(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1267) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Diest prient la chambre d'adopter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »
« Même demande de plusieurs habitants de Heys-op-den-berg. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Cruyshautem prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou de le modifier profondément. »
« Même demande de plusieurs habitants de Melsele. »
- Même décision.
« Plusieurs habitants de Hombeeck prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »
« Même demande de plusieurs habitants de Ninove. »
- Même décision.
« Plusieurs gardes civiques de Bruxelles réclament l'intervention de la chambre pour que le règlement du 8 mars 1850, arrêté par le général commandant la garde civique de cette ville, soit retiré ou du moins considérablement modifié dans ses dispositions principales. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les administrateurs et directeurs des compagnies belges d'assurances contre l'incendie, établies à Anvers, présentent des observations contre le projet de loi relatif au droit de timbre et d'enregistrement des contrats d'assurances. »
- Sur la proposition de M. Osy, renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.
M. Lelièvre dépose un rapport au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la réduction de certaines pénalités en matière de timbre, d'enregistrement et de succession.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
M. Dequesne fait, au nom de la section centrale, le rapport suivant. (M. Dequesne étant atteint d'une extinction du voix, lecture du rapport fut donnée par M. Deliége).
Messieurs, la section centrale a examiné les divers amendements qui ont été présentés jusqu'ici, sur les quatre premiers articles du projet, et m'a chargé de vous faire part de ses résolutions.
Sur l'article premier un seul amendement a été présenté. C'est celui de l'honorable M. Orts.
La section, à l'unanimité, a été d'avis de remettre l'examen de cet amendement avec l'examen de ceux qui ont été proposés sur l'article 6.
Sur l'article 2, deux amendements ont été déposés, l'un par l'honorable M. de Brouckere, l'autre par l'honorable M. Osy.
L'amendement de M. de Brouckere a un double but :
Le premier est de séparer en deux les athénées, tels qu'ils sont constitués aujourd'hui, pour les villes de 80,000 âmes et au-dessus, et de placer dans des établissements distincts, la section des humanités, réglée par l'article 22 et la section professionnelle, régie par l'article 23 du projet.
Le second est de renvoyer, comme le demande également M. Osy, les écoles moyennes à la loi sur l'enseignement primaire.
Le projet fait droit, jusqu'à un certain point, à la première proposition de l'honorable M. de Brouckere. Le dernier paragraphe de l'article 21 dit formellement que les deux genres d'enseignement pourront être séparés. La différence entre les deux systèmes est que, dans l'un, la séparation est obligatoire et complète, tandis que dans l'autre, la séparation est facultative et restreinte seulement au personnel enseignant, sans l'étendre au personnel administratif, le bureau et le directeur des études restant communs. La section centrale a trouvé que ce dernier système était préférable en ce qu'il était plus économique et allait au-devant des craintes manifestées par l'honorable auteur de l'amendement, en ce qui concerne l'égalité d'importance qui, selon lui, doit être donnée aux deux enseignements.
Quant au classement des écoles moyennes que les deux auteurs de la seconde proposition voudraient placer dans l'enseignement primaire, la section centrale, par six voix contre une et une abstention, a cru devoir persister dans l'opinion qu'elle avait émise primitivement et dont le rapport a développé les raisons. Elle continue à penser que ces écoles sont plus convenablement placées dans l'enseignement moyen dont elles forment le premier échelon, que dans l'enseignement primaire dont il importe de bien fixer le programme et la limite; en cela, elle est d'accord avec les hommes les plus compétents qui ont écrit sur l'instruction et ce qui se passe dans beaucoup de pays, ainsi d'ailleurs qu'on l'a déjà fait remarquer dans la discussion générale. Elle a reconnu, en outre, que l'article 8, en attribuant aux ministres du culte le droit de donner ou de surveiller l'enseignement religieux, leur laissait tous les moyens nécessaires pour diriger et inspecter convenablement, dans ces établissements, l'instruction élémentaire qui s'y donne des préceptes de la religion.
Enfin, elle a pensé qu'il convenait de régulariser et de rendre uniforme la position d'écoles identiques dont les unes, les écoles industrielles et commerciales, sont actuellement sous le régime de l'enseignement moyen et les autres sous le régime de l'enseignement primaire.
Sur l'article 3, deux amendements ont été soumis à la chambre, l'un de M. Toussaint, réduisant le nombre des athénées à cinq, et l'autre de M. Osy, les portant à trois; dans le sein de la section centrale, cet honorable membre a proposé de les porter à quatre, dont deux pour les provinces flamandes, et deux pour les provinces wallonnes.
La section centrale a repoussé ces deux amendements par les raisons qui ont été données dans la discussion et que chacun de nous a encore (page 1268) présentes à la mémoire; le nombre fixé par le projet correspond au nombre de nos provinces. Le Hainaut seul fait exception, mais la population de cette province, les positions acquises, l'importance presque égale des deux villes qu'il s'agit de doter d'un athénée, suffisent pour justifier complètement cette exception.
Sur l'article 4, la section centrale, à la majorité de six voix contre une, a pensé que si les communes ont le droit de fonder des pensionnats aux termes de la loi communale, il n'est pas inutile cependant d'insérer ces dispositions pour le cas où il s'agirait d'établir un pensionnat dans les locaux remis par la commune au gouvernement pour l'établissement de l'athénée.
Elle a, en conséquence, rejeté l'amendement que l'honorable M. de Brouckere a proposé sur cet article.
La discussion est ouverte sur l'article premier dont la section centrale proposé l'adoption, et sur l'amendement proposé par M. Orts, dont la section centrale propose de renvoyer la discussion à l'article 6. L'article premier est ainsi conçu :
« Art. 1er. Les établissements d'instruction moyenne organisés sur les bases ci-après et dépendant soit du gouvernement, soit de la commune ou de la province, sont soumis au régime de la présente loi.
« Les établissements fondés par les particuliers ou les associations, sans le concours d'une autorité constituée, appartiennent à l'instruction privée. »
M. le président. - Les amendements, ayant été renvoyés à la section centrale, sont considérés comme appuyés. La discussion est ouverte sur l'article premier. Je rappelle que la discussion générale est close et que la discussion doit porter uniquement sur l'article premier.
M. Moncheur. - Je renonce, pour le moment, à la parole.
M. Dumortier. - Si c'est pour moi qu'est faite l'observation de M. le président, je renoncerai aussi à la parole ; car, pour moi, l'article premier c'est la loi. Dès lors j'aurais besoin, pour l'examiner et le développer, d'entrer dans quelques petites explications.
M. le président. - L'observation que j'ai faite ne s'applique pas plus à M. Dumortier qu'aux autres orateurs. Mais je pense que l'intention de la chambre, en clôturant la discussion générale, a été de restreindre dorénavant le débat à la seule discussion qui se rattache aux articles mêmes.
M. Dumortier. - Alors, quant à moi, je ne prends pas la parole, parce que, pour ne pas pouvoir développer ma pensée comme je la conçois, j'aime mieux laisser au pays l'appréciation du fait qui m'a empêché de parler.
M. le président. - La parole est à M. de Mérode.
M. de Mérode. - L'article premier est la première pierre d'un édifice parfaitement comparable à la tour de Babel, érigée par l'orgueil humain et qui ne produisit que la confusion des langues.
Des fondements de la construction que l'on prétend nous faire élever en l'honneur de la science purement humaine, naîtra la confusion des idées et des systèmes qui conduisent à sa perte la société.
Et, remarquez-le, messieurs, c'est à l'aide de l'ambiguïté et de la confusion du langage aussi que l'on fait valoir le plan de cette Babel contre laquelle je m'élève et que je cherche consciencieusement à vous dissuader de bâtir.
Pour parvenir à cet honorable but, je me suis servi de raisonnements simples, faciles à comprendre ; j'ai soigneusement évité toutes locutions inintelligibles ou à double sens.
M. le président. - M. le comte de Mérode, vous rentrez dans la discussion générale.
M. de Mérode. - L'article premier soumet une quantité d'établissements à un arbitraire ministériel, et c'est cet article premier que je combats. Je n'en ai pas pour bien longtemps à parler ; en cinq ou six minutes j'aurai terminé.
M. le président. - L'article premier ne fixe pas le nombre des établissements. Voici cet article :
« Les établissements d'instruction moyenne organisés sur les bases ci-après et dépendant soit du gouvernement, soit de la commune ou de la province, sont soumis au régime de la présente loi.
« Les établissements fondés par les particuliers ou les associations, sans le concours d'une autorité constituée, appartiennent à l'instruction privée. »
M. de Mérode. - Eh bien ! les établissements sont soumis au régime d'une loi très arbitraire et que je combats. Cet article, je veux voter contre.
M. le président. - La loi n'est pas encore faite; si vous le croyez utile, demandez que l'article premier soit réservé jusqu'à la fin de la discussion et développez cette idée comme vous l'entendrez.
M. de Mérode. - Je ne sais pas comment elle sera faite; c'est pourquoi je combats l'article premier.
Si l'on ne veut pas me laisser parler, je me résigne. Je ne puis forcer la chambre à m'écouter. Tout ce que je puis dire, c'est que je ne veux pas rentrer dans la discussion générale ; je me borne à quelques observations très courtes sur l'article premier.
Si M. le président veut me maintenir la parole, je continuerai.
M. le président. - Le président ne vous retire pas la parole; mais d'après la décision de la chambre, qu'il doit faire respecter, il ne peut certes pas permettre qu'on rentre dans la discussion générale.
M. de Mérode. - Alors il est impossible de rien dire. C'est comme si l'on décidait qu'il est interdit de parler.
M. le président. - Permettez-moi une observation qui doit servir, ce me semble, de règle dans toute la discussion. Je viens de lire l'article premier. Quels sont les motifs pour lesquels l'un ou l'autre orateur s'oppose à l'article premier ? Voilà la question à laquelle doit se borner la discussion pour le moment.
M. de Mérode. - Ce sont précisément les motifs qui me font rejeter l'article premier que je veux donner.
M. le président. - Si ce sont ces motifs que vous voulez faire valoir, vous êtes dans la discussion, et la parole vous est continuée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vos observations s'appliquent à tous les articles.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole sur l'article premier?
M. de Mérode. - C'est inutile; on ne peut pas demander la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens à constater que la discussion de cette loi importante n'a été gênée en aucune manière; qu'un grand nombre d'orateurs ont été entendus; qu'un champ immense a été ouvert à la discussion, que la discussion générale a duré plus de quinze jours. Ce serait donc à tort qu'on se plaindrait de ne plus pouvoir parler d'une manière générale sur la loi. Du reste, les observations de l'honorable M. de Mérode pourront se présenter à l'article 8.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis pas laisser sans réponse ce que vient de dire l'honorable ministre de l'intérieur. Il est certain que dans la séance d'hier on a clos la discussion sans nous permettre de répondre à un discours dans lequel l'honorable M. Devaux nous avait prêté les sentiments, je dirai le mot, les plus odieux. On a été jusqu'à nous prêter le désir de supprimer la Constitution, de supprimer la liberté de la presse, On a dit que, dans notre opinion, il y a trop longtemps que nous nous appelons Belgique. Et il nous a été interdit de répondre à des accusations si violentes. J'avais demandé la parole dans l'intention de prendre ma défense personnelle et celle de mes amis contre de pareilles accusations. Je tiens à constater qu'on ne nous a point permis de parler. Le pays en jugera.
M. le président. - Encore une fois, ne confondons pas la discussion générale avec la discussion des articles. Dans la discussion générale, qu'a-t-on fait jusqu'à présent? On s'est occupé du système de la loi dans son ensemble; on a traité toutes les questions qu'elle soulève. Cette discussion a été assez longue; elle a duré plus de quinze jours Maintenant, messieurs, nous allons nous occuper de chacun des articles en particulier et chacun de ces articles pourra être l'objet d'une discussion spéciale. En effet, s'agit-il du nombre des collèges, de la question qu'on appelle la question du monopole, la discussion sera ouverte sur ce point; s'agit-il de la liberté communale, la discussion comprendra tout ce qui se rattache à cette liberté; s'agit-il de la question religieuse, toute latitude sera donnée à cet égard aux orateurs. Tons ces points seront successivement soulevés, et je ne doute aucunement que M. de Mérode ne trouve le moyen de placer ses observations à l'occasion de l'un ou de l'autre des articles qui vont être discutés. La seule différence entre la discussion qui a été close hier et celle qui va commencer, c'est que cette dernière sera spéciale à chacun des articles, tandis que la première embrassait l'ensemble.
