(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. Ansiau (page 744) procède à l'appel nominal à deux heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Namur prie la chambre d'instituer une commission de liquidation chargée d'aviser au moyen de décharger les villes des dettes qu'elles ont contractées pour la construction de routes dont le trésor public perçoit les revenus. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants d'Hekelgem demandent que le tirage au sort pour la milice soit remplacé par l'enrôlement volontaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Pollenus, juge de paix du canton de Herck-la-Ville, demande que, lors de la révision de la loi sur les dépôts de mendicité, on adopte une disposition qui prescrive que tout mendiant ou vagabond, arrêté dans un canton, soit, après l'expiration de sa peine, transporté au dépôt de ce canton. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 18 février, M. le ministre de l'intérieur transmet à la chamhre 108 exemplaires du rapport sur les opérations du drainage entreprises en Belgique pendant l'année 1850. »
- Distribution aux membres de la chambre.
« Le président de la cour d'appel de Bruxelles transmet à la chambre les observations de cette cour sur le projet de révision du livre Ier du Code pénal. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner ce projet de loi.
M. Dolez demande un congé pour cause d'indisposition.
- Ce congé est accordé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi ayant pour objet l'approbation d'un traité de commerce et de navigation conclu le 24 janvier dernier entre la Belgique et la Sardaigne,
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
M. Van Grootven, au nom de la commission des naturalisations, présente divers rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. Bruneau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi fixant un délai pour les réclamations concernant la remise de la contribution foncière du chef d'inhabitation.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport. La discussion du projet est fixée à demain.
« Art 1er. Les sociétés de secours mutuels qui ont pour but d'assurer à leurs membres des secours temporaires en cas de maladie, de blessures ou d'infirmités ; de procurer, en cas de décès, des secours temporaires à leurs veuves ou à leur famille ; de pourvoir aux frais funéraires ; de faciliter aux associés l'accumulation de leurs épargnes ou l'achat d'objets usuels ou pour satisfaire à d'autres nécessités temporaires, pourront être reconnues par le gouvernement, en se soumettant aux conditions indiquées ci-après.
« En aucun cas, ces sociétés ne pourront garantir des pensions viagères. »
M. le président. - La section centrale propose un changement de rédaction à cet article qui serait rédigé comme suit :
« Les sociétés de secours mutuels dont le but est d'assurer des secours temporaires soit à leurs membres en cas de maladie, de blessures ou d'infirmités, soit aux veuves ou aux familles des associés décédés ; de pourvoir aux frais funéraires ; de faciliter aux associés l'accumulation de leurs épargnes pour l'achat objets usuels, de denrées, ou pour d'autres nécessités temporaires, pourront être reconnues par le gouvernement, en se soumettant aux conditions indiquées ci-après.
« En aucun cas, ces sociétés ne pourront garantir des pensions viagères. »
M. Malou, qui avait proposé une nouvelle rédaction, se rallie à celle de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cette rédaction est proposée par la section centrale d'accord avec le gouvernement.
- L'article ainsi modifié est définitivement adopté.
« Art. 3. Les sociétés de secours mutuels reconnues jouiront des avantages suivants :
« 1° Faculté d'ester en justice, à la poursuite et diligence de leur administration ; toutefois, lorsque l'affaire excédera la compétence du juge de paix, elles ne pourront plaider qu'avec l'autorisation de la députation permanente du conseil provincial, sauf le recours au Roi, en cas de refus d'autorisation. Elles pourront obtenir exemption des frais de procédure, en se conformant à l'arrêté royal qui sera pris en vertu de l'article 6 ;
« 2° Exemption des droits de timbre ei d'enregistrement pour tous actes passés au nom de ces sociétés ou en leur faveur. Seront délivrés gratuitement et exempts des mêmes droits, tous certificats, actes de notoriété, d'autorisation ou de révocation, et autres, dont la production devra être faite par les sociétaires ;
« 3° Faculté de recevoir des donations ou legs d'objets mobiliers, moyennant l'accomplissement des formalités prescrites par le n°3 de l'article 76 de la loi communale. »
M.Malou a proposé d'ajouter, à la fin du n°2, les mots : « en cette qualité. »
M. Delfosse. - Il n'y a pas le moindre inconvénient à ajouter les mots : » en cette qualité ». C'est ainsi que la section centrale a entendu la disposition.
- L'article 3 est définitivement adopté avec l'addition proposée par M. Malou.
Les amendements qui ont été introduits dans les articles 4 et 5 sont successivement confirmés.
« Art. 6. Des arrêtés royaux détermineront :
« 1° Les conditions et garanties requises pour l'approbation des statuts des sociétés de secours mutuels ;
« 2° Les conditions auxquelles les sociétés de secours mutuels reconnues seront admises, à plaider gratis ;
« 3° Les causes qui peuvent entraîner la révocation de l’acte d'approbation ;
« 4° Les formes et les conditions de la dissolution et le mode de liquidation ;
« 5° L'emploi de l'actif, après le payement des dettes, en cas de révocation ou de dissolution.
« Toutefois cet actif devra être attribué à des sociétés du même genre ou, à défaut de ces sociétés, au bureau de bienfaisance.
« Dans ce dernier cas, le gouvernement pourra imposer la condition que les fonds fassent retour aux sociétés de secours mutuels qui s'établiraient dans la commune et qui seraient reconnues dans un délai de cinq ans.
« Les arrêtés organiques, pris en vertu du présent article, seront soumis à l'approbation des chambres, au plus tard dans la session ordinaire de 1854. »
La commission propose de dire au deuxième paragraphe du n° 5° : « sera attribué » au lieu de : « devra être attribué ; » et au troisième paragraphe : « La condition du retour de l'actif aux sociétés, » au lieu de : « La condition que les fonds fassent retour aux sociétés. »
M. Malou. - Messieurs, je crois qu'il vaudrait mieux faire du paragraphe final de cet article un article spécial qui serait placé à la fin de la loi, comme disposition transitoire ; on dirait : « Les arrêtés organiques, pris en vertu de l'article 6 de la présente loi, seront soumis à l'approbation des chambres, au plus tard dans la session ordinaire de 1854. »
Cette disposition transitoire deviendrait l'article 10 de la loi.
- L'article 6, moins le dernier paragraphe, et avec le changement de rédaction proposé par la section centrale, est mis aux voix et définitivement adopté.
(page 745) La chambre décide ensuite que le dernier paragraphe du même article formera, comme disposition transitoire, un article spécial qui sera placé à la fin de la loi en ces termes :
« Les arrêtés organiques, pris en vertu de l'article 6 de la présente loi, seront soumis à l'approbation des chambres, au plus tard dans la session ordinaire de 1854. »
L'article 7 est définitivement adopté.
« Art. 8. Le bourgmestre ou un membre du conseil communal, délégué à cet effet, pourra toujours assister aux séances des associations reconnues.
« L'administration communale fournira gratuitement, autant que faire se pourra, des locaux pour la tenue des séances. »
- Le paragraphe premier a été supprimé, il était ainsi conçu :
« Les administrations communales délivreront, sans frais, les extraite d'actes de l'état civil et les autres pièces dont la production sera requise des sociétaires. »
M. le président. - M. de Bocarmé a proposé pour le dernier paragraphe la rédaction suivante :
« L'administration communale fournira gratuitement des locaux pour lesdites séances, quand elle le jugera convenable, dans un intérêt de moralité et d'économie. »
M. de Bocarmé. - C'est un simple changement de rédaction que je propose.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, dans la séance d'hier, la chambre a adopté un amendement de l'honorable M. Dedecker, amendement portant que l'administration communale fournira gratuitement, autant que faire se pourra, des locaux pour la tenue des séances.
L'honorable M. de Bocarmé vient de proposer une autre rédaction, rédaction que j'admettrais plutôt, s'il devait, sur ce point, rester une disposition spéciale dans la loi.
