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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 31 janvier 1851

Séance du 31 janvier 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il est donné lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse demande un congé de deux jours.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi sur la révision du régime hypothécaire

Rapport de la commission

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission sur les derniers amendements à la loi des hypothèques qui lui restaient à examiner.

- La chambre en ordonne l'impression et la distribution.

Je vais vous donner lecture du rapport de la commission sur les amendements présentés hier à l'article premier.

La commission qui a examiné l'amendement de l'honorable M. Delfosse déclare l'admettre comme présentant un changement de rédaction préférable à celui énoncé dans le projet.

Quant à l'amendement déposé hier par M. Lelièvre dans le cours de la discussion, la commission qui en adopte le principe croit inutile d'en faire l'objet d'une disposition formelle, parce qu'il est entendu que l'article premier doit, en équité, avoir cette portée et être interprété dans le sens de l'amendement. L'article premier a pour but d'empêcher que les tiers ne doivent, à leur insu, respecter des baux excédant les bornes de pure administration, c'est-à-dire, dépassant le terme de neuf ans. L'article 1429 du Code civil renferme du reste, à cet égard, une disposition équitable qui sera également suivie dans l'application.

En conséquence, la commission qui, de concert avec M. le ministre de la justice, déclare que c'est en ce sens que l'article premier est présenté à la législature, pense avoir atteint le but que se proposait l'auteur de l'amendement.

Ordre des travaux de la chambre

M. David (pour une motion d’ordre). - Messieurs, les industriels du pays attendent depuis longtemps et avec impatience la présentation du projet de loi sur les brevets d'invention. Si je suis bien informé, ce projet est déjà imprimé avec tous les documents nécessaires depuis assez longtemps. Je demanderai donc que le gouvernement veuille bien le déposer pour que nous ayons le temps de l'examiner mûrement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'objet dont vient de parler l'honorable M. David rentre dans les attributions de M. le ministre de l'intérieur qui, en ce moment, ne se trouve pas à la séance. Mais je crois qu'il s'occupe très activement de ce projet, et que dans très peu de temps il pourra le déposer sur le bureau de la chambre.

M. Dumortier. - Je demanderai à la chambre de bien vouloir mettre à l'ordre du jour, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà, le projet de loi fixant le tarif des voyageurs du chemin de fer, sur lequel le rapport a été fait depuis plusieurs mois. La chambre n'a que peu d'objets à son ordre du jour.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, désire aussi la mise à l'ordre du jour de ce projet de loi, et il tient à ce qu'elle ait lieu immédiatement après celle du projet de loi sur les hypothèques.

M. Dumortier. - M. le ministre des travaux publics avait annoncé quelques amendements. Il serait à désirer qu'il voulût bien les déposer le plus tôt possible. La discussion dont nous nous occupons en ce moment prendra plusieurs jours. Dans l'intervalle, la section centrale pourrait examiner les amendements de M. le ministre des travaux publics et en faire l'objet d'un rapport.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je puis encore, sous ce rapport, donner satisfaction à l'honorable M. Dumortier. Je pense que M. le ministre des travaux publics déposera ses amendements demain, ou au plus tard, lundi prochain.

M. Mercier. - C'est précisément l'observation que je voulais faire à la chambre. M. le ministre des travaux publics m'a dit, il y a quelques jours, qu'il se proposait de déposer sous peu ses amendements.

Projet de loi sur la révision du régime hypothécaire

Discussion des articles

Disposition préliminaires

Section I. De la transmission des droits réels
Article premier

- La chambre reprend la discussion de l'article premier.

M. Jullien. - Messieurs, j'ai signalé hier à la chambre l'utilité qu'il y aurait d'introduire dans la loi une disposition qui réglât d'une manière claire et précise les effets des baux consentis par le débiteur postérieurement à la constitution de l'hypothèque.

Les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre m'ont déterminé à déposer un amendement ; mais cet amendement viendra plus utilement à sa place à l'article 41 du projet de loi. L'article 41 du projet de loi porte ce qui suit :

« Art. 41 (2118). Sont seuls susceptibles d'hypothèques :

« 1° Les biens immobiliers qui sont dans le commerce ;

« 2° Les droits d'usufruit, d'emphyléose et de superficie, établis sur les mêmes biens pendant le temps de leur durée.

« L'hypothèque acquise s'étend aux accessoires réputés immeubles, et auxs améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué.

« Néanmoins le créancier hypothécaire sera tenu de respecter les venter des coupes ordinaires de taillis et de futaie, faites de bonne foi, d'après l'usage des lieux, sauf à exercer son droit sur le prix non payé. »

La disposition additionnelle que je propose à l'article 41 serait ainsi conçue :

« Il en sera de même des baux ayant date certaine avant le commandement à fin de saisie immobilière, et qui auraient été consentis de bonne foi et suivant l'usage des lieux, par le débiteur après la constitution de l'hypothèque ; toutefois, les payements de loyers faits par anticipation ne seront, en aucun cas, opposables aux créanciers inscrits antérieurement à ces baux. »

Je demande que la chambre veuille bien renvoyer mon amendement à l'examen de la commission.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je demande également le renvoi de l'amendement à la commission, pour être soumis à son examen.

- La chambre, consultée, renvoie à la commission l'amendement présenté par M. Jullien à l'article 41.

M. Thibaut a la parole sur l'article premier.

M. Thibaut. - Messieurs, le rapport qui vous a été lu par l'honorable M. Lelièvre fait droit, en partie du moins, aux observations que j'avais présentées dans la séance d'hier. Cependant, après y avoir réfléchi, je crois qu'il serait utile de modifier le paragraphe 2 de l'article premier, de manière à assurer à tout locataire qui a contracté un bail à longue échéance, la jouissance de l'immeuble loué pendant une période de 9 années, à partir du moment où son droit est contesté par un tiers.

D'après le sens donne à l'article premier, il arrivera que tel locataire ne pourra, par exemple, continuer à jouir de l'immeuble vendu par son bailleur que pendant une ou deux années, tandis qu'un autre locataire, qui a un bail moins long, pourra jouir d'un autre immeuble vendu à la même époque que le premier pendant 7 ou 8 ans. Je voudrais éviter ce résultat.

Le second motif sur lequel s'appuie mon opinion est puisé dans l'intérêt bien entendu de l'agriculture : il faut favoriser les baux à long terme. Or, par la disposition qui est en discussion, vous les limitez presque néessairement à 9 années.

On dira que le locataire peut user de la transcription, afin de s'assurer la jouissance de l'immeuble qu'il loue, pendant toute la durée de son bail. Mais, dans les campagnes, les fermiers, dont je me préoccupe surtout dans cette question, ne sont pas, en général, versés dans la science du droit ; ils n'y sont pas assez versés du moins pourqu'on puisse penser qu'ils sauront éviter toujours d'encourir la déchéance de leur bail, en recourant à la transcription. C'est d'ailleurs les forcer à des frais qu'ils préféreront éviter, soyez-en sûrs, en renfermant leurs baux dans le terme de 9 années.

Ainsi, en réalité, si la disposition est adoptée, elle limitera les baux au terme de neuf années. Toutefois, je ne présenterai pas d'amendement si je ne trouve point d'appui dans la chambre.

M. Lelièvre, rapporteur. - Si on ne présente pas d'amendement,, je n'ai rien à dire ; si on en présente un, je le combattrai.

M. Lebeau. - Je demanderai si l'amendement indiqué par M. Jullien est retiré. Je ne puis pas me contenter des explications données par M. le ministre sur le point de savoir si le mot « jugement » rentrerait dans les termes généraux de l'article premier sur lequel on va voter. Je ne crois pas qu'il soit possible d'appliquer à l'expression de jugement les mots « à titre onéreux », « à titre gratuit ».

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Jullien, qui avait soulevé la difficulté par son amendement, a pensé que les explications que j'ai données étaient satisfaisantes. Je crois, en effet, que d'après ces explications il ne peut y avoir de doute. Quand le jugement tient lieu d'acte, cette déclaration se trouve toujours dans le jugement même ; il devra être transcrit comme l'acte lui-même, parce que» c'est le jugement qui déclare qu'à défaut d'acte il constate les conventions intervenues entre parties.

M. Lebeau. - Remarquez bien, messieurs, que la loi ne s'adresse pas à des jurisconsultes seuls ; elle s'adresse à des propriétaires, à des cultivateurs, qui tout au plus consultent le texte de la loi ; et il est évident que si le mot « jugement » n’est pas inscrit et se trouve seulement sous-entendu, cela peut échapper à la sagacité de personnes très (page 566) capables d'ailleurs, mais qui n'ont pas fait d'études spéciales des lois. Je n'oserais pas hasarder de proposer un amendement, bien que j'aie acquis une nouvelle confiance dans mon opinion par suite de l'initiative de l'honorable M. Jullien. Je crois, en tous cas, qu'il serait bon qu'une indication plus précise fût donnée.

M. Roussel. - Que la chambre me permette une observation : il semble que le sens attribué aux mots : « actes entre-vifs à titre gratuit ou onéreux », et suivant lequel ces mots comprennent les jugements et arrêts qui ont l'effet déterminé par l'article, il semble, dis-je, que ce sens offrira quelques difficultés dans l'application. Dans les jugements, les tribunaux n'emploient pas nécessairement des termes sacramentels. Il y aura donc, pour chaque jugement, à interpréter son dispositif sous ce rapport, c'est-à-dire à rechercher s'il emporte transmission de droits réels immobiliers ou renonciation, résolution, rescision ou révocation de ces droits.

Lorsqu'il s'agit d'un contrat, les parties s'expliquent catégoriquement sur leurs intentions et sur le but qu'elles veulent atteindre, et qui leur est commun ; elles emploient des termes en rapport avec leur volonté commune. Le juge, au contraire, ne décide que le différend qui lui est soumis dans les limites tracées par des conclusions prises par les parties à leurs risques et périls. Le dispositif d'un jugement ne peut présenter autre chose que l'adjudication totale ou partielle des conclusions prises par les parties dans le litige. Il s'ensuit que la portée de la décision ne sera pas toujours claire en ce qui concerne le caractère que l'article premier du projet de loi exige pour rendre la transcription nécessaire.

Les explications lucides données par M. le ministre de la justice sur la portée des premiers mots de l'article premier, tout en précisant bien le sens de ces mots, n'empêcheront pas que cet article ne donne ouvertures des litiges nouveaux. C'est un inconvénient auquel il n'y a pas de remède, je crois ; car il est inhérent, non à la rédaction seulement, mais au fond de la disposition de l'article premier, ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire sentir dans la séance d'hier.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si nous voulons prévoir tous les cas, entrer dans tous les détails, nous ferons naître beaucoup plus de difficultés que nous n’en pourrons préenir.

