les mêmes que celles qu'il a déjà données chaque fois que la question a été soulevée dans la chambre. Ce sont exactement les mêmes raisons que M. le ministre a données le 15 mars, lorsque M. Van Grootven avait souleva la question. M. le ministre avait dit alors que peut-être la commission qui avait préparé le projet devrait encore le revoir dans son ensemble ; mais un membre, je ne me rappelle plus lequel, ayant fait observer que la commission n'avait plus été convoquée depuis un temps considérable, on ne parle plus de cela maintenant.
M. le ministre dit qu'il n'a point pris l'engagement formel que je lui ai rappelé. Dans la séance du 15 mars, il avait simplement pris l'engagement de présenter le projet, je le reconnais, sur l'interpellation de l'honorable M. Van Grootven ; mais quelques jours après, le 24 mars, on peut le vérifier, l'honorable M. Delehaye, si je ne me trompe, revenant alors sur cette question, M. le minisire s'engagea à présenter le projet de manière qu'il pût être voté avant la fin de la session.
M. le ministre de l'inlérieur nous disait, il y a quelques jours, dans la discussion générale politique, que si la question importante de l'impôt sur les successions en ligne directe était résolue d'une manière satisfaisante, le gouvernement prouverait que lui aussi est disposé à faire des concessions, pour donner satisfaction à certaines fractions de la majorité. (Interruption.)
M. le ministre a dit que, pour le ministère et pour la majorité, il y avait réciproquement des devoirs à remplir, que de part et d'autre, il fallait se faire des concessions pour maintenir l'union dans le parti libéral.
Voici une excellente occasion de réaliser cette intention ; cette question de la charité est très désagréable pour une fraction très notable de la majorité, en ce sens que, par la conduite qu'on tient, on se prête à laisser supposer que la majorité qui appuie le ministère n'aurait pas autant de zèle et de sympathie pour la charité que ceux qui le combattent ; il faut prouver le contraire, il faut prouver que la majorité est animée d'aussi bons sentiments à cet égard que l'autre côté de la chambre.
Je ne sais ce qui retient le ministère ; il connaît les intentions de la majorité ; il sait que persoune de nous dans cette question n'est disposé à faire consacrer des principes que l'opinion libérale ne pût pas hautement avouer. Il faut que cette question disparaisse de nos débats, il faut qu'elle soit résolue.
On a fait observer que les adversaires du cabinet se faisaient de cette question une arme de guerre ; il y a quelque chose de fondé dans cette observation. C'est une question avec laquelle on agite les populations ; on l'a fait, il y a quelque temps ; on le fera plus tard ; on laissa maintenant dormir l'épée dans le fourreau, pour l'en tirer à l'approche des élections ; il faut, messieurs, enlever cette arme aux mains de nos adversaires ; il faut prouver que nous sommes animés de bonnes intentions à l'égard de la charité.
J'engage donc le gouvernement à tenir la promesse qu'il vous a faite et à présenter, le plus tôt possible, le projet de loi sur l'exercice de la charité. Quand bien même les promesses faites ne seraient pas aussi formelles que je le prétends, encore faudrait-il que le ministère se décidât enfin à donner satisfaction aux désirs que, sous ce rapport, des membres de la majorité ne cessent lui exprimer.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois que les souvenirs de l'honorable M. Cools le trompent ; jamais l'honorable M. Delehaye ne m'a adressé d'interpellations au sujet du projet de loi sur la charité. Du reste, je le répète, je ne me suis jamais engagé à déposer le projet de loi de manière qu'il pût être voté dans le cours de cette session. La vérité est que j'ai dit que, si le temps me le permettait, je le déposerais pour qu'il pût être discuté dans cette session.
Maintenant, l'honorable préopinant sait quels sont les incidents qui sont survenus dans ce derniers temps et qui auraient rendu la présentation de ce projet de loi impossible.
L'honorable M. Cools semble croire que le gouvernement recule devant la présentation de ce projet ; il n'en est rien ; le gouvernement sera heureux de pouvoir le soumettre à la chambre..
Mais l'honorable M. Cools me semble pas se douter de l'étendue de ce projet, des nombreux travaux préparatoires qu'il nécessite, des différentes choses qu'il embrasse. Le projet a pour objet de réunir les hospices et les bureaux de bienfaisance ; il s'étendra aux fondations de charité, aux fondations d'instruction publique, aux fondations pieuses. Cela ne se fait pas en un jour, surtout en Belgique où un ministre doit examiner lui-même tous les projets de lois. Je dirai pour la dixième fois peut-être que celui de tous les membres de la chambre qui sera le plus content (page 1506) du dépôt de ce projet de loi, celui pour qui cette question est le plus désagréable, parce que c'est celle qui l'expose au plus d'attaques, c'est le ministre de la justice.
Le gouvernement ne recule donc pas le moins du monde ; mais chacun de vous comprend que je ne puis à heure fixe déposer une demi-douzaine de projets qui touchent aux principales parties de notre législation.
M. le président. - L'incident est terminé, nous passons à l'ordre du jour.
M. Cumont. - Je viens appuyer le désir exprimé par la section centrale de voir réunir dans un seul déparlement les différentes branches de notre industrie et de notre commerce. J'ai la conviction qu'aucun pays ne renferme autant d'élémcnls de prospérité que le nôtre, mais j'ai aussi la conviction que ce qui fait obstacle au développement de la prospérité de notre industrie et de notre commerce, c'est le défaut d'unité de pensée et d'action que présente l'administration par suite de la manière dont le service est organisém aintenant.
En effet, je ne vois pas d'unité de pensée quant à l'industrie ; nous voyons un ministre incliner vers le libre échange quant à l'industrie agricole ; d'un autre côté, on marche dans la protection pour ce qui concerne l'industrie manufacturière. Je trouve que ce n'est pas juste ; car pourquoi ne protège-t-on pas l'agriculture au même degré que l'industrie manufacturière ? Je pense que l'industrie agricole mérite autant la sollicitude du gouvernement que l'industrie manufacturière. Je pense que l'une et l'autre ne peuvent prospérer qu'à la condition de se prêter un mutuel appui. C'est ce qui n'existe pas, et cela tient à l'organisation actuelle de l'administration du commerce et de l'industrie. Nous avons vu le gouvernement entrer dans la voie des primes et, après y avoir marché pendant quelque temps, en sortir tout à coup. Ces changements de marche sont toujours onéreux à l'intérêt général du commerce.
En outre, des divergences d'action et de manière d'agir que je viens de vous signaler, il résulte aussi, dans l'organisation actuelle,des retards extrêmement préjudiciables à notre commerce. Je prends la liberté de vous signaler un fait qui est à ma connaissance.
Une personne qui est en relations avec beaucoup de nos fabricants avait conçu le projet d'établir à Bruxelles un bazar où l'on réunirait tous les échantillons que le gouvernement reçoit des consuls, et en même temps tous les documents qui pourraient éclairer nos commerçants. Le gouvernement a examiné ce projet et a semblé y donner son approbation. Depuis, cette même personne s'est associée avec un des principaux négociants d'Anvers, homme très recommanble et qui possède une grande connaissance de toutes nos relations commerciales.
Le projet a pris alors beaucoup plus de développement. La Société Générale, qui a déjà rendu de grands services au pays, a bien voulu contribuer aussi à la prospérité du projet de ces deux négociants, afin de procurer les capitaux qui seraient nécessaires pour donner à notre commerce les moyens de placement qui lui manquent maintenant. Ces deux négociants, avec l'appui de la Société Générale, devaient donc servir d'intermédiaire entre nos fabricants qu'ils connaissent bien et les consommateurs dans les pays translantiques où ils ont aussi des connaissances ; enfin ils sont posés en intermédiaire pour produire ce qui manque à la prospérité de notre commerce, c'est-à-dire des débouchés.
Il y a dix-huit mois que cette proposition a été faite au gouvernement ; elle a été renvoyée d'un ministère à l’autre.
Après 18 mois, nous sommés arrivés à voir le gouvernement demander l'opinion de la chambre de commerce d'Anvers, sur le bon ou le mauvais résultat de l'opération, après qu'on l'avait jugé très bon.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On m'empêche pas les négociants de faire ce qu'ils désirent ; mais ils demandent de l'argent, et avant d'en donner, on veut s'éclairer.
M. Cumont. - Mais cela a duré 18 mois.
L'avis de la chambre de commerce d'Anvers peut se faire attendre un mois, six semaines. C'est naturel : elle voudra s'éclairer, prendre des renseignements. On renverra son rapport à un ministère qui, après l'avoir examiné, le renverra à un autre. Cela peut durer encore 18 mois ; c'est ainsi que se trouve entravé un projet qui nécessairement doit amener d'excellents résultats pour le pays ; car, je le répète, ce qui manque à notre commerce ce sont des débouches, des placements à l'étranger.
Toutes les fois que l'occasion se présente de donner des débouchés, le gouvernement doit s'empresser d'y porter sa sollicitude.
Si cette association avait pu se développer, il est évident que plusieurs millions de nos fabricats auraient été exportes ; car avec l’intervention de la Societé Générale, on pouvait compter sur des résultats très avantageux et très important.
Que demandaient ces messieurs, pour obtenir ce résultat si favorable ? Ils demandaient que le gouvernement, pour frais de premier établissement, donnât une somme de 10,000 fr. par an.
Or, messieurs, pour se mettre en rapport avec nos fabricants, pour établir des relations avec les pays d’outre-mer, et y envoyer, au besoin, des agents qui doivent coûter beaucoup, une somme de 10,000 fr. était très minime. Et cette somme, elle l'a demandée tout au plus pour un terme de cinq années ; elle y renoncerait si, avant la fin de cette époque, l'association atteignait des développements qui lui permettraient de marcher sans le secours du gouvernement.
Il est évident pour moi, messieurs, qu'on a arrêté le développement de cette association qui lui été très avantageuse, qui pouvait produire un grand bien au pays. Je n'en fais pas un crime au ministère, je cite seulement ce fait pour vous prouver les lenteurs inévitables que produit l'organisation actuelle.
Ce fait, MM. les ministres le connaissent Je ne pense pas que l'honorable ministre de l'intérieur le conteste.
La chambre n'a pas à voter sur des propositions comme celle-là, attendu que le gouvernement est parfaitement libre de régler la manière dont il veut organiser son travail. Mais lorsqu'une section centrale émet un voeu de ce genre à plusieurs reprises, je crois qu'en présence d'une telle manifestation, le gouvernement doit prendre en sérieuse considération les désirs exprimés d'une manière aussi positive et aussi fréquente que celle qui se produit aujourd'hui.
M. le ministre de l'intérieur nous a donné de très bonnes raisons, il y a quelques jours, pour nous faire voir les inconvénients qu'il y aurait à réunir ces diverses branches sous son administration. Mais je poserai cette question à M. le ministre de l'intérieur : Je suppose qu'on trouve un homme aussi capable que lui, un homme qui ait autant que lui le désir vif, ardent de contribuer au bien-être du pays, et qu'on le charge aussi de la direction du ministère de l'intérieur.
Vous me direz que cette supposition est ridicule. Sans doute ; mais je veux en venir à vous faire remarquer que vous auriez dans ce cas une très mauvaise administration, parce que vous auriez beaucoup de tiraillements, parce que vous auriez deux ministres qui se mêleraient de la même chose. C'est cependant le sort que l'on fait depuis plusieurs années à l'organisation de notre administration industrielle et commerciale.