Mais je pense qu'une disposition de cette nature serait inutile, ou serait dangereuse. Elle serait inutile si elle ne doit être autre chose qu'une simple invitation, qu'une simple prière adressée aux administrations communales. Si les administrations doivent rester complètement libres de fournir ces locaux, la disposition est inopérante. Le gouvernement arrivera au résultat que l'on poursuit en adressant des circulaires aux conseils communaux, en exprimant dans ces circulaires, dans les instructions, le désir de voir les conseils communaux favoriser de toutes les manières possibles les sociétés de secours mutuels qui peuvent s'établir. Sous ce rapport, nous arriverons parfaitement au même but et au même résultat.
Cette proposition serait très grave, si ce n'était pas une simple faculté pour les communes. Ce serait mettre à leur charge des frais qu'il n'entre dans l'intention de personne de leur faire incomber.
Il est d'autres objections à faire contre l'amendement de M. Dedecker. Il propose de dire : « L'administration communale fournira gratuitement, autant que faire se pourra, des locaux pour la tenue des séances. »
Eh bien, à la lecture de cet amendement, on doit se demander quelle est l'autorité qui décidera ce que la commune peut faire.
On pourra soutenir avec beaucoup de raison que ce sera, par exemple, la deputation ou que ce seront les tribunaux qui seront appelés à le décider, et que vous ne laissez pas aux conseils communaux le droit de déclarer si cela peut ou non se faire. Ainsi, par exemple, une société de secours mutuels, qui serait repoussée par la commune, ne pourrait-elle pas s'adresser à la députation, et la députation venir dire à la commune : Mais cela peut se faire, mais vous avez des locaux, et si vous n'avez pas de locaux, vos ressources financières sont suffisantes pour que vous puissiez les fournir ? Il est évident que c'est là une objection très sérieuse. Je vois des signes de dénégation ; mais l'objection peut d'autant mieux se faire que la loi ne s'en rapporte ordinairement pas au bon vouloir de la partie à laquelle elle demande quelque chose. La loi ordonne, et quand on ne veut pas se soumettre il y a une autorité qui y force. On pourrait même prétendre jusqu'à un certain point que cet amendement donne aux sociétés une véritable action contre les communes.
D'un autre côté, ces mots « autant que faire se pourra », à quoi se rapportent-ils ? Se rapportent-ils seulement aux locaux qui existent dans la commune, ou se rapportent-ils à toute la situation financière de la commune ? Ainsi, par exemple, une société s'adressera à un conseil communal qui n'a pas de locaux suffisants.
Le conseil dira : Cela ne se peut pas ; nos locaux ne sont pas assez spacieux. Mais d'un autre côté il peut se trouver que la situation financière de la commune soit prospère ; dans ce cas, forcerez-vous la commune à louer un local parce que ses locaux ne seraient pas suffisants, en lui disant : Vos ressources vous permettent d'en louer ?
Je le répète donc, si c'est une faculté pour les communes, le gouvernement a tous les moyens d'engager celles-ci à se montrer bienveillantes pour les sociétés de secours mutuels qui viendront à s'établir. Si c'est une obligation, personne ne peut en vouloir.
M. Dedecker. - Je ne sais si je dois encore prendre la parole pour défendre l'amendement que la chambre a adopté sur ma proposition. Hier il était inutile ; aujourd'hui il est devenu dangereux. Je n'y tiens pas absolument ; il me suffit que le gouvernement prenne l'engagement d'inviter, sous forme de circulaire ou d'instruction, les administrations communales à fournir gratuitement, autant que faire se pourra, des locaux pour la tenue des séances des sociétés de secours mutuels.
Si on trouve des inconvénients à maintenir la disposition dans la loi, je n'insiste pas.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable membre doit être convaincu que le gouvernement qui a prouvé sa bienveillance pour les sociétés de secours mutuels puisqu'il a présenté le projet de loi qui vous occupe, ne négligera rien pour faire partager ses sentiments par les conseils communaux des localités où des sociétés de secours mutuels pourront s'établir.
M. de Denterghem. - L'unique but qu'on s'est proposé en présentant l'amendement était d'éviter que les séances des sociétés de secours mutuels se tinssent chez des débitants de boissons. Si le gouvernement veut prendre des mesures pour éviter cet inconvénient, la disposition devient inutile.
M. David. - La rédaction du premier paragraphe ne me paraît pas assez claire ; en effet on ne dit pas par qui la délégation sera faite, si ce sera par le conseil communal, le bourgmestre, le gouverneur ou le ministre de l'intérieur. Comme, dans l'opinion de tous, c'est le conseil communal qui doit donner la délégation, je proposerai de le dire dans la loi et d'ajouter : « délégué par celui-ci à cet effet ».
« Celui-ci » se rapporterait à « conseil communal ».
M. Delfosse. - Quand on dit : « un membre du conseil communal délégué à cet effet », il est évident que la délégation doit être donnée par le conseil communal ; s'il devait en être autrement, on désignerait celui ou ceux qui auraient le droit de délégation ; ce serait le ministre, le gouverneur ou le bourgmestre. Par cela seul qu'on ne désigne personne, il va de soi que c'est le conseil communal qui déléguera.
M. David. - La délégation ainsi entendue, je n'insiste pas ; par ces explications, mon but est atteint.
- L'amendement au premier paragraphe est définitivement adopté. La suppression du deuxièle paragraphe est prononcée.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 82 membres présents.
Ce sont : MM. de Mérode-Westerloo, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Faignart, Jacques, Jouret, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pierre, Rodenbach, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vandenbranden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester et Verhaegen.
M. le président. - Nous avons en second lieu à l'ordre du jour la discussion du tarif des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat.
M. Cools (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Parmi les projets portés sur l'ordre du jour, il y en a quelques-uns dont la discussion doit avoir lieu aujourd'hui. Ainsi demain nous aurons à nous occuper d'un petit projet relatif à la contribution foncière ; mardi nous avons le vote définitif du projet de loi relatif au régime hypothécaire.
La discussion du tarif des voyageurs étant de nature à prendre un assez grand nombre de séances, je crains que si nous l'abordons aujourd'hui, nous ne la prolongions inutilement ; car nous aurons une discussion plusieurs fois scindée.
Je crois donc qu'il vaudrait mieux s'occuper maintenant des autres affaires à l'ordre du jour ; elles suffisent pour remplir cette séance et au-delà.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ne pense pas qu'il y ait le moindre nécessité d'adopter la proposition de l'honorable M. Cools. Voilà plusieurs jours que le projet de loi sur le tarif des voyageurs est à l'ordre du jour ; il a été convenu que l'on en aborderait la discussion aujourd'hui, et je pense que déjà plusieurs orateurs sont inscrits pour la discussion générale.
Je ne vois aucun obstacle à ce qu'on aborde immédiatement l'examen de ce projet de loi.
M. Bruneau. - Je crois en effet que si l'on commence aujourd'hui la discussion du tarif, on ne pourra la terminer pour lundi, et qu'elle devra être scindée, si l'on maintient, à l'ordre du jour de mardi, le vote définitif du projet de loi sur le régime hypothécaire. Mais si la chambre décide que l'on abordera dès à présent la question du tarif, on pourrait remettre le vote définitif du projet de loi sur le régime hypothécaire à (page 746) un autre jour, par exemple après l'examen du tarif. On éviterait ainsi l'inconvénient de scinder une discussîon,
M. le président. - Je dois faire remarquer que, quelque parti que la chambre prenne, il faudra commencer avant mardi la discussion des tarifs, à moins de renoncer à avoir séance demain et lundi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je pense qu'il est utile de maintenir à l'ordre du jour de mardi le second vote de la loi relative au régime hypothécaire.
Le sénat est réuni en ce moment ; il est désirable qu'il puisse dès maintenant être saisi de cette loi pour qu'il en fasse le renvoi à sa commission.
M. Cools. - On pourrait procéder à ce second vote lundi.
M. Delehaye. - Vous ne le pouvez pas. Les membres sont prévenus qu'il n'aura lieu que mardi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il n'y a pas seulement cela. Mais l'honorable M. Cools doit savoir que, pour revoir tous les articles d'une loi, il faut un certain temps ; cela ne s'improvise pas. Il est donc nécessaire que l'on maintienne l'ordre du jour de mardi tel qu'il est fixé.
M. le président. - Plusieurs orateurs sont inscrits pour la discussion du projet de loi relatif au tarif des chemins de fer. Ne perdons pas du temps, et maintenons l'ordre du jour.
