(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 143) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal delà dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le bourgmestre de Mechelen transmet une délibération du conseil communal concernant la demande en séparation du hameau de Daelgrimby et sa réunion à la commune d'Opgrimby. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants d'Assenede demandent la construction du canal d'écoulement de Selzaete à la mer du Nord. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Le sieur Gérard Van Kestcren, cultivateur à Grammont, né à Nimègue (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« La députation permanente du conseil provincial du Brabant prie la chambre de créer un district électoral à Wavre ou d'établir, dans cette ville, un ou plusieurs bureaux électoraux qui concourraient avec ceux établis à Nivelles, pour les cantons de Nivelles et de Genappe, à la nomination des membres des chambres législatives. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les président et secrétaire d'une société littéraire d'Evergem prient la chambre de voter, au budget de l'intérieur, un subside annuel en faveur de la veuve du poëtc flamand Van Ryswyck. »
« Même demande des administrateurs de la société Gombert, à Bruxelles. »
- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le conseil communal de Stekene appelle l'attention de la chambre sur le mauvais état du canal qui relie cette commune au Moervaert et demande que les crédits nécessaires pour le dévasement de ce canal soient portés au budget des travaux publics pour l'exercice 1851. »
M. de T’Serclaes. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics, avec prière de vouloir bien en faire mention dans le rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. H. de Baillet, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Lelièvre, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé pour la séance de demain.
- Accordé.
M. le président. - Messieurs, voici la réponse que le Roi a faite à l'adresse de condoléance qui lui a été présentée par la chambre :
« Messieurs, je remercie du fond de mon cœur la chambre des représentants de cette adresse, où elle exprime d'une manière si touchante, si élevée et si affectueuse, ses regrets pour la Reine et ses sentiments pour moi.
« Le pays a partagé ma douleur, comme s'il avait perdu tout ce que j'ai perdu moi-même. Je ne saurais dire combien ce sentiment du pays m'a touché et combien j'en suis profondément reconnaissant. Vous avez raison, messieurs, de parler de la Reine comme vous le faites. Elle était attachée de cœur et d'âme à sa nouvelle patrie ; elle aimait en vous des qualités qu'elle possédait au plus haut degré, la sûreté et la constance des affections.
« C'est à vous, messieurs, c'est au pays, à son bonheur, à ses progrès que je demande les consolations dont j'ai besoin. Les pensées d'avenir que j'avais exprimées avant même mon arrivée en Belgique se sont réalisées. Le pays a vécu et grandi. Ce qu'il offre aujourd'hui à nos yeux, ce ne sont déjà plus les promesses incertaines de l'enfance ; c'est la florissante et robuste santé de la jeunesse.
« Tous les vœux les plus ardents de mon cœur sont pour votre prospérité future. Mes enfants, qui seront avec vous quand je n'y serai plus, continueront ma tâche, et vos intérêts seront leur seule pensée. Il y aura entre eux et vous cette même sympathie qui a existé entre nous, messieurs, et que chaque année qui s'écoule rend plus forte et plus profonde. »
Sur la proposition de M. le président, la chambre ordonne l'insertion de la réponse du Roi au procès-verbal, et le dépôt de l'autographe aux archives.
- Un membre. - Et l'impression ?
- D'autres membres . - Elle est de droit ; la pièce sera au Moniteur.
- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil de la présidence.
M. de Perceval. - Messieurs, à la fin de la séance d'hier, l'honorable M. Rodenbach a demandé qu'un rapport fût fait à la séance de ce jour sur quelques pétitions qui ont été adressées à la législature, concernant le régime des dépôts de mendicité.
La commission des pétitions s'est réunie ce matin, et elle m'a chargé de vous présenter le rapport sur ces requêtes.
Comme la discussion va s'ouvrir sur le chapitre IX, qui se rapporte exclusivement aux établissements de bienfaisance, et que le travail que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau n'est pas des plus volumineux, je demanderai à la chambre la permission de pouvoir lui en donner lecture ; elle appréciera, de la sorte, les conclusions que nous proposons à la sanction de l'assemblée sur les pétitions.
- De toutes parts. - Appuyé ! Lisez, lisez.
M. de Perceval. - Messieurs, la loi du 3 avril 1848 et l'arrêté royal du 15 juillet 1849, concernant les dépôts de mendicité, portent en substance que les indigents reçus dans les différents dépôts, soit en vertu d'un ordre de l'autorité compétente, soit par suite d'une condamnation pour délit de mendicité, doivent séjourner dans ces établissements pendant six mois au moins, à moins qu'il n'y ait des motifs spéciaux et fondés pour autoriser leur mise en liberté, avant l'expiration des six mois.
Les bourgmestres des communes de l'arrondissement d'Audenarde, par pétition en date du 12 novembre dernier, demandent que la loi dont il s'agit soit modifiée. Ils déclarent que le régime actuellement en vigueur, occasionne des frais d'entretien si énormes qu'il est de toute impossibilité que les communes puissent faire face à ces dépenses.
Par requêtes en date des 18 et 20 novembre, le conseil communal de Herstal, et les membres du conseil communal de Caeskerke, prient également la législature de modifier la loi précitée, dont l'application leur est ruineuse sous tous les rapports.
Ce qui soulève surtout les réclamations des pétitionnaires, ce sont les frais d'entretien des indigents détenus dans ces établissements et qui sont hors de proportion de ce qu'ils coûtent dans leur localité. C'est ainsi que déjà dans quelques communes, les recettes ordinaires et extraordinaires, y compris celles des bureaux de bienfaisance, ne suffisent plus pour faire face à ces dépenses.
Les chefs des administrations communales de l'arrondissement d'Aude-arde voudraient qu'à la première demande adressée directement par les autorités locales aux administrations des dépôts de mendicité, ces dernières fussent tenues de mettre immédiatement en liberté les personnes qui s'y trouveraient de quelque chef que ce pût être, à moins que le gouvernement ne prît à sa charge les frais de leur entretien, en les faisant travailler pour son propre compte, soit aux dépôts, soit dans tout autre établissement. Ils désirent aussi qu'il soit fait défense aux directions des dépôts de mendicité de recevoir des individus qui y ont déjà séjourné, et dans le cas où un pareil individu s'y présente, que l'autorité judiciaire soit tenue de le faire conduire immédiatement dans sa commune par les agents de la force publique. Enfin, ils demandent que l'administration des dépôts de mendicité soit obligée de donner immédiatement et directement connaissance aux communes lorsqu'un indigent y sera admis.
Ces réclamations ont un caractère de gravité que l'on ne peut méconnaître ; elles partent d'administrations locales importantes. Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces trois requêtes à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Cools. - Je n'ai pas l'intention de placer la discussion sur le terrain brûlant de la charité privée. Pour le moment, je ne dirai rien qui ait rapport aux fondations pieuses ; je désire uniquement faire ressortir quelques idées que j'ai trouvées dans l'enquête sur le sort des classes ouvrières et nécessiteuses, enquête qui a eu lieu récemment par ordre du gouvernement. Ces idées sont dignes de fixer l'attention de la chambre. Je les examinerai dans leurs rapports avec la gestion des bureaux de bienfaisance.
Il est peu de matières qui méritent davantage d'attirer l'attention des économistes, des hommes qui s'occupent de la chose publique, que l'organisation de la charité publique.
Il en est peu où, en se livrant aux instincts généreux du cœur, on soit exposé à plus de déceptions.
Dans la discussion du budget de l'intérieur de l'année dernière, un honorable membre a fait observer que la charité organisée en système, s’exerçant d'une manière continue, a pour effet d'augmenter les naissances. Un autre membre a dit au même instant, et avec tout autant de raison, que si la charité continue augmente les naissances, inévitablement aussi, fatalement, elle augmente les décès, c'est-à-dire qu'elle a pour effet de créer une population souffrante, exposée à des misères continues, et condamnée d'avance à des décès prémaurés.
(page 144) La constatation de cette vérité serait désolante, si un peu de réflexion ne suffisait pas pour nous convaincre qu'il y a moyen, sinon de faire disparaître le mal, du moins de le circonscrire notablement, c'est d'introduire une certaine réforme dans la gestion des bureaux de bienfaisance.
Il y a des misères qui tiennent aux destinées de l'homme sur la terre. Il faut les accepter avec humilité. C'est la une vérité qui a été trop méconnue dans certains pays et sur laquelle on a cherché à répandre des illusions qui sont une des causes de l'agitation qui y règne.
Mais s'il n'y a pas moyen de détruire la misère, comme je le disais tout à l'heure, on peut du moins la circonscrire notablement et en faire disparaître quelques causes.
Je me rappelle avoir lu dans le temps une enquête faite il y a une dizaine d'années, par ordre du ministre de l'intérieur, sur l'état de la misère dans les différentes communes du pays.
Une des grandes causes indiquées dans l'enquête, c'était la surcharge de famille. L'inconduite, on peut le dire à l'honneur du pays, l'inconduite n'y venait qu'en deuxième ligne. Mais à côté de ces grandes causes, on en indiquait une autre dans les grands centres de population, c'était la cherté des habitations servant aux classes inférieures de la société ; c'est cette cause sur laquelle la commission d'enquête instituée récemment et surtout les commissions médicales locales ont spécialement appelé l'attention du gouvernement. Il faut tâcher de procurer aux classes ouvrières des habitations à meilleur marché qu'elles ne peuvent se les procurer actuellement. C'est là un des plus grands besoins qui se font sentir en ce moment.
L'année dernière nous avons voté au budget de l'intérieur un crédit d'un million devant servir en partie à améliorer les habitations des classes inférieures de la société. D'après le calcul du gouvernement, cet emploi figurait dans le chiffre total pour une somme de 150,000 francs, à répartir sur deux années, soit 75,000 fr. par an.
J'ai voté contre ce crédit ; je l'ai fait parce qu'il me semblait, d'une part, que la situation financière du pays exigeait une grande économie et que de l'autre, sa situation morale n'était déjà plus assez critique pour qu'il fût nécessaire de voter un budget supplémentaire ou extraordinaire au ministère de l'intérieur.
