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Séance du 14 mai 1851
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delehaye, vice-président.)
(page 1341) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 2 heures 1/4.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Westoutre demande l'exécution du chemin de fer de Courtray à Ypres et Poperinghe par Menin et Wervicq. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal d'Aublain prient la chambre d'autoriser le gouvernement à donner à la société concessionnaire du chemin de fer d'Entre-Sambre et Meuse toutes les facilités possibles pour exécuter au plus tôt le train principal de cette voie de communication. »
- Même renvoi.
« Plusieurs propriétaires et habitants d’Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un impôt sur les vidanges. »
- Même renvoi.
« Le sieur Gilis, garde-bois à Messelbroek, demande l'autorisation de porter des armes dans l'exercice de ses fonctions. »
- Même renvoi.
M. Dedecker. - Messieurs, mon intention n'est pas de prendre part à la discussion qui a eu lieu relativement à la situation financière du pays ; j'aborde directement le projet de loi en discussion.
Lors des premiers débats auxquels a donné lieu le projet de loi, j'ai défendu avec conviction l'établissement d'un droit sur les successions en ligne directe et j'ai annoncé en même temps que je me prononcerais avec non moins de conviction contre le rétablissement du serment.
Mes convictions, à moi aussi, messieurs, n'ont point changé ; aujourd'hui encore je considère un droit sur les successions en ligne directe comme un droit légitime, juste, conséquent avec les autres droits de succession que nous avons établis ; et, pour ma part, je regrette sincèrement que M. le ministre des finances se soit arrêté à une demi-mesure ; j'aurais voulu ou qu'il représentât son projet de loi dans son ensemble ou qu'il renonçât complètement à toutes ses dispositions.
En effet, pourquoi M. le ministre a-t-il abandonné une partie de son projet de loi tout en maintenant l'autre partie ? Est-ce que ses convictions ont changé ? Non : il l'a dit lui-même. Est-ce une concession à l'opinion publique ? Mais alors je demande pourquoi l'on maintient le serment, car d'après moi l'opinion publique se prononçait avec autant d'énergie, au moins, contre le serment que contre le droit sur les successions en ligne directe.
J'éprouve donc un vif regret de voir M. le ministre renoncer au droit sur les successions en ligne directe, et ce regret est plus grand encore lorsque j'examine le motif de cet abandon.
En effet, ce motif n'est autre chose qu'une tactique parlementaire : c'est pour conserver intacte sa majorité qu'il renonce au droit sur les successions en ligne directe.
M. de Perceval. - Ce n'est qu'un ajournement.
M. Dedecker. - Cela n'est pas clair. Les uns prétendent qu'on a renoncé au projet, les autres soutiennent qu'on n'y a pas renoncé. Il aurait beaucoup mieux valu se prononcer une bonne fois à cet égard.
Pour moi, messieurs, la question du serment est autrement grave que la question du droit sur les successions en ligne directe.
A mes yeux, messieurs, le droit sur les successions en ligne directe a un profond caractère de justice, tandis que le serment a un caractère véritable d'injustice, d'inégalité.
Le droit sur les successions en ligne directe pouvait jeter quelque trouble dans les affaires des familles ; le serment jette le trouble dans les consciences.
Le droit sur les successions en ligne directe pouvait, selon quelques personnes, compromettre l'esprit de famille ; c'était là un résultat très problématique, très éventuel ; mais le rétablissement du serment aura inévitablement pour résultat l'affaiblissement du sentiment moral et religieux dans le pays.
Ainsi, messieurs, pour les trois motifs que je viens d'énumérer, le serment est, à mes yeux, beaucoup plus grave que le droit sur les successions en ligne directe.
Messieurs, avant d'examiner les conséquences du rétablissement du serment, il faut bien se pénétrer du caractère de cet acte, car hier encore, notre honorable président m'a paru ne pas bien comprendre l'essence d'un pareil acte.
Notre honorable président n'y a toujours vu qu'un acte de moralité. Mais évidemment le sernaeut, outre le lien moral qu'il renferme et qui est obligatoire pour tous, renferme encore et surtout un lien religieux, obligatoire seulement pour celui qui croit. C'est une pensée qu'on n'a pas fait assez ressortir et qui est immense dans ses conséquences. Ce lien religieux oblige seulement ceux qui croient ; et il s'agit ici, non pas seulement de croyants catholiques, il s'agit ici de tous ceux qui prennent leur religion au sérieux, à quelque culte, à quelque secte qu'ils appartiennent.
Cela est tellement vrai, que les philosophes grecs, les jurisconsultes romains, les publicistes proteslants combattent le serment tout aussi bien que les catholiques.
J'ai été, pour ma part, étonné qu'on îint demander ici la sanction religieuse, alors que, dans d'autres circonstances, on est venu dire que l'idée morale est complètement séparée et indépendante de l'idée religieuse, qu'on peut être parfaitement moral, sans obéir à aucune conviction religieuse ; cette opinion a été soutenue, entre autres, lors de la discussion de la loi sur l'enseignement moyen. Je m'étonne donc qu'aujourd'hui on commette l'inconséquence de ne plus s'en rapporter au seul élément de la moralité philosophique et d'invoquer la sanction religieuse. Tant il est vrai qu'à son insu on obéit involontaireraent à cette vérité de premier ordre, qui rattache la morale à la religion.
Maintenant que le caractère du serment est bien défini, je dirai que je repousse le serment pour trois motifs. D'abord le serment me paraît être en contradiction avec l'esprit et les tendances du siècle. En second lieu, le serment aura des effets désastreux pour les contribuables, sans utilité considérable pour le trésor. En troisième lieu, le serment aura des conséquences funestes pour les intérêts moraux les plus élevés du pays.
Je dis d'abord que le serment n'est pas en rapport avec l'esprit et les tendances du siècle. Peu de mots me suffiront pour la démonstration de cette vérité.
Le serment suppose essentiellement deux choses : d'abord, une grande vivacité du sentiment religieux, et, d'autre part, l'imperfection, l'insuffisance des institutions civiles. Aussi voyez les époques où le serment a été surtout introduit dans toutes les parties de la législation ; vous rencontrerez toujours ces deux motifs qui expliquent l'usage du serment, c'est-à-dire la vivacité des sentiments religieux et l'imperfection des institutions et des lois.
Aujourd'hui ces deux motifs disparaissent complètement. Je crois inutile d'insister là-dessus. Il est évident pour tous que, d'une part, le sentiment religieux s'en va s'affaiblissant, et que, d'autre part, nos institutions ont atteint un haut degré de perfection.
Il faudrait, disait hier notre honorable président, pour être conséquent, abolir le serment partout où il est en usage. Je ne reculerais pas, quant à moi, devant cette conséquence, je crois que ce serait très logique. Je conçois que là où il existe on le conserve ; mais s'il fallait changer ce qui existe, il faudrait plutôt viser à restreindre le serment qu'à l'étendre.
D'ailleurs le serment offre-t-il beaucoup de garanties ? L'honorable M. Lelièvre vous a dit (son expérience lui en fournit la preuve) que le serment ne constitue pas une garantie, que les faux témoignages se multiplient dans une proportion effrayante ; il a cité un ancien magistrat qui, une seule fois en sa carrière de quarante ans, a vu une partie reculer devant la prestation du serment pour assurer ses prétentions. Au criminel, on jure de dire toute la vérité, et tout le monde sait que rarement on la dit tout entière.
Le serment politique, aux yeux de qui constitue-t-il une garantie ? Le serment politique a été tellement prostitué, surtout depuis un certain nombre d'années, à cause des événements qui se sont succédé, que le fonctionnaire peut compter ses années de service par le nombre des serments qu'il a prêtés. Vous vous rappelez les vers énergiques par lesquels on a flagellé ces parjures dont étaient encombrées les assemblées législatives. Vous vous rappelez les spirituelles plaisanteries faites sur l'expression : « prêter » serment.
Tous ces faits ne prouvent-ils pas que le serment ne constitue plus une garantie véritable, et que les raisons qui le légitimaient n'existent plus ? La tendance des esprits n'est plus assez religieuse ; d'autre part les lois, se perfectionnant sans cesse, permettent de se passer de cette soi-disant garantie.
Ainsi, messieurs, il faudrait plutôt s'appliquer à restreindre l'usage du serment qu'a l'étendre, car proclamer aujourd'hui l'utilité du serment, c'est proclamer l'impuissance des institutions et des lois ; c'est rétrograder vers des époques avec lesquelles on ne voudrait pas être accusé d'avoir des sympathies sous d'autres rapports ; en effet, rétablir le serment, autant vaudrait retourner au combat judiciaire. La pensée n'est pas de moi, elle m'a été suggérés par M. d'Esterno, auteur d'un mémoire qui a été couronné par l'Académie des sciences morales et politiques.
Voici comment il s'exprime :
« Les hommes d'aujourd'hui s'indignent quand ils pensent au combat judiciaire autrefois en vigueur. Quoi de plus absurde, disent-ils, que de faire dépendre le succès d'une affaire du hasard des armes et de l'adresse d'un spadassin ! Les abus du combat judiciaire étaient inexcusables, mais ceux du serment lesont bien plus encore. Le jugement de Dieu était un avantage accordé au plus fort ; le serment est un avantage accordé au plus immoral. Or, bien que la force ne doive pas être avantagée aux dépens de la justice, il est plus absurde encore de faire du mensonge cumulé avec le vol un moyen de fortune. »
(page 1342) Je repousse le serment, en deuxième lieu, parce qu’il doit avoir inévitablement des effets désastreux pour le contribuable. Il est évident que la partie ne sera pas égale. Pour les uns, le serment sera une torture morale ; pour les autres, il ne sera qu'un jeu : et d'autant plus que le serment n'est plus comme autrefois entouré d'un certain prestige, de certains accessoires qui imposent. De là il résultera en fait une grande inégalité dans la part contributive de chacun à l'impôt. Cette inégalité existera d'abord pour les individus, parce que cela dépendra de leur degré de croyance, de moralité. Cette inégalité existera aussi entre les diverses classes de la société, et le poids en retombera surtout sur les petites familles bourgeoises, c'est aussi un résultat que je signale à votre attention.
Il est évident que pour les petites familles bourgeoises qui ne possèdent pas de propriétés immobilières, le serment ne s'appliquant qu'aux propriétés mobilières, portera moins sur les grandes fortunes composées surtout d'immeubles.
Ensuite, pour les grandes fortunes, l'appât de la fraude sera plus grand ; car, comme le disait dans son temps M. Dotrenge aux états généraux, les réticences sont d'autant plus probables qu'elles sont plus productives.