- La chambre décide que l'ordre du jour sera maintenu.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Non, M. le président.
M. le président. - En ce cas, la discussion générale est ouverte sur le projet du gouvernement et les amendements de M. le ministre des travaux publics.
M. Bruneau. - Messieurs, je réclame pendant quelques instants l'attention et l'indulgence de la chambre pour les observations que je me propose de lui présenter sur la question des tarifs.
Ma défiance de moi-même serait grande, si je ne me rassurais un peu en pensant que la question qui s'agite est principalement une question de chiffres et que les chiffres n'ont pas besoin d'éloquence.
Ma position de directeur d'une compagnie de chemin de fer ne m'a pas fait hésiter à intervenir dans ce débat, parce qu'on ne peut soupçonner que mon opinion se soit formée sous l'empire des préoccupations de l'intérêt particulier, puisque les lignes de notre compagnie sont exploitées par l'Etat, avec le tarif de l'Etat et soumises à toutes les chances de bonne et de mauvaise fortune des lignes de l'Etat ; que leur intérêt est le même ; que l'augmentation ou la diminution de leurs recettes subit les mêmes influences, et que dès lors cette identité d'intérêt n'est qu'une garantie de plus du soin que j'ai dù apporter dans l'examen de la question des tarifs, et, si on le veut, du but que je veux atteindre d'augmenter les recettes générales des chemins de fer de l'Etat.
Messieurs, je ne partage pas l'opinion de ceux qui considèrent l'entreprise de nos chemins de fer soit comme une entreprise industrielle, soit, plus encore, comme une entreprise financière, et qui, se plaçant à ce point de vue, font le calcul de ce que le chemin de fer coûte d'intérêts à l'Etat et de ce qu'il devrait produire en suite de l'accumulation de ces intérêts depuis le moment de sa construction.
La loi de 1834, messieurs, a eu un autre but. Notre chemin de fer a été créé surtout dans un but d'intérêt national, dans un but d'utilité publique.
La loi de 1834 a bien dit, il est vrai, que le chemin de fer devrait, autant que possible, couvrir les intérêts de ce qu'il coûterait.
Mais une loi ne peut pas décréter des produits. Les produits du chemin de fer ne dépendent pas de la loi, on ne les commande pas ; ils sont le résultat de l'utilité que le chemin de fer procure.
Je n'envisage donc pas le chemin de fer, pas plus que les routes et les canaux, comme une entreprise qui doit rapporter un certain intérêt au bout de l'année. Si nous devions calculer ainsi nos travaux publics, nous arriverions à un compte effrayant en accumulant les intérêts du capital qui a été consacré à la construction des routes ordinaires.
Le chemin de fer est appelé à rendre des services aussi considérables, plus considérables peut-être que l'ancien système de chaussées ; je ne vois pas pourquoi, en principe, on exigerait plus de lui que de nos autres voies de communication.
Du reste, messieurs, la situation des chemins de fer belges n'est pas, à mon avis, aussi mauvaise qu'on semble le croire ; l'administration elle-même n'est pas aussi arriérée qu'on veut se le persuader. On peut se convaincre que cette situation s'est améliorée chaque année, et si vous considérez le résultat de l'année dernière, vous verrez que le produit net s'élève à une somme d'au-delà de 6 millions.
En admettant donc un capital de deux cents millions pour frais de son établissement, intérêts compris, vous aurez un intérêt de 3 p. c. Mais en ne prenant que le capital réellement consacré à sa construction, vous avez un intérêt de 4 p. c. il y a peu de voies de communication qui donnent un produit aussi considérable.
Du reste, messieurs, je n'ai pas l'intention de discuter quel a été le capital employé à la construction du chemin de fer. Je vous ai dit que ce n'était pas là mon point de départ.
On a souvent comparé nos lignes de chemins de fer aux chemins de fer anglais. Permettez-moi de vous dire que, sur ce point encore, on a quelquefois rehaussé l'étranger aux dépens de notre œuvre nationale et que la comparaison n'est pas aussi défavorable qu'on semble le croire.
J'ai ici un tableau qui a été publié sur les produits de 1849 pour les treize principales lignes des chemins de fer anglais. Ce tableau donne d'abord les frais généraux d'exploitation, les frais accessoires d'exploitation, les charges qui pèsent sur chaque chemin de fer, la recette générale et le produit net.
En parcourant ce tableau, je vois qu'il n'y a qu'un chemin de fer, le grand chemin de fer de Londres à Birmingham, Liverpool et Manchester, qui donne un intérêt de 5 p. c ; les autres ne donnent que 4, 3, 2 1/2, 1 1/2 p. c. La moyenne des treize lignes n'est que d'un peu plus de 3 p. c.
Je vois également qu'il y a des chemins de fer en Angleterre où les frais d'exploitation sont beaucoup plus considérables que dans notre pays : la moyenne des frais d'exploitation ne monte qu'à 36 p. c, mais si l'on y ajoute l'intérêt des emprunts contractés pour ces chemins de fer, les frais et droits de toute espèce qu'ils entraînent, on arrive, pour certains d'entre eux, à devoir défalquer jusqu'à 93 p. c. de la recette brute, de manière qu'il ne reste à répartir entre les actionnaires que 5 p. c. de la recette brute.
Du reste, messieurs, pour apprécier les frais d'exploitation en général, je crois qu'il faut nécessairement se rendre compte également des recettes, car il n'y a pas de doute que ces frais d'exploitation doivent être en raison des recettes mêmes et qu'ils seront d'autant plus élevés que les recettes seront plus considérables. Eh bien, messieurs, le produit moyen par lieue est, pour les voyageurs, en Belgique de 62,213 fr. ; en France de 126,416 fr. ; en Angleterre de 109,167 fr.
En Belgique on suppute ordinairement les frais d'exploitation à 60 p. c. Cela donne 37,326 fr. par lieue. En France on estime que les frais d'exploitation sont beaucoup moins élevés que chez nous ; la comparaison ne donne, en effet, là qu'un peu plus de 40 p. c., mais remarquez que ces 40 p. c. donnent une somme de 50,564 francs par lieue exploitée.
En Angleterre les frais généraux sont de plus de 40 p. c. mais admettez qu'il n'y ait que 36 p. c. pour les frais simples d'exploitation. Cela résulte du tableau que j'ai sous les yeux. Eh bien, 36 p. c. sur 109,107 fr. donnent encore une somme de 39,300 fr. Ainsi les frais d'exploitation représentent : en Belgique 37,326 fr. par lieue, en France 50,564, et en Angleterre 39,300 fr.
Vous voyez donc, messieurs, que, toute proportion gardée, les frais d'exploitation ne sont pas plus considérables chez nous qu'ils ne le sont en France et en Angleterre.
Je suis cependant loin, messieurs, de vouloir dire qu'en Belgique tout soit au mieux dans l'administration des chemins de fer. Je suis, au contraire, d'avis qu'il y a encore beaucoup à faire, qu'on peut augmenter les recettes et diminuer les dépenses. Ainsi, messieurs, pour les employés, nous en avons pour notre chemin de fer 5,000, tandis qu'en Angleterre, pour des lignes à peu près aussi considérables, il n'y en a que 1,500 ou 2,000 ; mais, messieurs, cette différence s'explique en partie par la différence des situations. Ainsi, par exemple, en Belgique, toutes les stations sont ouvertes, tandis qu'en Angleterre elles sont closes ; en Belgique, nous avons partout des passages à niveau sur les voies ordinaires ; en Angleterre, au contraire, les passages à niveau sont proscrits d'une manière absolue. Ce sont là des circonstances, qui exigent chez nous un nombre beaucoup plus considérable d'employés pour la surveillance.
Ensuite, notre système d'administration exige aussi un grand nombre d'employés pour les écritures. Nous avons, sous ce rapport, un surcroit d'exigences. Les travaux statistiques, les travaux de régularisation, de comptabilité et de surveillance exigent un personnel considérable, comparativement à ce qui existe en Angleterre.
En Belgique, il n'est pas un ordre, quelque simple qu'il soit, qui n'exige plusieurs lettres et beaucoup de temps et d'écritures avant qu'il ne soit minuté, enregistré et expédié.
