(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 699) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Quelques littérateurs, artistes et industriels soumettent à la chambre un projet de loi qui oblige les écrivains'à signer leurs publications. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vandongen, pilote de première classe à la station d'Anvers, prie la chambre de l'exempter du droit d'enregistrement pour la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Roulers demande la révision de la loi sur les dépôts de mendicité. »
M. Rodenbach. - Messieurs, la pétition dont on vient de faire l'analyse a été adressée à la chambre par le conseil de régence de la ville de Roulers. Ces messieurs demandent, comme les précédents pétitionnaires de l'année dernière et de cette année, des modifications à la loi sur les dépôts de mendicité. Ils disent que cette loi est mauvaise, qu'il est urgent de la changer, parce qu'elle est ruineuse pour les communes des Flandres ; elle ne punit ni la mendicité ni le vagabondage.
Cet objet est digne de toute l'attention de la chambre ; je la prie, ainsi que le gouvernement, d’examiner mûrement les doléances qui arrivent tous les jours.
M. le Bailly de Tilleghem. - Je viens appuyer la pétition du conseil communal de Roulers, par les motifs exprimés par l'honorable préopinant, et demander un prompt rapport, attendu que les communes ont des frais ruineux à supporter par suite des mendiants détenus dans les dépôts de mendicité.
- Le renvoi avec demande d'un prompt rapport est ordonné.
M. le président. - La chambre a chargé le bureau de nommer une commission pour examiner le projet de loi présenté par M. le ministre de l'intérieur, contenant des dispositions en faveur des élèves en sciences et des élèves en pharmacie. Voici comment le bureau a composé cette commission : MM. Devaux, de Theux, Destriveaux, Moncheur, Adolphe Roussel, Delehaye, Le Hon.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande que la discussion s'engage sur le projet du gouvernement.
M. Rousselle, rapporteur. - M. le ministre de l'intérieur demandant que la discussion s'ouvre sur le projet qu'il a soumis a la chambre, je crois devoir, à mon tour, demander que l'amendement présenté par la section centrale, d'abord sur l'article premier, pour donner une affectation spéciale aux divers éléments du crédit, soit mis aux voix ; les motifs de mon amendement ont été développés dans le rapport qui a été distribué à la chambre.
Il me paraît que je puis me dispenser de les reproduire en ce moment.
M. de Brouckere. - Je vois que l'honorable rapporteur insiste sur la spécialité des différentes parties du crédit, tandis que le gouvernement avait demandé un crédit global de 75 mille francs, dont il avait indiqué autant que possible les différentes affectations ; si l'on adoptait les propositions de la section centrale, bien que le crédit global de 75 mille francs fût suffisant, il serait possible que le service fût entravé, et qu'avec trop d'argent pour certaines spécialités, on se trouvât à court pour d'autres spécialités.
L'honorable rapporteur a eu soin de dire lui-même qu'il y a deux poiuts sur lesquels il était impossible d'apprécier a priori la dépense : le fret, et les frais pour amener les différents colis du quai à l'exposition et les retourner de l'exposition au quai.
Le rapport de la section centrale, pour montrer que le crédit de 25 mille francs est plus que suffisant, a fait une supposition en l'air, supposition dont je vais montrer par des pièces l'inanité. Il a supposé qu'il y aurait 800 colis qui occasionneraient une dépense de 20,000 au lieu de 28 mille francs. Eh bien, il y a au-delà de 500 exposants. Un de ces exposants, qui demeure dans la banlieue de Bruxelles, a pour sa part 15 colis : c'est une machine pour l'évaporalion du sucre. Un autre exposant de Huy a 10 colis. La fonderie royale de canons a 9 colis.
Comment, d'après cela, pouvons-vous apprécier le nombre des colis ?
La commission dont j'ai l'honneur de faire partie, et qui est chargée des détails de l'exposition, a reçu jusqu'à ce moment 97 certificats, c'est-à-dire les certificats de 97 exposants. Or, ces 97 exposants ont 207 colis. En admettant que la même proportion fût conservée, il y aurait pour les 500 exposants 1,050 colis, c'est-à-dire 250 colis de plus que ne suppose la section centrale. Ainsi il faudra au-delà de 20,000 fr. Voilà un crédit dépassé de 1,000 fr. ; voilà un premier embarras.
Vous devez comprendre que toutes les fois qu'on veut spécialiser, il faut demander plus que quand on généralise, puisque quand on spécialise, il faut le maximum des besoins pour chaque article, tandis qu'en réunissant les différents crédits, lorsqu'on est absolument forcé de déposer le crédit pour un article, on cherche autant que possible à faire des économies sur d'autres articles, pour ne pas dépasser le crédit général. C'est ce que fera la commission, c'est ce qu'elle cherche à faire dès ce moment.
Je sais qu'il y a dans les dépenses un article qui chiffonne certains membres de la chambre ; c'est l'article 5 ; eh bien, qu'on en fasse un article spécial.
Quant à moi, je n'abuserai pas du crédit. Si je vais à Londres, je ne m'adresserai pas au gouvernement pour obtenir le remboursement de mes frais de voyage. J'ai beaucoup voyagé ; jamais je ne me suis fait rembourser de mes frais par l'Etat.
M. Rousselle, rapporteur. - Personne n'a songé à l'honorable membre.
M. de Brouckere. - Soit ! Mais puisqu'on a peur des bureaux, qu'on spécialise, pour cet article. Mais qu'on réunisse en un seul article les 4 autres littera. C'est la seule manière d'arriver à des économies réelles et certaines, la seule manière de ne pas entraver la marche du gouvernement.
M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, ce que vient de proposer l'honorable membre entrera probablement dans les vues de toute la section centrale. Quant à moi, personnellement, je me rallie à cette proposition, qui consiste à ne faire que 2 articles, dont l'un comprendra les quatre premiers littera, et l'autre le dernier littera. Sur ce point, je n'ai pas la moindre objection à faire.
M. David. - Messieurs, l'honorable M. de Brouckere vient de vous indiquer quelques exposants qui ont annoncé un certain nombre de colis. Mais il vous a cité précisément ceux qui ont le plus de colis à exposer. Car si vous voulez parcourir la note des objets à exposer, vous y trouverez une quantité de dentelles, de batistes, de lin, de chanvre, d'étoffes de colon, de soie grége, de fils de soie, etc. Certainement, une quantité de ces objets pourront être réunis en un seul colis. Ainsi, porter le nombre des colis à mille, c'est exagérer le chiffre, et le crédit de 20,000 francs proposé par la section centrale pour cet objet est suffisant.
M. de Brouckere. - La section centrale propose 25,000 fr.
M. David. - Elle propose 20,000 fr. ; elle réduit donc le chiffre du gouvernement de 5,000 fr.
M. de Brouckere. - Elle ne réduit rien du tout.
M. David. - Elle réduit le littéra b de 5,000 francs et elle reporte ces 5,000 fr. sur l'article agence, etc., littera d.
Si nous avons demandé à faire ce transfert, c'est que la section centrale désirait que la question de l'agence à Londres fût une question tout à fait commerciale pour la Belgique. Elle voudrait donner à cette agence les moyens de faire en grand la commission pour les exposants. C'est le seul moyen de retirer d'immenses fruits pour la Belgique de l'exposition de Londres. Il faut que Londres, pendant le temps de l'exposition, soit un immense comptoir qui serve à provoquer nos exportations, et nous avons fait ce transfert pour donner à l'agence de Londres d'autant plus de moyens d'agir dans l'intérêt des exposants et industriels belges.
M. de Brouckere. - Messieurs, il n'y a rien de tel que de mettre la main à la pâte pour connaître les choses. On vient de vous parler des exposants de dentelles ; eh bien, les dentelles ne peuvent pas s'exposer sur une table ; il faut des caisses et de grandes caisses, pour exposer les dentelles : ce qu'on appelle des montres.
Les caisses ou montres dans lesquelles on expose les dentelles doivent être expédiées par les exposants. Que l'honorable membre, puisqu'il est à Bruxelles, veuille bien aller chez quelques fabricants de dentelles ; il y verra que chacun d'eux aura deux ou trois immenses montres pour ses dentelles. Si l'on expose un châle, il faut, pour l'exposer, placer une caisse de six ou sept pieds de hauteur.
A côté, le même fabricant placera des pièces de dentelles, car on ne peut exposer des échantillons ; il lui faut donc une seconde montre.