Enfin, dans les successions où il y aura des mineurs, le désavantage sera pour les mineurs, parce que le tuteur ou la personne qui gérera ces affaires, ne se trouvant pas intéressée personnellement à frauder, fera la déclaration complète, plus complète qu'on ne la fera lorsqu'on sera soi-même dans la nécessité de payer.
Ainsi, l'inégalité, vous l'aurez inévitablement, Or, l'inégalité en matière d'impôt, c'est une injustice. Nous porterons notre part dans la responsabilité de cette injustice ; car, lorsque le législateur, par l'expérience et par la connaissance du cœur humain, peut prévoir que la loi ne sera pas équilablement exécutée, il porte sa part dans la responsabilité de la fraude. D'ailleurs, l'inégalité signalée n'existerait pas, le seul soupçon que l'impôt ne pèsera pas également sur tous les contribuables, cette seule pensée serait encore un malheur.
Après cela, croit-on que le rétablissement du serment ait un grand caractère d'utilité, au point de vue du trésor, au point de vue des recettes ? Je crois bien que non. L'avenir le décidera ; car, ainsi qu'on l'a dit, si la moralité existe dans les masses, pourquoi exiger le serment ? Si vous croyez le serment nécessaire, cela même prouve peu en faveur de la moralité du pays, et permet de douter de l'efficacité du serment.
« Dans toutes les sociétés, dit Bentham (principes de législation), où l'on ne parvient pas à élever la parole à la dignité du serment, le serment lui-même ne sera plus qu'une vaine formule. »
Cette pensée a fait le fond des discours de presque tous les orateurs aux états généraux en 1817 : ils se sont tous, les libéraux en tête, attachés à développer cette même pensée.
« Si la morale, disait M. Dotrenge aux états généraux, a conservé beaucoup d'empire chez nous, les déclarations seront aussi véridiques que nos serments. Si nous avons dégénéré de nos antiques vertus, nos serments ne vaudront pas mieux que nos déclarations, et les exiger alors ne serait plus preuve de respect pour la morale et pour la religion, mais travailler au complément de la démoralisation. »
Le rétablissement du serment fût-il encore de quelque utilité au point de vue du trésor, faudrait-il se réjouir du triomphe de la fiscalité, quand ce triomphe s'achète si chèrement, c'est-à-dire au prix du sacrifice des plus sérieux intérêts du pays ? Car, et c'est ici le troisième motif pour lequel je repousse le serment, le rétablissement du serment serait essentiellement funeste aux grands intérêts nationaux et moraux du pays.
La moralité du pays, messieurs, serait menacée.
On a dit bien souvent : Il n'est pas bon de placer l'homme entre sa conscience et ses intérêts. Je le sais bien, c'est là une lutte de tous les jours ; l'homme, à chaque pas dans la vie, a à soutenir cette lutte. Mais ce n'est pas un motif pour qu'il s'y expose davantage, pour qu'on multiplie ces luttes ; et cela a été aussi le motif pour lequel l'honorable ministre des finances n'a pas appliqué le serment à la ligne directe ; il a voulu circonscrire le serment autant qu'il a pu. 1Ila voulu le servir à dose hioméopathique.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'en ai donné les motifs.
M. Dedecker. - Vous avez donné des motifs ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Péremptoires.
M. Dedecker. - Péremptoires ! Ils ne me paraissent pas tels. D'ailleurs, messieurs, remarquez bien que tout, dans notre société, est fait pour prévenir la fraude. Nous partons toujours du soupçon, nous partons toujours de la pensée qu'on peut sacrifier sa conscience à ses intérêts, et nous prenons des mesures en conséquence. Toutes nos lois n'ont pas d'autre but ; toutes ces mesures administratives, les contrôles, les inspections n'ont pas d'autre but.
En politique, messieurs, la loi sur les incompatibilités n'a pas d'autre but. On veut l'étendre aujourd'hui. Je ne vois pas, lorsqu'on commence par jeter un certain soupçon de corruptibilite sur les mandataires de la nation, pourquoi l'on ne pourrait pas aussi soupçonner cette même corruptibilité dans des régions moins élevées et prendre des mesures en conséquence.
L'article 127 de la Constitution a évidemment pour but de restreindre le serment. Cet arlicle a été provoqué par l'expérience que l'on avait acquise, pendant l'administration hollandaise, de l'abus que l'on pouvait faire du serment.
Un autre résultat, funeste pour l'ensemble du pays, c'est que le senti-ment religieix sera de plus en plus affaibli et faussé ; le respect pour la religion diminuera encore de jour en jour.
« Pourquoi, dit encore M. Bentham, pourquoi, puisque le serment n’est plus qu’une vaine formalité, pourquoi le prêter ? Pourquoi l'exiger ? A quoi sert cette farce ? La religion est-elle le dernier des objets ? Et si on la méprise à ce point, ne verra-t-on pas bientôt qu'on la paye trop cher ? »
L'influence religieuse, messieurs, qu'on aime tant à tracasser dans d'autres circonstances, dont on semble tant se délier dans d'autres parties de la législation ou de l'administration, cette influence religieuse ne sera-t-elle pas elle-même humiliée et compromise ?
L'autre jour, M. le ministre de l'intérieur disait qu'il ne voulait pas que le gouvernement apparût seulement aux yeux du peuple, comme gendarme ou comme percepteur des contributions.
Je demanderai, à mon tour, s'il est bien convenable, si c'est bien servir la dignité de la religion que d'en faire un supplément aux gendarmes et aux percepteurs de contributions.
Aussi, messieurs, le rétablissement du serment blesse profondément le sentiment national, 1814 et 1830 sont là pour prouver combien le serment est antipathique à nos mœurs. Ce furent deux manifestations non équivoques contre le serment, deux réactions solennelles contre l'étranger.
Ce n'est donc pas ici, messieurs, une question de parti ; c'est une question essentiellement nationale, et c'est à ce point de vue qu'il faut l'examiner. Aussi, messieurs, c'est au point de vue national que je me place encore un instant avant de finir, pour attirer votre attention sur la situation politique tout entière. On a examiné l'autre jour devant vous la situation financière, et certes cet examen était très important, mais il est bien plus important de dresser le bilan de la situation politique du pays.
Éh bien, messieurs, il est impossible qu'en face de toutes les éventualités politiques dont on a parlé, nous n'examinions pas cette question avec loyauté. Pour moi, messieurs, la situation du pays ne me rassure guère ; elle est pleine de menaces, au point de vue matériel comme au point de vue moral. Nos industries souffrent, par suite de crises inévitables, par suite des changements incessants dans notre système douanier ; elles sont compromises dans l'avenir par la dénonciation de nos principaux traités de commerce.
Dans la plupart de nos administrations, où l'on a voulu introduire des économies, avec de bonnes intentions, sans doute, le découragement a pénétré. Notre armée me semble singulièrement démoralisée. En ce qui concerne les intérêts moraux, notre politique semble vraiment être un retour au libéralisme de 1825, qui n'est pas du tout le libéralisme de 1830.
Ainsi, messieurs, de quelque côté qu'on se tourne au point de vue des croyances comme au point de vue des intérêts, il y a inquiétude dans les esprits ; il y a même souvent désaffection. Eh bien, dans de pareilles circonstances, avec de pareils éléments de malaise, je crois que le gouvernement ferait bien de renoncer au rétablissement du serment, c'est-à-dire de ne pas réveiller les anciennes passions, de ne pas ressusciter cet ancien grief national. Il serait désolant, il serait dangereux de soulever, dans un moment comme celui-ci, des questions religieuses qui ont, dans tous les pays, une immense gravité, mais surtout en Belgique où l'intérêt religieux se lie si intimement avec l'intérêt national.
M. Delfosse. - Messieurs, si je prends une deuxième fois la parole, ce n'est point pour rentrer dans les détails de la situation financière ; vous montreriez une impatience légitime. Ce n'est pas non plus pour traiter la question du serment, d'autres se chargeront mieux que moi de cette tâche délicate. C'est uniquement pour répondre en très peu de mois à ce qui me concerne dans le discours de l'honorable représentant d'Ypres.
L'honorable M. Malou s'est plaint hier de ce que je l'aurais attaqué personnellement, de ce que j'aurais dressé contre lui un acte d'accusation en règle, et il a vu dans cette attaque, dans cette accusation, une espèce d'anachronisme.
Parce qu'il n'est plus ministre, ce dont le pays ne se plaint pas, parce qu'il ne veut pas, dit-il, le redevenir, résolution très prudente dans les circonstances actuelles et dont je crois qu'il est inutile de prendre acte, l'honorable M. Malou paraît avoir des prétentions à l'inviolabilité ; il viendrait, dans cette enceinte, justifier, glorifier son passé, et nous devrions nous incliner, nous devrions aussi nous livrer sans défense, en le remerciant même de sa dextérité, aux coups de pointe (ce sont ses expressions) qu'il lui plairait de nous porter.
Comme nous n'admettons pas ces prétentions, comme nous nous permettons de mêler au lit de roses qu'il se fait quelques épines qui le piquent un peu, l'honorable M..Malou se courrouce, et il nous lance ce qui ressemble fort, je me sers encore de ses expressions, à des coups de pavés.
J'avais eu le grand tort de ne pas admirer le passé financier de M. Malou et de ses amis politiques, de réduire à leur juste valeur les éloges qu'il s'était décernés. J'avais surtout insisté sur ce point que l'on avait, sous l'ancienne politique, créé et laissé subsister des dépenses improductives, stériles et qu'on n'avait pas su les couvrir. Au lieu de répondre à ce point, ce qui serait, à la vérité, plus difficile que de se lancer dans un dédale de chiffres que peu de personnes comprennent, et auxquels on peut faire subir toutes sortes de transformations, au lieu de répondre à ce point, l'honorable M. Malou a récriminé contre moi. Il (page 1343) vous vous sied bien, a-t-il dit, de nous reprocher des dépenses ! N'est-ce pas vous qui maintes et maintes fois avez réclamé l'exécution de grands travaux d'utilité publique, qui auraient occasionné des dépenses bien autrement considérables que les petites rognures que vous vouliez faire aux budgets ? Voilà la réponse écrasante que l'honorable M. Malou m'a faite.