Voilà le motif général qui a dicté mon vote ; mais pour la partie du crédit destinée à l'hygiène publique, je m'y suis opposé pour d'autres considérations qui ont été développées par l'honorable rapporteur de la section centrale. Dans ma manière de voir c'est, en premier lieu, aux bureaux de bienfaisance et, en second lieu, aux villes d'améliorer les habitations des classes inférieures de la société et de faire disparaître ainsi une des principales causes de misère.
J'ai craint que le gouvernement, en se substituant à ces agents locaux, ne se laissât entraîner à des dépenses qui iraient tous les ans en grandissant. Cependant si je n'ai pas lieu de me repentir de mon vote négatif, je tiens à déclarer que la manière dont le gouvernement a procédé à l'exécution de cette loi a fait disparaître une partie de mes scrupules. Je me plais à reconnaître que le gouvernement a fait un emploi très judicieux de la partie du crédit affecté à la création de cités ouvrières. J'ai trouvé indiqué au Moniteur comment a été établie celle qui existe à Ixelles. Comme je suppose que c'est une cité type qu'on a voulu nous montrer là, les mêmes règles doivent avoir été suivies dans les constructions du même genre.
Je reconnais que toutes les précautions ont été prises par le gouvernement pour ne pas entraîner l'Etat dans des dépenses trop considérables et pour que les sommes dépensées puissent, dans un délai assez rapproché, faire retour à l'État ; ce qui indique encore mieux que le gouvernement a tenu compte des observations faites contre l'allocation de ce subside, c'est qu'il a cherché à agir sur les bureaux de bienfaisance et les administrations communales, dans le sens des observations présentées par les honorables membres qui étaient opposés à l'allocation demandée, c'est qu'il a tâché de se rapprocher autant que possible de l'opinion de ceux qui étaient opposés à ce projet de loi.
Je trouve dans un document qui nous a été distribué récemment par le gouvernement et qui a pour titre ; « Hygiène publique », deux circulaires, l'une de M. le minisire de l'intérieur, l'autre de M. le ministre de la justice, qui abondent entièrement dans ma manière de voir, ce qui indique que dans la pensée du gouvernement, tout autant que dans la nôlre, c'est aux bureaux de bienfaisance à faire en premier lieu la dépense.
Voilà la voie dans laquelle je me félicite d'avoir vu entrer le gouvernement. Examinons si rien ne s'oppose à ce qu'il y persévère.
Remarquez que nous sommes arrivés à la fin de 1850, que le terme accordé pour le crédit d'un million est sur le point d'expirer.
Le gouvernement n'a-t-il pas d'autres moyens d'action à sa disposition ? Pour moi, je crois que le gouvernement est suffisamment armé. Je pense, et j'espère, qu'il ne viendra plus demander la continuation de subsides extraordinaires, que le règne des budgets extraordinaires ou supplémentaires est passé.
Je pense que le gouvernement, avec les fonds que nous allons voter au budget de la justice et les ressources des bureaux de bienfaisance, peut faire le bien qu'il se proposait au moyen des crédits extraordinaires que nous avons accordés l'année dernière.
Je dis qu'il en a le moyen, si les bureaux de bienfaisance comprennent qu'ils doivent appliquer leurs ressources disponibles à la construction de maisons saines et économiques en faveur des classes inférieures de la société ; je crois que c'est là leur devoir.
Je pense que les bureaux de bienfaisance ne peuvent pas faire un emploi plus rationnel, plus intelligent des fonds mis à leur disposition, pour autant que ces fonds n'aient pas reçu une destination déterminée par les fondateurs.
Sous ce rapport, ils doivent rigoureusement remplir les obligations qui leur sont imposées, et je pense qu'ils ne s'en écartent pas.
Je parle des fonds dont ils ont la libre disposition, je répète que les bureaux de bienfaisance ne peuvent pas faire un emploi plus utile de leurs ressources, que de construire dans les grands centres de population, des habitations pour les classes indigentes et pour les classes laborieuses qui ont de la peine à subvenir à leurs besoins sans être descendues jusqu'à l'indigence.
Sous ce rapport, je crois que rien ne s'opposerait à ce que le gouvernement intervînt dans l'administration des bureaux de bienfaisance par voie d'autorité. Je pense qu'il pourrait leur prescrire certaines règles la conduite, au nombre desquelles serait, dans certains cas, la construction obligatoire d'habitations pour les classes inférieures de la société. Nous avons déjà des exemples d'intervention du gouvernement dans la gestion des bureaux de bienfaisance.
Dans la loi de frimaire an V, nous trouvons cette règle de conduite imposée aux bureaux de bienfaisance, que les secours à domicile seront donnés en nature autant que possible.
Qui empêcherait de donner par une loi, aux bureaux de bienfaisance, l'ordre d'employer leurs fonds disponibles principalement en construction d'habitations pour les classes inférieures de la société ? Au point de vue de la légalité ou de la constitutionnalité, je n'y verrais aucun obstacle ; cependant je n'engagerai pas le gouvernement à faire maintenant usage de ce moyen ; je crois qu'il en a d'autres qui lui suffisent. Pour mon compte je préférerais qu'il employât les moyens de persuasion plutôt que les moyens de contrainte ; je crois qu'il a assez d'influence sur les bureaux de bienfaisance, pour que, par la persuasion, il puisse obtenir le même résultat que par voie de contrainte.
Le gouvernement peut donc d'abord persévérer dans la voie dans laquelle il est entré, et tenir la main à l'exécution des circulaires faites pour l'emploi du million voté au budget de l'intérieur et en étendre l'application à la distribution des fonds que nous allons maintenant mettre à sa disposition.
Voici donc les observations que je rencontre dans une circulaire de M. le ministre de la justice. Ces recommandations avaient déjà été faites précédemment par M. le ministre de l'intérieur, et elles ont seulement été reproduites par M. le ministre de la justice. Je cite de préférence la circulaire de ce dernier, parce que nous nous occupons en ce moment du budget de la justice.
Voici ce qu'écrivait M. de Haussy le 5 juillet 1819, je pense que ses idées ne seront pas répudiées par son honorable successeur :
« Les communes ne peuvent suffire à une tâche aussi difficile (l'assainissement des quartiers occupés par les classes ouvrières et nécessiteuses) ; il est nécessaire que les bureaux de bienfaisance leur prêtent leur concours zélé. La mission légale des bureaux de bienfaisance comprend tous les moyens propres à améliorer le sort des indigents qui ne sont pas recueillis par les hospices. »
Suit l'indication de quelques-uns de ces moyens. Après cela, le ministre continue :
« Les bureaux de bienfaisance pourront affecter une partie de leur dotation à construire des demeures pour les ouvriers indigents. Ces travaux tourneraient directement au profit des travailleurs ; ils leur procureraient de l'ouvrage et leur donneraient ensuite des habitations saines, commodes et réunissant les conditions de salubrité nécessaires pour éloigner les maladies, les infirmités, ainsi que d'autres causes de misère. »
Voilà, messieurs, ce qu'écrivait M. le ministre de la justice l'année dernière. J'espère qu'il persévérera dans cette voie, qu'il tiendra à l'exécution des recommandations faites aux bureaux de bienfaisance et que, dans quelque temps, nous apprendrons quels ont été les résultats.
Mais, indépendamment de l'action consistant dans les circulaires, dans les recommandations, le gouvernement va avoir une certaine somme à sa disposition pour stimuler, même pécuniairement, le zèle des bureaux de bienfaisance, et je l'approuverais entièrement s'il donnait spécialement cette destination aux fonds que nous allons voter à l'instant au chapitre des bureaux de bienfaisance. Je crois que là il y a des moyens suffisants pour engager les bureaux de bienfaisance à construire des maisons d'habitation, pour les aider même au moyen de subsides.
Ce chapitre IX, porte à l'article 34 :« Subsides : 1° à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d'aliénés ; 2° aux communes, pour l'entretien et l'instruction des aveugles, et sourds-muets indigents ; 3 pour secours aux victimes de l'ophtalmie militaire. »
« Subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance ». Eh bien, qu'est-ce qui empêcherait le gouvernement de mettre pour condition de l'allocation de ces subsides l'obligation pour les bureaux de bienfaisance de faire les premiers frais de construction d'habitations, de manière que le gouvernement ne viendrait qu'en seconde ligne ?
Il est évident, messieurs, que, sous le rapport de l'hygiène, sous le rapport de la morale, de la salubrité publique, tout aussi bien que sous le rapport des intérêts pécuniaires des bureaux de bienfaisance, il est impossible de donner une meilleure destination aux fonds appartenant en propre à ces établissements.
Vous savez, messieurs, ce que sont aujourd'hui, dans la plupart de nos (page 145) grandes villes, les habitations des classes inférieures de la société. Vous savez que souvent dans des lieux de quelques pieds carrés s'entassent des populations de tous les âges, des deux sexes, privées de moyens de ventilation, exposées aux miasmes des égouts et condamn »s, en quelque sorte, d'avance à s'approprier tous les germes de maladies et toutes les infirmités qui viennent à leur suite.
Je n'appellerai pas l'attention de la chambre sur ce tableau douloureux ; il a été suffisamment déroulé devant elle, lorsque nous nous sommes occupés de la discussion du crédit d'un million. Je veux seulement faire ressortir quelle est l'énormité des charges que cet état de choses impose aux classes indigentes, quelle est l'usure qui s'exerce à leur détriment au moyen de ces habitations ; quelles sont les exactions, c'est le mot propre, que certains particuliers, propriétaires de ces demeures malsaines, se permettent à leur égard. Nous trouvons des chiffres dans les documents que je citais tout à l'heure.
La commission médicale de Bruxelles a fait des recherches sur le taux moyen auquel se louent les habitations des classes inférieures de la société, des classes ouvrières nécessiteuses, et elle arrive à cette conclusion que la location se fait, terme moyen, à raison de 15 ou 20 p. c. par an, c'est-à-dire que les propriétaires de ces habitations ne les louent pas à un prix inférieur à un revenu assuré de 15 à 20 p. c.
Voilà quel est l'état des choses à Bruxelles.