J'ajouterai qu'il y aurait à Londres une grande confusion si l'on mettait les produits de plusieurs exposants dans le même colis. Pour qu'il y ait de l'ordre dans le placement, il faut que chaque colis porte le nom de l'exposant et la désignation des objets.
Quant au nombre des colis, toutes les précautions ont été prises pour le restreindre autant que possible. Sur les déclarations provisoires que nous signons, nous recommandons tout particulièrement de faire le moins de colis possible.
Pour ma part, j'ai eu plus de 50 exposants à voir, et j'ai dit à chacun : (page 700) Nous payons en raison du nombre de colis, et nous vous engageons à faire le moins de colis possible.
Sous ce rapport, la commission, je crois, a satisfait à tout ce qu’on pouvait désirer d’elle.
M. le rapporteur de la section centrale vient de nous faire remarquer qu'il y a un autre amendement. Quand, dans une loi, on veut trop lier le gouvernement, on finit par en rendre l'exécution impossible. Voici l'article sur lequel l'honorable membre vient d'appeler mon attention.
« Les industriels rembourseront les dépenses faites par le gouvernement pour les objets dont ils trouveront le placement en Angleterre.
« Les sommes à rentrer de ce chef seront versées au trésor de l'Etat. »
Messieurs, dès le 15 mai 1850, et les pièces ont été fournies au rapporteur de la section centrale, dès le 15 mai 1850, par circulaire distribuée à 6,000 exemplaires aux industriels, on les a prévenus que le gouvernement ferait les frais de transport ; mais que s'ils vendaient un de leurs articles, comme ils ne devaient pas profiter de l'exposition pour se trouver dans une position meilleure que leurs concurrents en Belgique, ils rembourseraient au gouvernement tous les frais de transport qui auraient été faits depuis la Belgique jusque dans l'intérieur des salles de l'exposition.
Si cette précaution n'avait pas été prise, je comprendrais que l'on vînt aujourd'hui, par mesure de prudence, prescrire qu'il en soit ainsi. Mais, messieurs, on a été plus loin dans l'amendement, et on a rendu l'article inexécutable : les industriels rembourseront, non pas les frais de transport, de déchargement, de quai, de douane, etc., mais les dépenses faites par le gouvernement pour les objets dont ils trouveront le placement.
Qu'est-ce que c'est que les dépenses faites par le gouvernement ? Le gouvernement a fait des dépenses ou en fera de toute nature : faudra-t-il faire une ventilation de ce qu'auront coûté les gardiens de l'exposition pour 500 exposants, et dire à un exposant : Vous avez vendu un dixième des objets que vous aviez exposés, vous étiez 500, vous rembourserez le cinq millième des frais de l'exposition ?
Si ce n'est pas là ce qu'on veut, si l'on ne veut pas arriver à une ventilation quasi absurde, alors il est inutile ds prendre ces précautions. On a voulu encore que les sommes qui rentreront de ce chef soient versées au trésor de l'Etat. Mais, messieurs, il est impossible qu'il en soit autrement. Qui donc aurait le droit de conserver une somme qui sera rentrée et d'en faire de nouveau emploi ? Serait-ce la commission ? Mais elle n'est pas comptable ; elle n'a pas décompte à rendre. Serait-ce le gouvernement ? Mais tout le monde sait bien que toutes les rentrées qui s'effectuent sont versées au trésor de l'Etat et doivent faire compte au budget, à moins de stipulation contraire et bien expresse dans la loi. Or ici le gouvernement n'avait rien stipulé : il a demandé un crédit, et il est de droit que tout ce que le gouvernement recevra rentre au trésor. Ainsi, messieurs, le deuxième paragraphe est inutile, et le premier créera des difficultés qui rendront l'exécution de la loi impossible.
M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a été amenée à proposer cet article comme amendement, par suite d'une phrase de l'exposé des motifs, qui est ainsi conçue :
« Afin de maintenir l'égalité avec les transactions ordinaires, les exposants belges ont été prévenus qu'ils auraient à rembourser toutes les dépenses faites par le gouvernement pour les objets dont ils trouveraient le placement en Angleterre. Les sommes à rentrer de ce chef feront retour au trésor. »
La section centrale n'a fait que reproduire ces mêmes mots, sauf qu'elle a dit : « Les sommes à rentrer de ce chef seront versées au trésor, » au lieu de : « Feront retour au trésor ».
Il n'y a pas d'autre changement que celui-là.
Maintenant, y a-t-il des obstacles à ce que cela soit reproduit dans la loi ? Quant à moi, j'avoue que je n'en vois aucun ; il est convenable, me paraît-il, au moment où la chambre accorde un crédit pour faire face aux dépenses, que les industriels eux-mêmes soient avertis, par la loi, qu'il peut y avoir des frais à rembourser par eux...
M. de Brouckere. - Ils le savent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ils ont signé un engagement,
M. Rousselle, rapporteur. - Quant à moi, vous concevez, messieurs, que je me contenterais personnellement de la déclaration de M. le ministre et de celle de l'honorable président de la commission ; mais ici je dois défendre l'addition qui a été proposée par la section centrale ; et, je le répète, on n'a rien dit pour la combattre et la faire rejeter.
M. David. - Messieurs, une occasion réellement unique, et que peut-être nous ne nous retrouverons jamais plus, de faire connaître nos produits au globe entier, va se présenter à Londres ; et je pense qu'il dépendra presque exclusivement de l'agence qui sera établie à Londres, de procurer aux industriels belges les relations les plus étendues avec tout l'univers ; je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur ce qu'il entend par agence, et de quelle manière il compte l'organiser. La section centrale, messieurs, est convaincue que cette agence doit être commerciale pour produire tous les résultats que nous sommes en droit d'attendre de (erratum, page 715) l'exploitation du plus grand marché que jamais l'homme aura à explorer.
M. de Brouckere. - Je m'occupe tous les jours de cet objet ; j'ai donc les détails très présents à mon esprit, et si M. le ministre de l'intérieur ne s'y oppose pas, je répondrai à l'honorable M. David.
Il y a à Londres un agent qui est exclusivement un agent commercial. L’agent officiel qui représente la commission belge auprès de la commission anglaise est le chef d’une maison de commerce anglaise, un Belge qui est établi à Londres. La spécialité de cet agent, c'est de faire les affaires commerciales ; lui, ne reçoit aucune espèce de traitement ; il a sa commission à débattre avec les commerçants.
Ainsi, dès le principe, nous avons parfaitement compris que ce qu'on avait demandé à la Belgique, c'était de venir mettre ses produits à la portée de l'Europe entière ; que ce qu'on avait offert à la Belgique, c'était de faire par l'exposition de Londres ce que mille commis-voyageurs n'auraient pu réaliser.
Mais à côté de cet agent, il en faut un autre, celui qui a été indiqué dans les notes fournies à la section centrale, c'est-à-dire un homme en permanence dans le local de l'exposition, connaissant parfaitement tous les produits, sachant expliquer quelles sont les qualités qui les recommandent ; il faut de plus que ce second agent préside à l'arrangement de tous les objets dans le local de l'exposition, ait la direction de la partie belge ; il faut aussi qu'il parle différentes langues, pour pouvoir s'expliquer avec toutes les personnes qui viendront de tous les pays à l'exposition.
M. de Denterghem. - Je prends la parole pour engager le gouvernement à prendre toutes les mesures possibles, de manière à ce que les prix de nos produits soient apposés sur chacun d'eux. Il est incontestable qu'il y aura à l'exposition de Londres des objets faits avec une très grande perfection. Tout ce que nous pouvons espérer, c'est d'atteindre cette perfection ; nous pourrons offrir nos produits à meilleur marché que beaucoup d'autres.
M. de Brouckere. - C'est fait.
M. de Denterghem. - C'est fait, j'en suis charmé. Je voulais prendre la parole pour engager le gouvernement à prendre des mesures à cet égard.
M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, j'ai demandé la parole parce que je viens de m'apercevoir qu'il n'y a pas identité parfaite entre les expressions qui se trouvent dans l'exposé des motifs et dans la lettre de la commission, adressée aux chambres de commerce, le 15 mai 1850.
