Séance du 18 février 1851
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 709) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et demie. La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Dubois, se plaignant de ce que son fils, élève à l'athénée d'Anvers, ne reçoit pas l'instruction religieuse dans cet établissement, demande l'exécution de l'article 8 de la loi du 1er juin 1850, qui rend cet enseignement obligatoire. »
M. Osy. - Messieurs, cette pétition émane d'un père de famille qui a son fils à l'athénée d'Anvers.
Je désirerais savoir si nous pouvons espérer de voir exécuter bientôt la loi sur l'enseignement moyen, surtout l'article 8. Comme nous ne nous occuperons pas du budget de l'intérieur avant le mois de mai prochain, je demanderai un rapport sur cette pétition.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement n'a aucune raison de s'opposer à la demande faite par l'honorable M. Osy d'un prompt rapport sur la pétition dont il vient d'être donné lecture. Mais je tiens à informer la chambre que les négociations relatives à l'exécution de l'article 8 de la loi du 1er juin 1850, ne sont pas terminées. Je crois que lorsque le rapport sera fait sur la pétition, s'il doit être prompt, comme on le demande, nous ne pourrons encore donner une autre réponse que celle que je fais en ce moment.
M. Osy. - Je demande purement et simplement le renvoi de la pétition à la commission, et la commission des pétitions demandera le renvoi au ministre de l'intérieur. Je demande qu'on s'occupe de cet objet dans une prochaine séance. Il faut d'ailleurs que cela passe à la commission des pétitions.
- Le renvoi de la pétition à la commission est ordonné.
« Les membres du comité dirigeant les deux fermes de bienfaisance de la commune de Sulsique demandent que l'entretien des mendiants récalcitrants soit mis à la charge de l'Etat. »
M. Dedecker. - La pétition dont il vient d'être donné lecture est d'une très grande importance pour les Flandres.
Vous savez que, depuis quelques années surtout, la position financière des communes flamandes est fort embarrassée. Cet embarras résulte en grande partie de la nécessité, pour la plupart des communes, de payer des frais très considérables du chef de l'entretien de leurs mendiants dans les dépôts de mendicité. Lorsque nous avons mis ces frais d'entretien à charge des communes, c'était évidemment dans le but d'engager les communes à ouvrir des ateliers, des asiles pour leurs mendiants. Or, voici ce qui arrive, c'est que très souvent les communes mêmes qui ont organisé des moyens de travail et qui ont ouvert des asiles aux pauvres, ne peuvent pas forcer les mendiants à y entrer.
Vous avez des mendiants qui, soit par paresse ou par indiscipline, ne veulent pas entrer dans ces asiles ouverts par l'administration communale et ils se font de nouveau appréhender comme mendiants. On les envoie dans les dépôts de mendicité, et les communes se trouvent de nouveau forcées de payer l'entretien de ces mendiants. Il me semble qu'il serait bon que le gouvernement avisât pour que ces communes qui ont rempli leur devoir, qui ont fait des efforts sérieux pour procurer de l'ouvrage aux mendiants, ne soient pas, d'un autre côté, forcées d'entretenir leurs mendiants récalcitrants dans les dépôts de mendicité.
Si je suis bien informé, il y a déjà plus de 40 administrations communales des Flandres qui ont adressé à la chambre la même demande que celle qui est faite actuellement. Je crois donc qu'une solution est nécessaire afin d'encourager les administrations communales qui ont fait leur devoir.
- Le renvoi à la commission, avec demande d'un prompt rapport, est ordonné.
« M. Jobard fait hommage à la chambre de deux exemplaires de l'Organisation de la propriété intellectuelle. »
- Dépôt à la bibliothèque.
Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Dolez demande un congé pour cause d'indisposition.
- Ce congé est ccordé.
M. Lelièvre, au nom de la commission qui a été chargée de l'examen du projet de loi concernant le régime hypothécaire, fait rapport sur une pétition qui a été adressée à la chambre et qui a rapport à l'article premier du projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. H. de Baillet, au nom de la commission qui a examiné la pétition du sieur Vandongen, pilote de première classe à Anvers, tendante à être exempté du droit d'enregistrement qu'il doit payer par suite de la naturalisation qui lui a été accordée, fait sur cet objet le rapport suivant. - Le pétitionnaire prétend que, par suite des besoins de sa nombreuse famille, il se trouve dans une position à ne pas pouvoir payer la somme de 500 fr. qu'on exige de lui. Il fait valoir en même temps, outre les services loyaux et zélés qu'il a constamment rendus depuis 1827, en sa qualité de pilote, ses services militaires, ayant fait partie de la garde civique mobilisée en 1831, et il appuie ses allégations à cet égard sur des certificats qui constatent les faits.
La commission, qui pense que la position du pétitionnaire et les services qu'il a rendus peuvent mériter d'être pris en considération, propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
Cette pétition demandait un prompt rapport, attendu qu'au 31 mars prochain, le pétitionnaire serait déchu de ses droits.
- Les conclusions du rapport sont adoptées.
M. Destriveaux. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports sur diverses demandes en naturalisation.
Je demanderai à la chambre de lui donner lecture des conclusions d'un de ces rapports que la commission des naturalisations se propose de vous présenter pour tous les cas identiques. (Lisez ! lisez !)
(L'honorable membre donne lecture du rapport.)
Si cette formule est adoptée par la chambre, elle servira de règle pour toutes les demandes en naturalisation du même genre.
Je prie la chambre de vouloir bien manifester son opinion, soit approbative, soit improbative.
M. le président. - Les conclusions de la commission se résument dans un ordre du jour motivé.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport, et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. Dumon. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la commission des naturalisations, un rapport et un projet de loi, portant naturalisation ordinaire.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
« Art. 1er. Les sociétés de secours mutuels qui ont po r but d'assurer à leurs membres des secours temporaires en cas de maladie, de blessures ou d'infirmités ; de pourvoir aux frais funéraires ou de satisfaire à d'autres objets d'utilité privée, pourront être reconnues par le gouvernement, moyennant l'accomplissement des formalités indiquées ci-après.
« En aucun cas, ces associations ne pourront promettre des pensions viagères. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Art. 1er Les sociétés de secours mutuels qui ont pour but d'assurer à leurs membres des secours temporaires en cas de maladie, de blessures ou d'infirmités ; de procurer, en cas de décès, des secours temporaires à leurs veuves ou à leur famille ; de pourvoir aux frais funéraires ; de faciliter aux associés l'accumulation de leurs épargnes ou l'achat d'objets usuels, pourront être reconnues par le gouvernement, en se soumettant aux conditions indiquées ci-après. »
En aucun cas, ces sociétés ne pourront garantir des pensions viagères.
- Le gouvernement se rallie à cet amendement.
M. Malou. - Je remarque une différence assez notable entre les deux projets. D'après le projet du gouvernement, les sociétés pourraient avoir pour but de satisfaire à d'autres objets d'utilité privée que ceux dont il s'agit dans l'article. Je ne sais pas pourquoi on limiterait ainsi les attributions qu'on veut confier au gouvernement. Il vaut mieux lui laisser plus de latitude, tout en adoptant la rédaction de la section centrale. Ce ne sera qu'une faculté qu'on lui laissera.
Je ferai au sujet de cet article une autre observation dans un même ordre d'idées.
Le paragraphe final porte : « En aucun cas, ces sociétés ne pourront garantir des pensions viagères. »
Si une association se formait aujourd'hui, et, n'ayant pour tout patrimoine que les retenus sur les salaires de ses membres, voulait garantir des pensions viagères, l'expérience viendrait bientôt, dans ce pays, en Angleterre, démontrer que cette promesse était téméraire. Mais s'ensuit-il qu'il soit convenable d'interdire d'une manière absolue au gouvernement d'autoriser ces associations, dans des circonstances exceptionnelles lorsque leurs ressources le leur permettent, à garantir des pensions viagères ?
Je citerai un exemple : nous avons quatre caisses de prévoyance établies pour les ouvriers mineurs ; ces caisses prospèrent. Dans quelques (page 710) années, il est possible que plusieurs d'entre elles jouissent d'une assez grande fortune, si je puis m'exprimer ainsi, pour accorder ou promettre des pensions viagères.
Il y a un double écueil à éviter : l'un consisterait à autoriser toutes les sociétés à promettre des pensions viagères sans avoir les ressources nécessaires ; l’autre, à empêcher le gouvernement d’autoriser les sociétés, qui ont des ressources suffisantes, à accorder ou à promettre des pensions viagères.
Comme il s'agit d'une délégation du pouvoir législatif, on pourrait, je pense, supprimer le dernier paragraphe de l'article.
J'attendrai, du reste, les explications du gouvernement.