M. Delfosse. - M. Dumortier prétend que la discussion n'a pas été entièrement libre, parce qu'il n'a pas pu répondre à M. Devaux ; mais aucun de nous n'a eu la parole deux fois. Si M. Dumortier avait pu répondre à M. Devaux, j'aurais pu demander à répondre à M. Dedecker, à M. Dechamps ou à M. de Theux , et à d'autres encore ; chacun de nous aurait pu faire la même demande ; mais alors la discussion générale, qui a duré deux semaines et demie, aurait duré longtemps encore ; nous serions arrivés à l'époque où la session doit nécessairement être close, et la loi n'aurait pas été votée.
Le résumé de ce que M. Dumortier vient de dire, c'est qu'il a parlé le premier et qu'il aurait dû parler le dernier; il aurait eu le premier et le dernier mot. J'ai toujours beaucoup de plaisir à entendre M. Dumortier, mais cette fois c'était impossible.
M. Dumortier. - Si l'honorable M. Delfosse n'a point répondu aux honorables MM. Dechamps, Dedecker et de Theux, plusieurs de ses honorables amis ont répondu à ces orateurs; mais aucun de nous n'a pu répondre à l'honorable M. Devaux, qui est, de tous les députés favorables à la loi, celui qui a lancé contre nous les accusations les plus contraires à la vérité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les plus justes.
M. Dumortier. - Eh bien, je demande la parole pour répondre à M. le minisire des finances, il est impossible que l'on tolère de pareilles choses. Comment! les plus justes! Lorsqu'on a dit que, d'après nous, il y a trop longtemps que nous nous appelons Belgique. Eh bien, M. le ministre, qui m'avez interrompu, où étiez-vous quand nous constituions la (page 1269) Belgique? Nous étions, nous, dans les rangs de ceux qui constituaient la Belgique, et il ne vous sied pas de venir trouver justes des observations qui nous accusent de regretter qu'il y ait une Belgique. Je proteste de toutes mes forces, tant en mon nom qu'en celui de mes amis, contre de telles accusations.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole.
M. le président. - Si MM. les ministres vont parler, on voudra leur répondre, et je ne pourrai pas refuser la parole aux membres qui la demanderont.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le président, je pense que la parole ne peut pas m'être refusée.
M. le président. - Vous l'avez de droit.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le sais, M. le président, mais je ne la réclame pas cette fois à titre de droit, c'est à titre de justice. L'honorable M. Dumortier, avec une assurance qui ne peut être comparée qu'à son ignorance de ma situation, vient me demander ce que je faisais, lorsque, lui, constituait la Belgique...
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit que j'avais constitué la Belgique; j'ai dit que j'avais contribué à la constituer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'avais pas même alors l'âge qui me permît de prendre part aux affaires publiques, je n'étais pas né à la vie publique; mais quoique je ne fusse pas né à la vie publique, je faisais volontairement le service dans ma ville natale, pour y maintenir l'ordre et la tranquillité.
M. de Mérode. - Messieurs, je veux bien renoncer à la parole sur l'article premier; mais ce que j'ai à dire ne peut se rapporter qu'à l'article premier ou à l'article 3. Je demanderai donc à la chambre la permission de parler sur l'article 3.
M. le président. - Je vous inscris sur l'article 3.
Nous revenons à l'article premier et à l'amendement de M. Orts, dont la section centrale propose d'ajourner l'examen à l'article 6.
- La chambre, consultée, renvoie l'examen de l'amendement de M. Orts à l'article. 3.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la section centrale a proposé le retranchement du paragraphe 2 de l'article premier. Nous ne faisons pas la moindre difficulté à nous rallier à cette suppression. Je tiens seulement à dire quelques mots pour justifier ce paragraphe.
Le paragraphe 2 avait pour but de faire bien comprendre que la loi ne s'applique en aucune manière à l'enseignement libre; qu'elle n'avait pour but que de régler l'enseignement public donné aux frais de l'Etat; c'était en quelque sorte une garantie de plus accordée à la liberté d'enseignement; la loi déclarait qu'elle n'avait pas mission de régler cette liberté.
Voilà quelle était la signification du paragraphe 2. Il demeure bien entendu que nous ne réglons par la loi que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat, et que nous laissons la liberté d'enseignement entièrement en dehors des prescriptions de la loi.
- L'article premier, tel qu'il est proposé par la section centrale, est adopté.
« Art. 2. Les établissements du gouvernement sont de deux degrés :
« 1° Les écoles moyennes supérieures, sous la dénomination d'athénées royaux;
« 2° Les écoles moyennes inférieures dans lesquelles seront comprises les écoles primaires supérieures ainsi que les écoles connues actuellement sous la dénomination d'écoles industrielles et commerciales ; elles porteront le titre d'écoles moyennes.
« L'école moyenne peut être annexée à l'athénée. »
Deux amendements ont été proposés à cet article; l'un par M. de Brouckere, l'autre par M. Osy.
M. de Brouckere propose de rédiger l'article 2 ainsi qu'il suit :
« Les établissements du gouvernement sont de deux espèces :
« 1° Les athénées royaux;
« 2° Les écoles royales d'industrie et de commerce.»
M. Osy propose de supprimer le n°2° de l'article 2. La discussion est ouverte sur l'article 2 et sur les deux amendements y relatifs.
M. Liefmans. - Il me semble que, parmi les propositions faites par M. de Theux, il en est une qui se rapporte à l'article 2.
M. le président. - Il n'y a pas eu de propositions déposées par M. de Theux.
M. Liefmans. - Il me semble qu'il avait été entendu que M. de Theux déposerait des amendements.
M. le président. - M. de Theux a terminé son discours par des conclusions ; il a exprimé le vœu que le gouvernement fît des propositions dans le sens de ses conclusions, et il s'est réservé son vote.
M. de Theux. - En effet, je n'ai pas proposé d'amendements; j'ai indiqué les modifications qui, dans ma pensée, devaient être apportées au projet de loi, mais je n'ai pas annoncé l'intention d'en proposer; au reste il n'était pas nécessaire d'en présenter à l'article dont il s'agit, l'honorable M. Osy en ayant formulé un qui rentre dans ma manière de voir. Il a pensé qu'il fallait laisser les écoles primaires supérieures sous le régime communal ou celui de la loi d'instruction primaire. J'ai pensé qu'il fallait laisser les écoles industrielles et commerciales sous le régime communal, ou que si, par concession, on voulait accorder au gouvernement des établissements modèles on pourrait l'autoriser à en établir dix.
La proposition de M. de Brouckere rentre dans la seconde partie de mon dilemme.
M. Osy. - Je ne rentrerai pas dans la discussion générale, mais il me sera permis de dire que si je suis opposé à la loi qui nous occupe, si je propose des amendements, c'est par conscience et non dans un intérêt électoral, comme nos adversaires l'ont répété plusieurs fois.
J'ai proposé de supprimer le n°2° de l'article 2, parce que je veux maintenir toute la loi d'instruction primaire, jusqu'à la révision qu'on nous a annoncée. J'ai dit, dans la discussion générale, que mon opinion était que le gouvernement proposait de faire passer les écoles primaires supérieures dans la loi actuelle, pour les soustraire à l'inspection religieuse consacrée dans la loi de 1842.
Je ne me suis pas caché sur ce que je ferais si on proposait la révision de la loi de 1842; j'ai annoncé que je combattrais toute modification aux articles 6, 7, 8 et 9 qui ont rapport à l'inspection ecclésiastique.
C'est à cette inspection qu'on doit la bonne instruction religieuse des écoles primaires et le concours du clergé; si nous donnions les mêmes garanties pour l'instruction moyenne, nous obtiendrions le même résultat, que je ne trouve pas certain si on adopte la loi telle qu'elle est proposée.
Dans la discussion générale, M. le ministre de l'intérieur m'a fait une grande concession : il s'est rallié à ma proposition; mais la section centrale ne l'admet pas. Nous verrons si M. le ministre maintient ce qu'il a dit en me répondant, ou s'il se rallie à la section centrale, qui rejette mon amendement.
J'avais dit que le n°2° de l'article 2 avait été inséré dans la loi pour soustraire les écoles primaires supérieures à l'inspection religieuse; M. le ministre ne m'a pas répondu catégoriquement, mais voici la réponse que m'a faite M. le ministre de l'intérieur :
« Appelez ces écoles comme vous voudrez, mettez-les où vous voudrez, peu importe, pourvu que vous fournissiez à certaines communes des écoles autres que de petits collèges latins et grecs, des écoles où la petite bourgeoisie, l'artisan, le fils du modeste employé puissent recevoir l'instruction appropriée à leur condition, à leurs besoins. Je le répète, peu importe que vous mettiez ces établissements dans la loi de l'enseignement primaire ou dans celle de l'enseignement moyen, pourvu que, par son programme, l'école réponde à ce but si utile, c'est tout ce que nous voulons.
« Mais si vous rendez ces établissements à l’enseignement primaire, alors, dans l'intérêt de la liberté communale, rendez-les au moins telles que nous voulons les constituer; rendez-les avec les attributions que nous donnons aujourd'hui à la commune; rendez-les, accompagnées du bureau d'administration qu'elles n'ont pas et que nous voulons leur donner. »
Vous voyez quelle est la déclaration du ministre. Il a dit : Mettez-les où vous voudrez, moyennant qu'elles soient dépendantes du bureau que nous créons à l'article 12. Or, par mon amendement, je propose la suppression du paragraphe 2, et à l'article 12 je propose que le bureau ait le contrôle des écoles primaires supérieures. Ainsi je suis d'accord avec M. le ministre de l'intérieur. Je crois donc que j'aurai son concours plein et entier.
Voilà la raison principale pour laquelle je propose la suppression du paragraphe 2; nous laissons tout intact jusqu'à la révision de la loi. Alors nous verrons si le but qu'on ne veut pas avouer aujourd'hui est réellement d'ôter l'inspection. Quant à moi, je ne l'ôterai pas.
J'espère que M. le ministre voudra bien s'expliquer, et qu'il ne se ralliera pas au rapport fait par la section centrale dans la séance de ce jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je commence par repousser de la manière la plus formelle la supposition de l'honorable M. Osy, en ce qui concerne les motifs qui nous ont engagé à transférer les écoles primaires supérieures de la loi sur l'enseignement primaire à la loi sur l'enseignement moyen. L'honorable membre, dans une supposition très peu bienveillante et très légère , pense que le gouvernement a voulu soustraire ces établissements à la surveillance du clergé. Mais est-ce, par hasard, que la loi sur l'enseignement moyen ne comprend pas la surveillance du clergé? Est-ce que le clergé est exclu des établissements d'enseignement moyen? Est-ce qu'il n'y sera pas appelé, et à un titre plus honorable pour lui que celui que lui confère la loi sur l'enseignement primaire? Est-ce que le régime appliqué par la loi sur l'enseignement moyen ne sera pas parfaitement applicable à la loi sur l'enseignement primaire? Sans doute, en raison de la nature même de l'instruction, le clergé devra exercer une surveillance plus active, plus soutenue sur l'enseignement religieux de l'école primaire. Mais le mode de surveiller ne différera pas, qu'il s'agisse de l'instruction primaire ou de l'instruction moyenne.
Ainsi laissons donc cette hypothèse. Nous désirons le concours du clergé aussi bien dans l'enseignement moyen que dans l'enseignement primaire. Nous ne comprenons pas comment le clergé pourrait diviser son concours : le donner à l'enseignement primaire: le refuser à l'enseignement moyen. Si le clergé est d'accord avec l'Etat, cet accord sera complet, aussi bien sur l'une branche d'enseignement que sur l'autre. Nous ne pouvons supposer le concours d'un côté et de l'autre un refus de concours. Nous espérons que le concours sera complet sur les deux branches d'enseignement.
La supposition contraire, nous la repoussons comme injurieuse pour le clergé lui-même.
Maintenant l'honorable M. Osy dit que je me suis rallié à sa proposition. Mais il n'avait pas fait de proposition, lorsque j'ai pris la parole. Il (page 1270) est curieux de savoir si je vais opérer un revirement d'opinion. Je désire beaucoup que les revirements d'opinion ne soient pas plus fréquents chez mon honorable contradicteur que chez moi.
M. Osy. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas de moi que viendront les attaques. Je tâcherai de conserver la modération ; je tâcherai de la conserver jusqu'au bout, quelles que soient les attaques qui nous sont adressées. Mais quant aux suppositions injurieuses, je ne puis les tolérer.