C'est vrai, messieurs, pendant que je reprochais à l'honorable M. Malou et à ses amis des dépenses improductives, stériles, j'en réclamais d'utiles, de productives, j'en réclamais qui devaient faire prospérer le commerce et l'industrie et, en enrichissant le pays par mille voies indirectes, rendre au centuple ce qu'elles auraient coûtées. Mais savez-vous, messieurs, comment je voulais couvrir ces dépenses ? Je voulais précisément les couvrir à l'aide de ces économies que M. Malou trouve bon d'appeler de petites rognures. Les dépenses inutiles consistant principalement dans l'exubérance du personnel, qui ont été rayées du budget par le ministère actuel, s'élèvent à 3,360,000 francs. Eh bien, avec une somme annuelle de 3,360,000 fr. on couvrirait l'intérêt et l'amortissement d'un emprunt d'environ 60 millions de francs, et avec 60 millions de francs on pourrait exécuter de grands, de bons travaux d'utilité publique.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Delfosse. - Voilà toute la différence qu'il y avait entre le système de l'honorable M. Malou et le mien. L'honorable M. Malou préférait des dépenses faites en pure perte ; j'aimais mieux celles qui étaient de nature à donner d'heureux résultats. L'honorable M. Malou avait une horreur instinctive pour les travaux publics ; je les regardais comme l'âme et la vie du pays. La chambre jugera entre ces deux systèmes.
Je n'en dirai pas davantage. Je prie, en terminant, l'honorable M. Malou de croire que je n'ai été guidé par aucun sentiment d'hostilité personnelle ; je rends toute justice à son talent. Si j'ai relevé ses paroles avec quelque énergie, c'est que la glorification d'un passé que nous avons combattu, que les électeurs ont condamné, eût été notre condamnation et celle du corps électoral ; nous ne pouvions pas décidément y souscrire.
Si j'ai un conseil à donner à l'honorable M. Malou, c'est de renoncer désormais à une justification impossible, et de se rappeler que
« Dieu fit du repentir la vertu des mortels ».
M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable préopinant a terminé son discours en disant que
« Dieu fil du repentir la vertu des mortels. »
Je crois que cette maxime, l'honorable membre ne l'a guère pratiquée jusqu'à présent ; en effet, il veut nous faire admirer tout ce qu'il a dit, tout ce qu'il a soutenu jusqu'ici ; en un mot, il ne cesse de glorifier tout son passé, et veut que jusqu'à ses fautes se transforment en lois. Chez lui, il y a impénitence finale, puisqu'il n'y a pas de repentir ; il lui sied donc, moins qu'à un autre, de le prêcher.
Vous avez entendu l'honorable membre dire qu'avec des économies dans les budgets, on pouvait faire 60 millions de dépenses, et l'honorable membre a avancé, dans une séance précédente, que ces dépenses étaient réclamées par le pays.
Pour mon compte, je sais une chose qui est réclamée par le pays, mais ce n'est pas ce que veut l'honorable membre. Ce que le pays réclame, c'est de maintenir la Belgique dans une position qui nous mette à l'abri de toutes les éventualités de la situation où se trouve aujourd'hui l'Europe. Ce que le pays réclame, c'est de ne pas désorganiser notre armée, dans le but de faire des travaux pour la ville de Liège.
Voilà ce que le pays réclame, et voilà ce que ne veut pas l'honorable membre qui a parlé immédiatement avant moi.
Pour mon compte, s'il s'agissait de dépenses destinées à remettre notre armée sur un pied respectable, sur un pied tel que nous puissions être à l'abri de toutes les éventualités politiques qui menacent l'Europe, je déclare immédiatement que mon vote serait acquis à ces dépenses, à toutes les mesures qui seraient nécessaires en pareil cas.
Mais de quoi s'agit-il ? Mal éclairé par les leçons de l'expérience, on veut grever le pays d'impôts nouveaux, pour faire des créations nouvelles ! L'on veut puiser dans la bourse de la Belgique, pour faire un cadeau à certaines localités, et l'on s'en vante ! L'on veut puiser dans le trésor des contribuables pour créer des travaux publics, dans l'intérêt de telle ou telle localité : et cela dans un moment où tous les yeux devraient se porter vers la défense du pays. Voilà ce à quoi je ne puis et n'ai jamais pu souscrire.
Comment ! vous reprochez à mon honorable ami, M. Malou, d'avoir été trop dépensier dans sa gestion financière ; vous lui reprochez d'avoir créé des dépenses improductives.
Mais, mon Dieu ! quelle est donc la grande dépense improductive qu'il a faite ? C'est le canal latéral à la Meuse, canal que vous n'avez cesse de solliciter avec instance ; et aujourd'hui vous venez lui reprocher de vous avoir accordeéce travail...
M. Delfosse. - Il a voté contre.
M. Malou. - J'en ai proposé l'ajournement, il est vrai ; mais ces dépenses sont en grande partie au passif des anciennes administrations.
- Un membre. - C'est M. Dechamps qui, comme ministre des travaux publics, a proposé le canal latéral à la Meuse.
M. Dumortier. - Soit ; mais l'honorable M. Dechamps est un des amis politiques de M. Maloujor, l'honorable préopinant a reproché à l'honorable M. Malou et à ses amis politiques d'avoir dilapidé les deniers publics dans des créations improductives ; eh bien, je signale au pays que la grande création improductive signalée par M. Delfosse est précisément celle que l'honorable M. Delfosse lui-même a sollicitée avec tant d'ardeur et qu'il reproche aujourd'hui à ceux qui lui ont fait cette concession.
M. Delfosse. - Elle sera très productive.
M. Dumortier. - C'est ce que nous verrons ; mais jusque-là vous n'avez pas le droit de reprocher à mon honorable ami d'avoir créé des dépenses improductives ; vous n'avez pas ce droit, alors que la dépense la plus improductive est due à vos sollicitations, à vos exigences.
Et maintenant on ne veut pas, dit-on, de dépenses improductives, et cependant l'on vient proposer 15 à 20 millions pour amener la dérivation de la Meuse 1 !
Voilà où l'on veut aller ; on veut bien désorganiser l'administration, désorganiser la justice, désorganiser l'armée ; et pourquoi ? Pour que la ville de Liège puisse déplacer le lit de son fleuve !
C'est là une singulière manière d'entendre les économies et l'intérêt public. Pour moi, partisan, comme l'honorable préopinant, des économies, je les entendais d'une tout autre manière. J'aurais voulu des économies, non pas pour les dépenser en nouveaux travaux, mais pour diminuer les charges qui pèsent sur les contribuables.
Loin de moi la pensée de venir demander à la chambre des dépenses nouvelles, de nouvelles constructions, des travaux nouveaux dans un moment où le pays a besoin de tout autre chose, dans un moment où le pays a besoin, avant tout, de songer, non pas à faire des dépenses de travaux publics, mais à se prémunir contre les éventualités d'un avenir qui n'est peut-être pas éloigné et qui peut menacer gravement notre nationalité. (Interruption.)
Le ministre des finances me dit que le meilleur moyen de conjurer ces dangers, ce sont les travaux publics. C'est là une erreur complète. Ce ne sont pas des travaux publics qu'il nous faut en pareil cas ; ce qu'il nous faut, c'est le travail dans les manufactures, le travail dans les ateliers.
Jamais les ouvriers des manufactures n'iront remuer la terre ; ils ne sont nullement propres à ce genre de travail.
Nous en avons eu l'expérience lors du chemin de fer de la Vesdre. Ceux qui profitent en pareil cas, ce sont les terrassiers des villages et non les ouvriers des manufactures.
Je le répète, ce qu'il faut pour maintenir le calme dans les villes, c'est de maintenir le travail dans les fabriques, c'est de faire en sorte que les ouvriers des manufactures ne doivent pas en sortir ; lorsque les ouvriers, restent dans les manufactures, vous n'avez à craindre ni émeute, ni désordres à l'intérieur. Et, pour cela, qu'allez-vous faire ?
Si nous en jugeons par ce que vous avez fait, nous avons tout à redouter. Vous avez été jusqu'à supprimer la minime prime qui favorisait l'exportation des produits fabriqués par les ouvriers des Flandres ; vous nous retirez ce mince avantage ! et vous, vous dévorez des millions dans votre intérêt privé, parce que vous regardez la Belgique comme un pays conquis.
Messieurs, je dirai quelques mots sur la situation financière. La situation financière n'est pas, comme l'a dit hier M. le ministre des finances, dans le découvert, elle est dans le déficit ; dans les discours que M. le ministre des finances a prononcés, il y a eu entre le découvert du trésor et son déficit une confusion que j'ai peine à comprendre. M. le ministre des finances doit savoir comme nous, qu'en matière de finances, le découvert et le déficit sont des choses tout à tout fait différentes.
Le déficit du trésor réside principalement dans les bons du trésor. Vient ensuite le découvert, c'est celui qui résulte de la balance de nos recettes et de nos dépenses par suite des crédits supplémentaires votés et non employés.
Il n'y a donc en réalité de déficit dans notre caisse que l'import des bons du trésor. Voilà le déficit. Or, les bons du trésor ne s'élèvent pas à 40 millions, mais à 15 millions, voilà le véritable déficit. Encore faut-il en tenir compte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'emprunt forcé !
M. Dumortier. - L'emprunt forcé n'est pas un déficit, c'est un emprunt.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a été employé à payer une partie des bons du trésor.
M. Dumortier. - Sous ce rapport vous avez créé un déficit aussi grand que celui qui existait à votre arrivée.
Il y avail, à votre arrivée aux affaires, une dette flottante de 25 millions, c'était beaucoup trop ; vous en avez amorti 15 par l'emprunt forcé, et on est depuis encore revenu, non pas à 25, mais à 30 millions : lors donc que vous attaquez d'une manière si injuste la gestion de vos prédécesseurs, vous devez faire sur votre poitrine un petit mea culpa ; car vous avez créé une situation semblable, pire encore que celle que vos adversaires vous avaient léguée, et cela indépendamment des deux emprunts forcés.
Le déficit, il faut évidemment arriver à le combler. Mais faut-il aller au-delà ? Oui, s'il est nécessaire de mettre l'armée sur un pied respectable ; non, s'il ne s'agit pas de mettre l'armée sur un pied de defénse possible, mais de doter certaines localités de travaux publics au détriment du trésor.
(page 1344) En finances, il faut que le gouvernement fasse en sorte que les dépenses ordinaires annuelles n’excèdent pas les recettes rdinaires annuelles. En effet, jusqu’en 1848, sauf l’exception dans les moments de calamité publique, jamais on n’a couvert des dépenses ordinaires avec des bons du trésor. Toujours les dépenses ordinaires ont été couvertes au moyen des ressources ordinaires du budget des recettes.
C’est, en effet, sur cette règle que doit reposer la gestion financière de toute pays bien administré. Depuis lors que fait-on ? à chaque instant on présente des lois de crédits extraordinaires, hypothéquées sur quoi ? Sur des vons du trésor, c’est-à-dire sur l’emprunt.
Une pareille marche est irrégulière et comprmet gravement les finances ; on substitue les bons du trésor, l'emprunt, en temps ordinaire, aux recettes ordinaires ; c'est une marche qui doit amener la ruine du trésor public.