Il faut laisser quelque chose à l'appréciation des juges pour l'application des principes.

Le principe dominant dans le projet de loi, c'est que la transmission de propriété, par acte entre-vifs, n'aura lieu à l'égard des tiers que par la transcription.

Voilà le grand principe qui domine tout. Nous pensons que tous actes entre-vifs emportant transmission de propriété devront être transcrit.

On dit : Mais un jugement qui décrétera une convention de vente devra-t-il être transcrit ? Evidemment cela rentre dans l'esprit de la loi ; argumenter du texte, prétendre qu'il est obstatif, ce serait donner à la loi une interprétation trop étroite, trop restreinte. Le jugement, dans ce cas, sera l'acte, il en tiendra lieu et sera soumis aux mêmes formalités. Il y a dans un cas semblable, autant d'utilité et de nécessité de faire transcrire le jugement que tout autre acte.

M. Lebeau. - Je demande quelle objection on peut faire à l'insertion du mot « jugement » dans l'article ? Je n'ai pas de parti pris. J'exprime des doutes ; s'il y a possibilité de les lever, je désirerais qu'on le fît, sous le bénéfice de la révision au second vote. S'il se trouve qu'on a inséré à la légère une disposition contre laquelle des scrupules peuvent s'élever plus tard, on pourra la faire disparaître. Mais jusqu'ici pas une seule objection sérieuse contre l'introduction du mot « jugement » ; j'ajouterai que le texte nouveau est plus propre à induire en erreur que le texte primitif, qui était plus général.

Le texte primitif portait : « Pour actes emportant transmission entre vifs de droits réels immobiliers, etc. » ; tandis que le texte amendé dit : « tous actes à titre gratuit ou onéreux, etc. » Ces expressions : « à titre gratuit ou onéreux » s'appliquent moins à un jugement que le texte primitif, qui était plus général.

Il est impossible d'adapter ces qualifications : « à titre gratuit ou onéreux » à un jugement. Cela est absurde, selon moi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La discussion soulevée ici par l'honorable M. Jullien, je l'avais soulevée moi-même au sein de la commission. La commission a cherché une autre rédaction, mais toutes celles qui ont été produites faisaient naître plus de difficulté que celle qui vous est proposée.

On ne peut pas insérer dans l'article le mot « jugement » parce qu'il y a beaucoup de jugements translatifs de propriété qui ne peuvent être soumis à la transcription.

Par exemple, un jugement prononçant sur une résolution de vente, vous ne pouvez pas faire dépendre ses effets de la transcription, car le jugement opère en arrière ; il fait tomber tous les droits concédés à des tiers depuis le jour de la vente jusqu'au jour du jugement. Ainsi par l'insertion du mot : « jugement », vous donneriez à l'article une portée qu'il est impossible de lui donner.

Si on veut présenter un amendement, je ne m'y oppose pas, on l'examinera, mais je ne veux pas qu'on intercale une disposition sans examen.

Je le répète. Nous avons examiné. C'est moi-même qui ai soulevé, dans la commission, l'objection faite par l'honorable M. Jullien.

Nous avons cherché plusieurs rédactions ; nous n'en avons pas trouvé d'autres. Nous avons discuté la question mûrement, et à l'unanimité nous avons pensé que, dans la pratique, il ne pouvait surgir aucun doute à cet égard.

M. Lelièvre, rapporteur. - A ces observations de M. le ministre, j'ajouterai la considération suivante :

La loi française a été élaborée par les jurisconsultes les plus éminents ; l'article premier de la loi française est conçu dans les mêmes termes que l'article premier du projet. Lorsque cet article a été l'objet d'une discussion approfondie, d'un examen réfléchi, il y aurait danger à s'écarter d'un texte qui est le seul qui ne puisse donner lieu à aucune difficulté grave.

M. Roussel. - Je ne veux d'autre confirmation de ce que j'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure, que les raisonnements très justes de l'honorable ministre de la justice, qui nous a prouvé que la question de savoir si les jugements doivent être rangés sous la désignation d'actes entre-vifs à titre gratuit ou onéreux de l'article premier dépendra de l'appréciation du juge.

Chaque fois que cette question se présentera, relativement à un jugement, nonobstant l'autorité des jurisconsultes, auteurs de la rédaction française, il y aura possibilité d'un procès. C'est évident.

Sans admettre l'insertion, dans l'article, du mot « jugements », je me borne à signaler la difficulté. Chaque fois qu'il y aura un jugement qui pourra donner lieu à transcription, il y aura procès.

Quant à l'insertion du mot « jugements » dans l'article premier, elle produirait tous les inconvénients signalés par M. le ministre de la justice. Il est impossible de prendre une disposition générale pour les jugements qui ne sont appelés qu'accidentellement à la transcription, moins à raison de qu'ils contiennent qu'à raison de ce qu'ils confirment ou révoquent.

Lors même que l'amendement de l'honorable M. Jullien serait déposé, il est évident que la commission le repousserait, parce qu'il est impossible d'admettre des termes généraux, lorsque les exceptions débordent la règle et ne lui en laissent que le nom.

Cependant, comme dans toutes les choses humaines il y a un mauvais côté, vous aurez l'éventualité de litiges plus ou moins fréquents pour apprécier, dans chaque espèce, quel est le jugement qui tombe sous les termes de l'article premier.

M. Jullien. - Pour faire droit à l'observation de M. le ministre de la justice, je vais déposer un nouvel amendement, qui, je pense, donnera entier apaisement à la commission. En voici les termes :

« Tous jugements tenant lieu d'un contrat de vente de semblables droits. »

Cette rédaction ne s'appliquera pas aux jugements portant résolution de droits immobiliers. Il sera dès lors évident qu'il n'y aura que les jugements tenant lieu de contrats translatifs de droits réels qui seront soumis à la transcription. De cette manière la question de savoir si les actes entre-vifs embrassent, oui ou non, une décision judiciaire, ne pourra plus être soulevée.

Je crois donc que la rédaction nouvelle que je propose pourrait être admise par la commission.

M. Roussel. - C'est trop restreint !

M. Jullien. - Nullement ! elle a pour but de trancher tout débat sur le point de savoir si les actes entre-vifs comprennent les décisions judiciaires. Or, nous avons dit hier que, dans le langage usuel, un acte entre-vifs n'a jamais eu la signification d'un jugement. M. le ministre de la justice reconnaît que les jugements tenant lieu d'actes translatifs de propriété, condamnant un vendeur à passer un acte de vente, doivent être transcrits.

Eh bien, l'amendement que je dépose répond entièrement à la pensée de M. le ministre. Il est restreint aux jugements qui tiennent lieu d'actes translatifs de propriété.

L'honorable ministre de la justice ayant désiré lui-même qu'on déposât un amendement, qu'au besoin la commission examinerait, j'ai cru devoir satisfaire à ce vœu.

M. le président. - Le premier amendement de M. Jullien portait : « Tout jugement emportant mutation de semblables droits. »

M. Jullien. - Je le remplace par celui-ci.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, cet amendement est beaucoup trop restreint. Il y a d'autres manières de transférer la propriété que la vente, par exemple l'échange. Ainsi, deux individus échangent leurs propriétés. Avant que l'acte ne soit fait, l'un des deux ne veut plus exécuter la convention. Il est assigné par l'autre devant le tribunal qui décrète l'échange, ce jugement devra aussi être transcrit.

M. Jullien. - Pour lever cette objection, je propose de dire : « Tout jugement tenant lieu d'un contrat translatif de semblables droits. »

M. Rousselle. - Vous voyez, messieurs, quelle difficulté la chambre éprouve d'adopter une rédaction qui dise expressément ce qui est dans ses intentions. Elle devrait, me semble-t-il, prendre le temps de rechercher celle qui doit être définitivement adoptée. Eh bien ! pour cela, admettons l'amendement de l'honorable M. Jullien, et nous aurons jusqu'au second vote pour le méditer elle corriger, s'il y a lieu.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je crois devoir m'opposer à l'amendement de l'honorable M. Jullien. Il est évidemment trop restreint. Il ne comporte pas même l'idée que son auteur veut y attache : « Tout jugement tenant lieu d'un contrat translatif de semblables droits. » Mais que diriez-vous d'un jugement qui déclare qu'un partage a eu lieu ? Votre amendement lui serait-il applicable ? Evidemment non, et cependant c'est là un jugement tenant lieu d'un acte soumis à la transcription. Restons, messieurs, dans les termes du projet. Ils satisfont à (page 567) toutes les exigences. Plus vous voudrez ajouter à la loi, plus vous la rendrez obscure, plus vous ferez naître de difficultés.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Jullien est mis aux voix, il n'est pas adopté.

Le paragraphe premier, tel qu'il a été proposé en dernier lieu par la commission, d'accord avec M. le ministre de la justice, est adopté.

Le paragraphe 2, rédigé dans les termes proposés par l'honorable M. Delfosse, est adopte.

M. le président. - M. Lelièvre avait proposé un paragraphe additionnel à l'article premier.

M. Lelièvre. - Mon amendement devient sans objet puisqu'il est entendu que c'est dans le sens de cet amendement qu'est conçu l'article premier en discussion.

- L'ensemble de l'article premier est adopté.

Article 2

La discussion est reprise sur l'article 2 ainsi conçu : « Les actes authentiques et les actes sous seing privé reconnus en justice ou devant notaire, sont seuls admis à la transcription. »

M. Moreau. - Messieurs, je viens demander avec l'honorable M. Jullien, la suppression de l'article 2 du projet de loi.

Comme il vous l'a fait remarquer avec raison, cette disposition consacre un système entièrement nouveau, quant aux actes sous seing privé.

Il exige que ces actes soient reconnus en justice ou devant notaire pour pouvoir être transcrits.

En d'autres termes, cet article défend en quelque sorte aux parties de faire sous signature privée soit des ventes, soit des partages, soit des cessions de créances privilégiées ou hypothécaires inscrites, car comme ces actes ne pourront être transcrits, à moins qu'ils n'aient été légalement reconnus et qu'ainsi les droits ou les conventions qu'ils constatent ne pourront être opposés aux tiers, il est bien certain que, dans aucun de ces cas, les parties ne se serviront plus de ce mode de contracter.

L'on ne pourra même plus donner une procuration sous seing privé à un mandataire, pour passer un acte de cette catégorie.

Je ne puis, messieurs, admettre cette innovation qui bouleverse notre législation et modifie, comme l'a dit avec raison l'honorable M. Jullien, essentiellement le code civil dans beaucoup de ses dispositions.

Ce système, ce me semble, ne peut d'abord trouver sa place, être sanctionné dans une loi destinée à réformer le régime hypothécaire.

En second lieu, les inconvénients qu'il fera, dit-on, disparaître sont, selon moi, moindres que ceux qu'il peut faire naître.