Ce sont des motifs pratiques qui nous ont engagé à placer dans la loi sur l'enseignement moyen les écoles primaires supérieures, les écoles industrielles et commerciales et tous les établissements qui donnent un enseignement conforme au programme de ces écoles. L'idée n'a rien de très neuf. Nous n'en sommes pas les inventeurs.
Dans le premier projet de loi d'enseignement moyen préparé par le ministère de MM. Van de Weyer, Malou et Dechamps, voici ce que lis :
« Le gouvernement est autorisé à ériger, avec le concours des communes, des écoles primaires supérieures ou des écoles industrielles et commerciales, dans toutes les villes qui, par suite de la nouvelle organisation, n'auraient plus le droit d'entretenir un collège. »
Voilà ce que demandait le projet préparé par M. Van de Weyer. Il ne limitait pas le nombre des écoles moyennes. Il demandait pour le gouvernement, l'autorisation d'établir des écoles moyennes dans toutes les villes où il n'existe pas un athénée ou un collège. Il pouvait aller beaucoup plus loin que nous encore, puisque nous en restreignons le nombre à 50.
J'ai décomposé ce nombre. J'ai dit qu'il comprend les écoles primaires supérieures, plus 12 écoles industrielles et commerciales fondées administrativement en dehors de la loi sur l'instruction primaire et en l'absence de la loi sur l'enseignement moyen. On ne peut leur appliquer aucun régime; il faut bien déterminer les règles auxquelles elles seront soumises. Nous proposons de les comprendre dans l’enseignement moyen du degré inférieur.
Tous ceux qui se sont occupés de ces matières, ont reconnu que les écoles primaires supérieures appartiennent plutôt à l’enseignement moyen qu'à l'enseignement primaire.
Au fond, voici ce que j'ai dit : que vous mettiez ces établissements dans une loi ou dans une autre, dans un volume ou dans un autre, cela ne changera rien à leur but. Si ces écoles sont de l'enseignement moyen, elles conserveraient ce caractère, alors même que vous les placeriez dans la loi sur l'enseignement primaire; si elles sont de l'enseignement primaire, elles resteront de l'enseignement primaire alors même que vous les placeriez dans la loi sur l'enseignement moyen.
J'ai fait observer que le projet de M. Van de Weyer faisait rentrer les écoles primaires supérieures dans l'enseignement moyen.
Tous ceux qui ont écrit sur cette matière ont été d'avis que, par leur objet ces écoles, qu'on appelle improprement écoles primaires supérieures, appartiennent plutôt à l'enseignement moyen qu'à l'enseignement primaire.
J'ai fait inspecter par des hommes compétents au point de vue industriel, les collèges, les athénées, les collèges et les écoles industrielles, établies dans quelques localités. Les deux inspecteurs (hommes pratiques très éminents, l'un professeur de l'université de Liège, l'autre directeur de l'école industrielle de Gand), tous deux, sans s'être concertés, ont conclu au transfert des écoles primaires supérieures sous le régime de la loi sur l'enseignement moyen.
Voici ce que dit l'un des deux inspecteurs :
« Appuyé d'une part sur les faits, guidé de l'autre par la conception des nécessités sociales, je tâcherai de dégager les principes qui doivent, dans notre pays, présider à l'établissement de ce que j'appellerai les écoles moyennes.
« Et d'abord, d'après les faits exposés plus haut, se présente l'impérieuse nécessité de scinder l'enseignement moyen en deux divisions bien caractérisées, dont l'inférieure satisferait aux légitimes exigences de la partie la plus nombreuse de la bourgeoisie, en même temps qu'elle servirait, pour les familles plus aisées, de préparation à la division supérieure.
« Dans ma pensée, la division inférieure aurait en vue le même objet que les écoles primaires supérieures; mais elle en différerait en ce que l'enseignement serait plus complet, en ce qu'elle ne serait pas une impasse comme les écoles primaires supérieures actuelles, qui ne conduisent directement à aucun enseignement plus élevé. Au contraire, les élèves qui, par leur aptitude ou leur position de fortune, seraient appelés à faire des études plus étendues trouveraient la continuité de l'enseignement dans la division supérieure des écoles moyennes.
« Il faudrait pour cela faire rentrer les écoles primaires supérieures, convenablement organisées, dans l'enseignement moyen professionnel, dont elles formeraient le premier degré. De cette manière, on obtiendrait l'enchaînement régulier des études, et la loi sur l'instruction primaire, débarrassée des écoles primaires supérieures, gagnerait en simplicité et en facilité d'exécution.
« La division supérieure des écoles moyennes serait destinée à compléter l'instruction générale et professionnelle des jeunes gens appartenant .au commerce, à l'industrie, etc. »
Voilà l'opinion toute désintéressée d'un homme spécial qui avait été chargé d'inspecter les écoles au point de vue industriel.
Je citerai maintenant l'opinion du professeur qui avait été chargé d'inspecter les écoles industrielles et commerciales, celles qu'on avait établies dans certaines localités qui n'avaient pas droit à ces écoles, en vertu de la loi sur l'instruction primaire.
« La haute et incontestable utilité des écoles commerciales et industrielles, établies sur le pied de celles de Visé et de Thuin, ne peut être méconnue, et je pense, M. le ministre, que l'instruction des classes moyennes de la société ne sera assurée et dirigée dans une vue normale que lorsque ces écoles auront remplacé, dans toutes les localités secondaires,, les soi-disant collèges où les élèves restent étrangers à tout ce qui, plus tard, formera leur profession, et ne reçoivent pas même assez d'instruction classique et littéraire pour entrer avec quelques chances de succès dans les classes inférieures des athénées. Les Flandres particulièrement, M. le ministre, recueilleraient un immense bienfait de ces écoles où se développerait, dans un sens vraiment pratique, l'intelligence de nos populations quasi rurales, privées en grande partie jusqu'aujourd'hui, il faut bien l'avouer, de cet esprit d'examen et d'entreprise qui aide si puissamment au développement du bien-être matériel. »
C'était le directeur très distingué de l'école industrielle de Gand, qui nous soumettait ces observations.
J'aime, messieurs, à emprunter mes observations à des hommes pratiques, à des hommes de science du pays. Si je voulais citer l'opinion des autres pays, l'opinion de M. Cousin, l'opinion de M. Guizot, l'opinion de M. Saint-Marc Girardin, vous verriez que tous s'accordent à présenter les écoles moyennes, que nous avons appelées écoles primaires supérieures, comme sortant par leur objet de l'enseignement primaire.
L'enseignement primaire, c'est l'enseignement universel, destiné à tous. L'enseignement moyen inférieur s'adresse déjà à d'autres classes, à d'autres besoins. Lire, écrire et compter, voilà, messieurs, en trois mots le programme de l'enseignement primaire proprement dit. Du moment que vous sortez de ce programme, vous entrez dans un ordre nouveau d'idées; vous entrez dans un autre ordre d'intérêts; vous passez à un autre genre d'enseignement; vous entrez dans l'enseignement moyen, dans le premier degré de l'enseignement moyen.
Voilà, messieurs, les motifs, les seuls motifs qui nous ont engagés à faire rentrer dans la loi d'enseignement moyen un genre d'enseignement qui ne nous a pas paru appartenir à l'enseignement primaire.
Qu'arriverait-il, messieurs, si nous ne touchions pas aux écoles primaires supérieures qui sont aujourd'hui réglées par la loi d'enseignement primaire? Vous avez, en outre, 12 écoles industrielles et commerciales ; veuillez me dire où vous les placeriez. Ce sont 12 écoles absolument de la même nature, réglées par le même programme. Les rattacherez-vous à la loi d'enseignement primaire? Mais vous allez toucher à cette loi. Ne vaut-il pas mieux régler cet enseignement, qui, d'après nous, entre dans l'enseignement moyen, par la loi que nous faisons actuellement?
Ces écoles primaires supérieures, messieurs, ont été dénaturées. Elles répondaient à des besoins tellement marqués qu'elles ne sont pas restées ce que les avait faites la loi d'instruction primaire.
Ainsi vous avez de ces écoles auxquelles on a adjoint des classes latines. Est-ce que vous me direz que la loi sur l'enseignement primaire suppose des écoles primaires avec des classes latines? Non, messieurs; mais c'est qu'on a reconnu que, pour certaines localités, il y avait nécessité d'agrandir cet enseignement; que ce n'était plus de l'enseignement primaire qu'il pouvait s'agir; qu'il fallait procurer aux populations un enseignement plus élevé.
De même, plusieurs de nos écoles commerciales et industrielles ont des branches qui sortent évidemment aussi de l'instruction primaire.
Vous, messieurs, le programme des écoles primaires supérieures tel qu'il résulte de la loi sur l'instruction primaire. Le voici :
« Outre les objets énoncés dans l'article 6 qui règle l'enseignement primaire proprement dit, l'enseignement dans les écoles primaires supérieures comprend :
« 1° Les langues française et flamande, et au lieu de celle-ci, la langue allemande dans la province de Luxembourg;
« 2° Le dessin , principalement le dessin linéaire, l'arpentage et les autres applications de la géométrie pratique ;
« 3° Des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie;
« 4° La musique et la gymnastique ;
« 5° Les éléments de la géographie et de l'histoire, et surtout de la géographie et de l'histoire de la Belgique. »
Eh bien, dans plusieurs écoles primaires supérieures, on enseigne l'anglais, l'allemand, la géométrie, l'algèbre, le latin, le droit commercial. Rien à cet égard n'est réglé; il y a une véritable confusion ; il y a une tendance, une tendance très marquée à faire sortir ces écoles primaires supérieures de l'enseignement primaire, parce que les besoins des localités où ces écoles sont établies, l'exigent ainsi.
Je dis, messieurs, que si vous laissiez dans la loi sur l'instruction primaire les vingt-six écoles qu'elle crée, la question ne serait pas décidée. Il resterait encore douze écoles à classer. Or, vous ne renverrez pas à la loi d'instruction primaire l'organisation de ces écoles que je considère comme un des éléments les plus essentiels de l'instruction publique à (page 1271) donner aux frais de l'Etat. Cela est tellement vrai, que ceux mêmes qui veulent restituer à la loi d'instruction primaire les écoles primaires supérieures sont obligés de proposer dans la loi d'enseignement moyen des écoles industrielles, de telle sorte que peut-être à leur insu ils donneraient au gouvernement plus qu'il ne demande. Nous nous bornons à demander la faculté de créer 12 écoles moyennes au-delà du nombre actuellement existant.Voilà, messieurs, tout ce que nous demandons.
Ces écoles moyennes, je m'empresse de le dire, ne se borneront pas, dans certaines localités, au simple programme énoncé dans le projet de loi. Un article de la loi autorise le gouvernement à agrandir le programme des écoles moyennes suivant les besoins des localités. Dans telle localité il pourra être utile de joindre à l'école moyenne un cours d'agriculture, par exemple. Je le répète, le programme de ces écoles moyennes devra se mesurer à la nature et à l'étendue des besoins des localités, mais je ne mets pas en doute que, une fois organisées, elles ne deviennent pour le pays une institution des plus utiles et des plus recherchées.
Quant au nombre de ces écoles, je l'ai dit dans la discussion, la chambre veut-elle ne pas le fixer dans la loi, j'y consens. Mais j'en préviens la chambre, si le nombre des écoles moyennes n'est point limité par la loi, il ne se passera pas longtemps avant que le nombre de 50 écoles ne soit déclaré insuffisant, et que vous soyez amenés à voter au budget les sommes nécessaires pour un plus grand nombre d'écoles. Si l'on ne craint pas cette éventualité, si l'on croit que le gouvernement peut s'abandonner, en quelque sorte, au temps du soin de justifier cette institution, si l'on ne craint pas d'être entraîné à une trop grande extension des établissements de l'Etat et, par suite, à de trop grandes dépenses, alors qu'on ne limite pas le nombre des écoles moyennes, qu'on se borne à consacrer l'existence d'institutions destinées à répondre à un besoin si général.
M. Osy. - M. le ministre de l'intérieur vient de parler de ce qu'il a appelé mes revirements. Eh bien, messieurs, en 1842, lorsque j'ai combattu la droite à l'occasion des changements proposés à la loi communale, je l'ai fait avec conscience, comme je combats aujourd'hui la loi dont nous nous occupons. Je disais alors que si jamais la gauche allait trop loin pour détruire nos lois organiques et les garanties données à la société , je combattrais avec la même indépendance la gauche. Je trouve que vous allez aujourd'hui beaucoup trop loin, comme la droite allait trop loin à l'époque que je viens de rappeler.