Je demanderai donc que le gouvernement veuille bien prendre en sérieuse considération le voeu émis à plusieurs reprises et depuis plusieurs sessions par diverses sections centrales pour la réunion en un seul département de nos affaires agricoles, commerciales et industrielles. Je dis agricoles, parce que l'agriculture ne peut pas prospérer sans le secours de l'industrie, de même que l'industrie a besoin du secours de l'agriculture pour arriver à une solution avantageuse.
Puisqu'on conteste la liaison qui existe entre les deux branches de l'industrie et de l'agriculture, je dirai qu'il est très bien sans doute de procurer la nourriture à bon marché à nos travailleurs manufacturiers. Mais si, pour leur donner cet avantage, vous êtes obligés de prendre dans la bourse de vos producteurs agricoles, vous n'aurez pas amélioré la position, vous aurez seulement déplacé le mal ; tandis que si, en réunissant vos efforts, vous parveniez a procurer un prix de revient plus avantageux à vos agriculteurs, si vous leur procuriez, par exemple, un avantage de 2 francs par hectolitre, la production agricole étant de 8 millions d'hectolitres, vous donneriez ainsi annuellement à notre agriculture 10 millions de francs.
Eh bien, si l'agriculture obtenait cet avantage de 16 millions, lorsque des temps calamiteux se présenteraient pour vos travailleurs industriels, vous trouveriez une ressource chez les cultivateurs, tandis que si vous les ruinez, vous trouverez la misère à droite, la misère à gauche, et il n'y aurait moyen de venir au secours de personne.
Les observations que je viens de faire me sont dictées par le vif désir de contribuer, autant que possible, au bien-être de notre commerce et de notre industrie. Je ne prétends pas incriminer les intentions de MM. les ministres. Je pense que les satisfaits quand même sont des hommes qui perdent les gouvernements ; les véritables amis du gouvernement sont ceux qui lui disent la vérité, au risque de lui déplaire, et je ne pense pas que M. le ministre puisse interpréter différemment les paroles que je viens de lui adresser.
Je crois pouvoir borner là mes observations, et j'espère que le gouvernement, prenant en considération le vœu bien positivement formulé, et qui, s'il était mis aux voix dans la chambre, serait certainement adopté à une grande majorité, que le gouvernement saura enfin déférer à ce voeu, en réunissant dans un seul département la direction de l'agriculture, du commerce et de l'industrie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai déjà fait observer à la chambre que nous n'avons, nous personnellement, aucun motif de nous opposer à la réunion dans un même ministère des divisions du commerce et de l'industrie. Sous ce rapport, les observations de notre honorable collègue et ami M. Cumont, n'ont rien qui puisse nous déplaire ; nous sommes ici pour nous éclairer ; et nous recevrons toujours avec reconnaissance les observations qui sont présentées de bonne foi et avec le désir sincère d'arriver à des améliorations ; mais, messieurs, je dois combattre les motifs sur lesquels on s'appuie pour demander cette réunion.
On prétend que dans l'état actuel des choses, il y aurait retard dans l'expédition des affaires, que les affaires seraient conduites dans des directions différentes et contraires. Je crois que l'honorable M. Cumont est dans l'erreur, au moins en règle générale. Il peut y avoir des faits isoles, mais ce n'est pas sur des faits isolés et exceptionnels qu'on peut s'appuyer pour demander une réforme.
En ce qui concerne le retard dont l'honorable M. Cumont a parlé, il s'explique naturellement. Un particulier a demandé le concours financier du gouvernement pour l’établissement d'un bazar destiné à faciliter (page 1507) l'exportation des produits belges ; ce particulier à rencontré l’appui d’un grand établissement financier, d'après ce qu'a dit l’honorable M. Cumont et ce qui paraît ; dès lors on comprend moins la nécessité de l'intervention pécuniaire de l'Etat. On dit que ce bazar s'il était encouragé par l’Etat, procurerait à l'heure qu'il est, peut-être, à l'industrie plusieurs millions d'exportation.
Je ne comprendrais pas, messieurs, comment un établissement capable de produire un pareil résultat serait arrêté dans sa marche par l'absence d'une somme de 10,000 fr., qu'il demande au gouvernement. Si l'établissement dont on parle était capable de produire un tel résultat je ne comprendrais pas qu'il attendît pour naître et pour faire la prospérité de l'industrie, ce patronage, qui consisterait daus une somme de 10,000 fr.
Du reste, messieurs, que les affaires de l'industrie fussent centralisées dans un même ministère ou réparties dans deux ministères, cette affaire n'en aurait pas été plus vite ; le gouvernement aurait dû, dans tous les cas, s'entourer de lumières, prendre des renseignements avant d'accorder le subside dont il s'agit.
On ne cite pas, d'ailleurs, messieurs d'autres affaires ressortissant, soit au département de l'intérieur, soit au département des affaires étrangères qui aient subi des retards de la part de l'administration.
Encore une fois, messieurs, il y a division de travail dans les ministères, mais il n'y a pas de divergence dans la direction des affaires ; les mêmes principes, le même esprit, président tant au département de l'intérieur qu'au département des affaires étrangères.
En outre, messieurs, j'ai indiqué un grand nombre d'attributions ressortissant au département de l'intérieur et qu'on ne pourrait en aucun cas transférer au département des affaires étrangères. Telles sont toutes les questions qui touchent à la situation des ouvriers, des classes laborieuses. De jour en jour de telles questions prennent de plus grands développements et elles méritent à elles seules le travail d'une division. Or, c'est surtout de ces questions-là que s'occupe au ministère de l'intérieur la division qui porte le titre de division dc l'industrie. Elle s'occupe de plus des questions de tarifs simultanément avec les départements des affaires étrangères et des finances. Dans le système de l'honorable M. Cumont, pour imprimer une seule et même direction aux affaires, il faudrait aussi placer les douanes dans le département de l'industrie et du commerce : car on peut rencontrer entre le département des finances et le département chargé du commerce et de l'industrie, des divergences d'opinion.
Ensuite, messieurs, il n'y a pas seulement l'industrie et le commerce à réunir, mais il y a encore l’agriculture ; le système de l'honorable M. Cumont tendrait donc vers la création d'un ministère spécial, chargé du commerce, dc l'industrie et de l'agriculture, car je ne pense pas que l'honorable membre voudrait transférer l'agriculture aux affaires étrangères.
M. Coomans. - Il a bien la marine.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et vous en concluez qu'il faut lui donner l'agriculture ?
M. Coomans. - Non, mais je n'y vois pas d'inconvénient.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vois pas qu'il y ait Je moindre rapport entre la marine et l'agriculture, si ce n'est qu'on a dit que la pêche est l'agriculture de la mer.
Il serait peut-être utile qu'on pût réunir dans un même ministère l'industrie, le commerce et l’agriculture ; ce serait la création d'un ministère spécial et nouveau, mais cela fût-il, encore n'échapperiez-vous pas à l'examen par le ministère des affaires étrangères ou par le ministère des finances, d'un grand nombre de questions industrielles, qui viennent se résoudre en questions dc tarifs ou de traités de commerce. Toutes ces questions, nécessairement, inévitablement, doivent passer au ministère des finances ou au ministère des affaires étrangères, parce qu'elles doivent être examinées au point de vue du trésor ou au point de vue de nos relations avec les autres pays.
Si nous reconnaissions, au point de vue de l'administration, l'utilité de réunir en une seule main le commerce et l'industrie, nous n'y ferions aucun obstacle ; nous n'avons aucun motif ni l'un ni l'autre, à nous opposer à la réunion ; ce sont des attributions difficiles, souvent desagréables.
S'il reste encore certaines attributions qui peuvent être transférées d'un département à l'autre, le gouvernement fera ce transfert ; mais, je le répète, le ministère de l'intérieur devra toujours conserver une division spéciale, consacrée particulièrement à l'examen de toutes les questions qui concernent les classes laborieuses.
L'honorable M. Cumont a parlé d’agriculture ; il a paru croire que si l'agriculture avait été réunie au département des affaires étrangères avec le commerce et l'industrie, elle jouirait aujourd'hui d'une protection qui lui manque : le gouvernement aurait trouve le moyen de procurer à l'agriculture 2 francs de plus par hectolitre, ce qui, sur 8 millions d'hectolitres, d'après les chiffres de l'honorable membre, aurait donné à l'agriculture un bénéfice de 16 millions.
Je ne pense pas qu'il soit au pouvoir du gouvernement de procurer un pareil bénéfice à une industrie quelconque ; je ne pense pas qu'il suffit au gouvernement de décréter à l'entrée deux francs de plus par hectolitre, pour que ce droit profitât, dans cette proportion, à l'agriculture. Je ne sais pas non plus en quoi le pavs s'enrichirait, si deux francs étaient enlevés à l'ouvrier pour passer dans la poche de l'agriculteur. Ce serait un simple déplacement.
Dans tous les cas, ce sont des résultats qui sont tout à fait en dehors de la puissance administrative. Le gouvernement ne peut pas plus, que ne le pourraient les chambres par toutes les lois du monde, assurer ce genre de bénéfice aux agriculteurs au moyen d'un droit de douane. Dans les pays voisin où l'on accorde ce genre de protection à l'agriculture, l'agriculture se plaint et n'obtient même qu'un prix inférieur à celui qu'obtient l'agriculture dans notre pays où l'on a réduit le droit soi-disant protecteur...
M. Coomans. - Il y a d'autres causes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En tout temps le prix des grains, en France, a été inférieur au prix des grains en Belgique. Voilà un fait incontestable.
Ce qu'il faut à l'agriculture, c'est un encouragement direct, une protection efficace ; l'agriculture peut trouver de grands encouragements, une protection efficace, dans le développement de la voirie vicinale.
Nous avons beaucoup fait dans cette direction, et avec l'aide de la chambre, nous espérons pouvoir donner une nouvelle et grande impulsion aux travaux publics. Ces moyens de protection vous seront présentées sur une grande échelle, et nous comptons bien que ceux qui demandent avec raison des mesures protectrices pour l'industrie agricole et manufacturière, appuieront les propositions du gouvernement, pour assurer à ces grands intérêts une protection réelle, qui ne repose pas sur les illusions des tarifs protecteurs.
- Un membre. - Ces illusions n'existent pas pour les manufactures qui jouissent de droits protecteurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas nous qui avons établi ces droits ; ce n'est pas nous qui les renforcerons, et autant qu'il dépendra de nous, nous tenterons de les réduire successivement.
M. Coomans. - Vous n'avez rien fait jusqu'à présent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous le ferons en temps opportun ; mais nous ne contribuerons jamais à renforcer les droits de douanes ; voila l'engagement que nous avons pris...
M. Coomans. - Il est toujours opportun d'être juste.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Faites vos propositions ; quant à nous, nous choisirons notre temps pour faire les nôtres ; mais prenez note de ceci : nous ne viendrons jamais proposer des mesures pour renforcer le tarif des douanes.
En ce qui concerne la réunion de la division du commerce et de celle de l'industrie, je pense que la chambre laissera au gouvernement le soin de se déterminer sur le parti à prendre.
Mais je répète que, quel que soit le parti que prenne le gouvernement, dans toutes les hypothèses, le déparlement de l'intérieur continuera à s'occuper d'affaires qui concernent l'industrie ; le département des affaires étrangères devra également s'occuper des mêmes affaires, parce que par leur nature elles ressortissent aux attributions de l'un et de l'autre ministère, et vous ne devez pas le regretter. S'il ne faut pas de lenteur dans l'examen de ces affiires, il n'y faut pas non plus trop de précipitation. Ces affaires, par leur nature délicate, comtent examen spécial de plusieurs ministres ; et aussi longtemps qu'on n'aura pas démontré que l'état actuel des choses entraînera des retards dans un grand nombre d'affaires, on donne lieu à des divergences d'opinion et de résolution très marquées ; aussi longtemps qu'on n'aura pas fait cette démonstration, on me permettra de croire que l'état actuel des choses peut être maintenu, sans inconvénient pour l'industrie et le commerce.
- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. Rodenbach. - Messieurs, la question qu'a soulevée l'honorable député d'Alost doit être examinée mûrement, comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur. Un fait, c'est que tous les industriels qui, depuis des années, ont siège dans cette enceinte, ont demandé la réunion de la division du commerce et de celle de l'industrie : c'est l'avis qu'ont exprimé tour à tour M. Prévinaire, M. Schumacher, M. Cumont, enfin tous ceux qui passent pour avoir des connaissances spéciales en matière de commerce et d'industrie ; l'opinion contraire n'a été soutenue que par des hommes qui n'ont pas la pratiqua des affaires, par les ministres qui ne s'occupent que de théorie.
Au sein du sénat, un industriel très recommandable, M. Engler, avait aussi été d'avis qu'il fallait réunir le commerce et l'industrie, et cet industriel avait certes des talents, puisqu'il était parvenu à gagner des millions de fortune. (Interruption.) Oui, c'est la meilleure preuve que c’était un industriel capable.
M. le ministre de l'intérieur vient de dire que ce qu'il faut surtout pour protéger l'agriculture, ce sont des chemins vicinaux, des canaux ; que c'est la la grande protection dont a besoin l'agriculture. Cela est assez vrai, il faut en convenir ; mais il faut convenir aussi qu'on pourrait encore protéger plus efficacement les agriculteurs, en ne leur faisant pas (page 1508) payer le fer dont ils ont besoin pour les instruments agronomiques 200 pour cent plus cher que s'ils l'achetaient à l'étranger.
Il en est de même du charbon ; nous en consommons beaucoup dans les Flandres. Eh bien, le charbon belge se vend à Lille à meilleur marché que dans le district de Roulers et les communes environnantes. Nous y avons des fabriques de tôle, des brasseries, des filatures qui auraient le combustible à meilleur marché, si elles pouvaient le faire venir d'Angleterre.
On ne doit pas avoir deux poids et deux mesures ; on ne peut pas abandonner l'agriculture quand on protège l'industrie manufacturière. Je ne suis pas ennemi de la liberté, je ne suis pas éloigné d'entrer dans un système libéral, mais je demande qu'on soit juste, que ce ne soit pas seulement à l'agriculture qu'on applique ce système.
M. le ministre des affaires étrangères a fait annoncer que les difficultés qu'on rencontrait quand on expédiait de toiles en France étaient aplanies ; cela n'est pas exact, le journal officiel nous a annoncé une solution en théorie ; mais en fait, tous les inconvénients dont on se plaignait ont encore lieu de temps à autre, car sur cinq expéditions trois au moins sont arrêtées par des chicanes douanières. J'engage M. le ministre à faire en sorte que les annonces officielles se réalisent, car, je le répète, les plaintes continuent malgré les assurances données que les difficultés avaient été aplanies par les commissions envoyées sur les lieux.
On négocie en ce moment un traité avec l'Angleterre, j'espère qu'on nous affranchira du droit de 20 p. c. qui empêche nos navires d'aborder en Angleterre lorsqu'ils ont en charge des marchandises sujettes aux droits ; nous pourrions, en compensation, offrir de recevoir les fils anglais, ce qui aura de plus l'avantage de procurer de l'ouvrage à nos tisserands dont la moitié, sinon les trois quarts, sont constamment sans ouvrage. Nous n'avons pas de filatures de laine en Belgique, c'est tout au plus s'il en existe une ou deux à Verviers, mais les fabricants de tissus font venir les laines d'Angleterre.
Voilà une compensation à offrir. Qu'on diminue les droits sur cet article et on pourra traiter avec l'Angleterre ; on aura de plus cet avantage de fournir des moyens de travail à nos ouvriers. Je demande qu'on nous donne des faits au lieu de promesses ; je suis l'homme des faits ; rien n'est plus persuasif que les faits.
Si vous ne voulez pas protéger l'industrie agricole, pour être juste, vous devez lui donner la houille, le fer, les vêtements, à meilleur marché. L'agriculteur qui achète des vêtements dans le pays, les paye fort cher ; c'est une prime que vous accordez au manufacturier. Vous condamnez les primes en principe ; et en fait, vous en accordez indirectement.
Le commerce des toiles est en souffrance ; autrefois nous exportions en France pour 37 à 38 millions de toiles ; aujourd'hui cela se réduit à 6 ou 7 millions ; il faut trouver des moyens efficaces pour relever ce commerce. Sans doute, les industriels doivent faire des efforts pour atteindre ce but, mais le gouvernement doit leur venir en aide.
Quand vous aurez décrété la libre entrée des fers et des charbons, vous pourrez peut-être proclamer un principe commercial plus libéral. En attendant, tâchez de nous ouvrir les marchés étrangers, ceux de l'Amérique ; ouvrez des relations avec le Brésil et tous les pays où nous pouvons envoyer nos marchandises. On traite, on traite, nous dit-on toujours, je voudrais qu'au lieu de promesses on nous donnât des faits ; jusqu'à présent nous n'avons eu que des promesses.
M. Cumont. - Le succès de cette affaire dépend de l’intervention du gouvernement. Il paraît singulier qu’un établissement qui doit produire des résultats si importants soit subordonné à un subside de 10,000 fr.
Les chances de réussite sont tellement bonnes que la Société Générale n'a pas hésité à intervenir. Le projet est très ingénieux, mais l'auteur n'est pas riche ; on peut avoir beaucoup de génie sans posséder de grandes ressources pécuniaires.
L'honorable M. Lebeau a dit que le budget des affaires étrangères était innocent ; qu'on y réunisse l'agriculture, l'industrie et le commerce.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dites ce que vous voulez ; on ne vous comprend pas.
M. Cumont. - Je regrette de ne pouvoir me faire comprendre de M. le ministre de l'intérieur.
Je me vois donc obligé de répéter. Quand on veut qu'une affaire marche bien, il faut une pensée unique, une action unique pour la diriger ; si vous la menez par morcellement, par tiraillement vous ne ferez jamais rien de bon. L'opinion que nos affaires commerciales souffrent de la division qui en est faite pour la direction entre divers départements est partagée par tous les hommes qui ont la connaissance du commerce. Je vous citerai dans cette chambre MM. Osy, Van Iseghem, Prévinaire ; ces messieurs ont comme moi prétendu que les vices qui existaient dans nos relations commerciales résultaient d'une mauvaise organisation dans l'administration.
C'est une opinion partagée par tous les hommes compétents qui ont fait partie de la chambre. Si l'on mettait la question aux voix, la solution ne serait pas douteuse. Mais la chambre n'a pas le droit d'intervenir par un vote dans ces questions.
Toutefois le gouvernement doit, ce me semble, tenir compte des vœux exprimés avec instance par la chambre à diverses reprises.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Le gouvernement attacherait une haute importance aux vœux émis par la section centrale et par notre honorable ami M. Cumont, si ces vœux étaient appuyés sur des faits positifs. Mais je dois dire que nous avons examiné attentivement cette question avec mon honorable collègue de l'intérieur, et nous n'avons point découvert jusqu'à présent les inconvénients qui sont signalés depuis quelque temps dans l'organisation actuelle. Nous attendons qu'on nous les signale. Si on nous les signale, si on nous les démontre, il n'y a aucune raison pour que nous n'admettions pas les changements qui nous sont indiqués par l'honorable M. Cumont. Mais lorsque les deux divisions étaient réunies, les affaires marchaient-elles plus rapidement, plus régulièrement ? Obtenait-on de ces résultats immenses qu'espère l'honorable député d'Alost ? car on dirait réellement qu'il suffirait que les deux divisions du commerce et de l'industrie appartinssent à un seul département pour qu'immédiatement notre commerce extérieur prît un immense développement. Nous ne croyons pas cela. Si cela nous était démontrés nous serions les premiers à mettre en vigueur cette heureuse combinaison.
L'unité, l'ensemble de vues que l'on désire, existe complètement : nous sommes d'accord, mon honorable collègue de l'intérieur et moi, sur le système commercial, sur les questions de principe. Quant aux questions d'application et de détails il est possible qu'il y ait dans les deux départements, quelque divergence que l'instruction d'une affaire dure un certain temps, mais il n'y a pas de mal à ce que les affaires soient mieux examinées, mieux mûries, et c'est ce qui arrive quand il y a contradiction, opposition de la part d'un des deux départements.
Ainsi, messieurs, si l'existence de ces inconvénients de l'état actuel des choses était reconnue plus tard, si on les signalait d'une manière claire et précise, nous sommes prêts à admettre un changement qui ne nous coûterait ni à l'un ni à l'autre, soit qu'on voulût, comme on y semble disposé, en gratifier des divisions de l'industrie et même de l'agriculture qui cependant appartient essentiellement au département de l'intérieur ; soit qu'on réunisse le commerce au département de l'intérieur, ce qui me paraît à peu près impossible toutefois.
Maintenant qu'on me permette de dire un mot sur la persistance avec laquelle on revient souvent, dans cette discussion, sur un mot de l'honorable M. Lebeau qui, en demandant la mise à l'ordre du jour du budget des affaires étrangères, le qualifiait de très peu important. Je crois qu'il ne faut pas s'y tromper et que M. Lebeau n'a eu en vue que le chiffre du budget. (Adhésion de la part de M. Lebeau.)
Il est certain que ce chiffre a subi des réductions extrêmement grandes, extrêmement importantes, et dans l'opinion de l'honorable M. Lebeau, il n'y a plus lieu à le réduire.
Il y aurait peut-être, selon lui, lieu à augmenter certains chiffres.
Le département des affaires étrangères est incontestablement, messieurs, par ses attributions, un des plus importants, dans tous les pays, car il comprend toules les questions extérieures, et un grand nombre de questions intérieures.
M. Lebeau. - C'est incontestable.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - A ce département ressportissent non seulement la politique, mais les questions relatives au commerce et à l’industrie, à l’extérieur du pays, les traités, les consulats, la pêche, le pilotage, la marine et un grand nombre d’autres affaires.
Ce serait une singulière manière de raisonner que de prétendre que la direction de toutes les affaires extérieures de la Belgique, indépendamment de certaines questions qui concernent son administration intérieure, ne présente qu'une très faible importance. Je crois que ce serait faire peu d'honneur au pays.
Le ministère des affaires étrangères dont l'honorable M. Lebeau a été un chef éminent, et que sans doute il ne considérait pas comme peu important, n'avait pas, même lorsqu'il était à sa tête, certaines attributions qui lui ont été données depuis, et qu'il a encore aujourd'hui, le commerce intérieur dont on s'est tant occupé dans ce débat. Qu'on cesse donc d'attribuer aux paroles de l'honorable député de Huy un sens et une portée qu'il vient de désavouer lui-même.
Messieurs, je ne puis laisser sans réponse quelques observations d'un honorable député des Flandres, de l'honorable M. Rodenbach. Il a prétendu que des promesses auraient été faites soit dans le Moniteur, soit dans cette enceinte, promesses qui n'auraient pas été réalisées. C'est ce que je n'admets en aucune manière.
Le Moniteur a fait mention des saisies qui ont eu lieu de la part de la douane française et des arrangements qui ont été pris avec la France sur la question de la nuance des toiles. Mais jamais il n'a pu annoncer qu'il n'y aurait plus aucune saisie de la part de la douane. Jamais le Moniteur n'a pu dire une pareille absurdité.
M. Rodenbach. - On a dit que les difficultés ont été aplanies ; eh bien, elles ne le sont pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Elles sont aplanies.