Et enfin, il est contraire à nos moeurs, à nos usages et porte atteinte à la liberté des parties contractantes.

Je dis d'abord, messieurs, que l'innovation que l'on vous propose de voter n'aurait pas dû trouver sa place dans la loi que nous discutons, que ce n'est pas en examinant s'il convenait de rétablir la transcription qu'il fallait résoudre une question aussi grave et qui touche à toute l'économie du Code civil.

En effet, messieurs, de quoi devons-nous nous occuper actuellement ?

De la transcription des actes translatifs ou déclaratifs des droits immobiliers.

Or, je vous le demande, qu'est-ce que la transcription ?

N'est-ce pas un mode de publicité prescrit par la loi pour révéler aux tiers un fait qui peut les intéresser, n'est-ce pas une notification qui informe les tiers que tel bien immobilier, tel droit réel ou susceptible d'hypothèque est passé de telle personne sur la tête de telle autre aux conditions mentionnées dans l'acte ?

La forme de l'acte constatant cette mutation ou cette déclaration de propriété est donc essentiellement indifférente à l'effet que la transcription doit produire.

Et cependant en rétablissant aujourd'hui la transcription vous introduisez dans nos lois des principes nouveaux qui n'ont nul rapport direct avec le but que vous voulez atteindre, celui de rendre public la mtutation des droits immobiliers ; vous modifiez implicitement les dispositions du Code civil qui concernent la vente, le partage, les baux, la cession de créances.

A l'occasion de la transcription, vous décidez que pour que ces contrats puissent produire tous leurs effets, il faut qu'ils soient, comme la donation, consentis par actes authentiques.

Ainsi, veuillez, messieurs, le remarquer, d'un côté le Code civil, même après l'adoption de la loi, permettrait encore de transférer des droits de propriété entre les parties par un simple acte sous signature privée, et de l'autre, l'article 2 du projet de loi défendrait à ces mêmes parties contractantes de rendre ce fait public par la transcription, par le moyen qui, dans les temps modernes, a remplacé la mise en possession.

En d'autres termes, un acte sous seing privé constatera mes droits de propriété de telle manière que le fisc me fera payer des droits de mutation, et vous m'empêcherez, muni de ce titre, de prendre en quelque sorte possession de la chose, d'en obtenir la tradition, en faisant connaître mon titre aux tiers, et ce, afin que je puisse faire valoir contre eux les droits qui m'ont été, remarquez-le bien, légalement transférés.

Serait-ce là, messieurs, faire quelque chose de logique, quelque chose de conforme aux vrais principes du droit ? Ne serait-ce pas, au contraire, si je puis le dire, dénaturer la transcription en voulant en régler le mode de cette manière ?

Aussi longtemps donc que nos lois autoriseront les parties à rédiger ou à faire rédiger leurs conventions et à les placer sous la garantie de leurs signatures respectives, je ne vois pas pourquoi on leur interdirait de les faire transcrire ; dans ce cas, celui qui contractera avec une personne devenue propriétaire en vertu d'un seing privé le saura et pourra voir le titre et même souvent s'assurer de la réalité des signatures.

Je pense donc, messieurs, que ce serait introduire dans notre législation une véritable anomalie que d'adopter l'article 2, et que si vous voulez innover, mieux vaudrait cent fois, pour ne tromper personne, inscrire dans nos lois des dispositions formelles qui exigeraient que tous les contrats déclaratifs ou translatifs de droits immobiliers fussent, sous peine de nullité, constatés par acte authentique.

Aussi, messieurs, dans les pays où l'on a réformé le régime hypothécaire, je ne sache pas qu'on ait reconnu la nécessité d'introduire une disposition semblable dans la loi hypothécaire ; vous ne la rencontrez ni dans la loi du canton de Genève de 1847, ni dans la loi qu'on discute maintenant en France.

L'édit de Colbert de 1673 et celui de 1771, qui établissaient un mode de publicité, permettaient la réalisation des actes sous signature privé. La loi du 11 brumaire an VII, quoiqu'il y ait eu contestation sur ce point, ne la défendait pas.

Un avis du conseil d'Etat du 12 floréal an XIII a levé tout doute sur ce point, et veuillez, messieurs, me permettre de vous lire un extrait de cet avis qui renferme des considérants très remarquables.

« Considérant, porte-t-il, qu'aucune disposition précise ne s'oppose à ce qu'un acte de vente sous signature privée, revêtu de la formalité de l'enregistrement, soit transcrit sur le registre du conservateur des hypothèques, que cette transcription n'a d'autre effet que d'annoncer aux personnes intéressées que la propriété a passé d'une main dans une autre, et qu'il n'y aurait pas de motifs pour prohiber les annonces du changement qui se serait opéré par acte sous signature privée quand il est permis d'aliéner de cette manière ;

« Qu'enfin lors de la discussion du titre du Code civil des privilèges et hypothèques la question fut proposée au conseil d'Etat et qu'il parut si évident qu'on pouvait transcrire un acte de vente sous signature privée dûment enregistré qu'on jugea superflu de faire une disposition pour le permettre, comme on peut s'en convaincre par la lecture du procès-verbal de la séance du 10 ventôse an XII. »

Vous le voyez, messieurs, la question que l'on soulève aujourd'hui n'est pas nouvelle ; déjà elle a été examinée lors de la confection du code, et je suis entièrement d'accord avec le conseil d'Etat et les jurisconsultes éminents qui ont élaboré le Code civil, car tous ils ont dit que s'il est permis d'aliéner sous seing privé, il doit être aussi permis de faire transcrire ces actes.

Les motifs principaux sur lesquels s'appuie la commission consistent à dire que son système rendra la propriété plus certaine ; que l'acte sous seing privé dont la signature peut être à chaque instant méconnue n'offre pas aux tiers des garanties suffisantes ; que la loi que nous faisons est principalement destinée à assurer le crédit d'une manière stable.

Je ne nie pas, messieurs, que si l'on pouvait demander que tout acte destiné à établir des droits quelconques ait la forme de l'authenticité, il n'y eût en général peut-être plus de sécurité dans les transactions.

Il ne me paraît pas cependant que jusque maintenant notre législation ait présenté des inconvénients, des abus assez graves pour nécessiter une innovation qu'aucun peuple n'a encore introduite dans la sienne.

Chez nous celui qui a apposé sa signature à un acte sous seing privé la nie très rarement, et les tribunaux ne sont pas saisis de beaucoup d'actions en reconnaissance d'écritures.

Si vous consultez, comme je l'ai fait, la statistique criminelle, vous vous convaincrez également qu'il se commet en Belgique très peu de crimes de faux.

D'après les derniers documents statistiques qui nous ont été distribués, il s'est commis, pendant les années 1840 inclus 1843,19 faux en écriture authentique et 23 en écriture privée.

Vous le voyez, messieurs, les faux en écriture authentique sont à peu près aussi nombreux que ceux en écriture privée ; il n'est donc pas exact de soutenir que l'article 2 imprimera à la propriété un caractère beaucoup plus fixe, qu'il environnera les conventions de garanties beaucoup plus solides, et qu'il donnera aux droits immobiliers une fixité irréfragable.

Car il en sera de même d'un acte sous seing piivé reconnu faux comme de la transcription d'un acte notarié en qui on découvre le même vice, comme d'un acte notarié qui par la suite est reconnu émaner d'un interdit, d'un mineur, d'une femme mariée non autorisée de son mari, d'un acte notarié signé par un vendeur non propriétaire.

Et veuillez le remarquer, messieurs, c'est alors que vous permettez à un testateur à son lit de mort, lorsque ses facultés intellectuelles sont peut-être affaiblies, de disposer par un testament olographe de tous ses biens tant mobiliers qu'immobiliers, de créer des hypothèques, que vous croyez qu'il est nécessaire de prendre des précautions pour assurer la réalité des signatures apposées sur des actes d'une importance bien moindre.

C'est alors que l'on a le plus grand intérêt à ne pas reconnaître la (page 568) signature du défunt que vous vous en contentez sans exiger qu'elle soit authentiquement constatée.

Enfin, si vous adoptiez l'article 2, messieurs, vous feriez quelque chose de contraire à nos usages, quelque chose qui répugne à nos moeurs.

Personne n'a jamais contesté l'importance des actes sous seing privé ; ils sont d'une nécessité indispensable sous une législation qui proscrit la preuve testimoniale pour les choses excédant la valeur de 150 francs. Aussi ces actes ne sont-ils pas d'un usage journalier. Et celui qui a été tant soit peu dans les affaires ne sait-il pas qu'à chaque instant des ventes, des conventions de toute espèce ont lieu par actes sous seing privé lorsque surtout l'objet de la convention n'a pas une bien grande valeur ?

En Belgique la propriété est, comme vous le savez, extrêmement divisée ; des ventes d'une minime importance ont lieu à chaque instant ; si donc l'article 2 est adopté,vous forcez les particuliers qui voudront acheter la plus petite parcelle de terrain, les administrateurs des communes qui voudront, par exemple, acquérir très peu de terrain de chaque propriétaire pour construire un chemin de grande communication, à avoir constamment un notaire à leur suite pour rédiger leurs conventions, vous les forcez à passer des actes coûteux et à recourir à chaque instant a un fonctionnaire public pour les actes les plus usuels.

Permettez-moi, messieurs, de vous présenter une dernière considération qui, ce me semble, n'est pas sans importance.

Jusque maintenant, comme je l'ai déjà dit, il faut bien le reconnaître, ce qui existe aujourd'hui n'a entraîné aucune inconvénient, aucun abus grave ; en général, les droits immobiliers transférés par acte sous seing privé ont été reconnus et sont demeurés aussi stables que ceux dont la mutalion résulte d'actes authentiques.

Pourquoi donc le législateur belge serait-il actuellement plus exigeant ? Pourquoi, sans motifs plausibles, froisserait-il les usages, les relations de confiance qui doivent exister entre ceux qui font des affaires, relations de confiance qui ont bien autant de valeur pour donner de la stabilité aux conventions que toutes les mesures législatives que vous pourriez prendre ? Pourquoi le législateur belge, plus méfiant que les législateurs des autres peuples, introduirait-il dans nos lois des formalités gênantes et qui restreindraient singulièrement la liberté des contractants ? Enfin pourquoi, lorsque ceux-ci voudraient rédiger eux-mêmes leurs conventions, les placeriez-vous sous une espèce de tutelle et feriez-vous peser sur eux une espèce d'incapacité, tandis que nos voisins et tous autres étrangers resteraient affranchis de cet assujettissement ?

Ces considérations, messieurs, sont pour moi d'un ordre supérieur et dominent la question. J'ai, quant à moi, confiance dans la moralité du peuple belge, dont on se plait, avec raison, à vanter la sagesse, la probité et la bonne foi, je crois qu'il n'y a pas plus de danger à permettre à un Belge qu'à tout autre étranger de transférer des droits immobiliers sous la garantie de sa simple signature.