C'est ainsi que je comprends mon indépendance. Je ne suis point fait pour suivre un parti quelconque partout où il veut aller. Il n'y a donc pas revirement, il y a indépendance, et dans toute ma carrière politique j'ai agi de même.
M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, plusieurs des honorables orateurs qui ont attaqué le projet ont pensé que le grand nombre d'établissements d'instruction que le gouvernement serait autorisé à ériger créerait aux écoles privées une concurrence telle que la liberté d'enseignement serait entravée de fait.
Des propositions de restreindre le nombre de ces établissements ont été formulées en amendements.
Les autres orateurs qui ont combattu le projet sous le même rapport, se sont bornés soit à annoncer qu'ils voteraient contre la loi, soit à demander, par transaction, le retour au projet de 1834.
Si la loi en discussion accorde au gouvernement des pouvoirs trop étendus, la loi de 1834 ne lui en accorde pas assez.
C'est afin d'éviter ces deux extrêmes que, d'accord sur ce point avec dix de mes honorables collègues, j'ai déposé sur le bureau des amendements ; j'aurai l'honneur d'en donner lecture.
« Art. 2, n°2. Remplacer la rédaction par la suivante :« Les écoles moyennes inférieures sous la dénomination de collèges royaux ou d'écoles royales d'industrie et de commerce. »
« Art. 3. Remplacer le paragraphe de l'article 3 par cette rédaction :
« Le gouvernement pourra, sur la demande des conseils communaux, fonder 12 établissements d'instruction moyenne; ceux de ces établissements dans lesquels les langues anciennes seront enseignées prendront le titre de collèges royaux; les autres, celui d'écoles royales de commerce et d'industrie. »
« Art. 20. Substituer à l'article 20 la rédaction suivante :
« La ville où est établi soit un athénée royal, soit un collège royal, soit une école royale d'industrie et de commerce, met à la disposition du gouvernement un local convenable muni d'un matériel en bon état et dont l'entretien demeure à charge de la commune. Elle contribue, en outre, aux frais de l'établissement par une subvention annuelle qui ne peut être inférieure au tiers de la dépense L'allocation portée annuellement au budget de l'Etat en faveur de ces établissements ne pourra excéder la proportion, en moyenne, de 30,000 fr. par athénée, ni de 12,000 fr. par collège royal ou école royale de commerce et d'industrie. »
(Alp. Vandenpeereboom, Armand Perceval, David, Delescluse, Cumont de Clercq, Lebeau, G. Dumont, Moreau, De Pouhon, Dautrebande, Tremouroux.)
Ces amendements diffèrent de ceux qui ont été présentés jusqu'ici, car ils ont pour objet non seulement de prévenir la concurrence exagérée que les soixante écoles du gouvernement pourraient faire à l'enseignement libre, mais encore de satisfaire à des exigences réelles de l'enseignement moyen proprement dit.
En effet, qu'ont dit les adversaires du projet? Les 60 établissements d'instruction que l'Etat est autorisé à créer et à diriger feront à l'enseignement libre une concurrence fatale; la loi place les écoles primaires supérieures sous un régime nouveau, elle les soustrait à l'inspection ; les écoles auxquelles on veut donner aujourd'hui le titre d'écoles moyennes n'appartiennent pas à l'enseignement moyen proprement dit ; enfin, sous le nom de corps professoral,vous créez une armée nouvelle de fonctionnaires publics.
Les honorables membres qui ont adressé ces reproches au projet accorderont, je l'espère, leur vote à nos amendements.
Quelles seront en effet les conséquences de leur adoption? De réduire de 60 à 22 le nombre des établissements que le gouvernement serait autorisé à fonder, en vertu de la loi en discussion ; de laisser les écoles primaires supérieures sous le régime de la loi organique du 23 septembre 1842; de ne pas accorder à l'Etat la faculté de créer les écoles que le projet appelle moyennes, mais d'abandonner ce soin aux communes ; enfin d'organiser un corps professoral peu nombreux, il est vrai, mais suffisant pour donner l'enseignement moyen dans les 22 établissements de l'Etat.
Autoriser le gouvernement à diriger dans le pays entier 22 établissements d'instruction moyenne, est-ce là lui concéder une monopole odieux, et peut-on prétendre qu'une école gouvernementale, à raison de 200,000 âmes environ, fera à l'enseignement libre une concurrence insoutenable et fatale?
D'ailleurs, messieurs, si la loi fait un devoir au gouvernement d'établir dix athénées, notre amendement lui concéderait seulement la faculté d'ériger 12 établissements royaux; ce nombre est donc une limite que le gouvernement ne peut dépasser, mais aussi qu'il ne doit pas atteindre nécessairement. Ainsi que l'indique le texte même de notre proposition, les 12 écoles que le gouvernement aurait la faculté d'établir ne seront pas identiques quant aux programmes des études, elles pourront se diviser en collèges royaux et écoles royales d'industrie et de commerce suivant les besoins des localités où elles seront établies.
J'ai dit, messieurs, que le but de nos amendements était non seulement de prévenir la concurrence que le nombre trop grand des établissements dirigés par l'Etat pourrait faire à l'enseignement libre, mais encore de répondre aux besoins réels de l'enseignement moyen proprement dit.
Qu'arrivera-t-il si le projet de loi est adopté tel qu'il est présenté par le gouvernement?
Il sera établi 10 athénées royaux, le gouvernement sera autorisé à fonder 50 écoles moyennes.
Messieurs, j'ai consciencieusement étudié le projet de loi, et je l'avoue, je n'ai pas pu me convaincre que les écoles que l'on propose d'établir appartiennent par leur caractère, leur nature et le programme des études, à l'instruction moyenne ; les explications données par M. le ministre de l'intérieur n'ont pas modifié mes convictions à cet égard.
Que fera donc la loi pour l'enseignement moyen? Elle établira 10 athénées. Mais, je vous le demande, messieurs, sera-t-il suffisamment satisfait par là à tous les besoins de cet enseignement? Les habitants de dix grandes villes pourront faire donner à leurs enfants une éducation convenable, une instruction solide ; mais en sera-t-il de même de ceux qui habitent des localités moins importantes? Ces derniers, s'ils préfèrent l'enseignement laïque à l'enseignement du clergé, ne devront-ils pas s'imposer des sacrifices parfois pénibles pour envoyer leurs enfants au chef-lieu de la province? Souvent même ne seront-ils pas forcés de leur refuser l'instruction moyenne?
Créer seulement dix grands établissements d'enseignement moyen, c'est créer un privilège en faveur des habitants de dix grandes villes, c'est les mettre à même d'acquérir presque exclusivement les connaissances qui peuvent seules aujourd'hui donner accès aux fonctions publiques, aux carrières libérales.
Je sais fort bien que l'on me répondra: Outre les athénées, nous aurons les collèges communaux, l'article 28 du projet autorise le gouvernement à accorder des subsides à ces établissements.
Messieurs, pendant sept ans j'ai eu l'honneur de faire partie de l'administration communale de la ville d'Ypres, la seule ville qui dans les deux Flandres dirige un collège communal.
Eh bien, mon expérience m'a prouvé qu'il est fort difficile à une autorité communale d'une ville secondaire, d'assurer une existence forte et durable à un établissement complet d'enseignement moyen.
Le passé nous le prouve, ouvrons le rapport sur l'état de l'instruction moyenne en Belgique de 1842 à 1848, consultons les tableaux annexés au rapport de la section centrale et nous devrons reconnaître que depuis 10 à 15 ans un grand nombre de collèges communaux ont été supprimés, que beaucoup d'autres ont perdu le caractère d'établissement communal.
C'est ainsi que dans les deux Flandres dont la population est de 1,400,000, sans parler des athénées de Gand et de Gruges, un seul collège dirigé par la commune existe encore, ce collège est celui d'Ypres, et soit dit en passant le nombre des élèves y est non 39 comme porte le rapport de la section centrale, mais de 100 à 110.
Les causes qui ont amené cet état de choses continueront à agir. Bientôt les collèges communaux qui existent encore aujourd'hui seront supprimés, ou deviendront collèges patronnés et je trouve la preuve de la vérité de cette appréciation dans une pétition adressée à la chambre par l'administration communale de Charleroy qui nous dit : Si les dispositions proposées par le gouvernement étaient adoptées sans modification nous nous trouverions dans la pénible nécessite de fermer notre collège.
Que restera-t-il alors? 10 athénées royaux pour tout le pays. Ces 10 établissements pourront-ils suffire aux nécessités réels de l'enseignement moyen en Belgique?
(page 1272) Et qu'on ne nous accuse pas, messieurs, d'être du nombre de ceux qui pensent que l'on peut échanger les franchises communales contre quelques écus. Si l'on m'adressait ce reproche, je le repousserais avec force, tant en mon nom qu'au nom des honorables collègues qui ont signé nos amendements au nom des conseils communaux d'Ypres, de Huy, de l'administration communale de Charleroy qui se sont faits les complices de ma prétendue tentative de crime de lèse-liberté communale.
D'ailleurs, messieurs, le texte même de notre amendement prévoit cette objection, puisqu'un établissement communal ne pourrait obtenir le titre d'établissement royal qu'à la demande expresse des mandataires de la commune.
La ville qui solliciterait la création d'un établissement royal sacrifiera-t-elle plus ses libertés que celle qui, conformément à l'article 32 de la loi, patronnera un établissement d'instruction moyenne? Dans l'un et dans l'autre cas, cette ville accordera presque toujours un local et des subsides; mais le droit de diriger, de surveiller même indirectement le collège patronné lui échappera toujours, tandis qu'elle conservera dans l'administration de l'établissement royal la part d'influence que la loi assure à 10 grandes villes dans l'administration des athénées du royaume.
J'ai dit, messieurs, que l'adoption de notre proposition aurait pour conséquence la diminution, si je puis me servir de ce mot, de l'effectif du corps professoral; elle aurait aussi pour résultat de former un corps meilleur, quoique moins nombreux. Où, dans la pensée du gouvernement, choisira-t-on de préférence les professeurs des athénées? Evidemment dans les collèges communaux ; car là on espère trouver des hommes qui joignent aux connaissances et au talent l'expérience et la pratique. Je désirerais même que cette garantie d'avancement fût donnée par la loi aux professeurs des collèges communaux ; mais si le projet n'est point modifié, est-on certain de trouver dans ces établissements des hommes aptes à remplir les difficiles fonctions de professeur d'un athénée royal? J'en doute, car un homme de talent, après de longues et pénibles études, consentira difficilement à accepter les fonctions de professeur dans un collège communal, dont une délibération du conseil ou l'insouciance de l'administration peut amener la suppression, soit immédiate, soit à une époque rapprochée.
La loi créera donc un corps professoral très nombreux, mais laissant à désirer sous plusieurs autres rapports.
Il me reste à dire un mot de la question financière. Il serait difficile de déterminer aujourd'hui quel sera le chiffre des dépenses qu'entraînera l'exécution de la loi, puisque le montant des subsides à accorder aux établissements communaux du premier ou du second degré n'est pas fixée par l'article 28 du projet; toutefois je pense que l'adoption de notre amendement ne pourrait occasionner en aucun cas un surcroît de dépenses. Les établissements communaux auxquels pourra être donné le titre de collège royal ou d'école royale de commerce et d'industrie, reçoivent aujourd'hui des subsides sur les fonds du trésor, et puisque la loi a pour objet d'améliorer les grands établissements d'enseignement moyen, il est probable que le chiffre de ces subsides sera majoré ; d'un autre côté, il résultera de la non-création d'un certain nombre d'écoles moyennes une économie notable.
Je termine, messieurs, en répondant à une objection qui m'a été faite en section. On m'a demandé: Si le gouvernement n'est autorisé à fonder que 12 établissements d'instruction moyenne outre les 10 athénées , que fera-t-il pour les localités d'une importance secondaire, mais où il serait utile et même nécessaire de fonder une école moyenne ou professionnelle ?
Eh bien, dans les villes importantes le gouvernement érigera un établissement royal si les conseils communaux le demandent; dans les localités d'une importance moindre, une école moyenne ou professionnelle communale sera fondée avec le concours de l'Etat qui est autorisé par l'article 28 de la loi à accorder à ces établissements un subside sur les fonds du trésor. Ces écoles seront administrées et dirigées par l'administration communale parfaitement apte à surveiller ces institutions.
Tels sont, messieurs, les motifs qui ont déterminé mes honorables collègues et moi à déposer nos amendements sur le bureau de la chambre.