Le gouvernement disait dans son exposé des motifs : « Toutes les dépenses faites par le gouvernement », et la section centrale avait proposé : « les dépenses faites », sans le mot : « toutes ». Mais la commission, écrivant aux chambres de commerce, a dit, elle, « les frais d'envoi », ce qui est tout différent, et je pense qu'en mettant dans l'article, les mots : « les frais d'envoi » au lieu « des dépenses faites », nous ferions droit aux observations de l'honorable M. de Brouckere.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je constate avec plaisir que le crédit demandé par le gouvernement pour aider nos industriels à figurer avec avantage à la grande exposition de Londres, que ce crédit, dis-je, ne rencontre pas d'opposition au sein de la chambre. Je m'attendais à voir reproduire cependant l'observation faite dans une des dernières séances, relativement aux actes qui auraient été posés par le gouvernement, et qui auraient engagé le trésor public. Je vois que cette observation n'est pas renouvelée Je dois cependant y répondre parce qu'elle s'est produite ailleurs.
Le gouvernement n'a poséaucun acte, n'a donné aucune signature ayant pour effet d'engager le trésor public dans aucune dépense, avant le vote du crédit. Mais le gouvernement a posé tous les actes qui devaient l'être avant le vote du crédit demandé.
Le gouvernement a été informé qu'une exposition allait réunir à Londres tous les produits du monde industriel ; cet avis lui parvint dans les premiers jours de 1850. Dès le mois de février, le gouvernement écrivit aux chambres de commerce pour leur signaler ce fait important pour toutes nos industries, et les engager à envoyer des délégués à Bruxelles chargés de former une commission sous la présidence du bourgmestre de la capitale. Cette commission, composée des délégués des diverses chambres, s'est réunie le 18 février, et dès lors une circulaire a été adressée à tous les producteurs belges de toutes les catégories, afin de stimuler leur zèle et les engager à envoyer leurs produits à l'exposition de Londres. Les industriels ont en général répondu avec beaucoup d'ardeur à l'invitation du gouvernement : plus de cinq cents exposants enverront leurs produits à la prochaine exposition de Londres, et nous osons espérer que l'industrie belge sera dignement, brilillamment représentée à ce grand marché de Londres, où la Belgique est malheureusement trop peu connue.
Afin d'engager les industriels à faire un acte utile pour eux d'abord et aussi à l'industrie du pays, le gouvernement a dû se montrer disposé à supporter les frais de transport des produits jusqu'au local de l'exposition et les frais de retour ; mais il va de soi que si le crédit n'était pas voté, il n'y aurait pas d'engagement ; il n'y a encore eu aucune espèce de produit expédié ; ils attendent le vote du crédit pour partir.
Tous les actes que j'ai posés, j'en revendique hautement la responsabilité avec d'autant plus de sécurité que j'ai été guidé par les conseils sages et pratiques de la commission qui a bien voulu prêter son concours au gouvernement, ce dont il se montre très reconnaissant.
L'exposition qui va s'ouvrir à Londres est, en quelque sorte, une exposition nationale transportée de Belgique au sein de la capitale de (page 701) l'empire britannique. La somme demandée, 75,000 fr., c’est environ la moitié de ce qu'a coûté la dernière exposition de produits belges à Bruxelles. Je crois que pour les résultats, ils seront plus avantageux à la suite de l’exposition de Londres qu’à la suite de celle de Bruxelles qui cependant a eu aussi sa grande utilité.
Je pense que tous les membres de la chambre ont reçu le tableau des produits qui y seront envoyés ; producteurs de toutes les catégoriess, industriels manufacturiers, agricoles, se sont entendus poar que l'exposition belge à Londres représentât la Belgique telle qu'elle est, et en quelque sorte dans toute sa splendeur industrielle.
Peut-être une de nos grandes villes manufacturières, je parle de la ville de. Gand, aurait-elle pu jouer un rôle plus marqué, plus en rapport avec sa réputation et son importance industrielle.
Il y a quelques observations de détail. L'on craint qu'il ne soit fait abus de la partie de l'allocation demandée paur missions. On ne prend pas garde que cette allocation est destinée à couvrir les frais de voyage d'un certain nambre d'artisans de mérite qui jamais n'auront une occasion aussi favorable de visiter l'Angleterre et de se mettre en rapport avec tous les produits de l'industrie humaine.
Dans la crainte sans doute que quelques hauts fonctionnaires n'usent de ce crédit, on veut le restreindre, au risque d'empêcher un certain nombre d'ouvriers d'en profiter. On ne doit pas chercher à restreindre le but. Il faut au contraire encourager le gouvernement à poursuivre cette idée dont il a pris l'initiative, de faire participer à ce grand spectacle de l'exposition de Londres, les artisans qui par leur industrie et leurs bras auront concouru à l'enrichir.
Je crois que la somme demandée n'est pas trop élevée. Nous enverrons à Londres des artisans ; nous devons bien y envoyer aussi des hommes intelligents, capables d'apprécier l'exposition et d'en rendre compte dans toute son étendue.
Si on craint que des ministres n'aillent visiter l'exposition et n'imputent leurs frais de voyage sur le crédit demandé on peut se rassurer, ce crédit ne leur est pas destiné.
J'espère que cette déclaration suffira pour calmer les craintes sur l'emploi éventuel de cette allocation.
Si cependant il restait quelques scrupules à cet égard, je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on fasse un article spécial de la partie du crédit destinée aux missions. Mais je crains que cette spécialité ne nuise au but que j'ai indiqué tout à l'heure.
Quant à la réduction qu'on propose sur la somme éventuelle affectée aux frais de transport, je ne puis l'admettre, je ne la comprends même pas. Le gouvernement n'a aucune espèce d'intérêt à accroître les dépenses de cette nature, à affecter aux transports des sommes plus considérables que la stricte nécessité ne l'exige. L'intérêt du gouvernement est de tirer du crédit la plus grande utilité possible. S'il se montre réservé, ce sera sur ces frais de transport qu'il n'a aucune espèce de motif d'exagérer.
J'ajoute que les allocations votées dans d'autres pays sont beaucoup plus considérables que celles qui vous sont demandées ; que la commission y a mis la plus grande réserve ; à ce point que pour ma part je n'oserais pas prendre l'engagement formel que la somme de 75 mille fr. suffira. Nous y mettrons la plus grande économie possible ; nous sommes les premiers à désirer que les fonds de l'Etat ne reçoivent qu'une destination utile ; bien, dis-je, que nous ayons la volonté d'apporter toute l'économie possible dans l'emploi du crédit, nous ne répondons pas que la somme de 75 mille fr. sera suffisante, surtout si vous renfermez tellement le gouvernement dans la spécialité, qu'il ne puisse pas imputer d'un service à l'autre. Si on veut éviter les crédits supplémentaires, il faut voter la somme telle qu'elle est demandée par le gouvernement.
Si toutefois on y tient, je ne m'oppose pas à ce qu'on spécialise la somme destinée aux missions.
M. Rousselle, rapporteur. - Je pensais que (erratum, page 715) l'honorable ministre ne trouverait pas d'obstacle à ce que l'on admît la proposition de M. de Brouckere, à laquelle je m'étais rallié comme rapporteur de la section centrale, d'accord avec mes collègues que j'ai consultés.
M. le président. - Il n'y a pas de proposition déposée.
M. Rousselle, rapporteur. - Je pensais que M. de Brouckere avait déposé un amendement. Je vais le faire ; cette manière de disposer du crédit remplit l'intention de M. le ministre ; la section centrale n'avait pas attaqué le chiffre de la somme destinée aux missions à donner à des ouvriers, elle l'a admis comme l'a proposé le gouvernement.
Le projet de loi devrait être conçu comme suit :
« Il est ouvert au département de l'intérieur pour dépenses résultant de la participation des producteurs belges à l'exposition universelle de l'industrie, à Londres, en 1851, les crédits suivants :
« 1° Envoi des produits à Londres et réexpédition, débarquement, remise au local de l'exposition, frais et garantie en douane, déballage, emmagasinage des caisses, réemballage et transport à bord des navires, matériel et frais de placement, frais d'agence et de surveillance pendant la durée de l'exposition (5 à 6 mois) : fr. 63,000.
« 2° Missions se rattachant à l'exposition, facilités de voyage accordées a des ouvriers, documents et impressions, frais divers : fr. 12,000.
« Ensemble : fr. 75,000. »
Il n'y aurait pas un centime de réduction sur l'ensemble du chiffre. Mais il faut que la chambre sache bien (et c'est inévitable) que les sommes qui sont reprises sur les littera a et b dans l’exposé des motifs, ne sont qu’approximatives, que ces dépenses peuvent d’élever plus haut, car la dépense dépendra du nombre et du poids des colis envoyés, du nombre et du poids des colis qui feront retour en Belgique, et que vous ne connaissez pas aujourd’hui.