M. Rodenbach. Sur le papier !
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Les difficultés qui se sont élevées au sujet de plusieurs saisies sont aplanies, c'est incontestable ; elles l'ont été par l'établissement d'un nouveau type.
C'est ce qui a eu lieu à la suite d'une négociation avec la France. Voila ce que le Moniteur énonce, et il a eu raison. Mais il n'a pu dire qu'il n'y aurait plus de saisies ; car ce serait préjuger l'avenir sur une simple question de fait : ce serait proclamer une chose qui ne dépend (page 1509) pas du gouvernement, c'est que nos commerçants ne présenteront jamais à l'importation en France des toiles plus ou moins blanches, que jamais on ne se trompera à la douane française dans l'appréciation des nuances.
Je reconnais qu'il y a beaucoup de rigorisme dans la manière dont la douane applique le traité sur cette question. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a aussi de l'équité et de l'impartialité de la part de l'administration supérieure en France ; car plusieurs pièces de toiles saisies comme blanches ont été reconnues écrues par les experts et ont été immédiatement rendues à l'expéditeur.
Du reste, dans les arrangements ultérieurs on cherchera nécessairement à écarter autant que possible toutes les entraves qui pourraient être apportées à l'exportation de nos toiles.
Vous n'ignorez pas que dans la question des toiles l'appréciation de la nuance est abandonnée d'abord à la douane française, ensuite en appel à la commission d'experts instituée en France.
Voilà ce qui a été admis lors du traité de 1845. Quand la douane et les experts en France ont déclaré que telle pièce présentée comme écrue est blanche, le gouvernement n'a, en vertu du traiié, aucun moyen de faire constater le contraire.
Voilà la situation des choses.
Si nous pouvons trouver des garanties nouvelles dans les arrangements ultérieurs (et j'espère que nous les trouverons), nous nous empresserons de le faire.
L'honorable préopinant a dit ensuite qu'on ne voyait de la part du gouvernement que des promesses, mais aucun résultat.
En vérité j'aurais été charmé que l'honorable préopinant citât des faits ; il s'est borné à des accusations vagues et peu saisissables.
En définitive, lui qui réclame toujours des traités de commerce, il me semble qu'il doit être satisfait, car il en a été présenté un assez grand nombre depuis quelque temps, qui ont reçu même son approbation.
M. Rodenbach. - Avec le Pérou. Ce n'est pas avec le Pérou que je réclame des traités.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Nous avons présenté à la chambre des traités, non pas seulement avec le Pérou, mais avec la Russie, avec la Sardaigne, avec l'Amérique centrale, avec la France même. Ces traités ont reçu l'approbation presque unanime des deux chambres ; par conséquent, on les a trouvés avantageux au pays.
Avec qui l'honorable membre veut-il qu'on fasse des traités ? Je désirerais qu'il nous citât avec qui nous avons manqué l'occasion de faire des traités avantageux. Est-ce avec les puissances qui nous avoisinent ? Mais l'honorable membre n'ignore pas que ces traites sont en pleine vigueur, et ce n'est pas quand ils existent qu'on peut leur substituer des traités nouveaux. Ces traités expireront les uns au 1er janvier prochain, d'autres dans le courant de l'année prochaine.
Eh bien, les négociations sont ouvertes, le gouvernement a rempli son devoir à cet égard. S'il est possible de s'entendre avec les puissances voisines, le gouvernement ne le négligera pas, et rien ne nous fait supposer que tel ne sera pas le résultat ; mais si l'on présentait des conditions telles que nous ne pussions pas les accepter, l'honorable préopinant serait-il d'avis de faire de mauvais traités ? Je ne le pense pas.
Quant à nos relations avec l'Angleterre, l'honorable préopinant est dans une grande erreur. Il ne me paraît pas avoir étudié les faits lorsqu'il prétend que nos navires n'abordent plus les ports de l'Angleterre.
Nous navires vont en Angleterre. Ils y transportent, sans être frappés des 20 p. c, tous les articles qui sont libres de droits. Notre navigation y est très active. Elle y va aussi chercher le sel.
L'honorable membre veut une réforme des tarifs. Je voudrais bien qu'il exposât aussi ses idées à cet égard. Nos principes sont parfaitement connus. Nous ne voulons pas d'aggravation de tarifs ; nous l'avons démontré. Nous avons même déjà marché vers un régime plus libéral.
L'honorable membre veut-il qu'on porte la perturbation dans les industries, que l'on fasse des modifications intempestives, inopportunes ? Non, sans doute. Il veut qu'on diminue les droits sur les houilles et les fers. Veut-il qu'on réduise aussi les droits sur les toiles étrangères ?
M. Rodenbach$. - Vous restez dans le statu quo et ce n'est pas progressif.
M. Delehaye. - Je prie M. Rodenbach de ne pas interrompre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne sais si l'on veut ouvrir ici une grande et large discussion sur tout le système commercial ? Quant à nous, nous sommes prêts.
M. Rodenbach. - Nous avons le droit de nous plaindre de ce que vous ne faites rien.
M. Delehaye. - Si M. Rodenbach interrompt encore, je serai obligé de le rappeler à l'ordre.
M. Rodenbach. - Je demande la parole. J'ai le droit de parler commerce et industrie à propos du budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Sans doute, mais je demande si l'on veut ouvrir un large débat sur ces questions, ou se borner à des accusations vagues et sans valeur.
Messieurs, si, comme le dit l'honorable préopinant, on n'avait rien fait pour le commerce extérieur, ce commerce n'aurait pas pris un développement tel que celui que je vous ai signalé. Jamais nous n'avons eu une année aussi prospère sous ce rapport que 1850. Jamais le commerce extérieur n'avait atteint un chiffre d'importation aussi élevé.
Ce n'est pas, messieurs, uniquement dans la question de savoir si tel ou tel article du tarif doit être changé que réside le système de commerce du gouvernement ; c'est dans un ensemble de mesures. Le gouvernement, par exemple, cherche constamment, à amener le perfectionnement des industries et c'est la première condition pour les exportations et le placement sur les marchés étrangers.
Il cherche aussi à développer l'esprit d'entreprise qui, chez nous, ne l'est pas assez. Il y a un ensemble de mesures qui tendent à ce but, et nous pouvons dire qu'elles n'ont pas été stériles.
Le gouvernement a constamment aussi cherché à nos produits des de bouches nouveaux.
Les mesures qu'il a prises à cet égard ont eu beaucoup d'efficacité. Les débouchés qui n'existaient pas nous sont ouverts maintenant, ou se sont développés. On peut citer la côte d'Afrique, le port de Santo-Tomas, la Californie, voire même l'Australie. Eh bien, ces débouchés qui contribuent à l'accroissement de nos exportations, c'est en grande partie aux mesures qu'a prises le gouvernement qu'on les doit.
Il ne faut donc pas dire qu'on a fait des promesses que l'on n'a pas tenues, et qu'aucun acte n'a été posé par le gouvernement. Ce sont là des accusations injustes et qui sont démenties par les faits et par le développement si remarquable de notre commerce extérieur.
M. Vermeire. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour venir appuyer les observations qui ont été présentées par l'honorable M. Cumont. Il est un fait certain, c'est que les intérêts du commerce, de l'agriculture et de l'industrie ont beaucoup de connexité et se lient étroilement et que dès lors il convient que ces intérêts soient examinés par le même déparlement.
Déjà dans d'autres discussions au sujet du budget des affaires étrangères, j'ai soutenu cette même opinion.
Aujourd'hui, l'honorable ministre trouve quelques inconvénients à réunir ces diverses branches dans un même département. Cependant il ajoute que s'il y avait des motifs plausibles il accéderait volontiers au désir qui est manifesté, il ferait ressortir à un même département le commerce, l'industrie et l'agriculture.
Je crois, messieurs, qu'il y a un moyen fort simple de sortir de cet embarras ; ce serait de faire examiner la question par les chambres de commerce et par les commissions d'agriculture. Je ne vois aucun inconvénient à en agir ainsi.
Aujourd'hui, que voyons-nous ? C'est qu'il y a une espèce d'antagonisme entre l'industrie et l'agriculture. C'est que ceux qui veulent une augmentation de protection pour l'agriculture, reprochent à l'industrie d'être trop fortement protégée.
Le gouvernement, messieurs, a pris certainement de très bonnes mesures pmr favoriser, autant qu'il était possible, nos exportations. Ainsi, l'établissement de bazars où l'on étale tous les échantillons de la production belge, est une mesure très bonne, très efficace. Un établissement pareil a été créé à Hambourg, et il est à ma connaissance que cet établissement a déjà procuré aux industriels belges des commandes majeures pour diverses productions.
Je crois que l'on doit continuer à établir ces bazars, sur d'autres points encore, parce que c'est là une mesure qui ne peut que produire de bons effets, et faciliter aux commerçants et aux industriels qui veulent faire des exportations, l'obtention de bons renseignements.
Mais il ne suffit pas de parler toujours exportation. La bonne exportation est celle qui se fait sur commande définitive. Il est quelquefois imprudent de provoquer aux exportations sur consignation, car ces sortes d'affaires amènent souvent des mécomptes très préjudiciables à l'industrie.
M. Coomans. - Je me proposais, messieurs, de voter silencieusement l’« innocent » budget des affaires étrangères (comme l'appelle l'honorable M. Lebeau ou l'honorable M. Delfosse, ou, je pense, l'un et l'autre orateur à la fois), mais les justes observations de l'honorable député d'Alost ayant provoqué un débat sur ce que le ministère nomme emphatiquement son système économique, je crois divoir relever la réponse très insuffisante qui y a été faite par M. le ministre de l'intérieur.
Pour ma part, bien que j'aie demandé plusieurs fois la réunion dans un seul département des divisions du commerce, de l'industrie et dc l'agriculture, j'avoue que j'y attache peu d'importance, et je crois qu'au fond, la chambre tout entière y est assez indifférente ; mais voici pourquoi cette demande se produit itérativement : c'est que les affaires sont mal traitées, que le commerce, l'industrie et l'agriculture sont anarchiquement dirigés, et qu'il y a manque d'ensemble, de principes et peut-être de zèle dans toute cette partie de l'administration. Si ces grands intérêts étaient bien dirigés, s'ils étaient satisfaits du mode d'intervention du gouvernement, je le demande à mes tous honorables collègues, lequel d'entre nous se lèverait pour solliciter une réforme ? Au contraire, nous nous tiendrions coi ; nous serions heureux de voir les choses marcher convenablement et nous féliciterions les ministres, dussent les principes adminisitratifs ne pas être régulièrement observés.
Voilà donc pourquoi, moi aussi, je me joins à l'honorable député d'Alost pour demander cette réforme purement administrative, réforrne qui s'opérerait facilement s'il n'y avait pas des questions, non pas d'intérêt personnel, mais d'amour-propre, qui y missent obstacle.
La grande raison pour laquelle, je tiens peu à voir les trois divisions groupées dans un même département, c'est que les affaires n'en iraient guère mieux que mainleniut ; ainsi que le dit l'honorable M. Rogier, l'esprit dirigeant serait exactement le même, et si nous nous bornions à demander (page 1509) cette réforme-là et que nous l'obtinssions nous paraîtrions peut-être avoir mauvaise grâce à en réclamer d'autres infiniment plus sérieuses.
Ce que je demande pour ma part, je suis obligé de le déclarer derechef, c'est ce que l'autre jour j'ai eu l'honneur de recommander en passant à la chambre : Je demande un traitement équitable et logique de toutes les branches du travail national ; je me garderai bien de venir demander encore une protection douanière quelconque pour l'agriculture ; je sais qu'il y a des engagements pris à cet égard. En mon nom personnel, je prends volontiers l'engagement de ne plus rien réclamer de semblable devant le ministère et la majorité d'aujourd'hui.