M. T’Kint de Naeyer. - La majorité de la section centrale avait trouvé la rédaction de l'article premier trop vague. Elle a invité le gouvernement à lui faire connaître par un certain nombre d’exemples ce qu’il entendait par les mots : « satisfaire à d’autres objets d’utilité privée. » Le gouvernement a répondu que les besoins auxquels les sociétés de secours mutuels peuvent satisfaire, sont assez nombreux, assez divers, qu'on n'aurait pu indiquer d'une manière précise les cas qui peuvent se rencontrer en dehors de ceux de maladie, de blessures ou d'infirmités, des frais funéraires et des secours temporaires à la veuve et à la famille.
Pour citer quelques exemples, on a mentionné ceux qui étaient applicables à la Belgique, et que la commission a indiqués dans son rapport. Ce sont notamment : l'achat et le partage d'ustensiles de travail, de matières premières, d'objets mobiliers, de vêtements, etc.
La section centrale a cherché une rédaction qui sans exclure aucune combinaison utile de la mutualité fut moins vague que celle du projet de loi.
L'article accorde d'une manière très générale des facilités aux associés pour l'accumulation de leurs épargnes, ou pour l'achat d'objets usuels. N'est-il pas évident dès lors que le gouvernement devra interpréter la loi dans le sens le plus large, et qu'à moins de motifs très graves, il ne fera aucune difficulté de reconnaître les associations qui demanderont à être reconnues ?
Il faut avouer que ces mots : « objets d'utilité privée » ont un caractère tellement vague, tellement indéfini, que l'on pourrait arriver à l'abus.
De quelle manière apprécierez-vous ce qui dans l'esprit de la loi (il s'agit d'associations d'ouvriers) est réellement d'utilité privée et ce qui ne l'est pas assez pour justifier l'institution civile ?
Ce sont ces motifs, messieurs, qui ont engagé la section centrale à amender très légèrement l'article premier. Je ne comprends pas l'importance que l'on attache à une question de rédaction.
L'honorable M. Malou a demandé la suppression du dernier paragraphe. Déjà dans la discussion de la loi qui a institué une caisse de retraite sous la garantie de l'Etat, il a été démontré que les associations qui ont confondu deux ordres de faits entièrement distincts : les secours temporaires et les pensions, se préparent des déceptions et des embarras financiers qui compromettent leur existence.
Le rapport qui a été fait au parlement anglais, le 3 juillet 1846, nous apprend que la plupart des sociétés qui ont voulu assurer à leurs membres des rentes viagères, indépendamment des secours en cas de maladie et de frais de funérailles, ne peuvent pas faire face à leurs engagements, et que lorsqu'une société est forcée de se dissoudre, ce sont toujours les membres qui avaient acquis des droits à la pension qui sont les plus lésés. D'après la loi française, les sociétés reconnues ne pourront assurer que des secours temporaires. Pourquoi introduire dans les sociétés de secours mutuels un élément de pertes certaines ? Pourquoi les sociétés se ruineraient-elles en garantissant des pensions à leurs membres, quand il y a une caisse générale de retraite sous la garantie de l'Etat ? Si les associations de secours mutuels veulent assurer des pensions à leurs membres par l'intermédiaire de la caisse générale de retraite, qui est-ce qui pourra les en empêcher ? Cela est bien plus simple, bien plus facile.
A l'expérience et à l'expérience fort longue faite en Angleterre, l'honorable M. Malou n'a opposé aucun fait, aucune considération importante.
D'ailleurs, les sociétés qui auraient pour but d'accorder des pensions seront parfaitement libres de se former en dehors de la loi ; si elles ont des ressources suffisantes, elles pourront subsister.
Ce qui est assez remarquable, msssieurs, c'est que les adversaires de l'institution d'une caisse générale de retraite sous la garantie de l'Etat ont constamment soutenu que l'ouvrier ne pourrait rien prélever sur son salaire pour le porter à la caisse. Aujourd'hui, au contraire, il semblerait que les sociétés de secours mutuels pourront pourvoir à tout.
Je crois que le gouvernement s'est appuyé sur les vrais principes, qu'il a agi dans l'intérêt des sociétés de secours mutuels reconnues, en ne leur permettant pas d'assurer des pensions à la vieillesse.
M. Dumortier. - Messieurs, l'énuméralion qui se trouve indiquée dans l'article premier est nécessairement incomplète comme l'est toute énumération. Ainsi au nombre des services qui peuvent être rendus par nos associations ouvrières, un des plus grands est incontestablement le prêt gratuit de certains objets mobiliers. L'hiver, un ouvrier peut avoir besoin d'un poêle ou d'un autre objet quelconque, qu'il n'a pas les moyens d'acheter, et la société ouvrière ferait un excellent emploi de ses fonds, si elle le lui prêtait gratuitement. Ceci n'entre pas, vous le comprenez bien, dans le système de M. Proudhon qui prétend que la propriété, c'est le vol ; car il ne s'agirait nullement pour les ouvriers de s'emparer de ces objets ou de les posséder définitivement. Il n'en est pas moins vrai que c'est là un des buts d'utilité les plus incontestables des sociétés ouvrières.
Je voudrais donc que cette faculté pût se trouver écrite dans la loi.
Je propose donc, par amendement, d'ajouter dans l'article de la section centrale, après les mots : « de faciliter aux associés l'accumulation de leurs épargnes, » ceux-ci : « le prêt graluit. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cet amendement me paraît complètement inutile : les expressions : « faciliter aux associes l'accumulalion de leurs épargnes ou l'achat d'objets usuels, » indiquent bien ce me semble, qu'au besoin l'on pourra faire une avance à l'associé pour acheter l'objet dont il a besoin.
M. Dedecker. - Messieurs, il est évident que l'article premier est l'article le plus important de la loi. Il donne, d'abord, le programme officiel des opérations auxquelles pourront se livrer les sociétés de secours mutuels. Il indique ensuite les conditions auxquelles ces sociétés pourront être recennues.
Quel est le but que nous devons chercher à atteindre ? D'une part, nous devons prendre garde d'engager les sociétés de secours mutuels dans des opérations qui pourraient les conduire à leur ruine. Mais nous devons aussi chercher à développer ces institutions. Par conséquent, il faut offrir le plus d'appât possible à ceux qui se sentent portés vers les sociétés dont il s'agit.
Je viens donc appuyer, d'abord, les observations de l'honorable M. Malou, qui sont très justes : nous ne pouvons pas chercher à limiter le cercle d'action de ces sociétés ; nous devons, au contraire, l'étendre autant que possible.
Dès lors il me semble qu'il ne faut pas établir une énumération de leurs attributions, qui sera nécessairement incomplète. D'ailleurs, il n'y a aucun danger à laisser aux associations de secours mutuels, la plus grande latitude dans le programme de leurs opérations, puisque tout se fait sous le contrôle du gouvernement et que, par conséquent, le gouvernement est toujours juge de l'utilité et de la convenance des buts que ces associations poursuivent.
L'honorable M. Dumortier citait les prêts gratuits comme l'une des opérations utiles que les sociétés de secours mutuels pourraient faire. Je partage l'opinion du gouvernement et de la section centrale, que cet objet n'est pas exclu par la rédaction proposée par la section centrale ; je pense que les prêts gratuits sont compris dans les mots : « faciliter l'achat d'objels usuels. » Mais il y a d'autres résultats à obtenir de ces sociétés. Qu'est-ce qui empêcherait, par exemple, de leur permettre aussi, comme cela se pratique à Grenoble, le placement des artisans sans emploi ? Qu'est-ce qui empêcherait, par exemple, de dire que ces sociétés pourront organiser l'apprentissage gratuit des enfants d'ouvriers faisant partie de l'association depuis 20 ou 25 ans ?
Je le répète, il faut faire tout ce qu'on peut pour engager les ouvriers à faire partie de ces sortes d'associations. On nous a distribué l'autre jour une brochure qui nous apprend qu'à Verviers on voudrait aussi laisser à l'administration de la société de secours mutuels la faculté de prendre, sur l'excédant en caisse à la fin de l'année, de quoi donner des prix, entre les associés, soit pour la propreté des habitations, pour leur bonne conduite, soit pour leur dévouement à leur famille. Voilà autant d'opérations qu'on pourrait utilement permettre aux sociétés de secours mutuels. Dès lors, dans quel but chercher à limiter leur liberté d'action ? D'autant plus, encore une fois, que tout se fera sous le contrôle de l'autorité publique, qui est appelée à approuver les statuts de chacune de ces associations.
Voilà ce que j'avais à dire relativement au programme des opérations de ces sociétés.
Maintenant, j'ai quelque chose à dire relativement aux conditions.