M. le président. - Voici donc un nouvel amendement sur l'article 2, dont nous nous occupons :
« Remplacer le n°2° de l'article 2 par la rédaction suivante :
« 2° Les écoles moyennes inférieures, sous la dénomination de collèges royaux ou d'écoles royales d'industrie et de commerce. »
Cet amendement, étant signé par plus de cinq membres, il n'a pas besoin d'être appuyé. Il fera partie de la discussion.
M. Dechamps. - Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, comme les amendements que vient de proposer M. Vandenpeereboom forment un système complet, s'il ne serait pas convenable de les renvoyer à la section centrale? Il est évident que nous ne pouvons pas discuter à l'improviste un système nouveau. Une partie de ce système se rattache à l’article 2, que nous discutons, mais évidemment ce système porte sur la loi tout entière. Toutefois, s'il y opposition, je n'insisterai pas.
M. le président. - Je dois faire observer que si nous adoptions la motion de l'honorable M. Dechamps nous ne pourrions pas continuer la séance, car il en serait de même de l'article 3, et la section centrale n'a fait rapport que sur les amendements qui se rapportent aux premiers articles de la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le système de M. Vandenpeereboom a été présenté à la section centrale et elle l'a discuté.
M. de Brouckere. - Il n'y a rien de nouveau dans ce système : c'es un mezzo-termine entre les amendements que j'ai proposés et le projet du gouvernement.
M. Dequesne, rapporteur. - Je voulait faire l'observation qui vient d'être présentée, c'est-à-dire que le système a été soumis à la section centrale et qu'elle l'a rejeté par les motifs qui sont exposés dans le rapport.
M. Delfosse. - Voici quel est le fond de l'amendement : c'est de remplacer un certain nombre de petites écoles moyennes par des collèges royaux. Ce système a déjà été soumis à la section centrale, qui l'a rejeté. Il y a quelques variantes, mais le fond a été examiné. Il est certain que la section centrale se prononcerait sur l'amendement de M. Vandenpeereboom comme elle s'est prononcée sur un amendement qui y ressemble fort.
M. Dechamps. - Je n'insiste pas.
M. Devaux. - Je ferai une autre motion. Je dirai que l'amendement a son origine dans les sections. Il a été proposé dans les sections par l'honorable M. Vandenpeereboom. Il a été proposé aussi, quoique sous une forme un peu différente, à la section centrale. L'honorable M. de Brouckere a dit que c'est un mezzo-termine entre son amendement et le projet du gouvernement; ce mezzo-termine aurait, dans tous les cas, précédé l'amendement de M. de Brouckere, puisqu'il a été présenté dans les sections. Mais voici ce que M. de Brouckere propose, d'après les explications qu'il a données : il propose, non pas dix athénées et dix écoles industrielles et commerciales, mais dix athénées séparés en deux, c'est-à-dire vingt demi-athénées.
M. de Brouckere. - Ce n'est pas cela.
M. Devaux. - M. de Brouckere veut que les deux sections qui existent aujourd'hui dans les athénées soient séparées.
M. de Brouckere. - Dans les villes de 80,000 âmes.
M. Devaux. - L'amendement de l'honorable M.de Brouckere, donc, ne constitue pas dix athénées complets et dix autres établissements complets; il met d'un côté la moitié des athénées qui existent aujourd'hui, et il met d'un autre côté l'autre moitié de ces athénées.
L'honorable M. de Theux a, non pas proposé, mais indiqué un amendement qui se rapproche davantage de l'amendement de M. Vandenpeereboom; l'honorable M. de Theux accorde au gouvernement et dix athénées complets et dix écoles royales modèles d'industrie et de commerce.
M. de Theux. - C'est l'amendement de M. de Brouckere.
M. Devaux. - La section centrale n'a pas compris l'amendement de M. de Brouckere dans ce sens.
En tout cas, je demanderai que la chambre veuille bien joindre la discussion de l'article 3 à celle de l'article 2.
M. le président. - La motion d'ordre de M. Dechamps a été retirée.
M. Devaux fait une autre motion tendante à réunir la discussion de l'article 3 à celle de l'article 2.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Voici l'article 3 :
« Art. 3. Il sera établi, d'après les bases fixées par la présente loi, dix athénées royaux, dont deux dans le Hainaut et un dans chacune des autres provinces.
« Le gouvernement est autorisé à fonder cinquante écoles moyennes. »
- Quatre amendements ont été présentés à cet article.
(Amendement de M. Osy) : « Le gouvernement est autorisé à établir quatre athénées modèles aux frais de l'Etat. »
(Amendement de M. Toussaint) : « Le gouvernement est autorisé à établir, d'après les bases de la présente loi, cinq athénées royaux.
« Le gouvernement est autorisé à établir cinquante-cinq écoles moyennes.
« Ces établissements seront mis en rapport avec les écoles spéciales existant dans les diverses localités. »
(Amendement de M. de Brouckere.) « Il pourra être établi, d'après les bases fixées par la présente loi, dix athénées et autant d'écoles d'industrie et de commerce. »
(Amendement de MM. A. Vandenpeereboom et consorts.) Cet amendement consiste à remplacer le paragraphe 3 de l'article 3 de la manière suivante :
« Le gouvernement pourra, sur la demande des conseils communaux, fonder, en outre, 12 établissements d'instruction moyenne. Ceux de ces établissements dans lesquels les langues anciennes seront enseignées, prendront le titre de collèges royaux; les autres, celui d'écoles royales d'industrie et de commerce. »
La discussion est établie sur l'article 2 et les deux amendements y relatifs, et sur l'article 3 et les quatre amendements y relatifs.
M. Julliot. - Messieurs, je ne sais quel est l'homme d'Etat qui a pris la plus grande part dans la fixation des bases de notre Constitution, mais il est évident pour moi, que celui qui peut revendiquer cet honneur était beaucoup plus imbu des idées anglaises que des idées françaises. Pour ma part, je l'en félicite, car l'Angleterre résiste aux orages quand (page 1273) d'autres nations se trouvent secouées de fond en comble. Et je ne crains pas de dire que si les pays constitutionnels du continent avaient les institutions anglaises et les pratiquaient sincèrement, les révolutions seraient beaucoup plus difficiles à faire et partant moins communes. Il est évident pour moi, que les tendances de notre Constitution sont telles, que par chaque pas que nous faisons nous devons marcher vers le self-government, jamais du côté opposé, c'est-à-dire que tout ce qui accroît la liberté est dans le vrai, que tout ce qui la restreint est dans le faux. Et comme le monde moral a aussi besoin de mouvement que le monde matériel, nous devons demander le progrès à la liberté, jamais au pouvoir, parce que nous ne pouvons augmenter le pouvoir central, sans dépouiller en proportion la province, la commune ou l'individu d'une portion de leur liberté.
Aussi, dès mon entrée dans cette enceinte, j'ai désigné la direction qu'il me semblait utile de suivre, et dans différentes circonstances j'ai répété ce que j'avais dit la première fois. Mon point de mire du premier jour a été le mal que produit en général la centralisation entre les mains du gouvernement et ce toujours aux frais de l'Etat, c'est-à-dire aux frais de la société entière
C'est sous la pression de ces idées que, plus impatient que d'autres j'ai placé, dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel, des jalons que je ne me sens pas disposé à renverser dans cette circonstance. En effet à la séance du 14 février 1849, à propos de la discussion du budget de l'intérieur, je disais :
« Nous vivons dans un pays libre où l'instruction est libre et avec des institutions comme les nôtres, ce n'est certes pas au gouvernement à façonner la nation, puisque de fait la nation forme plutôt son gouvernement. L'idée d'une formation d'éducation gouvernementale n'est applicable qu'aux gouvernements absolus où la nation est la chose du monarque, qui élève la jeunesse dans les principes de soumission absolue aux prescriptions du maître.
« En Belgique cette idée n'est pas applicable. Créez donc pour l'enseignement moyen quelques établissements en petit nombre, mais qu'ils servent de spécimen et qu'ils dépassent en mérite les établissements libres. »
Dans la séance du 25 mars 1849 j'ai dit :
« Le mot de ralliement pour moi, c'est décentralisation ; tout ce qui porte ce caractère, je l'adopte; tout ce qui est empreint du caractère opposé, je le repousse. »
Et le 30 juin, je disais « que le gouvernement, dépositaire du trésor public, ne pouvait pas le dissiper à donner de l'instruction à l'un ou l'autre groupe de la société sans méconnaître sa mission. »
Voilà, messieurs, les antécédents avec lesquels je suis disposé à ne pas briser.
Le gouvernement nous propose la légalisation et la création de dix athénées, cinquante écoles moyennes; il conserve ses deux universités, ses écoles spéciales, ses écoles d'agriculture et nous propose d'avoir la main sur tout collège communal subsidié. Est-ce là son ultimatum? Je ne le pense pas, je me suis toujours douté que le projet actuel n'était qu'une première mise, et ce doute est devenu une assurance quand j'ai entendu un honorable député de Liège, en position de posséder le secret ministériel, nous dire dans son discours :
« Dix athénées de l'Etat non seulement ce n'est pas trop, mais ce n'est peut être pas assez, et je ne désespère pas de voir quelques collèges communaux qui reçoivent actuellement des subsides, transformés en collèges de l'Etat comme le demandent non sans raison, mais trop tôt, les villes de Huy, Ypres et Charleroy. » Voilà, messieurs, l'aveu d'une centralisation plus forte encore.
Messieurs, la discussion de cette loi a donné de l'animation à la chambre, elle a fourni quelques beaux discours, mais je ne saisis pas l'utilité de la reprise de cette guerre entre le clérical et le libéral, à moins qu'on ne craigne que le pays tout entier ne tombe en léthargie.
Je vous avoue volontiers que je suis entré dans cette chambre avec l'idée fixe que les questions politiques dans le débordement de 1848 ont été absorbées par des questions sociales; il ne s'agit plus de révolutions politiques il s'agit de révolutions sociales, aussi chaque fois qu'un débris des anciens partis, soit de droite, soit de gauche, a cherché à ranimer l'ancienne querelle avec les mêmes formes et dans le même argot, il m'a fait l'effet d'un antiquaire qui caressait avec amour son médailler.
Messieurs, je ne dirai pas que la loi qu'on nous présente est socialiste, déjà on n'a que trop abusé de ce mot sans le définir ni le comprendre. Mais, à propos de socialisme, je dois cependant vous communiquer une remarque qui est digne d'attention. C'est que je suis un de ceux qui ont le moins peur de ce monstre, et qu'en même temps mes idées, dans leur application, sont celles qui s'en éloignent le plus. J'abandonne à d'autres d'expliquer comment, par contre, ceux qui tremblent à l'idée seule de cet ogre, votent avec complaisance, dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel, toutes les absorptions que le gouvernement leur demande, absorptions qui, si elles ne sont pas socialistes pur sang, ont au moins de la consanguinité avec le socialisme, car le mauvais socialisme qui a pour conséquence forcée l'appauvrissement général, a pour but le nivellement des fortunes et comme moyen l'immixtion du gouvernement dans tous les intérêts privés, en organisant tels travaux on tels services publics, soit gratuitement, soit à des prix réduits; et j'ai la douleur de reconnaître que, dans les interventions inopportunes de l'Etat, la droite et la gauche sont complices; j'en ai acquis la preuve dans la question des bourses universitaires; on était d'accord sur le pillage du budget; seulement on se disputait sur la question de savoir au profit de quel groupe on pillerait.
Quant à moi, je trouve que la peur, en tout état de cause, est mauvaise conseillère, qu'il est beaucoup plus utile de poser des actes qui contrarient, qui paralysent ces mauvaises doctrines dont, pour ma part je ne veux pas, que d'en avoir peur, tout en faisant tous les jours un pas pour s'en rapprocher.
C'est à ce titre que je repousse à priori toute nouvelle absorption toute nouvelle centralisation de quelque bonne et humanitaire, philanthropique ou chrétien qu'on la coiffe.
C'est vous dire, messieurs, que, pour les athénées, j'appuie l'amendement de l'honorable M. Osy, et que, pour les écoles moyennes, j'appuierai celui de l'honorable M. de Brouckere, en dépouillant aussi peu que possible la commune de ses droits.
Messieurs, alors que le gouvernement crée dix athénées aux frais de l'Etat, et où l'enseignement sera presque gratuit, il commet une injustice envers le grand nombre.
Le caractère principal de cette loi, c'est du garantisme, pratiqué au profit d'un petit nombre à charge de la généralité, je dirai même du garantisme pratiqué par le bas de l'échelle au profit du haut de l'échelle sociale. Vous voulez instruire gratis dans vos athénées ceux qui boivent du vin à l'aide des contributions de ceux qui ne boivent que de la bière et souvent de l'eau.