Sous ce rapport, je crois qu'il y a des améliorations et des économies à introduire.
Il y aurait encore une autre amélioration à réaliser, c'est une plus grande utilisation des machines et des convois. Ce serait une source de produits que l'on perd aujourd'hui.
J'en viens, messieurs, à la comparaison de nos tarifs avec les tarifs étrangers. Le rapport de la section centrale, page 13, vous donne la comparaison entre les tarifs moyens de la Belgique et ceux de l'Angleterre, de l'Irlande, de l'Ecosse, de la France et de l'Allemagne.
Il en résulte que les tarifs belges sont de beaucoup inférieurs aux autres ; ils le sont, pour quelques lignes, de moitié. Je pourrais ajouter à ces comparaisons ce qui se fait en Amérique. Là, messieurs, si mes renseignements sont exacts, il n'y a qu'une seule classe de voitures et conséquemment qu'un seul prix. Sur le chemin de fer de Boston à Worcester, le prix est de 56 1/2 centimes par lieue de 5 kilomètres ; sur la ligne de Boston à Providence, il est de 79 1/2 centimes ; sur la ligne de Boston à Lowell, il est de 65 1/2 centimes.
Vous voyez, messieurs, que dans ce pays éminemment démocratique, il y a l'égalité, mais l'égalité du prix le plus élevé.
(page 747) Je sois loin de soutenir cependant que nous devions régler nos tarifs sur ceux des pays étrangers. Les tarifs doivent être appropriés aux usages, aux besoins et aux moeurs de chaque pays ; et l'on conçoit très bien qu'en Angleterre comme en Amérique, où tout ce qui tient à la vie est à des prix beaucoup plus élevés qu'en Belgique ; l'on conçoit, dis-je, qu'on ait là des tarifs beaucoup plus élevés.
Mais dans tous les pays qui ont des chemins de fer, le but doit être le même. Ce but doit être : 1° de procurer le plus haut degré d'utilité possible ; 2° de retirer le plus fort produit possible du chemin de fer. Ce but, je le répète, est partout le même, que le chemin de fer appartienne à des compagnies ou à l'Etat.
Ce double but doit être recherché surtout dans un pays où les chemins de fer appartiennent à l'Etat et sont exploités par lui comme en Belgique.
Les deux termes de ce but, c'est-à-dire le plus haut degré d'utilité et le plus haut produit possible, loin d'être exclusifs l'un de l'autre, sont, au contraire, inséparables : il est certain que la somme des produits sera toujours en proportion de la somme d'utilité procurée. Or, je ne crois pas m'aventurer trop en affirmant que, dans ce pays, ce double but n'est pas encore atteint.
Quant au premier but, la plus grande utilité possible à retirer du chemin de fer, il reste beaucoup à faire. D'abord, je pense qu'il y a beaucoup à améliorer sous le rapport de la vitesse de la marche de nos convois.
On peut aussi multiplier les convois plus qu'on ne le fait à présent, c'est-à-dire qu'on peut mieux utiliser la force des locomotives, ainsi que la dépense que l'on fait pour leur alimentation.
On peut aussi mettre le chemin de fer à la portée d'un nombre d'intérêts plus grand que celui qu'il dessert aujourd'hui. On peut atteindre ce but, soit par des haltes plus fréquentes, soit par la composition de ce qu'on a appelé des convois de marché. Je crois que l'organisation de ces convois de marché peut nous procurer des recettes nombreuses qui nous échappent aujourd'hui.
Il n'y a pas de doute que si l'on mettait le chemin de fer à la portée d'un plus grand nombre de personnes, un plus grand nombre de voyageurs en feraient usage, par le motif qu'il n'y a pas de moyen plus prompt et plus économique de transport.
Il est encore beaucoup de détails dans lesquels on pourrait introduire des améliorations. J'en verrais déjà une dans une plus grande fixité des heures de départ. Je trouve un grand inconvénient à ce changement presque mensuel du tableau des heures de départ. Les relations deviennent des choses d'habitude ; l'homme d'affaires n'aime pas à être dérangé dans ses habitudes. Lorsqu'il est accoutumé à partir à telle heure, pour arriver, à telle heure, à tel endroit déterminé où ses affaires l'appellent, un changement d'heure vient le déranger, et il se dispensera souvent de faire un voyage, à cause de ce changement.
Pourquoi ne pourrions-nous pas adopter une seule classification d'heures de départ ? Nous avons aujourd'hui deux grandes périodes, la période d'été et la période d'hiver ; dans le passage d'une période à l'autre, il se fait encore deux ou trois changements. Pourquoi ne pourrait-on pas adopter une règle invariable pour le départ de tous les convois ? Si, par exemple, pendant la période d'hiver, l'on supprimait le convoi qui part le plus tôt et celui qui arrive le plus tard, et si on ne changeait rien aux autres convois, je suis persuadé que ce fait seul serait de nature à multiplier l'usage qu'on fait du chemin de fer.
Il faudrait aussi coordonner les départs fixes avec les marchés des villes voisines, et avoir des haltes à presque toutes les traverses où l'on pourrait espérer d'obtenir des voyageurs ; je suis convaincu que par là vous retireriez un plus grand produit du chemin de fer.
Ces convois de marché pourraient être utilisés, surtout si l'on délivrait des coupons pour l'aller et le retour, et si l'on opérait une réduction sur le prix des coupons qui seraient pris de cette manière ; car nous savons tous que nos campagnards surtout, qui se rendent au marché, consentiraient bien à payer quelques frais de transport pour eux et pour leurs denrées, mais qu'ils consentent difficilement à faire de nouveaux déboursés pour le retour ; ils préfèrent user leurs souliers et leurs jarrets ; cela ne leur coûte rien ; mais s'ils pouvaient avoir des coupons pour l'aller et le retour, avec une réduction de prix, ils ne reculeraient pas devant cette dépense.
Il y a ainsi encore d'autres améliorations de détail qui paraissent peu importantes, mais qui exerceraient cependant une certaine influence sur les recettes.
Le deuxième but que je signalais tout à l'heure comme devant être recherché pour le chemin de fer, c'est d'obtenir le plus grand produit possible. Le plus grand produit sera, à mou avis, la conséquence de la plus grande utilisation qu'on donnera au chemin de fer, d'abord en desservant plus d'intérêts, et ensuite, en faisant payer le prix des améliorations introduites dans le service.
La solution du problème consiste à combiner ces deux éléments de la plus grande utilité, amenant le plus grand produit ; je sais que là est la difficulté. Comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, il s'agit de trouver le chiffre heureux. Ce chiffre heureux ressemble beaucoup dans notre pays au numéro gagnant de la loterie ; car jusqu'à présent il ne paraît pas qu'il soit trouvé. Nous sommes encore à sa recherche.
Messieurs, vous avez tous lu sans doute les ouvrages, aussi remarquables qu'ingénieux, de M. l'ingénieur en chef Desart sur les tarifs de nos chemins de fer ; j'admets avec l'honorable M. Desart que les deux éléments principaux qui régissent le mouvement et la circulation sur le chemin de fer sont d'abord la distance ou le temps, ensuite le prix ou la dépense. Cela revient à dire que les relations sont comparativement les plus nombreuses entre les lieux les plus rapprochés, et en raison des prix les plus bas.
Mais il faut remarquer, en premier lieu, que le prix ou la dépense se compose réellement de différentes choses ; il se compose d'abord du prix payé pour le transport ; puis, de la dépense que fait le vojageur dans le trajet ; enfin, de la perte de temps que fait le voyageur en effectuant son voyage ; car vous le savez, messieurs, le temps, c'est de l'argent. Or, je crois que si l'on diminue un ou deux de ces éléments, on peut augmenter l'autre, sans changer le rapport, sans diminuer la circulation.
Quelques exemples vous rendront, je crois, ces observations frappantes.