Il y a parti pris dans la chambre de ne plus voter de protection douanière pour l'agriculture, et comme je ne suis moi, ni assez influent ni assez habile pour faire changer la chambre d'opinion, même après un intervalle de trois années, je craindrais de reproduire des projets de lois qui ont été très mal accueillis dans cette enceinte, alors même qu'ils étaient patronnés par un membre actuel du cabinet. Mais ce que je demanderai et ce que défie la chambre de ne pas m'accorder (c'est un éloge que je lui adresse), ce que je délie la chambre de me refuser, c'est la justice. Je demanderai justice, non pas justice entière, c'est-à-dire que je ne demanderai pas que l'agriculture jouisse de la même protection douanière qu'on n'épargne pas à l'industrie et au commerce ; je ne demanderai pas une protection arithmétiquement égale, non seulement parce que je n'aurais pas de chance de l'obtenir, mais parce que, au fond, je ne la désirerais même pas ; nous sommes assez bons citoyens pour ne pas imposer aux autres par représailles des souffrances inutiles que nous aimons mieux éprouver seuls. Ce que je demanderai, c'est le commencement, le premier commencement de la réforme économique que l'on nous promet depuis bien des années.
L'honorable ministre des affaires étrangères reprochait tout à l'heure à M. Rodenbach de vouloir jeter la perturbation dans toutes les industries. Je réponds pour moi et pour mon honorable ami peut-être : Non, nous ne le voulons pas. Nous aurions le droit de demander à l'industrie et au commerce de ne pas être protégés plus efficacement que l'agriculture ; mais je déclare que je me contenterais pour celle-ci du quart de la protection douanière qui est accordée aux manufactures, aux fabriques et aux usines. Ces prétentions sont-elles exagérées ? Oseriez-vous le dire alors que les droits de douane que je laisserais subsister en faveur de vos industries privilégiées constitueraient encore une protection que vous répudiez en théorie ?
L'honorable ministre de l'intérieur disait tout à l'heure, en réponse à une interruption que j'avais eu le tort de me permettre, il disait : « Nous ferons justice en temps opportun. » Mais quand viendra-t-il le temps opportun ? N'esl-il pas toujours opportun de se montrer justes ? Voila 3 ans 10 mois et quelques jours qu'on nous promet un commencement d'application des principes économiques du cabinet et nous n'avons pas vu jusqu'ici que le moindre droit protecteur des manufactures ait été supprimé ou diminué.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tous les droits de sortie ont été supprimés.
M. Coomans. - Qu'est-ce que les consommateurs y gagnent ? Je parle des droits à l'importation et de la prime que vous prélevez ainsi sur les consommateurs belges. D'ailleurs vous n'avez modifie que des bagatelles. (Interruption de M. le ministre.) Si M. le ministre veut indiquer les suppressions dont il parle, je suis bien sûr que la chambre reconnaîtra que ce ne sont que des bagatelles. Quant à moi je me les rappelle à peine et je doute fort que l'honorable ministre lui même les ail présentes à la mémoire. Le silence qu'il garde est significatif.
Je dis donc que le gouvernement n'a pas pris l'initiative de la moindre réforme économique, sauf pour les céréales, mais c'est précisément la réforme que nous signalons comme inique. Vous nous rendiez justice en temps opportun ! Mais les questions de justice, sont-ce donc des questions qu'on peut ajourner indéfiniment ? Je ne le pense pas et je crois constater un aveu secret de toutes les consciences des honorables membres de cette assemblée lorsque je réclame en leur nom comme au mien l'établissement de l'égalité de traitement pour toutes les branches du travail national. Je suis d'autant plus sûr de leur adhésion muette que je serais provisoirement satisfait d'une réduction de moitié des droits de douane dont sont frappés les fers, les houilles et les vêtements des travailleurs.
Eh quoi ! messieurs, une foule d'objets indispensables aux classes agricoles sont fortement imposes ; le fer, la houille, les meubles, les vêtements surtout jouissent en Belgique d'une protection exagérée, d'une protection qui, sur plusieurs articles, s'élève jusqu'à 100 p. c, et que moi, protectionniste, je trouve ridicule, parce qu'elle est superflue ; quand vous imposez à l'agriculture, dans un soi-disant intérêt national, une lourde diminution de bénéfice, c'est-à-dire quand, en réalité, vous expropriez l'agriculture pour cause d'utilité publique, n'est-il pas juste que vous l'indemnisiez, non pas au moyen de primes, de subsides, d'écoles, de médailles, etc, que je ne réclame pas, mais au moyen d’un traitement égal à celui que vous accordez aux autres industries ? Soutenir la négative, c'est nier la logique, c'est révolter le bon sens.
L'innorable ministre a beau dire : « L'agriculture est suffisamment protégée, elle jouit d'une protection réelle et efficace que nous lui avons donnée. » Ce doucereux langage ne me fait pas illusion sur la fâcheuse situation de nos campagnes. M. le ministre fait allusion aux écoles, aux expositions et à d’autres mesures administratives ; mais je vous le demande, messieurs, l’industrie ne jouit-elle pas de toutes ces protections aussi ? N'a-t-elle pas ses écoles, qui coûtent beaucoup plus que celles de l'agriculture, lesquelles coûtent beaucoup trop, soit dit entre parenthèses ? Mais pour l'industrie, vous faites quelque chose de plus, et ce quelque chose vous nous le refusez et vous n'oseriez jamais dire ouvertement pourquoi vous nous le refusez. Vous n'avouerez jamais que vous subissez la pression de quelques grandes villes en plaçant l'agriculture hors du droit commun.
L'honorable ministre objecte encore (je me borne à relever quelques-unes des objections qu'il a faites), l'honorable ministre nous citait tout à l'heure l'exemple de la France ; là, nous disait-il, cette protection que vous demandez s'élève jusqu'à la prohibition ; depuis longtemps, il n'est pas entré un grain de blé en France !
Cependant le blé est moins cher en France qu'en Belgique ! Vous voyez donc bien que la protection douanière est inefficace, et que vous avez tort de considérer la libre entrée des grains étrangers comme la cause principale de l'avilissement des vôtres. Tel est l'argument de M. le ministre. Je le trouve plus étonnant que concluant. Permettez-moi de vous faire sentir combien il est étrange, pour me servir d'un terme poli.
Lorsque nous demandons en Belgique un droit protecteur très modésé, tellement modéré que M. le ministre de la justicee qui se trouve aujourd'hui parfaitement homogène avec ses collègues, l'a voté avec moi ; on ne manque pas de nous dire, même à cette tribune : « Vous voulez affamer le peuple ; vous êtes des ennemis des bonnes récoltes ; vous voulez percevoir sur le pain de l'ouvrier un impôt annuel de 14,600,000 francs, au taux d'un franc 50 centimes par hectolitre de froment » Puis on ajoute : « Voyez la France ; l'agriculture y jouit d'une protection qu'on peut évaluer à 5, à 10, à 15 fr. par hectolitre, puisque le droit est prohibitif. Pourtant le blé y est à meilleur marché que chez nous ; la protection n'y fait donc absolument rien ; donc ce que vous demandez est inefficace et vous n'atteindriez pas votre but qui est d'assurer un prix rémunérateur au fermier. Telle est votre argumentation à double face. Quand nous sollicitions un léger droit, un droit fixe dc 5 à 6 fr., vous vous plaigniez de ce que nos chiffres n'étaient que trop efficaces ; vous avez dit de mes chiffres que c'étaient des chiffres de famine, des chiffres inhumains ; mais à vos yeux ces chiffres ne signifient plus rien en France. Là on peut impunément, selon vous, frapper de prohibition ou de 80 p. c. le blé étranger ; en Belgique, 5 p. c. est une prétention inhumaine que des ennemis du peuple peuvent seuls formuler.
J'avoue qu'il y a quelque chose d'énigmatique dans ce fait incontestable que le blé français protégé par des droits prohibitifs se vend moins cher que le nôtre ; c'est une de ces difficultés économiques que de plus savants que moi pas clairement expliquées. Du reste l'économie politique, comparée avec les faits, est pleine de contradictions de ce genre.
A la rigueur, je trouverais l'explication de ce fait singulier, soit dans la vaste étendue du sol français, qui offre peu de ressources au commerce d'importation, soit dans l'état de gêne où végète l'agriculture, pressurée entre autres par l'impôt républicain des 45 centimes, état de gêne qui force les agriculteurs à se défaire de leurs denrées. La spéculation est inquiète, les approvisionnements ne se font plus comme ci-devant, la denrée est abondante sur le marché, le prix diminue : cela est conforme aux règles de l'économie politique.
Quoi qu'il en soit, vous devez reconnaître l'une de ces deux choses, et vous n'oserez ici reconnaître ni l'une ni l'autre ; vous ne le pourriez pas sans donner un éclatant démenti à votre raisonnement biface : ou il faut reconnaître, quand vous invoquez l'exemple de la France, que la protection est absolument inefficace ; et alors pourquoi nous accusez-vous d'inhumanité à l'égard des pauvres consommateurs ? ou bien, vous devez reconnaître que la protection est efficace, même en France, et alors tombe l'argument dont vous vous serviez tout à l'heure.
Messieurs, je ne suis pas libre-échangiste : je ne crois pas à l'efficacité des doctrines du libre échange, bien au contraire. Je verrais avec regret la Belgique entrer dans cette voie.
Cependant non seulement je voterai toutes les mesures libre-échangistes qui seraient proposées à la chambre ; mais peut-être l'excès du mal me forcera-t-il de provoquer moi-même des votes de ce genre ; je provoquerai peut-être l'application du libre-échange gradué, lentement progressif, pour ne pas vous fournir des fins de non-recevoir ; je provoquerai moi-même l'application du libre échange, non par la conviction que cette doctrine soit bonne, mais avec l'espoir de vous en dégoûter. De vous en dégoûter, dis-je, et cela ne sera pas long. (Interruption.) Je constate avec plaisir l'assentiment de plusieurs de mes honorables amis.
L'honorable ministre des finances a beau rire, je le déflie de diminuer de quoi que ce soit les droits protecteurs dont jouissent aujourd'hui les grandes industries urbaines. S'il venait proposer d'abaisser de moitié, par exemple, ou de moins encore les droits prohibitifs qui protègent les manufactures, c'est alors qu'il rencontrerait dans cette chambie une opposition telle que dix questions de cabinet ne parviendraient pas à l'étouffer. Eh bien ! il nous plaira d’entendre les libre-échangistes déclarer implicitement, mais éloquemment, que leur doctrine est ruineuse.
Ainsi donc, je ne suis pas partisan du libre échange ; mais ce dont je suis moins partisan encore, c'est de l'njustice et de l’iniquité. Or, votre système économique est profondément inique, et j'en demanderai la réforme dans le sens réparateur et conciliateur que je viens d’exposer.
Peu m’importe après cela à quel département ressortisse l’agriculture, à celui de M. Rogier ou à celui de M. d’Hoffschmidt. Si j’avais à choisir (page 1511) pourtant, je la placerais au département de la justice, sous la protection de Thémis et de M. Tesch.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous voilà lancés dans une discussion économique, je ne sais si c'est par esprit d'imitation. Nous discutons le budget des affaires étrangères ; et voilà la question agricole qu'on agite. Nous sommes en possession d'une loi des céréales qui a occupé la chambre pendant longtemps. Cette loi qui a été votée par la chambre et par le sénat à une grande majorité, on vient la mettre en question...