Eh bien, dans une autre grande ville, à Gand, l'état des choses est peut-être pire encore, car là la commission médicale constate que la moyenne de l'intérêt n'y descend pas aussi bas, que les propriétaires y exigent un intérêt qui n'est pas inférieur à 16 ou 17 p. c. Ainsi le moindre chiffre indiqué est 15 p. c. ! 16, 18 et même 20 p. c. 15, voilà le prix de location dans nos grandes villes, pour un très grand nombre, si ce n'est pour le plus grand nombre des petites habitations ouvrières.
Voyez, messieurs, quel bien les bureaux de bienfaisance pourraient faire en cherchant à faire disparaître cette cause de misère, en s'occupant à faire construire eux-mêmes des maisons d'habitation pour les louer à la classe ouvrière à raison d'un revenu raisonnable, ou même pour les abandonner gratis aux indigents. Je me suis livré à quelques calculs. Les chiffres, en tant cependant qu'ils soient sommaires, font toujours plus d'impression sur la chambre. Je lui demande la permission de lui communiquer ceux auxquels je suis arrivé.
Je suppose que tel bureau de bienfaisance distribue tous les ans une somme de 1,500 francs, pour mettre la classe indigente à même d'acquitter ses frais de loyer ; que représentent ces 1,500 francs ? Au taux auquel se louent, en ce moment, les habitations, si je prends le chiffre le plus favorable, 15 p. c, j'arrive à ceci : c'est que ces 1,500 francs payés annuellement pour loyer des habitations représentent un capital qui ne s'élève pas à plus de 10,000 fr.
Donc, si le bureau de bienfaisance construisait lui-même des habitations représentant cette dépense annuelle de 1,500 francs, qui passe maintenant des mains de l'indigent dans la poche du propriétaire de ces habitations, si le bureau de bienfaisance fournissait lui-même ces habitations, il en résulterait qu'au moyen d'un capital de 10,000 francs, il répandrait dans les classes indigentes un bien-être représentant l,500 fr. par an.
Et quel est le revenu dont le bureau de bienfaisance se priverait en livrant gratuitement aux ouvriers nécessiteux les habitations construites au moyen de ce capital de 10,000 fr. ? Il se priverait d'un revenu qu'on peut évaluer à fr. 600. Je fixe l'intérêt du capital employé de la sorte à 6 p. c. Je ne veux pas le fixer plus bas, parce qu'il s'agit ici de propriétés bâties, et qu'il faut tenir compte des réparations et des frais d'entretien. Ainsi, le bureau de bienfaisance, en se privant d'un revenu de fr. 600 aurait répandu dans la classe indigente une somme de bien-être qu'on peut, par rapport aux avantages que cette classe en retirerait, évaluer à fr. 1,500.
Mais faisons un pas de plus. Supposons que ce bureau de bienfaisance, après avoir construit pour fr. 10,000 d'habitations qu'il se propose de livrer gratuitement aux indigents, veuille encore faire une seconde opération, qui, cette fois, serait une spéculation. Admettons qu'il fasse emploi d'un deuxième capital de 10,000 fr. pour construire une seconde série d'habitations qu'il etlend cette fois louer à des ouvriers pour un intérêt raisonnable, soit 6 p. c. Ces ouvriers, en remettant au bureau de bienfaisance 600 fr., se procureraient des habitations salubres, en remplacement d'autres qui sont loin d'offrir cet avantage et qui leur coûtent fr. 1,500.
Dans l'état actuel des choses, quel est le chiffre du capital dont les bureaux de bienfaisance doivent faire emploi pour obtenir ce produit de 600 fr. ? Ce chiffre est de 20,000 fr., car la plus grande partie des revenus des bureaux de bienfaisance se compose de fermages, et chacun sait que généralement les terres ne rapportent pas plus de 3 p. c. C'est précisément le chiffre dont nous demandons que le bureau fasse emploi pour faire des constructions. Ainsi le bureau que nous avons en vue, en ne s'imposant aucun surcroit de dépenses, en procédant uniquement à une aliénation de biens-fonds, que nous évaluons à 20,000 fr. et en faisant servir ce capital à la construction de deux catégories d'habitations pour les classes souffrantes, aurait détruit la misère de ces classes jusqu'à concurrence de 1,500 fr.
Ce résultat, il l'aurait même obtenu sans bourse délier. Ce résultat, dans l'étal actuel des choses, et sans faire des constructions, il ne saurait se le promettre, de même en remettant aux nécessiteux, forcés de se loger à leurs frais, la totalité du produit de ces 20 mille francs, car nous avons supposé que la somme de la misère à extirper est de 1,500 fr. ; et comme ce produit de 20 mille francs de biens-fonds n'est que de 600 fr., le bureau aurait encore à prélever 900 fr. sur ses autres ressources avant d'avoir répandu une somme égale de bien-être dans les classes souffrantes de la société.
Je crois qu'il serait difficile de renverser ces calculs. Je pense qu'il est démontré que les meilleures opérations auxquelles les bureaux de bienfaisance puissent se livrer, c'est de faire construire des habitations pour les classes inférieures de la société.
J'engage beaucoup le gouvernement à méditer sur ces idées dont je ne saurais revendiquer le mérite, car elles sont indiquées tout au long dans l'enquête ordonnée par lui et dont il a maintenant les résultats sous les yeux ; je l'engage à examiner si sous ce rapport il n'y a pas de changement à introduire dans la marche des bureaux de bienfaisance ; et quels sont les moyens les plus propres dont on puisse faire usage pour faire entrer ces établissements dans cetle autre voie.
J'espère aussi que M. le ministre de l'intérieur, puisqu'il a pris l'initiative, nous fera connaître le résultat qu'il a obtenu au moyen de la circulaire qu'il a écrite, l'année dernière, en ce qui concerne l'emploi des fonds de 2 millions que nous avons mis à sa disposition ; qu'il nous fera connaître le concours que les bureaux de bienfaisance lui ont prêté en cette circonstance.
J'engage enfin le gouvernement à persister dans la voie où la circulaire, dont j'ai donné lecture, indique qu'il vient d'entrer, à ne pas se décourager s'il n'obtient pas immédiatement un résultat satisfaisant. Il est très difficile de faire adopter des réformes, et de faire changer une marche qui est établie depuis un grand nombre d'années. Sous ce rapport, le temps vient en aide. J'espère que les bureaux de bienfaisance comprendront eux-mêmes qu'il y a autre chose à faire que de guérir des maux lorsqu'ils existent ; c'est d'empêcher qu'ils ne viennent à se produire, c'est de détruire, autant que possible, les causes qui engendrent la misère.
M. Rodenbach. - Messieurs, à l'occasion de la discussion du chapitre IX, relatif aux établissements de bienfaisance, je crois pouvoir dire quelques mots sur les dépôts de mendicité.
Au commencement de la séance, un honorable député de Malines, au nom de la commission des pétitions, a présenté un rapport sur une pétition des bourgmestres des communes de l'arrondissemeut d'Audenarde qui demandent des modifications à la loi du 3 avril 1848, concernant les dépôts de mendicité. Les pétitionnaires déclarent, vous l'avez entendu, messieurs, que le régime actuellement en vigueur occasionne des frais d'entretien si énormes qu'il est de toute impossibilité que les communes pourvoient à ces dépenses. Dans une précédente session, la chambre a reçu une foule d'autres pétitions, dans lesquelles on signalait le même grief, et on en réclamait le redressement avec instance.
Oui, messieurs, cette charge accablante est en quelque sorte la ruine de beaucoup de communes dans les Flandres. Il y a d'assez petites communes qui doivent jusqu'à 6,000 fr. au dépôt de mendicité et qui sont dans l'impossibilité de les payer.
Messieurs, suivant moi, on ne devrait admettre dans les dépôts de mendicité que les mendiants et les vagabonds qui ont été condamnés par les tribunaux. Ces dépôts devraient être uniquement des maisons de répression. Nul ne devrait pouvoir, et notamment en hiver, considérer le dépôt de mendicité comme une espèce d'auberge.
Quand le mendiant est renfermé dans le dépôt de mendicité, la dépense qu'il occasionne à la commune est double de celle à laquelle la commune serait obligée, si le mendiant ne quittait pas la localité,
Ici, messieurs, il faudrait de la décentralisation et non pas de la centralisation. C'est la centralisation qui impose, sous ce rapport, des charges si accablantes aux communes. Le travail que l'on fait dans les dépôts de mendicité se réduit à peu de chose, de manière que le fardeau des communes n'en est nullement soulagé. On ne rend pas même compte aux communes.
D'autre part, il y a dans ces dépôts des vieillards, des mendiants, des vagabonds, des adultes qui ne veulent pas travailler ; on y trouve même des enfants. Il est vrai qu'on a fait aller une partie de ces enfants dans l'établissement de Ruysselede. C'est là une bonne mesure à laquelle j'applaudis ; mais il n'en est pas moins vrai que cetle réunion de vieillards, de mendiants, de vagabonds, dans un dépôt de mendicité, ne peut que porter de graves atteintes à la moralité.
M. le ministre de la justice est depuis trop peu de temps aux affaires, pour avoir pu diriger toute son attention sur la loi du 3 avril 1848 ; dès qu'il aura pu l'examiner, il reconnaîtra avec nous et avec les nombreux pétitionnaires qu'elle est susceptible de grandes améliorations. Je le prie d'avoir égard aux observations que je viens de présente. Je le répète, les dépôts de mendicité renferment un trop grand nombre d'individus qui ruinent les communes.
J'ai dit.
M. Deliége. - Messieurs, je me permettrai aussi d'attirer l'attention de la chambre, et notamment celle de M. le ministre de la justice, sur nos dépôts de mendicité.
Il faut que le régime suivi dans ces dépôts soit mauvais ; car, comme vous venez de l'entendre, plusieurs administrations communales se sont adressées à la chambre pour en obtenir la réforme.
Plusieurs commissaires d'arrondissement en ont accusé les vices, dans le rapport qu'ils doivent adresser annuellement aux députations permanentes.
(page 146) La députation permanente de la province de Liège a dit, avec raison, dans l'exposé de la situation administrative de 1850, que beaucoup de mendiants considéraient ces dépôts comme des « maisons de plaisance ».