La chambre admet le principe que l'Etat fera les frais de l'envoi et du retour ; il faudra donc les payer, quel qu'en soit le montant.
Maintenant la section centrale, qui approuve la proposition de l'honorable M. de Brouckere, tient tout particulièrement à ce que les dépenses qui sont facultatifs soient limitées, afin que pour celles-là il n'y ait pas de demande de crédit supplémentaire.
Si M. le ministre croit que 12 mille francs ne suffisant pas pour les ouvriers et pour les missions se rattachant à l'exposition, il doit demander une augmentation, et en démontrer la nécessité.
L'honorable ministre n'aura pas, par la loi, le pouvoir de dépasser le chiffre pour cette espèce de dépense. Quant à moi, je déclare que si M. le ministre démontre par quelques détails que ce chiffre n'est pas suffisant, je suis prêt à voter l'augmentation. Mais il faut qu'on sache que cette deuxième somme est une limite qu'on ne peut dépasser, tandis que pour la première on peut avoir besoin d'un crédit supplémentaire, parce qu'on n'est pas en position de savoir aujourd'hui à quoi se monteront les frais de transport, à l'aller et au retour.
M. David. - La section centrale, à l’unanimité, avait demandé à l’honorable ministre de l’intérieur de vouloir nous dire si les industruels qui n’ont pas exposé auront la faculté d’envoyer qelques échantillons à notre agent spécial à Londres. Ce serait un grand avantage pour notre industrie.
Je suppose que rien ne s'opposera à ce qu'il soit donné des instructions en ce sens à M. Cuylits (de la maison Cuylits et Syman), agent de la Belgique à Londres, pour l'exposition universelle.
M. Coomans. - Je ne comptais pas demander la parole dans cette discussion. Mais une allusion directe faite par l'honorable M. Rogier à quelques mots que j'ai prononcés l'autre jour m'empêche de garder le silence.
L'honorable ministre se plaint aujourd'hui de ce que j'aie dit, dans une autre séance, qu'il y avait des engagements pris relativement au projet de loi, et que le projet avait rencontré une certaine opposition dans les sections.
Je maintiens ces deux assertions ; elles sont l'une et l'autre parfaitement exactes, et M. le ministre tâchera en vain de leur donner un autre caractère.
Il est tellement vrai qu'il y avait engagement pris, que la circulaire, écrite il y a huit mois et dont on nous a lu des extraits, porte que le gouvernement supportera tous les frais de transport. Le gouvernement était donc lié vis-à vis des exposants, et il se borne à présent à nous demander la ratification de sa conduite.
Donc, sur ce point, il n'y a plus de doute possible. Le crédit était engagé, moralement engagé, avant d'être sollicité de la chambre.
En deuxième lieu, qu'il y a eu quelque opposition au projet de loi dans les sections, je le sais par le rapport de la section centrale, et aussi par ce qui s'est passé dans la section où je me trouvais, et où ai mijorité (je ne sais si elle persistera dans cette opinion) a réduit considérablement le crédit demandé.
Maintenant, messieurs, un mot sur le fond.
Je ne repousse pas une certaine intervention de l'Etat dans les frais de l'exposition do Londres. Mais j'aurais voulu que les industriels en supportassent une part, et surtout que le projet de loi ne fût pas, en ce qui concerne les frais de voyage et de mission, une application nouvelle du système des subsides individuels et personnels, système très mauvais que j'ai combattu sans cesse, et dont je trouve qu'on a beaucoup usé et abusé depuis quelques années.
M. Le Hon. - Les quelques mots que vient de prononcer l'honorable membre tendraient à dénaturer le caractère et le but du projet de loi. Il semblerait que l'Etat va faire, dans cette circonstance, les affaires de quelques industriels et accorder une faveur toute gratuite pour les mettre en position d'envoyer leurs produits à Londres.
Je pense que ce projet doit être vu de plus haut, pour être apprécié sainement.
Vous vous rappelez les réclamations qui s'élèvent souvent au sujet des missions diplomatiques lorsque se discute le budget des affaires étrangères. Que de fois n'a-t-on pas demandé, dans cette enceinte, que nos intérêts soient protégés et détendus partout par des consuls, que partout nous ayons des agents commerciaux et industriels ! On a institué, dans le même esprit, un système de subsides en faveur de jeunes gens d'intelligence, pour qu'ils aillent propager, dans les contrées lointaines, la connaissance et l'usage des produits de la Belgique. Une entreprise grandiose et hardie, sans exemple jusqu'à nos jours, va ouvrir à Londres une exposition universelle qui peut procurer en six mois à notre industrie et à notre commerce plus de bien et d'avantages que n'en pourraient réaliser en six ans les efforts réunis de tous les consuls sur la surface du monde.
Vous avez à présenter, à faire connaître vos produits à tous les délégués du monde industriel. Vous allez, en les rassemblant sur un même point, les mettre en rapport avec les besoins divers de tous les pays civilisés, et en concurrence avec tous les produits les plus estimés de l'Europe. La qualité, les procèdes de fabrication, les prix de revient, tous les éléments de la supériorité relative et du progrès seront examinés et appréciés au grand avantage de la bonne industrie.
(page 702) Dans cette situation, que faites-vous, lorsque vous votez un crédit de 75,000 fr. ? Vous contribuez pour une très faible partie à ce que doit coûter l'exposition des produits belges à Londres,
Assigner un autre caractère au projet de loi, c'est porter une grave atteinte à son effet moral. Il a, d'ailleurs, une haute portée dans l'intérêt public. A un grand nombre d'industriels recommandables auxquels il répugnerait d'envoyer, à leurs frais, les produits de leurs ateliers à Londres, il en facilite les moyens, non au profil exclusif et étroit de ces producteurs, mais dans l'intérêt de la Belgique entière, dans l'intérêt de la production et du commerce général, c'est-à-dire du travail national. Voilà le grand côté du projet de loi.
Croyez-vous que les 75,000 fr. que vous allez voter couvriront tous les frais que feront les industriels belges pour figurer avec honneur à Londres ? On vous parle de 25,000 fr. pour les agents de la surveillance. Mais la plupart de nos grands industriels devront avoir des agents particuliers à Londres, et ils le feront, s'ils ne sont pas indifférents au succès de leurs efforts.
L'honorable M. de Brouckere disait tout à l'heure que ceux qui mettent la main à la pâte doivent savoir ce qui en est. Je lui dirai que, sans être membre de la commission, je sais un peu ce qui se passe pour quelques grandes industries.
M. de Brouckere. - C'est une exception.
M. Le Hon. - Si la Vieille-Montagne, qui tient à figurer dans ce grand concours avec honneur et avantage pour la Belgique, fait exception, je désire que son exemple étende cette exception à d'autres grandes industries du pays ; car l'expérience nous l'a prouvé déjà en France : il faut éclairer les esprits en même temps que l'on parle aux yeux, et les sacrifices faits dans ce but ne peuvent être qu'utiles et féconds.
L'honorable M. de Brouckere ne paraît pas être de mon avis : peut-être ne m'a-t-il pas bien compris. Au surplus, nous verrons plus tard qui de nous deux aura le mieux jugé. Quant à présent et pour répondre immédiatement à l'honorable membre, je lui dirai que les grandes industries françaises qui se préoccupent avec intelligence du soin de leurs intérêts ont pris à l'avance toutes les précautions nécessaires.
Les hommes qui possèdent plusieurs langues, qui ont des connaissant ces pratiques en industrie sont déjà mis à prix en Angleterre.
On offre 5, 4, 5, 6 livres sterling par semaine pour s'assurer un agent qui reste, dans la salle de l'exposition, à côté des produits de tel ou tel industriel pour en expliqucr aux étrangers les qualités et les applications.
En présence de ces faits, croyez-vous que les seuls agents que le gouvernement préposera à la garde de la généralité des produits envoyés par la Belgique seront en nombre suffisant et réuniront les diverses aptitudes qu'exigera leur mission pour être utilement remplie ? Ce serait une erreur.
Au reste, quel est mon but en cette occasion ? C'est de prouver que le gouvernement fera les frais d'agence, de surveillance, de garde ; en un mot, les frais rigoureusement indispensables pour les industriels qui ne peuvent ou ne veulent pas envoyer des agents spéciaux.