M. Coomans. - Je l'accepte.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon intention n'est pas de prendre la défense de cette loi qui fonctionne depuis plusieurs années et qui n'a pas produit les effets que lui attribue l'honorable M. Coomans - qui se personnifie ici comme le défenseur exclusif de l'agriculture, qui fait des concessions au nom de l'agriculture, qui souffre au nom de l'agriculture. Nous sommes tous ici les représentants de l'agriculture, tout aussi bien que l'honorable M. Coomans ; nous n'entendons pas lui accorder ce monopole, pas plus que nous n'entendons accorder aucun autre monopole.
M. Coomans. - Je ne veux d'aucun monopole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ceci m'amène à parler des écoles d'agriculture. L'honorable M. Coomans trouve mauvais que l'Etat crée des écoles pour l'agriculture. C'est un grand crime de la part du gouvernement de chercher à répandre les lumières parmi les agriculteurs. Je comprends, l'honorable M. Coomans ne veut pas que le gouvernement répande l'instruction en son nom...
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il trouve très convenable qu'une seule influence répande l'instruction dans le pays, particulièrement dans les campagnes ; nous, nous trouvons plus convenable, et la Constitution le trouve avec nous, que l'instruclion se répande par toutes les voies, par le clergé, si le clergé le trouve bon...
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - … et par le gouvernement qui, lui aussi, doit avoir son inlluence, influence qui est reconnue par la Constitution, et que nous n'abandonnerons pas, soyez-en certains.
Voilà, donc, en quoi consisteraient tous les efforts du gouvernement en faveur de l'agriculture : il établirait des écoles ; eh bien, les efforts du gouvernement se bornassent-ils à ces mesures, que déjà il aurait fait beaucoup.
Il est très imporlant pour nos campagnes d'y répandre les lumières de la science, la connaissance des nouveaux procèdes, des nouvelles découvertes, et je ne comprends pas qu'un homme éclairé vienne protester ici contre les tendances du gouvernement.
L'on se moque encore agréablement des expositions imaginées par le gouvernement ; eh bien, je fais un appel à votre impartialité ; dites si ces expositions n'ont pas produit les meilleurs résultats dans les campagnes.
Ils ont eu ce premier effet de réunir, de concentrer les efforts des habitants des campagnes qui, trop longtemps, avaient été abandonnés à l'impuissance de l'isolement. Nous avons crée, répandu dans tout le pays, les comices agricoles, les réunions de campagnards qui se cotisent pour établir, à certaines époques de l'année, des expositions, qui s'occupent entre eux des progrès de l'agriculture, qui s'excitent mutuellement à perfectionner leurs produits, nous avons répandu ces associations utiles ; je sais qu'elles n'ont pas le bonheur de plaire à l’honorable M. Coomans, mais je les considère comme des créations très utiles pour les progrès de l'agriculture. Je dois dire que de toutes parts nous recevons des félicitations sur les effets produits par la création des comices agricoles et des expositions. Les expositions se multipiient dans les campagnes ; nous continuerons à les encourager, dussent-elles ne pas plaire à l'honorable représentant de Tumhout.
M. Coomans. - Je ne les blâme pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est le thème habituel de vos sarcasmes, ici et ailleurs.
M. Coomans. - Je répondrai ici.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On oublie les mesures qui presque quotidiennement depuis plusieurs années ont été prises en vue du progrés, du perfectionnement agricole.
Je puis dire que l'activité qui a ete déployée au département de l'intérieur depuis quelques années a été double, triple de ce qu'elle était autrefois ; on oublie le grand développement donné au défrichement ; on oublie le déboisement de certaines contrées, le reboisement de certaines autres ; on oublie la propagation des engrais ; l'on oublie les subsides pour la voirie vicinale. Ces subsides n'existaient pas en 1840. C'est alors que nous avons proposé le premier subside de 100,000 fr. ; pour le faire admettre, nous avons eu à lutter contre l'opinion à laquelle appartient M. Coomans ; et aujourd'hui ce subside est de 500,000 fr. N'est-ce rien que cela en faveur de l'agriculture ?
Les soins de l'administration se sont étendus au développement depuis l'espèce chevaline jusqu'à l'espèce porcine ; toutes les espèces d'animaux, produits de l'agriculture. (Interruption.) Il a établi un très grand nombre de stations pour la race porcine et il a rendu par là un signalé service aux classes inférieures des populations agricoles. Aussi, je ne crains pas, pour ma part, de faire un appel aux campagnes ; elles sont convaincues, malgré l'agitation factice qu'on voudrait y produire, des bonnes intentions d'abord et de l'efficacité des efforts du gouvernement en faveur des progrès de l'agriculture. M. de Liedekerke fait un signe négatif. J'ai d'autres témoignages qui m'encourageront à suivre la voie dans laquelle je suis entré. Vos discours sont là, dites-vous ; mes correspondances sont là aussi et l'expression des sentiments des campagnards dénués de tout intérêt personnel me dédommage amplement de vos critiques.
Nous avons confiance dans l'opinion des campagnes ; on ne parviendra pas à les tromper, à les pervertir. On ne parviendra pas à rendre le minisière libéral impopulaire dans les campagnes.
Nous avons entendu un singulier aveu. On a dit qu'on ne ferait pas de proposition, parce qu'on est sûr qu'elle n'aboutirait pas. D'un autre côté cependant on vient d'annoncer qu'on fera des propositions, ne fût-ce que pour constater l'esprit d'injustice de la chambre. C'est-à-dire que l'on veut faire de l'agitation pour de l'agitation, sans espoir de réussir.
Eh bien ! faites vos propositions, nous les attendons, nous y répondrons ; nous ne les craignons pas, nous préférons voir ces accusations se formuler en propositions, que de se reproduire à tout propos, sans autres but que de provoquer une agitation factice.
On ne cesse de s'étonner que le gouvernement n'ait pas de progamme commercial. Mais, dès 1847, nous l'avons fait connaître ; il a été accepté par la chambre ; il ne rencontre pas l'adhésion de M. Coomans, mais pour être bon, il n'a pas besoin d'un certificat de M. Coomans. Nous avons dit que nous voulions une législation douanière libérale pour toutes les matières relalives à l'alimentation du peuple. Quant aux objets manufacturés, nous avons dit que nous ne renforcerions pas les tarifs, et nous avons ajouté que nous ne voulions pas jeter la perturbation dans l'industrie du pays par des changements brusques et inopportuns.
C'est ce que nous n'avons pas fait ; c'est ce que nous ne ferons pas. Nous prendrons notre temps pour les faire ; et certes nous ne viendrons pas jeter imprudemment et sans nécessité des questions irritantes dans le pays, quand nous aurons des modifications à proposer.
Nous n'avons consenti à aucun renforcement de droits en ce qui concerne l'industrie manufacturière, et nous avons introduit dans notre tarif des dispositions libérales sur trois points.
Nous avons supprimé la plupart des droits à la sortie de nos produits ; de ce chef, le trésor a éprouvé une perte assez considérable.
Nous avons introduit pour l'entrée des matières premières et dans la loi du transit des modifications libérales.
Enfin, nous avons appliqué sur une assez large échelle les effets de l'article 40 de la loi des entrepôts.
Voilà un élargissement à notre système douanier.
Telle est la voie où nous sommes entrés.
Aussi longtemps que nous resterons aux affaires, nous continuerons à appliquer le tarif dans un sens libéral.
Mais on ne parviendra pas à obtenir de nous des changements brusques qui jetteraient la perturbation dans nos industries.
Plusieurs de ces questions viendront d'ailleurs probablement à se reproduire lors de la discussion d'une proposition de loi qui vient d'être déposée par l'honorable M. Coomans.
Cette proposition soulèvera probablement la plupart des questions que l'on agite en ce moment, sans doute parce que la chambre n'a rien de mieux à faire.
M. de Haerne. - Je n'entrerai pas bien avant dans cette discussion, qui semble s'être égarée un peu et qui a donné lieu à de véritables digressions.
Je ne répondrai donc pas aux questions que vient de soulever M. le ministre de l'intérieur. Je ne parlerai pas de certaine influence qui, d'après lui, voudrait exclusivement se faire jour dans l'instruction à répandre dans les campagnes.
Je sais que la Constitution, en consacrant à cet égard les droits des citoyens belges, a donné certains avantages, certaines faveurs au gouvernement ; mais je me permettrai de lui faire remarquer que c'est à une seule condition, à savoir que l'instruction publique qui sera ainsi donnée par l'Etat sera réglée par la loi. Or, quant aux écoles agricoles, je (page 1512) ne sache pas qu'une loi ait jusqu'ici été présentée pour régler cet enseignement. Ainsi c'est bien mal à propos qu'on invoque ici la Constitution.
Je ne critique pas cet enseignement. Au point de vus du principe, je suis partisan de ces écoles qui ont produit d'excellents résultats à l'étranger : je crois qu'elles peuvent être très utiles ; je ne les critique donc pas d'une manière absolue. Mais je dirai franchement que, dans l'opinion générale, l'institution chez nous ne répond pas au but ; surtout en ce qu'elle coûte trop.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le nombre des élèves va toujours en croissant. N'est ce pas la preuve que les parents sont satisfaits de l'enseignement !
M. de Haerne. - Mais un grand nombre des élèves n'appartiennent pas à la campagne.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pardon !
M. de Haerne. - Il y a beaucoup de jeunes gens des villes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Au contraire, ils sont presque tous de la campagne. Vous n'en savez rien !
M. de Haerne. - Je le sais fort bien !
Mais, M. le président, qui a la parole, M. le ministre de l'intérieur ou moi ?
M. Delehaye. - Vous avez la parole, M. de Haerne ; mais je vous ferai observer que c'est le budget des affaires étrangères qui est en discussion.
M. de Haerne. - Je le sais : aussi, ai-je dit que je n'entrerais pas très avant dans la discussion. Répondant à M. le ministre de l'intérieur, je me suis borné à dire que je ne critiquais pas d'une manière absolue les écoles d'agriculture, mais que, d'après les renseignements qui me sont parvenus, elles ne remplissent pas entièrement le but.
M. de Perceval. - Ce sont les renseignements des curés !
M. de Haerne. - Je ne citerais pas en cette matière de telles autorités. Je parle d'après les comices agricoles.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Il s'agit du budget des affaires étrangères.
M. de Haerne. - Oui, comme tout à l'heure, lorsque M. le ministre de l'intérieur traitait au long ce que je touche en un mot. Sans les interruptions, j'aurais fini depuis longtemps.
Je regrette de ne pouvoir me joindre à M. Coomans relativement à un point qu'il vient de traiter. Cet honorable membre a appelé l'attention de la chambre sur la protection de l'agriculture, que je trouve comme lui insuffisante. Il a fait ressortir l'inégalité entre le système de protection accordé à l'agriculture et à l'industrie manufacturière. Ici nous sommes d'accord. Mais je craindrais d'entrer dans la voie indiquée par l'honorable membre, je craindrais de recourir à des remèdes héroïques pour rétablir l'équilibre entre ces deux intérêts, l'intérêt agricole d'un côté, l'intérêt industriel de l'autre.
Je craindrais de bouleverser des industries, de faire naître des catastrophes. Je ne veux pas tuer l'industrie manufacturière, par le libre échange, pour la ressusciter par après.
Ce qu'il y a à faire, à mon avis, c'est de signaler l'injustice, de faire appel à l'équité de la chambre et du pays, et d'attendre de l'avenir que les opinions se fassent jour au sein de la chambre pour placer l'agriculture sur la même ligne que l'industrie.
Voilà ma manière de voir, et je n'oserais aller plus loin.