Cette fois, M. le ministre, permettez-moi de vous le dire, la démocratie n'est pas de votre côté, elle est du mien, et je le prouve.
Messieurs, j'admettrais peut-être que l'Etat puisse organiser un enseignement moyen et supérieur assez étendu, mais à condition de le faire payer par ceux auxquels il le distribué. Mais que cela doive encore dégénérer en faveur, et que cela doive se faire aux frais de l'Etat, je ne puis l'accepter, et vous me permettrez d'examiner envers qui cette faveur va être consacrée par la loi, et à charge de qui elle va se trouver établie.
Messieurs, aujourd'hui sur cent élèves qui se bourrent de latin, quatre-vingts restent en route et n'arrivent pas à l'université; vous voulez remédier à cet inconvénient par votre création d'écoles moyennes, mais alors acceptez-en aussi les conséquences, et dites-vous qu'à de rares exceptions près, les jeunes gens qui fréquenteront vos athénées seront en position de fortune à payer convenablement cet enseignement et qu'il serait injuste de faire payer ces dépenses par des contribuables qui n'ont rien à y voir.
Car, dans votre système, celui dont le fils reçoit trois degrés d'enseignement payera, proportionnellement à sa fortune, dans les trois enseignements, et celui qui ne reçoit que le premier degré d'enseignement payera néanmoins, dans les deux degrés supérieurs, en proportion de son avoir; je répète que ce système est injuste.
A qui, en effet, s'adresse cet enseignement gratuit? Est-ce à la généralité? Pas du tout; c'est à un groupe très restreint. Cette gratuité s'adresse d'abord à ceux qui habitent les villes où seront placés les athénées, et où l'instruction ne fait pas le moins du monde défaut, car ceux qui doivent chercher cet enseignement hors de chez eux le payeront toujours fort cher.
Ainsi, ceux qui en profiteront le plus généralement dans les localités favorisées, ce seront d'abord, et sans exception, les gens aisés, les opulents, les riches comme vous les appelez; car toutes ces catégories font faire des études classiques à leurs enfants.
Puis, la classe moyenne aussi en profitera, à un moindre degré, cela est incontestable; mais comme le gouvernement ne peut être généreux qu'après avoir été fiscal, il me sera permis, après vous avoir indiqué les favorisés, de vous désigner ceux qui seront maltraités, et ils sont en grand nombre. Car les neuf dixièmes de ceux qui contribuent à payer cet enseignement moyen et supérieur se trouvent en dessous de cette classe favorisée par ces enseignements; ces neuf dixièmes sont des parents dont les enfants sont forcément bornés à se contenter de l'instruction primaire, à laquelle déjà ils contribuent proportionnellement par leurs impôts. Ne devraient-ils pas alors avoir fourni leur quotité d'impôts pour l'enseignement et leur bourse ne devrait-elle pas rester étrangère à la distribution de votre latin et de votre grec à des personnes aisées ? Vous pensez que non, moi je pense que oui, voilà ce qui nous divise.
Ici, messieurs, ce n'est pas le pain quotidien de l'intelligence sous forme d'instruction primaire que l'on veut distribuer à tous et à charge de tous. Ce sont des friandises que l'on veut faire payer par tous pour les offrir aux intelligences bien rentées.
Car chacun payant des impôts proportionnels à sa fortune, par votre loi le cordonnier concourra à former l'éducation perfectionnée du fils du marquis tandis que ce dernier n'aura rien fait pour l'instruction primaire du cordonnier. Le boutefeu de l'hôtel ministériel, s'il a un ménage, payera une part dans l'éducation scientifique du fils de son excellent maître le ministre, et ainsi de suite.
Et si les grands mots qu'à propos d'enseignement on nous a débités jettent assez de poudre aux yeux pour faire voter ces dépenses injustes, croyez-vous qu'on soit plus réservé en fait de distribution de faveurs matérielles? Détrompez-vous, messieurs; à côté de ces lois d'enseignement on caresse des projets étendus de travaux publics; l'entente cordiale n'est pas encore établie, je le sais; il faudra encore associer quelques localités intéressées à cette nouvelle croisade contre le trésor public, pour qu'on ait la force de nous imposer ce nouveau sinistre. Mais si je suis bien informé, nous sommes sérieusement menacés, car il m'est revenu que déjà un de nos ministres a eu une entrevue avec un banquier (page 1274) d'une puissance financière telle, que dans vingt ans il pourra se vanter d'avoir ruiné tous les pays constitutionnels du continent, en leur fournissant des emprunts pour faire étourdiment des dépenses, les unes plus irréfléchies que les autres. La découverte de ce plan ne fera pas manquer le projet, je le sais; mais en attendant, je dis au contribuable : Tenez les mains sur les poches, il en est temps.
Mais ne craignez-vous pas qu'en grossissant journellement notre dette, pour faire des distributions aussi arbitraires qu'injustes, on n'en vienne un jour à mettre sa légalité en question ? Pour moi, je vous avoue, je n'ai pas à cet égard tous mes apaisements dans l'avenir. Et ce langage, messieurs, n'est pas celui d'un révolutionnaire; c'est celui d'un conservateur de la société qui vous avertit d'un danger, parce qu'il désire avant tout que nos engagements restent sacrés.
Messieurs, je vous ai démontré que j'éprouve une aversion profonde pour la loi qui nous est présentée; je la repousserai donc, à moins qu'elle ne soit amendée dans le sens de mes honorables collègues, MM. Osy et de Brouckere, sous réserve cependant que, si le ministère qui, quoi qu'on en dise, a rendu des services incontestables dans les mauvais jours, services que je n'oublierai pas pour ma part, faisait une question de cabinet de l'adoption de sa loi, il me resterait à aviser quel serait le vote le plus utile à émettre.
M. de Mérode. - Messieurs, le résumé de la thèse que j'ai soutenue contre l'article 3 est conforme aux faits. Le pouvoir civil n'est que laïque. Il n'est chargé que de l'administration temporelle. Sa morale est celle du Code qui réprime certains troubles apportés à l'ordre, à la paix publique et qui ne saurait empêcher une foule d'actes répréhensibles que la religion condamne et punit par les remords de conscience en attendant qu'ailleurs s'accomplisse la justice divine.
Hier, messieurs, que répondait un éminent orateur à cette demande sérieuse : Quelle est la doctrine du gouvernement dont vous voulez faire le principal précepteur de la jeunesse avec les ressources du trésor public (conformément à l'article 3)?
Répondait-il quelque chose de sérieux, quelque chose de propre à satisfaire tant soit peu l'intelligence ? Non, messieurs, pour toute réponse il me posait une autre question, question captieusement absurde et sans solution possible, affirmative ou négative.
« Quelle est la doctrine de la liberté ? »
La liberté du travail est-elle un travailleur? Et peut-on dire à la liberté de construire : Quelle est votre architecture ?
A l'architecte qui se présente pour élever un édifice on peut demander? Quelles sont vos connaissances, vos principes dans l'art de bâtir? On peut donc également demander au gouvernement préconisé comme précepteur et personnifié dans certains hommes qui se succèdent sans qu'on puisse exiger d'eux une profession de foi quelconque : Quelle est votre philosophie ? Quels sont vos principes religieux et moraux?
Et si la Constitution même ne permet pas de s'expliquer à ce sujet, suffit-il de se tirer d'embarras par la question ridicule : Quelle est la doctrine de la liberté? devant laquelle il faut bien rester muet.
Mieux vaudrait la poser aux poissons, qui ne disent rien quand on les prend à l'hameçon, que d'envelopper une assemblée législative dans les mailles d'un filet tissu d'aussi grosses malices.
Messieurs, je ne joue pas au fin sur une matière qui est si digne de méditation et non pas faite pour servir aux mystifications, aux tours de gobelet.
Le discours par lequel j'ai démontré le vice radical de l'article 3 qui soumet un si grand nombre d'établissements à la direction ministérielle et bureaucratique, ne me permet pas d'entrer dans d'autres développements.
Je rejette cet article à cause de ses conséquences. J'en admettrais quelques-unes par nécessité et non pas autrement ; je l'ai dit, je ne me rétracte pas, la nécessité étant la justification de bien des mesures que la logique parfaite interdirait.
C'est pourquoi je déclare de nouveau me rallier aux amendements de M. Osy et subsidiairement à ceux de M. de Brouckere.
M. Liefmans. - J'ai demandé la parole dans la croyance que l'honorable comte de Theux aurait formulé en amendement la deuxième conclusion de son discours. Comme l'amendement de M. Osy la renferme, je n'y renonce point. Mon intention est de voter pour l'article 2 tel qu'il nous a été présenté par le gouvernement.
L'exposé des motifs a pleinement justifié la disposition du paragraphe 2, et le discours de M. le ministre de l'intérieur l'a fait bien plus encore. Il convient, en effet, de donner le titre d'écoles moyennes aux écoles industrielles et commerciales, et aux écoles actuellement appelées improprement écoles primaires supérieures.
D'abord, messieurs, je pense qu'il existe quelque chose d'illogique dans ces expressions, écoles primaires supérieures, car je crois que tout enseignement, qui n'est pas complètement élémentaire, doit appartenir, par ce fait même, à un enseignement d'un degré supérieur. Or, messieurs, quel est l’enseignement qui se donne et se reçoit dans les écoles industrielles et commerciales, dans les écoles primaires supérieures? Ce n'est pas, messieurs, l'enseignement élémentaire, exclusivement rudimentaire, l'enseignement primaire; mais c'est un enseignement plus élevé; c'est un enseignement auquel il faut appliquer une autre qualification :cet enseignement appartient à une autre catégorie, à un autre degré, il forme incontestablement un enseignement intermédiaire. Si cela est, messieurs, pour quel motif ne placerait-on pas cet enseignement sous le régime de la loi qui s'y rattache le plus spécialement? Pourquoi laisserions-nous régir par le lois qui concernent l'enseignement primaire proprement dit, cet enseignement qui n'est pas tout à fait élémentaire, primaire , si vous le voulez ? N'attachons aucune importance aux mots , mais voyons s'il est rationnel de mettre sur le même rang, et les instituteurs primaires qui enseignent l'alphabet, et des professeurs qui doivent enseigner l'étude approfondie de la langue française, flamande, allemande? S'il convient de ne faire aucune distinction entre l'élève qui fréquente l'école primaire dès l'âge de sept à huit ans, et l'élève de quatorze à seize ans qui se rend à l'école moyenne pour y recevoir un enseignement bien plus relevé qu'on nomme industriel, professionnel? Evidemment non, messieurs; puisque l'enseignement a ses différents degrés, il faut que chaque degré trouve une législation distincte, soit rangé sous une législation qui lui convienne spécialement. Messieurs, je crois d'après le dire de l’honorable M. Osy, que tout au commencement de la discussion, l'honorable ministre de l'intérieur a dit que, pour lui, les écoles dénommées dans le paragraphe 2 de l'article 2 pouvaient être qualifiées de telle manière qu'on l'aurait désiré, et qu'elles pouvaient être régies par la loi sur l'enseignement primaire, pourvu toutefois que l'enseignement donné dans ces écoles fût celui de l'article 26 du projet de loi. M. le ministre de l'intérieur doit avoir dit cela pour vous prouver que s'il y avait moyen de s'entendre, si la conciliation était possible, ce ne serait jamais le ministère ni la majorité qui se joint à lui qui soulèveraient un obstacle. Mais il faut bien le dire, il n'importe point ici de faire la moindre concession. La loi soumise à nos délibérations s'occupe de l'enseignement moyen; les écoles industrielles et les écoles primaires supérieures appartiennent à cet enseignement, il faut que la loi s'applique à cet enseignement et de fait et de nom. Et pourquoi devrait-il en être autrement? Conviendrait-il par hasard de ne pas faire comprendre à l'élève qui sort de l'école primaire, qu'en entrant à l'école industrielle et professionnelle, qu'en entrant à cette école pour y recevoir un enseignement plus élevé, il doit, pour mettre cet enseignement à profit, se conduire autrement qu'à l'école primaire proprement dite; il doit y déployer plus d'attention, plus de zèle, plus d'assiduité que sous l'instituteur qu'il vient de quitter? Ne conviendrait-il pas par hasard de stimuler l'amour-propre du professeur et de lui faire sentir que son enseignement n'est plus l'enseignement tout à fait élémentaire, qu'on s'attend à quelque chose de plus relevé de ses soins et de son intelligence, qu'il appartient désormais à un degré d'enseignement qui, pour en être plus honorable pour lui, n'en augmente que davantage l'importance de ses devoirs? Puis n'oublions pas, messieurs, que le projet de loi a pour but d'améliorer le sort des professeurs, de leur créer un avancement, de provoquer parmi eux l'émulation, de créer de l'avancement pour le mérite?