Le paragraphe premier de l'article premier porte :« Les sociétés de secours mutuels ... pourront être reconnues par le gouvernement, en se soumettant aux conditions indiquées ci-après. »
Remarquons d'abord qu'il ne s'agit pas seulement ici de sociétés qui vont se créer dans l'avenir ; il en existe déjà aujourd'hui au-delà de 200. Ces sociétés ont depuis longtemps leurs statuts ; en général, elles sont bien organisées, sauf pour quelques points qu'il s'agirait de régler dans des statuts nouveaux. Je voudrais, autant que possible, respecter la liberté de ces sociétés déjà anciennes. Puisque nous avons le bonheur de pouvoir nous appuyer sur des traditions nationales, respectons-les.
Les principes ordinaires à ce genre d'associations sont susceptibles d'une multiple application.
De ville à ville, de métier à métier, il y a souvent des différences d'habitudes, de mœurs, de besoins. Il importe de conserver ces différences, pour n'effaroucher personne. Pas de formule générale et uniforme. Or, ce respect pour les habitudes et les traditions ne me paraît pas possible avec la rédaction de la fin du paragraphe premier de l'article premier, telle qu'elle nous est proposée.
Il y a, sans doute, quelques conditions générales à exiger pour toutes les sociétés : aussi, je conçois qnc partout on exige une reddition de comptes ; qu'on prenne quelques mesures générales en cas de dissolution. Mais, il importe de conserver à chacune des sociétés existantes sa vie particulière et séculaire.
M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Cela est entendu.
M. Dedecker. - (page 711) C'est possible ; alors, pour rendre cette pensée plus claire, il serait bon d'ajouter, dans ce sens, un nouveau paragraphe à l'article premier. Je trouve, du reste, dans la loi française, un alinéa que j'approuve beaucoup, parce qu'il atteint précisément le but que je me propose.
La loi française, après avoir déclaré qu'il faudra se soumettre à certaines conditions, pour être reconnu par le gouvernement, ajoute (article 12) que les sociétés déjà existantes, et dont les statuts ont subi l'épreuve d'une longue expérience, pourront être reconnues bien que leurs statuts ne soient pas, de tout point, d'accord avec les conditions exigées par la loi.
Je crois cette disposition fort utile, précisément pour respecter la vie propre des associations qui existent de temps immémorial en Belgique.
Pour moi, je ne vois aucun motif pour se refuser à accueillir ce paragraphe, tandis qu'au contraire, les considérations les plus puissantes militent en faveur de son adoption.
J'ai donc l'honneur de proposer un paragraphe nouveau, qui viendrait immédiatement après le premier, et qui serait ainsi conçu :
« Les sociétés, existant depuis un temps assez long pour que les conditions de leur administration aient été suffisamment éprouvées, pourront être reconnues, lors même que leurs statuts ne seraient pas complètement d'accord avec les conditions de la présente loi. »
- L'amendement est appuyé.
M. Bruneau. - Messieurs, l'honorable M. de Decker a dit avec raison que l’article premier est le plus important de la loi.
En effet, il ne s'agit de rien moins que de donner la personnification civile aux associations qui sont énumérées dans l'article.
Or, je pense qu'on ne peut donner la personnification civile à ces associations que lorsqu'on connaît bien d'avance le but qu'elles ont en vue ; que ce but est bien déterminé et bien précis.
Je suis donc disposé à donner mon assentiment à tout amendement qui pourrait prévoir dès à présent un but d'utilité publique qui rentre dans le cercle d'action de ces associations ; mais je verrais un grand danger à accepter une rédaction vague et générale qui pourrait donner lieu à de graves abus dans l'avenir.
Si plus tard des besoins nouveaux et réels se révèlent, nous pourrons faire rentrer les associations dont il s'agira, dans la catégorie de celles qui peuvent recevoir la personnification civile.
Quant à l'amendement de l'honorable M. de Decker, je pense qu'il offre un danger assez grave ; je ne vois pas pourquoi les associations existantes, dont le but ne rentre pas dans celui que la loi a en vue, ne pourraient pas changer ce but, de manière à satisfaire aux conditions de la loi ; si elles s'y refusent et ne croient pas devoir modifier leurs statuts, elles ne continueront pas moins d'exister sous le régime de liberté qui les protège à présent. On ne veut pas détruire ces associations ; mais on ne doit pas leur donner la personnification civile, quand elles ne rentrent pas dans les conditions de la loi.
M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, il est évident que l'honorable M. Dedecker enlève au projet de loi son véritable caractère, son sens, sa portée.
La pensée qui domine toute la loi, c'est de laisser aux associations la plus entière liberté de se former comme elles l'entendront. Le gouvernement intervient le moins possible.
Nous n'avons pas cessé de le répéter, et le rapport de la section centrale s'en explique clairement : le gouvernement ne peut pas passer au crible une foule d'institutions qui devront se plier à des nécessités locales. Son intervention est réclamée, afin d'assurer le maintien des principes généraux consacrés par la loi.
Eh bien, messieurs, si parmi les associations qui existent depuis longtemps, il y en a qui ont fait leurs preuves, pourquoi changerait-on leurs statuts, s'ils ne renferment rien de contraire aux principes généraux de la loi ?
Le gouvernement intervient uniquement dans l'intérêt des sociétaires, afin de les préserver d'erreurs et d'illusions dans leurs calculs.
Y a-t-il, comme annexe à la loi, un projet général de statuts, qui sera imposé à toutes les sociétés reconnues ?
Avons-nous jamais eu la pensée de jeter toutes ces associations dans un même moule ? Je crois, avec l'honorable M. Deecker, que ce sérail un très grand mal ; j'irai plus loin, je dirai que c'est impraticable.
D'après l'article 12 de la loi française, les sociétés non autorisées, mais existant depuis un certain temps, pourront être reconnues, lors même que leurs statuts ne seraient pas complètement d'accord avec les conditions de la loi. Cette disposition est sans doute justifiée par la situation exceptionnelle de sociétés très anciennes qui existent en France.
Je crois qu'il sera extrêmement facile à toutes les sociétés de notre pays de se soumettre aux prescriptions de la loi, ces prescriptions étant fort simples. Si les statuts devaient être revisés, il n'en résulterait aucun inconvénient sérieux.
M. Malou$. - Messieurs, il n'y a aucun danger à donner au gouvernement le droit d'intervenir, dans certains cas, dans la fondation des sociétés de secours mutuels, pour rendre ces sociétés utiles d'une autre manière que celle qu'indique le projet de la section centrale.
Et en effet, messieurs, prenons d'abord pour point de départ les fails tels qu'ils existent aujourd'hui.
D'après le tableau annexé au rapport de la section centrale, les associations d'ouvriers mineurs, formant plus de 32,000 sociétaires sur 68,000 qui existent en Belgique, ne pourront pas être reconnues par le gouvernement sans devoir modifier leurs statuts.
Aux pages 36 et 37 du rapport, je trouve que les associations du Hainaut comprennent aujourd'hui 33,949 sociétaires ; dans la province de Liège 12,983, soit près de 45,000 sociétaires, dont les attributions sont de fournir des secours pécuniaires en cas de maladies, de blessures et d'accidents ou même des pensions.
La caisse de la province de Liège, d'après le même document, confère des pensions annuelles et des secours périodiques.
Eh bien, messieurs, si le projet qui vous est présenté n'est pas modifié, ces associations, les plus importantes du royaume, et qui ont produit un grand bien pour les classes ouvrières, ne pourront pas être reconnues par le gouvernement dans les termes où leurs statuts existent depuis plus de douze ans. Je ne demande pas que l'on déclare pour le moment que les associations soient toutes autorisées à faire telle ou telle chose ; mais que l'on ne limite pas sans nécessité les pouvoirs du gouvernement au point de lui interdire, en présence des faits qui peuvent se produire, le droit d'autoriser des actes qui ne sont pas compris dans le cadre du projet de loi. Il faudrait, pour établir cette interdiction, qu'il y eût une défiance contre ce que le gouvernement se propose de faire en vertu de la loi, ou bien contre le contrôle que les chambres peuvent exercer sur l'exécution donnée à la loi par le gouvernement.
Pour ma part, je n'éprouve en cette matière de sentiment de défiance ni à l'égard du gouvernement, ni à l'égard des chambres ; je demande qu'on laisse subsister les institutions qui existent aujourd'hui, et que nous avons tous intérêt à voir grandir et se développer.
Un mot encore en ce qui concerne les pensions ; la caisse de prévoyance des mineurs de la province de Liège a dans ses statuts la faculté d'accorder des pensions annuelles. Je suppose qu'une caisse reçoive une donation assez importante à charge de distribuer chaque année, à des conditions déterminées des pensions viagères. En présence de la loi, le gouvernement ne pourrait pas autoriser l'acceptation de pareille libéralité, parce que la condittion serait en dehors de la constitution légale de la société.