Ainsi la situation des bons du trésor malgré l'amortissement de 43 millions opère au moyen de l'emprunt forcé, se trouvait, à la fin du dernier exercice, la même qu'en 1848. Elle la dépassait même de cinq millions de déficit. D'où cela vient-il ? Des dépenses extraordinaires qui ont été couvents au moyen de bons du trésor, ce qui est un vice fondamental, une détestable gestion financière. A côté des dépenses faites au moyen de bons du trésor viennent se placer les meures prises par le gouvernement. Quant au chemin de fer, le jour où vous avez établi un nouveau tarif du transport des marchandises qui a amené une perte de beaucoup de millions...
Je sais, M. Frère, que vous avez l'habitude de rire quand on vous présente des arguments auvqucls vous ne pouvez pas répondre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la vingtième fois que vous répétez la même chose.
M. Dumortier. - La vérité ne peut jamais être trop répétée ; je conçois qu'elle blesse vos oreilles ; ce n'est point pour moi un motif de la taire.
Toujours est-il que l'établissement de votre mauvais tarif, après avoir réduit de plusieurs millions les recettes du chemin de fer, a amené l'abaissement des péages sur le canal de Charleroy, ce qui a fait encore perdre annuellement au trésor une somme de 500,000 francs.
Il est évident que vous avez par là créé un déficit, et ce déficit provient de ce que, d'une part, vous avez fait des dépenses en dehors des ressources ordinaires et que, de l'autre, vous avez privé le trésor de revenus qu'il possédait. Est-ce que la Belgique a profité de l'abaissement des péages sur le canal de Charleroy et sur le chemin de fer ? Evidemment non, puisque le déficit qui en résulte vous devez le combler par des impôts.
Je vous le demande, messieurs, est-ce comme cela que gérerait sa fortune un père de famille ? Jamais un père de famille qui ne veut pas marcher à sa ruine ne s'est conduit de la sorte Vous avez abaissé le tarif des marchandises ; vous avez ainsi perdu une somme considérable. Vous avez beau dire que le produit s'élève aujourd'hui au taux où il était en 1847, avant la révolution.
Oui, mais si votre tarif n'avait pas été réduit par le fait seul de la progression constante qui s'est manifestée chaque année sur tous les chemins de fer, progression réellement mathématique, vos recettes se seraient élevées à 17 ou 18 millions. Vous avez donc amené un préjudice considérable au trésor ; et vous voulez que nous votions maintenant des impôts sur le peuple, non seulement pour combler le déficit que vous avez créé, mais pour faire des travaux publics ! C'est à quoi je ne puis consentir. Le gouvernement avait annoncé qu'avant de proposer de nouveaux impôts, il aurait proposé son projet de tarif du transport des marchandises.
Je demande comment il se fait que ce projet de tarif ne soit pas encore présenté, alors qu'on pourrait en tirer des recettes dont le trésor public a besoin. Mais je ne me fais pas illusion sur la recette que nous obtiendrons par le tarif des marchandises Quand il s'agira de relever un peu ce tarif, de le ramener à l'ancien taux en faveur du trésor, vous aurez contre vous le gouvernement, qui emploiera tous les moyens imaginables, comme il l'a fait à propos du tarif des voyageurs, pour empêcher que la chambre ne fournisse au trésor un revenu certain. Et quand il aura été vaincu dans la lutte, il dira que c'est nous qui avons été vaincus.
Ah ! M. le ministre, si nous avons été vaincus sur le terrain du tarif des voyageurs, vous l'avez été plus que nous, car votre système a été rejeté par l'assemblée ; elle a adopté, malgré vous, celui de M. Osy.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est votre système qui a été adopté.
M. Dumortier. - Je n'ai jamais présenté de système ; et celui de M. Osy que la chambre a admis est précisément celui que je proposais en 1842.
Au surplus, le système que a chambre a voté pourra être amélioré par la suite, et, je n'hésite pas à dire que c'est l'intention de toute l'assemblée ; lorsque ce tarif aura été appliqué de quelque temps, on pourra l'améliorer encore.
Quant au tarif des marchandises, pourquoi ne nous a-t-on pas présenté encore le projet de loi, qui nous est annoncé depuis un an ? Ce projet peut cependant donner les moyens d'améliorer considérablement nos recettes sans devoir pressurer le contribuable au moyen d'impôts nouveaux.
Quand le gouvernement rend des services, il n'est pas juste que le trésor soit constitué en perte. C'est par là qu'il faudrait commencer. Or vous avez vu dans le rapport de la cour des comptes sur l’exploitation du chemin de fer par l’Etat, que cette exploitation nous a coûté 45 millions de francs au 31 décembre 1848.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans tenir compte des recettes.
M. Dumortier. - Si vous ne connaissez pas mieux votre ministère et nos finances, je vnus plains, comme je plains le pays ainsi administré.
Comment donc voulez-vous établir des impôts nouveaux sur le peuple et constituer le trésor en déficit pour des services qu'il rend à des particuliers ?
Lorsque le gouvernement rend des services à des particuliers, lorsqu'il se fait exploitant, il doit d'abord, et avant tout, chercher à être indemne, et ce n'est que lorsqu'il est indemne pour les services qu'il a rendus, qu'il doit demander de nouveaux impôts sur le peuple.
Au reste, je reconnais que nous en sommes arrivés à un point où il est nécessaire d'adjoindre quelques augmentations de recettes à celles qui sont faites. Je ne suivrai point le ministère dans la ligne qu'il veut nous tracer. Lorsqu'il nous présentera des dépenses pour les travaux publics et des impôts pour couvrir les dépenses que ces travaux publics occasionneront, je déclare que je ne le suivrai point dans cette voie ; ce n'est pas le moment de faire entrer la Belgique dans une nouvelle période de ruine ; les travaux publics n'ont que trop ruiné la Belgique ; ils ne nous ont que trop coûté ; laissez faire les particuliers, l'Etat a fait sa part, elle a été très grande, laissez aux particuliers le soin de faire l'autre.
Si le gouvernement vient nous présenter de nouveaux travaux publics, je déclare, pour mon compte, que je n'y donnerai pas mon assentiment, parce qu'il faut empêcher que, dans un moment de crise, nous ne nous trouvions dans une telle situation financière que nous ne puissions en supporter le poids par notre propre faute.
Je voterai donc une partie des dispositions qui nous sont présentées, mais je n'ai qu'un point auquel je ne saurais donner mon assentiment, c'est d'abord l'impôt sur les successions en ligne directe (j'en ai donné mes motifs dans une autre circonstance) ; en second lieu, les dispositions relatives au serment. Lorsque nous en viendrons à ces articles, je me réserve de prendre la parole, mais pour le moment, j'ai voulu protester contre toutes ces nouvelles dépenses, dans lesquelles on veut entraîner l'Etat pour faire de nouveaux travaux publics vis-à-vis des événements qui peuvent surgir chaque jour. Je crois que, dans la situation où se trouve l'Europe, il serait beaucoup plus sage de songer à nous reposer un peu pour voir venir les événements, et faire en sorte que nos manufactures soient prospères, que nos ouvriers restent dans leurs ateliers, que nos manufactures puissent exporter les produits que le pays ne peut pas consommer. C'est là un point d'une importance excessivement grande. Si vous voulez assurer la tranquillité du pays, que nos manufactures puissent se maintenir au moyen de l'exportation, parce que dans des moments comme ceux qu'on nous a dépeints, il arrive nécessairement ce résultat fâcheux que la consommation n'est pas assez forte, que le pays ne consomme pas ce qu'il produit ; et s'il survient des crises, on arrive à ce résultat fâcheux que les ouvriers sont congédiés, et Dieu sait alors ce qu'ils deviendront !
Si vous êtes sages, faites en sorte de conserver les ouvriers dans les ateliers, et pour cela au lieu de vous livrer à de nouvelles et ruineuses entreprises, favorisez par tous les moyens possibles l'exportation du trop plein de la Belgique.
Voilà où il faut que nous arrivions, j'insiste sur ce point en présence des événements qui sont probables ; un second point, c'est de songer à notre armée, et pour mon compte, puisque le budget de la guerre nous est présenté, je serais fort heureux de savoir quand nous aurons un rapport sur la situation de l'armée, rapport qui nous a été promis pour cette session. Je crois qu'il est nécessaire que le pays sache enfin quelle position on veut faire à l'armée et que l'armée elle-même soit enfin tranquillisée sur son avenir.
C'est une considération d'une grande importance au sujet du vote que nous avons à émettre quant aux impôts, et la première de toutes ces choses, ce n'est point de songer à des intérêts de localité, mais de tout sacrifier pour l'avenir de la patrie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour répondre d'abord à la dernière question de l'honorable préopinant, en ce qui concerne l'armée, je dirai que ceux qui se posent, dans cette enceinte, comme les défenseurs de l'année ne devraient accepter qu'avec satisfaction, avec reconnaissance les efforts que fait le gouvernernent pour améliorer la situation financière du pays.
Voulez-vous assurer pour longtemps, assurer particulièrement pour l'époque critique qu'on traversera prochainement, voulez-vous assurer sur des bases solides la force de l'armée, son organisation, son existence ? Commencez, ainsi que nous vous l'avons souvent dit, commencez par asseoir sur des bases solides votre situation financière.
Ne fournissez pas des motifs plausibles à ceux qui vous disent : La situation financière est telle que si des économies ne s'introduisent pas dans vos dépenses, le pays pourra un jour avoir grandement à souffrir de cette situation Plus donc on se portera dans cette enceinte partisan ardent d'une armée forte, et nous sommes de ceux-là, plus on doit seconder les efforts du gouvernement, lorsqu'il vient demander de fortifier, d'améliorer la situation financière.
(page 1345) Je repousse ce que l’honorable M. Dumortier nous a dit, de la situation morale de l'armée. Il n'est pas vrai que l'armée se désorganise, se démoralise : elle a confiance dans le gouvernement et dans les chambres ; elle sait fort bien, quoi que de prétendus amis en disent, qu'elle n'a rien à craindre ni de l'action du gouvernement, ni de l'action des chambres. L'armée est aujourd'hui ce qu'elle était, il y a trois mois, il y a un an. Lorsque le résultat des travaux auxquels on se livre sera atteint, nous viendrons le communiquer à la chambre, et nous obtiendrons d'elle, je l'espère, la sanction des actes que nous aurons posés.
D'après le discours de l'orateur qui a parlé le premier, la situation du pays se présenterait sous un aspect déplorable, au point de vue matériel comme au point de vue moral. L'honorable préopinant a l'habitude, je le sais, de voir les choses d'un mauvais œil, sous un jour fâcheux. A diverses reprises, si la chambre s'était associée à ses discours, elle aurait laissé croire au pays qu'il éprouvait de vives souffrances, qu'il se démoralisait, qu'il se ruinait : mais la manière de voir de l'honorable préopinant n'est pas, n'a jamais été celle de la chambre : il s'est toujours placé dans une position tout individuelle, tout exceptionnelle, heureusement pour le pays.