C'est qu'en effet, messieurs, les dépôts de mendicité constituent une charge accablante paur certaines communes.
C'est qu'établis dans le but de réprimer la mendicité, ils n'atteignent pas leur but.
Au contraire, ils sont pour les fainéants, les paresseux, une planche de salut, sur laquelle ils peuvent toujours s'abriter.
Loin de moi l'intention de représenter la Belgique comme un de ces Etats où les mendiants pullulent.
Je crois, au contraire, que dans aucun Etat de l'Europe, il n'y a moins de mendiants qu'en Belgique.
Cependant un passage de l'exposé de la situation administrative de la province de Limbourg, voisine de la province de Liège, m'a affligé jusqu'à un certain point.
Il est évident qu'en Belgique il y a, aujourd'hui, une certaine dose de bonheur relatif, chacun doit l'avouer.
La lèpre honteuse de la mendicité devrait donc y être très circonscrite.
Et cependant nous lisons dans l'exposé que je viens de citer :
« La population du dépôt n'a jamais été plus forte ; et ce n'est que grâce aux engagements pris sur la proposition du directeur que l'on a pu prévenir en partie les embarras de l'encombrement. Presque tous les greniers ont été convertis en dortoirs, il a fallu acheter de nouvelles couchettes, etc. »
Si cet état de choses ne résulte pas de la situation actuelle de l'industrie, de l'agriculture, c'est vers les dépôts de mendicité que nous devons porter notre attention.
Je désirerais donc que M. le ministre de la justice voulût introduire, le plus tôt possible, dans ces dépôts une organisation plus rationnelle, plus efficace.
On pourrait y introduire des catégories. Ainsi comme on vient de le dire, dans nos dépôts, les vieillards, les infirmes, les sujets vicieux ou autres ; tout y est confondu.
Je voudrais qu'il y eût au moins trois catégories : une pour les vieillards et les infirmes ; une autre pour ceux qui, étant momentanément privés de travail, seraient conduits au dépôt ; une troisième pour les paresseux, les fainéants, les sujets vicieux.
En un mot, je voudrais que toujours on tendît une main secourable au malheur, mais je serais sans pitié pour la paresse, pour la fainéantise.
En Belgique, il ne doit pas y avoir d'hospice pour la paresse.
La loi d'avril 1848 a déjà apporté un remède au système, en instituant une école de réforme pour les jeunes délinquants ; pour ceux qui, n'étant pas parvenus à un certain âge, se livrent à la mendicité.
Mais nous n'avons rien fait pour la partie la plus nombreuse de la population de nos dépôts, d'où les reclus sortent aussi paresseux, aussi fainéants, et généralement plus vicieux qu'ils n'y sont entrés.
Un projet de loi a été présenté depuis longtemps à la chambre ; je crois qu'il date de 1847 ; il a été soumis à l'examen des conseils provinciaux ; il serait temps de le reprendre et de voir ce qu'il y a à faire.
En attendant que l'état de nos finances nous permette de faire mieux, ne pourrait-on pas établir dans nos dépôts les catégories dont je viens de parler ? Ne pourrait-on pas soumettre les reclus à un travail soutenu ?
Ne pourrait-on pas faire en sorte qu'ils y apprissent une profession, qui leur donnerait de quoi vivre, sans tendre honteusement la main ?
Messieurs, un homme qui avait toujours travaillé, qui avait toujours eu la meilleure conduite, avait eu un accident ; privé momentanément de travail, il avait mendié ; il avait été arrêté et conduit à Reckheim ; il y est resté pendant cinq à six ans. Rentré chez lui, je me suis enquis de ce qu'on lui faisait faire au dépôt. Pendant cinq à six ans, il a été employé à nettoyer les pommes de terre. Vous concevez, messieurs, qu'élargi il n'a pas trouvé moyen de continuer son intéressante industrie.
Cette circonstance m'a conduit à m'informer des diverses professions qui étaient exercées dans le dépôt de mendicité de Reckheim. J'ai lu l'exposé de la situation administrative de la province de Limbourg. J'ai trouvé que, sur une population assez forte, les cinq septièmes de cette population étaient occupés, hommes et femmes à filer à la main et à tricoter ! Je vous demande si un mendiant, sorti du dépôt, quand il y est resté assez longtemps, et cela arrive fort souvent, n'est pas parfaitement énervé après avoir filé ou tricoté pendant des années !
Je demanderai s'il ne serait pas possible de faire pour les dépôts de mendicité ce que le ministère a fait pour les Flandres et à St-Bernard ? Ne pourrait-il pas introduire dans les dépôts de mendicité quelque nouvelle industrie. Ceci ne serait pas vu de mauvais œil par le travail libre. Le travail libre ne peut pas voir de mauvais œil l'introduction d'industries nouvelles par le gouvernement ; il ne pourrait pas même se plaindre de la concurrence qui pourrait lui être faite dans les dépôts au moyen d'une ou de plusieurs industries connues dans le pays, car il s'agirait, non de lui faire concurrence, mais d'améliorer ses moyens, de donner à l'industrie de bons ouvriers, et beaucoup de bons ouvriers.
Je crois aussi qu'il y a un autre moyen ; nous avons établi un patronage pour ceux qui sortent de prison ; ne pourrait-on pas également l'établir pour ceux qui sortent des dépôts de mendicité et créer plusieurs commissions par canton ?
Messieurs, quant au dépôt de Reckheim, je pense qu'il y a quelque chose à faire. Je remarque d abord qu'à ce dépôt, comme l'exige l'arrêté du 12 octobre 1835, on ne rend pas compte des salaires aux députations.
Je crois qu'on devrait le faire ; ce n'est pas que je veuille dire que les salaires n'entrent pas en ligne de compte, ce n'est pas une accusation de mauvaise foi que je formule contre les administrations des dépôts ; mais si on rendait compte des salaires aux députations, elles s'enquerraient des professions exercées dans ces dépôts, et on pourrait porter remède aux vices d'organisation que je viens de signaler.
Il y a quelque chose de plus ; à ce dépôt nous payons 44 centimes pour la journée d'entretien ; dans des dépôts étrangers la journée d'entretien n'est que de 13 centimes. A Merxplas, elle était de 20 centimes ; dans les hôpitaux des Flandres la journée est descendue jusqu'à 13 centimes ; et il est à remarquer que de 1847 à 1850 la journée d'entretien de nos dépôts de mendicité a été en moyenne de 43 c.
Je crois qu'une différence aussi notable doit attirer l'attention des chambres et de M. le ministre de la justice.
Il ya un autre point qui doit aussi attirer l'attention de M. le ministre, c'est que depuis quelque temps la fourniture de tous les comestibles se fait à Reckheim sur bordereaux de prix et non par adjudication. Je n'entends pas accuser l'administration, mais je dis qu'un semblable régime peut donner lieu à des abus.
On pourrait aussi, à Reckheim, louer une partie de bruyères ; il y a, dans la localité même, des bruyères à louer.
La commune a des bruyères dont elle ne retire que peu de revenu, on pourrait les lui acheter et occuper ainsi les reclus au défrichement.
On me dit que l'administration du dépôt a loué des terres. L'honorable collègue qui m'interrompt se trompe ; il y a eu, je crois, un projet ; mais s'il n'est pas rejeté, il est oublié dans les cartons de l'administration.
M. T'Kint de Naeyer. - La loi du 20 avril 1848 a cherché à introduire quelques améliorations dans le régime des dépôts de mendicité ; mais de là à une réforme sérieuse et complète il y a fort loin ; le gouvernement lui-même l'a reconnu à cette époque ; il a considéré la loi comme transitoire. La situation financière du pays ne lui permettait pas de faire davantage.
L'honorable M. Deliége vient de faire observer avec infiniment de raison que le vice radical des dépôts de mendicité, c'est le défaut de classement.
Le même pêle-mêle continue à exister ; il est vrai qu'un établissement spécial a été créé pour les jeunes indigents, mendiants et vagabonds des deux sexes âgés de moins de 18 ans. Mais cet élablissement est naissant, il sera loin de suffire aux besoins de tout le royaume.
Dans tous les cas, on continuera à réunir, dans les mêmes dépôts, des vieillards, des infirmes, des mendiants valides et des vagabonds ; on comprend combien il est difficile, avec une population flottante composée d'éléments aussi variés, d'organiser un travail productif et de diminuer les frais généraux. De là le prix énorme des journées d'entretien
La journée d'entretien est maintenant, si je ne me trompe, de 40 à 45 centimes pour les mendiants valides et de 60 centimes pour les infirmes.
Les communes rurales se plaignent amèrement de la charge qui pèse sur elles. Ces plaintes ont été formulées récemment dans un grand nombre de pétitions.
La situation financière d'un grand nombre de communes, notamment dans les Flandres, est vraiment déplorable. Pour le démontrer il suffît de citer quelques faits. La question mérite de fixer toute l'attention de la législature et du gouvernement.
Vous savez, messieurs, que la cotisation personnelle est la principale ressource des communes rurales ; la plus belle part de cet impôt sert aujourd'hui à payer de gros frais d'entretien dans les maisons d'aliénés, dans les hospices des grandes villes, dans les dépôts de mendicité. Ce qui reste des recettes suffit à peine aux besoins des indigents secourus dans la localité et à assurer tant bien que mal les divers services administratifs.
En 1847, les cotisations personnelles dans les deux Flandres atteignaient la somme énorme de 1,823,365 francs, ce qui fait environ 1 franc 75 centimes par tête de la population rurale.
En 1849, le seul arrondissement de Gand a payé, en cotisations personnelles, 321,894 francs, c'est-à-dire une somme plus élevée que le montant du principal de la contribution personnelle perçue au profit de l'Etat ; cette contribution n'étant que de 321,184 francs.
Je n'ai rien à ajouter à ces chiffres ; leur signification est claire.
Je sais que les améliorations ne s'improvisent pas ; le gouvernement, d'ailleurs, est mieux placé que qui que ce soit pour étudier la question et pour lui donner une solution pratique.
Je ne m'arrêterai donc pas à l'examen de projets dont la réalisation immédiate ne serait guère possible.