Je prie la chambre d'adopter la formule qui gêne le moins la liberté du gouvernement ; si l'expérience démontre que d'autres dispositions sont nécessaires, le gouvernement les présentera ou la chambre en prendra l'initiative.
N'insérons pas dans la loi de restriction qui empêcherait le gouvernement de prêter les mains à des créations utiles ; n'empêchons pas la loi de produire tout le bien qu'on peut en attendre.
M. Dedecker. - Messieurs, nous sommes d'accord sur ce point, que le patronage de l'autorité publique sera très utile aux sociétés de secours mutuels ; nous voulons que ce patronage s'applique au plus grand nombre des sociétés qui existent déjà. Eh bien ! quand on connaît les habitudes des classes ouvrières, on est convaincu que si toutes les sociétés doivent être réformées dans leurs conditions d'existence pour être soumises à une formule générale et uniforme, nous n'atteindrons pas le but que nous nous proposons.
Si nous voulons arriver à placer toules les sociétés de secours mutuels sous le contrôle, sous le patronage de l'autorité publique, faisons en sorte que la loi respecte autant que possible la constitution de ces sociétés. Parmi elles il en est qui existent depuis des centaines d'années. Elles ont parfaitement bien fonctionné. Les statuts en sont souvent très bien faits ; il ne s'agit que d'ajouter quelques conditions générales et indispensables pour toute société qui prétend se faire reconnaître. Je le dis avec conviction, sous peine de rendre la loi stérile, la législature doit respecter les anciennes traditions.
On a beau dire, en lisant quelques phrases de l'exposé des motifs, qu'on ne veut pas soumettre toutes les sociétés à une formule unique ; nous sommes en présence d'un texte de loi ; l'honorable rapporteur ne croit pas que ce texte s'oppose à ce que je désire ; moi je crois qu'il s'y oppose quand il dit : « Les sociétés de secours mutuels, etc., pourront être reconnues par le gouvernement, en se soumettant aux conditions indiquées ci-après. »
Je crois que toutes les sociétés passeront au crible d'une nouvelle formule. Je m'y oppose, parce que ce serait dangereux pour le but que nous voulons atteindre.
J'ajoute encore un mot. Si j'ai parlé de quelques opérations accessoires qu'il conviendrait de permettre et dont l'avenir pourra indiquer la nécessité, je n'ai pas voulu, comme on l'a supposé à tort, en insérer l’émunération dans l'article premier. Je demande, avec mon honorable ami M. Malou, qu'on ne les exclue pas ; nous demandons qu'on adopte une formule plus large afin de ne rien exclure, la formule insérée dans le projet du gouvernement ou telle autre qu'on voudra. Il esl impossible de préciser tous les buts d'utilité publique qu'on pourra atteindre par les sociétés de secours mutuels ; mais n'en excluons aucun.
M. Lebeau. - Il faut bien se rendre compte de la position faite aux sociétés existantes ; même après le rejet de l'amendement proposé, il n'est pas un seul des établissements existants qui soit le moins du monde menacé. On n'apporte pas la moindre restriction à la liberté d'association. Où commence le dissentiment ? Sur la question de savoir s'il faut étendre, d'une manière indéfinie dans les termes, la faculté accordée au gouvernement de créer des personnifications civiles. Voilà la question.
(page 712) J'ai de très graves scrupules sur la constitutionnalité de l'extension illimitée qu'on propose de donner au projet de loi ; je ne suis pas même exempt de doutes sur la constitutionnalité du projet de loi emportant une délégation limitée. Je suis à me demander si, en restant même dans les termes du projet de la section centrale, on peut déléguer au gouvernement la faculté de constituer des personnes civiles. J'avoue, cependant, que ces scrupules s'effaceront beaucoup par la limitation très prudente que je vois maintenant dans le projet.
Quand la Constitution exige une loi pour constituer ou modifier une commune, pour constituer un bureau de bienfaisance, je demande s'il ne serait pas imprudent de donner au gouvernement la faculté decréer des personnes civiles, sur tout ce qu'il voudra, sous prétexte d'association pour secours mutuels, car l'amendement annoncé ne comporte pas de limite, et s'il n'y a pas de limite c'est tout, c'est une délégation universelle. Si celle qui est proposée vous paraît trop restreinte, proposez-en d'autres ; mais il en faut proposer de spéciales, de nettement définies.
Je me demande déjà si nous sommes bien restes dans l'esprit de la Constitution, comme l'ont entendu ceux qui l'ont faite, quoi qu'il y ait dans le projet une limitation à la faculté donnée au gouvernement.
Maintenant les sociétés, quelles qu'elles soient, qui pourraient s'élever, sonl-elles exclues de la personnification civile, si elles ne rentrent pas dans les conditions du projet ? Nullement ; une loi spéciale y pourvoira comme nous le faisons pour la création d'une commune ; mais alors nous prononcerons en pleine connaissance de cause, tandis que, par l'amendement de M. Dedecker, nous donnerions au gouvernement une faculté illimitée dans son application. Je ne puis pas l'adopter.
M. Dumortier. - Il y a une différence entre l'érection d'une commune et la personnification civile. La Constitution porte qu'il ne peut être rien changé aux limites d'une commune, si ce n'est par une loi. Voilà la disposition de la Constitution ; il n'y a rien de semblable en matière de constitution de ce qu'on appelle personnification civile. Nous sommes parfaitement dans les termes de la Constitution ; que l'honorable M. Lebeau se rassure.
Le but que nous voulons atteindre, c'est 1° de faciliter la création de sociétés de secours mutuels ; 2° d'arriver à un contrôle de leurs opérations. Mais, messieurs, il existe déjà en Belgique un nombre considérable de sociétés de secours mutuels. Mon honorable ami vous a cité celles des Flandres ; je vous parlerai, moi, de celles de Tournay ; on en indique 40 dans le tableau annexé au projet de loi ; je suis convaincu que le nombre est plus considérable. Ma mémoire m'en rappelle quelques-unes qui ne figurent pas dans le tableau.
Ces sociétés existent de temps immémorial, depuis des siècles ; elles sont en possession de faire le bien. Maintenant si vous voulez les formuler, dans un arrêté royal qui sera pris pour ces sociétés, il est évident que pas une ne profitera du bénéfice que vous voulez accorder à ces sociétés.
En général, les sociétés dont je parle sont créées dans le but de donner aux associés des secours temporaires, en cas de maladie, de blessures ou d'infirmités et, en cas de décès, des secours temporaires aux veuves et à la famille et de pourvoir aux frais funéraires, mais à une condition, qu'il ne faut pas perdre de vue (car il s'agit ici, non de théorie, mais d'organisation pratique), c'est qu'à la fin de l'année les ouvriers font une fête avec les bénéfices qu'ils ont pu recueillir. Je désirerais savoir s'il est dans les intentions de la section centrale et du gouvernement d'empêcher ces fêtes ?
- - Un membre. - C'est chose à voir !
M. Dumortier. - Pour moi, c'est tout vu !
Je dis qu'il faut faciliter aux ouvriers, comme à nous-mêmes, les moyens de se donner une fête, quand le moment est arrivé. Les ouvriers n'ont pas trop d'occasions de s'amuser, pour que nous venions, par la loi, leur en enlever la faculté.
- - Un membre. - Ils n'ont pas besoin pour cela d'être personnes civiles !
M. Dumortier. - Si ces sociétés n'ont pas besoin de la personnification civile, la loi est inutile. Vous voulez les amener à la personnification civile, afin de leur donner une direction plus sage, de leur donner de bons conseils.
Mais ces sociétés s'y refuseront ; elles vous diront : Si vous voulez nous empêcher de nous amuser à la fin de l'année, nous n'avons pas besoin de vos dons.
Voilà positivement ce qu'elles vous diront ! Car il ne faut pas se faire illusion ; il faut envisager les choses au point de vue pratique.
Voulez-vous les envisager en théorie ? Je dis qu'il ne convient pas d'empêcher les ouvriers de s'amuser une fois par an. Ils travaillent toute l'année. On ne peut leur refuser un peu d'amusement.
L'honorable M. T'Kint de Naeyer dit, dans son rapport, avec infiniment de raison, qu'il ne faut pas modifier les sociétés qui ont fait leurs preuves depuis longtemps. C'est dans le rapport ; mais ce n'est pas dans la loi. Or, le rapport, ce n'est pas la loi. Les ministres n'exécutent pas le rapport ; ils exécutent la loi. Il importe donc que, dans la loi, vous ayez la pensée qui est dans le rapport. Or, l'amendement présente par mon honorable collègue et ami M. Dedecker, est l'expression de cette pensée. Cet amendement, d'ailleurs, n'est pas une inno\ation ; il fait partie de la loi française.