Toutes nos industries souffrent, dit l'honorable préopinant. Je voudrais bien qu'il nous indiquât quelles sont celles de nos industries qui souffrent. Quant à moi, j'ai dans mon département les affaires industrielles. Je puis certifier que les industries dans leur ensemble ne souffrent pas ; qu'à aucune époque depuis vingt ans l'état industriel du pays n'a été plus satisfaisant.
J'attendrai qu'on veuille bien me démontrer le contraire ; qu'on veuille bien citer des faitsà l'appui de l'opinion contraire. Il est reconnu, je ne parle pas de la situation du pays au mois de mai 1851, mais il est reconnu que, dans ces derniers temps et notamment dans la dernière année, jamais la situation du pays n'a été plus florissante au point de vue industriel.
Qu'il y ait en ce moment une stagnation dans quelques industries, je le reconnais, je l'accorde. Cette stagnation existe dans tous les pays ; nécessairement la Belgique ne peut pas faire exception en toutes choses. Mais dire que notre industrie dépérit, c'est se livrer à une grande exagération ; c'est se présenter les choses sous un faux jour.
Lisez le tableau des exportations, et vous verrez que la plus grande partie de nos industries, presque toutes sans exceptions près, ont vu s'accroître leurs exportations.
On ne dira pas que l'industrie des armes souffre, que celle des clous souffre, que les verriers souffrent, que les draps souffrent, que le zinc souffre ; toutes ces industries très importantes suivent, au contraire, une marche ascendante.
Vous ne direz pas non plus que l'industrie cotonnière est en souffrance. Il y a du travail pour l'industrie cotonnière. Que l'honorable M. Dumortier se rassure. Je tiens d'une manière certaine que nous traverserons, quoi qu'il arrive, très facilement, très activement toute l'année que nous avons devant nous.
Il y a quelque ralentissement dans une de nos industries, dans l'industrie des toiles. Je le veux. Mais, messieurs, cette industrie a été pendant deux années dans un état très satisfaisant.
Et aujourd'hui encore on travaille, moins peut-être qu'en 1850, mais on travaille encore beaucoup relativement à ce qui se faisait il y a 3 ou 4 ans. Ainsi ne présentons pas la situation du pays sous ce jour fâcheux, sous ce jour menteur. Voyons le pays tel qu'il est. Je pense qu'en cela nous ferons acte de justice et de bon citoyen.
Le découragement, dit-on, est dans nos administrations ; il y a inquiétude, il y a désaffection. Il y a inquiétude, il y a désaffection dans certains esprits, dans certaines imaginations, je le reconnais. Il est fort désagréable pour certains esprits, pour certaines imaginations, et loin de moi de faire des allusions personnelles, de voir le pouvoir exercé depuis quatre ans par une autre influence que celle à laquelle il semblait dévolu pour très longtemps. Rien depuis lors ne nous semble avoir bien marché. Le pays a souffert, le pays est découragé, le pays s'est démoralisé. Eh bien, messieurs, l'on confond, qu'on me permette de le dire, l'on confond ici le pays avec une fraction du pays, avec ce que je puis appeler une minorité du pays, si je puis apprécier le pays par la conduite qu'il tient, et par le nombre des représentants qu'il envoie dans cette enceinte.
Les administrations sont démoralisées. Mais je voudrais savoir, messieurs, où sont les symptômes de ce découragement. Pour moi, messieurs, je puis en parler d'une manière compétente. Il est bien rare qu'un seul acte annonçant un dissentiment entre les administrations locales et le gouvernement se manifeste.
A la vérité, nous avons eu dans une localité de grands événements.
Le pays, les administrations sont dans un tel état d'irritation, de désorganisation, que nous avons vu une seule affaire, messieurs, une seule localité occuper à elle seule toute la presse pendant des mois. Enfin, elle a cherché à se faire jour dans cette enceinte. Nous-mêmes nous avons provoqué d'honorables orateurs à vouloir bien saisir enfin la chambre de tous ces scandales qui, a ce qu'il semblait, se commettaient dans la ville de Grammont.
On nous avait menace ; on nous avait annoncé de grandes discussions. Nous avons à notre tour engagé ces grands redresseurs de torts, ces grands ennemis du scandale à vouloir bien s'expliquer dans cette chambre. Jusqu'ici nous sommes toujours à les attendre. L'honorable M. Dedecker nous avait promis une discussion sur ce point. Peut-être l'honorable M. Dedecker a-t-il vu tout le pays dans la ville de Grammont, Eh bien, je puis lui assurer que même sur ce point il a vu les choses d'une manière inexacte.
M. Dedecker. - Ce n'est pas à cela que j'ai fait allusion.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Après avoir réformé la loi électorale, après avoir vu se réconcilier toutes les administrations communales ; après avoir vu se reconstituer toutes les administrations provinciales, nous pouvons le dire au risque de passer pour des admirateurs de notre propre politique ; mais enfin, il faut bien nous défendre, il faut bien défendre aussi le pays, nous dirons donc que depuis quatre ans, à aucune époque, il ne s’est présenté aussi peu de difficultés administratives ; que toutes les administrations concourent, au contraire, à la bonne marche des affaires, et que très peu de conflits viennent à se révéler dans la pratique. Il n’en était pas de même autrefois, où, à chaque isntant, nous voyions l’administration supérieure aux prises, non pas seulement avec les adminitrations des communes rurales, mais avec les administrations de toutes nos grandes villes.
Enfin, messieurs, il y a quelque chose de très inquiétant, de plus inquiétant que tout cela. Le libéralisme de 1825 se réveille, il règne, il gouverne.
Encore, messieurs, un pur effet d'une imagination effrayée. Je ne sais pas ce qu'on entend par le libéralisme de 1825. Je fus et je suis encore de ce libéralisme-là. Aux libéraux de 1825, les catholiques d'alors ne refusèrent pas de donner la main.
Les libéraux de 1825 comme ceux de 1830, n'effrayèrent point les catholiques, qui s'empressèrent de s'unir à eux lorsqu'ils se furent aperçus que, sans cet élément vivace, ils seraient pour longtemps, pour toujours peut-être, livrés à l'impuissance, à l'inanité de leur opposition.
Voilà donc le grand grief. Les libéraux d'anjourd'hui ressemblent beaucoup aux gouvernements intolérants d'autrefois.
M. de Mérode. - Du roi Guillaume.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Du roi Guillaume. Nous fermons les couvents ; nous sommes à la veille de fermer les églises.
M. de Mérode. - Pas encore.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas encore.
Nous chassons les milliers de petits frères qui avaient vécu jusqu'ici si tranquillement à l'abri de la Constitution. Nous interdison saux pères de famille d'envoyer leurs enfants dans les écoles étrangères. (Interruption.) Si vous aviez vécu dans le pays à cette époque, vous sauriez que cela se passait ainsi. C'est à l'honorable M. de Mérode que je m'adresse. Je réponds à son interruption. Nous exigeons de tous les instituteurs des certificats de capacité et de moralité. Nous ne permettons pas à certaines corporations d'exister, d'enseigner. Nous poussons l'intolérance jusqu'à repousser le clergé dans les établissements de l'Etat. Nous empêchons, messieurs, les brefs papaux de pénétrer dans le royaume sans notre autorisation.
M. de Mérode. - C’est du nouveau français : les brefs papaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous empêchons le pape de nommer les évêques sans la sanction royale. Nous interdisons aux évêques de nommer les curés, les desservants. Enfin, messieurs, nous refusons toute espèce de subsides aux églises, nous ne réparons aucun temple ; bientôt nous refuserons le salaire aux ecclésiastiques. Jamais, il faut l'avouer, on n'a vécu sous un gouvernement plus intolérant, plus exécrable, et c'est bien avec raison que les catholiques d'aujourd'hui, qui ressemblent beaucoup aux catholiques de 1825 et aux catholiques d'une époque plus éloignée, c'est bien avec raison qu'ils ont signalé à Rome le gouvernement belge comme digne d'une admonestation sévère.
Le gouvernement libéral répand dans le pays l'inquiétude et la désaffection. Déjà à trois reprises, le pays a eu à s'expliquer ; l'année prochaine encore ses sentiments pourront se manifester librement.
Le sentiment de désaffection est tel qu'il y a quelques jours à peine, nous avions, dans une localité importante, un sénateur à nommer ; l'irritation est telle, que pas une voix ne s'éleva contre le candidat présenté par cette opinion libérale dont on vient de dresser l'acte d'accusation. Mais, dira-t-on, le fait se passait dans une ville qui, depuis longtemps a la mauvaise habitude de se distinguer par son libéralisme, qui est entièrement vouée au libéralisme et qui a fini ou finira bientôt, si on n'y prend garde, par conquérir la Belgique entière.
Eh bien, passons dans d'autre ; localités ; allons d'une extrémité du royaume à l'autre ; voyons ces districts qui autrefois paraissaient entièrement, exclusivement dévolus a une opinion contraire. Nous avons eu aussi une élection de sénateur dans ces mêmes contrées qui bien longtemps avaient été préservés de la contagion libérale. Vous savez, messieurs, quel a été le résultat de la lutte. Voilà deux faits que j’oppose aux assertions de l’honorabe préopinant. Ce sont des faits tout récents, qui nous permettent de croire que le libéralisme qui se trouve représenté dans les chambres et au gouvernement n’est pas encore si affaibli, n’est pas encore si impopulaire qu’on voudrait bien le faire croire et surtout qu’on voudrait bien le rendre.
Ce libéralisme, messieurs, continuera la marche qu’il a suivie depuis 4 années. Il croit être dans la bonne voie, dans la voie de la modération, de la justice, du progrès vrai. Jusqu’ici, il peut le dire, le pays en grande (page 1346) majorité lui a donné raison. C’est, messieurs, parce que nous avons confiance dans le sentiment du pays que nous osons faire, que nous osons entreprendre ce qu'à une autre époque on n'osait point faire, on n'osait point entreprendre. Un ministère qui se croirait dépossédé de la confiance du pays ne viendrait pas proposer une augmentation d'impôts.
Il serait plus facile de continuer à vivre comme on a vécu depuis longtemps. Plus que les autres administrations, nous avons introduit des économies importantes dans les budgets ; mais nous ne pensons pas que notre mission fût accomplie, que notre devoir fût rempli, si nous ne cherchions pas à améliorer la situation financière dont le mauvais état a été signalé depuis si longtemps, sans qu'aucun remède efficace y fût apporté.
Le plus grand service, à notre sens, que le gouvernement et les chambres puissent rendre en ce moment au pays, c'est de l'assurer, de l'affermir financièrement contre les éventualités qui peuvent le menacer.