Je ne puis donc appuyer de mon vote toute disposition qui tendrait à faire croire qu'ici nous serions contraints de prendre des mesures extraordinaires que l'on ne rencontre dans la législation d'aucun autre peuple, pour assurer aux transactions un caractère de certitude qu'elles ne seraient pas censées avoir eu jusqu'à ce jour.

Projets de loi modifiant certaines limites communales

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer trois projets de loi.

L'un a pour but l'érection du hameau de Riezes en commune distincte de Chimay.

Les deux autres sont relatifs 1° à la délimitation des communes d'Attlert et de Guirsch (Luxembourg) ; 2° à la délimitation des communes d'Autelbas et de Bonnert (même province).

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi. Ils seront, ainsi que les motifs qui les accompagnent, imprimés et distribués. La chambre les renvoie à l'examen de commissions qui seront nommées par le bureau.

Projet de loi sur la révision du régime hypothécaire

Discussion des articles

Disposition préliminaires

Section I. De la transmission des droits réels
Article 2

M. de Muelenaere. - Messieurs, l'honorable M. Jullien et l'honorable M. Moreau ont fait valoir successivement des considérations puissantes contre l'article 2 du projet de loi en discussion, qui n'admet à la transcription que les actes authentiques, ou les actes sous seing privé, reconnus en justice ou devant notaire. Il est impossible de méconnaître que cet article apporte à la législation qui nous régit depuis un demi-siècle, une modification profonde et radicale.

Quelques-uns des inconvénients qui ont été signalés par ces honorables membres, je ne veux pas le nier, sont réels. Mais la discussion sur cette importante loi est à peine commencée et je vous demanderai, messieurs, si vous croyez qu'il serait possible de faire une législation quelconque sur la matière, qui fût complètement à l'abri de critiques et qui n'entraînât pas certains inconvénients.

Je crois que ce que vous avez entendu déjà doit vous faire répondre tous négativement à cette question. Ce n'est pas, au surplus, messieurs, par quelques inconvénients partiels, par quelques froissements d'intérêt que l'on doit se guider lorsqu'on s'occupe d'une matière aussi importante. Ce que nous devons rechercher et rechercher avec soin, c'est d'arriver à un système qui réponde le mieux possible à l'intérêt général et qui réponde aussi à ce que je considère comme les besoins actuels de la société.

En partant, messieurs, de ce point de vue, je me suis demandé, sans aucune espèce de prévention, si l'acte sous seing privé pouvait convenablement remplir le double but que le législateur s’est proposé, à savoir de rendre la propriété certaine, de la consolider d'une manière qui puisse être considérée comme irrévocable sur la tête du nouvel acquéreur, et en même temps, d'offrir au tiers qui contracterait avec le nouvel acquéreur toutes les garanties désirables. Voilà ce que nous devons tâcher d'obtenir.

Eh bien, après avoir mûrement réfléchi, j'ai dû répondre négativement ; non, je ne pense pas qu'un acte sous seing privé puisse répondre à ce double but ; je ne pense pas qu'un acte sous seing privé offre les garanties que nous voulons consigner dans le projet de loi. Je vais en dire, messieurs, très brièvement les raisons.

Je pense que l'expérience doit nous avoir appris à tous qu'en général, l'acte sous seing privé offre presque toujours des irrégularités très regrettables et que, dans la plupart de ces actes, on découvre des lacunes qui, tôt ou tard, deviennent essentiellement préjudiciables aux intérêts des parties. Mais une chose que l'on paraît perdre de vue et qui, pour moi, est extrêmement importante, c'est qu'il s'agit, dans la loi qui nous occupe, non seulement de transporter la propriété d'une manière certaine, mais aussi de veiller aux intérêts du prêteur et de l'emprunteur.

Eh bien, messieurs, je me suis demande également si le prêteur sera très disposé à engager ses capitaux sur la foi d'un simple acte sous seing privé lorsque ce prêteur saura que sa créance peut être mise en péril, qu'il peut être exposé à des procès longs et frayeux, uniquement par suite d'un prétexte en quelque sorte frivole, par une simple dénégation d'écriture. (Interruption.) Cela s'est fait constamment, me dit-on, depuis le Code civil ! Mais nous voulons aujourd'hui améliorer ce qu'il y avait d'imparfait dans la législation civile. Je crois que tous les hommes pratiques, et notamment, M. Jullien, jurisconsulte distingué, conviendront avec nous que ce qu'il y avait de plus défectueux dans tout le Code civil, c'est le régime hypothécaire et, je le répète, je crois que le gouvernement aura rendu un service réel à la société, si nous parvenons à faire une bonne loi sur cette matière.

Eh bien, messieurs, je pense que le prêteur ne sera guère disposé à confier ses capitaux sur la foi d'un acte de cette nature, et cependant, ne perdons pas de vue une chose importante, c'est que plus la loi offrira de garanties au prêteur pour la conservation et le recouvrement de son capital, moins il se montrera exigeant et difficile sur le taux de l'intérêt. Nous savons tous que le taux de l'intérêt est toujours en raison des sûretés plus eu moins grandes que présente le prêt. Ainsi donc, en définitive, celui sur le sort duquel on pourrait peut-être le plus s'apitoyer, l'emprunteur verra tourner à son profit toutes les précautions prises par la loi.

Remarquez d'ailleurs, messieurs, que le projet qui nous occupe a été successivement élaboré par deux commissions. L'une de ces commissions a été nommée par le département de la justice, l'autre a été prise dans, le sein même de la chambre. Ces deux commissions étaient composées d'hommes très compétents, d'hommes qui avaient fait une étude spéciale de la matière. Le rapport extrêmement remarquable de notre honorable collègue M. Lelièvre prouve d'ailleurs que cette question spéciale n'a pas passé inaperçue, n'a pas été perdue de vue ; le rapport démontre que la question dont nous nous occupons en ce moment a été envisagée, notamment par la commission de la chambre, sous toutes ses faces, qu'elle a donné lieu à une très longue discussion et que ce n'est qu'après avoir pesé les inconvénients et les avantages de cette disposition que la commission de la chambre, d'accord avec le gouvernement, d'accord avec la commission instituée par le département de la justice, que tous, unanimement, ont proposé l'article. 2, d'après lequel il n'y a que l'acte public ou l'acte sous seing privé reconnu en justice ou devant notaire, c'est-à-dire qui a acquis un caractère public, qu'il n'y a que ces actes seuls admis à la transcription. C'est là, messieurs, un préjugé extrêmement puissant en faveur de la loi, un argument très fort ; et, en ce qui me concerne, il me faudrait des raisons extrêmement graves pour me faire écarter l'opinion de ces honorables membres qui ont fait, je le répète, de la question une étude toute spéciale.

D'ailleurs, messieurs, il serait vraiment étrange que dans notre système, je ne parle pas de ce qui existait antérieurement, mais que dans notre nouveau système, et je vous prie, messieurs, de faire attention à ceci, on admît vis-à-vis des tiers des actes sous seing privé translatifs d'une propriété, tandis que lorsqu'il s'agit d'apporter une modification à la propriété, lorsqu'il s'agit d'un simple démembrement, c'est-à-dire de consentir une hypothèque, on ne permettrait pas que cet acte, qui est beaucoup moins important, fût un acte sous seing privé ; dans ce cas, il faut nécessairement l'acte public. Eh bien, s'il faut, d'après la législation actuelle, un acte public pour faire moins, mais évidemment, messieurs, pour être conséquents, vous devez admettre qu'il faut un acte public pour faire beaucoup plus.

Cependant, messieurs, je dois l'avouer, il y a une observation faite par l'honorable M. Jullien, et qui vient d'être reproduite par l'honorable M. Moreau, qui a produit une certaine impression sur mon esprit.

La voici :

L'honorable M. Jullien nous a dit que, dans certaines provinces, il y a fréquemment des transmissions de propriétés d'une valeur tellement (page 569) minimes que ces mutations ne peuvent en quelque sorte comporter les frais d’un acte public. Je ne sais jusqu'à quel point ces actes sont plus ou moins fréquents.

M. Jullien. - Ils sont très fréquents.

M. de Muelenaere. - S'il en est ainsi (et je ne puis en douter), si cette objection peut paraître sérieuse à l'honorable ministre de la justice, qui appartient à la même province que l'honorable M. Jullien, tout en maintenant la règle générale déposée dans l'article 2, on pourrait cependant faire une exception moyennant certaines conditions : c'est-à-dire qu'on pourrait admettre à la transcription les actes sous seing privé lorsque la valeur de la mutation n'excéderait pas une somme qui serait déterminée dans la loi elle-même.

J'aimerais beaucoup mieux, pour ma part, qu'on ne fût pas obligé d'admettre cette exception ; et cependant si ce cas était aussi fréquent qu'on le prétend, il faudrait ne pas rendre moralement impossible les mutations de propriétés d'une valeur minime.

Force serait donc d'admettre l'exception.

Jusque-là, je crois que nous devons maintenir le principe de l'article 2, et que la chambre ne peut s'écarter de la disposition proposée par la commission.

A propos de cet article, je me permettrai de prier instamment M. le ministre de la justice de ne pas perdre de vue et de prendre en très sérieuse considération une recommandation qui a déjà été faite au gouvernement par l'un des rapports qui nous ont été distribués, par le rapport de la commission nommée par le département de la justice. Si l'article 2 acquiert force de loi, l'office, l'intervention des notaires devient indispensable dans tous les actes de cette espèce. Il importe que ces actes n'occasionnent pas aux parties des dépenses trop considérables.

Dès lors, je pense qu'il est important que le jour même de la promulgation de la loi, M. le ministre de la justice soit à même de publier un tarif nouveau et modéré sur les frais auxquels ces actes donneront lieu. Ce tarif aura un double avantage : ce sera une mesure utile au public ; indépendamment de cela, elle aura pour effet de faire accueillir avec plus de faveur ce projet de loi, que, pour ma part, je considère comme étant entièrement dans l'intérêt public, comme devant offrir au pays des avantages qui me semblent incontestables.

(page 585) M. de Theux. - Messieurs, il me semble que, par l'article 2 du projet de loi, le gouvernement s'est écarté des principes généraux qui doivent guider le législateur.

Il me paraît d'abord qu'on est allé au-delà du but. Vous vous rappellerez, messieurs, que la transcription n'a d'abord été rendue obligatoire que comme mesure fiscale.

Cette mesure étant adoptée, le gouvernement a bien fait en proposant un nouveau système hypothécaire, de rendre la transcription également obligatoire pour constater davantage la mutation de la propriété. Ici j'approuve entièrement l'obligation de la transcription.