D'ici à Mons on met à présent deux heures pour aller et deux heures pour revenir. Un voyageur qui a quelques affaires à traiter dans cette ville doit nécessairement y faire de la dépense, il doit y dîner. Un voyageur allant à Liège doit non seulement y faire la dépense du dîner, mais encore celle du coucher. Si yous donniez au voyageur la possibilité d'aller à Mons le matin par le premier convoi et de revenir à Bruxelles, par exemple, avant l'heure de son dîner. Il est évident que vous le dispenserez à Mons d'une dépense pour ce repas ; vous lui feriez de plus économiser plusieurs heures de la journée, et cela n'est pas peu de chose pour un négociant. Il y gagnerait même en payant un franc de plus pour aller à Mons ou à Liège et en revenir dans le courant de la même journée ; il préférera sans doute cette augmentation à la perte de sa journée entière.
Il aura encore de plus l'économie de la dépense qu'il doit faire danst une ville étrangère.
L'augmentation du prix trouvera ainsi une compensation suffisante pour le voyageur dans une diminution de dépense.
La distance qui est, comme nous l'avons vu, l'autre élément le plus influent, la distance peut également se rapprocher par la vitesse. Ainsi, M. Desart établit dans son travail, par des chiffres irréfutables, que plus les distances sont rapprochées, plus les relations sont fréquentes, entres deux villes comparativement à leur population.
Ainsi, il fait ce calcul : Il y a de Bruxelles à Gand autant de voyageurs, ce nombre de voyageurs est en rapport avec la population des deux villes et leur distance, mais si vous pouviez rapprocher ces distances de moitié, vous augmenteriez considérablement la proportion du nombre de voyageurs ; cette proportion sera plus que doublée, elle sera triplée.
Il en résulte que si, sans augmenter les tarifs, je puis rapprochée Gand de Bruxelles, j'augmenterai le nombre de voyageurs. Mon but n'est pas, quant à présent, de prouver que le nombre de voyageurs serat augmenté par la vitesse, mais je veux prouver que le nombre de voyageurs, en raison de l'augmentation d'utilité qu'on leur procurerait, ne diminuerait pas par l'augmentation des prix, par cela seul que l'influence du rapprochement des distances se ferait sentir sur le nombre de voyageurs, et qu'en tout cas la perte résultant de l'augmentation dut tarif serait compensée par l'influence du rapprochement-de deux localités.
Ce sont ces considérations qui m'ont conduit à penser qu'il était possible d'augmenter le produit de nos chemins de fer par une légère hausse de tarif combinée avec une augmentation d'utilité ou de vitesse.
J'admets qu'une hausse seule diminuerait jusqu'à un certain point la circulation et opérerait un déclassement.
J'admets encore qu'il peut être incertain si le produit net augmenterait par une diminution correspondante de frais d'exploitation. Il est cependant à ma connaissance qu'en Angleterre un chemin de fer, qui faisait de mauvaises recettes avec un tarif bas, a recueilli d'excellents résultats d'une augmentation de tarif ; cette augmentation a eu pour résultat de diminuer les voyageurs, de diminuer en même temps ses dépenses et d'augmenter considérablement ses recettes.
Quoi qu'il en soit, je crois pouvoir dire avec assurance que, dans mon système, la circulation ne diminuerait pas ; car il n'y aurait rien de changé dans le rapport des deux causes principales qui la régissent : la distance et le prix.
La section centrale propose de fixer les tarifs pour les convois de grande vitesse à 45 c. pour les premières classes, à 35 c. pour les deuxièmes classes, à 25 c. pour les troisièmes classes.
Elle propose aussi de porter les convois de grande vitesse à 10 lieues à l'heure. Mais vous avez vu dans son rapport qu'elle ne tient pas à ce que cela soit inscrit dans la loi ; c'est seulement une indication de la vitesse qu'elle croit possible et utile de donner aux convois de première classe.
La section centrale a également fixé un prix pour les trois classes, mais il est dans son intention que les convois de grande vitesse ne soient composés que de voitures de première et de deuxième classe. Quant à moi, je pense qu'il devrait toujours en être ainsi, pour empêcher un grand inconvénient que vient d'indiquer tout à l'heure M. le ministre, en m'interrompant, savoir : le déclassement.
En effet, c'est le déclassement qui est la cause de nos petites recettes. Aujourd'hui la proportion des voyageurs dans les différentes classes est allée en s'abaissant progressivement depuis plusieurs années. Il semble que le chiffre maximum de circulation auquel nous pouvons espérer d'arriver dans l'état de choses actuel est à peu près atteint, car depuis plusieurs (page 748) années notre chemin de fer transporte 4 millions de voyageurs par an ; cela reviendrait à dire que toute la population de la Belgique voyage une fois par an.
Mais comment ces voyageurs se répartissent-ils entre les différentes classes En 1845, la première classe donnait 11 p. c. ; la deuxième , 28 p. c. ; et la troisième 60 p. c.
En 1846, la proportion est la même ; en 1847, la proportion pour la troisième classe augmente ; elle s'élève à 64 ; pour la seconde elle descend à 24, la première reste la même : 11.
En 1848, la proportion change considérablement au détriment de la première et de la deuxième classe qui tombent à 8,77 et à 20,96 p. c. ; la troisième s'élève à 70,27 p. c.
En 1849, la proportion est encore la même ou à peu près qu'en 1848.
En 1850, la proportion pour la première classe se relève à 9,76, la seconde à 22,63, la troisième descend à 68,61 p. c.
Vous savez, messieurs, qu'en principe, la troisième classe n'avait été faite que pour donner un moyen facile et peu coûteux de transport à la classe ouvrière ; et vous savez aussi que ce but a été presque entièrement manqué. Nous voyons tous les jours beaucoup de personnes, pour lesquelles les troisièmes classes n'ont pas été faites, les prendre, sous prétexte de fumer ou de prendre l'air.
Il n'en est pas moins vrai que le but pour lequel on a créé les waggons est presque entièrement manqué. C’est pour cela que je voudrais que les convois de grande vitesse fussent composés de voitures de première et de deuxième classe seulement.
Je pourrais faire valoir en faveur de ce système plusieurs considérations ; je dirai d'abord que je trouve à l'étranger des exemples de ce que je propose. En France, en Angleterre, tous les convois de grande vitesse ne comprennent en général que des voitures de première et de deuxième classe, quelquefois même seulement des voitures de première classe.
Ainsi, les convois de grande vitesse de Paris à Bruxelles ne sont composés que de voitures de première classe, jusqu'à la frontière ; mais, de la frontière à Bruxelles, on ajoute des voitures de seconde classe.
Une autre considération qui me fait désirer que les convois de grande vitesse ne soient composés que de deux classes de voitures, c'est que la classe à laquelle s'adressent les waggons n'a pas le même intérêt à une grande vitesse ; le temps a une valeur relative pour les différents voyageurs. Il est évident que le temps vaut plus pour le négociant que pour l'ouvrier. Pour un ouvrier qui gagne de 2 à 3 francs par jour, une heure ne vaut pas autant que pour l'industriel, pour l'artiste, pour quiconque exerce une profession libérale ; ceux qui n'ont pas intérêt à aller aussi vite, à gagner du temps, payeront moins cher en prenant un convoi à petite vitesse. Celui, au contraire, qui aura intérêt à être transporté à grande vitesse, peut payer une augmentation de tarif. Du reste, la composition des convois est une mesure d'application. Le gouvernement pourrait apprécier quand il convient exceptionnellement d'ajouter des voitures de troisième classe aux convois de grande vitesse. C'est là une question dont l'application resterait complètement à l'appréciation du gouvernement.
Si ces convois n'étaient composés que de voitures de deux classes, il est évident pour moi que le déclassement ne s'opérerait pas comme on peut le craindre. En effet, comme une certaine catégorie de voyageurs qui prend aujourd'hui la troisième classe devrait prendre les deuxièmes classes, cela ferait refluer vers la première classe un certain nombre de voyageurs qui aujourd'hui prennent la deuxième. Il y aurait un déclassement qui s'opérerait au profit de la première classe.
La section centrale propose ensuite un tarif plus bas pour les convois de petite vitesse : elle admet le tarif actuellement existant, tel qu'il est proposé par le gouvernement, c'est-à-dire avec l'égalisation des différentes lignes ; mais elle voudrait que, pour bien marquer la différence entre les deux convois, et pour que l'effet qui résultera d'une tarification identique pour les voitures de première classe (petite vitesse) et de deuxième classe (grande vitesse) ne puisse agir sur le produit, on réduisit la vitesse des convois de deuxième classe, et qu'on en fît des convois mixtes pour le transport des marchandises.