Eh bien, messieurs, ne croyez-vous pas que, si vous ne rangez pas les écoles primaires supérieures sous la loi de l'enseignement moyen, si vous établissez une distinction entre ces écoles et les écoles auxquelles vous accorderez la qualification d'écoles moyennes, vous aurez manqué une partie de votre but? Ne croyez-vous pas que l'instituteur de l'enseignement primaire supérieur regardera sa position comme moins honorable que celle du professeur de l'école moyenne? Et croyez-vous que le professeur d'une école moyenne considérera comme un avancement à désirer, comme un grand avantage, de passer à l'enseignement primaire supérieur ? Pour moi, messieurs, je ne le pense pas. Pour élargir le cercle de l'avancement pour les professeurs, que je considère comme un excellent mobile pour stimuler leur zèle et leur activité, il ne faut pas créer des distinctions qui sont tout au moins inutiles, si on ne veut point les considérer comme réellement nuisibles.
Messieurs, je répète ma question : Pour quel motif placerait-on ou laisserait-on les écoles primaires supérieures sous le régime de la loi sur l'enseignement primaire? Pour moi, messieurs, je n'en connais point qui soit plausible, et, il faut bien vous le dire, d'après moi, il n'en existe point qui puisse provenir d'intentions favorables au projet qui nous est présenté.
L'honorable M. Dedecker invoque la proposition de M. de Brouckere. La proposition de l'honorable M. de Brouckere n'est pas celle de M. Osy. Il est vrai que M. de Brouckere propose la réduction des écoles moyennes, mais ce n'est pas dans le même but; M. de Brouckere ne soutient pas l'intervention du clergé à titre d'autorité ; cela n'entre pas dans ses intentions; mais vous admettez sa proposition parce qu'elle vous est favorable, sans voir le motif qui a déterminé l'honorable M. de Brouckere.
J'ai donc voulu dire que l'origine de l'amendement pourrait nous faire décider que cet amendement a été conçu dans un esprit d'hostilité; car il me paraît sinon volontairement hostile, toutefois inacceptable et peut-être plein de dangers. L'origine de cet amendement, je le répète, pourrait bien nous mener à conclure qu'il n'est pas proposé dans un but de bienveillance pour le projet; mais il faut être juste avant tout, et puisque l'intervention du clergé dans l'enseignement, à titre d'autorité de par la loi, est un principe avoué et professé par nos adversaires, et puisque cette intervention a lieu sous le régime de la loi sur l'enseignement primaire, on peut concevoir que de bonne foi l'opposition cherche à appliquer cet article de son programme à toutes les écoles possibles.
Si donc l'opposition persiste à vouloir que les écoles primaires supérieures restent régies par la loi sur l'instruction primaire, c'est pour que l'intervention du clergé, à titre d'autorité, de par la loi, dans ces écoles soit maintenue; et pour que ce but soit atteint, il importe peu que l'enseignement de ces écoles soit ou primaire, ou intermédiaire, ou supérieur.
La chose pour les partisans de ce système fait bien peu, on se contente du nom seulement. Messieurs, si cela est, vous conviendrez que puisque (page 1275) le principe de l'intervention à titre d'autorité du clergé dans l'enseignement moyen n'a pas guidé les auteurs du projet, puisque les auteurs du projet dénient au clergé le droit d'intervenir à titre d'autorité, et puisque c'est ce dissentiment d'opinion qui a produit tant d'irritation de la part de nos adversaires, vous conviendrez avec moi que l'amendement proposé pourrait bien revêtir un certain caractère d'hostilité. Messieurs, j'ai dit en outre que cet amendement me paraissait inacceptable, et je me fonde sur les considérations que je viens de développer. Je regarde l'enseignement qui se donne aux écoles primaires supérieures, comme appartenant à l'enseignement moyen. Si la loi sur l'enseignement primaire ne renfermait pas un principe qui n'est pas le nôtre, la question n'aurait pas été agitée; il ne se serait point présenté de contestation.
Eh bien, messieurs, nous sommes convaincus que l'enseignement des écoles primaires supérieures est et doit être celui des écoles moyennes; nous proclamons tout haut l'indépendance du pouvoir de l'Etat, et nous dénions au pouvoir religieux le droit d'intervenir à titre d'autorité. Pouvons-nous, sans nous taxer d'inconséquence, admettre l'amendement qui nous conduit à scinder la loi, à méconnaître nos principes, à blesser nos convictions les mieux senties? Non, messieurs, nous ne le pouvons pas; cet amendement est inacceptable, il est plein de dangers, car on pourrait l'interpréter comme une transaction sur l'un des principes fondamentaux du libéralisme; on pourrait l'envisager comme l'effet du doute dans nos convictions politiques le plus chaudement défendues ! Mais à côté de ce danger, messieurs, il en est un autre, qui se produirait lors de l'application de la loi. En acceptant l'amendement, vous reconnaîtriez que l'intervention des ministres du culte à titre d'autorité est dans l'esprit de nos institutions; vous auriez reconnu qu'elle peut et doit exister en matière d'enseignement primaire, et même, puisque les écoles primaires supérieures appartiennent à l’enseignement moyen, même en matière d'enseignement moyen.
Vous auriez reconnu, en outre, que l'opposition a réclamé à juste titre l’intervention des ministres du culte à titre d'autorité dans l'enseignement moyen , puisque vous y avez consenti pour une partie de cet enseignement? Quelle serait la conséquence de cette concession? Messieurs, c'est que vous paraîtriez avoir voulu entraver l'autorité religieuse, c'est que vous seriez accusés d'avoir voulu, à l'aide d'hypocrisie, enlever à l'inspection et aux droits du clergé les écoles primaires supérieures, que vous auriez voulu les soustraire à leur autorité reconnue incontestable ! Ces reproches, on les exploiterait contre vous, et le mal en rejaillirait sur les écoles moyennes qui resteraient soumises à la présente loi. On ne manquerait pas de dire que les écoles moyennes qui vous restent peuvent constituer des foyers d'irréligion, puisque l'intervention du clergé à titre d'autorité n'est pas inscrite dans la loi qui les concerne ; puisque cette intervention, reconnue fondée en principe, a été repoussée par vous pour ces écoles, tandis que vous avez été forcés de l'admettre pour les écoles primaires supérieures.
L'amendement me paraît donc bien dangereux, messieurs, et vous concevrez combien je suis déterminé à ne pas l'admettre. Pour moi, j'ai accueilli le projet de loi avec la plus vive satisfaction. J'ai vu qu'on y avait fait prédominer les principes d'un libéralisme éclairé et tolérant; je n'accorderai jamais mon vote à un amendement qui pourrait en obscurcir l'esprit ou en diminuer l'effet.
M. Pirmez. - Ainsi que mon honorable ami M. Julliot, je voterai les amendements qui restreignent le plus l'intervention de l'État.
Ce n'est pas que je croie le moins du monde que les doctrines enseignées par les hommes nommés par le gouvernement soient immorales ou subversives de la société.
C'est parce que je veux, autant qu'il est possible, empêcher une trop forte absorption de nouveaux intérêts par l'Etat, et que je ne veux pas consacrer par une mesure législative une quantité d'absorptions qui se sont faites administrativement.
Le véritable danger pour les constitutions des peuples du continent modelées sur le système anglais est l'immense puissance d'absorption que les gouvernements puisent dans ces institutions.
Je ne crois pas que ce soient les doctrines des écoles de l'Etat qui ont renversé en France deux dynasties et enfin les institutions imitées de l'Angleterre.
Mais je pense qu'institutions et dynasties ont été renversées à cause des fausses idées que l'on s'est faites sur les gouvernements, sur la nature de leur puissance, sur leurs lumières et sur leurs devoirs.
Aussi, en France de même qu'en Belgique, le mouvement de ces institutions marchait tout au rebours de ce qu'on voit dans le pays où on a été les prendre. Là elles maintiennent glorieusement intactes la fortune publique et, ce qui est plus précieux, le libellé et la dignité de l'homme.
Ces fausses idées sur la nature du gouvernement ne viennent pas des écoles. Elles sont parties, pour la plupart, de la tribune et des hommes politiques de tous les partis et de toutes les couleurs qui, pour s'élever ou se soutenir, ont propagé des erreurs fort séduisantes, mais qui conduisent à un abîme.
Faire croire à la puissance sans bornes de l'Etat et, par conséquent, lui assigner des devoirs sans bornes; dépouiller, au moyen de ces idées, la masse de la nation au profit des individus ou des localités; voilà la source d'une multitude de positions politiques sur le continent.
Mais une nation ne suit pas longtemps impunément de pareilles idées. Si, avant d'ouvrir les yeux, elle attend que le pays soit couvert d'institutions de l'Etat, c'est-à-dire se trouve sous la main d'une sorte de féodalité nouvelle de fonctionnaires et de pensionnés vivant en dehors de la concurrence, c'est-à-dire en dehors du travail et aux dépens du travail, il est impossible que ce pays ne soit pas livré à de fréquentes convulsions.
On a vu qu'il n'était pas difficile de renverser les dynasties et de déchirer les constitutions. Mais la féodalité administrative ne se laissera pas abattre ainsi. Inutile, nuisible lorsqu'il s'agit de protéger les rois et les chartes, elle est douée d'une vitalité effrayante et d'une si monstrueuse puissance d'absorption, qu'elle grandit même par chaque calamité sociale. Il me paraît, si nos yeux ne viennent pas à se dessiller à temps, et si nous ne sommes pas destinés à la plus complète dégradation, qu'il faudra, pour secouer son joug, faire des efforts qui remueront la société jusque dans ses fondements. Dans son malaise la France a renversé ou laissé renverser ses rois et sa constitution. Qu'y a-t-il de changé? Est-ce que le genou de la féodalité administrative n'est pas plus pesamment que jamais appuyé sur sa poitrine?
Un exemple si frappant sera-t-il perdu pour nous? Continuerons-nous à anéantir toutes les forces individuelles dont la lutte produit seule l'énergie morale comme la puissance matérielle d'un peuple ?
Une voix qui ne peut vous tromper en pareille matière l'a dit dans la discussion. C'est à genoux qu'on implore les faveurs du gouvernement, et est-il besoin de démontrer que lorsqu'il aura absorbé une grande quantité d'intérêts de la société, la nécessité placera chacun dans cette dégradante situation ?
Un orateur éminent a parlé hier du Paraguay. Je ferai remarquer qu'à chaque nouvelle absorption de l'État, nous nous rapprochons de la situation des habitants du Paraguay sous les jésuites, des habitants de l'Egypte sous un pacha.
Ecoutez le président actuel de la République française dans le manifeste ou profession de foi qui a précédé son élection, il voit la cause du mal, il la signale au peuple.
Voici comment le candidat à la présidence parle au peuple, armé du suffrage universel et qui va prononcer :
« Restreindre dans de justes limites les emplois qui dépendent du pouvoir et qui, souvent, font d'un peuple libre, un peuple de solliciteurs.
« Eviter cette tendance funeste qui entraîne l'Etat à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui. La centralisation des intérêts et des entreprises est dans la nature du despotisme. La nature de la République repousse le monopole. »
Il y a de grandes vérités dans ces paroles. Et il est à remarquer qu'un peuple de solliciteurs ne serait pas un peuple libre ; ce serait un peuple d'esclaves dégradés.
Oui la centralisation des intérêts et des entreprises est dans la nature du despotisme. C'est le despotisme lui-même, peu importe la forme humaine qu'il prenne, qu'il soit représenté par un jésuite au Paraguay, par un pacha en Egypte, ou par des ministres et des assemblées qui font des discours en Belgique et en France.
La liberté se trouve dans les choses et non dans la jactance des mots. Si nous créons des puissances invincibles qui nous forcent à des actes serviles, notre vanterie de liberté ne les ennoblira pas ; elle ne fera au contraire que les rendre plus dégradants.
Nous mettant en regard d'une grande nation, l'orateur distingué qui a parlé hier a dit que nous étions une nation qui s'élevait.
Pour moi je dirai franchement que je pense que nous sommes violemment attaqués de la maladie dont languit la France, et que si nous ne trouvons pas en nous-mêmes l'énergie d'en arrêter les causes, elles produiront naturellement les mêmes effets.
