(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 227) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Damry prie la chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir une indemnité du chef des pertes qu'il a éprouvées sur ses fournitures de vivres à la garnison et à l'hôpital militaire de la capitale. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le budget de la guerre.
« Le sieur Grenon, chef de bureau au ministère des travaux publics, sollicite la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires de l'Histoire du Congrès national, par M. Juste.
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Destriveaux. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau vingt-quatre projets de loi accordant la naturalisation ordinaire à des personnes dont les demandes ont été prises en considération par les deux chambres, et deux projets de loi accordant la grande naturalisation à M. A.-S. Ryss et à M. le comte de Beauffort.
- Ces projets de loi seront imprimés et distribués. La discussion en est fixée à la suite des objets à l'ordre du jour.
La discussion générale sur le chapitre XIV, « Industrie », est close.
« Art. 60. Traitement de l'inspecteur et des membres du comité consultatif pour le saffaires d'industrie : fr. 7,600. »
- Adopté.
« Art. 61. Encouragements à l'industrie : fr. 33,000. »
- Adopté.
« Art. 62. Subsides en faveur de l'industrie linière et de la classe des tisserands et des fileuses ; distribution de métiers, etc., charges extraordinaires : fr. 140,000. »
M. Cumont. - Messieurs, à l'occasion du subside demandé par le gouvernement, pour les ateliers d'apprentissage et autres encouragements que l'on accorde à l'industrie, je demanderai la permission de faire quelques observations.
Je commencerai, messieurs, par rendre justice à l'honorable ministre de l'intérieur, sur les bonnes intentions qu'il peut avoir pour favoriser nos industries. Mais il me paraît que le gouvernement ne suit pas une marche convenable pour arriver au but qu'il désire atteindre, et c'est à ce point de vue que je crois de mon devoir d'expliquer ma manière de voir.
Le gouvernement penche à faciliter et à encourager nos producteurs ; mais, messieurs, nous étouffons sous le trop plein. C'est là le mal qui pèse sur toutes nos industries.
Je crois que le gouvernement sur ce point suit une fausse voie, que ce serait surtout vers les exportations qu'il devrait porter toute son attention et toutes les ressources que le pays met à sa disposition.
Nous allons sous peu être dans le cas de renouveler le traité avec la France. Le traité avec le Zollverein demande aussi à être renouvelé. Si le gouvernement ne prend pas des mesures pour faciliter nos exportations par tous les moyens possibles et pour empêcher le trop plein qui ne manquerait pas d'arriver dans le cas où la négociation pour le renouvellement des deux traités n'amènerait pas le résultat que nous désirons, nous nous trouverons dans un malaise qui sera intolérable et contre lequel il faudra employer des ressources considérables, sans peut-être atteindre le but que l'on voudra obtenir.
J'en reviens encore, à ce point de vue, sur la société d'exportation, comme unique et seul moyen efficace d'arriver à un résultat immédiat.
Je ne nie pas l'accroissement de nos exportations ; mais lorsque je compare ce que nous faisons à ce que nous pourrions faire, certainement je dis que nous sommes loin d'avoir atteint la position qui nous est réservée. Si le gouvernement pense que nous arriverons au but, je dis qu'il se trompe ; sans doute, dans dix ou quinze ans, nous aurons un résultat plus avantageux que celui que nous avons aujourd'hui, mais pouvons-nous attendre si longtemps ? Il me semble que nous devons créer une société d'exporlalîon bien organisée, afin de ne pas avoir à subir et la pression de l'intérieur lorsqu'il s'agira de renouveler le traité avec la France, et la pression de l'étranger qui sentira notre fâcheuse position ; si nous avions une société qui pût exporter nos produits, notre position dans les négociations serait infiniment meilleure.
Il en est de même pour le traité avec le Zollverein, et à ce sujet je me plais à féliciter M. le ministre des affaires étrangères de ce qu'il a fait : le Zollverein voulait conserver les avantages que nous lui avons accordés et nous retirer ceux que nous avons obtenus en retour. M. le ministre des affaires étrangères a repoussé ces prétentions, et il a bien fait. Le traité avec l'Allemagne ne m'inspire aucune inquiétude ; il me semble qu'il ne peut pas nous échapper, puisque nous sommes dans une position de réciprocité qui nous donne le moyen d'arriver à une solution satisfaisante.
Je remarque, en effet, que nos exportations vers le Zollverein et nos importations de ce pays se balancent à peu de chose près ; si nous exportons un peu plus en Allemagne, c'est que ce pays est plus grand que le nôtre.
Nous accordons au Zollverein des avantages sur ses soieries et sur ses vins ; le Zollverein nous accorde des avantages sur nos fers ; il y a compensation, et cela suffit pour qu'on s'entende et que nous arrivions à un résultat satisfaisant. D'ailleurs, nous avons un précédent : il y a quelques années, le gouvernement hollandais voulait nous mettre à peu près dans la même position où le Zollverein veut nous placer aujourd'hui ; il voulait conserver les avantages qu'il possédait et nous retirer ceux dont nous jouissions ; l'honorable M. Dechamps, qui dirigeait alors les affaires étrangères et à qui je rends justice, a repoussé les prétentions de la Hollande ; nous sommes entrés dans une guerre de tarifs ; cette guerre de tarifs était nuisible aux deux pays ; on est parvenu à s'entendre. Je pense que la position est aujourd'hui la même en ce qui concerne le Zollverein.
Je suis partisan, messieurs, de la liberté du commerce aussi large que possible, et au sujet du traité avec le Zollverein, j'engage l'honorable ministre à entrer autant que possible dans la voie des réductions de tarifs. Si le Zollverein veut diminuer ses droits, diminuons les nôtres autant que possible ; les deux pays s'en trouveront bien.
Quant à la société d'exportation que j'ai eu l'honneur de proposer, c'est, selon moi, le seul moyen de sortir de la position où nous nous trouverons dans des circonstances fâcheuses, lors du renouvellement des traités. (Interruption.) Je sais qu'il y a des opposants et des hommes très haut placés qui ne comprennent pas la société d'exportation comme moi ; eh bien, je leur laisse leur libre manière de voir, mais je les prie aussi de me laisser mes convictions que je vais expliquer.
L'honorable M. Dechamps, pénétré, comme moi, de la nécessité, comme ressource unique et immédiate, de venir en aide à nos industries, par la création d'une société d'exportation, a convoqué des députations de toutes les chambres de commerce. Presque toutes ont reconnu que cette création était indispensable pour nous tirer de la crise qui nous menaçait. Deux chambres seules ont été d'un autre avis ; ce sont celles de Liège et de Charleroy ; ces deux villes ne sont pas dans la position où se trouvent les autres localités ; Liège a de très grands fabricants de draps et d'armes et a des relations avec les pays transatlantiques ; Charleroy a ses verreries et ses clouteries établies sur une grande échelle ; les autres localités du pays ne sont pas dans la même position. Eh bien, c'est pour sept provinces du pays qui ont besoin d'une société d'exportation, que je demande l'appui du gouvernement.
Maintenant, outre l'avis favorable des chambres de commerce, y compris celle d'Anvers qui, à l'unanimité, a appuyé la création d'une société d'exportation, je citerai aussi le discours du Trône qui, pendant deux années, nous a promis cette société d'exportation. Le gouvernement partageait alors cette conviction, et si l'on semble attacher du ridicule à l'obstination que je mets à reproduire ma proposition (Non! non!), il me paraît que je suis en très bonne compagnie pour partager ce ridicule.
Je crois avoir exposé suffisamment cette opinion et les motifs qui me portent à renouveler la proposition que j'ai eu l'honneur de faire. Je finirai, en répétant que, comme moyen unique, immédiat, d'éviter une crise qui pourrait être pernicieuse au pays, il faut que cette société d'exportation soit créée le plus tôt possible.
Je désire que le gouvernement réfléchisse mûrement à la position fâcheuse dans laquelle nous pouvons nous trouver engagés, qui, je le crains, nous menace et qu'il nous sera fort difficile d'éviter.
M. Loos. - Messieurs, je regrette d'avoir entendu de nouveau l'honorable M. Cumont présenter à l'industrie, comme la seule ancre de salut qui puisse exister pour elle, la création d'une société d'exportation. J'avais espéré que l'honorable membre, revenant sur cette idée, nous aurait exposé ses vues, de manière à nous faire connaître jusqu'à quel point son idée est pratique ; car, dans une séance à laquelle je n'assistais pas, il a repoussé avec beaucoup de vivacité la supposition que j'ai faite que, dans l'esprit de ceux qui préconisent, comme l'honorable membre, la création d'une société de commerce, cette société ne pouvait avoir qu'un but, celui de faire passer les capitaux de la caisse de la société dans lest caisses de l'industrie.
(page 228) Pour ma part, depuis que l'idée d'une société d'exportation a trouvé des partisans dans cette enceinte, j'ai beaucoup réfléchi à la manière dont elle pouvait opérer et quelles pouvaient en être les conséquences ; je déclare que je n'y en ai point vu, si ce n'est celle-ci : C'est de voir les capitaux de la société d'exportation passer au bout de quelques années, au bout même de fort peu d'années, dans les caisses de l'industrie.
J'avais espéré que l'honorable membre, en réfutant mes opinions, nous aurait fait saisir de quelle manière une société d'exportation aurait apporté la vie dans l'industrie. C'est à propos de l'article 61 du budget, qui accorde certains encouragements à l'industrie, que l'honorable membre a pris la parole. Il nous a dit qu'il ne fallait pas encourager l'industrie à produire plus, qu'elle produisait trop, que le seul moyen de ne point étouffer l'industrie sous ses produits était de créer une société d'exportation.
Quant à moi, j'augure beaucoup mieux de l'industrie ; je crois qu elle fera des progrès, et je pense qu'alors on pourra exporter les produits qui aujourd'hui ne s'exportent pas. C'est au moyen des encouragements que le gouvernement donne à l'industrie qu'elle a pu faire, ces dernières années, quelques progrès et qu'elle continuera à en faire de plus importants par la suite.