Ces convois mixtes, à petite vitesse, pourraient s'arrêter à toutes les haltes, même à tous les villages.
Si on admettait ce système, je ne verrais aucun inconvénient à réduire encore le tarif de la troisième classe, en abaissant à 15 c. le prix du transport des waggons des convois de petite vitesse, notamment pour les relations des marchés, et pour l'aller et le retour.
Je suis convaincu que la diminution de cette classe de tarif qui n'entraînerait pas d'augmentation de dépense, amènerait au chemin de fer un assez grand nombre d'habitants des campagnes se rendant aux marchés, et qui lui font défaut aujourd'hui.
Je ne suis donc pas absolu dans mon opinion sur l'augmentation du tarif. Je veux cette augmentation là où elle peut se faire, sans réduire le nombre des voyageurs, là où les voyageurs trouvent des avantages qui sont la compensation de l'augmentation de prix qu'ils doivent payer.
Je crois qu'en entrant dans ce système, on est fondé à espérer que l'on conservera le nombre actuel des voyageurs, qui semble parvenu à son extrême limite, ainsi que je l'ai déjà dit, du moins avec le système actuel.
Pour vous faire apprécier l'influence que peut avoir une augmentation de tarif, en admettant que l'on pusse conserver le nombre actuel de voyageurs (ce que j'espère, au moyen des améliorations que je propose d’introduire dans le service), il me suffira de dire qu'une augmentation d'un centime, par voyageur et par lieue, en prenant le nombre des voyageurs de 1850, produirait une augmentation de recettes de 282.160 francs.
Voici quel a été le nombre des voyageurs-lieues sur le chemin de fer :
En 1845, 24,000,000
En 1846, 26,000,000
En 1848, 23,000,000
En 1849, 25,000,000
En 1850, 28,216,000
Ainsi, une augmentation de 4 c. par vojageur et par lieue, produirait une augmentation de plus d'un million de francs par an.
Je sais que l'honorable ministre des travaux publics répondra que s'il était certain de conserver le même nombre de voyageurs, il ne ferait aucune difficulté d'adhérer à une augmentation de tarif ; mais il contestera que l'on puisse conserver le même nombre de voyageurs, avec un tarif plus élevé. Je me suis attaché à prouver que l'on conservera le nombre actuel des voyageurs, parce que, à côté d'une légère augmentation de tarif, il y aura une augmentation de vitesse, une amélioration très sensible sans doute, et qui sera bientôt appéciée. L'expérience le démontrera.
Maintenant quelles sont les objections qu'on élève contre ce système ? On dit d'abord qu'il y aurait impossibililé d'avoir un tarif différentiel avec des convois de petite vitesse et des convois de grande vitesse. Je réponds à cela par l'exemple de ce qui se fait en France et en Angleterre : en France on a des convois de grande vitesse et des convois de petite vitesse.
En Angleterre, on a des convois de grande vitesse, avec des prix différents. En France, on n'a pas de convois de grande vitesse avec des prix différents de tarif. Mais en réalité le prix est différent puisque les convois de grande vitesse ne se composent que de voitures de première classe.
L'honorable ministre des travaux publics dit qu'il n'y a aucune difficulté à avoir des convois de grande vitesse avec des voitures des deux premières classes, et des convois de petite vitesse comprenant des voitures de troisième classe.
Mais je ne vois pas quelle difficulté il peut y avoir, dans l'exécution, à admettre un tarif différentiel.
Nous avions compris dans les objections qui ont été faites au système de la section centrale que, dans l'opinion de M. le ministre, il y avait impossibilité d'organiser des convois de grande vitesse et de petite vitesse avec des prix différentiels.
Je citerai l'exemple de ce qui se fait en Angleterre et en France avee un tarif différentiel. Je puis même invoquer une autorité dans notre pays, celle de la commission qui a été instituée par l'honorable M. Rolin, et qui a fait son rapport, le 23 juin 1849. Cette commission, composée de MM. Masui, Desart et Dandelin a reconnu que l'exécution de ce système n'était pas impossible. C'est ce que je veux prouver.
Voici les conclusions de son rapport. Je lis :
« En présence des résolutions arrêtées comme il vient d'être dit, la commission pourrait terminer ici son rapport ; mais elle a pensé, M. le ministre, qu'il serait utile de vous faire connaître le résultat de ses délibérations à l'égard d'une question qu'elle avait traitée avant de s'occuper des bases mêmes du tarif.
« Cette question est relative à la création de convois de vitesse.
« Aujourd'hui, la plupart des convois de voyageurs font des halles fréquentes ; ils sont, de plus, encombrés de voitures à petites marchandises, à bétail, à chevaux et même à grosses marchandises ; les heures de départ, enfin, sont réglées pour beaucoup de convois, de manière à satisfaire, autant que possible, aux besoins des stations intermédiaires.
« II en résulte nécessairement des retards et des inconvénients plus ou moins grands pour les relations entre les stations principales. Ces relations sont ainsi sacrifiées, jusqu'à un certain point, à des relations secondaires, alors qu'à raison de leur importance, sous le double rapport de l'intérêt général du pays et des recettes du chemin de fer, elles mériteraient, à tous égards, d'être plus favorisées.
« Pour remédier à un tel état de choses, on ne peut certes pas songer à supprimer les haltes intermédiaires, puisque ce serait enlever au chemin de fer une partie de ses revenus, en même temps qu'une partie de son utilité. Mais il suffirait d'établir deux classes de convois, dont les uns, destinés exclusivement au service des voyageurs, ne desserviraient que les stations principales, et dont les autres s'arrêteraient à toutes les stations indistinctement et pourraient transporter des marchandises en même temps que des voyageurs.
« L'utilité d'une semblable mesure, au point de vue du public, est incontestable. La commission a été unanime sur ce point. » (C'est la base du système de la section centrale.) « Il n'en a plus été de même lorsqu'il s'est agi des moyens de concilier cette mesure avec l'intérêt du trésor.
« Trois systèmes différents se sont trouvés en présence :
« Le premier n'admettait dans les convois de vitesse que les deux classes supérieures de voitures, mais appliquait à ces voitures respectivement les mêmes prix que dans les convois ordinaires.
« L'auteur de ce système espérait que les avantages qu'offriraient les convois de vitesse y attireraient un grand nombre de voyageurs de waggon, ce qui procurerait au chemin de fer une augmentation de recettes.
« Les deux autres membres de la commission ont fait remarquer que, dans ce système, le public des wagons, qui forme la partie la plus nombreuse (page 749) et la moins aisée des voyageurs, ne serait admis à participer à l'accélération des convois de première classe, qu'en s'imposant un surcroît de dépenses, tandis que les voyageurs de diligence et de chars à bancs, qui appartiennent aux classes plus aisées, en profiteraient gratuitement ; que ce système constituerait ainsi une iniquité à l'égard des uns, un privilège en faveur des autres, et qu'ils ne pouvaient dès lors s'y rallier. »
Eh bien, nous avons prévenu cette iniquité. En effet, si l'on maintenait les mêmes tarifs pour les convois à grande vitesse et pour les convois à petite vitesse, les voyageurs de troisième classe ne pouvant pas prendre les convois de grande vitesse sans entrer dans les voitures de première et de deuxième classe, il en résulterait pour eux une augmentation considérable de dépenses et une injustice, comme on l'a dit. Mais que faisons-nous ? Nous augmentons le tarif sur les voitures de première et de deuxième classe pour les convois de grande vitesse. Si nous donnons aux voyageurs plus de vitesse, nous leur imposons une augmentation de prix. L'iniquité disparaît donc.
Je reprends ma lecture du rapport :
« Le second système maintenait les trois espèces de voitures dans les deux classes de convois, mais avec un tarif plus élevé pour ceux de première classe. Toutefois les voyageurs étaient admis, dans ces derniers convois, aux mêmes prix que dans les convois de deuxième classe, à la condition de se munir d'un coupon de retour pour le jour même ou le lendemain.