Mais suit-il de là qu'il y ait eu nécessité à exiger que l'acte ne pût être transcrit qu'en tant qu'il fut revêtu d'une forme authentique ? Je ne le pense pas. L'honorable préopinant s'est prévalu de l'opinion de la commission qui a été nommée par le bureau. Messieurs, j'ai l'honneur d'appartenir à cette commission, et il n'entrera pas certainement dans ma pensée de chercher à amoindrir la valeur de son travail. Mais quand l'honorable membrese prévaut de ce travail pour dire que le système de l'article 2 se présentait avec l'autorité imposante de l'unanimitédes membres de cette commission, je dois ici rendre la chambre attentive aux faits.

D'abord le rapport constate que l'article 2 n'a été adopté qu'à la majorité de 3 voix contre 2 ; il y a donc eu un grand dissentiment dans le sein même de la commission ; vous remarquerez qu'au lieu de travailler à 7 membres, la commission, la plupart du temps, n'a travaillé qu'à 4 ou 5 membres, et la raison en est simple : c'est que deux membres de la commission ont été trop souvent empêchés de prendre part à ces travaux.

Ces observations n'ont d'autres motifs que d'engager la chambre à ne pas considérer toutes les résolutions de la commission, comme se présentant avec l'autorité du suffrage de ses sept membres.

Messieurs, les principales modifications qui ont été introduites, soit sous le gouvernement des Pays-Bas, soit sous le gouvernement de Belgique, tant au Code civil qu'au Code de procédure, ont eu pour objet surtout de simplifier les formalités, de diminuer les frais. Et aussi, je n'hésite pas à le dire, le projet qui doit être le plus utile au régime hypothécaire, c'est celui que le gouvernement a annoncé et qui consiste dans la simplification de la procédure, pour arriver à la vente de la propriété et à la distribution du prix entre les créanciers.

Ce sont ces formalités onéreuses qui contribuent pour une part considérable à empêcher les prêts de peu d'importance ; aussi est-il à remarquer que les prêts nouveaux se font surtout sur les propriétés importantes.

Mais, messieurs, n'est-il pas sensible qu'en prescrivant la passation d'un acte authentique pour la vente, pour le partage, pour la cession quelconque d'un droit immobilier, vous exposez les parties à de nouveaux frais ?

Il est à remarquer que ces frais varient beaucoup suivant les localités et suivant l'importance des immeubles à l'égard desquels une transaction se passe, qu'il s'agisse, soit de vente, soit de partage.

Ainsi, dans certaines localités, les notaires exigent des honoraires très considérables pour ces sortes d'actes. Même dans les communes rurales, lorsqu'il s'agit du moindre objet, il faudra toujours un acte notarié et une expédition authentique de cet acte, pour le présenter au conservateur des hypothèques, chargé d'en opérer la transcription. Ce sont là des frais nouveaux qui, dans mon opinion, sont complètement inutiles.

Il y a plus ; c'est que la loi, en permettant la vente sous seing privé, mais en n'exigeant l'acte authentique que pour la transcription, place les personnes imprévoyantes dans une situation qui deviendra souvent très difficile ; car, l'acte sous seing privé une fois signé entre les parties, il n'est pas toujours facile d'arriver à l'obtention d'un acte notarié. Souvent il sera nécessaire de recourir à un jugement, soit qu'il y ait eu un changement dans la capacité des parties, soit que l'une d'elles soit décédée, soit qu'il y ait mauvais vouloir après coup ; eh bien, si pour un objet de peu d'importance, on doit recourir à l'obtention d'un jugement pour faire opérer la transcription, vous placez l'acquéreur dans une position qui entraînera pour lui des frais extrêmement considérables.

En outre, l'enregistrement d'un acte sous seing privé, la transcription de cet acte doivent être faits dans un délai déterminé, sous peine d'amendes élevées ; eh bien, s'il y a un retard dans la passation de l'acte authentique, l'acquéreur va être passible du double droit et des amendes comminées par les lois. Voilà de quelle manière la loi nouvelle viendra au secours de la propriété, au secours du cultivateur ! Quant à moi, qui me suis toujours beaucoup intéressé à l'agriculture, je vous remercierai, au nom de ses intérêts, du cadeau que vous voulez lui faire.

Mais, messieurs, pour quel motif exige-t-on un acte authentique pour la transcription ? C'est sans doute parce qu'on pourrait présenter comme garantie hypothécaire un bien dont l'aliénation ne serait qu'apparente, dont l'aliénation ne constituerait qu'un acte sous seing privé faux. Ces cas ne se sont presque jamais présentés.

Veuillez-le remarquer, messieurs, lorsqu'il y a vente, celle-ci est bientôt suivie de l'annotation au registre du cadastre.

Il est vrai que, dans l'intervalle de la réalisation de l'acte entre-vifs et de l'annotation au cadastre qui appelle la publicité et qui donnerait lieu au propriétaire véritable à réclamer contre la vente simulée qui aurait été faite de sa propriété, il pourra avoir été fait un emprunt hypothecaire ; mais ce cas ne s’est peut-être pas encore présenté ; et puis celui qui confie son argent à l’emprunteur s’assure bien un peu de sa moralité ; il connaît son débiteur et il connaît aussi assez facilement s'il est réellement propriétaire des biens qu'on lui présente.

Ainsi, pour un inconvénient qui ne s'est peut-être pas présenté, qui ne se présentera peut-être pas une fois en dix ans, vous allez changer une législation consacrée par des siècles, par nos anciennes coutumes, par nos lois civiles ; vous allez poser ce principe dans votre nouvelle loi que le peuple belge a moins de moralité que le peuple français ; car, ainsi que vous l'a dit l'honorable M. Moreau, en France, où l'on s'est aussi occupé de changer le régime hypothécaire, on n'a point voulu changer le mode de transmission des propriétés sous seing privé.

Je crois, messieurs, que nous ne devons point admettre à un tel degré dans notre législation la suspicion de fraude ; et puisque, remarquez-le bien, tous les changements qui ont été apportés au Code civil et au Code de procédure sont précisément motivés sur ce qu'autrefois en France, l'on avait trop entouré la procédure, les actes civils, le partage des biens des mineurs, la vente des biens du mineur, l'expulsion du locataire, l'expropriation forcée, que l'on avait entouré tous ces actes de trop de formalités parce que l'on était parti d'un principe faux, qui est la crainte de fraude. Oui, sans doute, le législateur doit fournir des remèdes contre la fraude et il doit la craindre, mais il ne faut pas que, pour une fraude qui ne se présentera presque jamais, le législateur introduise dans la loi une disposition onéreuse et qui en définitive porte des inconvénients beaucoup plus graves que cette fraude éventuelle et infiniment rare.

Mais la fraude serait-elle moins impossible au moyen d'un acte notarié ? Mais non,celui qui, par exemple, voudrait se donner un crédit imaginaire, à l'effet de contracter un emprunt, mais celui-là, pour mieux réussir, se fera passer un acte authentique de la vente des propriétés par quelqu'un qui n'en est pas propriétaire, il viendra ensuite demander confiance à un capitaliste, et ainsi l'avoir du prêteur ne sera en aucune manière sauvegardé.

Les dénégations de signature de la part d'un vendeur, de la part de ses héritiers, de ses créanciers, ont-elles entraîné de nombreux procès ? Mais non, messieurs ; nous sommes encore à attendre la citation de ces nombreux procès auxquels les ventes sous seing privé auraient donné lieu.

Messieurs, dans quelle circonstance veut-on apporter cette innovation si grave dans nos lois ? C'est lorsque la propriété se morcelle d'année en année davantage, lorsque les transactions qui ont pour objet la transmission de propriété portent sur des choses de peu de valeur qui ne comportent pas les frais d'un acte authentique.

C'est donc aller diamétralement à l'inverse des faits qui se produisent, que de changer, en ce point, notre législation civile.

D'autre part, c'est à une époque où l'instruction se répand davantage, où la connaissance des lois est devenue plus générale par leur durée, par leur ancienneté, par la pratique des affaires ; c'est alors qu'on veut introduire, dans la législation, des formalités qui feraient supposer chez nos populations une complète incapacité de gérer leurs intérêts.

Une autre objection a été faite ; on a dit : N’y a-t-il pas une contradiction dans les lois quand elles exigent un acte authentique pour une constitution d'hypothèque qui n'est qu'un démembrement partiel de la propriété, tandis qu'elles permettent la transmission de la propriété par acte sous seing privé ?

Non, il n'y a pas contradiction dans nos lois ; je ne ferai pas l'injure aux jurisconsultes éminents qui ont élaboré le Code civil, de dire qu'ils sont tombés dans une contradiction grossière. Pourquoi y a-t-il une différence enlre la constitution d'hypothèque et la vente ? Si l'hypothèque pouvait être consentie par acte sous seing privé, qu'arriverait-il ? Il arriverait que quelqu'un pourrait se prétendre créancier hypothécaire d'un tiers pour nuire à son crédit. Le registre des inscriptions est ouvert au public, une inscription pourrait y être demandée sur un faux acte sous seing privé, il en résulterait une atteinte au crédit du propriétaire qui pourrait, pendant plusieurs années, ignorer qu'une inscription a été prise ; quand il en aurait connaissance, il se trouverait dans l'obligation d'obtenir un jugement prononçant la radiation de l'inscription. Voilà pourquoi les lois n'ont pas permis la constitution d'hypothèque sous seing privé.

La vente par acte sous seing privé d'un immeuble par un individu qui n'en est pas propriétaire, n'a pas le même inconvénient ; le propriétaire véritable n'a rien à faire, il attend qu'on vienne réclamer la possession. Si on se présente avec un titre faux pour entrer en possession, il répond : Etablissez vos droits. La position est différente entre la vente et la constitution d'hypothèque par acte sous seing privé.

Quant à moi, je considère comme une idée malheureuse d'avoir cherche à compliquer le système hypothécaire nouveau qu'on propose, de questions qui ne sont pas en rapport direct et nécessaire avec ce système. Si une révision des dispositions du titre des Ventes est nécessaire, ajournons-la à l'époque où peut-être on voudra toucher au Code civil. Mais il ne s'agit ici que du régime hypothécaire, et la vente sous seing privé pourra être faite avec le système nouveau comme elle pouvait l'être sous l'ancien, sans nuire à la marche régulière du système nouveau.

Je pense que tous les motifs militent contre le système de l'article 2, je n’ai entendu donner aucune raison solide pour son adoption.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Après les paroles que vient de prononcer l'honorable comte de Theux, je suis étonné qu'il donne son approbation à l'article premier. Pour être conséquent avec la manière de voir qu'il vient d'exprimer, il aurait dû combattre cet article et le repousser par son vote. Car si l'article 2 n'a aucun rapport avec le système hypothécaire, l'article premier n'en a pas davantage. L'article premier consacre le principe de la transcription des actes de mutation, pour que ceux-ci puissent être opposés aux tiers ; l'article 2 se borne à déterminer les actes qui pourront être soumis à la transcription. Il y a évidemment une corrélation intime entre ces deux articles.