Est-ce que les scrupules que l'honorable M. Lebeau a exprimés ont plus de valeur qu'en l'rance ? Comment ! En France, où le droit d'association n'existe pas comme en Belgique, on n'a pas hésité à admettre îa disposition proposée par mon honorable ami. Pourquoi serions-nous plus sévères envers les ouvriers que dans un pays voisin ? Je ne le comprendrais pas. Je demande donc que l'on adopte l'amendement présenté par mon honorable ami.
Quant au mien, comme on a déclaré que ceque je me proposais est atteint par l'article du projet, je déclare le retirer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le but de la loi ne doit pas être perdu de vue.
Lorsque nous avons proposé la loi sur la caisse générale de retraite, nous avons annoncé que cette loi ne prévoyait pas tous les besoins de la classe ouvrière, qu'il faudrait la compléter par une deuxième loi, qui aurait pour but de pourvoir aux besoins accidentels des ouvriers.
La loi qui a institué une caisse de retraite a pour but d'assurer aux ouvriers et artisans une pension, dans la vieillesse, pour l'époque où leurs bras commencent à faire défaut au travail. Mais il y a d'autres empêchements au travail que la vieillesse : ce sont les maladies, les infirmités, les blessures. Pour ces empêchements temporaires, on a voulu encore favoriser la prévoyance des ouvriers. Tel est le but essentiel de la loi, c'est de favoriser les associations qui ont pour but de venir en aide aux associés et à leur famille, en cas d'empêchement provenant d'infirmités, de maladies, de blessures.
Sous ce rapport seul, la loi peut déjà rendre de grands services à la classe ouvrière.
On a reconnu cependant que des associations pourraient être formées et encouragées pour subvenir à d'autres besoins. C'est pourquoi le projet présenté par le gouvernement, de commun accord avec la commission qui l'a préparé, après l'énuméralion que je viens de rappeler, ajoutait « ou de satisfaire à d'autres objets d'utilité privée ».
La section centrale a cru qu'il convenait de déterminer d'une manière plus précise l'objet auquel les associations légales pourraient être appelées à pourvoir. Nous nous sommes ralliés à la rédaction de la section centrale. Nous croyons que de pareilles sociétés ne peuvent être constituées avec privilège, satisfaire à toute espèce de besoins, à toute espèce de caprices. Si elles veulent le faire, la liberté est là pour elles : elles n'ont pas besoin de recourir à l'intervention du gouvernement.
Veut-on étendre encore l'action de ces sociétés, indiquer d'autres objets que ceux prévus par la loi, objets auxquels elles pourront s'appliquer ; je ne m'oppose pas à ces modifications ; mais il est utile qu'elles soient formulées.
Il ne faut pas toutefois dénaturer le caractère de pareilles sociétés : ce sont des ouvriers, des artisans qui s'associent pour accumuler certaines épargnes, afin de pourvoir, dans des cas déterminés, aux accidents qui peuvent les atteindre.
Voilà le but principal de la loi ; et ce but répond à des besoins bien constatés. Ce qui le prouve, c'est que la plupart des sociétés actuellement existantes et dont vous avez la liste à la suite du rapport de la section centrale, n'en ont pas d'autre.
On parle de sociétés pour le placement des ouvriers ; je crois que la loi n'a pas à s'occuper de ces sociétés. Les villes, les bureaux de bienfaisance peuvent entreprendre le placement des ouvriers. Déjà plusieurs villes l'ont fait.
On a parlé aussi des encouragements à donner à la propreté, à la bonne tenue des ménages. Je ne pense pas que ce soient les ouvriers entre eux qui doivent établir de pareilles associations. Cela est du ressort des communes, du ressort des bureaux de bienfaisance.
On a demandé que les sociétés actuellement existantes fussent en quelque sorte reconnues de plein droit en vertu de la loi, sans qu'elles eussent à soumettre leurs statuts à la sanction du gouvernement. Evidemment ce serait aller trop loin. Ces sociétés existent ; elles ont existé sans le concours du gouvernement. Elles peuvent continuer sur le même pied. Mais si elles veulent profiter du bénéfice de la loi, il faut qu'elles soumettent leurs statuts à l'approbation du gouvernement. Le gouvernement tiendra compte des faits accomplis, et s'il voit que ces sociétés fonctionnent dans de bonnes conditions, il approuvera leurs statuts.
La loi ne contient pas une formule générale, absolue, dans laquelle toules les sociétés devront se renfermer : les formules des statuts varieront suivant les sociétés, et les sociétés anciennes pourront soumettre à l'approbation du gouvernement les statuts en vertu desquels elles ont vécu jusqu'ici. Si le gouvernement aperçoit des améliorations à y introduire, il indiquera ces améliorations.
Sous ce rapport, je crois qu'il n'y a rien à ajouter à la loi et surtout rien à redouter de tes effets.
Je répèterai ce que j'ai dit hier, nous devons procéder avec une certaine prudence dans toules les innovations. Les meilleures intentions que n'éclaircirait pas l'expérience pourraient nous faire manquer le but que nous nous proposons.
Si, par la suite, et dans le cas où l'énuméralion de la loi serait incomplète, nous reconnaissons qu'il est des besoins communs auxquels on pourrait utilement pourvoira l'aide d'associations encouragées par l'Etat, rien n'empêchera que, par un article de loi, on ne vienne ajouter une nouvelle série d'objets auxquels ces associations pourront pourvoir.
Les limites indiquées par la section centrale et qui étaient d'àilleurs dans l’esprit du projet du gouvernement peuvent-elles être étendues ? Dès maintenant trouve-t-on que des besoins spéciaux pourraient être compris dans l'article premier ? Je ne m'oppose pas à l'examen de leur indication, je demande seulement que les propositions soient renvoyées à l'examen de la section centrale.
(page 713) Je pense d’aileurs que la loi, telle qu’elle est, est appelée à rendre de grands services, et, dans tous les cas, si elle était incomplète, je le répète, rien n’empêcherait le gouvernement de venir demander successivement une extension au principe très utile qu’elle consacre, mais qui pourrait aussi renfermer des inconvénients s’uk ne trouvait pas des limites dans la loi même.
M. Roussel. - Messieurs, l'honorable M. Lebeau vient de soulever quelques doutes relativement à la constitutionnalité des personnes civiles qu'il s'agit d'établir. Je me propose de dire quelques mots à l'effet de démontrer que ses scrupules ne sont nullement fondés. Il est vrai que l'honorable M. Lebeau a ajouté qu'il voterait pour le projet de loi, mais comme ces doutes pourraient rester dans quelques esprits, je sens le besoin d'émettre mon opinion relativement à la constitutionnalité des personnes civiles que le projet de loi se propose de constituer.
D'abord qu'on me permette de faire remarquer qu'il s'agit ici de personnes civiles d'une nature particulière. En effet, les sociétés ne seront pas indépendantes de l'Etat. Elles resteront d'abord, quant à leur constitution, dans le domaine général de l'approbation par le gouvernement. Elles restent dans le même domaine relativement à la dissolution et au mode de liquidation. Elles sont soumises à une surveillance administrative continue, puisque le gouvernement peut leur retirer l'approbation qu'il leur a donnée, et qui, d'après un amendement présenté par M. le ministre de la justice, ne pourrait exister qu'en suite de conditions déterminées par des arrêtés royaux.
Quels sont les droits concédés à ces sociétés ?
Ces sociétés ont une nature de personne civile toute spéciale, et nous trouvons à l'article 3 les seuls privilèges qui leur soient concédés. Ces privilèges consistent : 1° dans la faculté d'ester en justice ; 2° dans l'exemption des droits de timbre et d'enregistrement pour tous actes passés au nom de ces sociétés ou en leur faveur ; 3° dans la faculté de recevoir des donations ou legs d'objets mobiliers.
Il n'y a pas là, messieurs, à parler sérieusement, de constitution de personnes civiles avec droit de propriété immobilière et faculté d'agir comme pourraient le faire des citoyens.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole.
M. Roussel. - Il n'y a pas là de personnes civiles proprement dites indépendantes de l'Etat. C'est toujours, d'après moi, l'Etat qui conserve la surveillance, qui décide des conditions, qui règle la dissolution, qui règle la liquidation. Je ne vois donc aucune espèce de doute à concevoir relativement à la constitutionnalité de ces sociétés. Jemetais, car je suis vraiment curieux d'entendre M. le ministre des finances nous démontrer que les sociétés qu'il propose d'établir sont inconstitutionnelles.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'ai nullement la prétention de démontrer que les sociétés que le gouvernement propose d'autoriser et de reconnaître, seraient fondées sur un principe inconstitutionnel. Ce n'est pas du tout cela que j'ai l'intention de prouver. Mais j'ai l'intention de prouver que l'honorable membre se trompe, selon moi, lorsqu'il pense que les sociétés qui seraient reconnues en vertu de la loi, ne constitueraient pas des personnes civiles.