D'après un examen attentif des faits, je suis amené à croire que le moyen le plus efficace de dégrever les communes, c'est de localiser autant que possible les efforts de la charité légale.
Déjà, messieurs, plusieurs membres ont appelé notre attention sur des essais qui ont été tentés dans les Flandres. Dans la Flandre occidentale notamment, plusieurs communes ont pensé qu'il y aurait avantage à ouvrir des refuges agricoles pour les vieillards et pour les infirmes. On est arrivé à ce résultat que la journée d'entretien est descendue, comme l'a dit tout à l'heure M. Deliége, à treize centimes.
(page 147) Dans la Flandre orientale, les hospices agricoles ne sont pas aussi nombreux ; mais les preuves sont peut-être plus concluantes encore que celles que je viens de citer.
Je demanderai la permission a la chambre de lui lire quelques notes très succinctes que j'ai recueillies sur l'hospice agricole de Sleydinge, près de Gand ; c'est un établissement modèle.
Dans l'hospice de Sleydinge sont logés et entretenus :
Les pauvres vieillards et infirmes de la commune ;
Les orphelins ;
Les mendiants valides sans travail ;
Les malades sans famille.
On a institué dans cette maison :
Un atelier d'apprentissage et de perfectionnement pour le tissage de toutes sortes de toiles de lin ;
Un atelier pour le filage du lin ;
Une école manufacture de dentelles ;
Une école de travail pour les filles, appliquée à la couture, le tricot et autres ouvrages manuels :
Une école primaire gratuite pour les enfants pauvres.
En outre, et autant que faire se peut, les indigents continuent dans l'établissement à pratiquer le métier qu'ils exerçaient étant ouvriers isolés.
Toutefois, l'agriculture forme l'occupation principale des pensionnaires de l'hospice de Sleydinge. L'exploitation agricole comprend à peu près 12 hectares de terre ; (erratum, page 186) la métairie possède deux chevaux et un attelage de vaches laitières, quelques moutons, des porcs, etc.
La population moyenne des pensionnaires de l'établissement pendant 1849 s'élevait à 122 personnes. Le prix d'entretien, pour la même année, a été de 11 centimes par tête et par jour.
Les enfants et les apprentis recevant l'instruction gratuite, mais ne jouissant pas du logement, et n'étant pas nourris à l'école, étaient au nombre de 264.
Tous ces travaux, divisés par sections, se font sous la surveillance d'une commission administrative ; chaque section est dirigée par une ou deux sœurs de charité. Le nombre des sœurs attachées a l'établissement est de 16.
Après cet établissement, messieurs, dont la marche est si satisfaisante, je pourrais encore citer la maison des pauvres récemment érigée à Nevele. L'organisation de cet hospice n'est pas terminée ; mais les résultats déjà obtenus justifient pour l'avenir les meilleures espérances. Cette maison comprend en ce moment deux sections : une exploitation agricole et un hôpital. Dans l'intérieur de l'établissement, on s'occupe de quelques ouvrages industriels tels que le filage, la couture, le tricot, etc. Mais ici encore les travaux des champs forment comme la base de toute la conduite de l'institution.
Les terrains annexés à la ferme ont une contenance de 12 hectares, Dans ces terres se trouve compris un bien communal de 9 hectares qui naguère était complètement inculte et qui aujourd'hui, grâce aux efforts associés de quelques infirmes, est devenu productif.
Il résulte des comptes qui ont été soumis à la commission de surveillance dont j'ai l'honneur de faire partie avec notre honorable vice-président M. Delehaye, que, pendant l'année 1849, 93 personnes ont été entretenues dans l'hospice et que les dépenses, par tête et par jour, se sont élevées à onze centimes.
L'hôpital a reçu, pendant la même année, 53 malades des deux sexes. La durée de séjour des malades se résume en 1,783 journées d'entretien.
Les frais, en moyenne, reviennent à 34 centimes, tandis que dans les dépôts de mendicité les frais pour les infirmes s'élèvent à 60 centimes par tête.
En résumé, messieurs, je crois que le système des secours publics, tel qu'il est organisé aujourd'hui, est la principale cause des embarras financiers des communes rurales.
La réorganisation de la bienfaisance publique est le besoin administratif qui se fait le plus vivement sentir aujourd'hui.
La loi communale a imposé aux communes des obligations, des charges auxquelles elles ne peuvent pas se soustraire. Pour continuer à y faire face, il est impossible qu'elles songent à augmenter les cotisations personnelles, je crois l'avoir démontré d'une manière péremptoire.
Cet impôt d'ailleurs, arbitraire dans son principe, arbitraire dans sa répartition, deviendrait, pour peu qu'on en voulût exagérer le chiffre, une cause permanente d'animosités, une source d'injustices.
Si une aggravation de l'impôt est impraticable, c'est dans une meilleure répartition des dépenses qu'il faut chercher des remèdes.
Dans cette voie, messieurs, il y a beaucoup à faire, soyez-en convaincus.
En attendant que le gouvernement puisse soumettre la question à un examen approfondi, je pense que sa sollicitude peut immédiatement se montrer par des conseils et par des encouragements.
Je désirerais, pour ma part, que la plus grande partie du crédit qui figure au chapitre IX fût distribuée à titre de subsides pour l'érection de maisons rurales des pauvres et pour le développement de celles qui existent déjà. (Interruption.)
On me dit, messieurs : Il ne suffit pas de fonder ces établissements, où sera la dotation ?
Messieurs, jetez les yeux sur le budget de la plupart des communes rurales et lorsque vous aurez vu les sommes énormes qu'elles dépensent aujourd'hui pour l'entretien des mendiants, des vieillards, des infirmes, vous serez convaincus qu’il ne s'agit pas de dépenses nouvelles, mais d’économies très considérables à réaliser.
Tous ceux qui connaissent les hospices agricoles des Flandres, ceux qui les ont visités, doivent rendre hommage à la supériorité du régime dont j'ai essayé de tracer l'esquisse.
M. Lelièvre. - A l'occasion du chapitre que nous discutons, je désirerais connaître les intentions du gouvernement relativement aux fondations de bienfaisance. L'année dernière on nous a promis de présenter, dans le courant de la présente session, un projet de loi sur cette matière. Je prie M. le ministre de la justice de vouloir nous dire ce qu'il se propose de faire à cet égard, et s'il est en mesure de présenter immédiatement ce projet, afin qu'on puisse, au besoin, l'examiner concurremment avec celui de l'honorable M. Dumorlier.
M. Dumortier. - Messieurs, la chambre, dans une séance récente, a fixé les développements de la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau et dont elle a bien voulu autoriser la lecture, en même temps que la discussion actuelle. Je suis aux ordres de la chambre. Je suis prêt à lui présenter les développements de ma proposition.
M. le président. - Je dois faire remarquer à la chambre que les développements de la proposition de M. Dumortier sont fixés à l'ordre du jour après la discussion sur le budget de la justice. La chambre entend-elle revenir sur cette décision ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. le président. - La parole est à M. Dumortier pour développer sa proposition.
M. Dumortier (à la tribune). - Messieurs, de toutes les libertés dont l'homme puisse jouir, il n'en est point de plus sacrée, de plus importante à la société elle-même que la liberté de la charité. Faire du bien à ses semblables, soulager l'humanité, la protéger dans sa faiblesse, la secourir dans le malheur, c'est la vertu la plus sublime de l'homme et du citoyen, et cette vertu est l'un des plus beaux triomphes du christianisme sur le paganisme.
En jetant un regard sur les établissements de charité destinés à soulager parmi nous toutes les infortunes, on ne peut méconnaître qu'ils sont dus à une seule et unique pensée, la pensée chrétienne. Qui a fondé ces nombreux asiles où l'orphelin est accueilli et élevé, ces bourses d'études en faveur de l'intelligence sans fortune, ces écoles gardiennes et primaires où l'enfant reçoit à la fois et les bienfaits de l'instruction et ceux d'une éducation morale et religieuse ? qui a élevée ces hôpitaux où le pauvre est reçu dans ses infirmités, ces hospices où il est entretenu dans sa vieillesse ? qui a créé ces crèches pour les pauvres, ces écoles pour les pauvres, ces bourses d'études pour les pauvres, ces hôpitaux pour les pauvres, ces hospices pour les pauvres ? La charité chrétienne.
C'est que le christianisme, dans son action sociale, repose sur ce double principe : moraliser le peuple par l'enseignement de la foi, le soulager par la charité. Là est toute l'action du christianisme, tout le secret du progrès social depuis le paganisme jusqu'à nos jours.
La révolution française crut pouvoir réformer la société sur des bases jusqu'alors inconnues, un mélange bizarre de philosophie et de paganisme. Elle entreprit de créer une ère nouvelle en répudiant tout ce qui rappelait la pensée chrétienne, et cette civilisation de dix-huit siècles dont le christianisme était le mobile et la cause. L'Assemblée nationale avait donné à la France la liberté politique, la Convention y établit la tyrannie, prétendant supprimer le principe chrétien et le remplacer par l'action de l'Etat. La révolution française qui, au début, disait ne vouloir revendiquer pour l'Etat qu'une participation à l'enseignement et à la charité, en arriva bientôt à l'exclusion et au monopole. Elle déclare donc guerre ouverte aux idées du christianisme. Depuis quinze siècles, l'Etat s'était reposé sur l'Eglise du soin de trois grandes charges sociales : le principe religieux, l'instruction et la charité ; la révolution française entreprit un système diamétralement opposé, celui de remplacer l'Eglise par l'Etat. Absorbant tous les intérêts moraux de la société, elle créa la constitution civile du clergé, la constitution civile de l'instruction, la constitution civile de la charité. Par elle, l'Etat devint grand prêtre, grand instituteur, grand aumônier ; rien dorénavant ne devait être laissé ni à l'Eglise ni à la famille ; malheur à qui ne s'agenouillait pas devant ce système pratiqué au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
En même temps que la liberté religieuse était effacée, disparaissait aussi la liberté civile. Il n'y eut plus de libertés provinciales ou communales, plus de liberté dans la sphère des intérêts communs ; la suppression des libertés religieuse, amena, comme toujours, à sa suite, la suppression des libertés civiles ; tant il est vrai que les libertés sont solidaires et que l'atteinte à l'une est un premier pas fait vers les autres. Ainsi, l'asservissement de l'Eglise avait amené l'asservissement de la famille ; c'était la plus exécrable des tyrannies, celle dirigée contre la morale publique.