Mais l'honorable comte de Theux me semble verser dans l'erreur la plus complète lorsqu'il isole les lois qui règlent la transmission de la propriété du régime hypothécaire. Car sur quoi repose tout système hypothécaire ? Evidemment sur la propriété. Quand vous voulez organiser un système hypothécaire, quelle est la première chose à faire ? C'est de rendre la propriété certaine. Lorsque la propriété est douteuse, mais évidemment l'hypothèque doit chanceler. Lorsque le propriétaire ne peut pas établir sa qualité d'une manière incontestable, assurément le crédit se retirera de lui, ou pour mieux dire, se retirera de sa propriété.

C'est parce que les règles relatives à la transmission de la propriété et les lois sur les hypothèques se tiennent de si près que, dans le projet soumis à vos délibérations, nous avons proposé la consécration du principe de la publicité, principe nouveau, si on le met en rapport avec le Code, mais parfaitement connu et pratiqué sous notre législation coutumière. La transcription, dans notre ancien droit, s'appelait réalisation ; au fond c'était toujours la publicité exigée pour que les actes emportant mutation de propriété puissent être opposés aux tiers.

La question soumise à la chambre à propos de l'article 2 est donc très grave, très importante. De la solution qu'elle recevra dépendra en grande partie la bonté ou l'imperfection du système hypothécaire. Si, en raison des actes que vous admettez à la transcription, celle-ci ne devient plus qu'une formalité en quelque sorte illusoire, si la propriété ne doit pas en recevoir une assiette plus sûre, une incontestabilité plus grande, le crédit ne s'en rapprochera pas plus qu'il ne l'a fait sous le Code actuel.

Ces principes posés, examinons si l'acte sous seing privé que l'on veut faire admettre à la transcription réunit les conditions voulues pour donner une certitude au prêteur, pour engager le capitaliste à accepter le gage qui lui est offert. Quant à moi, je ne le pense pas.

On me dit : Prenez la statistique ; en autant d'années, il n'y a eu qu'autant de faux ; d'un autre côté, la dénégation d'écriture est extrêmement rare. Mais c'est là raisonner au point de vue de la criminalité, c'est déplacer la question.

Je ne m'occupe pas de la question de savoir si, sous l'empire du Code, il y a eu beaucoup de faux ; je ne m'inquiète pas de savoir si sous l'empire du Code, il y a eu beaucoup de dénégations d'écriture ; mais je me demande si, sous l'empire du Code, le crédit s'est développé, si les règles relatives à la transmission des biens ont commandé la confiance. Et je me dis que si, sous l'empire du Code, la confiance n'a pas existé, peu importe qu'il y ait eu ou non des faux ou des dénégations d'écriture ; je me dis que si, sous l'empire du régime actuel, personne n'a accepté la propriété comme le premier, comme le meilleur des gages, c'est que le système est mauvais, et qu'il doit être réformé,

Il se peut qu'il n'y ait pas eu beaucoup de faux ; je rends, comme mes contradicteurs, hommage à la moralité du peuple belge. Mais il suffit que la possibilité du faux ou de la dénégation d'écriture il existe, que cette possibilité ébranle la confiance, pour qu'on la fasse disparaître.

M. Deliége. - Vous aurez la transcriplion.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais la transcription ne peut rien lorsque les actes que vous soumettez à la transcription n'offrent par eux-mêmes aucune garantie.

Il n'y a pas, d'un autre côté, que le crime de faux qui puisse jeter quelque perturbation dans la propriété. La propriété n'est pas seulement compromise par les faux par les dénégations d'écriture ; elle est compromise aussi par des nullités qui se commettent dans des actes sous seing privé. Ayez-vous fait la statistique des procès faits de ce chef ? Si vous l'aviez faite, vous reconnaîtriez que la plupart des actes sous seing privé donnent lieu à des procès qui mettent en péril la propriété même.

Pour ne citer qu'un cas, la loi porte que les actes sous seing privé renfermant des conventions synallagmatiques doivent être faits en double. Combien d'actes sous seing privé ne portent pas cette mention !

M. Thibaut. - Cela n'arrive pas souvent.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne sais si l'honorable membre qui m'interrompt a suivi le barreau pendant longtemps ; je me suis occupé d'affaires judiciaires pendant dix-huit ans, et j'ai vu beaucoup d'actes qui ne portaient pas cette mention et qui ont été attaqués de ce chef.

Quand un procès de cette nature surgit, si l'acheteur ou le vendeur ne peut faire par témoins la preuve supplétive de la vente, l'acte est annulé. Ainsi une propriété a été vendue : un tiers a prêté ses fonds sur cette propriété, il avait la conviction qu'elle appartenait à l'emprunteur, et par suite d'un procès il voit disparaître le gage qui l'a déterminé à prêter. Semblable régime ne peut pas commander la confiance ; l'admission des actes sous seing privé à transcription, conserverait pour la propriété les inconvénients qui existent aujourd'hui. Pour cela, pas n'est la peine d'ébranler tout l'édifice hypothécaire.

L'honorable M. Jullien nous disait hier que nous apportions une modification des plus radicales au Code, que nous bouleversions tout ce qui est relatif aux actes sous seing privé. C'est là une exagération passablement hyperbolique. La forme des actes sous seing privé est réglée par l'article 1322 du Code civil, ainsi conçu :

« Art. 1322. L'acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l'oppose ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique. »

A cet article nous n'apportons aucune modification sérieuse. Les actes sous seing privé reconnus auront pour les parties, leurs héritiers et ayants cause la même foi qu'avant la loi en projet. La seule modification que nous apportons, c'est que l'acte sous seing privé, translatif de droits immobiliers, pour pouvoir être transcrit, devra être reconnu en justice ou par-devant notaire.

Mais, après comme avant la loi, rien n'empêchera que des ventes même immobilières se fassent par actes sous seing privé. L'acheteur comme le vendeur seront tenus l'un vis-à-vis de l'autre. Mais vis-à-vis des tiers, la transcription seule opérant le dessaisissement, il faudra que l'acte soit reconnu en justice ou par-devant notaire.

M. Jullien. - En d'autres termes, il y aura deux modes de vente.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, mais il n'y aura qu'un mode de transcription. Il n'y aura qu'un mode pour que les actes sous seing privé agissent vis-à-vis des tiers.

Aujourd'hui vous avez sous un autre rapport la même chose. L'acte sous seing privé qui n'a pas date certaine lie les parties. Que faut-il pour qu'il puisse être opposé aux tiers ? Mais il faut l'enregistrement. Eh bien, ici il faudra la transcription qui ne pourra être faite que d'actes réunissant certaines formalités.

L'honorable M. Jullien disait hier : Mais il y a quelque chose d'illogique dans notre système. En matière commerciale, des marchés pour des sommes très importantes se font et sont constatés très valablement par actes sous seing privé.

Messieurs, je ne comprends pas qu'un esprit aussi judicieux que l'honorable M. Jullien ait laissé échapper cette grande distinction qu'il y a à faire entre les obligations personnelles et la transmission des droits réels.

Lorsque l'on contracte par acte sous seing privé en matière commerciale, en matière personnelle, quelles sont les relations, les rapports qui se forment par suite des conventions ? Mais des rapports tout personnels, des rapports dans lesquels les tiers n'interviennent pas ; rarement des rapports d'homme à chose, et quand, par hasard, par suite de ces conventions, il y a des rapports avec une chose, ce ne sont que des rapports momentanés, des rapports fugitifs, des rapports qui disparaissent bientôt, et avec des choses qui, par leur nature, ne donnent pas lieu au droit de suite.

Quand, au contraire, il s'agit de contrats translatifs de droits immobiliers, il y a là des rapports de l'individu avec la chose, des rapports de celui qui achète avec l'immeuble qui devient l'objet du marché, des rapports qui peuvent être éternels, et c'est précisément par suite de ces rapports continus du possesseur avec la chose possédée qu'il faut, autant que possible, perpétuer l'acte qui constate l'origine de ces rapports.

Messieurs, l'incertitude de la propriété a toujours été considérée comme un obstacle tellement grand àà l'assiette d'un bon système (page 57) hypothécaire qu'en Angleterre, une commission, nommée il y a plusieurs années, indiquait précisément comme un des vices de la législation l'incertitude quant à cette propriété. Et cette incertitude, d'où la faisait-elle résulter ? Elle la faisait résulter de la perte des titres (car ce n'est pas seulement les faux qu'il y a à craindre), de la suppression des titres, de la falsification, de l'altération des titres. Et elle recommandait de commencer à porter remède à cet état de choses, si l'on voulait arriver à un bon système hypothécaire.

L'honorable M. Moreau, après l'honorable M. Jullien, nous disait aujourd'hui que nous étions inconséquents ; que nous admettions le testament olographe, qui était un acte sous seing privé, pour opérer la transmission de la propriété, et que nous n'admettions pas l'acte sous seing privé.

D'abord, ces honorables membres doivent remarquer que l'article premier ne s'occupe que de la transmission de la propriété par actes entre-vifs ; et cela par une très bonne raison, c'est qu'il est impossible de s'occuper des actes portant transmission de propriété à cause de mort ; et l'on en conçoit facilement le motif, c'est que le décès est un fait qui opère beaucoup plus la transmission que les actes.

On peut dire que les actes qui interviennent dans ce cas ne font que désigner les héritiers, et l'on ne peut pas faire dépendre de la transcription la transmission de la propriété par suite de décès sans violer immédiatement le principe que le mort saisit le vif.

Mais s'il y a quelqu'un d'illogique, ce sont évidemment ceux qui combattent l'article 2, et l'honorable comte de Muelenaere l'a démontré de la manière la plus péremptoire. Vous voulez que la propriété pleine, entière, se transmette par un acte sous seing privé, et vous n'admettez pas que le démembrement de la propriété, que l'hypothèque, qui est beaucoup moins que la transmission de la propriété entière, puisse se constituer par acte sous seing privé !

L'honorable comte de Theux a cherché à expliquer cette contradiction. Mais qu'il me permette de le lui dire, il est loin d'y être parvenu.

L'honorable M. de Theux disait : Mais un individu peut, pour nuire au crédit d'une autre personne, forger un titre sous seing privé, constatant qu'il a une hypothèque sur les propriétés de celle-ci. Mais je demanderai à l'honorable M. de Theux s'il est possible qu'un individu, rien que pour nuire, par exemple, à un de ses voisins, aille faire un faux et forger un titre qui constate qu'il a une créance hypothécaire sur celui-ci, alors qu'il n'en est rien. Pourquoi ne pas admettre que, pour augmenter son crédit, un individu use du même moyen ?