Elles ne seraient pas des personnes civiles -, car, dit-il, si je consulte les dispositions de la loi, je trouve que l'objet de ces sociétés est limité ; elles ne peuvent faire que les choses indiquées dans la loi ; elles sont sous le patronage du gouvernement ; elles sont sous le contrôle du gouvernement. La liquidation éventuelle de ces sociétés est déterminée également par la loi.
Messieurs, qu'est-ce que cela prouve ? Cela ne prouve en aucune façon que la société qui sera constituée et reconnue en vertu de la loi, ne sera pas véritablement une personne civile. A quels caractères reconnaît-on la personne civile ? C'est....
M. Roussel. - J'ai combattu les doutes que l'honorable M. Lebeau éprouvait relativement à la constitutionnalité de ces espères de sociétés ; mais je ne conteste pas que ce soient des personnes civiles. Ce que je prétends, c'est que ce ne sont pas des personnes civiles inconstitutionnelles ; que ce sont des personnes civiles qui se trouvent constamment sous la direction de l'administration, et qui n'ont aucun caractère d'inconstitutionnalité. Voilà tout ce que j'ai voulu prouver.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous n'avons pas compris, et je crois que personne dans l'assemblée n'avait compris les paroles de l'honorable M. Roussel dans le sens qu'il vient de leur donner. Nous sommes donc d'accord. Les sociétés qui seront reconnues par le gouvernement le seront en vertu des principes déposés dans le projet de loi, principes qui ne sont pas inconstitutionnels. Mais elles seront bien réellement des personnes civiles, cela est important à constater. Comme les sociétés qui seront ainsi reconnues constituent bien réellement des personnes civiles, il devient essentiel, indispensable de bien préciser leur but, ce qu'elles peuvent faire, ce qui leur est permis, car c'est à cette condition seule qu'elles peuvent exister. Or, si leur but n'est pas bien déterminé, s'il n'est pas clair, précis, s'il y a quelque chose de vague, alors les sociétés qu'on pourrait établir en vertu de cette loi pourraient avoir un tout autre but que celui que le législateur se serait proposé.
Il importe beaucoup que cela soit très clairement exprimé. Les pouvoirs du gouvernement doivent être parfaitement définis, précisés, limités, et l'on peut s'étonner à bon droit de voir sur les bancs de la droite demander cette fois, pour le gouvernement, des pouvoirs très étendus lorsque généralement on a critiqué le gouvernement de venir proposer certaines mesures qui lui donnaient quelque latitude, certain pouvoir dans de simples cas d'administration.
Je crois que l'on pourrait poursuivre un double but, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Dumortier, à propos du principe de la loi. Il faut qu'il soit bien entendu que la loi ne peut s'appliquer qu'à des associations d'ouvriers ou d'artisans. Je crois que c'esl bien là ce qu'on veut, que c'est exclusivement cela. Il ne faut pas que, sous prétexte de secours mutuels, on constitue des sociétés qui n'auraient pas véritablement ce but.
M. Dedecker. - C'est inouï.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est assez délicat, mais enfin c'est ainsi. Je ne crois pas que ce soit autant inouï que veut bien le dire M. Dedecker.
M. Dedecker. - Il n'y a pas moyen de discuter si vous faites de semblables suppositions.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne fais aucune supposition. Je ne suppose à personne d'arrière-pensée ; je constate seulement que la loi a un but bien défini et qu'il ne faut pas qu'on puisse la faire dévier de son but.
Je ferai remarquer à l'honorable M. Dedecker, qui m'interrompait, qu'une interprétation extensive ne serait pas une chose inouïe. Il s'agit d'autoriser le gouvernement à reconnaître certaines associations formées dans un but déterminé ; eh bien, ne savons-nous point, par expérience, que l'on a reconnu des associations ayant un autre but que celui qui avait été déterminé par la loi ? Les tribunaux n'ont-ils pas dû intervenir ? N'ont-ils pas décidé que des autorisations royales, accordées par extension d'un décret, étaient sans valeur ; or, ce que l'on a fait à la faveur d'un décret, pourquoi ne le ferait-on pas à la faveur de la loi en discussion ? Soyons donc d'accord sur ce point : la loi ne peut s'appliquer qu'aux associations ouvrières. Elle a pour but de favoriser l'association des ouvriers et artisans, afin qu'ils puissent se procurer des secours en cas d'accident, en cas de maladie, en un mot, dans les cas prévus par la loi. C'est seulement à cela que la loi peut s'appliquer.
M. Roussel. ) Je n'ai demandé la parole, messieurs, que pour répondre un seul mol à M. le ministre des finances qui paraît m'avoir mal compris, peut-être parce que je me serai mal expliqué.
Mon seul but a été, non pas de faire voir que les sociétés dont il s'agit ne seraient pas des personnes civiles, mais de répondre à une observation générale de l'honorable M. Lebeau.
L'honorable M. Lebeau a parlé de ce qu'il pourrait y avoir d'inconstitutionnel dans la faculté donnée au pouvoir administratif de constituer ces sociétés en personnes civiles, et des précautions que le gouvernement devait prendre pour éviter les dangers que l'établissement de ces sociétés pourrait présenter. C'est pour cela que j'ai signalé toutes les dispositions du projet de loi restrictives de la qualité de personne civile, dans le sens le plus ordinaire de ce mot.
Ce point expliqué, je dois dire que si je n'ai pas été compris, c'est peut-être parce que l'on attache, aux amendements présentés, une importance trop grande à raison de quelques idées préconçues qu'on se sera formées relativement au but de ces amendements. Quant à moi, je le déclare hautement : franc et sincère libéral, je ne partage nullement les craintes qui ont été manifestées ; jamais il ne me viendra à la pensée que tous les moines du pays puissent se transformer un jour en ouvriers pour entrer dans les sociétés de secours mutuels. Nous portons, Dieu merci, notre libéralisme un peu plus haut que cela.
Nous faisons une loi humanitaire, et nous devons nous placer au-dessus des questions de parti ; nous sommes appelés à faire le bien sans aucune arrière-pensée. Si des bancs de la droite il surgit des amendements utiles, acceptons-les sans hésitation et sans défiance.
Nous marchons en ce moment sur un terrain neutre sur lequel toutes les discussions de parti s'évanouissent en présence d'un but noble et généreux à atteindre. M. le ministre de l'intérieur l'a dit hier, et j'adhère cordialement aux paroles qu'il a fait entendre,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure à la chambre qu'il était indispensable de préciser le véritable caractère des sociétés qu'on entend reconnaître, auxquelles on veut donner la personnification civile. J'ai dit très nettement qu'il ne fallait pas qu'il y eût méprise ; qu'il fallait que l'on connût bien quel était le caractère que devaient présenter les sociétés qu'on voulait instituer. Il ne s'agit pas de faire une question de parti ; il s'agit d'éviter des inconvénients possibles, de prévenir des abus. L'honorable membre veut-il les autoriser, les approuver, les favoriser ?
M. Roussel. - Je ne me suis pas prononcé sur le fond des amendements.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne vous êtes pas prononcé, mais vous avez eu, d'une manière assez significative, la prétention de faire une leçon à ceux qui ne partageaient pas votre opinion.
M. Roussel. - Je ne donne pas de leçons ici.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'accepte pas cette leçon, qui nous rappelle un peu trop votre qualité de vieux professeur.
M. Roussel. - Je suis ici représentant de la nation et je ne donne pas de leçons ici, je dis mon opinion, comme j’en ai le droit ; voilà tout.
M. le président. - Vous n'avez pas le droit d'interrompre.
(page 174) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les paroles de l'honorable membre avaient un sens apparenment. Il s'est levé pnur me répondre. J’avais témoigné la crainte qu’on n’abusât des termes trop vagyes de l’amendement proposé ; il a qualifié cette crainte de chimérique parce que, dans sa conviction, les moines ne se reransformeraient pas en ouvriers pour profiter du bénéfice de la loi. Il a pris texte de cette opinion pour opposer son libéralisme au nôtre.
Il nous semble que l'allusion était assez transparente (interruption) ; l'honorable membre n'a pas besoin de dissimuler sa pensée ; il est bien clair que ce qu'il a voulu dire, c'est que dans la défense que je faisais du projet, en en précisant le caractère général, j'ai en en vue d'empêcher que des corporations religieuses ne vinssent, à l'abri de la personnification civile que le gouvernement pourrait accorder, profiter du bénéfice de cette personnification ; c'est bien là ce que l'honorable membre a voulu dire. Il aurait mieux fait de prouver qu'il était juste et rationnel d'introduire dans la loi, au lieu de termes clairs et précis, des mots vagues qui pouvaient ultérieurement se prêter à toutes les interprétations. Quant à moi, je ne puis admettre un pareil système en matière aussi grave. Il ne faut laisser place ni au doute ni à l'arbitraire.