Ayons, messieurs, une bonne situation financière, et nous traverserons peut être plus heureusement encore que nous ne l'avons fait, les jours difficiles qui peuvent nous être réservés.
N'hésitons pas à le dire : le but des impôts que nous demandons est double : nous devons d'abord assurer l'équilibre dans nos budgets. Aussi longtemps que cet équilibre n'existera pas, vous serez exposés, chaque année, à voir remettre en question les dépenses les plus essentielles peut-être à l'indépendance du pays.
Nous devons, en outre, améliorer la situation financière, parce que nous avons besoin aussi de prendre des précautions contre l'éventualité d'une cessation dans les travaux particuliers.
Il y a trois ans, messieurs, ne l'oubliez pas, au moment où cette crise violente est venue nous surprendre tous, on a prodigué l'argent du trésor au gouvernement, pour qu'il en fît en quelque sorte l'usage qui lui conviendrait. Il s'agissait alors de donner du travail, de maintenir, comme on le disait, l'ordre par le travail. Nous devons être en position de renouveler, s'il le faut, ce qui a été fait avec tant de succès à une autre époque. Ayons des finances améliorées ; ayons en réserve 60, 80 millions, s'il le faut, de travaux publics, et le pays saura supporter, sans danger pour lui, les nouvelles crises, qui pourraient le menacer.
Et n'y eût-il pas à redouter des crises nouvelles, je dirai qu'il faut encore que le pays fasse des dépenses en travaux publics.
Plusieurs travaux importants sont suspendus ; ils ont absorbé des capitaux considérables qui aujourd'hui trouvent dépensés en pure perte pour le pays. Il faut, au moins commencer par achever ces travaux considérables, qui sont restés suspendus au grand détriment de nos finances.
« Il ne faut pas de travaux publics, nous dit-on, il faut encourager le travail dans les manufactures. »
Messieurs, il faut encourager le travail partout, dans les manufactures comme dans les champs, les travaux particuliers comme les travaux publics. Mais l'on sait fort bien que c'est précisément à des époques critiques que les travaux manufacturiers venant à faire défaut, il faut chercher de nouvelles sources de travail, il faut procurer aux bras inoccupés de nouveaux travaux, au lieu de ceux qui viennent à leur manquer dans les manufactures.
« Il ne faut pas de travaux publics, parce qu'ils ont ruiné le pays. » Voilà jusqu'où l'on pousse l'exagération de l'opposition !
Les travaux publics n'ont pas ruiné le pays ; ils ont enrichi le pays ; ils continueront à l'enrichir. Mais si le pays s'abstenait d'améliorer ses voies de communication, alors que, dans les pays voisins, on voit travailler avec tant d'ardeur à ces améliorations alors, croyez-le bien, il y aurait là un très grand danger pour l'industrie même du pays.
L'on veut favoriser le travail manufacturier et en même temps, l'on propose de rendre plus onéreux les moyens de transport ! Voilà une singulière politique industrielle.
« Il faut favoriser le travail manufacturier, dit-on, mais plus de travaux publics ; et quant aux voies de communication existantes, puisqu'elles transportent les voyageurs et les marchandises, les hommes et les choses, à des tarifs modérés, afin de mieux protéger l'industrie, nous allons rehausser autant que nous pourrons le tarif des voyageurs et celui des marchandises. »
Singulier procédé pour encourager le progrès de l'industrie nationale !
Ma position personnelle me permettra aussi de relever un autre reproche dont il est facile d'apprécier la portée et le but : « Il faut beaucoup de millions pour favoriser une localité ; il faut grever le contribuable pour obtenir la dérivation de la Meuse. »
Etranger depuis longtemps à la ville de Liège, je n'ai nul intérêt politique ou autre à sacrifier quoi que ce soit à cette localité. Mais je dirai qu'il y a une haute injustice de la part des hommes sincèrement dévoues à la nationalité belge, aux intérêts nouveaux nés de la révolution ; qu'il y a injustice, ingratitude à traiter avec si peu de bienveillance uue ville qui après tout a rendu de signalés services à la cause de la révolution, qui a été la première à soutenir, à seconder le mouvement national.
Est-ce parce que cette ville s'est émancipée politiquement la première qu'il faut aujourd'hui lui porter cette espèce de rancune ? Est-ce parce qu'elle a su prospérer par le travail et l'ordre depuis vingt ans qu'il faut jeter à ses représentants cet éternel reproche de vouloir ruiner le pays au profit de leur localité ? S'il y a un travail utile à exécuter, non dans l'intérêt de la ville de Liège mais dans l'intérêt des industries si importantes qui s'y sont développées, la chambre n'hésitera pas à voter ce travail utile'. On examinera successivement les divers travaux qui devront être exécutés. Nous ne sommes pas disposés à dissiper à la légère l'argent des contribuables dans des travaux publics.
Vous aurez à examiner chacun des travaux qui vous seront présentés. Je n'en doute pas, si on veut renfermer la question dans le simple cercle des intérêts administratifs, et s'abstenir d'y faire intervenir les passions politiques, nous pourrons parvenir à nous entendre et à procurer au pays la somme de travaux publics dont il a encore besoin. Remarquez qu'il ne s'agit pas de travaux publics à exécuter en six mois ou un an, mais échelonnés sur plusieurs excrcices, de manière que le pays ait une longue sécurité dans l'avenir.
Personne, dans cette enceinte, ne peut se montrer en principe l'adversaire des voies nouvelles de communication. Quand la localité qu'on représente est amplement pourvue, n'a plus rien à désirer, on peut se montrer indifférent ; quand pendant des années on n'a cessé de faire entendre des réclamations et des récriminations en faveur d'un chemin de fer et qu'on a fini par l'obtenir, je conçois qu'on examine d'un œil indifférent les différents travaux publics qui restent à exécuter. Mais dans un pays comme le nôtre, il faut de la justice distributive ; il faut que chaque localité successivement reçoive les améliorations dont elle est susceptible.
Si, messieurs, la chambre pense que le moment n'est pas venu d'achever les travaux publics qui restent suspendus, de commencer les voies de communication dont le besoin s'est fait sentir depuis des années, eh bien, lorsque la chambre aura fourni les moyens de combler le déficit, si en effet elle juge que le moment n'est pas venu d'entreprendre de nouveaux travaux et d'achever les travaux momentanément suspendus, elle pourra refuser les moyens de faire face à ces dépenses éventuelles.
Le ministère aura à apprécier ensuite la conduite qu'il aura à tenir. En ceci encore nous pouvons dire que nous faisons du la politique nouvelle ; nous venons, au risque de jeter une certaine agitation dans le pays, de fournir des armes à nos adversaires, nous venons aborder courageusement la situation financière ; nous voulons établir un équilibre sérieux, un équilibre réel entre les recettes et les dépenses.
En second lieu, nous voulons continuer ce qui a fait en grande partie la force et la prospérité du pays, mais avec cette différence que nous voulons assurer d'avance les moyens d'exécution, que nous voulons asseoir les travaux sur des ressources réelles, non sur des ressources fictives, éventuelles, comme on l'a fait à une autre époque. Voilà le plan financier du cabinet combiné l'exécution des travaux publics.
La chambre, nous l'espérons, nous suivra dans cette voie que nous croyons indiquée par les vrais intérêts du pays.
Si, je le répète, la majorité en jugeait autrement, si elle croyait qu'il n'y a pas lieu de rétablir l'équilibre dans les finances, de mettre le pays en garde par un approvisionnement de travaux publics, contre de fâcheuses éventualités, la majorité déclarera par là que le ministère adopte une marche qui ne lui convient plus, et qu'elle n'est plus disposée à le suivre et à l'appuyer.
M. Osy. - Messieurs, hier notre honorable président a cité quelques paroles que j'avais dites en 1844. Depuis cette époque, connaissant comment on éludât les droits dans les déclarations de succession en ligne collatérale pour ce qui concerne le mobilier, j'avais dit que le gouvernement devrait trouver un moyen pour faire payer également et pour le mobilier et pour les propriétés immobilières. Depuis que la loi a été présentée en 1848, j'ai écouté avec grande attention toutes les discussious qui ont eu lieu à ce sujet ; j'ai lu également avec grande attention le rapport de l'honorable M. Deliége et j'ai été convaincu que nous ne pouvions pas adopter la proposition du gouvernement.
L'honorable président, en citant mes paroles de 1844, a voulu faire ressortir une différence entre mes principes d'alors et ceux que je défends aujourd'hui. Mais il aurait pu également citer des actes du gouvernement actuel et les comparer à ceux du gouvernement. En 1830 au début de la révolution l'honorable M. Rogier s'est empressé d'abolir le serment, et aujourd'hui il revient de son opinion de 1830 et propose de rétablir ce serment par le projet de loi actuel.
Il me semble qu'il y a une différence entre un député qui émet une opinion et les actes officiels que je viens de citer. Ces sont ces faits que l'honorable président aurait dû citer, s'il voulait constater un revirement d'opinion.
Pour moi, je crois qu'effectivement ce serait un malheur pour le pays, qui a été habitué, pendant vingt ans, à ne pas avoir de serment pour les (page 1347) successions, de le voir rétablir aujourd'hui, d'autant plus que vous voyez que l'on se récrie plutôt encore contre le serment que contre le droit sur les successions en ligne directe.
Je sais bien que l'on me dira que le serment que l'on établit aujourd'hui n'est pas le même que celui qui existait sous le gouvernement des Pays-Bas. Mais si je devais choisir, je préférerais celui-ci ; car le serment, tel qu'il est proposé, serait décisoire, c'est-à-dire que quand il aura été prêté, le gouvernement ne pourra plus poursuivre pour faux serment.., Ainsi l'on avait autrefois une double sanction : la sanction de la conscience, et des poursuites que pouvait intenter le gouvernement, dans le cas de faux serment ; tandis qu'aujourd'hui vous n'avez plus que la conscience ; vous n'avez plus l'intervention du fisc. Je préférerais donc le serment autérieur à 1830.
Je crois pouvoir dire qu'il n'y a pas eu, de ma part, grand revirement d'opinion : c'est une idée que j'ai émise en 1845 ; aujourd'hui que je suis appelé à émettre mon vote, je dis ce que je pense d'après la discussion de 1849 et la discussion actuelle qui m'ont éclairé. Sous ce rapport, je suis tranquille, je suis plus convaincu encore aujourd'hui que je ne l'étais il y a trois jours quand j'ai pris la parole.
J'avoue que toute la discussion qui a lieu depuis quelques jours sur les causes de notre situation financière n'a guère avancé la question. C'est de la situation actuelle qu'il faudrait s'occuper.