La suppression de l'action religieuse sur la société avait ramené le peuple révolutionnaire à la barbarie de la pire époque ; le règne de la Raison, déifié par la Convention, avait été un règne de sang et de terreur. Un seul résultat ressortait du mode adopté par la révolution française, la démonstration de son impuissance. Napoléon le comprit ; il voulut asseoir la société sur un système d'éclectisme prenant son origine dans l'action du passé, mais conservant en partie les idées révolutionnaires. L'Eglise fut rétablie, mais elle ne fut pas libre. L'instruction fut rétablie ; elle devait, aux termes du décret organique, avoir pour base les principes de la religion catholique et la fidélité à l'empereur, mais l'instruction ne fut pas libre. La charité fut rétablie, et ici Napoléon (page 148) lui-même comprit qu'il devait faire plus ; il acorda aux hospitalières des droits qu'il n'accordait pas à d'autres ; l'autorisation de constituer de personnes civiles. Ces droits furent maintenus et étendus par Guillaume dans la réintégration des anciennes bourses d'études et la fondation d'écoles primaires pour les pauvres.
La Loi Fondamentale des Pays-Bas confiait (article 228) aux soins de la Couronne les administrations de bienfaisance et l'éducation des pauvres ; elle investissait le Roi du droit de prendre toutes les mesures qui s'y rattachent, sauf à en rendre compte chaque année aux états généraux. « Peu de pays en Europe, disent les rédacteurs de la Loi Fondamentale, ont fait autant que nos provinces pour les classes indigentes ; peu ont autant d'établissements où la vieillesse et l'infirmité ont un asile, des secours, et la jeunesse pauvre une instruction gratuite. Le vif intérêt qu'inspirent à V. M. ces monuments de la piété de la charité chrétienne, de la bienfaisance de nos pères, est également indiqué comme un devoir de nos Rois. » En exécution du droit souverain que lui conférait la Loi Fondamentale, le roi Guillaume décréta le rétablissement des bourses d'études qui, sous l'empire, avaient été réunies aux bureaux des hospices ; il constitua des hospitalières et rétablit des écoles pour les pauvres, confiant souvent la disposition des fondations à l'Eglise, conformément aux volontés des fondateurs. Et les états généraux ratifièrent ces actes de respect pour les bienfaiteurs. Indépendamment de ces décrets particuliers, dont on contesterait vainement la valeur, le roi Guillaume, dans les règlements des villes, avait prescrit aux autorités communales de veiller au maintien des volontés des testateurs.
Il y avait donc eu, sous le régime hollandais, un nouveau pas fait en faveur de la liberté de la charité. Napoléon s'était éloigné de la Convention par la fondation des hospitalières ; le roi Guillaume avait été plus loin encore dans la voie de la liberté de la charité, par le rétablissement des fondations de bourses et d'écoles de pauvres.
Mais un cri de liberté s'était élevé d'un bout de la Belgique à l'autre ; le pays avait écrit sur ses drapeaux ces mots mémorables : Liberté, ordre public. La révolution se fit et donna à la Belgique nouvelle une nationalité, une constitution, une dynaste. Ici, une question se présente au sujet de la charité : La révolution belge de 1830 a-t-elle voulu restreindre les droits dont cette liberlt jouissait sous le gouvernement hollandais, rétrograder au svstèmo de la république française, ou bien a-t-elle voulu donner à la charité la liberté qu'elle accordait à toutes les facultés de l'homme ?
Pour quiconque veut jeter les yeux sur la Constitution, la réponse ne saurait offrir le moindre doute : la Constitution belge est la démolition complète, radicale, du système de la Convention.
La pensée de la Convention reposait sur cette maxime : Faire sans laisser faire ; c'était l'action de l'Etat en tout et par tout, la monarchie absolue de l'administration. La pensée de la Constitution belge est bien autrement large, elle se résume en ces mots : Faire et surtout laisser faire ; faire le moins possible, laisser faire beaucoup. La Constitution belge, c'est l'empire de la monarchie individuelle sous la plus faible action du pouvoir ; c'est la continuation de ce vieil axiome de notre droit public : Bourgeois est roi dans sa maison. Ainsi le système belge de 1830, c'est celui de 1792 renversé. Toutes les libertés que la Convention déniait au peuple et qui n'existaient ni sous l'Empire, ni sous le gouvernement hollandais, la Constitution les a consacrées, remplaçant le monopole administratif par la liberté, le despotisme de l'administration par l'action de tous, et appelant à l'aide de l'Etat toutes les forces vives qu'engendre la pensée chrétienne ou philosophique.
Si la Constitution n'a point proclamé en termes exprès la liberté de la charité, c'est qu'en 1830 personne n'eût pu soupçonner qu'il serait jamais nécessaire de proclamer une liberté si sainte. C'est d'ailleurs que la charité est une des vertus chrétiennes et que la liberté de l'Eglise, ayant pour conséquence la liberté des vertus dont elle impose l'exercice, l'émancipation de la religion proclamée par la Constitution belge, engendre nécessairement l'émancipation de la charité qui en est le corollaire. Car l'Eglise sans la charité, c'est une âme sans corps, un corps sans coeur ; elle ne pourrait pas plus exister sans charité que sans loi, et certes, le Congrès national, en proclamant la liberté de l'Eglise, n'a point voulu rétrograder à la Convention et revenir sur les progrès qu'avait faits la liberté de la charité sous Napoléon et sous Guillaume.
S'il pouvait exister le moindre doute à cet égard, on trouverait la preuve de la pensée de 1830, au sujet de la charité, et dans la loi communale, et dans les actes posés par le gouvernement belge lui-même jusqu'en 1847. Les articles 87 et 91 de la loi communale prescrivent le respect aux volontés des fondateurs et ordonnent à l'autorité locale de veiller à ce que les établissements communaux ne s'écartent pas de cette volonté. Rapporteur de la loi communale, je dois protester contre toute interprétation contraire.
Dans l'action de la charité, la volonté du fondateur s'exerce de deux manières : le but charitable qu’elle se propose et la main à qui la fondation est confiée. Sur le premier point, la loi communale (article 90) ordonne au corps échevinal de veiller à ce que les établissements publics de charité ne s'écartent pas de la volonté des fondateurs et testateurs. Sur le second, elle déclare (article 84) qu'il n'est point dérogé aux actes de fondation qui établissent des administrateurs spéciaux. « Dans beaucoup de communes, disait la section centrale pour la loi communale, sous prétexte d'amélioration à apporter aux établissements de charité, on a souvent méprisé les volontés des testateurs qui sont la loi des établissements. La section repousse hautement ce système ; elle pense qu'il faut en écarter la possibilité en établissant les régences elles-mêmes gardiennes de la volonté des testateur. » Et au sujet de l'article 84 elle disait : « Nous avons restreint le droit de nomination aux membres des bureaux des hospices et de bienfaisance, seules administrations fondées par la loi ; si, dans certains hospices, la volonté des fondateurs appelle certaines personnes à les administrer, cette volonté, qui est la loi des établissements, sera toujours respectée comme sacrée. » Telle est la pensée neltement formulée de la loi communale, le respect aux volontés du testateur qui sont la loi de l'établissement, ou que ces volontés se rapportent au but charitable de la fondation, soit qu'elles soient relatives à la main chargée de l'accomplir. Dans l'un et l'autre cas, cette volonté doit toujours êlre respectée comme sacrée. Le projet de loi que je présente aujourd'hui n'est que le développement de cette pensée.
Trois motifs nous ont porté à présenler ce projet de loi : 1° Certaines mesures administratives que l'on a prétendu fondées sur un texte de loi dont nous venons de donner la juste application. 2° L'urgence de régler par la loi cette question, attendu que les bienfaiteurs de l'humanité ne savent plus en quel sens ils peuvent exprimer leurs dernières volontés, ce qui amène la nécessité de faire disparaître les incertitudes. 3° L'intérêt public, en face du socialisme et de l'organisation du travail.
Les événements de 1848 ont révélé au monde les dangers que court la société en présence des doctrines socialistes, communistes et d'organisation du travail. A la société chrétienne a succédé la société administrative, qui, à son tour, a engendré, par une conséquence fatale, la société communiste. Plusieurs causes peuvent être assignées à la catastrophe de 1848, mais il en est une qui ne peut échapper à l'observateur attentif,, en ce que seule elle est commune aux pays où la révolution a éclaté : le monopole administratif de l'homme moral en dehors de l'action chrétienne, c'est à-dire cet ordre de choses qui substitue l'action de l'Etat, à l'action de la liberté et de la foi. Où la révolution de 1848 a-t-elle subitement éclaté ? En France, en Prusse, en Autriche, trois pays d'administration où l'Eglise n'était pas libre, l'instruction n'était pas libre, la charité sans liberté suffisante, et où l'homme moral était enrégimenté comme le corps du soldat. Où s'est-elle arrêté ? en Angleterre et en Espagne, pays dépourvus de centralisation administrative de l'homme moral ; en Belgique surtout, dans ce pays plein de sagesse, de foi et de liberté, placé au centre des ateliers révolutionnaires, mais où la Constitution et les lois organiques avaient entravé l'action de l'enrégimentation administrative de l'homme moral.