Pour recommander à la législature une société d'exportation, il faudrait au moins examiner si une institution semblable peut avoir des avantages, et si cette institution peut ne pas perdre ses capitaux au bout de deux ou trois ans, et rendre de grands services. Pour ma part, je citerai la société d'exportation qui existait dans les Pays-Bas, et qui, pour favoriser l'industrie, n'a fait que des opérations ruineuses, au point que, pour empêcher que la société ne s'écroulât, il a fallu mettre un terme à ce genre d'exportation si vivement sollicité par l'honorable M. Cumont. On n'est parvenu à obtenir que des résultats fort malheureux, malgré tous les efforts de la société ; on n'était point parvenu à faire fabriquer, soit à aussi bon marché, soit aussi bien que l'industrie étrangère qui, malgré des droits presque prohibitifs, était parvenue à se maintenir sur les marchés de l'Inde.
Voilà la vérité, et je crois que c'est en la disant à l'industrie aussi bien qu'à la chambre, qu'on parviendra à des résultats utiles, et non pas en invoquant abusivement l'existence d'une société d'exportation comme la seule ancre de salut pour l'industrie.
L'honorable M. Cumont cite tous les efforts qui ont été tentés par la chambre pour l'établissement d'une société d'exportation, et les espérances que les discours de la Couronne auraient fait concevoir.
Il cite les divers projets présentés aux chambres, et il cherche en vain les motifs pour lesquels, jusqu'à présent, l'établissement qu'il sollicite n'est pas créé ; il se demande pourquoi tout le monde n'a pas compris, jusqu'à présent, le sysîème des sociétés d'exportation. Mais, messieurs, c'est que tout le monde a reconnu l'impossibilité de faire quelque chose de pratique ; on s'en est tenu jusqu'à présent à la théorie.
J'ai fait partie des sections qui ont examiné trois fois les projets de lois présentés à diverses époques. ,
On s'est demandé si le gouvernement devait donner des capitaux à ces sociétés d'exportation, ou s'il fallait, au contraire, que la société à créer inspirât assez de confiance aux capitalistes pour décider ceux-ci à participer à l'entreprise.
Nous avons été unanimes pour reconnaître qu'il fallait indispensablement le concours des capitaux particuliers.
Eh bien, pour ma part, si l'honorable M. Cumont pense que la création d'une société d'exportation soit une idée si pratique, une nécessité si bien sentie par tout le monde, je ne m'opposerai pas à ce que le gouvernement fasse appel aux capitaux privés, mais je m'opposerai à ce qu'il fournisse le capital de la société qu'il veut fonder.
Les capitaux privés auxquels vous ferez appel ne viendront pas s'engager, au hasard, dans une société d'exportation, ils ne se berceront pas de chimériques espérances, il leur faut du positif ; ils arriveront non pas seulement parce que la société qu'on voudra fonder leur apparaîtra comme une ancre de salut pour l'industrie, mais quand ils auront la certitude de n'être pas aventurés.
Quant à moi, je crois devoir dire que je les considérerais comme gravement compromis dans une société comme celle que veut organiser l'honorable préopinant.
M. Delehaye. -Messieurs, les ministères qui se sont succédé ont senti la nécessité de déblayer le marché intérieur. Chaque fois qu'il y a encombrement, le gouvernement a pris des mesures utiles pour placer nos marchandises sur les marchés étrangers. C'est à l'aide d'une protection spéciale, de primes si l'on veut, qu'on est parvenu à écouler le trop plein de nos magasins. Ce système a fait ses preuves. Sans doute, c'est un système qui, continuellement appliqué, produirait de mauvais résultats, mais qui, appliqué avec intelligence dans des moments difficiles, quand il est urgent de donner du travail aux ouvriers, est excellent ; les faits sont là qui l'attestent.
Je ne puis cependant donner, mon assentiment à la manière dont ce système a parfois été appliqué. Nous donnons des primes pour décharger le marché et quand il est à peu près déblayé, ces primes sont tout à coup suspendues.
Permettez-moi de citer un fait que j'ai annoncé l'année dernière et qui a une grande analogie avec la question dont j'entretiens la chambre en ce moment.
Il s'agissait des distilleries ; le gouvernement proposait de modifier la loi des distilleries et de diminuer le drawback. Je disais que le système proposé aurait cette conséquence, non d'atteindre le but qu'on espérait, mais de détruire toute exportation. Je proposais de réduire les primes successivement, c'est à-dire de les abaisser de 28 à 26 d'abord, et non tout à coup à 22. Je disais que cette baisse subite aurait pour résultat infaillible d'empêcher toute sortie de nos spiritueux.
Mes prévisions se sont réalisées ; ce que je disais s'est vérifié. Aujourd'hui nous n'exportons plus nos spiritueux.
Qu'arrivera-t-il si le gouvernement, après avoir accordé des primes, les supprime tout à coup. Le même encombrement se reproduira et on perdra les fruits d'une mesure très utile, très favorable.
Il serait donc sage de substituer aux primes actuellement accordées des primes moins élevées, réduites, par exemple, de 2 p.c. par an jusqu'à extinction.
J'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur cet objet. Je rends grâces à la sollicitude qu'il a montrée pour l'industrie et le commerce ; je désire que cette sollicitude, il la continue quelque temps encore, et qu'il examine si la suppression subite des primes ne doit pas avoir pour résultat la stagnation dans l'industrie ou un nouvel encombrement sur le marché intérieur.
Je pense que quand l'industrie sera convaincue que les primes doivent être graduellement réduites, elle se mettra en mesure de placer ses produits sur les marchés étrangers et de continuer à donner du travail aux ouvriers quand les primes auront entièrement disparu.
Je dois un mot de réponse à un honorable collègue siégeant à ma droite (M. Loos), qui a répondu à l'un de mes honorables amis (M. Cumont). Cet honorable membre ne veut pas d'une société d'exportation ; il ne croit pas qu'une société de ce genre puisse être utile à son pays. Permettez-moi de ne pas partager entièrement cette manière de voir. Je me rappelle l'époque où l'on accusait l'industrie belge de ne pas être assez entreprenante, de ne pas chercher à placer ses produits sur les marchés étrangers. Dans cette accusation, on a confondu l'industrie et le commerce : ce n'est pas l'industrie qui doit chercher à exporter ses produits à l'étranger. C'est la mission du commerce. Si donc les moyens d'exportation ont manqué à l'industrie, c'est au commerce qu'on a le droit de s'en prendre.
Notre commerce n'est pas très aventureux, comme nos fabricants ; il n'aime pas à exposer de grands capitaux à l'étranger ; il n'opère qu'avec certitude, avec assurance. Il en résulte que les premières opérations que font à l'étranger l'industrie et le commerce sont très souvent désastreuses ; elles ne deviennent lucratives que par la persévérance, par la recherche successive de marchés avantageux. C'est ainsi que des exportations qui, dans le principe, avaient donné de grandes pertes, ont, par la persévérance dans cette manière de voir, par la recherche continuelle de nouveaux marchés, eu pour résultat de faire connaître nos produits, de nous donner des débouchés que nous n'aurions pas osé espérer dans le principe, et qui sont aujourd'hui une grande source de prospérité.
A présent, l'on ne veut pas admettre les avantages d'une société d'exportation. Cependant l'honorable membre auquel je réponds a pu apprécier les avantages d'une société de ce genre. Je parle de ce qui s'est fait l'année dernière à Saint-Bernard qui faisait alors les fonctions de la société d'exportation. Sans elle on n'aurait pas fait ce qu'on a fait à Saint-Bernard, et nous ne posséderions pas une partie du marché que nous ont ouvert les toiles fabriquées dans la maison de St.-Bernard.
Je saisis cette occasion de remercier l'honorable membre auquel je réponds qui a si puissamment contribué à l'organisation de cette heureuse entreprise et qui nous donne une idée de ce que ferait une pareille société, si ses ressources étaient plus grandes.
Mais, dit-on, les premiers essais de la société des Pays-Bas ont été infructueux, désastreux. Il n'en est pas moins vrai que cette société, organisée comme elle l'était, aurait, sans la révolution de 1830, procuré d'énormes bénéfices. La preuve, c'est qu'elle a contribué à faire connaître sur les marchés d'outre-mer les produits de l'industrie gantoise ; elle a été entravée par la révolution de 1830 , sans quoi elle aurait obtenu des résultats qu'elle n'a pas pu obtenir.
Ce sont des considérations sur lesquelles j'appelle l'attention sérieuse de l'honorable M. Loos. Si le commerce était plus entreprenant de sa nature, une société d'exportation ne serait peut-être pas nécessaire.
Je sais que l'honorable membre pourra me répondre, comme on l'a déjà fait, que l'industrie n'a qu'à bien produire pour exporter. Mais l'honorable membre sait que cela ne suffît pas pour que les produits de l'industrie soient exportés.
Avec un commerce prudent comme il convient de l'être et qui ne veut rien risquer, les efforts de l'industrie sont paralysés, et elle serait restée stationnaire, si, par l'intervention du gouvernement, nous n'avions pas réussi à placer nos produits sur les marchés étrangers.
Je prie donc la chambre, messieurs, de ne point se prononcer, comme vient de le faire l'honorable préopinant, sur les avantages qui peuvent résulter de la création d'une société d'exportation. J'ai la conviction qu'une société d'exportation pourrait être utile, si elle était bien organisée. Sans doute, je ne donnerais pas non plus mon assentiment à tous les projets quelconques, je ne veux pas d'une société d'exportation organisée comme certaines autres sociétés qui n'ont été créées que dans l'intérêt des fondateurs. Mais je dis que si une semblable société était dirigée par des hommes de bon sens, par des hommes de grande intelligence, et surtout par des hommes d'un grand dévouement aux intérêts du pays, elle aurait les résultats les plus avantageux. Messieurs, je termine ici mes observations. Je crois que la chambre (page 229) ne peut se laisser entraîner par les considérations qu'on a fait valoir. La question doit rester en suspens. A d'autres époques, le ministère a cru devoir attirer l’attention du pays sur cette grave question. Je crois que le moment n'est pas venu de détruire les espérances qu'elle avait fait naître et de les traiter d'illusions. Non, messieurs, ce ne sont pas des illusions. D'autres pays ont fait voir ce que pouvait une semblable institution. Eh bien, dans un pays éminemment industriel, mais où les moyens commerciaux font encore défaut, je crois que le gouvernement ferait chose fort utile s'il parvenait à organiser aussi une de ces institutions.