Le but doit être bien déterminé.
L'honorable préopinant provoque des amendements de la part d'honorables membres de la droite ; nous faisons de même ; c'est nous qui avons appelé ces amendements ; nous avons dit : Veut-on indiquer un but précis autre que celui qui est spécifié, et qui serait reconnu bon, utile, salutaire ? Nous sommes prêts à accueillir l'amendement ; mais reconnaissons que jusqu'à présent cet amendement n'a pas été produit ; il ne faut pas de mots vogues, de mots qui n'indiquent rien de satisfaisant et qu'un législateur sage ne peut insérer dans la loi. (Interruption.)
L'honorable M. Malou a indiqué certaines associations qui existent aujourd'hui, qui ont un but qui ne paraît pas être tout à fait identique avec celui du projet de loi., et qu'il serait cependant utile de maintenir. Mais ces sociétés continueront à subsister ; on n'y porte aucune atteinte ; ensuite je ne sais pas jusqu'à quel point l'honorable M. Malou n'est pas dans l'erreur à cet égard ; il veut parler des associations charbonnières ; l'honorable membre a déclaré que ces associations promettaient des rentes viagères, et que, par conséquent, elles se trouveraient exclues du bénéfice de la loi qui interdit formellement de promettre des rentes viagères.
Je ne sais pas si ce fait est entièrement exact ; mais le fût-il, le principe que la loi établit à cet égard, est essentiel ; il faudrait une certitude qui manque entièrement pour autoriser des associations de secours mutuels qui auraient la faculté de promettre des rentes viagères.
L'expérience a prouvé que les associations formées sur de telles bases avaient fait de mauvaises affaires et compromis le son de l'institution.
M. Rousselle. - Messieurs, je suis de ceux qui ont approuvé, parce qu'ils étaient trop vagues, la suppression des mots : « ou de satisfaire à d'autres objets d'utilité privée », qui se trouvaient dans le projet du gouvernement. Mais d'un autre côté, je ne regarde pas l'énumération proposée par la section centrale comme complète. Je doute fort qu'au moyen de cette énumération, le gouvernement puisse donner la personnification civile aux sociétés d'ouvriers actuellement existantes et qui soumettraient leurs statuts à l'approbation du gouvernement.
Je désire tout particulièrement que le gouvernement soit investi du pouvoir de donner cette qualification aux anciennes associations, qui rentrent dans le but du projet de loi ; mais pour cela je pense qu'il faut étendre l'énumération de la section centrale.
Je propose d'inlercaler dans l'article la disposition suivante :
« Remplacer les mots : « ou de satisfaire à d'autres objets d'utilité privée », par les mots : « ou de satisfaire à d'autres nécessités temporaires qui pourraient atteindre les artisans ou les ouvriers. »
- L'amendement est appuyé.
M. le président. - Voici un nouvel amendement de M. Malou ; cet amendement remplacerait le premier amendement qu'il a présenté.
« Les sociétés de secours mutuels, formées entre ouvriers et artisans, avec ou sans l'intervention des patrons, pourront être reconnues par le gouvernement, en se soumettant aux conditions indiquées ci-après. »
M. Malou. - Messieurs, je n'ai pas besoin de dire à la chambre, comme j'ai besoin de dire à M. le ministre des finances, que les observations, présentées par d'honorables amis qui siègent sur les mêmes bancs que moi, comme celles que j'ai présentées moi-même, ont été étrangères à toute préoccupation de parti ; nous sommes entrés franchement, sincèrement, dans la voie dans laquelle M. le minisire de l'intérieur nous avait appelés hier ; jusqu'à ce que M. le ministre des finances eût pris la parole, il s'agissait de savoir s'il fallait faire plus ou moins grande la part d'action du gouvernement ; il ne s'agissait pas d'une mesquine question de parti.
Quoi qu'on fasse, nous continuerons à marcher dans la même voie ; nous défendrons, même lorsque le gouvernement les déserte, les droits de sa propre liberté. Et, en effet, n'est-ce pas un spectacle étrange ? Je reprends les expressions du projet du gouvernement ; je pouvais espérer au moins sa neutralité ; et le gouvernement lui-même combat le projet qu'il a présenté.
Evidemment, il y a dans ce débat de l'imprévu, beaucoup d'imprévu pour ceux qui ne savent pas qu'aujourd'hui, pour les hommes qui dirigent notre politique intérieure, tout chemin mène à Rome, comme pour ceux qui ne savent pas qu'on voit tout jaune, hélas, quand on a la jaunisse !
Les observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre tendaient à permettre au gouvernement, sans sortir des termes de la loi, d'accorder la personnification civile aux institutions de prévoyance les plus importantes qui existent dans le pays, à celles qui ont produit dans nos districts miniers les plus grands avantages pour le bien-être des ouvriers.
Je le répète, la rédaction du projet vous interdit de reconnaître, avec les avantages définis par la loi, quatre institutions qui comprennent à peu près les deux tiers, en nombre, de toutes les associations du pays. C'est à cela que je désire pourvoir : je n'ai pas d'autre but.
Quelles objections a-t-on faites ? On dit que si la formule proposée dès l'origine par le gouvernement était maintenue, il pourrait reconnaître personnes civiles toutes les associations qui se constitueront sous le prétexte de secours mutuels. La rédaction nouvelle que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre, me paraît résoudre complètement cette objection.
Le gouvernement ne peut faire usage de la faculté que la loi lui donne qu'en faveur d'une société de secours mutuels ; il faut, en second lieu, que cette société soit établie entre ouvriers ou artisans ; mais j'ajoute que la société peut exister avec la participation des patrons.
El ici, permettez-moi de le dire en passant, je crois que la constitution la plus utile, pour tous les intérêts engagés dans la question des associations ouvrières sera toujours celle où le patron est associé à l'œuvre de la prévoyance. On a établi cette solidarité entre tous les intérêts dans les associations dont je défends en ce moment la cause ; c'est pour cela qu'elles ont réussi et produit d'heureux résultats.
La rédaction nouvelle que j'ai présentée ne peut soulever, ce me semble, les objections que l'on a formulées dans ce débat. Les associations, pour pouvoir être reconnues, doivent exister entre ouvriers ou artisans, avec ou sans l'intervention du patron. La seule chose que je combatte, c'est une limitation des pouvoirs du gouvernement, qui ne permette pas de reconnaître certaines associations qui existent aujourd'hui, et que, si de nouveaux besoins dans telle ou telle industrie, dans telle ou telle localité, viennent à se manifester, ne permette pas au gouvernement d'accorder les bienfaits de la personnification civile à des institutions utiles.
Puisque le gouvernement paraît préoccupé de la crainte qu'il ne puisse abuser lui-même de cette loi, voici un remède que j'indiquerai. Comme il s'agit ici d'une délégation temporaire du pouvoir législatif, on pourrait intercaler dans la loi une disposition qui obligerait le gouvernement à proposer à l'approbation des chambres, dans un délai déterminé, les arrêtés organiques qu'il aurait pris en vertu de la loi. Je soumets cette idée à l'examen de la chambre.
Lorsque nous serons arrivés à l'article 6, nous pointons en faire l'objet d'un examen plus approfondi.
En terminant, je proteste de nouveau de toutes mes forces que mes propositions et celles de mes honorables amis sur ce point, et sur les autres questions que la loi peut encore faire naître, sont absolument étrangères à toute préoccupation de parti.
Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, la question de parti s'efface devant la question d'intérêt social.
- L'amendement est appuyé.
M. le président. - La parole est à M. Dedecker.
M. Dedecker. - Je voulais faire les observations que vient de présenter l'honorable M. Malou.
M. Delfosse. - Il y a une chose qui m'a étonné dans les paroles de l'honorable préopinant. Il a feint de combattre encore au moment où il battait en retraite, au moment où il rendait les armes à son contradicteur.
M. le ministre des finances n'avait pas reproché à l'opposition de soulever ici une question de parti ; il s'était borné à faire ressortir les inconvénients des termes vagues que l'honorable M. Malou voulait insérer dans la loi.
L'érection d'une personne civile peut être une chose ulile, mais elle peut aussi avoir ses dangers ; il ne faut pas que le gouvernement puisse en créer trop légèrement, voilà l'opinion que M. le ministre des finances a émise, et, en disant cela, il ne se défiait naturellement ni de lui ni de ses collègues, il se défiait de leurs successeurs possibles, la loi se fait pour l'avenir et non pour un jour.