Ainsi, le monopole des intérêts moraux par l'Etat en dehors du principe religieux, a engendré fatalement le principe du socialisme, du communisme, de l'organisation du travail, comme cela devait être infailliblement. Le jour, en effet, où il n'y eut plus d'autre instruction que l'instruction de l'Etat, d'aulres pauvres que ceux de l'Etat, d'autre bienfaisance que celle de l'Etat, d'autres établissements de charité que ceux de l'Etat, on arriva à cette conséquence fatale, inévitable, que l'Etat doit à tout citoyen l'habit et l'aisance. Le monopole de la puissance administrative dans l'instruction et la charité, c'est le socialisme de l'homme moral, le socialisme pour moitié ; étendez, si vous êtes logiques, cette puissance au travail, et vous aurez le socialisme tout entier. Car le socialisme n'est autre chose que l'absolutisme de la puissance administrative ; son origine, l'administration de l'homme par l'homme, l'absorption de l'homme par l'Etat. Or, dans la situation actuelle de la société, il n'y a que deux résultats possibles, ou l'organisation du travail, ou la liberté de la charité, la liberté en tout et pour tous.
La pensée du monopole, bannie par notre Constitution, doit-elle donc exister en matière de charité ? Evidemment, c'est impossible. Dire que la Belgique de 1830 aurait voulu rétrograder aux maximes de la Convention, quant à l'homme moral, ce serait blasphémer notre glorieuse émancipation politique. Comment donc se fait-il que certains esprits puissent encore rêver cette réaction et entraver ainsi le libre exercice de la charité chrétienne ? Si l'homme est libre en Belgique, s'il est libre pour faire le mal, il doit être libre pour faire le bien, alors surtout qu'il s'agit de soulager le pauvre, de le secourir dans ses maux, de l'aider dans sa faiblesse.
Suffit-il, pour prévenir le socialisme, de jeter sur l'épaule du pauvre ce manteau de glace administratif que l'on appelle philanthropie, dont l'impuissance à combattre les doctrines subversives se révèle de plus en plus chaque jour, et d'entraver l'action de cette charité chrétienne qui partage avec celui qui a faim, qui pleure avec celui qui pleure, de cette charité au cœur chaud, qui verse du baume dans les plaies de l'âme, tout en soulageant les plaies du corps ? Demandez aux socialistes eux-mêmes devant qui ils se découvraient pendant la guerre civile ; ce n'était point devant les bureaux de bienfaisance, c'était devant les filles de Saint-Vin-cent-de-Paul. La question est donc entre le principe moral de 1793 et celui de 1830, entre la civilisation païenne et chrétienne, entre le monopole administratif et la liberté. Or, qui a le plus grand intérêt à cette liberté ? Avant tout, celui qui vit de la charité, c'est-à-dire le pauvre.
Ici, je rencontrerai une objection qui me sera faite : Vous allez multiplier les établissements de charité. Je réponds sans hésiter : Que vous importe si c'est pour les pauvres ? Auriez-vous donc peur que les pauvres soient trop soulagés ? Auriez-vous peur qu'ils soient trop secourus dans leur misère ? Entourez les fondations de charité de toutes les garanties de conservation compatibles avec l'impossibilité du despotisme administratif, je le désire. Mais ne venez pas opposer votre volonté à celle du bienfaiteur, substituer votre main, dont il ne veut pas, à celle qu'il a choisie pour son aumône. Pourquoi, dans ce pays de liberté, le curé, dépositaire successif de la foi, ne pourrait-il pas être, comme sous le roi (page 149) Guillaume, le dépositaire successif de l'aumône si telle est la volonté du testateur ? Pourquoi la fabrique de l'église ne pourrait-elle pas recevoir la donation pour une école destinée aux pauvres, si telle est la volonté du testateur ? Singulière inconséquence du système contre lequel je m'élève ! on verrait donc en Belgique l'établissement fondé pour la religion ne pouvoir faire un autre acte religieux que celui de sa fondation première ; il serait interdit à un établissement de charité d'exercer un autre acte de charilé ; il lui serait même interdit d'exercer les droits que la Constitution confère à tous les Belges !
L'impuissance de l'Etat pour guérir les plaies du socialisme est un fait reconnu par tous les esprits supérieurs. Aux dangers, qui minent la société, il n'est qu'un remède, un seul, le retour à la pensée chrétienne, à cette pensée sublime, qui, tout en commandant le respect de l'autorité et le sentiment, aujourd'hui si méconnu, du devoir, porte aux maux de l'âme des consolations dans le malheur et à ceux du corps des soulagements par la charité ; le seul remède est le retour à cette pensée, qui apprend au pauvre la consolation de la prière dans ses souffrances et ordonne au riche de prier et de donner au pauvre pour l'amour de Dieu. Si même une telle maxime n'était chrétienne, elle devrait être aujourd'hui le but des efforts des hommes d'Etat. Loin donc d'entraver l'action du christianisme dans la charité, laquelle seule peut sauver la société, les gouvernements doivent être heureux du concours que leur offre la charité chrétienne. Chaque plaie cicatrisée par elle, est un service rendu à la société. Mais pour arriver à ce résultat, une chose lui est avant tout nécessaire : la liberté de la charité.
Le respect pour la volonté du bienfaiteur, voilà le but du projet de loi ; c'est sur ce respect, commandé par la loi communale, que repose la liberté de la charité. Toute entrave à la liberté du bienfaiteur est interdite, soit qu'elle s'applique au but que la charité se propose, ou bien à la main à qui le soin de la donation est confiée. La volonté du donateur, qui est la loi de la fondation, sera donc toujours respectée et dans son but et dans la main qu'il a jugés digne de sa confiance. L'intervention de l'Etat se borne à deux choses, la moralité du but et l'intérêt des familles dans l'acceptation de la donation, conformément aux lois en vigueur ; le contrôle des dépenses pour empêcher que la fondation ne puisse être dissipée. Le premier soin appartient au gouvernement, le second est confié à la députation permanente du conseil provincial, comme c'est pour les bourses d'étude dont l'administration est le modèle que nous avons en vue. L'Etat a sa part, ses bureaux de bienfaisance et d'hospices ; la liberté aura la sienne, celle de la charité corollaire de la liberté religieuse.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre à vos délibérations repose sur une pensée trop importante, trop actuelle et trop grave pour n'être pas l'objet de votre sérieux examen. L'intérêt qui s'y rattache est avant tout l'intérêt de celui qui vit de la charité, c'est-à-dire du pauvre. Mais c'est aussi celui du bienfaiteur, dont l'action ne pourrait que se ralentir s'il n'était assuré de l'exécution de ses volontés. Heureusement, dans une matière aussi sainte, il ne peut y avoir de question de parti ; on a pu différer sur des questions d'interprétation légale, on ne peut différer sur le but d'humanité que tous nous désirons atteindre.
J'ai donc l'honneur de soumettre à la chambre le projet de loi dont la teneur suit :
« Proposition de loi.
« Considérant que la Constitution repose sur le principe de la liberté en tout et pour tous ;
« Considérant, qu'alors que toutes les facultés du citoyen y sont déclarées libres, l'exercice de la charité ne peut être asservi à une autre volonté que celle du bienfaiteur ;
« Considérant que la liberté de faire le bien intéresse avant tout ceux qui vivent de la charité, c'est-à-dire les pauvres ;
« Article unique. La charité est libre.
« Nul ne peut être entravé dans l'exercice de cette liberté.
« L'Etat n'a le droit d'intervenir que dans l'intérêt des familles ou de la morale publique, et seulement dans les cas et les limites fixés à cet effet par la loi.
« Toute administration de fondation de charité devra rendre son compte annuel à la députation permanente du conseil provincial.
« Fait au palais de la Nation, ce 16 novembre 1850. »
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, j'ouvrirai la discussion sur la prise en considération.
- Plusieurs membres. - Il faut fixer le jour de la discussion.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis prêt à discuter dès maintenant la proposition qui a été soumise à la chambre par l'honorable M. Dumorlier.
M. Lebeau. - Il faut néanmoins que la chambre fixe l'époque de la discussion.
Au reste, je ne m'oppose en aucune manière à ce que la discussion ait lieu maintenant. Je crois même que si l'on veut épargner les moments de la chambre et éviter une double discussion, ou pourrait joindre la discussion sur la prise en considération à la discussion déjà commencée sur le chapitre IX. Mais il faut une décision de la chambre ; il faut entendre les organes du gouvernement.
M. le président. - Si l'on propose de renvoyer la discussion à demain, je consulterai la chambre.
M. Jullien. - Je pense que la chambre ne peut pas immédiatement discuter la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Dumortier. Des développements fort longs ont été présentés par l'honorable auteur de la proposition. Il y a plus, l'auteur de la proposition en a changé les termes ; il l'a en quelque sorte amendée lui-même.
Je demande donc qu'avant d'aborder la discussion, la chambre ordonne l'impression des développements et de la nouvelle proposition.
M. Dechamps. - Je crois que l'honorable préopinant fait confusion : il suppose que nous avons à discuter maintenant la proposition de l'honorable M. Dumorlier ; or il s'agit maintenant de statuer sur la prise en considération et sur le renvoi aux sections ; il s'agit de savoir si la proposition est digne ou non de l'examen de la chambre. S'il y a opposition à la prise en considération (ce qui arrive bien rarement), je conçois qu'on ajourne la discussion. Mais si l'on était d'accord pour prendre la proposition en considération et la renvoyer aux sections, on pourrait statuer immédiatement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis aux ordres de la chambre. Je suis prêt, je le répète, à discuter dès maintenant la proposition de l'honorable M. Dumortier. Mais il est évident que la discussion sur la prise en considération se lie jusqu'à un certain point la discussion du fond. Il est indispensable que j'examine le fond même de la proposition pour appuyer mon opinion sur le point de savoir si la proposition doit ou non être prise en considération. Je dois donc aborder le fond de la question même.
Je désire que la discussion commence immédiatement, ou qu'elle ne soit remise qu'à demain.
M. Delfosse. - Il est certain que M. le ministre de la justice ou tout autre membre de la chambre a le droit d'être entendu soit pour, soit contre, soit sur la prise en considération de la proposition de M. Dumorlier.
C'est à M. le ministre de la justice à apprécier les motifs qu'il doit faire valoir dans le sens de son opinion, la chambre ne peut pas le circonscrire dans un cercle trop étroit.
On pourrait, comme l'honorable M. Jullien l'a proposé, faire imprimer la proposition de l'honorable M. Dumortier et les développements qu'il y a donnés. M. le ministre de la justice pourrait être entendu demain.
- La chambre consultée ordonne l'impression des développements de la proposition de M. Dumortier, et renvoie la discussion à demain.