Je crois avoir exactement fixé le découvert du trésor, en y comprenant les crédits qui ont été accordés et ceux qui sont demandés. Je crois que M. le ministre des finances reconnaîtra qu'à une centaine de mille francs près, les chiffres que j'ai indiqués sont exacts.
J'ai évalué le découvert à 25,500,000 fr.
D'où à déduire une somme de 5,500,000 francs qui n'est pas exigible de suite. Je veux parler de la dette envers la caisse d'amortissement, qui ne peut en faire usage d'après les traités existants.
Reste 20,000,000 fr.
Pour y pourvoir (intérêts et amortissement), il faut une somme de 1,500,000 fr.
Comme nous avons déjà porté au budget des voies et moyens de 1851 les intérêts des bons du trésor montant à 700,000 fr., nous n'avons plus à pourvoir qu'à 800,000 fr.
Comme les budgets doivent présenter un solde environ de 2,200,000 fr., il en résulte que nous devons établir de nouvelles charges à concurrence de 3,000,000 fr.
A cet égard je voudrais savoir pourquoi l'on ne s'occupe pas d'une loi qui rapporterait 1,500,000 fr. Je veux parler de la loi sur la contribution personnelle. J'engage la section centrale et le gouvernement, s'il a des réponses à lui fournir, à se hâter le plus possible pour que la loi puisse être votée dans cette session et commencer à fonctionner à dater du 1er janvier prochain.
Je ne m'occuperai pas des nouveaux impôts à créer pour des dépenses à faire. Il est inutile d'en parler, puisque ces lois ne sont pas en discussion. Je veux seulement engager le gouvernement, s'il projette des travaux publics, à mettre en première ligne les travaux qui, faute d'être achevés, sont improductifs, et notamment le canal de la Campine, pour lequel il faut encore faire une dépense de cinq millions.
M. Vanden Branden de Reeth. - En prenant la parole dans cette discussion, mon intention n'est pas de me livrer à un nouvel examen détaillé et approfondi de la situation financière du pays ; d'autres membres de cette assemblée, plus experts que moi en pareille matière, ont déjà traité ce côté important de la question. Je désire seulement présenter quelques considérations générales pour expliquer la portée du vote que je compte émettre, je désire d'autant plus faire valoir ces motifs qu'ils me guideront en grande partie dans l'appréciation des divers projets de loi d'impôts nouveaux que le gouvernement nous annonce.
Un membre de cette assemblée nous disait, il y a quelques jours avec beaucoup de raison : de nouveaux impôts ne doivent être établis que lorsqu'il y a nécessité absolue, que lorsque cette nécessité est évidente pour tous, non seulement dans cette enceinte, mais encore en dehors de cette enceinte. A ces considérations fort justes, j’ajouterai que ces impôts ne doivent être créés que dans un moment opportun et lorsque le pays a pu se concraincre que tous ces sacrifices nouveaux que l’on veut lui imposer sont destinés à faire à d’indispensables besoins.
Pour fixer mon opinion à l'égard des propositions du gouvernement (et ici j'envisage la question de nouveaux impôts ) établir, sous un point de vue général), je me suis pose ces trois questions :
Y a-t-il nécessité absolue de créer de nouveaux impôts et cette nécessité est-elle évidente pour tous ?
Le moment choisi pour établir ces nouveaux impôts, est-il opportun ?
L'emploi qui semble réservé à une partie de ces ressources nouvelles se justifir-e-il par d'indispensables besoins ?
Le court examen de ces trois propositions vous fera connaître toute ma pensée. M. le ministre des finances, au début de la discussion, nous disait : il faut réduire le débat aux proportions les plus simples, il ne faut s'occuper maintenant que de nos recettes et de nos dépenses ordinaires ; laissez de côté les dépenses extraordinaires dont nous nous occuperons plus tard. Pour moi, messieurs, je ne puis accepter ce mode de procéder, notre situation financière doit être examinée dans son ensemble ; rétablir l’équilibre entre nos recettes et nos dépenses ordinaires, puis venir, sous prétexte que notre situation financière sera redevenue favorable, nous proposer une série de travaux considérés comme dépenses extraordinaires qui devront être couvertes à leur tour par des ressources extraordinaires, c'est là quelque chose de fort étrange, que, pour ma part, je ne puis m'expliquer. Quoi ! vous venez nous dire : Il me faut indispensablement deux millions et demi à trois millions, il y a danger réel a laisser nos finances dans l'état précaire où elles se trouvent ; de ces deux à trois millions dépend, en quelque sorte, votre salut. Puis immédiatement vous nous faites entrevoir des travaux qui coûteront au pays des sommes immenses ; vous vous glorifiez même, dès à présent, de la présentation d'un projet qui en comprend pour une somme de 70 millions et qui, mis à exécution, coûteront 100 millions !
Je l'avoue humblement, messieurs, je ne suis ni assez grand financier, ni assez profond politique pour m'expliquer de pareilles contradictions et je suis assez porté à croire que dans l'ensemble de l'opinion publique je rencontrerai ce même doute, cette même hésitation, j'ajouterai ce même étonnement, car nou savons en Belgique un petit nombre de grands financiers, un plus petit nombre encore d'hommes d'Etat et de profonds politiques, mais fort heureusement nous avons beaucoup d'hommes de bon sens et ceux-ci auront bientôt jugé une combinaison comme celle que je viens de vous signaler.
Je ne puis donc rester dans les limites tracées par M. le ministre des finances, je ne puis accorder isolément un impôt nouveau ou une aggravation de charges sans tenir compte de l'ensemble de la situation, et des vues du gouvernement pour l'avenir.
Que notre situation financière soit gênée, embarrassée, cela ne fait doute pour personne ; mais qu'il faille de nouveaux impôts pour améliorer successivement cette situation, c'est là une question sujette à diverses appréciations.
Il y a trois ans, lorsque j'eus l'honneur d'être envoyé pour la première fois dans cette enceinte, un seul cri se faisait entendre dans tout le pays : Economies ! Pas de nouveaux impôts ! Les circonstances sont-elles changées, et ne faut-il plus tenir compte de ce vœu si unanimement exprimé ? Je ne le pense pas ! Je pourrais dire au ministère : Et qu'avez-vous fait pendant ces trois années pour rétablir l'équilibre financier, pour améliorer notre situation, alors que, selon ses promesses, la seule présence aux affaires des hommes qui occupent le pouvoir devait nous ramener un nouvel âge d'or ? Vous avez réalisé péniblement quelques économies, tandis qu'en même temps vous tarissiez les sources de plusieurs de nos revenus. Ici je devrais répéter ce qui a déjà été dit relativement à l'abolition du timbre des journaux, mesure sans portée en Belgique, et due uniquement à la pression du dehors ; je devrais parler de la réforme postale, mesure que je ne blâmerais pas dans d'autres circonstances, mais qui a été inopportune en présence de notre situation financière, mesure qui, en définitive, n'a profité qu'aux grands commerçants et aux grands industriels qui pouvaient fort bien se passer de cette prime ; je devrais surtout vous rappeler l'abaissement des péages du canal de Charleroy, mesure qui a été rendue nécessaire par le bas prix excessif des tarifs de notre chemin de fer et qui, seule, occasionne au trésor un déficit de plus d'un demi-million. Et, chose étrange ! tandis que l'on diminuait ainsi nos ressources, ce n'est qu'en livrant plusieurs batailles et à la pointe de l'épée, que nous sommes parvenus à emporter un vote qui consacre une légère augmentation sur le prix du transport des voyageurs sur notre chemin de fer.
Dans la séance de vendredi, M. le ministre nous a cité les recettes nouvelles qui sont venues compenser les pertes que notre trésor a éprouvées, mais ces réformes incomplètes, ces améliorations peu importantes doivent-elles être considérées comme les seules auxquelles on puisse recourir sans demander de nouveaux impôts au pays ? Je ne le pense pas.
Je partage l'opinion des membres de cette chambre qui croient que l'on peut encore obtenir de l'exploitation de notre chemin de fer un produit supérieur. L'on nous annonce la présentation prochaine d'un projet de loi destiné à fixer le prix du tarif des marchandises, et déjà dans une séance précédente l'honorable M. Mercier nous signalait de simples mesures d'ordre administratif qui seules suffiraient pour augmenter nos recettes d'une somme très considérable. D'un autre côté l'on ne soutiendra pas qu'il n'y ait plus rien à faire pour augmenter les produits, et qu'il faille dès aujourd'hui inscrire en tête de nos tarifs la fameuse devise nec plus ultra. Je persiste à soutenir que le chemin de fer peut encore nous procurer de nouvelles ressources.
Messieurs, puisque nous parlons de ressources nouvelles, je dois aussi appeler l'attention de la chambre sur un fait qui me paraît étrange alors que chaque jour nous faisons des efforts pour améliorer notre situation financière.
Vous savez tous que le produit des mines constitue une partie de la richesse de plusieurs de nos provinces. Le revenu des mines a toujours été considéré comme un revenu foncier, et comment se fait-il qu'en Belgique la redevance de ce chef ne s'élève qu'à 200 et quelques mille francs ? Cet état de choses a déjà été signalé.
L'honorable M.Cools, dans le rapport sur le budget des voies et moyens de l'année 1849, s'exprime en ces termes : Le chiffre qui figure de ce (page 1348) chef, dans la liste de nos voies et moyens, est presque dérisoire, il faut bien le dire, comparativement à la valeur que représentent nos richesses minérales.
Lors de la discussion de ce même budget, dans la séance du 14 décembre 1848, M. le ministre des finances reconnaissait qu'il serait possible d'obtenir un produit plus élevé que celui qui figure au budget, niais depuis plus de deux ans l'on ne s'est plus occupé de cet important objet. La justice distributive exigeait cependant que l'on fît disparaître ce que je pourrais appeler un privilège en matière d'impôts : et lorsque la terre succombe sous le poids des charges, il me paraît que les propriétaires des mines devraient contribuer dans ces mêmes charges autrement que d'une manière dérisoire.
Messieurs, je ne puis m'empêcher de faire ici un rapprochement : dans les Flandres, pays essentiellement agricole, la terre matière première du travail, source principale de la richesse, paye largement l'impôt, et dans d'autres parties du pays où la valeur du sol est plus que doublée par les richesses minérales qu'il renferme, ce qui constitue une augmentation de valeur foncière, cette partie de la richesse publique est exempte de l’impôt et ne paye qu’une insignifiante redevance. Y a-t-il ici égalité de charge ? je soumets cette question à votre appréciation ; pour moi, je tire du fait cité cette conséquence que, sans que personne ait droit de se plaindre puisqu’il ne s’agit que de l’application d’un principe de stricte équité, l’on peut trouver ici pour le trésor une ressource nouvelle sans créer proprement un impôt nouveau, mais en régularidant un état de choses contraire à la justice distributive, qui veut l’égalité des charges entre les citoyens eu égard au revenu et à la valeur de leurs propriétés.