Si quelqu'un a un faux à faire, il le fera plutôt pour poser un acte qui lui apportera des bénéfices que pour poser un acte qui portera préjudice à un autre sans aucun avantage pour lui.

Quant aux testaments olographes, messieurs, j'y reviens un instant. On a fait tout ce qu'il était possible de faire ; on a, quant à ces testaments, pris toutes les précautions ; l'article 1007 porte que le testament olographe ne peut être exécuté que pour autant qu'il ait été déposé chez un notaire ; de sorte que l'argument que l'on tire du testament olographe se retourne contre ceux qui l'emploient. Et dans ce cas on ne pourrait pas exiger la reconnaissance d'écriture, puisque celui qui a fait le testament olographe n'est plus de ce monde lorsqu'il s'agit d'exécuter sa volonté. Ainsi, sous ce rapport, je le répète, l'argument est très mal choisi.

Messieurs, on a parlé des frais qui seraient rendus indispensables par suite du nouveau système, des entraves qui seraient apportées dans les relations. L'honorable comte de Muelenaere a répondu à cet argument. S'il est quelqu'un dans cette chambre qui s'imagine qu'on fera jamais une loi sans qu'il en résulte quelque inconvénient, il se trompe. Il faut renoncer à retoucher aucune partie de notre législation, à faire même une loi sur un objet quelconque, si l'on veut qu'il n'y ait pas là quelques difficultés, quelques froissements d'intérêts.

Mais parce qu'il y aura quelques parcelles d'une très minime valeur, parce qu'il y aura dans le Luxembourg, dans le Limbourg, ou dans d'autres provinces, vingt, trente, cent parcelles dont la valeur ne sera que de 10 à 20 fr., ce n'est pas une raison pour reculer devant la mise à exécution d'une grande mesure, qui doit être avantageuse à l'agriculture tout entière.

Après cela, messieurs, il ne faut pas s'exagérer les frais auxquels les dispositions proposées donneront lieu.

Les individus qui constatent leursconventions par acte sous seing privé sont en général des personnes très peu lettrées, qui doivent employer des hommes d'affaires auxquels ils payent l'acte sous seing privé à peu près aussi cher qu'ils payeraient l'acte notarié. Il y a plus ; c'est que ces hommes d'affaires entraînent le plus souvent les parties dans des procès, ce qui leur est beaucoup plus onéreux que s'ils avaient eu recours à un officier ministériel.

Maintenant, messieurs, il y a des mesures à prendre (et telle est mon intention), contre les abus qui pourraient résulter du monopole, qui est en quelque sorte conféré aux notaires. Il y a un tarif à faire, un tarif à publier en même temps que la loi. Evidemment lorsqu'on force tout le monde à s'adresser aux notaires, il faut aussi imposer aux prétentions des notaires certaines limites qu'ils ne puissent pas dépasser.

On nous a aussi demandé pourquoi nous changeons un état de choses qui est entré dans nos mœurs. Messieurs, je crois qu'il y a encore là de l'exagération. L'acte sous seing privé est entré dans nos mœurs, sous quel rapport ? Il est entré dans nos mœurs, par exemple, pour les actes de prêt, pour les marchés, pour les ventes d'objets mobiliers. Voilà sous quel rapport l'acte sous seing privé est entré dans nos mœurs. Mais il n'est pas de personne prudente qui se contente d'un acte sous seing privé quand il s'agit de la vente d'une propriété, précisément parce qu'un acte semblable est trop important pour qu'on ne cherche pas à se garantir de sa perte par le dépôt dans l'étude d'un notaire.

- Un membre. - Les actes de partage et de famille.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La plupart des actes de partage et de famille se font devant notaire, surtout ceux qui ont une certaine importance.

Maintenant, messieurs, s'il y avait éertaines contrariétés, il ne s’ensuivrait pas qu'il faudrait, à cause de ces contrariétés, abandonner les grandes mesures dont il s'agit. Je vous dirai : Pesez d'un côté les inconvénients du système actuel et de l'autre côté les inconvénients du système que vous proposez, et voyez de quel côté se trouve la plus grande somme d'avantages et d'inconvénients.

L'honorable M. Jullien disait encore hier et l'honorable M. Moreau répétait aujourd'hui que, sous l'empire de notre ancienne législation, les actes sous seing privé pouvaient être réalisés. Sans doute, messieurs, mais à quelle condition ? A la condition que les parties qui avaient concouru à l'acte se présentassent devant l'officier chargé de cette réalisation. De cette manière la signature des parties, la sincérité, la réalité de l'acte étaient officiellement établies. Nous ne vous demandons pas plus. Il y avait, sous l'empire de nos coutumes, un système de publicité au moins aussi complet que celui que nous organisons aujourd'hui. Que la chambre me permette de lire un extrait d'une ordonnance de Philippe II, du 6 décembre 1586, et elle se convaincra que nous n'inventons absolument rien. Voici ce que porte cette ordonnance :

« Art. 2. Davantage, comme journellement plusieurs personnes se trouvent intéressées en achats de quelques biens sujets à fidéicommis, ou substitutions, ou créations d'hypothèque sur iceux, lesquelles charges ne viennent à connaissance à tems : Nous, y désirant pourvoir, ordonnons que nulle clause de substitution ou fidéicommis, prohibition d'aliéner, ou semblables autres charges, faites ou ordonnées par testamens, donations ou contrats, sortiront effet de réalisation ou pourront empêcher l'aliénation ; ne fût qu'icelles fussent passées en registres par-devant les juges où tels biens sont situés, etc.

« 3° Et à cette occasion nous étant représenté le même inconvénient au regard des autres charges réelles, lesquelles, bien que passées par-devant les juges du lieu, souvent à la vente d'iceux se recèlent et demeurent inconnues par faute de bons registres, que par les greffiers secrétaires ou clercs en doivent être tenus et mis en bonne garde, lesquels par la mutation des officiers et autres accidens, souvent changent de mains. Pour à ce remédier, avons déclaré et déclarons en conformité de diverses ordonnances, que nulles aliénations, ventes, transports ou charges des fonds d'héritages, maisons et semblables biens immeubles, auront effet, s'ils n'étaient passés par héritances et déshéritances par-devant les juges ou loix de leur situation, et afin que l'acheteur s'en peut assurer voulons et ordonnons que les officiers et secrétaires, ou autres ordonnés pour recevoir tels contrats, seront tenus d'en faire nouveaux registres à part, et y ajoutant tout ce que par-devant eux, en ce regard, sera été fait ou passé, ensemble par leurs prédécesseurs en office, cy avant qu'il se pourra atteindre ou recouvrer, etc. Lesquels avec les notes et rapports que dessus, voulons être bien gardés et assurés en un coffre à part, dont le greffier seul ait les clefs, pour en faire ostentation à ceux qui en auront besoin, etc. Et comme en aucune ville le grand nombre des secrétaires ou clercs recevant tels contrats, fait que l'on en peut venir à connaissance, voulons que iceux en tiennent aussi registre à part, à chacun mois apportant à la greffe le sommaire de ce qui en sera noté en ce regard sur leur registre, contenant le lieu et date, avec spécification des biens, charges y imposées, des personnes qui comparaîtront et dénomination des échevins, etc. »

Voilà, messieurs, le système qui avait été organisé.

Ainsi, toutes les aliénations devaient être réalisées. Ces réalisations se faisaient devant le juge du lieu, et aucune aliénation n'opérait vis-à-vis des tiers, si elle ne se trouvait inscrite dans le registre qui existait à cet effet. Je le répète, il y avait dans l'ordonnance de 1586 un système de publicité aussi complet, si pas plus complet que celui que nous proposons aujourd'hui.

M. Moreau disait encore que nous entrons dans une voie où jusqu'à présent aucun pays n'est entré. C'est encore là, messieurs, une très grave erreur ; l'Allemagne est depuis longtemps entrée dans ce système, et voici entre autres deux articles du Code prussien qui date de très loin :

« Art. 15. Toutes déclarations de volonté et tous contrats renfermant quelques dispositions relatives à la propriété d'un immeuble doivent être reçus en justice ou par un officier de justice. »

« Art. 16. Le titre de possession n'est point susceptible d'inscription sur le tableau des hypothèques, lorsqu'il ne consiste que dans un acte sous seing privé. »

Voilà ce que porte le Code prussien, et on trouve la même disposition dans presque tous les Codes de l'Allemagne.

Voici, messieurs, pour terminer, une observation qui a son importance. Dans aucun des pays où le titre des Hypothèques du Code civil a été publié, jamais institution destinée à venir en aide à l'agriculture n'a prospéré ; ni en France, ni en Belgique, ni dans la Prusse rhénane ; nulle part. Les banques qui ont été érigées en Belgique, telles que la Banque foncière, la caisse hypothécaire, ont dû restreindre ou cesser leurs opérations. (Interruption.)

(page 572) Il est certain que, dans bien des provinces, elles ont à peu près complétement cessé leurs opérations, tandis que dans tous les pays où il existe une législation semblable à celle que je viens de citer, il existe des établissements de crédit foncier. Ainsi, dans la Bavière, en Prusse, en Autriche, dans le Wurtemberg, il y a de semblables établissements. Eh bien, n’est-il pas permis de tirer de ce fait la conclusion que les lois sur la transaction de la propriété, la législation hypothécaire, influent énormément sur la prospérité des établissements de crédit foncier, établissements indispensables à la propsépérité de l’agriculture.

M. de Theux. - Messieurs, il ne faut pas croire que le crédit foncier va recevoir un grand développement en Belgique lorsque vous aurez substitué, pour la vente, l'acte authentique à l'acte sous seing privé. Ceci, messieurs, j'en suis convaincu, sera complètement inopérant quant au crédit foncier. J'ai dit hier, messieurs, que les principales causes qui s'opposent, en général, aux prêts hypothécaires, ce sont l'élévation du taux de l'intérêt, le morcellement des propriétés, les difficultés de remboursement...

A entendre M. le ministre de la justice, on croirait, messieurs, que quand quelqu'un achète une propriété ce soit pour la grever immédiatement d'hypothèque ; mais il n'en est rien, surtout quant aux propriétés de peu de valeur. C'est là une chose complètement erronée, entièrement contraire aux faits.

Mais, dit-on, il pourrait se produire des nullités dans les actes de vente sous seing privé, par exemple, si l'on a omis de mentionner que l'acte est fait en double. Messieurs, celui qui confiera son argent à un propriétaire se fera présenter le titre de propriété, tout comme celui qui achète une propriété se fait présenter le titre ; si le titre est défectueux, il ne prêtera pas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La nécessité de ces recherches éloigne les capitaux.