Je veux que le pays ne soit pas amené à penser que l'Etat supporte des frais d'intérêt privé et fait un cadeau aux industriels, comme semblait le dire tout à l'heure l'honorable M. Coomans, en y voyant une intervention du gouvernement au profit de quelques producteurs. Oui, messieurs, des sacrifices onéreux pèseront sur bien des industriels, et je sais telle branche de notre production qui supportera peut-être sept et huit mille francs rien que pour les agents qui seront préposés par elle. Je crois cette observation nécessaire pour que l'opinion publique ne se trompe pas sur la portée, sur le caractère, sur la destination du crédit qui nous est demandé.
Ce que je viens de dire vient à l'appui des observations qu'ont déjà présentées d'honorables membres. C'est qu'il est impossible de renfermer chaque article dans les limites du chiffre que vous lui assignez. Bornons-nous, quand il s'agit d'atteindre un grand but d'intérêt public, à avoir nos convictions éclairées par la spécification des détails ; n'entravons pas l'action du pouvoir, si nous voulons qu'il protège efficacement un grand intérêt national.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens à constater un fait. C'est que la prétendue irrégularité dont on avait parlé l'autre jour n'existe pas. Le gouvernement a agi comme un gouvernement sage et prévoyant doit le faire ; il a pris des mesures préparatoires ; quand il a été renseigné suffisamment, quand il a pu savoir pour quelle somme le trésor public serait engagé, et constater quelles seraient les dépenses auxquelles l'opération donnerait lieu, il a présenté un projet de loi.
Je pense, que sous ce rapport, le gouvernement est à l'abri de tout reproche ; qu'il y aurait grande injustice à lui reprocher d'avoir agi avec irrégularité dans cette occasion. Il y aurait également grande injustice à supposer que le gouvernement voudrait consacrer ces crédits à des faveurs personnelles.
Il s'agit de 510 exposants. Je ne sais pas comment le gouvernement pourrait répandre ses faveurs sur 510 exposants à l'aide d'un crédit de 75,000 francs, qui a d'ailleurs diverses deslinalions. Je respecte l'opposition ; elle est certainement utile ; mais il serait équitable de ne pas adresser de pareils reproches au gouvernement, alors qu'il ne les mérite pas.
Il y a, paralt-il, un parti pris de trouver le gouvernement en faute, et de signaler des irrégularités financières.
J'attends avec impatience le rapport de la commission des finances. J'espère que cette commission présentera des conclusions que nous pourrons discuter. Ce sera le moment de faire justice de toutes les attaques dont nous sommes l'objet, je ne dis pas dans cette enceinte, mais ailleurs, à l'occasion des crédits qui nous ont été accordés pour tirer le pays d'une situation difficile, crédits dont nous avons fait un emploi judicieux et efficace.
- La discussion générale est close.
M. le président. - L'article unique du projet du gouvernement est ainsi conçu :
« Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de soixante et quinze mille francs (fr. 75,000), applicables aux dépenses résultant de la participation des producteurs belges à l'exposition universelle de l'industrie Londres.
« Ce crédit sera prélevé sur les ressources de l'exercice 1851, et formera l'article 66bis du chapitre XIV du budget du département de l'intérieur, pour ledit exercice. »
La section centrale y substitue un projet en trois articles, dont voici le premier :
« Il est ouvert au département de l'intérieur, pour dépenses résultant de la participation des producteurs belges à l'exposition universelle de l'industrie à Londres, en 1851, un crédit de soixante et quinze mille francs (fr. 75,000), divisé ainsi qu'il suit :
« a. Envoi des produits à Londres et réexpédition : fr. 10,000.
« b. Débarquement, remise au local de l'exposition, frais et garantie en douane, déballage, emmagasinage des caisses, réemballage et transport à bord des navires : fr. 20,000.
« c. Matériel et frais de placement : fr. 8,000.
« d. Frais d'agence et de surveillance pendant la durée de l'exposition : fr. 25,000.
« e. Missions se rattachant à l'exposition, facilités de voyage accordées à des ouvriers, documents et impressions, frais divers : fr. 12,000.
« Total : fr. 75,000.
« Il ne pourra être opéré de transfert d'un littera à l'autre. »
La section centrale modifie cet article en ce sens, qu'il n'y aurait plus que deux litteras, l'un avec le chiffre de 63,000 fr., pour les objets indiqués aux litteras a, b, c, d ; l'autre avec le chiffre de 12,000 fr., pour les missions se rattachant à l'exposition, facilités de voyage accordées à des ouvriers, documents et impressions, frais divers.
M. Rousselle, rapporteur. - On pourrait supprimer les mots : « Il ne pourra être opéré de transferts d'un littera à l'autre », en rédigeant l'article comme je l'ai proposé, c'est-à-dire dans les termes suivants :
« 1° 63,000 francs, pour envoi des produits à Londres et réexpédition, débarquement, remise au local de l'exposition, frais et garantie en douane, déballage, emmagasinage des caisses, réemballage et transport à bord des navires, matériel et frais de placement, frais d'agence et de surveillance pendant la durée de l'exposition.
« 2° 12,000 fr., pour missions se rattachant à l'exposition, facilités de voyage accordées à des ouvriers, documents et impressions, frais divers. »
Avec cette rédaction, il serait inutile d'indiquer qu'il ne pourra plus être opérée de transfert d'un littera à l'autre.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à cette rédaction ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai aucun motif de m'y opposer ; je ferai seulement valoir une raison administrative : c'est qu'en renfermant le gouvernement dans deux articles le second crédite ne pourra pas profiter des économies que l'on parviendrait à opérer sur le premier.
Du reste, c'est là une observation de détail qui ne mérite pas une discussion. Je me borne à dire que je crois préférabler de conserver l'article tel que le gouvernement l'a proposé.
M. le président. - Le gouvernement ne se ralliant pas à la proposition de la section centrale, je mets d'abord celle-ci aux voix comme amendement.
- Cet amendement n'est pas adopté.
L'article, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est adopté.
M. le président. - La section centrale propose un article 3 qui, s'il était adopté, deviendrait l'article 2.
Il est ainsi conçu :
« Art. 3. Les industriels rembourseront les dépenses faites par le (page 703) gouvernement pour les objets dont ils trouveront le placement en Angleterre.
« Les sommes à rentrer de ce chef seront versées au trésor de l'Etat. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vois pas d'inconvénient à admettre cet article. Seulement au lieu des mots « remboursement des dépenses faites » ; je propose de dire ; « remboursement des frais de transport ».
- L'article est mis aux voix et adopté.
La chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.
L'amendement introduit au projet est mis aux voix et définitivement adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté par 68 voix contre 1 (M. Jacques).
Un membre (M. Coomans) s'est abstenu.
Ont voté l'adoption : MM. Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenbranden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Breyne, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Dedecker, de Denterghem, de La Coste, Delescluse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, Desoer, Destriveaux, de Theux, Devaux, de Wouters, d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste), Dumortier, Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Malou et Delfosse.
M. Coomans. - Je me suis abstenu, messieurs, par les motifs que j'ai sommairement énoncés dans la discussion générale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, conformément aux prescriptions de l'article 9 de la loi du 3 avril 1848, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur la situation de l'école agricole de réforme de Ruysselede pendant l'année 1850.
Vous pourrez vous convaincre, par la lecture de ce rapport, que l'établissement est en voie de progrès et de prospérité. Les résultats obtenus jusqu'ici sont garants de ceux que l'on ne pourra manquer d'obtenir par la suite, grâce aux efforts soutenus et au dévouement du comité d'inspection, du directeur et des employés de l'école, auxquels je me fais un plaisir et un devoir d'apporter ici le témoignage de ma gratitude.
Au rapport sont annexées toutes les pièces relatives à la comptabilité agricole et domestique. Ces pièces viendront à l'appui de l'allocation proposée récemment au projet de budget de 1852 du déparlement de la justice pour les écoles de réforme.
- La chambre décide que ce rapport sera imprimé et distribué.
M. H. de Baillet dépose un rapport sur un projet de loi de délimitation de communes.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.
M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, l'accueil qui a été fait au projet de loi, les considérations d'un ordre très élevé auxquelles il a donné lieu, ont démontré de nouveau la sollicitude de la chambre pour les mesures qui tendent à améliorer la situation des classes ouvrières. C'est qu'en effet, messieurs, la cause des classes ouvrières est, aujourd'hui celle du gouvernement, celle du pays. A aucune époque on n'a plus écrit et on n'a plus disserté sur ces questions. Seulement les uns s'appuient sur des principes vrais, les autres prennent pour point de départ des préjugés vulgaires et des sophismes qui, pour être rhabillés de neuf, n'en sont pas moins le plus souvent aussi anciens que le monde.