J'avais demandé la parole pour répondre à M. le ministre des affaires étrangères. Si je suis entré dans des détails, c'est uniquement parce que j'y été provoqué, et que je n'ai pas cru pouvoir passer sous silence certaines observations faites par quelques honorables préopinants.
J'avais donc l'intention d'adresser une demande à l'honorable ministre des affaires étrangères. C'est par rapport à la question qui a été traitée par l'honorable M. Rodenbach ; la question des toiles que j'ai déjà moi-même traitée plusieurs fois dans cette chambre relativement aux saisies qui se pratiquent à la frontière. Je ne veux pas répéter ce que j'ai dit à plusieurs reprises à cet égard. Je ne veux pas indiquer les moyens que j'ai signalés dans le temps et auxquels je pense que le gouvernement devrait recourir pour empêcher ces inconvénients, pour arrêter ce mal, parce que je crois que le moment d'approfondir cette question ne serait pas bien choisi à cause des négociations ouvertes avec la France.
Mais cependant, puisque l'honorable ministre des affaires étrangère a dit tout à l'heure que les toiles saisies ont été rendues aux industriels qui les ont réclamées, je crois devoir lui demander si ces toiles ont été rendues aux conditions que les industriels avaient le droit d'attendre, c'est-à-dire si l'on a exigé seulement le payement du droit à percevoir sur les toiles écrues ou bien celui du droit à percevoir sur les toiles blanchies.
D'après les renseignements que j'ai reçus de bonne source, je crois que c'est le dernier cas qui s'est présenté. Et même on m'a assuré que dans certaines occasions on avait fait payer une amende.
Je vous avoue que je n'ai pas une grande certitude à cet égard. Mais mes renseignements me viennent de bonne source et je désire que M. le ministre nous donne une explication à cet égard, afin d'éclairer le commerce et d'empêcher qu'il ne soit induit dans une erreur qui pourrait lui être très préjudiciable.
Voilà la question que j'ai l'honneur d'adresser à M. le ministre et pour laquelle j'avais seulement demandé la parole. Je serais heureux, qu'il pût y répondre d'une manière satisfaisante.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne sais à quel cas l'honorable membre fait allusion. Mais ce que je sais parfaitement, c'est que deux saisies on eu lieu il y a très peu de temps, qu'il a a eu pour les saisies appel à la commission des experts instituée à Paris, et que cette commission a déclaré que ces toiles étaient écrues. Aussi les réclamants n'ont-ils dû payer que les droits sur les toiles écrues. Je ne sais pas s'il y a eu d'autres cas qui se sont présentés.
M. de Haerne. - Il y en a eu d'autres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne parle que des deux derniers sources cas qui ont été examinés à Paris. J'ai reçu une lettre du négociant qui avait exporté des toiles déclarées blanches par la douane et reconnues écrues par la commission des experts. Ce négociant, qui appartient à la ville de Courtray, ayant vu dans un journal que l'on rapportait qu'il avait payé des droits trop élevés, m'a fait connaître qu'il n'avait payé que pour des toiles écrues.
M. de Haerne. - Il ne s'agit pas de celui-là.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Si M. de Haerne veut bien me donner des explications précises, je m'empresserai de prendre des renseignements. Lorsque des cas semblables se présentent, les réclamants doivent s'adresser au département des affaires étrangères et on examinera leur réclamation. Mais qu'un industriel ait payé les droits pour les toiles blanches lorsque ces toiles étaient écrues, cela me paraît tout à fait extraordinaire et croyable.
M. Rodenbach. - Lorsque j'ai voulu répondre de mon banc deux mots pour dire à M. le ministre des affaires étrangères qu'il était dans l'erreur lorsqu'il a parlé de navires belges se rendant en Angleterre, M. le président et le règlement m'ont dit que je n'avais pas le droit de dire ces deux mots ; j'en dirai peut-être maintenant plus de deux, mais ce sont l'honorable president et le règlement qui l'auront voulu.
Je répondrai donc à M. le ministre des affaires étrangères que j'ai dit que les navires belges allant en Angleterre ne peuvent pas y entrer, mais que j'ai voulu parler des navires belges chargés de marchandises sujettes à l'impôt. Or, cette assertion, je la reproduis. Lorsqu'il s'agit de marchandises imposées en Angleterre, nos navires ne peuvent rien y importer ; ce sont les navires anglais qui doivent venir prendre chez nous ces marchandises pour les exporter en Angleterre.
M. le ministre a cru me répondre victorieusement, mais je le défie de me prouver que nos navires peuvent exporter en Angleterre les articles qui y sont sujets à l'impôt ; et je crois que M. le ministre devra me donner raison et ne pas dire que ce que j'avance est une erreur complète.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je dois, avec regret, dire de nouveau à l'honorable membre qu'il est dans l'erreur. Nous exportons nous-mêmes en Angleterre une grande quantité de nos produits.
M. Rodenbach. - Qui ne sont pas imposés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Nous exportons en premier lieu des denrées alimentaires. La liste des articles qui ne sont frappes d'aucun droit eu Angleterre est très longue, et, comme l'honorable membre le sait probablement, ce sont précisément ces articles que nous exportons en très grande partie en Angleterre.
Sous ce rapport donc, nos navires peuvent tout aussi facilement entrer dans les ports anglais que lout autre navire.
Il y a, il est vrai, une certaine catégorie d'articles qui sont frappés de droits à leur entrée en Angleterre, lorsqu'ils y sont importés par navires belges.
La surtaxe est de 20 p. c. Mais cette surtaxe existe depuis 1825 et je suis étonné que l'honorable M. Rodenbach ait attendu jusqu'à ce jour pour faire continuellement des observations. Il y a quelques années les observations de l'honorable membre eussent été d'autant plus justes qu'elles le sont peu à l'époque actuelle, car alors il n'y avait pas en Angleterre dégrèvement, comme aujourd'hui, sur une masse d'articles.
M. Rodenbach. - Il vaut mieux tard que jamais.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Depuis quelques années, nos exportations en Angleterre ont augmenté de 200 p. c. et même davantage, puisqu'elles étaient en 1840 de 9,000,000 seulement et qu'elles sont actuellement de 36,000,000.
Voila la situation dans laquelle nous nous trouvons vis-à-vis de l'Angleterre. Du reste, nons desirons vivement faire un traité avec cette grande puissance. Je ne pense pas que l'honorable membre veuille que nous entrions en ce moment dans des détails sur ce point, puisqu'il y a une négociation ouverte, mais je ne serais pas embarrassé de lui dire sur quel pied est entamée cette négociation, et je suis persuade que la chambre approuverait le gouvernement.
M. Coomans. - Je serai très court et très modéré, quoique répondant à l'honorable ministre de l'intérieur.
Je n'ai dit qu'un seul mot des écoles d'agriculture, dont l'honorable ministre de l'intérieur vient de faire un si brillant éloge : Ce mot est qu'elles coûtent trop cher. C'est tout ce que j'ai dit : ce mot très inoffensif, autorise-t-il honorable ministre de l'intérieur à m'attribuer des opinions qui ne sont nullement les miennes ? L'autorise-t-il à dire que je suis un ennemi de la science agricole, que je vois de mauvais œil que des professeurs distribuent la science agricole à nos compatriotes ruraux ?
(page 1513) Je n’ai pas dit un mot de tout cela, et j’ai le droit de me plaindre des mauvaises insinuations que se permet M. le ministre. Ai-je dit encore, comme l’affirme l’honorable ministre, que je ne veux d’autre enseignement que celui qui est donnée par le clergé ? Vraiment, si l’honorable ministre n’avait pas besoin de fourrer le « clérical » dans toutes les discussions en guise d’épouvantail un peu usé, il ne l’auraot pas mis dans celle-ci. Je n’ai aps fait la moindre allusion à l’opinion que M. le ministre me prête. Si mon intention avait été de pas des écoles d'agriculture à propos du budget des affaires étrangères, j'aurais parfaitement pu dire qu'il faut une loi pour organiser l'enseignement agricole, j'aurais pu dire également que les écoles d'agriculture ne rendent pas des services proportionnés à ce qu'elles coûtent. J'aurais pu dire encore qu'il y a certaines de ces écoles qui n'existent plus faute d'élèves, après avoir brillé comme des météores très flamboyants mais très éphémères.
En réalité, voici ce que j'ai dit et l'honorable ministre n'y a pas répondu. J'ai dit à l'honorable ministre : Vous invoquez les écoles d'agriculture pour démontrer que l'agriculture est puissamment protégée ; mais l'industrie a ses écoles aussi, et quand les écoles d'agriculture seraient ce que vous affirmez qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas, quand elles rendraient tous les services qu'elles ne rendent pas, serais-je moins fondé à demander le surplus dont l'industrie jouit, la protection douanière ? L'industrie a ses écoles, ses expositions, ses croix d'honneur, ses médailles, ses publications, toutes choses que je ne blâme pas en elles-mêmes, mais toutes choses que je trouve ridicules, lorsque vous voulez pour l'agriculture les substituer à la protection efficace que vous accordez à l'industrie et au commerce.
Si vous voulez absolument des écoles d'agriculture, même au prix exagéré qu'elles coûtent, je ne m'y oppose pas ; mais donnez-nous ce que vous donnez en outre à l'industrie, c'est-à-dire la protection douanière, ou bien reconnaissez que votre économie politique a, comme votre politique, deux poids et deux mesures.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Ce n'est pas nous qui avons donné à l'industrie la protection douanière.
M. Coomans. - A coup sûr, vous ne l'avez pas inventée, vous en pouvez pas tout inventer, mais vous l'avez maintenue pour l'industrie et pour le commerce. Vous avez beau nous dire aujourd'hui que vous la supprimerez un jour, vous ne désarmerez pas nos plaintes, car ce jour peut être bien éloigné, en supposant qu'il figure dans notre almanach, et il serait intéressant pour la chambre et pour le pays de connaître enfin le résultat de vos longues réflexions sur le point de savoir quand le moment sera opportun pour l'application de vos principes.
Voilà l'injustice que nous signalons, ce que tout ami de la raison et de l'équité doit signaler avec nous comme une dangereuse hypocrisie.
M. le ministre a résolu de ne pas accepter mes observations pour ce que je les donne. Je lui ai dit que j'étais prêt à le suivre dans la voie d'un libre échange très mitigé ; au lieu de me remercier, il me répond que ce n'est pas dans l'intérêt public, que c'est pour agiter la chambre, pour agiter le pays, que je tiens ce langage. A quoi bon suspecter ainsi ses adversaires ? Eh ! il est si facile, M. le ministre, de travestir les intentions d'autrui l Cela est si facile et si peu convenable, que je m'abstiendrai de vous imiter.
Mon but n'est pas d'agiter la chambre ni d'agiter le pays en proposant la mesure que j'ai déposée sur le bureau tout à l'heure, et celles que je mé réserve de formuler plus tard. Mon but est bien simple, bien loyal, bien raisonnable, il est d'obtenir justice. Quand l'honorable ministre affirme que je ne l'obtiendrai pas, quoi que je fasse, je crois qu'il calomnie la chambre.
Quoi ! la chambre, après une discussion approfondie que nous provoquerons loyalement et qui sera loyalement acceptée, j'espère, la chambre ne se rendrait pas à l'évidence des choses ! Elle ne nous accorderait pas ce que la majorité semble désirer, ce que le ministre souhaite ; l'application mesurée du libre échange ! elle ne nous accorderait pas justice (interruption), justice, toujours justice !
- Un membre. - Oui, voilà notre politique.