« L'auteur de ce système avait également pour but d'augmenter les recettes, en même temps que de proportionner les prix de transport, dans les deux classes de convois, à l'importance relative des services rendus.
« Les principales objections faites contre ce système, c'est que l'élévation des prix, dans les convois de première classe, neutraliserait les effets de l'augmentation de vitesse, et que, dans tous les cas, il serait impossible de distinguer l'influence propre du tarif, question qu'au point de vue de la prospérité du chemin de fer, il est si important de résoudre. »
Vous voyez donc, messieurs, que parmi les deux objections qu'on faisait au système qui n'est autre que celui de la section centrale, ne se trouve pas l'impossibilité d'exécution résultant de la différence de tarification ; seulement on dit qu'il serait impossible, dans ce système, de distinguer l'influence propre du tarif. C'est donc un motif de théorie pure qui fait rejeter ce système. Je cite seulement ceci pour faire voir que la commission des ingénieurs, à la tête de laquelle se trouvait le chef de l'exploitation du chemin de fer, ne considérait pas comme impossible l'application d'un tarif différentiel aux convois de petite et de grande vitesse.
Je reprends encore la lecture du rapport :
« Le troisième système admettait les mêmes prix et les mêmes classes de voitures dans les deux espèces de convois.
« L'auteur de ce système espérait obtenir une augmentation de mouvement et de recettes par suite de l'accélération des convois de première classe.
« On a objecté que l'accroissement de revenus à provenir de cette accéléralion pourrait ne pas être assez considérable pour compenser la perte de produits qu'éprouverait l'Etat sur des convois qui ne transporteraient que des voyageurs et ne s'arrêteraient que dans les stations principales.
« La commission a pensé que la mise à exécution immédiate des convois de vitesse serait de nature à empêcher que, dans la nouvelle expérimentation, on pût assigner à la tarification l'influence qui doit lui être attribuée en propre.
« Elle croit, en conséquence, devoir vous proposer, M. le ministre, d'ajourner cette mesure à une époque ultérieure. »
C'est encore là une question de théorie. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'alors qu'aujourd'hui on vient nous proposer ce système du seul moyen d'essai infaillible pour parvenir à la découverte des causes qui régissent les recettes du chemin de fer, aujourd'hui l'on est complètement tombé dans l'inconvénient que l'on signalait dans le rapport ci-dessus comme obstacle pour la découverte de la vérité. Nous avons déjà aujourd'hui des trains de vitesse ; comme me le fait remarquer M. le ministre des travaux publics, nous en avons sur Ostende, sur l'Allemagne, sur la France. Mais si cela est vrai, je vous demande comment vous voulez apprécier dans l'expérimentation que vous voulez faire l'influence qu'il faudra nécessairement attribuera la vitesse.
Evidemment, l'établissement de ces trains de vitesse aura rendu impossible dans l'avenir la découverte que vous voulez faire au moyen des essais nouveaux que vous nous proposez.
La commission elle-même s'opposait alors à l'établissement des trains de vitesse, parce qu'ils empêcheraient, disait-elle, d'apprécier l'influence qui doit se faire sentir, d'après elle, sur l'augmentation ou la diminution des voyageurs avec les convois nouveaux qu'elle propose d'établir.
Messieurs, j'en viens maintenant à l'examen du système proposé par M. le ministre des travaux publics.
Les derniers amendements proposés par M. le ministre des travaux publics ne changent rien au projet primitif. Il vous demande d'égaliser les tarifs qui existent aujourd'hui. Vous savez tous, messieurs, que ces tarifs présentent quelques différences de prix sur les diverses lignes. Ainsi les lignes du midi, de l'ouest, de l'est ont des prix différents. Cela provient de ce que les tarifs ont été appliqués successivement à mesure de l'ouverture de chacune des lignes sans être coordonnés entre eux. Le but du projet du gouvernement n'est autre que d'égaliser les tarifs sur ces différentes lignes, c'est-à-dire que le prix en raison des distances serait uniforme sur les lignes du midi, de l'ouest et de l'est.
Cette modification constituerait un nouvel essai. Le gouvernement espère, au moyen de cette égalisation, arriver à la découverte de l’influence de la hausse ou de la baisse des tarifs sur le nombre des voyageurs.
La section centrale, dans son rapport, vous a déjà fait voir quelle sera l'importance de la différence de ces prix ; elle sera peu sensible pour les grandes distances. Il y aura, à la vérité, quelques villes rapprochées dont les relations entre elles pourront être modifiées, et à l'égard desquelles, l'augmentation ou la diminution de tarif pourra plus ou moins se faire sentir sur le nombre des voyageurs.
Mais c'est là une exception, et je crois pouvoir prédire que vous n'arriverez ainsi à aucune expérimentation dont les résultats soient acceptés par tout le monde ; car j'admets qu'entre deux villes comme Liège et Verviers, par exemple, où le prix des tarifs sera ainsi modifié, il y ait augmentation ou diminution du nombre des voyageurs. Cela sera-t-il dû exclusivement à l'influence des tarifs ? Personne ne l'admettra. Cela pourra être attribué à des influences locales que vous ne pouvez apprécier et dont tout au moins on pourra grossir ou atténuer les résultats.
Vous ne pouvez arriver à quelque chose de certain que par un essai sur l'ensemble général des chemins de fer. Lorsque pour cet ensemble vous obtiendrez des résultats identiques pendant 2, 3 ou 4 années, vous pourrez dire qu'il y a là une loi certaine ; mais vous ne pourrez jamais admettre comme une base certaine les résultats que vous obtiendrez par l'expérimentation faite entre les petites localités et sur une petite échelle.
Et puis, messieurs, il doit paraître étrange, je vous l'avoue, qu'après quinze années d'exploitation de nos chemins de fer, nous en soyons encore à faire des essais.
Il semblerait qu'après un temps d'expérimentation aussi long, nous devrions savoir à quoi nous en tenir.
Nous avons eu déjà trois ou quatre tarifs différents appliqués à nos chemins de fer ; une commission a fait un rapport sur la comparaison des résultats de quelques-uns de ces tarifs ; des ingénieurs en ont fait ausi l'objet de leurs études, et ils sont arrivés à des conclusions différentes, de sorte que nous sommes encore aujourd'hui dans l'incertitude. Les uns disent oui ; les autres disent non. Il est certain, du moins, que vous n'avez pas un résultat sur lequel tous les hommes compétents soient d'accord.
Le dernier tarif, celui que l'on propose de maintenir, est en exercice depuis le 21 août 1841, c'est-à-dire depuis bientôt dix ans ?
Et que vous demande-t-on ? On vous demande de l'appliquer encore pendant un an à titre d'essai.
Eh ! messieurs, je demande si l'essai n'est pas fait depuis dix ans, comment il pourra se faire en huit mois de plus ? Vous ne saurez pas plus dans huit mois que vous ne savez aujourd'hui. Vous ne pourrez pas apprécier l'influence de l'égalisation des tarifs parce que les relations entre les localités pour lesquelles vous aurez changé les prix peuvent être régies par des circonstances étrangères à la tarification même.
Eh bien, je suppose que notre tarif soit adopté ; il sera en vigueur jusqu'à la fin de 1851 ; que ferez-vous pour 1852 ? Mais vous serez exactement dans la position où vous vous trouvez aujourd'hui : le nouveau tarif aura été en vigueur, mais les résultats n'en auront pas été étudiés ; ils ne seront publiés que plusieurs mois après l'expiration de l'exercice.
Si le gouvernement proposait d'appliquer son système, non pas à titre d'essai, mais comme transition, je le comprendrais, parce qu'il pourrait être utile en effet de ne pas augmenter tout à coup les tarifs dans des localités où, par l'égalisation, il y aura déjà une augmentation de 5, de 10, de 20 pour cent.
La section centrale avait déjà engagé le prédécesseur de M. le ministre des travaux publics à décréter immédiatement l'égalisation, et je regrette que cela n'ait pas été fait depuis plusieurs mois. De cette manière, nous aurions déjà aujourd'hui l'essai que l'on veut faire. Du reste, je n'aurais pas vu d'inconvénient à prolonger cet essai jusqu'à la fin de l'année. Mais puisque vous voulez des essais, pourquoi ne pas admettre aussi, à ce titre, le système de la section centrale ?