M. Osy. - Messieurs, je rends justice à la persévérance courageuse de l'honorable M. Cumont qui déjà dans la session actuelle nous a parlé plusieurs fois de la création d'une société de commerce.
Lorsque nous avons discuté le budget des affaires étrangères, j'ai émis mon opinion sur la création de cette société.
Je ne veux pas entrer aujourd'hui dans une discussion approfondie sur cet objet, d'autant plus que mon honorable ami, M. Loos, vient de vous dire son opinion, qui est entièrement la mienne.
Je dirai seulement quelques mots de réponse à l'honorable M. Delehaye.
Lorsque la société de commerce des Pays-Bas a fait des opérations d'exportations, autres que les affaires avec la colonie de Java, elle n'a éprouvé que des pertes considérables, et ce n'est que lorsqu'elle a abandonné toutes les autres affaires qu'elle a réussi à récupérer ces pertes.
Messieurs, la raison pour laquelle j'ai demandé spécialement la parole, c'est que la discussion actuelle me prouve plus que jamais la nécessité de réunir dans les mêmes mains le commerce et l'industrie ; car vous remarquerez, messieurs, que la même discussion s'est élevée lors de l'examen du budget des affaires étrangères. Aujourd'hui, à propos de l'industrie on entame de nouveau la même question.
Eh bien, messieurs, ce qui se passe dans cette chambre, se passe également dans toutes nos chambres de commerce : le ministre des affaires étrangères consulte les chambres de commerce pour le commerce ; l'honorable ministre de l'intérieur les consulte pour les affaires de l'industrie. Il n'y a jamais d'ensemble, et pourtant vous comprenez que le commerce et l'industrie doivent se donner la main, ne peuvent marcher l'une sans l'autre.
Sous ce rapport, je ne puis assez insister auprès du gouvernement pour qu'il examine cette question, et qu'il fasse en sorte que le commerce et l'industrie soient administrés par le même ministre.
Je combats les vues de mon honorable ami, M. Cumont, en ce qui concerne la création d'une société de commerce ; mais je lui tends la main, «t très sincèrement, pour engager le gouvernement à réunir dans le même département la division du commerce et celle de l'industrie. Vous ne verrez pas alors se reproduire en quelques jours les mêmes discussions.
Je prie le gouvernement d'examiner sérieusement cette question pour le budget de 1852.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai fait connaître dans une discussion précédente les avantages et les inconvénients de la division, entre deux départements, des affaires du commerce et des affaires de l'industrie. C'est là une question à examiner au point de vue, administratif.
Je demande à dire quelques mots en réponse à d'honorables préopinants. L'honorable M. Cumont a prétendu que la Belgique étouffe sous nos produits et qu'il est temps d'aviser aux moyens de les exporter. Messieurs, à aucune époque les exportations de nos produits n'ont été aussi considérables qu'aujourd'hui. Les exportations se sont accrues d'année en année d'une manière notable, non seulement nos exportations continentales, mais surtout nos exportations dans les pays d'outre-mer.
Nos exportations d'objets fabriqués ont suivi cet accroissement.
En 1844, nos exportations de produits fabriqués ont été de 79,000,000 de francs, dont 5,300,000 dans les pays d'outre-mer.
En 1845, ces exportations ont été de 82,000,000, dont 7,500,000 dans les pays d'outre-mer.
En 1846, elles ont été de 82,500,000 francs dont 8,200,000 dans les pays d'outre-mer.
En 1847, elles ont été de 82,500,000 francs, dont 12,800,000 dans les pays d'outre-mer.
En 1848, elles ont été de 73,700,000 francs, dont 12,700,000 dans les pays d'outre-mer.
Enfin, en 1849, nous avons exporté des fabricats pour 86,100,000 fr., dont 18,800,000 francs dans les pays d'outre-mer.
Ainsi, vous voyez que, dans l'accroissement général de nos exportations, les exportations vers les pays d'outre-mer ont occupé la plus large place.
Il n'est donc pas juste de baser la nécessité d'une société d'exportation sur la diminution de nos exportations. Au contraire, nos exportations, celles mêmes qui seraient plus particulièrement remises aux soins d'une société, vont toujours croissant.
Je n'aperçois pas ces encombrements dont se plaint l'honorable M. Cumont. Je ne sais pas s'il fait allusion à une circonstance passagère, à quelque circonstance du jour, mais il est positif que, depuis plusieurs années, nos exportations ont suivi un mouvement ascensionnel constant, et notamment nos exportations vers les pays d'outre-mer.
Nos industriels ont nécessairement la première part dans ces résultats ; c'est à leurs efforts qu'on les doit. Le gouvernement y a aidé. Voici en quoi le concours du gouvernement a été utile à ces exportations.
D'abord il a encouragé le perfectionnement de divers tissus et notamment des tissus qui se fabriquaient dans les Flandres. Le gouvernement a encouragé l'établissement de quatre-vingts ateliers divers, destinés à perfectionner des produits et à les varier.
Voilà un premier effort tenté par le gouvernement. La première condition à remplir pour l'exportation des produits, c'est de faire des produits exportables, acceptés par les consommateurs de l'étranger, dont nous ne pouvons forcer ni les goûts ni les inclinations. On a donc varié les produits, on les a perfectionnés, et ils se sont écoulés plus facilement.
En second lieu, le gouvernement a aidé l'industrie, en supprimant tous les droits qui existaient à la sortie sur certains produits.
En troisième lieu, il a favorisé l'introduction des matières premières, et une preuve que l'industrie a continué à travailler beaucoup, tout en exportant davantage, c'est l'augmentation, de 1844 à 1849, des importations de matières premières destinées à l'industrie.
En 1844, nous n'avions importé en matières premières destinées à l'industrie que pour une somme de 76,100,000 fr. En 1849, nous avons importé pour une somme de 108,500,000 fr. A mesure que nous fabriquions davantage, que nous fabriquions mieux, nous exportions aussi davantage et vers de nouveaux marchés. En même temps, les fabricats étrangers entraient en moindre quantité dans le pays, notamment les tissus de coton et de laine ; nous en avions importé, en 1844, 346,000 kil ; en 1849 nous n'en avons plus importé que 253,000 kilog. En tissus de laine nous avions importé, en 1841, 468,300 kilog., et en 1849 nous n'en avons plus importé que 359,000 kilog.
Ainsi, messieurs, s'il y avait encombrement sur le marché belge, on ne pourrait pas, au moins, l'attribuer à l'importation des tissus étrangers, puisque cette importation a diminué à mesure que nos exportations augmentaient.
Nous avons fait aussi, messieurs, dans l'intérêt de l'industrie, une application assez large de l'article 40 de la loi sur les entrepôts, qui permet l'entrée de certains produits à la condition qu'après avoir reçu une main-d'œuvre dans le pays ils soient exportés. Nous avons appliqué l'article 40 aux fils de coton destinés à être teints en rouge d'Andrinople, aux fils de fer destinés à faire certaines espèces de clous, aux fils de coton destinés à la fabrication de tissus fins. L'honorable M. Vermeire voudrait la libre entrée pour ces fils, mais alors il faudrait une loi. Nous avons également appliqué l'article 40 aux fils de lin pour le tissage et aux tissus de coton destinés à être teints.
Sans parler des primes de sortie accordées à certains tissus, nous avons également aidé à l'exportation en favorisant les voyages d'un grand nombre de jeunes gens appartenant au commerce et qui sont allés en quelque sorte à la recherche de marchés ; nous y avons aidé en secondant des établissements commerciaux dans diverses contrées, notamment à San-Francisco, à Santo-Tomas, en Australie, au Rio-Nunez, à Valparaiso.
Voilà, messieurs, dans les limites de nos ressources financières, les mesures que nous avons prises pour aider à la fois au perfectionnement et à l'exportation de nos produits.
On propose une société d'exportation. Cette société d'exportation a été, en effet, annoncée à plusieurs reprises à la chambre ; elle a été offerte au pays dans diverses circonstances.
Je ne pense pas que jamais dans la chambre l'opinion se soit produite avec l'ombre d'une chance de succès que le gouvernement entreprendrait à lui seul l'exportation de nos produits, qu'il se ferait directement exportateur de nos produits, à ses risques et périls. Toujours il a été entendu par les partisans eux-mêmes de la société d'exportation, qu'on ne la formerait qu'avec le concours de l'Etat, mais non pas aux risques et périls de l'Etat exclusivement.
Eh bien, à plusieurs reprises des appels ont été faits aux capitalistes du pays, et personne, jusqu'à présent, n'a répondu. Que des capitalistes réunis à des industriels fassent des offres au gouvernement, afin que le gouvernement les aide dans la formation d'une société de commerce, alors il sera mis en demeure d'agir ; mais, jusque-là, le gouvernement ne peut s'en tenir qu'aux promesses qui ont été faites.
Je ne pense pas que l'intention de la chambre soit de pousser le gouvernement dans ce système exagéré qui consisterait à lui faire exécuter tout ce que les particuliers ne feraient pas. Notre système, messieurs, est très connu, nous y avons souvent insisté : nous croyons que le gouvernement doit aider aux efforts des particuliers, mais nous repousserions très loin la doctrine qui consisterait à vouloir que l'Etat se chargeât de toutes les entreprises : dans un pays comme le nôtre, dans un pays libre, il faut que chaque citoyen ait aussi son énergie, son initiative.
Que les intéressés prennent l'initiative, qu'ils obéirent à ce que leurs intérêts peuvent leur commander, et lorsqu'ils auront établi, sur une base quelque peu solide, une institution qui puisse être utile à leurs intérêts et aux intérêts du pays, qu'ils s'adressent au gouvernement : je ne doute pas qu'ils n'obtiennent alors le concours de la chambre comme le concours du gouvernement.