M. Coomans. - Sur ce terrain, nous serons forts, et nous vous y défions. Nous vous défions avec des chances de succès, car nous ne serons pas seuls cette fois, comme dans l'affaire des successions en ligne directe ; mais nous serons appuyés par des hommes qui siègent dans vos conseils de guerre. Plusieurs de vos honorables amis sanctionnent la doctrine que je défends. Aujourd'hui l'honorable député d'Alost, dont vous ne suspecterez pas la loyauté, et à qui vous n'attribuerez pas des intentions hostiles, l'honorable M. Cumont a proclamé loyalement que le régime actuel, le vôtre, celui que vous voulez maintenir, est injuste et funeste au pays. Je ne suis donc pas seul sur la brèche, comme affecte de le croire M. le ministre, et si je voulais invoquer des votes antérieurs, des discussions antérieures, je citerais facilement un grand nombre de vos amis politiques qui sont complètement de notre avis. En effet, l'équité n'est d'aucun parti et vous ne méconnaîtrez pas impunément sa voix qui retentira au-dessus de nos querelles politiques.
Vous avez attaqué aussi les comices, m'a dit l'honorable ministre. Si je l'ai fait, messieurs, c'est bien à mon insu, car je ne me souviens pas d'avoir jamais critiqué cette institution, susceptible de rendre de vrais services, quand on la dirigerai au point de vue national ; mais je serais désireux de voir l'honorable ministre justifier son assertion plus que légère. Il n'en fea rien. Non seulement je n'ai pas blâmé les comices, mais j'ai beaucoup approuvé cette institution essentiellement pacifique.
L’honorable ministre invoque quelques mesures prises pour développer par le défrichement, et il ajoute : Vous êtes donc un ennemi du défrichement ! Encore une de ces insinuations systématiques et odieuses que M. le ministre se permet trop souvent envers nous.
Du tout, je ne blâme pas le défrichement, je pense vous avoir prouvé longuement le contraire ; je rends hommage à l'intervention du gouvernement en Campine. Hélas ! M. le ministre serait bien malheureux si, se mêlant de tout, comme il le fait, il ne réussissait pas à opérer par-ci par là quelque bien, surfont quand il a en mains la force créatrice, c'est-à-dire les millions de l'Etat.
L'honorable ministre a parlé ensuite du programme économique de l'opinion libérale publié en 1847. D'abord ce programme est excessivement large et vague quant au point qui nous occupe.
Il ne promettait pas de mettre l'agriculture hors du droit commun. Puis, est-il bien vrai, messieurs, que vous ayez marché dans une voie libérale en économie polilique, comme l'affirme l'honorable M. Rogier ? Je ne vois pas la moindre trace des grands efforts que vous auriez faits dans ce but. Je le répète, pas un seul droit de douane n'a été diminué, pas un seul, entendez-vous ?
Vous vous faites réellement la position trop facile ; vous dites : Je suis libre échangiste, mais je me réserve de fixer le moment d'appliquer mes principes. Vous cumulez ainsi les honneurs du libre échange avec le bénéfice de la prohibition. Songez-y, du reste, il s'est fallu de peu que ce moment solennel ne vînt pas et ne pût pas venir ; car enfin, si les honorables ministres n'étaient pas parvenus à rétablir dans leur camp l'homogénéité nécessaire à leur domination, l'application des principes de la liberté était fort compromise ou du moins ajournée pour bien longtemps.
Encore une fois, c'est un beau rôle que vous jouez : « Voilà mes principes ; les vôtres ne valent rien ; je vous appliquerai mes principes ; j'appliquerai les miens à mes amis, et vous pâtirez de cette double politique jusqu'à ce que, plus tard, je juge que le moment est favorable pour pratiquer la justice distributive ! » Tel est le fond de la pensée du ministère, tel est même le langage qu'il ose nous tenir !
L'honorable ministre dénature singulièrement ma pensée quand il me prête l'intention de jeter la perturbation dans l'industrie et le commerce ; n'ai-je pas dit soigneusement tout le contraire ? N'ai-je pas engagé le gouvernement à marcher lentement, progressivement dans la voie réparatrice que j'ai indiquée ? Est-ce que je viens demander la suppression de la protection dont jouissent l'industrie et le commerce ? Est ce que je viens demander qu'on la réduise à 3 p. c, chiffre de la protection accordée à l'agriculture ? Je me contenterais d'une réduction de 50 p. c.
Mais, ces 50 p. c., qui constitueraient encore une forte protection ; ces 50 p.c. ne seraient pas accordés par la législature, si nos justes réclamations si souvent et fermement répétées, ne la forçaient à se départir de votre étrange économie politique.
L'honorable ministre a cité deux faits pour démontrer qu'il a pris des mesures économiques très libérales. Il a diminué, dit-il, les droits de transit et il a facilité l'entrée de certaines matières premières étrangères pour être manufacturées à charge de réexportation.
Ces faits sont exacts mais, ne prouvent rien. En effet, de quoi me plains-je ? de ce que les cultivateurs à qui vous imposez le libre échange, sont obligés de payer à l'industrie de fortes primes pour les objets qu'ils consomment. Là-dessus vous répondez que vous avez facilité le transit, c'est-à-dire que vous avez facilité aux Anglais, par exemple, leurs importations en Allemagne.
Cela est vrai ; mais qu'est-ce que cela fait à nos classes agricoles ? Vous avez facilité, ajoutez-vous, l'importation de certaines matières, à charge d'en réexporter les produits ? Qu'est-ce que cela fait à nos consommateurs ? Ces matières ont été en quelque sorte manipulées dans un entrepôt fictif ; elles sont sorties du pays comme elles y étaient entrées, sans influer sur le prix de nos fabricats. En cela vous avez protégé l'industrie et le commerce, mais non l'agriculture.
Toutes mesures prises, tantôt au profit des étrangers, tantôt au profit de certaines manufactures belges, ont une tendance vers le libre échange, je le reconnais ; mais l'agriculture n'en a profité aucunement, rien n'est plus clair. Je parle consommalion, et vous me répondez transit et exportation. Est-ce logique ? le ministre de l'intérieur a cru pouvoir entretenir la chambre d'un projet de loi que je viens de déposer ; il paraît en avoir eu la première nouvelle sur le bureau ; je suis dès lors autorisé à en dire un mot.
Je propose qu'à partir du 1er janvier prochain nos villes cessent de percevoir sur les denrées alimentaires, sur la houille et sur le bois à brûler les fortes taxes locales qu'elles ont établies à leur profit. Vous annoncez d'avance vos dispositions hostiles. Vous me combattrez !
Comment combattrez vous ma proposition, alors que vous avez fait de si belles phrases contre l'impôt sur lesdenrées alimentaires ; alors que l'autre jour l'éloquent ministre des finances disait que toute taxe sur les denrées alimentaires était une diminution du salaire ! Quand je suis prêt à démontrer avec vous que, de l'état actuel des choses, résulte une diminution de salaire dans nos villes, et qu'ainsi ma proposition doit être a la fois utile aux campagnards et aux ouvriers, vous venez dire d'avance que vous combattrez cette proposition...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit un mot de cela.
(page 1514) M. Coomans. - J'accepte immédiatement votre rectification ; je croyais avoir compris que vous étiez résolu à combattre ma proposition de supprimer les taxes communales sur le pain et sur la viande.
Ma proposition, la voilà ; c'est l'application de vos principes et des miens : si j’ai toujours été proposé de frapper le travail étranger au profit du travail national, j’ai toujours été hostile à toute mesure qui frappait le travail national même. Or, quand vous voyez percevoir sur le pain belge des droits trois fois plus élevés que ceux que j'ai proposés dans le temps sur le blé étranger, comment ne pourriez-veus pas vous rallier à ma proposition ? Rien de plus évident que la justice de la mesure que j'ai proposée aujourd'hui et que, du reste, je saurai développer plus tard, dès que la chambre voudra m'entendre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n'ai pas dit que je combattrais la proposition de l'honorable M. Coomans ; je n'ai pas dit non plus que je l'appuierai. Nous examinerons la proposition ; si elle nous paraît inopportune, nous ne l'appuierons pas ; si elle nous paraît de nature à jeter la perturbation dans la situation financière de nos villes, nous la combattrons. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas jugé cette proposition.
Encore un mot. L'honorable M. Coomans est revenu en grande partie sur les assertions injustes de son premier discours. Voici en quoi se résumaient les reproches qu'il nous adressait, au nom de l'agriculture. Il prétendait...
M. Rodenbach. - La chambre n'est plus en nombre.
M. Delehaye. - N'interrompez pas, M. Rodenbach.
M. Rodenbach. - Mais la chambre n'est plus en nombre.
M. Delehaye. - Vous n'avez cessé, M. Rodenbach, d'interrompre pendant toute la séance ; si vous ne vous rendez pas à mon invitation, je serai forcé de vous rappeler à l'ordre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On n'était pas en nombre non plus, quand l'honorable ami de M. Rodenbach a parlé.
M. Delehaye. - Il est arrivé plusieurs fois qu'une discussion générale a continué alors même que la chambre n'était plus en nombre. Dans tous les cas, je constate que M. Coomans, qui a été écouté avec bienveillance, n'a pas eu devant lui un plus grand nombre de membres qu'il n'y en a en ce moment.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'honorable M. Rodenbach ne m'avait pas interrompu, j'aurais déjà fini.
L'honorable M. Coomans est revenu sur plusieurs assertions de son discours ; l'honorable M. Coomans se plaignait du gouvernementet l'accusant d'injustice envers l'agriculture, et en ajoutant que toute la protection accordée par le gouvernement à l'agriculture résidait dans la création d'écoles et que ces écoles ne valaient rien.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela ; j'ai dit qu'elles coûtaient trop.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi tout le système protecteur du gouvernement en faveur de l'agriculture consisterait à lui donner des écoles qui coûtent trop cher, qui n'ont pas l'approbatien de l'honorable M. Coomans ; l'honorable M. Coomans a bien voulu reconnaître cette fois qu'ayant des millions à dépenser, nous faisions quelques efforts qui n'étaient pas malheureux pour l'agriculture.
Cet aveu de la part de l'honorable M. Coomans me suffit ; c'est un grand effort qu'il a dû faire sur lui-même pour reconnaître que le gouvernement par hasard a pris quelques mesures favorables à l'agriculture.
En ce qui cerceine les écoles, elles ne coûtent pas trop cher ; avec une somme de 80,000 à 100,000 fr., nous faisons face à toutes les dépenses. Le nombre des élèves va chaque année croissant ; les parents ont plus de confiance que l'honorable membre dans l'enseignement agricole. S'il vient dans ces écoles quelques jeunes gens appartenant aux villes, quel mal y a-t-il à cela ? Mais la plupart des élèves de ces écoles appartiennent aux campagnes. Je répète que ces écoles, malgré le peu de sympathie qu'elles rencontrent dans une certaine classe, prospèrent et continueront à prospérer. J'ajouterai que si au lieu d'entourer ces écoles d'une injuste défiance, cerlaines personnes dans les campagnes voulaient les recommander aux parents, ces établissements ne feraient que gagner encore en importance et en utilité. Il ne faut donc pas jeter du ridicule sur les écoles agricoles ; il ne faut pas non plus les représenter comme le seul produit des efforts tentés par le gouvernement en faveur de l'agriculture.
M. Delehaye. - La chambre a chargé le bureau de nommer la commission spéciale qui doit examiner le projet de loi ayant pour objet d'étendre à la deuxième session de 1851 et à la première session de 1852, la dispense du grade d'élève universitaire en faveur des récipiendaires pour la candidature en philosophie et lettres. Le bureau a composé la commission ainsi qu'il suit : MM. Destriveaux, Adolphe Roussel, de La Coste, Dequesne, de Theux.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.