On s'efforce de nous rendre la liberté suspecte. On la représente comme la cause de toutes nos misères industrielles et commerciales...
M. de Perceval. - Je demande la parle.
M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Je compte m'occuper bientôt du discours de l'honorable M. de Perceval ; mais je dois déclarer que ce que j'ai dit jusqu'à présent ne s'adresse pas à l'honorable membre.
Je disais donc qu'on s'efforçait de nous représenter la liberté comme la cause de toutes nos misères industrielles et commerciales ; il ne nous resterait plus qu'à tendre les mains et à reprendre les chaînes que nos pères ont brisées ; car enfin pour arriver à la liberté, il a fallu traverser l'esclavage, la servitude et le monopole. L'honorable M. de Perceval a paru oublier qu'il a demandé à la section centrale sur quels faits elle s'était basée pour dire que la condition des classes ouvrières s'améliore graduellement avec les progrès de la civilisation ; mais l'honorable membre sans doute ne nie pas les progrès de la civilisation ; eh bien, messieurs, quelle est l'histoire de la civilisation à un certain point de vue ? C'est l'augmentation successive des forces productives de la société humaine, c'est, en d'autres termes, une plus grande quantité d'objets fournis par le travail journalier d'un individu.
Messieurs, est-ce s'aventurer que d'affirmer que toute augmentation dans le travail national aura pour conséquence une diminution de la misère ; à une condition toutefois : c'est que la moralité de la nation s'améliore en même temps.
Mon honorable contradicteur a demandé des faits à l'appui de l'assertion de la section centrale, c'est-à-dire l'extension du bien-être à un nombre comparativement plus grand d'individus.
Il suffit d'ouvrir les annales des générations humaines ; je ne parlerai pas des ilotes et des prolétaires du monde ancien, ni du vasselage qu'on voudrait comparer à l'assujettissement dans lequelles maîtres tiennent les ouvriers. Ce n'est pas au moyen âge, époque de guerres, de famine, d'exactions de tout genre, que je chercherai des exemples ; j'aborderai tout de suite une époque plus rapprochée de nous, l'époque la plus brillante, le siècle de Louis XIV.
Eh bien, messieurs, Vauban constate que la classe des privilégies s'élevait de son temps à 10,000 familles opulentes ou aisées sur 22 millions d'âmes. Boisguilbert, autre écrivain de la même époque, confirme cette appréciation ; il dit ;
« Bien que la magnificence et l'abondance soient extrêmes en France, comme ce n'est qu'en quelques particuliers et que la plus grande partie est dans la dernière indigence, cela ne peut compenser la perte que fait l'Etat pour le plus grand nombre. »
En Belgique, que voyons-nous ? La propriété qui est divisée à l'infini ; le cadastre indique 738,512 propriétaires sur une population de 4 millions d'âmes.
Mais ces maisons, ces usines, ces châteaux même, ne sont-ils pas le plus souvent la conquête du travail ? Et pour découvrir l'origine des plus grandes fortunes du pays, n'est-ce pas à de simples ouvriers qu'il faut remonter ? Et c'est là l'honneur de notre époque : c'est le travail aujourd'hui qui donne les titres de noblesse.
Et même, parmi les ouvriers qui n'arrivent pas à la propriété, l'aisance s'introduit et devient plus générale.
Voulez-vous des autorités ? Je vous citerai M. Michel Chevalier. Chacun de vous a sans doute encore présent à la mémoire le remarquable discours que cet illustre économiste a prononcé dernièrement au Collège de France. Je citerai une autre autorité : c'est celle du docteur Villermé.
Vous le savez, messieurs, le docteur Villermé a ouvert une véritable enquête dans les manufactures ; il a eu occasion de causer avec de vieux ouvriers qui avaient vécu sous les deux régimes ; ces ouvriers n'ont pas hésité à dire que, sous le nouveau régime, leur nourriture était meilleure, leurs vêtements plus chauds, leurs logements plus salubres.
En parlant du bas prix des salaires, l'honorable M. de Perceval est évidemment tombé dans l'exagération. « Au 15 octobre 1846, dit-il, toutes les industries manuelles des villes et des campagnes occupaient 215,375 hommes adultes, gagnant un salaire moyen de 1 fr. 27 c. par jour de travail, et parmi lesquels il ne s'en trouvait que 5,342 gagnant au-delà de 3 fr. par jour. »
Je n'ai trouvé dans le travail cité par l'honorable M. de Perceval (le rapport sur le recensement général de 1846) aucun renseignement sur le taux des salaires. J'ai vainement cherché, dans beaucoup d'autres documents, des renseignements précis à cet égard. Mais en admettant ces chiffres comme le résultat du recensement général, il est évident qu'ils doivent être inexacts.
En premier lieu, parce que, comme le dit le rapport, les personnes exerçant plusieurs professions n'ont dû déclarer que la profession principale ; ensuite, parce que, pour les ouvriers travaillant à la journée, le salaire est ordinairement fixé par journée de quatre quarts (habituellement 8 heures de travail), tandis que beaucoup d'ouvriers peuvent faire cinq quarts ou plus par jour.
Enfin, parce que, selon toute vraisemblance, les ouvriers auront déclaré un salaire moins élevé que celui qu'ils gagnent réellement, dans la crainte que le recensement n'eût un but fiscal.
Il n'y aurait en Belgique que 5,342 ouvriers adultes gagnant 3 francs ou plus par jour ; mais ce chiffre seul suffit pour prouver que les indications qui ont été produites sont au-dessous de la vérité. Tous ceux qui connaissent un peu la situation des ouvriers devront le reconnaître.
Ainsi, pour ne citer que l'industrie des mines, un ouvrier mineur proprement dit, celui qui détache la mine, gagne habituellement 3 francs à 5 francs et demi par jour ; et, à la fin de 1849, les ouvriers mineurs, participant aux caisses de prévoyance, étaient au nombre de plus de 45,000.
Je regrette que le temps m'ait manqué pour me procurer d'autres indications qui n'auraient pas été moins concluantes.
Il est vrai qu'un très grand nombre d'ouvriers gagnent un salaire à peine suffisant pour leurs besoins de chaque jour. Ceux-là n'ont d'autres ressources que la charité, dès que le travail est suspendu ; mais n'est-ce pas un motif de plus pour que tous ceux qui pourraient se suffire à eux-mêmes ne viennent pas demander à la charité des ressources qui devraient être réservées entièrement pour ceux qui en ont réellement besoin ? Chacun doit se suffire à lui-même, mais dans la mesure de ses forces ; je répète dans la mesure de ses forces, afin que ma pensée ne soit pas tronquée.
Messieurs, il y a encore beaucoup de misère, qui songe à le contester ? Mais la misère, loin de grandir avec la civilisation, tend à diminuer à mesure que le travail se fraye de nouvelles issues.
La prolongation de la vie moyenne depuis un demi-si ècle, démontre combien la thèse que je soutiens est fondée.
On a parlé des gildes, des frairires ; mais il ne faut pas oublier que ces corporations n’aidaient que les associétés ; si le nombre des élus, le nombre de ceux que le travail pivilégié faisait vivre était excessivement restreint.
Pour démontrer que le nombre des pauvres s'était accru en Belgique, on a cité, d'après le dernier ouvrage de M. Ducpétiaux, le nombre des indigents en 1828, et tout récemment en 1846. Je n'insisterai pas sur ce que l'année 1846 présente d'exceptionnel, ni sur les réserves que M. Ducpétiaux a faites lui-même. Le fait est que nous ne possédons pas la statistique des indigents en Belgique.
Nous avons une statistique des pauvres secourus ; en d'autres termes, nous avons une statistique du revenu des bureaux de bienfaisance.
Quelle est la question qui a été posée aux communes par la commission de statistique ? Elle a demandé le nombre de familles et des individus secourus. Il en est résulté que, dans le Brabant, par exemple, deux communes qui n'ont pas de bureaux de bienfaisance et pas de revenu des pauvres, ont répondu à la question par néant.