En attendant, je constate l'amélioration sensible qui s'est manifestée depuis plusieurs années dans la situation d'un grand nombre de nos industries et particulièrement dans la situation des industries flamandes.
(page 230) M. Cumont. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Loos, aûn de détruire le mauvais effet de ses assertions. M. Loos étant un homme considérable et très respectable, son opinion peut avoir une grande influence sur la chambre ; je pense donc devoir répondre aux objections qu'il a faites et qui me paraissent tout à fait inexactes.
J'ai commencé par déclarer que je rendais justice à l'honorable ministre de l'intérieur pour les moyens qu'il a employés et le vif désir qu il avait de venir en aide à toutes nos industries.
Je n'ai pas contesté l'accroissement de nos exportations ; elles sont arrivées en effet à 19 millions ; mais qu'est-ce que 19 millions sur des marchés où l'industrie linière seule exporte, de France 36 millions et d'Angleterre 100 millions ?
Nous exportons en général sur les marchés d'outre-mer 19 millions ; eh bien, je suis convaincu que nous pourrions faire beaucoup plus, et que si nous ne faisons pas plus, c'est qu'on n'emploie pas les mesures nécessaires pour y parvenir : la France exporte pour 36 millions de toiles, l'Angleterre pour 100 millions, or nous fabriquons mieux que la France et aussi bien que l'Angleterre.
J'ai eu l'honneur de dire à la chambre que les moyens d'exportation nous font défaut, et ce qui le prouve, c'est qu'à Anvers l'administration de Saint-Bernard a fait des russias parfaitement propres à l'exportation, et elle n'a trouvé à Anvers des négociants que pour en exporter la vingtième partie. Pour le reste, elle a dù recourir à des négociants de Hambourg et d'Angleterre. Si nous n'avons pas de moyens d'exportation à Anvers, il est évident pour moi que les moyens d'exportation nous font défaut.
Voilà le motif pour lequel j'insiste tant, afin que l'on remplace ces moyens d'exportation qui nous font défaut, par une société d'exportation bien constituée.
On nous a dit : Indiquez-nous le moyen de réaliser le capital de cette société d'exportation.
D'abord, comment voulez-vous qu'on apporte des capitaux, avec la position qu'on nous fait ? On crie sur les toits qu'on ne demande à remplir la caisse de la société d'exportation qu'afin de donner à nos fabricants des Flandres le moyen de la vider le plus tôt possible. Mais je m'en vais vous dire comment je voudrais voir se constituer le capital de la société. Nous avons voté deux millions pour l'industrie, deux millions également pour la compagnie de Saint-Bernard ; nous donnons encore tous les ans, pour favoriser l'industrie par d'autres moyens, deux sommes qui font ensemble un demi-million ; voilà donc 4 millions et demi. Eh bien, que le gouvernement fasse un pas de plus, qu'il crée comme premier moyen d'une société d'exportation, un capital de six millions ; ensuite, lorsqu'il ira chez le fabricant du pays, et lorsqu'il lui prendra, par exemple, pour deux mille francs de marchandises, il lui donnera en espèces quinze cents francs et cinq cents francs en action de la société de commerce et de cette manière vous arriverez à un capital incontestable, et qui produira les ressources qui nous font défaut aujourd'hui.
Messieurs, je désire être faux prophète, je désire me tromper ; mais je vois le gouvernement arriver dans une impasse tellement déplorable, lorsqu'il s'agira de renouveler nos traités avec la France et l'Allemagne, que nous aurons la main forcée, comme je l'ai dit tout à l'heure, et par nos industries qui souffriront, et par l'étranger qui nous fera la loi parce qu'il verra notre mauvaise position.
C'est cette position mauvaise qu'il s'agit d'éviter, et c'est pour cela que j'insiste avec tant de force auprès du gouvernement pour qu'il avise. Si, malgré mes avertissements, le gouvernement se trouvant plus tard dans l'embarras, vient nous demander des ressources, je les voterai encore ; mais si on peut éviter des sacrifices énormes qui ne produiront que peu ou point de résultat dans un moment de crise, je crois que le gouvernement doit sérieusement réfléchir aux moyens de prévenir la position qui doit rendre ces sacrifices inévitables.
M. Dechamps. - Messieurs, je ne m'attendais pas à prendre la parole dans le débat qu'on vient de soulever ; mais la chambre comprendra que je ne puis laisser sans observations quelques critiques émises par un honorable membre contre le principe d'une société d'exportation.
Messieurs, à l'égard du principe, je ferai remarquer à l'honorable M. Loos que son autorité, qui est sans doute très grande en cette matière, ne peut pas cependant contre-balancer, selon moi, les nombreuses autorités qui se sont prononcées en faveur du principe qu'il combat. Ainsi la première enquête linière, l'enquête parlementaire de 1840 ont signalé la nécessité de créer une société d'exportation.
Lorsque je dirigeais le département des affaires étrangères, j'ai réuni, comme vient de le rappeler l'honorable M. Cumont, pendant plusieurs séances, les délégués de toutes les chambres de commerce du pays, et dans ces réunions on a débattu à fond la question dont la chambre se préoccupe ; eh bien, toutes les chambres de commerce, moins celles de Liège et de Charleroy, se sont prononcées, y compris la chambre de commerce d'Anvers, en faveur d'une société d'exportation.
Le ministère actuel, lorsqu'il est entré aux affaires, a nommé une commission pour étudier la question des Flandres ; cette commission, composée d'hommes compétents, s'est prononcée à l'unanimité, je crois, en faveur du principe d'une société d'exportation. J'avais présenté, en 1846, un projet que les circonstances n'ont pas permis de réaliser avant ma sortie des affaires ; le ministère actuel, dans le projet de loi qu'il avait présenté le 23 février 1848, a reproduit cette proposition.
Ainsi, vous le voyez, messieurs, on est presque unanimement d'accord sur les avantages qui résulteraient de la constitution d'une société de ce genre, et je dois dire que les adversaires de ce système ne forment qu'une très mince exception dans le pays.
L'honorable M. Rogier a dit tout à l'heure : « Jamais on n'a entendu qu'une société d'exportation dût se constituer sans l'aide des capitaux privés et de manière à ce que le gouvernement se chargeât d'être le grand exportateur du pays. »
Evidemment, dans tous les projets qui ont été présentés, il a toujours été entendu que les bases d'une société pareille reposeraient sur les capitaux privés, mais le concours du gouvernement doit appeler ces capitaux.
Messieurs, je n'oserais pas affirmer que les circonstances, depuis 1848, ont permis au gouvernement de songer sérieusement à constituer une société d'exportation. Mais cependant, lorsque M. le ministre de l'intérieur nous dit qu'on a fait un appel aux capitaux qui n'ont pas répondu, il me permettra de lui répondre que je ne puis considérer cet appel comme sérieux.
Messieurs, il y a deux manières de faire appel aux capitaux. L'appel sérieux serait de présenter un projet, de dire aux capitalistes et à l'industrie quel est le concours que l'Etat veut donner, que ce soit une prise d'actions, un prêt ou une garantie d'intérêt.
Alors je comprends que les capitaux privés pourraient répondre, si les circonstances s'y prêtent. Mais se borner à des informations purement administratives, se contenter, par l'intermédiaire des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement, à demander aux négociants : « Voulez-vous donner des capitaux pour constituer une société d'exportation ? » Demander cela, sans faire connaître les bases de la société à créer, sans dire de quelle manière le gouvernement interviendrait, il est évident qu'un pareil appel ne peut avoir aucun résultat.
Sans affirmer que cette création eût été possible, je répète qu'à mon avis un appel sérieux n'a pas été fait.
Le ministère actuel, à défaut d'une société d'exportation, a posé plusieurs actes utiles pour favoriser nos exportations de tissus ; le ministère accorde des subsides aux ateliers d'apprentissage ; il a conféré des bourses à des jeunes gens pour les engager à voyager à l'étranger ; il a accordé des primes assez nombreuses ; il a fait des avances à l'industrie ; mais je suis convaincu qu'au lieu d'éparpiller ainsi des efforts en mesures éphémères, il eût mieux valu les concentrer par la formation d'une société de commerce ; les effets auraient plus généraux et plus permanents.
L'honorable M. Dumont vient de nous dire une chose sur laquelle l'attention du gouvernement doit être portée : Il faut admettre l'hypothèse que le traité français dans deux ans ne sera pas renouvelé. J'espère qu'il le sera et qu'on l'étendra ; mais nous devons admettre l'hypothèse du non-renouvellement du traité comme possible. Eh bien, messieurs, ne perdons pas de vue que nous plaçons encore en France pour plusieurs millions de nos produits liniers, et que le jour où le traité ne serait pas renouvelé, où le marché français nous serait fermé, la crise linière se renouvellerait.
Or, il faut, dès aujourd'hui, prévoir ce cas ; et, je pense, que des subsides accordés à des jeunes gens pour des voyages industriels et des primes temporaires ne suffisent pas, et qu'il faut, dès aujourd'hui, admettre un moyen plus efficace, et concentrer son action, de manière que si cette éventualité se présentait, on pût trouver à l'extérieur des débouchés qui pourraient compenser ce que nous aurions perdu sur les marchés continentaux.
L'honorable M. Loos croit que les compagnies d'exportation ne peuvent avoir qu'un résultat, c'est de déverser le capital de la société dans les mains des industriels ; mais, messieurs, c'est encore là une hypothèse. Ainsi, dans tous les pays, je vois que presque toujours on a commencé par établir des sociétés de commerce, afin de donner un élan aux exportations industrielles.
Crojez-vous que la compagnie des Indes en Angleterre, la SeehandIung à Berlin, la société d'Elberfeld, la Maatschappij en Hollande n'ont pas été d'un puissant secours à l'industrie et au commerce de ce pays ?
Je répondrai à l'honorable M. Osy que si la société de commerce des Pays-Bas n'a fait que de mauvaises affaires en dehors de ses relations avec Java sur les marchés neutres, il y avait à cela une raison bien simple d'abord ; c'était qu'à cette époque nos industries pour l'exportation étaient très peu avancées, et qu'elles ne faisaient que peu de produits exportables.