La chambre reprend la discussion sur les articles du budget de la justice.
« Art. 35. Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Art. 34. Subsides : 1° à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d'aliénés ; 2° aux communes pour l'entretien et l'instruction des aveugles et sourds-muets indigents, dans le cas de l'article 131, n°17, de la loi communale ; 3° pour secours aux victimes de l'ophthalmie militaire, qui n'ont pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la guerre : fr. 85,000. »
- Adopté.
« Art. 35. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 145,000. »
- Adopté.
« Art. 36. Subsides pour le patronage des condamnés libérés : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Art. 37. Etablissements des écoles de réforme pour mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans.
« Charges ordinaires : fr. 132,285.
« Charges extraordinaires : fr. 142,715. »
- Adopté.
La chambre passe au chapitre X, Prisons.
M. Delfosse. - Je n'ai pu assister à la séance d'hier, mais j'ai vu avec plaisir par le Moniteur que M. le ministre de la justice, répondant à une interpellation de l'honorable M. de Perceval, a promis de déposer, dans le cours de cette session, un projet de loi destiné à mettre un terme aux abus de la détention préventive.
Je rappellerai à M. le ministre de la justice que son prédécesseur avait aussi promis de déposer, dans cette session, un projet de loi sur la contrainte par corps. La législation sur la contrainte par corps n'est plus en harmonie ni avec nos institutions ni avec nos mœurs ; elle est beaucoup trop dure.
La loi du 15 germinal an VI, qui nous était commune avec la France, a été modifiée dans ce dernier pays il y a un grand nombre d'années ; il est temps, il est plus que temps qu'elle le soit chez nous.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, un projet de loi sur la contrainte par corps est préparé depuis assez longtemps, mais ce projet se rattache à d'autres projets soumis à la chambre, et entre autres à celui qui étend la compétence des juges de paix aux matières commerciales.
J'aurai à examiner si ces projets seront maintenus, si j'en demanderai la discussion par la chambre, et ce n’est qu'après la décision qui aura été prise à cet égard, que je pourrai présenter un projet sur la contrainte par corps. Mais mon intention bien arrêtée est de saisir la chambre d'un projet de loi sur cette matière, dans le courant de cette session.
(page 150) « Art. 38. Frais d'entretien, d'habillement et de nourriture des détenus.
« Charges ordinaires : fr. 1,060,000.
« Charges extraordinaires : fr. 440,000. »
- Adopté.
« Art. 39. Gratifications aux détenus employés au service domestique : fr. 34,000. »
- Adopté.
« Art. 40. Frais d'habillement des gardiens : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art 41. Frais de voyages des membres des commissions administratives des prisons, ainsi que des fonctionnaires et employés des mêmes établissements : fr. 11,000. »
- Adopté.
« Art. 42. Traitement des employés attachés au service domestique : fr. 420,000. »
- Adopté.
« Art. 43. Frais d'impressions et de bureau.
« Charges ordinaires : fr. 10,000.
« Charges extraordinaires : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 44. Constructions nouvelles, réparations, entretien des bâtiments.
« Charges ordinaires : fr. 160,000.
« Charges extraordinaires : fr. 470,000. »
M. Loos. - Messieurs, la chambre est saisie, depuis l'année 1844, d'un projet de loi ayant pour objet l'introduction du système cellulaire dans nos prisons. J'ai, à différentes reprises, les années précédentes à interpellé le ministre de la justice sur ses intentions à cet égard. Les ministres précédents ont répondu qu'ils étaient aux ordres de la chambre pour commencer la discussion de ce projet. En attendant cette discussion, messieurs, le système cellulaire s'introduit dans les diverses prisons du pays.
Vous n'ignorez pas, messieurs, combien de temps la chambre française s'est occupée de cette question. Une discussion très longue s'est établie sur le point de savoir jusqu'à quel point ce système est efficace, jusqu'à quel point il convient de l'introduire.
Chez nous, au contraire, le système s'introduit sans que le projet soumis à la chambre ait été discuté. Que doit-il résulter de là ? C'est que quand, en définitive, nous discuterons le projet, le système sera déjà exécuté dans plusieurs prisons, et si la chambre n'approuve pas, il faudra refaire ce qui aura été fait avec beaucoup de frais.
Je désire donc que la chambre soit saisie du projet, qu'il soit mis à l'ordre du jour et que nous puissions le discuter le plus tôt possible, afin de savoir, une fois pour toutes, s'il faut modifier l'ancien système des prisons. Pour ma part, je me hâte de le dire, je suis grand partisan du système cellulaire et je désirerais le voir introduire dans le pays ; je désirerais surtout qu'on pût s'en occuper plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et on ne pourra le faire que lorsque le projet de loi aura reçu la sanction des chambres.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, lorsque je suis arrivé au département de la justice, j'ai trouvé un système établi, un ordre de faits suivi jusqu'alors ; il y aurait eu de ma part légèreté, imprudence à le modifier. Il y avait d'autant moins, pour moi, lieu de le faire, que le système cellulaire a reçu, au moins implicitement, l'approbation de la chambre, puisque la chambre a successivement voté des fonds pour l'établissement de prisons pénitentiaires. C'est une grave question de savoir si le gouvernement a pu légalement introduire ce système : il s'agit de l'exécution d'une peine, exécution qui n'a point été déterminée par le Code pénal et qui, dès lors, me semble être restée dans les attributions du pouvoir exécutif.
Je reconnais cependant avec l'honorable M. Loos, qu'il vaudrait mieux que la question fût résolue par la loi, et il n'a pas dépendu du gouvernement que la discussion n'eût lieu. Ainsi, en 1844, M. d'Anethan a déposé le projet de loi. Par suite de la dissolution des chambres, ce projet de loi est venu à disparaître. Ni mon prédécesseur ni moi ne l'avons représenté, mais il y a pour cela un motif très simple, c'est que l'année dernière la chambre a été saisie du titre premier du Code pénal, qui s'occupe précisément des peines et de la manière dont elles doivent être appliquées
Il dépend donc de la chambre de régulariser les choses quand elle le voudra. Elle est mise en position de s'expliquer sur la question de savoir si l'on introduira ou si l'on n'introduira point le système cellulaire. Le gouvernement n'a plus rien à faire, la chambre est saisie.
M. Loos. - Messieurs, j'accepte volontiers cet ajournement jusqu'à l'époque de la discussion du titre premier du Code pénal. Mais je ne pense pas qu'on puisse admettre l'opinion de M. le ministre de la justice qu'il appartient au pouvoir exécutif d'appliquer les peines. Oui, s'il s'agissait des peines comminées par le Code pénal. Mais il n'appartient pas au pouvoir exécutif de changer la nature des peines. Entre l'emprisonnement cellulaire et l'emprisonnement dans les conditions où se trouvaient les prisons lorsque le Code pénal a été rédigé, évidemment il existe une énorme différence : il n'est pas indifferent pour un condamné d'être mis en cellule pendant cinq ans ou de vivre en prison, en société avec d'autres malfaiteurs.
En France le Code pénal a été modifié ; en raison du régime nouveau introduit dans les prisons, il y aurait injustice à ne pas le faire dans notre pays.
- L'article 44 est mis aux voix et adopté.
« Art. 45. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions, charge extraordinaire : fr. 22,000. »
- Adopté.
« Art. 46. Traitement et frais de route du contrôleur des constructions dans les prisons, charge extraordinaire : fr. 5,500. »
- Adopté.
« Art. 47. Achat et entretien du mobilier dans les prisons. Frais de couchage des gardiens, des surveillants et des détenus : fr. 55,000. »
- Adopté.
« Art. 48. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 570,000. »
- Adopté.
« Art. 49. Gratifications aux détenus : fr. 165,000. »
- Adopté.
« Art. 50. Frais d'impressions et de bureau.
« Charges ordinaires : fr. 5,000.
« Charges extraordinaires : fr. 4,000. »
- Adopté,
« Art. 51. Traitements et tantièmes des employés : fr. 85,000. »
- Adopté.
« Art. 52. Autres mesures de sûreté publique : fr. 58,000. »
- Adopté.
« Art. 53. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000. »
- Adopté.
M. Thiéfry, questeur (pour une motion d’ordre). - Je crois devoir prévenir la chambre que les développements donnés, dans la séance de ce jour, par l'honorable M. Dumortier, à l'appui de la proposition de loi qu'il a déposée, ne pourront être imprimés que pour demain à midi, et que, dès lors, les membres de la chambre ne les auront en leur possession qu'au moment de l'entrée en séance.
J'ai cru devoir faire cette observation, parce que plusieurs honorables collègues supposaient que les développements pourraient être distribués ce soir.
M. Coomans. - Mais ils seront imprimés au Moniteur de demain matin.
M. Thiéfry. - Pardon ; ils ne pourront pas l'être pour demain matin ; les développements n'ont pas été sténographiés, et la copie remise par l'honorable M. Dumortier a été donnée à l'imprimeur de la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qu'on donne ce soir la copie au Moniteur.
M. Thiéfry. - Je ferai immédiatement chercher la copie chez l'imprimeur, et je l'enverai au Moniteur. (C'est cela !)
M. le président. - La chambre n'a introduit dans le budget de la justice que quelques légères modifications auxquelles le gouvernement s'est rallié ; l'assemblée entend-elle passer séance tenante au vote définitif ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
- La chambre confirme successivement les divers amendements qui ont été introduits dans le budget.
Le texte du budget est ainsi conçu :
« Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1851, à la somme de 12,054,099 fr. 55 c, conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget,, qui est adopté à l'unanimité des 62 membres qui prennent part au vote.
Ce sont : MM. de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Meester, de Mérode-Westerloo, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux Dumon (A.), Dumont (G.), Dumorlier, Frère-Orban, Jouref, Jullien, Julliot, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Liefmans, Loos, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (C), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande et Delehaye.
M. le président. - Messieurs, demain deux sections centrales se réuniront ; ce sont celle qui est appelée à examiner le budget des voies et moyens, et celle du budget des travaux publics : je proposerai de fixer la séance à deux heures.
- Adopté.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.