D'autres communes, où il y a moins de misère que dans les deux précédentes, mais où il y a plus de ressources à distribuer, ont déclaré un plus grand nombre de familles secourues. Dans l'arrondissement de Nivelles, le chiffre des personnes secourues est bien plus élevé que dans celui de Louvain. Et cependant il y a beaucoup moins de misère dans l'arrondissement de Nivelles que dans celui de Louvain, mais les bureaux de bienfaisance du premier arrondissement sont plus riches.
Dans le Luxembourg, il existe fort peu de bureaux de bienfaisance, on en conclut qu'il n'y a guère de pauvres. Vous voyez jusqu'à quel point vous pouvez vous appuyer sur des renseignements statistiques de cette nature !
On n'a constaté qu'une seule chose : la richesse relative des bureaux de bienfaisance. Quant à la statistique des indigents, elle est à faire. Au siècle dernier, le nombre des indigents secourus par les administrations charitables des villes était peu considérable. Il est impossible d'en conclure qu'il y avait, relativement à la population, moins de pauvres. Au contraire, les mendiants et les vagabonds étaient tellement nombreux, tellement menaçants à certaines époques, que l'on crut devoir leur appliquer les peines les plus sévères. Les particuliers, et surtout les corporations religieuses, donnaient l'aumône. L'assistance publique n'était pas un fait social.
Il n'y a aucune comparaison à faire entre le système de bienfaisance qui existait autrefois et celui qui existe de nos jours.
Esl-ce à dire que la civilisation est arrivée à ses colonnes d'Hercule ? Qu'il n'y a rien à y changer, rien à y perfectionner ? Non sans doute ; la loi de l'humanité, c'est d'aller toujours en avant.
M. de Mérode. - Et quelquefois en arrière.
M. T’Kint de Naeyer. - Le chemin qui a déjà été parcouru donne la mesure de celui que nous pourrons faire encore en redoublant d'efforts. Cherchons les améliorations qu'on peut apporter au sort des travailleurs, cherchons-les ardemment, mais dans la sphère du possible.
Exagérer ce qu'il y a à faire, n'est-ce pas donner raison précisément à ceux qui voudraient qu'on ne fît rien du tout ? La conclusion rigoureuse du discours de l'honorable M. de Perceval, c'est une fin de non-recevoir contre le projet de loi. La loi serait mort-née. Nous attelons la charrue devant les bœufs ! L'objection ne va à rien moins qu'à une réforme économique préalable de la société : en attendant la solution du problème le plus épineux, sans contredit, de notre époque, celui de concilier la liberté du travail avec la continuité et la suffisance du salaire, est-il vrai de dire que l'ouvrier, dans sa position actuelle, ne puisse pas économiser et exercer à son profit une prévoyance qui le prémunisse contre le danger des maladies et des infirmités de la vieillesse ?
Distinguons ; il y a deux classes d'ouvriers : ceux qui sont animés de l'esprit chrétien, ceux qui sont courageux et rangés, et ceux qui s'habituent à considérer la fortune publique comme une réserve assurée à la négligence, à la paresse.
Il ne faut rien attendre des derniers. Mais, on ne saurait assez le répéter, il y a en Belgique un nombre très considérable d'ouvriers qui mettent leur honneur et leur gloire à secouer de leurs propres mains le joug de la misère. Disons-le aussi, l'assistance des chefs d'industrie leur a rarement fait défaut.
Il y aura de nouveaux progrès sous ce rapport, à mesure que la loi de la solidarité, que Dieu a mise entre tous les hommes, sera mieux comprise. Non, le bien-être ne doit pas être le privilège exclusif d'une classe, tandis que les autres sont fatalement condamnées à souffrir. Mais le droit n'enivre-t-il pas ceux qui l'invoquent ? On oublie, on méconnait trop sauvent les devoirs. Dans une société chrétienne, tous ont des devoirs à remplir, l'Etat et les particuliers, les ouvriers aussi bien que les maîtres.
Au lieu de nous accuser les uns les autres, fortifions sans cesse le sentiment du devoir, unissons-nous, concertons-nous sincèrement, loyalement, tout en conservant la libre disposition de nous-mêmes.
M. de Perceval. - La chambre me permettra de répondre quelques mots aux honorables orateurs qui ont pris part à la discussion du projet de loi sur les sociétés de secours mutuels. Je n'abuserai pas de ses moments.
Les honorables collègues qui ont parlé après M. Lebeau ont bien voulu reconnaître qu’en entretenant la législature de nos plaies sociales, mes intentions étaient bonnes. Je les en remercie.
Tous, cependant, et cette fois-ci, y compris le député de Huy, m'ont adressé un reproche, c'est celui de ne pas conclure, de ne pas apporter le remède en même temps que je signalais le mal.
Messieurs, j'ai vu de très près la situation précaire de la classe laborieuse, et je me suis imposé pour tâche d'en signaler les caractères et l'étendue à l'attention du pays et des chambres législatives. J'ai saisi l'occasion du projet de loi sur les sociétés de secours mutuels pour vous présenter l'état des salaires de l'ouvrier. Mes chiffres, extraits de documents officiels, sont-ils contestés ? Apporlez-moi les preuves qui les infirment, et je me range de votre opinion.
Mais, de grâce, ne détournez pas l'attention en me prêtant pour la société des projets subversifs qui n'entrent ni dans mes idées, ni dans mon caractère.
Je suis, autant que qui que ce soit, partisan de l'ordre et dévoué à la liberté.
Ce que j'ai voulu d'abord, c'est de démontrer combien est profonde la plaie qui existe au corps social.
Cette première partie de ma tâche n'est pas encore terminée. Il me reste à vous faire connaître la situation de la classe ouvrière sous le rapport de la moralité, des logements, de la mortalité et de l'instruction.
Quand viendra alors le moment de vous dire par quels moyens spéciaux et définis, on peut, dans mon opinion, activer l'avénement des classes laborieuses au bien-être, à la moralité et à l'instruction, je ne me ferai pas prier, messieurs, pour m'expliquer avec la franchise et la loyauté que je crois avoir apportées jusqu'ici dans ma conduite au sein du parlement.
Mais, en attendant, je n'entends pas me laisser détourner de mon but par des suppositions gratuites et par de vagues insinuations. Je porte à mes honorables contradicteurs le défi formel de tirer du discours que j'ai prononcé dans la séance de vendredi dernier, les propositions absurdes qu'ils se sont donné la peine de combattre, en essayant de contester les faits et de répondre aux principes sur lesquels j'ai cru devoir appeler spécialement l’attention de la chambre et du pays.
Avec vous tous, messieurs, je poursuis un but, celui d'améliorer le sort des classes laborieuses. Pour y parvenir, je pense qu'il faut d'abord commencer par envisager toute l'étendue du mal ; mieux alors nous pourrons rechercher les remèdes qu'il convient d'y appliquer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, mon intention n'est pas de prolonger la discussion générale. Je veux seulement constater que le projet de loi dont il s'agit n'a été attaqué par aucune opinion, que les principes qu'il consacre semblent adoptés par la chambre entière sans contestation. Un autre fait qu'il est utile peut-être de constater, c'est que dans le parlement belge des questions qui ailleurs ne laissent pas que de susciter une certaine émotion, d'exciter même une certaine frayeur, sont abordées, discutées de sang-froid, de bonne foi comme toutes les aulres questions dont est saisie la législature. Cela fait honneur aux mœurs politiques de la Belgique, cela fait honneur à ses institutions ; cela prouve aussi aux classes laborieuses que gouvernement et législateurs sont incessamment occupés de la recherche de tous les moyens qui peuvent améliorer leur condition ; que personne n'est insensible à la condition des classes malheureuses ; que personne ne peut revendiquer le privilège de s'y intéresser particulièrement. Sous ce rapport, tous les partis, toutes les opinions sont unanimes quand il s'agit de prendre des mesures, de voter des propositions qui ont pour objet d'améliorer la situation matérielle et morale des travailleurs. La loi qui nous occupe a ce caractère ; ce n'est pas une loi de parti, c'est une loi qui a un caractère social. Déjà nous en avons voté plusieurs qui ont ce caractère ; celle-ci ne sera pas la dernière.
Lorsqu'à la suite de faits mûrement étudiés, le gouvernement reconnaît qu'il y a lieu d'apporter à la chambre une loi qui a pour but d'introduire des améliorations pratiques, le gouvernement n'y manque pas ; il n'y manquera jamais.
Il y aurait injustice (je ne dirai pas imprudence) à représenter la position des classes pauvres, en Belgique, comme n'ayant pas reçu d'amélioration depuis un certain nombre d'années. Pour ceux qui ont étudié de près la position des classes pauvres, il y a à constater une amélioration évidente.