En second lieu, il n'y avait pas de système maritime différentiel, ou du moins ce système différentiel était de nulle efficacité à l'égard des marchés du Brésil, des Etats-Unis et des autres en dehors de Java. Les retours n'étaient pas assurés, les affaires entamées avec ces contrées ont dû échouer.
M. Loos a supposé que la société perdrait en peu d'années son capital. C'est une supposition gratuite.
Mais j'admets un moment que le capital fourni par le gouvernement, en subsides, en actions ou en garantie d'intérêts, vienne à être perdu, au (page 231) bout de quelques années, ces primes ne vaudraient-elles pas mieux que celles que l'on disperse sans grands effets ? Et si les exportations industrielles ont pris un puissant accroissement, faudiait-il regretter ce résultat que je n'admets que par hypothèse ?
Mais ce résultat, je ne le crains pas. Je croîs qu'une société fondée sur un capital prudemment employé, conduite par des hommes expérimentés, pourrait rendre à l'industrie les services que l'on en attend, sans faire courir au trésor les risques que l'on redoute.
L'honorable M. Delehaye a fait une observation très juste, c'est que l'honorable M. Loos est une réponse vivante à la critique qu'il fait de la création d'une société d'exportation. Qu'est-ce donc que la société de Saint-Bernard, si ce n'est une petite société d'exportation ? Que veut-on faire par la création d'une société d'exportation ? Fournir à nos deux grandes industries de tissus, surtout, l'industrie linière et l'industrie cotonnière, les deux choses qui leur manquent : les capitaux pour l'exportation et les relations avec les marchés lointains. L'industrie linière, par exemple, est constituée d'une manière isolée ; le tisserand fabrique sa toile dans sa chaumière ; là pas de capital disponible pour l'exportation ; ce capital manque complètement à l'industrie linière et pour les tissus dont la fabrication a été heureusement introduite dans les Flandres. Comment voulez-vous que ce tisserand isolé connaisse les goûts des consommateurs lointains, les conditions de vente sur ces marchés, sans un élément intermédiaire qui nous manque actuellement ?
C'est à ce défaut qu'on a voulu suppléer par la création d'une société d'exportation. C'est ce que l'honorable M. Loos a compris et réalisé par la formation de la société de Saint-Bernard ; il a fait fabriquer sur commandes et sur échantillons, d'après les renseignements commerciaux que la commission possédait ; il a ouvert ainsi des débouchés que les tisserands laissés à eux-mêmes auraient ignorés ; le succès a couronné ses efforts.
Le succès d'une société d'exportation, par la même raison, serait certain. Pourquoi ne veut-on pas qu'une société d'exportation formée d'après les mêmes idées, sur les mêmes bases, puisse réussir, non seulement pour la fabrication des russias, mais pour toutes les autres fabrications auxquelles il reste peu de progrès à réaliser pour se développer ?
La commision de Saint-Bernard a demandé l'intervention de l’Etat ; l'Etat est intervenu par des avances qui se sont élevées à 2 millions. C'est la moitié de ce qu'il faudrait pour établir la société de commerce dans de bonnes circonstances.
La société d'exportation n'est pas autre chose que cela.
Je me bornerai à ces quelques observations. Je ne pense pas que la chambre veuille discuter incidemment une matière aussi importante que celle-là.
(page 235) M. Loos. - Messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Delehaye présenter sous un faux jour ce qui s'est passé à Saint-Bernard et représenter la commission administrative des prisons comme une société d'exportation au petit pied. Je me félicite d'autant plus d'avoir demandé la parole, que je viens d'entendre l'honorable M. Dechamps terminer son discours par des observations de même nature.
A entendre ces honorables membres, les services rendus par la commission administrative de Saint-Bernard consisteraient plutôt dans le fait d'avoir ouvert des marchés à l'exportation que d'avoir fabriqué des produits propres à ces marchés.
J'entends dire que c'est la même chose. Je vais démontrer le contraire. Qu'a fait, en effet, la commission administrative de Saint-Bernard ? Le gouvernement aurait décidé qu'on ne fabriquerait plus dans les prisons des produits pouvant faire concurrence aux industries similaires du pays ; on a cherché à faire autre chose. On a demandé ce qui s'exportait d'Angleterre et d'Allemagne vers les colonies ; on s'est procuré des échantillons de ces tissus et on s'est mis à les imiter.
On a même, dans les premiers temps, demandé des renseignements au département des affaires étrangères ; on y a vu des échantillons qui s'y trouvaient à notre disposition comme à la disposition de tous les industriels du pays, on a pris ceux qui étaient le plus propres à être fabriqués par des prisonniers, on a dù choisir des tissus grossiers parce qu'en général on n'a pas des tisserands très habiles dans l'établissement.
Ces tissus étaient propres à l'exportation, et de prime abord ils ont trouvé des acheteurs aussi bien à Anvers qu'à l'étranger. Pourquoi l'industrie libre ne fait-elle pas de pareils essais ? Avec un peu de peine elle pourrait être aussi bien renseignée qu'une commission de prisons.
On dit que la commission administrative de Saint-Bernard est une société d'exportation.
C'est une erreur ; elle est si peu une société d'exportation que, pour rester dans les termes de l'instruction du gouvernement, elle n'a pu rien exporter pour son compte, c'est-à-dire pour compte de l'Etat ; elle travaillait pour l'exportation, mais elle attendait que les exportateurs vinssent prendre les produits qu'elle avait fait fabriquer. L'industrie particulière peut faire ce que la commission a fait. Elle peut se procurer des échantillons plus facilement que la commission administrative, qui n'est pas composée d'industriels.
Pour pouvoir en passant adresser un reproche au commerce d'Anvers, l'honorable M. Cumont demandait : « Qui, en définitive, a exporté vos tissus ? Est-ce le commerce d'Anvers ? Non, c'est le commerce étranger ; le commerce d'Anvers n'en a exporté que pour quelques centaines de mille francs. » C'est une erreur, le commerce d'Anvers a exporté une grande partie des produits que nous avons fabriqués : mais admettons que ce soient les étrangers, cela confirmerait ce que je n'ai cessé de vous dire, que l'on fabrique des produits exportables et les exportateurs ne manqueront pas.
On se fait illlusion si on croit que ce sont les armateurs qui exportent en Angleterre. Allez voir ce qui se passe dans les grands centres de fabrication ; vous y verrez établis des agents de l'étranger qui voient ce qui se fabrique, achètent ce qui est propre au pays qu'ils représentent et l'exportent.
Nous n'avons même pas besoin d'aller en Angleterre pour voir cela ; nous avons dans le pays une industrie très avancée, l'industrie drapière de Verviers ; eh bien, il y a à Verviers, comme à Manchester, comme à Paris et à Lyon, des étrangers qui achètent et exportent ce qu'on y fabrique, parce qu'on y fabrique des produits exportables.
Si Verviers ne travaillait qu'au caprice et à la convenance des marchés d'Europe, vous ne verriez pas des agents étrangers venir y enlever les produits de ses fabriques pour les vendre sur les marchés lointains. Si l'industrie linière voulait se donner la peine d'étudier les besoins des colonies et fabriquer des produits propres à ces marchés, vous verriez des agents étrangers venir les chercher dans les Flandres, comme ils vont les acheter en Angleterre et en Irlande, ainsi que cela se passe aussi dans le district de Charleroy, pour la clouterie, la verrerie.
Là, on n'a pas besoin de supplier le commerce, les armateurs d'exporter des produits pour lesquels personne ne fait d'offres ; on trouve des acheteurs pour l'étranger et on exporte soi-même, parce que l'on est certain d'obtenir une défaite avantageuse de marchandises bien appropriées aux marchés étrangers.
J'ai entendu tout à l'heure l'honorable M. Cumont comprendre dans les ressources qu'a le gouvernement pour la création d'une société d'exportation, des crédits tels que celui qu'il a mis à la disposition de la commission administrative de la prison de Saint-Bernard. Il semblerait d'après cela que c'est un subside dont la commission dispose comme fonds roulant et dont elle ne rend compte qu'après avoir terminé toutes ses opérations ; mais il n'en est pas ainsi ; on met à sa dispostion un million dont elle ne dispose qu'une fois et qui rentre dans la caisse du gouvernement après chaque emploi ; il y rentre même avec un intérêt d'au moins 10 p. c.
M. Malou. - C'est excellent pour la future société d'exportation.
M. Loos. - On se fait une fausse idée d'une société d'exportation : on en parle comme si l'on espérait lui voir faire en grand ce que fait en petit la commission de Saint-Bernard. Je n'ai pas grande foi dans les sociétés de commerce en général ; mais, si un succès pouvait être obtenu, ce serait plutôt par une société fabriquant des tissus liniers pour les marchés étrangers que par une société de commerce ou d'exportation chargée d'exporter les produits de toutes nos industries.
S'il était vrai qu'il fût indispensable de créer une société d'exportation, pour obtenir quelques succès en industrie, je vous demande, messieurs, comment l'industrie de la Suisse se produirait avec tant de faveur sur tous les marchés étrangers.
Je ne sache pas qu'il y ait jamais eu, en Suisse, une société d'exportation. Dans ce pays on cherche à bien fabriquer, et les acheteurs affluent, vous voyez les fabricats suisses se produire avec beaucoup de succès sur tous les marchés du monde, en concurrence avec ceux de l'Angleterre et de la France.
Voulez-vous une autre preuve que, quand on fait des marchandises vendables, les acheteurs ne manquent pas ? Aujourd'hui que Saint-Bernard a produit des marchandises exportables, l'industrie imite ce qu'on a fait à Saint-Bernard, et l'on exporte de tous côtés. Est-ce pour le compte des fabricants ? Je l'ignore ; mais il y a beaucoup d'exportations ; on les a peut-être trop dirigées vers un seul point ; c'est ce qui fait qu'il y a un temps d'arrêt qui se manifeste dans les ventes.
Il en est sans doute, messieurs, plusieurs d'entre vous qui ont visité les grands centres industriels d'Angleterre : ils ont dû être frappés de la manière dont se fait le commerce ; ce ne sont pas en général des fabricants ou des armateurs qui exportent ; ce sont des agents de maisons dont quelques-unes sont anglaises, mais la plupart étrangères, qui sont à l'affût de ce qui se présente en nouveautés ou en bon marché, pour l'expédier vers l'étranger.