Tous les jours nous entendons soutenir, non seulement dans cette enceinte, mais encore par des hommes compétents qui ne font pas partie de la chambre, qu'une augmentation de tarifs donnerait de plus grandes recettes sans diminuer le nombre des voyageurs. Eh bien, les hommes qui défendent cette opinion continueront à la défendre aussi longtemps que leur système n'aura pas été essayé : pourquoi donc ne pas appliquer pendant quelque temps le système de la section centrale ?
Appliquez votre système jusqu'à la fin de l'année, je le veux bien, mais décidez dès à présent que l'année prochaine vous appliquerez le système de la section centrale. De cette manière, vous aurez dans trois ans ou à peu près, des résultats que vous pourrez comparer ; vous ferez alors un rapport à la chambre, et la chambre pourra statuer en connaissance de cause.
Voulez-vous entrer plus complètement dans la voie des essais, après quinze ans ; proposez trois tarifs : votre système jusqu'à la fin de l'année, une augmentation l'année prochaine, et une diminution l'année suivante.
On disait dernièrement, à propos de l'armée, qu'il importait de mettre un intérêt aussi grand en dehors des discussions des chambres ; le chemin de fer n'est pas, sans doute, un intérêt aussi considérable, bien que ses employés formeraient déjà un beau régiment ; cependant je crois que l'intérêt du commerce et de l'industrie exige que les tarifs ne soient pas à (page 750) chaque instant remis en question ; l’intérêt public exige aussi que le chemin de fer rapporte tout ce qu'il peut produire, car dès le moment où le chemin de fer donnerait des excédants au trésor, il deviendrait facile d'exécuter de nouveaux travaux publics, tandis que jusque-là je crains bien que ce ne soit à peu près impossible.
Or, messieurs, vous devez reconnaître qu'il y a encore beaucoup de travaux publics à faire et que nous devrons les faire aux frais de l'Etat. Et je crains bien que les chambres n'y consentent à l'avenir que lorsqu'elles verront que ces travaux, au lieu d'imposer de nouvelles charges à l'Etat, peuvent au contraire devenir une source de produits pour le trésor.
M. Moncheur. - Quoique je ne sois pas d'accord avec l'honorable préopinant sur les prémisses qu'il vient d'émettre dans son discours, il se trouve cependant, messieurs, que nous arrivons, lui et moi, à la même conclusion.
Ainsi, l'honorable membre a commencé par dire que le chemin de fer ne devait pas nécessairement se suffire à lui-même, et cependant il vous a parfaitement prouvé que l'on devait nécessairement aussi augmenter les revenus du chemin de fer, et que, pour y parvenir, il fallait majorer les tarifs actuels.
Eh bien, messieurs, je partage entièrement cette dernière opinion de l'honorable préopinant ; mais si je la partage c'est parce qu'à mon avis, le chemin de fer doit, autant que possible, se suffire à lui-même. Et si je-n'avais point cette opinion, je ne provoquerais certainement pas une augmentation de tarifs.
Mais je dis que dans l'état actuel des choses, cette augmentation est d'une nécessité incontestable.
En effet, il ressort à l'évidence du rapport de la section centrale que les intérêts des sommes employées pour le chemin de fer et les frais de son exploitation, sont la cause de déficits annuels qui creuseraient bientôt un abîme sous nos pas, s'ils continuaient à exister.
Or, cet abîme ne pourrait évidemment être comblé que par de nouveaux impôts, s'il ne l'était point par le produit des tarifs.
Ainsi, la question est de savoir laquelle de ces deux alternatives est la plus juste : ou bien que les frais occasionnés par le chemin de fer soient supportés par tous, même par ceux qui n'en profitent point ; ou bien que ces frais soient supportés par ceux-là mêmes qui en profitent.
J'appuierai, pour ma part, toute proposition qui sera de nature à augmenter les recettes de cette propriété nationale.
Une majoration modérée des tarifs des voyageurs est, à mes yeux, la première mesure à prendre dans ce but.
Alors que nos tarifs sont depuis 30 jusqu'à 90 p. c. plus bas que ceux des chemins de fer étrangers qui touchent à nos frontières, et que nous parcourons nous-mêmes souvent, il est certes rationnel de nous rapprocher, du moins, du taux admis par nos voisins pour le transport des voyageurs, sinon de l'atteindre.
D'un côté, nous pourrions, sans doute, s'il le fallait, supporter un tarif aussi élevé que les Allemands et les Français ; mais il ne s'agit même point de cela ; car il suffirait, pour améliorer considérablement nos recettes, d'établir un tarif qui, bien que plus élevé que le tarif actuel, resterait encore de 10 ou 15 p. c. inférieur à ceux du Rhin et du nord de la France.
D'un autre côté, je ne vois pas pourquoi nous devons faire à tous les étrangers qui parcourent nos chemins de fer le cadeau d'un rabais considérable, rabais qu'ils ne trouvent pas même chez eux.
Messieurs, j'appuierai aussi l'établissement de convois de grande vitesse, ne s'arrêtant pas à toutes les stations, comme cela a lieu à présent, et avant un tarif plus élevé que les convois ordinaires.
Sous ce rapport aussi, nous ferons bien d'imiter nos voisins, dont nous sommes, en général, loin à cet égard.
A côté de ces convois de grande vitesse, je voudrais, comme l'honorable préopinant, des convois mixtes ou de marché, ayant de nombreux points d'arrêt.
Il est certain que les convois de grande vitesse seront très fréquentés et produiront, par conséquent, de fortes recettes à l'Etat.
Mais il est, messieurs, des mesures de détail, utiles aux voyageurs, et dont l'emploi serait très profitable à la caisse du chemin de fer. Ainsi, je voudrais que des coupés furent adjoints à chaque convoi, ou tout au moins, à chaque convoi de grande vitesse, et que les voyageurs n'y eussent accès qu'au moyen d'un coupon supplémentaire.
Aujourd'hui, messieurs, le prix des coupés est le même que celui des diligences. Or il y a une classe de personnes qui, soit par un désir extrême du confortable, soit par habitude ou amour-propre, choisissent toujours les meilleures places, n'importe à quel prix.
Il arrive souvent aussi que des dames, désirant voyager isolément, seraient charmées de prendre le coupé.
Pourquoi ne pas satisfaire à ce besoin, ou, si l'on veut, à cette fantaisie ? Pourquoi négliger cette source, quelqu'accessoire qu'elle soit, de bénéfices pour la caisse du chemin de fer ?
C'est, messieurs, en prouvant par les faits et au moyen d'une bonne tarification que les chemins de fer peuvent se suffire à eux-mêmes, qu'ils peuvent même produire des résultats avantageux pour ceux qui les exploitent, que l'on encouragera les sociétés particulières à terminer les travaux qui doivent être le complément des railways belges, et qui seront pour ceux-ci de très utiles affluents.
A ce propos, je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir bien dire à la chambre à quoi en sont les procédures existantes entre le gouvernement et la compagnie du chemin de fer de Louvain à la Sambre, et aussi entre le gouvernement et la compagnie du chemin de fer du Luxembourg.
Depuis quelque temps, il est question, dans la presse, de nouvelles propositions faites au gouvernement par la compagnie du chemin de fer du Luxembourg, ou de nouvelles négociations entamées entre les parties pour parvenir à l'exécution de ce grand projet.
Il s'agirait même d'un tout nouveau tracé, tracé qui s'éloignerait de celui qui a été fixé par la loi de concession du chemin de fer du Luxembourg, et n'aboutirait plus directement à Namur même.
Je désire ardemment, messieurs, qu'on puisse trouver, sans léser les intérêts du trésor, une combinaison propre à amener la construction du railway du Luxembourg ; mais je dois dire que le commerce, l'industrie, et en général tous les intérêts de la ville de Namur se sont émus, à juste titre, au bruit de ce changement de tracé. J'espère, du reste, que ce bruit est sans fondement, et j'offre ici à M. le ministre des travaux publics l'occasion de rassurer à cet égard le chef-lieu de la province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.