Ce n'est pas à dire que tout soit fait. Sans doute, il reste beaucoup à faire pour nous et pour nos successeurs. C'est une œuvre longue et laborieuse. Mais c'est beaucoup déjà et ce sera un honneur pour cette époque, de voir tous les hommes publics, les philosophes, les écrivains s'occuper avec une égale ardeur de tout ce qui concerne l'amélioration morale et matérielle du sort des classes inférieures.
Il peut y avoir de mauvais esprits, des écrivains dangereux, de bonne foi, comme de mauvaise foi ; mais ce n'est pas un motif qui doive empêcher les hommes sérieux, les hommes politiques, les législateurs, les gouvernements, de rechercher, d'appliquer tout ce qu'il y a de bon et d'applicable dans les théories nouvelles qui se produisent.
Le projet de loi que vous discutez, et qui, j'espère, recevra la sanction unanime de la chambre, n'est pas de nature à produire immédiatement un effet général et à transformer en classes prévoyantes les classes de la société auxquelles jusqu'ici la prévoyance a généralement manqué. Mais il aura pour effet d'encourager la prévoyance dans ces classes où elle fait trop souvent défaut, et d'exciter les classes supérieures à venir en aide en ceci aux classes inférieures.
(page 705) Sous ce rapport, la loi actuelle est le complément de celle qui institue la caisse générale de retraite.
Sans doute, si chaque individu isolé, dans son dénuement, dans sa pauvreté, était condamné à économiser sur son salaire qui suffit à peine à nourrir lui et sa famille, de quoi subvenir à ses besoins personnels et aux besoins de sa famille, dans le cas éventuel d'accidents, ce salaire serait insuffisant. Mais nous croyons que, pour la formation des caisses de retraite et des sociétés de secours mutuels, il ne faut pas compter uniquement sur le concours de ceux qui sont appelés à y participer, Nous croyons que l'esprit de charité s'en accroîtra, que le projet de loi non seulement propagera l'esprit de prévoyance parmi les classes inférieures, mais encore qu'il stimulera de plus en plus l'esprit de charité dans les classes supérieures, et établira ainsi entre ces classes un lien naturel et fort qui assurera le maintien de l'ordre dans notre pays bien plus efficacement que toutes les mesures les plus répressives.
La liberté d'association ne se trouve en aucune manière attaquée (et il est nécessaire de le dire) par la loi actuelle. Les ouvriers auront la liberté de s'associer, comme par le passé.
Au moment où je parle, il est constaté administrativemenl qu'il y a, dans le pays, 200 sociétés de secours mutuels comptant 60 mille participants. Ce qui prouve (pour le dire en passant) qu'ils ne sont pas tellement dénués qu'ils ne puissent, au moyen de retenues sur leurs salaires, s'assurer des secours éventuels en cas d'accidents.
C'est une réponse à ceux qui considèrent le projet de loi comme une mesure inefficace, parce qu'ils croient qu'on ne peut faire une retenue sur des salaires, déjà insuffisants. Ces deux cents sociétés pourront continuer d'exister sur les mêmes bases. Rien ne s'oppose dans la loi à ce que la liberté d'association ne continue de s'exercer dans toute son étendue.
Mais ce qui importe, c'est que lorsqu'elles voudront se former sous le patronage de l'Etat, obtenir certains avantages, les sociétés soient soumises à certaines règles, à une certaine discipline.
Ces règles ne sont introduites que dans l'intérêt des associations, à qui il importe de savoir ce que deviennent les fonds auxquelles elles ont concouru, à qui il importe que l'administration à laquelle elles confient leurs fonds soit contrôlée. Ce contrôle n'est pas bien rigoureux. Un membre de l'administration communale, devant qui les comptes devront être rendus, assistera aux réunions, et empêchera que les abus ne s'introduisent dans ces sociétés. Ces abus, lorsque ces sociétés resteront à l'état d'associations libres, ne seront pas empêchés. On a constaté, dans ces sociétés, certains abus, notamment en ce qui concerne l'emploi des fonds disponibles, qui souvent ne sont pas dépensés dans le but que la société se proposait. Le gouvernement, tant que l'ordre public n'est pas troublé, que la loi pénale n'est pas applicable, ne peut empêcher ces abus, en ce qui concerne les sociétés entièrement libres.
Mais en ce qui concerne les sociétés patronées, qui trouvent des privilèges dans la loi, il peut prendre des mesures de précaution qui empêcheront ces abus.
Nous aurons d'autres lois à présenter. Mais, nous le déclarons, nous ne voulons en saisir les chambres qu'après une étude approfondie. Il y aurait de graves inconvénients à précipiter les essais d'améliorations. De même que par les exagérations de certains hommes politiques, de certains écrivains, on a fait beaucoup de mal aux classes inférieures, de même par trop de précipitation, en voulant improviser ces améliorations, on pourrait en compromettre longtemps le succès. Nous préférons procéder sagement, progressivement dans cette voie, comme dans toutas les autres.
Nous espérons que la chambre approuvera cette conduite. Dans le courant de cette session, vous aurez encore diverses améliorations à introduire.
La loi que vous faites en ce moment, celles que vous aurez encore à voter, exerceront l’influence la plus salutaire sur toutes les classes de la société ; sans parler, messieurs, de la réforme que vous venez de voter, de la réforme hypothécaire ; sans parler du crédit foncier, vous aurez aussi à voter la grande réforme du Code pénal. Là aussi, il y a beaucoup de bien à faire pour les classes inférieures de la société.
Occupons-nous, messieurs, de ces grandes lois ; continuons à les discuter avec zèle et impartialité, et par là nous aurons recommandé la session actuelle à la gratitude du pays.
M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour combattre le projet, je l'approuve au contraire. Plusieurs de ses dispositions méritent particulièrement nos sympathies. D'abord, on établit une surveillance de l'autorité locale sur les caisses de prévoyance. C'est là un point essentiel, car aujourd'hui il se commet des abus. Il y aura aussi des hospices temporaires pour les ouvriers malades ; des médecins nommés par les sociétés seront chargés de soigner les ouvriers. Ces seules conséquences qu'amènera le projet suffiraient pour que je lui donne mon assentiment.
Messieurs, les sociétés de secours mutuels n'existent pas encore dans nos campagnes ; espérons que bientôt nous en verrons s'y établir ; car là aussi il y a beaucoup de misères à soulager.
J'ai surtout demandé la parole, messieurs, pour répondre à quelques chiffres.
L'honorable rapporteur et d'autres membres avant lui ont contesté le chiffre du salaire des ouvriers indiqué par l'honorable M. de Perceval. Je serais, au contraire, disposé à croire que lorsque l'honorable député de Malines a indiqué ce chiffre comme étant de 1 fr. 25 c. par jour, il a exagéré. Il est possible que certaines classes d'ouvriers dans les villes, que les ouvriers mineurs gagnent 2 et 3 fr. par jour. Mais il n'en est pas de même dans les campagnes et notamment dans les districts où l'on tisse la toile, comme dans les districts des Flandres. Je pourrais vous donner la preuve que là, les meilleurs ouvriers, les bons tisserands qui travaillent 10 à 12 heures ne gagnent pas plus d'un franc par jour, et que leur salaire en moyenne ne s'élève pas à plus de 75 c. Or, je demande si un pareil salaire suffit pour entretenir une famille.
La position des fileuses est bien plus mauvaise encore ; car elles ne gagnent en moyenne que 15 à 20 c. par jour.
Il y a donc encore beaucoup à faire pour nos ouvriers. J'approuve le projet qui tend à ce but, et j'espère que plus tard le gouvernement, qui vient aussi de reconnaître que là ne doivent pas se borner ses efforts, nous présentera d'autres mesures qui seront de nature à amener une augmentation dans les salaires.
Puisque je représente un district où l'on file beaucoup, permettez-moi, messieurs, de répéter une observation que je vous ai déjà faite : c'est que, lorsque nous renouvellerons le traité avec la France, j'espère que, pour donner du travail à nos ouvriers, on permettra l'entrée des fils étrangers. Aujourd'hui, nos filatures exercent une espèce de monopole au grand détriment de nos tisserands, si nombreux dans les Flandres. Je pense que si vous voulez permettre à ces derniers de gagner davantage, il faut entrer dans un autre système.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à 4 heures et demie.