De même en France, à Lyon, par exemple, vous voyez un grand nombre de maisons étrangères, américaines surtout, qui achètent des produits dont elles espèrent obtenir des prix avantageux sur le marché des Etats-Unis, parce qu'elles les reconnaissent propres à ce marché.
L'horable M. Delehaye a dit tout à l'heure que les premiers efforts tentés par la société des Pays-Bas n'ont pas réussi, qu'il en eût été autrement si elle avait persévéré. Mais la société de commerce s'est aperçue que, si elle avait persévéré dans ses efforts, elle aurait vu, non pas la fin de ses efforts couronnés par le succès, mais la fin de son capital. Cela est si vrai que lorsque la société a décidé qu'elle cesserait ces sortes d'opérations, ses actions ont haussé immédiatement.
M. Delehaye. - J'ai dit que la révolution avait entravé les efforts de cette société.
M. Loos. - C'est une erreur.
L'honorable membre doit se rappeler qu'à la suite de la révolution plusieurs fabriques importantes de l'industrie gantoise ont émigré vers les Pays-Bas, et qu'il s'est, formé à Harlem un nouveau centre industriel. La société des Pays-Bas a continué pendant quelque temps de remplir envers ces maisons les engagements qu'elle avait contractés. Après cela, on n'a accepté pour l'exportation que certains produits admis par la société, et qui n'étaient pas de nature à pousser les fabricants dans la voie des perfectionnements.
L'honorable M. Dechamps dit qu'il pourrait se faire qu'au bout d'un certain nombre d'années le capital de la société d'exportation fût anéanti, que, si cependant le but principal était atteint, c'est-à-dire si l'on avait donné ainsi un grand essor à l'industrie, il ne se plaindrait pas de la perte du capital.
C'est ainsi que les capitalistes envisagent la création d'une société d'exportation. Je ne disconviens pas que cette société ne fût appelée à rendre des services à l'industrie, des services analogues à ceux que lui rend le gouvernement au moyen des primes ; mais vous ne pouvez attendre des particuliers qu'ils rendent de tels services à l'industrie.
Je verrais avec grand plaisir la création d'une société d'exportation au moyen des capitaux privés ; mais je crois la chose impossible, parce que les capitalistes partagent les idées de l'honorable M. Dechamps ; ils croient que cette institution rendrait des services à l'industrie ; mais ils n'entendent pas les rendre aux dépens de leurs capitaux.
Je crois encore qu'on se fait de grandes illusions sur le sort réservé à notre industrie linière en France : on redoute beaucoup l'expiration du traité avec la France, on a de grandes appréhensions sur ce que pourra devenir l'industrie linière, si nous ne parvenons pas à lui conserver les avantages de notre traité avec la France. Je conçois que l'on redoute le moment où notre industrie linière ne pourra plus exporter en France, dont le marché nous a été jusqu'à présent très avantageux. Mais on se fait encore illusion à cet égard ; on pense qu'il suffira de renouveler le traité pour que notre industrie linière se maintienne sur le marché français, c'est une erreur ; l'industrie linière a fait, en France, de très grands progrès, plus grands peut-être que dans notre pays.
Voyez, dans le département du Nord, partout s'élever des manufactures dont les produits doivent évidemment remplacer les produits belges. Quoi qu'il arrive du traité français, qu'il soit ou non maintenu, je dois dire, avec regret, que c'est un marché qui nous échappera avant peu.
Si l'on voulait en rechercher la cause, il ne serait peut-être pas difficile de dire à quoi nous devons la perte de notre industrie sur le marché français.
Messieurs, je crois qu'il ne faut pas bercer l'industrie de vaines promesses. Je crois qu'il faut lui dire de se perfectionner, de rechercher ce que l'on fait dans les pays étrangers, de chercher à faire aussi bien et mieux si cela est possible. Avec l'aide du gouvernement, qui ne lui a pas fait défaut jusqu'à présent, je crois que l'industrie peut progresser, (page 236) qu'elle progressera. Dans les circonstances où nous nous trouvons placés, je crois qu'il faut avant tout dire à l'industrie ; Aide-toi, le ciel et le gouvernement t'aideront.
(page 231). - La clôture est demandée.
M. Deliége. -Je demande la parole pour rectifier un fait.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. le président. - Si la chambre y consent, la parole est à M. Deliége.
M. Deliége. - Dans le discours que l'honorable M. Delehaye vient de prononcer, il a dit que la loi qui a diminué la prime accordée aux distillateurs qui exportent des eaux-de-vie, a eu pour effet de faire complètement cesser ces exportations.
J'ai pris des renseignements et je suis porté à croire que ces exportations n'ont pas cessé complètement et que, si elles ont diminué, cette diminution est due à d'autres causes.
M. Delehaye. - Messieurs, le gouvernement peut facilement vérifier les faits. Je suis convaincu qu'en disant à la chambre que les exportations avaient cessé, je suis dans le vrai. Je ne sache pas qu'il y ait actuellement en Belgique un seul distillateur qui puisse encore exporter sous le régime de la loi actuelle.
L'honorable M. Deliége a cité l'opinion de l'honorable M. Loos. Je ne sais pas quelle peut être l'opinion de l'honorable M. Loos, mais les documents qui sont au ministère confirment ce que j'ai dit.
M. Rodenbach. - C'est exact.
- La discussion est close.
L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 63. Primes et encouragements aux arts mécaniques et à l'industrie, aux termes de la loi du 25 janvier 1817, n°6, sur les fonds provenant des droits de brevet ; frais de bureau : fr. 12,700. »
- Adopté.
« Art. 64. Musée de l'industrie. Traitement du personnel : fr. 16,748. »
- Adopté.
« Art. 65. Matériel et frais divers : fr. 11,252. »
- Adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans la discussion générale, l'honorable M. Osy a fait une observation relativement à la centralisation des produits des inscriptions pour les examens universitaires. L'honorable membre pense que ces produits doivent être centralisés au département des finances, que c'est ce que veut la loi de comptabilité.
Messieurs, nous ne trouverions pas la moindre objection à faire figurer au budget des voies et moyens, parmi les recettes pour ordre, le montant des inscriptions à verser par les élèves qui veulent subir des examens, s'il ne devait en résulter certaines lenteurs, certaines complications administratives.
Je ne pense pas que ce qu'a demandé l'honorable M. Osy soit exigé pas la loi de comptabilité. Les produits des inscriptions sont exclusivement destinés à payer les examinateurs ; ils n'entrent pas, à proprement parler, dans les caisses de l'Etat. Ils ne constituent pas une recette effectuée par l'Etat pour compte de l'Etat. C'est une recette qui a une destination spéciale que lui donne la loi même de l'enseignement supérieur.
Avec le système de l'honorable M. Osy, s'il était de règle de faire passer par le trésor toutes les recettes de cette nature, on ne devrait pas seulement le faire pour le produit des inscriptions, il faudrait étendre la mesure beaucoup plus loin. Ainsi les produits des inscriptions des élèves entrant dans les universités, les inscriptions pour les cours, n'entrent pas dans les caisses de l'Etat. Ces produits, aux termes de la loi et des règlements, pris en exécution de la loi, sont répartis entre les professeurs. Il faudrait cependant étendre la proposition de l'honorable M. Osy à tous ces produits, qui ne sont pas des recettes effectuées par l'Etat pour compte de l'Etat, mais qui sont des recettes faites au profit des professeurs.
Il en serait de même pour les minervales des élèves qui suivent les écoles primaires supérieures, écoles qui sont dirigées par l'Etat. Les élèves payent une certaine rétribution mensuelle, cette rétribution ne figure pas au budget de l'Etat. Elle figure au budget de chaque école.
Faire figurer ces sortes de rétributions au budget de l'Etat, ce serait, je pense, une très grande complication, une complication parfaitement inutile.
Du reste, la question pourra être examinée par M. le ministre des finances et par moi. Si on reconnaissait qu'il est plus régulier de faire figurer dans le budget des voies et moyens, comme recette pour ordre, tout ce qui est perçu dans les établissements de l'Etat, rien ne s'opposerait à ce qu'il en fût ainsi.
Un autre inconvénient qui résulterait de l'adoption du système de l'honorable M. Osy, c'est que le budget de l'intérieur se trouverait peut-être accru de deux ou trois cent mille francs, alors cependant que l'Etat n'aurait pas de dépenses réelles à faire de ce chef.
Au point de vue même des garanties, je ne pense pas que l'honorable M. Osy puisse trouver quelque chose à gagner au changement du système actuel. Ainsi en ce qui concerne le montant des inscriptions, chaque examinateur en est le contrôleur naturel. Les examinateurs connaissent parfaitement le nombre des élèves inscrits pour l'examen, et ils sont parfaitement en mesure de savoir si la moindre somme vient à être détournée du produit des inscriptions.
De même pour les inscriptions faites par les élèves des universités, les professeurs connaissent aussi le nombre des élèves inscrits chaque année et ils sont les premiers intéressés à ce que ces sommes ne soient en aucune manière détournées de leur destination.
Du reste, je le répète, c'est une question d'ordre financier qui peut être examinée par M. le ministre des finances et par moi, et l'année prochaine, si nous reconnaissons qu'il est possible de faire figurer dans nos recettes pour ordre les recettes effectuées dans les établissements de l'Etat à quelque titre que ce soit, nous ferons entrer ces recettes dans le budget.
M. Osy. - Cela y est.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Très partiellement. L'honorable M. Osy reconnaîtra que cela n'y est pas pour les élèves des universités et des écoles primaires supérieures ; et, dans son système, cela devrait y être.
M. Osy. - Messieurs, ce que j'ai eu l'honneur de dire dans la discussion générale n'est pas de moi : j'ai lu avec attention les cahiers de la cour des comptes et c'est la cour des comptes qui attire notre attention sur eet objet.