M. de Theux. - Ensuite, messieurs, la nullité dont on se prévaut, cette nullité se couvre par l'exécution de l'acte.

Je ne puis, messieurs, que rendre la chambre attentive à ce fait, que le système de l'article 2 tend à imposer aux habitants de la campagne de nouvelles charges au profit des gens d'affaires, au profit des notaires. Voilà, messieurs, tout le fond des dispositions de l'article 2.

M. le ministre de la justice a parlé de la réalisation qui devait se faire autrefois devant la justice du lieu ; mais, messieurs, il a oublié de dire que cette justice avait son siège dans chaque village et que la formalité dont il s'agit n'avait rien d'onéreux. Rien de moins onéreux que le mode de translation de la propriété qui existait en vertu de nos anciennes coutumes. Les lois fiscales ont déjà augmenté beaucoup les frais de transmission et la loi nouvelle vient encore aggraver l'état de choses établi par ces lois.

Quant à moi, je persiste dans l'opinion que j'ai émise, et je voterai contre l'article. (Aux voix ! aux voix !)

M. Malou. - Je n'ai qu'une simple observation à faire.

M. le ministre de la justice a paru croire que les vices de la législation hypothécaire ont amené la liquidation de nos banques foncières.

Voici comment le fait se présente. A ma connaissance il existe encore aujourd'hui, en Belgique, trois institutions de prêt sur hypothèque : La Banque liégeoise, la caisse hypothécaire et la caisse des propriétaires. Un seul établissement de cette nature : la Banque foncière, est en liquidation depuis plusieurs années ; mais ce n'est pas à cause des vices de la législation hypothécaire, c'est parce que l'établissement a dépassé les limites de son capital et de son crédit.

- L'article 2 est mis aux voix par appel nominal.

Voici le résultat de cette opération :

59 membres répondent à l'appel.

45 répondent oui.

14 répondent non.

En conséquence, l'article 2 est adopté.

Ont répondu oui : MM. Osy, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, Debroux, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Meester, de Muelenaere, de Perceval, De Pouhon, Dequesne, Devaux, Dumortier, Frère-Orban, Jouret, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moxhon, Orts et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Rodenbach, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Allard, Clep, David, de La Coste, de Mérode-Westerloo, de Steenbault, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Jullien et Moreau.

Article 3

« Art. 3. La transcription se fera sur un registre à ce destiné, et le conservateur sera tenu d'en donner reconnaissance au requérant. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Toute demande tendante à faire prononcer la révocation de droits résultant d'actes soumis à la transcription devra, dans le cas où cette révocation ne préjudicie pas aux aliénations, hypothèques et autres charges réelles établies avant l'action, être inscrite en marge de la transcription prescrite par l'article premier.

« Seront valables toutes aliénations, hypothèques et autres charges réelles consenties avant cette inscription.

« Si la demande n'a pas été inscrite, conformément au paragraphe précédent, le jugement de révocation n’aura d’effet, vis-à-vis des tiers, qu’à dater de la transcription. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je propose deux légers changements de rédaction ; je demande qu'on substitue dans le premier paragraphe au mot « établies », celui-ci : « consenties », et dans le deuxième paragraphe aux mots « consenties avant », ceux-ci : « antérieures à ».

M. Thibaut. - Je ne sais pas si l'article 4 peut avoir quelque utilité, s'il n'a d'autre résultat que d'augmenter le nombre d'articles du projet de loi déjà très volumineux.

Je ferai remarquer à la chambre que le cas prévu par l'article 4 est déjà réglé par l'article 958 du Code civil. Je ne pense pas qu'il puisse s'agir d'un autre cas que de celui de révocation d'une donation pour cause d'ingratitude. Je ne connais pas au moins d'autre révocation qui ne préjudicie rien à l'inscription des hypothèques consenties avant la demande de révocation. Je crois donc qu'il est parfaitement inutile de maintenir cet article dans le projet de loi sur les hypothèques.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, cet article s'il est maintenu ne pourra dans tous les cas entraîner aucun inconvénient ; aucun danger ; sa suppression pourrait en entraîner, selon moi.

L'honorable M. Thibaut dit qu'il ne connaît aucun cas de révocation que celui qui est établi par l'article 958 du Code civil, contre le donataire ingrat. Il y a un cas identique et qui viendra tomber sous l'application de cet article. Ainsi, lorsque, par suite d'absence, les héritiers sont envoyés en possession définitive et que l'absent revient, il doit reprendre les biens dans l'état où ils se trouvent. Il peut à ce sujet surgir un procès entre l'absent et ses héritiers envoyé en possession.

Il est évident qu'il y a un intérêt à ce que la demande puisse être inscrite ; pour que les héritiers ne puissent plus imposer de nouvelles charges pendant toutes les procédures auxquelles cette demande peut donner lieu. Il en est de même de l'usufruitier poursuivi en déchéance pour cause d'abus de jouissance. Sous ces rapports donc, cet article est utile, et j'en demande le maintien.

M. Lelièvre. - L'article 4 est d'une utilité incontestable. En effet, d'abord il s'applique à tous les jugements de révocation, tandis que l'article du Code civil qu'invoque M. Thibaut n'est relatif qu'au cas d'ingratitude et à l'hypothèse spéciale d'une donation dont on demande de ce chef la révocation.

Or, il existe bien certainement d'autres cas où il peut intervenir un jugement de même nature.

D'un autre côté, il ne faut pas perdre de vue la disposition additionnelle proposée par la commission qui soumet à la transcription les jugements prononçant la révocation. En cela nous avons fait droit à l'amendement de M. Jullien.

L'obligation de faire transcrire les jugements ayant ce caractère, n'est introduite que par la loi en discussion. Le Code civil, dans le cas qu'on invoque, ne contenait pas semblable prescription. Dès lors il est inexact de prétendre que la disposition dont nous nous occupons soit inutile, puisqu'elle introduit une disposition nouvelle qui considère comme valables les aliénations faites jusqu'au moment de la transcription du jugement, lorsque le demandeur n'a pas pris soin de rendre publique la demande en révocation.

- La discussion est close.

Les deux paragraphes de l'article, ainsi que le paragraphe additionnel proposé par la commission, sont mis aux voix et adoptés.

Article 5

« Art. 5. La cession ou subrogation d'une créance hypothécaire inscrite ne pourra être opposée aux tiers, si elle n'a été rendue publique dans les registres de la conservation des hypothèques de la situation des biens hypothéqués.

« A cet effet, le cessionnaire pourra requérir, en son nom personnel, le renouvellement de l'inscription existante, ou une inscription nouvelle de la créance cédée, sur la représentation de l'expédition de l'acte authentique de cession ou subrogation, dont il sera fait mention en marge de l'inscription existante au profit du précédent propriétaire de la créance.

« Si la cession a été faite par acte sous seing privé, le cessionnaire fera opposition à la radiation de l'inscription de la créance cédée, ainsi qu'il sera dit en l'article suivant. »

La commission, au lieu des expressions : « La cession ou subrogation d'une créance hypothécaire inscrite ne pourra être opposée aux tiers, si elle ne résulte d'un acte authentique », propose de dire : « La cession ou subrogation d'une créance hypothécaire inscrite ne pourra être opposée aux tiers, si elle ne résulte d'actes mentionnés à l'article 2 ».

M. Jullien propose de rédiger le paragraphe 3 de la manière suivante : « Il délivrera au requérant, au bas du bordereau d'inscription, copie du changement opéré sur ses registres. »

La commission, d'accord avec M. le ministre de la justice, a proposé de dire : « La cession ou subrogation inscrite ne pourra être opposée aux tiers, etc. »

M. Lelièvre, rapporteur. - Je proposerai de dire : « Il fera mention au bas du bordereau du changement opéré sur ses registres. »

M. Jullien. - Je me rallie à ce changement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le gouvernement se rallie à cette rédaction.

- L'article 5 ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. Toute personne ayant intérêt au maintien d'une inscription, comme étant subrogée aux droits du créancier inscrit, pourra s'opposer à ce qu'elle soit radiée.

« Ce droit appartiendra également aux créanciers exerçant les droits de la partie au profit de laquelle l'inscription a été prise, après la saisie, soit du principal, soit des intérêts ou arrérages de la créance inscrite.

« L'opposition sera signifiée tant à la partie au profit de laquelle l'inscription a été prise, ou aux précédents opposants, qu'au conservateur qui visera l'original ; elle contiendra, sous peine de nullité, outre les formalités communes à tous les exploits :

« 1° Constitution d'un avoué près le tribunal de la situation des biens, et élection de domicile dans l'arrondissement du bureau ;

« 2° L'indication précise des causes de l'opposition ;

« 3° L'indication de l'inscription par sa date, et par le volume et le numéro du registre.

« L'opposition n'a d'effet que sur l'inscription qu'elle indique, sauf à la réitérer sur les inscriptions prises en renouvellement.

« Le conservateur en mentionnera le contenu sur son registre, et il en sera fait note en marge de l'inscription.

« Toutes notifications, toutes demandes en radiation, toutes sommations de produire seront dénoncées aux opposants, au domicile élu par l'opposition, afin qu'ils exercent les droits du créancier inscrit, dans la mesure de leur intérêt.

« Aucune cession ne pourra être faite au préjudice desdites oppositions.

« La mainlevée de l'opposition sera demandée, s'il y a lieu, par requête d'avoué, ou, en cas de décès ou de démission de l'avoué constitué par l'acte d'opposition, par exploit au domicile élu, et sans préliminaire de conciliation. »

La commission, d'accord avec le gouvernement, en propose la suppression.

- Elle est prononcée.

Article 7

« Art. 7 (proposé par la commission, d'accord avec le gouvernement). Toute personne contre laquelle il a été pris une inscription hypothécaire non rayée, pour sûreté d'une créance liquide et certaine, pourra, même avant l'échéance de la dette, être assignée par le cessionnaire du créancier, sans préliminaire de conciliation, devant le tribunal civil de son domicile, à l'effet de faire la déclaration prescrite par l'article 570 du Code de procédure civile.

« L'assigné fera sa déclaration conformément aux articles 571 et suivants du même Code.

« L'assigné qui ne fera pas sa déclaration ou qui ne fera pas les justifications prescrites par le Code de procédure, pourra être réassigné, par un huissier commis, à l'effet d'être déclaré débiteur pur et simple. »

- Adopté.


M. le président. - Nous sommes arrivés à la section II, « des oppositions immobilières » ; il s'agit de savoir s'il y aura des hypothèques judiciaires.

- Un grand nombre de voix. - A demain.

M. le président. - M. Orts a déposé des amendements à l'article 44.

Ces amendements seront imprimés et renvoyés à la commission.

- La séance est levée à 4 heures et demie.