Du court exposé qui précède il résulte pour moi à l'évidence qu'il n'y a pas nécessité absolue de créer de nouveaux impôts.
Il me reste à examiner maintenant si le moment est bien opportun paur augmenter nos charges.
Messieurs, il y a quelque temps, lorsque l'on parlait dans cette chambre des dangers que cachait l'avenir, des éventualités qui pouvaient se présenter, de la nécessité de conserver une position forte, des précautions à prendre en vue d'événements qui pouvaient avoir en Europe un grand retentissement, des sourires accueillaient nos paroles, nous étions des pessimistes, nous évoquions des fantômes pour avoir le plaisir de les combattre. Maintenant que M. le ministre a bien voulu prévoir aussi de pareilles éventualités, nous aurons sans doute la permission d'en parler sans que le ridicule s'attache à nos paroles.
Pour nous démontrer la nécessité de voter de nouveaux impôts, M. le ministre des finances nous a parlé du danger qu'il y aurait à conserver une position financière plus ou moins gênée en présence des éventualités d'un avenir prochain. Examinons si le remède que propose M. le ministre est bien efficace et serait de nature à paralyser le mal.
M. le ministre nous demande d'abord deux à trois millions de ressources nouvelles pour son budget ordinaire, puis il nous fait entrevoir que nous aurons à voter soixante à quatre-vingts millions de ressources pour le budget extraordinaire, c'est-à-dire, pour les grands travaux qui nous seront proposés.
Je suppose maintenant pour un instant (et heureusement ce n'est là qu'une supposition) que les chambres accordent tout ce que demande le gouvernement, d'une part les deux à trois millions, d'autre part les soixante à quatre-vingts millions. L'équilibre financier étant rétabli, la situation financière se présentant sous un jour favorable, les grands travaux seront décrétés et bientôt ils seront mis à exécution, car chacun aidant, le partage du gâteau sera bientôt fait ; ici l'on demandera un canal, là un chemin de fer, ici certaine dérivation, là telle et telle route, etc., etc.
Mais qu'il survienne alors une crise en Europe, une de ces éventualités que vous-mêmes vous prévoyez, qu'arrivera-t-il ?où seront vos ressources.pour faire face aux événements ?
Demanderez-vous de nouveaux impôts ? Mais dès aujourd'hui vous cherchez à épuiser le pays !
Aurez-vous recours à l'emprunt ? Mais dans de pareils moments l'emprunt est impossible, et, d'ailleurs, ce moyen, vous en aurez déjà fait usage, car les fonds destinés à être absorbes par vos grands travaux seront sans doute le produit d'emprunts récemment contractés.
Le moyen, selon moi, de résister aux dangers qui peuvent nous menacer, c'est de ménager nos ressources en temps de paix et de tranquillité, c'est d'être avare des deniers des contribuables. Un exemple bien récent nous a prouvé que lorsqu'il s'agit de sacrifices, le pays n'hésite pas un instant à se les imposer, alors que la nécessite en est bien démontrée. Ce n'est pas pour un sacrilice d'argent que nous laisserions périr notre nationalité, nous ferions dans l'avenir ce que nous avons fait dans le passé. Mais pour que ce sentiment patriotique se développe dans le pays, sachez conserver sa confiance.
Lorsque vous ferez appel au dévouement de la nation entière, qu'elle sache que les sacrifices qu'elle s'impose sont nécessaires pour le salut de la commune patrie, et elle ne les refusera pas ; mais si elle s'aperçoit que les fonds mis à votre disposition doivent disparaître dans le lit d’une rivière ou être employés à l’exécution de travaux, au profit de quelques localités, oh ! alors vous aurez un jour un compte sévère à rendre de pareille dilapidation au pays désabusé !!!
Il me reste un mot à dire relativement aux grands travaux dont on nous menace et qui doivent de nouveau venir compliquer notre situation financière.
Je ne comprends pas, messieurs, lorsqu'il est évident pour tous que l'origine de nos embarras financiers remonte à l'exécution de nus grands travaux publics, l'on vienne aujourd'hui vous proposer de suivre les mêmes errements, que l'on vienne vous dire : Votez de nouveaux impôts pour rétablir un équilibre financier que demain nous sommes disposés à rompre de nouveau.
Déjà l'on se plaint de l'insuffisance des recettes du chemin de fer et parmi les travaux que l'on nous montre en perspective, il en est qui sont destinés à faire une concurrence fatale au railway de l'Etat, à diminuer par conséquent les recettes. Et, chose étrange, c'est le gouvernement qui prend pareille initiative et qui vient vous demander de détruire son propre ouvrage et de lui faire concurrence à lui- même ! Il y a là quelque chose d'inexplicable pour quiconque n'a pas la clef de pareilles combinaisons.
Un honorable membre de cette chambre, dont l'autorité est grande dans cette enceinte, nous disait, il y a quelques jours, avec beaucoup de raison : Le meilleur gouvernement est celui qui fait des dépenses nécessaires et utiles ; le plus détestable, au contraire, est celui qui fait des dépenses improductives et stériles ; en parlant de la sorte je pense que l'honorable membre se plaçait au point de vue des intérêts généraux du pays.
En me plaçant à mon tour sur ce terrain, je pourrais demander à mon tour à cet honorable membre : Lorsque vous aurez consacré des millions à telle dérivation, d'autres millions à tel chemin de fer qui viendra faire concurrence à celui de l'Etat, veuillez me dire quel avantage en retirera le pays ?
L'on nous dit encore, et c'est là un argument dont on cherche à tirer grand parti, que ces grands travaux publics exécutés par l'Etat sont décrétés dans l'intérêt du peuple, de la classe ouvrière ; mais permettez-moi de le dire, c'est là une amère dérision ! Car, interrogeons le passé, et que voyons-nous ? Quelques milliers de francs entrent à grand-peine dans la poche de l'ouvrier, et des millions vont s'engloutir dans les coffres des entrepreneurs, dont la rapide fortune étonne, j'allais presque dire scandalise le pays.
Voilà, en peu de mots le bilan des grands travaux entrepris par l’Etat.
Messieurs, résumant les considérations que je viens de faire valoir, je dirai que, pour moi, la nécessité de créer de nouveaux impôts n'étant pas démontrée, et que, n'ayant pas confiance dans les vues ultérieures du gouvernement relativement à l'emploi qu'il voudrait faire des fonds qui seraient mis à sa disposition, je voterai contre le projet de loi en discussion, qui consacre une première aggravation de charges pour le pays.
M. Mercier. - J'ai demandé la parole au moment de la discussion spéciale de la situation financière ; les débats ayant pris une autre direction, j'y renonce quant à présent, et me réserve de présenter, dans une autre circonstance, les nouvelles observations que j'ai à soumettre à la chambre sur cet objet.
M. de Mérode. - Au lieu de discuter la loi d'impôts nouveaux, M. Rogier, ministre de l'intérieur, anciennement maintenu membre de cette chambre, non par le libéralisme exclusif, mais par l'opinion libérale vraie qui animait la majorité du Congrès de 1830, majorité qui assura les justes libertés conformes à la nature humaine qu'on n'a pu nous ôter jusqu'ici, a beaucoup célébré le libéralisme que le roi Guillaume caressa longtemps et qu'il finit par s'aliéner par un hollandisme outré. Mais les hosanna de la politique nouvelle, simple réchauffé d'une politique antérieure à l'existence indépendante de la Belgique, n'ayant rien de commun avec les projets de nouveaux impôts, je ne leur opposerai point d'objections. Je les laisse pour ce qu'ils valent, et si le pays doit crier bravo, ce ne pourrait être en raison de nouvelles taxes prélevées sur les héritages qui se transmettent du père à ses enfants, du frère au frère, de l'oncle au neveu ; et pourquoi ? Parce qu'il plaît au charlatanisme qui a présenté les chemins de fer exploités par l'Etat comme un excellent moyen de suppression d'impôts, de réduire les péages pour transports de voyageurs et marchandises, de telle sorte qu'il faut mettre une part notable des frais qui en résultent à la charge des familles en les soumettant à de nouveaux droits de succession.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la chambre voudra bien se rappeler que je n'ai pas pris l’initiative de la discussion politique Deux orateurs ont placé la question sur le terrain politique, et l'on voudra bien permettre au ministère d'avoir la préemption de se défendre lorsqu'on l'attaque, d'avoir la hardiesse de rectifier les faits lorsqu'on les présente sous un faux jour. Voilà, messieurs, ce que j'ai dû faire en répondant à deux honorables préopinants.
Pour ce qui concerne le trait que l'honorable M. de Mérode vient de nous lancer, je lui dirai que le droit qu'il combat aujourd'hui, que le droit de succession sur la ligne directe a été indiqué, conseillé dans cette enceinte, pour la première fois, je crois, par l'honorable préopinant.
M. de Mérode. - Pas du tout.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il a été conseillé par l'honorable comte de Mérode, il y a dix ans, et je n'y pensais pas alors. Je suis un converti.
(page 1349) M. de Mérode. - Cela n'est pas exact. Citez l'occasion où j'ai parlé des successions en ligne directe. J'ai parlé une seule fois de la succession faite par l'héritier unique.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous le voulez, nous irons chercher le Moniteur,
Je dirai donc que je suis un de vos adeptes, que vous avez été le premier à soulever cette question, que vous avez indiqué la ligne directe comme pouvant fournir une très bonne ressource au trésor. Vous ne pouvez le nier.
M. de Mérode. - Je vous dis ce qui est. Ne dénaturez pas mes paroles.
J'ai indiqué un impôt sur les successions en ligne directe, lorsque l'héritier était unique et qu'il n'y avait aucun partage à faire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, vous avez dit cela, et je répète ce que vous avez dit.
Je me borne, messieurs, à ce peu d'observations.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
- Plusieurs membres. - La chambre n'est plus en nombre.
- D'autres membres ; - L'appel nominal.
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix par appel nominal.
58 membres prennent part au vote.
47 votent pour la clôture.
11 votent contre.
En conséquence, la discussion générale est close.
Ont voté pour la clôture : MM. Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Anspach, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, David, de Baillet (Hyacinthe), de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Denterghem, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Meester, de Muelenaere, de Pitteurs, de Royer, de Steenhault, de Theux, d'Hoffchmidt, Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lelièvre, Loos, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer et Verhaegen.
Ont voté contre la clôture : MM. Van den Branden de Reeth, Vermeire, Coomans, Dedecker, de Haerne, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de T'Serclaes, Dumortier et Thibaut.
- La séance est levée à 4 heures et trois quarts.