Les articles 5 et 6 de la loi de comptabilité sont formels : toutes les recettes faites par le gouvernement doivent entrer dans le trésor de l'Etat sous la surveillance du ministre des finances et de la cour des comptes.
Lorsque j'ai eu l'honneur de faire cette observation dans la discussion générale, je n'ai parlé que du jury d'examen ; mais j'ai dit en même temps que j'engageais tous les ministres à examiner si les mêmes irrégularités ne se reproduisaient pas dans leurs départements, et que j'appellerais l'attention de la chambre sur les observations de la cour des comptes. Ces observations, nous devons les méditer avec soin ; la cour des comptes ne peut que les formuler, et c'est à nous de les faire valoir lorsque nous les trouvons fondées.
(page 232) Comme j'ai eu l'honneur de le dire, je ne connais pas le fonctionnaire qui est chargé de recevoir et de distribuer les sommes dont il s'agit ; je veux bien croire que c'est l'homme le plus fidèle qu'un puisse trouver, mais ce n'est pas un comptable dans le sens de la loi ; il ne donne pas de cautionnement et cependant on met des sommes considérables à sa disposition ; cela est contraire à la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'observation que j'ai faite s'adresse à la cour des comptes comme à l'honorable M. Osy, s'il n’a fait que reproduire ce qui a été dit par la cour des comptes. Le système serait incomplet s'il ne s'appliquait qu'aux jurys d'examen ; il faudrait, s'il était fondé, l'appliquer à toutes les recettes qui se font dans les départements ministériels. Je trouve ce système exagéré et inutile : les fonds du jury d'examen ne sont pas centralisés pour longtemps entre les mains du comptable dont il s'agit ; ils sont immédiatement repartis entre les examinateurs ; s'il fallait procéder ici comme on le fait pour les autres payements de l'Etat, il en résulterait des lenteurs que rien ne justifierait.
L'employé dont il s'agit n'est pas le seul qui manie ces fonds ; ils sont primitivement versés entre les mains des administrateurs de chacune des universités, des universités de l'Etat et des universités libres ; on n'exige pas cependant que ces administrateurs remplissent les conditions imposées aux comptables du département des finances. On ne l'exige pas pas non plus pour le produit des inscriptions universitaires qui est également versé dans la caisse du receveur de chaque université. Il est impossible que pour de semblables objets on suive toutes les formalités usitées pour les recettes et les payements ordinaires de l'Etat.
Si le système défendu par l'honorable M. Osy était admis, il en résulterait un autre inconvénient, c'est que les sommes dont il s'agit, passant par les mains des receveurs de l'Etat, devraient payer un tantième à ces fonctionnaires.
Je le répète, si ce système était fondé, il faudrait l'appliquera beaucoup de recettes dont la cour des comptes n'a jamais parlé depuis vingt ans ; il faudrait l'appliquer aux minervales universitaires, à la rétribution payée par les élèves des écoles primaires supérieures. Or cela ne se fait pas, et si c'était là un abus, la cour des comptes ne l'aurait pas toléré pendant vingt ans sans faire jamais la moindre observation.
- L'article 66 est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 518,600 fr., proposé par la section centrale, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur.
« Art. 67. Bourses. Matériel des universités. Frais de l'enseignement normal près la faculté de philosophie et lettres de l'université de Liège et près la faculté des sciences de l'université de Gand : fr. 106,800. »
- Adopté.
« Art. 68. Frais du jury d'examen pour les grades académiques : fr. 30,000. »
La section centrale a porté le chiffre à 50,000 francs ; M. le ministre de l'intérieur s'est rallié à cette augmentation.
Le chiffre de 30,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 69. Dépenses du concours universitaire : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 70. Traitement de l'inspecteur des athénées et collèges : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 71. Frais de tournées et autres dépenses de l'inspection des athénées et collèges ; partie des dépenses de concours de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 72. Subsides aux établissements d'enseignement moyen et aux écoles industrielles et commerciales autres que les écoles de manufactures, ateliers d'apprentissage, etc. : fr. 273,000. »
- Adopté.
« Art. 73. Indemnités aux professeurs démissionnés des athénées et collèges : fr. 5,000. »
- Adopté.
La chambre passe au chapitre XVII, Enseignement primaire.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale du chapitre, on passe aux articles.
« Art. 74. Inspection civile de l'enseignement primaire et des élablissements qui s'y rattachent. Personnel : fr. 34,000. »
M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, quelques jours avant l'ouverture de la discussion du budget de l'intérieur, une pétition a été adressée à la chambre par l'administration communale de Malines ; elle avait pour but de réclamer contre l'interprétation, si défavorable à un grand nombre de communes, donnée par le gouvernement à l'article 23 de la loi de l'enseignement primaire, en ce qui concerne l'allocation des subsides. Cette pétition a été renvoyée à la commission ; or, M. le rapporteur a conclu, en son nom, au renvoi à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications ; mais la chambre a décidé que la pétition resterait déposée sur le bureau pendant la discussion du budget. Je pense donc que le moment est venu de présenter les observations que soulève la question qui s'y trouve traiter.
Je sais que déjà, à diverses reprises, la chambre s'est occupée de l'interprétation donnée à cet article, de la marche qui a été suivie à cet égard ; cependant jamais une décision positive n'a été prise.
Il me semble donc qu'en cette matière, nous sommes toujours dans une espèce d'incertitude, dans une espèce de vague, car, pour ma part, je ne puis pas considérer comme tranchant la question d'une manière définitive, l'interprétation donnée par le gouvernement qui me semble ici en même temps juge et partie.
Mon intention n'est pas de passer longuement en revue toutes les observations qui ont déjà été présentées, ainsi que les motifs qu'on a fait valoir, pour défendre l'une ou l'autre manière d'envisager la question.
Mais le motif pour lequel j'ai demandé la parole, c'est le sens trop absolu qui a été donné par M. le ministre de l'intérieur aux dernières discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte relativement à cet article. Ces dernières discussions ont eu lieu, je crois, à l'occasion de l'examen du budget de 1849.
Dans une circulaire, adressée par M. le ministre de l'intérieur à MM.les gouverneurs, au mois de mars 1849, je lis le passage suivant ;
« La chambre des représentants s'est occupée de cette question à l'occasion de la discussion du budget de mon département pour le présent exercice, et c'est l'interprétation du gouvernement qui a prévalu.
« Je n'ai pas eu de peine à démontrer à la chambre, que le système, contraire est en opposition avec le principe de la loi et que, dans l'exécution il serait désastreux pour le trésor public, en même temps qu'il consacrerait une révoltante inégalité envers les communes. »
Messieurs, j'ai voulu relire également les discussions qui ont eu lieu à cette époque, et je dois dire que je n'ai pas vu, de la part de la chambre, l'intention formellement exprimée de donner une adhésion complète à la marche qui avait été suivie par le gouvernement à cet égard.
Pour connaître quel a été le véritable sens et quelle a été la véritable portée de cet article, il me semble que c'est aux discussions qui ont eu lieu, lors de la présentation même du projet, qu'il faut recourir ; et, comme personne n'était plus à même d'expliquer l'opinion qu'il voulait faire convertir en loi, que le ministre même qui en était l'auteur, qui la présentait et qui la défendait, permettez-moi, messieurs, de vous citer quelques-uns des développements que M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, a donnés à sa pensée. Les termes dont il s'est servi sont tellement clairs qu'à mon avis, il suffit de les citer pour faire disparaître tout doute.
Voici ce que disait M. Nothomb, ministre de l'intérieur de l'époque ; l'honorable ministre posait ce cas-ci :
« Je suppose que le traitement de l'instituteur soit fixe à 200 francs, et que les deux centimes additionnels communaux ne produisent que la somme de 130 francs, alors la commune aura le droit de réclamer l'intervention de la province. »
Quant à la province, voici ce que M. Nothomb disait :
« A son tour, la province a le droit d'exiger que le trésor public intervienne, lorsqu'elle prouve que les sacrifices qu'elle a faits pour l'enseignement primaire égalent le produit de deux centimes additionnels sur le principal des contributions directes. »
Plus loin, M. Nothomb cite des exemples ; le Limbourg affecte à l’instruction primaire, à très peu de chose près, le montant de deux centimes ; il en conclut que « la province de Limbourg est également dans une position qui lui donne le droit de dire à l'État : Je réclame votre intervention. »
La province de Liège ne paye pas les deux centimes, et le même ministre apprécie ainsi sa position : « La province de Liège n'a pas le droit, comme la province de Limbourg, de dire à l'Etat : Vous m'accorderez nécessairement l'intervention du trésor public. »
Je vous prie de remarquer surtout ce mot « nécessairement ».
Lorsqu'on parcourt le document très remarquable qui nous a été envoyé par l'administration communale de Malines, il est impossible de ne pas être frappé du fondement des réclamations sur lesquelles je me permets d'appeler un instant votre attention.
L'argument principal qu'on a fait valoir dans plusieurs circonstances, lorsque cette question a été soulevée, cet argument me semble devoir disparaître devant l'évidence. Voici ce que j'appelle l'argument principal : on nous dit que s'il fallait interprétor l'article 23 dans le sens de la réclamation de plusieurs communes, il faudrait porter, de ce chef, au budget de l'Etat, des sommes considérables pour faire face aux nouvelles dépenses que nécessiterait ce nouvel état de choses.
Mais je dois dire que cette objection n'en est pas une à mes yeux ; la question n'est pas de savoir quelles seraient les conséquences de l'exécution de la loi, mais il s'agit de rechercher ce que le législateur a voulu ; et il importe d'exécuter la loi, comme les chambres l'ont votée.
Par le système qui est suivi aujourd'hui, d'une prescription impérative qui se trouve dans la loi, vous faites une disposition simplement facultative ; et l'expression obligatoire qui se trouve dans la loi, et qui était dans la pensée du législateur, vous en faites le synonyme de facultative.
Car quel a été le but de la disposition de l'article 23 de la loi ? Le but a été de tracer des règles fixes pour déterminer quelles seraient les conditions moyennant lesquelles les communes auraient droit à un subside. En faisant disparaître ces règles, vous ouvrez à deux battants la porte à l'arbitraire.