Comme M. le minisire des finances, je veux bien accorder au gouvernement la faculté d'ériger des personnes civiles dans des cas précis, déterminés ; je ne veux pas des termes généraux, des termes vagues proposés d'abord par l'honorable M. Malou ; ce serait en quelque sorte donner au gouvernement le pouvoir illimité de créer des personnes civiles.
L'honorable M. Malou se rendant, sans vouloir l'avouer, aux raisons données par M. le ministre des finances, a renoncé aux expressions vagues de son premier amendement. Il vient d'en présenter un nouveau, qui limite les pouvoirs du gouvernement aux sociétés formées entre ouvriers et artisans. C'est là une grande concession due, je le répète, aux observations de M. le ministre des finances.
La section centrale a étendu l'énumération des cas indiqués au projet primitif ; si on veut l'étendre encore, qu'on présente des amendements, comme l'honorable M. Charles Rousselle, comme l'honorable M. Malou viennent de le faire.
(page 715) La section centrale, à laquelle je demande que ces amendements soient renvoyés, les examinera avec attention ; elle admettra tout ce qui sera de nature à rendre le projet plus utile, tout en persistant à repousser tes termes vagues que l'honorable M. Malou avait d'abord proposés et qui pourraient donner lieu à de graves abus.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je regrette que l'honorable M. Malou ait discuté la question de manière à faire croire qu'en effet il s'y mêlait cet esprit qu'il repoussait de toute ses forces. (Interruptions.) Vous accusez violemment le ministère de déserter la cause du gouvernement, dont vous prenez, dites-vous, la défense.
La prérogative du gouvernement n'est nullement ici en jeu. Nous cherchons de bonne foi à faire une loi utile non une loi politique ; nous vous demandons de vouloir bien indiquer, préciser, les objets auxquels la loi n'a pas pourvu et auxquels il pourrait être utile de pourvoir ; les cas où des sociétés de secours mutuels entre ouvriers pourraient être utilement patronées par le gouvernement.
Nous avons reconnu que les termes du projet du gouvernement étaient trop vagues ; la section centrale a indiqué différents objets auxquels la loi pourrait s'appliquer. Faut-il en ajouter d'autres ? Nous ne demandons pas mieux que de le faire ; plus il y aura de cas auxquels la loi s'appliquera uiilement, plus elle remplira son but, plus nous serons heureux d'en avoir pris l'initiative ; nous devons chercher à nous éclairer réciproquement afin de rendre la loi aussi efficace que possible. Vous dites que vous ne voulez pas rendre la loi applicable aux associations religieuses ; nous vous croyons ; mais faites que la loi ne présente pas d'application possible à des objets qui doivent lui rester étrangers.
La loi française est plus restrictive que celle que nous vous proposons, la loi française ne s'applique qu'aux cas de maladie, blessures ou décès. Nous allons plus loin ; mais nous devons prendre garde à l'éventualité de certains dangers. Il ne faut pas que ces sociétés qui n'ont qu'un but d'utilité privée puissent devenir l'arsenal où l'on viendrait chercher des armes pour le désordre. Nous voulons encourager les ouvriers à s'associer pour s'entr'aider dans les circonstances difficiles ; mais nous ne voulons pas les encourager à s'associer pour jeter le désordre dans la société.
Si, par exemple, sous un nom philanthropique, il se formait des sociétés qui auraient un but purement politique ? De pareilles sociétés ont le droit de se former dans le pays ; tant qu'elles ne portent pas atteinte aux lois, nous n'avons pas le droit de les empêcher, nous ne songeons même pas à les restreindre ; mais voudriez-vous que des sociétés formées avec le dessein de troubler la société fussent placées sous le patronage du gouvernement même et autorisées par lui à recevoir des donations ? Vous ne pouvez donner le patronage du gouvernement à de pareilles sociétés. Nous voulons venir en aide aux classes laborieuses par tous les moyens, par la loi et par l'administration ; mais nous ne voulons pas que ce but soit dépassé par la loi même.
Comme il s'agit ici d'une disposition administrative, il est naturel que diverses modifications se présentent et soient examinées. J'appuie le renvoi des amendements à la section centrale. Comme notre but à tous est le même, nous n'avons ici qu'une même opinion, que personne n'a d'arrière-pensée, je suis convaincu que nous arriverons à une rédaction qui permettra d'atteindre le but que nous vous proposons à savoir : aider les classes laborieuses dans les circonstances difficiles qu'elles peuvent avoir à traverser. Nous ne voulons ni plus ni moins. J'engage donc tous les membres, sur quelques bancs qu'ils siègent de présenter îes amendements que leur suggérera leur sympathie pour les classes ouvrières et nous prions la chambre de discuter le projet de loi sans aucune autre préoccupation.
M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour donner quelques explications sur les caisses de prévoyance des mineurs.
Il est vrai, comme l'a dit l'honorable M. Malou, que ces caisses donnent des pensions aux ouvriers mutilés et incapables de travailler ; et, lorsqu'ils meurent par suite d'accidents, à leurs veuves et à leurs orphelins. On les a nommées : « caisses communes de prévoyance », parce qu'elles se composent des exploitants associés dans chacune des subdivisions de mines. Mais les statuts exigent que chaque exploitation ait une caisse particulière de secours pour les malades et les blessés.
Ainsi c'est à tort qu'on appellerait les caisses communes des sociétés de secours mutuels. Ce caractère appartient seulement aux caisses particulières érigées près de chaque exploitation.
Je crois que dans la situation exceptionnelle où se trouvent les caisses.des ouvriers mineurs, il sera nécessaire de présenter un projet de loi spécial, si on veut leur accorder la personnification civile. Après cette explication, il me semble que le principal motif que l'honorable M. Malou invoquait, pour demander la suppression du dernier paragraphe de l'article premier vient à tomber. Je me félicite du renvoi des amendements à la section centrale ; pour ma part, je désire que le projet soit aussi large que possible. Je ne demande pas mieux que d'arriver à une rédaction qui concilie toutes les opinions, en ce qu'elles pourraient avoir de fondé.
M. le président. - Plusieurs amendements sont présentés par MM. Moreau, David et Lelièvre.
- La chambre en ordonne l'impression et le renvoi à la section centrale.
- Plusieurs voix. - La lecture.
M. le président. - Les voici :
« Art. 1er. Amendement présenté par M. Malou. Les sociétés de secours mutuels formées entre ouvriers ou artisans avec ou sans l'intervention des patrons, pourront être reconnues par le gouvernement en se soumettant aux conditions indiquées ci-après. »
« Art. 1er. Amendement de M. Dedecker. Après le paragraphe premier ajouter : Les sociétés, existant depuis un temps assez long pour que les conditions de leur administration aient été suffisamment éprouvées, pourront être reconnues, lors même que leurs statuts ne seraient pas complètement d'accord avec les conditions de la présente loi. »
« Art. 1er. Amendement présenté par M. Ch. Rousselle. Remplacer les mots : « ou de satisfaire à d'autres objets d'utilité privée », par les mots : « ou de satisfaire à d'autres nécessités temporaires qui pourraient atteindre les artisans ou les ouvriers. »
« Art. 3. Amendement présenté par M. Lelièvre. 1° Faculté d'ester en justice, à la poursuite et diligence de leur administration ; toutefois, lorsque l'affaire excédera la compétence du juge de paix, elles ne pourront plaider ni transiger qu'avec l'autorisation de la députation permanente du conseil provincial, sauf le recours au Roi en cas de refus d'autorisation. »
« Art. 5. Amendement présenté par M. Moreau. La femme mariée peut, avec l'autorisation de son mari, faire partie d'une association reconnue de secours mutuels.
« En cas de refus de son mari, le juge de paix, les parties entendues ou appelées, peut autoriser la femme ; il le peut également en cas d'absence ou d'éloignement du mari ou si celui-ci se trouve dans l'impossibilité de manifester légalement sa volonté. »
« Art. 5, paragraphe 2 nouveau proposé par SI. Lelièvre. La décision du juge de paix pourra être frappée d'appel vis-à-vis la chambre du conseil du tribunal de première instance. »
« Art. 7 nouveau proposé par M. Moreau. Les sociétés de secours mutuels reconnues jouiront du privilège créé par le n 4 et le dernier paragraphe de l'article 19 (projet de loi sur la réforme hypothécaire), concurremment avec les personnes qui y sont désignées, sur tous les meubles et le prix des immeubles des dépositaires pour les fonds qu'elles auraient confiés à ceux-ci. »
« Amendement présenté par M. David. § 2. Un membre du bureau de bienfaisance pourra toujours assister aux séances des associations reconnues. »
- La chambre ordonne l'impression et la distribution des amendements et les renvoie à l'examen de la section centrale.
La séance est levée à 4 heures 1/2.