(page 233) En effet, comment distribue-t-on aujourd'hui les subsides ? D'après la situation financière des communes, Qui appréciera la situation financière des communes ? Qu'entend-on proprement par une bonne ou mauvaise situation financière des communes ? Quelles seront, d'un autre côté, celles des dépenses qui figurent dans les budgets des communes, que vous croirez pouvoir supprimer ? Toutes ces questions sont sujettes à des interprétations diverses et peuvent, dans les solutions, donner lieu à l'arbitraire.
Voici, messieurs, quelles sont les conséquences de ce système : des administrateurs communaux auront été économes des deniers des communes ; une bonne gestion, pendant plusieurs années, aura maintenu les finances communales dans un état assez prospère ; le budget communal présentera des résultats relativement favorables ; eh bien, messieurs, à ces administrateurs tout subside sera refusé ; mais ailleurs, au contraire, des dépenses exagérées auront compromis la situation financière, et vous aurez un budget qui présentera des résultats très déplorables : ici les subsides seront accordés.
Ainsi les subsides seront la récompense des administrateurs prodigues, et tout refus de subside sera la punition des administrateurs économes.
Je ne puis donc, pour ma part, envisager l'interprétation donnée par le gouvernement à l'article 23, en ce qui concerne les subsides, comme étant la véritable. Je ne crois pas que les observations qui ont été échangées entre différents membres de cette assemblée soient de nature à engager le gouvernement à persévérer désormais dans la marche qu'il a adoptée. Je crois que les justes réclamations des conseils communaux méritent d'être prises en sérieuse considération, et en ce qui me concerne, je partage complètement la manière de voir exprimée dans l'adresse de l'administration communale de Malines.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois maintenir l'interprétation qui a été donnée par mon département à l'article 23 de la loi sur l'enseignement primaire. Cette interprétation se trouve consacrée en quelque sorte par le budget qui a été voté avec le chiffre proposé par le gouvernement. Si la chambre en décidait autrement, il faudrait, pour mettre le gouvernement en mesure d'exécuter l'intention de la chambre, augmenter ce chiffre d'une somme d'environ 500,000 fr. Or, messieurs, comme je ne propose pas cette augmentation, il en résulte pour moi que la chambre n'a pas l'intention de donner à l'article23 la portée que certains conseils communaux voudraient lui attribuer.
Le système défendu par plusieurs conseils communaux renverse le principe de la loi.
Le principe de la loi fait, de l'instruction primaire, une dépense essentiellement communale. L'article 20 est très explicite à cet égard. Il dit : « Les frais de l'instruction primaire sont à la charge des communes ; la somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires. »
D'après l'interprétation de quelques conseils communaux, on voudrait que les frais de l'instruction primaire fussent mis à la charge des communes jusqu'à concurrence de 2 p. c. de leurs revenus seulement. Or, la loi communale ne dit pas cela ; mais elle met à la charge des communes l'instruction primaire ; elle la range parmi des dépenses obligatoires. A côté de l'obligation de soutenir l'instruction primaire, la loi d'instruction primaire consacre l'intervention de l'Etat et de la province ; mais à quelle condition ? Lorsqu'une commune pauvre aura dépensé jusqu'à concurrence de deux centimes additionnels sur la contribution directe, alors elle sera admise à faire valoir ses réclamations près de la province et du gouvernement pour obtenir un subside ; mais nulle part il n'est dit que les communes ne sont tenues à subvenir aux dépenses de l'instruction primaire que jusqu'à concurrence de deux centimes additionnels de la contribution directe. La loi ne peut pas vouloir dire cela, alors que pour les communes qui, avant 1842, avaient porté à leur budget des sommes supérieures à deux centimes additionnels, elle leur interdit de diminuer l'allocation.
Celles-là sont tenues de maintenir à leur budget au-delà de 2 centimes, preuve que la loi n'a pas voulu réduire en principe l'obligation des communes à 2 centimes de leurs contributions ; sans cela, elle eût consacré la plus grande des injustices. La commune qui aurait eu plus de bonne volonté et aurait consacré plus de 2 centimes à l'instruction primaire, serait punie pour avoir avant les autres appliqué à cet objet important des sommes plus considérables. Pour être juste, il faudrait que ces communes qui s'étaient montrées généreuses, vigilantes, pussent réduire à 2 p. c. la somme portée à leur budget pour l'instruction primaire, et alors ce serait une bien autre augmentation que nous devrions porter au budget pour ce service.
Il ne faut pas dénaturer le caractère de la loi sur l'instruction primaire, et fausser son esprit ; cette loi a voulu que l'instruction primaire fût une charge communale ; seulement elle admet le concours de la province, le concours de l'Etat quand une commune a fait, pour y pourvoir, tous ses efforts, qui sont fixés à un minimum de 2 p. c. de ses contributions directes.
Dans le système contraire, il pourrait arriver que les dépenses principales seraient faites par la province et par l'Etat, et que certaines communes, ayant organisé leur instruction primaire sur le pied de 10 p. c. de leurs contributions, en payassent 2 et en missent 8 à la charge du gouvernement et de la province.
La dépense de l'instruction primaire, qui est essentiellement communale, deviendrait ainsi une charge provinciale et de l'Etat. Ce n'est pas la l'esprit de la loi sur l'instruction primaire.
Voilà ce que j'avais à dire quant à l'interprétation de l’article 23. Sans doute cet article peut donner lieu à des discussions, mais il faut le prendre dans son sens raisonnable, et l'interprétation que je lui donne est, à mon sens, la plus logique. Il peut y avoir des doutes ; quind nous réviserons la loi d'enseignement primaire, nous examinerons s'il ne convient pas d'y introduire une disposition plus précise ; jusque-là nous devons l'appliquer d'après l'interprétation que lui donne le gouvernement.
Si la chambre croit qu'en attendant la révision, la loi doit recevoir une autre interprétation, il faut qu'elle augmente le chiffre du budget d'une somme de 500,000 francs. Nous pourrons alors subsidier toutes les communes qui déclareront qu'elles ont dépensé pour l'instruction primaire deux centimes de leurs contributions directes et que les provinces et l'Etat doivent faire le surplus.
C'est pour le budget de l'Etat une aggravation de charge considérable sans compter l'avenir.
M. Lelièvre. - Il m'est impossible de partager le système de M. le ministre de l'intérieur ; la combinaison des articles 20 et 23 de la loi de 1842 ne laisse aucun doute sur le fondement des prétentions des communes.
L'article 20 porte : Les frais de l'instruction primaire sont à charge des communes. Voilà le principe général, mais dans quelles limites cette obligation leur est-elle imposée ? Voilà l'objet de l'article 23. Or, cet article 23 est clair et précis.
« L'intervention de la province à l'aide de subsides n'est obligatoire que lorsqu'il est constaté que l'allocation de la commune en faveur de l'instruction primaire égale le produit de deux centimes additionnels. »
Qu'on interroge le premier venu et qu'on lui demande ce que signifie cette disposition, il répondra que l'intervention de la province est obligatoire lorsqu'il est constaté que l'allocation de la commune égale le produit de deux centimes additionnels, etc.
C'est là l'interprétation naturelle qui se présente la première à l'esprit. Or, lorsqu'une loi est claire, il n'y a pas lieu à interprétation.
Si l'intervention de la province n'est obligatoire que dans tel cas, n'est-il pas évident pour tout le monde que cette intervention est obligatoire dans le même cas ? Le législateur emploie le langage vulgaire et usuel. Dès lors, il faut interpréter ses paroles dans le sens qu'elles comportent naturellement.
Or, messieurs, le système du gouvernement tend à anéantir une disposition positive qu'il faut détourner de sa véritable portée et à laquelle il faudrait donner un sens forcé pour rejeter la juste prétention des communes.
Non, messieurs, dans notre système, l'article 23 n'est pas contraire à l’article 20. Ce dernier article consacre en principe l'obligation de la commune, mais les limites de cette obligation sont tracées dans l'article 23. Voilà, messieurs, ce qui ressort du texte précis de la loi ; et si la question était même douteuse, ce serait en faveur des communes débitrices qu'elle devrait être résolue.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous pourrions discuter longtemps sur cet article. Quant au gouvernement, il est désintéressé dans la question ; c'est à la chambre à en décider. La question est de savoir si les dépenses d'instruction primaire, d'accessoires qu\ lies étaient pour la province et pour l'Etat, deviendraient prncipales et ne seraient plus qu'accessoires pour certaines communes.
La loi a voulu que ces dépenses essentiellement communales fussent obligatoires pour la commune. Vous aurez beau torturer les textes, vous ne changerez pas la nature de cette dépense.
Je reconnais qu'on peut donner à l'article 23 deux interprétations contraires ; mais il faut prendre la loi dans son esprit et dans son ensemble.
La loi déclare l'instruction primaire une dépense communale et obligatoire pour la commune. Quand la commune vient s'adresser à l'Etat pour demander un subside, l'Etat s'enquiert d'abord si elle a consacré à cet objet deux centimes de ses contribut'ons directes.
Dans le cas de l'affirmative, l'action de l'Etat commence ; mais cela n'empêche pas d'examiner si la commune n'a pas d'autres ressources. Si l'Etat reconnaît que, sans se grever outre mesure la commune peut faire toute la dépense, l'Etat n'intervient pas ; c'est la règle suivie en toute nature de subsides, l'Etat n'intervient que quand la commune n'a pas des ressources suffisantes ; on ne peut pas admettre d'autres principes, sans cela il faudrait décider, pour l'instruction primaire, que les dépenses sont à charge de l'Etat, et que les communes n'interviennent que pour des subsides.
C'est le principe contraire que la loi a consacré ; le gouvernement subsidie l'instruction primaire ; il ne se charge pas d'en faire les frais.
- L'article est mis aux voix et adopté.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
- D'autres voix. - Non ! non ! Continuons !
« Art. 75. Ecoles normales de l'Etat à Lierre et à Nivelles. Personnel : fr. 60,000. »
- Adopté.
M. le président. - Nous passons à l'article 76.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain ! On n'est plus en nombre.
- La discussion est renvoyée à demain.
- La séance est levée à 5 heures.