Il y a déjà bien des années que j'ai signalé la puissance irrésistible qui nous entrainait à livrer à l'Etat tous les intérêts de la société ; j'ai cru qu'il était de mon devoir de le faire encore dans cette occasion.
M. Cools. - Nous sommes amenés à examiner d'abord une des dispositions de la loi que je trouve défectueuses. Je viens appuyer l'amendement de l'honorable M. Osy, en ce qui concerne les écoles moyennes, et je me renfermerai dans l'examen de cette question de détail.
Quelques mots d'abord sur la rédaction de cet amendement. Je crois que cette rédaction ne rend pas très bien la pensée de M. Osy. En effet, cet honorable membre ne demande pas qu'on supprime de la loi sur l'enseignement moyen tout à la fois les écoles industrielles, commerciales et primaires supérieures. Cet honorable membre ne s'occupe pas des deux premières catégories d'écoles. Dans sa pensée, le changement qu'il propose n'aurait d'autre portée que le maintien des écoles primaires supérieures sous le régime de la loi sur l'instruction primaire. C'est ce qu'il vient parfaitement d'expliquer.
Une grande partie des observations qui ont été présentées par l'honorable ministre de l'intérieur ne s'appliquent pas à cet amendement. Je ne m'en étonne pas, puisque je crois que M. le ministre de l'intérieur n'a pas saisi d'abord la pensée de l'amendement, pas plus qu'à la première lecture je ne l'avais saisie moi-même.
L'honorable M. Osy propose de retrancher tout le paragraphe 2 de l'article 2. Je crois que c'est une erreur de rédaction. Je propose de rédiger ainsi l'amendement : suppression dans le paragraphe 2 des mots : « les écoles primaires supérieures, ainsi que ». Le seul changement à l'article 2 consistera ainsi à ne pas le rendre applicable aux écoles primaires supérieures.
J'arrive maintenant à la justification de la proposition en elle-même.
On peut envisager les écoles primaires supérieures de deux manières; et je crois que la confusion dans laquelle tombent quelques orateurs provient en partie de la dénomination donnée à ces écoles. Je crois qu'on a eu (page 1276) tort de les nommer écoles primaires supérieures. Si l'on avait conservé la dénomination ancienne d'écoles primaires modèles, on se serait entendu beaucoup plus vite. On n'aurait pas inféré de la dénomination, que ces écoles doivent être placées en dehors du cadre de l'enseignement primaire. Je crois que les écoles primaires supérieures, dans la pensée du législateur de 1842, ne devaient être que des écoles primaires modèles. C'est le caractère que leur avait donné le gouvernement précédent.
Je sais très bien qu'on peut en faire des écoles moyennes. Il s'agit seulement de savoir si ce changement est désirable.
L'honorable orateur qui a parlé avant M. Pirmez, l'honorable M. Liefmans, a très bien dit que l'enseignement des écoles primaires supérieures devait être un enseignement intermédiaire. C'est parfaitement juste. Mais intermédiaire entre quoi? Entre l'enseignement primaire et l'enseignement supérieur? Non; intermédiaire entre l'enseignement primaire et l'enseignement moyen, tel que nous allons l'organiser. Et pourquoi cet enseignement, qu'il faut rendre et qui a en effet été rendu intermédiaire dans son organisation, devrait-il être rattaché plutôt au système d'enseignement moyen, qu'au système d'enseignement primaire? Je n'en vois pas la raison.
M. le ministre de l'intérieur dit qu'il y a, dans ces écoles, tendance à élever l’enseignement, qu'on veut en faire de véritables écoles moyennes, qu'on y a même joint, dans certaines localités, des classes latines. Cette tendance s'explique par la situation actuelle de l'enseignement moyen. On cherchait à combler le vide que laissait l'absence d'écoles professionnelles. Cette lacune va être comblée par la loi nouvelle, puisque nous allons créer des écoles spéciales pour l'industrie et le commerce. Mais faut-il que les écoles primaires supérieures soient des écoles de cette sorte? Je ne le crois pas; car si vous changez l'enseignement des écoles primaires supérieures, vous introduisez une lacune très grande .dans l'instruction primaire.
Vous ôtez de l'enseignement primaire des écoles qui doivent être destinées à une classe toute spéciale d'élèves, à des élèves qui n'acquerront pas assez d'instruction dans l'enseignement primaire, et à qui l'accès des écoles moyennes est cependant interdit par le petit nombre d'années qu'ils peuvent consacrer à l'instruction et l'exiguïté des ressources de leurs parents.
Il est désagréable de devoir désigner nominativement des classes de citoyens ; mais il faut bien cependant le faire dans une discussion comme celle à laquelle nous nous livrons. S'il n'y a pas à proprement parler des classes, il y a au moins des catégories de citoyens, et il faut bien les indiquer, pour faire comprendre le but de la proposition de l'honorable M. Osy.
Ainsi je vous citerai les fils de boulangers, de cabaretiers, de merciers; ils n'auraient pas assez de l'instruction qui se donnera à l'avenir dans l'enseignement primaire. Viendront-ils dans les écoles industrielles et commerciales? Non, à moins que vous ne créiez pour eux des cours spéciaux, ce qui ne serait pas même désirable. Il faut pour ces enfants de 11 à 13 ans un enseignement primaire perfectionné, pas autre chose. Ils le trouveront dans les mêmes écoles où ils auront puisé leur première instruction primaire. C'est pour cela que les écoles primaires supérieures doivent rester dans la loi sur l'enseignement primaire.
Je conçois qu'on puisse défendre une autre thèse, par exemple celle soutenue par l'honorable ministre de l'intérieur. Il suffit pour cela de se placer à un autre point de vue, on sent alors la nécessité d'avoir un niveau unique pour l'enseignement moyen et de l'appliquer aux écoles primaires supérieures comme aux écoles moyennes proprement dites, de relever les études des premières, de changer la dénomination d'instituteurs en celle de professeurs.
C'est une tendance que je conçois et contre laquelle le gouvernement aura beaucoup de peine à se défendre, car elle est dans la nature des choses. Mais avons-nous intérêt à favoriser cette tendance ? Ne faut-il pas plutôt laisser les écoles primaires supérieures là où elles sont ? Je le crois. C'est pour cela que j'appuie l'amendement de l'honorable M. Osy rédigé de la manière que je viens d'indiquer, et qui, je crois, rend mieux sa pensée.
M. Osy. - Je me rallie à cette rédaction, qui rend ma pensée, car je n'ai voulu parler que des écoles primaires supérieures.
M. de Haerne. - Je crois avec l'honorable M. Cools qu'on aurait peut-être mieux fait d'appeler les écoles primaires supérieures des écoles primaires modèles; d'autant plus que ces écoles, dans un autre pays, ont une autre dénomination qui coïncide plutôt avec cette dernière qu’avec celle d'écoles primaires supérieures. En Allemagne on les appelle écoles bourgeoises, « burgerschulen ».
L'honorable M. Liefmans, après M. le ministre de l'intérieur, a soutenu que les écoles primaires supérieures, telles qu'elles existent en Belgique, appartiennent plutôt à l'enseignement moyen qu'à l'enseignement primaire.
Il a présenté à peu près les mêmes arguments que M. le ministre de l'intérieur. C'est cette opinion à laquelle je dois m'opposer. Je crois qu'elle n'est pas fondée.
A cet égard, M. le ministre de l'intérieur a invoqué le programme des écoles primaires supérieures. Il a cherché à faire voir, par la dénomination des matières qui s'y trouvent énoncées, que cet enseignement doit être rangé plutôt dans l'enseignement moyen que dans l'enseignement primaire.
Mais, messieurs, il est un point sur lequel l’honorable ministre de l'intérieur a glissé très rapidement, et qui est très essentiel, sur lequel je dois appeler l'attention de la chambre, et qui, selon moi, décide la question en sens contraire. C'est le paragraphe qui précède les divers numéros dans lesquels sont énumérées les matières appartenant à l'école primaire supérieure. Remarquez qu'il y est dit: « Outre les objets énumérés à l'article 6. » Eh bien, les objets énumérés à l'article 6 sont ceux qui appartiennent à l'enseignement primaire proprement dit. Vous voyez donc, messieurs, que les matières qui se rapportent à l'enseignement de l'école primaire supérieure sont d'abord et avant tout celles qui se rapportent à l'école primaire.
Je ferai remarquer que l'honorable ministre de l'intérieur n'a pas été tout à fait exact lorsqu'il a dit que l'enseignement primaire consiste seulement dans la lecture, l'écriture et le calcul. Il y a encore dans le programme, tel qu'il se trouve, à l'article 6, autre chose; il y a les éléments de la langue française, les éléments de la langue flamande ou de la langue allemande. Il y a donc ici un cadre beaucoup plus étendu, beaucoup plus large. Car les éléments de ces langues peuvent conduire à un enseignement assez étendu.
Vous voyez que l'enseignement primaire est plus étendu qu'on ne cherche à le faire croire.
Mais, dit-on, dans le programme de l'enseignement primaire supérieur se trouvent d'autres notions, telles que des notions élémentaires des sciences naturelles, la musique et la gymnastique, les éléments de la géographie et de l'histoire, et surtout de la géographie et de l'histoire, de la Belgique. Ce sont là les matières par lesquelles l'école primaire supérieure se distingue de l'école primaire proprement dite. Mais c'est précisément pour cela qu'on l'appelle l'école primaire supérieure ou l'école primaire modèle.
Pour trancher la question de savoir si l'école primaire supérieure appartient plutôt à l'enseignement moyen qu'à l'enseignement primaire, il me semble qu'on devrait faire voir que la partie principale du programme de l'école primaire supérieure se rapporte à l'enseignement moyen et non pas à l'enseignement primaire. Or, je crois que c'est le contraire qui a lieu. La lecture, l'écriture, le calcul, les éléments du français, du flamand ou de l'allemand sont les branches principales dans' l'école primaire supérieure; les autres branches ne sont que l'accessoire par rapport aux premières.
Les autorités qu'on a invoquées contre mon opinion supposent un enseignement primaire supérieur proprement dit, c'est-à-dire séparé de la partie élémentaire. Mais cela n'est pas applicable chez nous.
Messieurs, si vous envisagez la question sous un autre rapport, si vous l'envisagez sous le rapport du nombre des classes qui se trouvent dans chaque catégorie d'écoles, vous y trouverez encore un argument en faveur de la thèse que j'ai l'honneur de soutenir devant vous.
L'école primaire supérieure comprend quatre classes. De ces quatre classes, il y en a deux qui se rapportent aux matières élémentaires, c'est-à-dire à l'enseignement primaire proprement dit. Le nombre des classes, dans l'école primaire supérieure, est donc double du nombre des classes qui se trouvent dans l'école primaire proprement dite.
Quel est le nombre des classes dans les collèges? Il est de six; il est donc triple de celui qui constitue l'école primaire. Le collège s'éloigne donc plus de l'école primaire supérieure que celle-ci ne s'éloigne de l'école primaire.
Les matières qui s'enseignent dans les collèges comprennent non seulement les langues vivantes, mais aussi les langues anciennes, outre un enseignement mathématique et physique beaucoup plus développé.
J'en conclus qu'en prenant les matières, en prenant le nombre des (erratum, page 1317) établissements exigés pour ces matières, l'école primaire supérieure, avec son programme actuel, appartient plutôt à l'enseignement primaire qu'à l'enseignement moyen.
J'ajouterai un motif quant au nombre d'élèves des diverses classes des écoles primaires supérieures ; ordinairement il est plus considérable dans les deux classes inférieures que dans les classes supérieures. Sous ce rapport encore l'école primaire supérieure appartient plutôt à l'enseignement primaire qu'a l'enseignement moyen.
L'honorable M. Liefmans nous disait, tout à l'heure, que le motif pour lequel nous voulions maintenir les écoles primaires supérieures sous le régime de la loi de l’enseignement primaire, c'était l'intention que nous avions de conserver l'intervention religieuse. Messieurs, nous l'avons avoué. C'est là une intention que nous n'avons nullement dissimulée.
L'honorable M. Liefmans ajoute : Vous préjugez la question, quant à l'enseignement primaire; vous déclarez par là qu'il ne doit pas subir de modification. Mais c'est précisément le contraire. Nous laissons la question intacte, puisque nous ne touchons pas à la loi de l'enseignement primaire?
Mais j'aurai l'honneur de faire remarquer à l'honorable membre, que c'est lui qui préjuge la question quant à l'enseignement primaire, dont on demande, dans certain camp, à grands cris, la modification. Oui, c'est vous qui demandez un changement, qui préjugez la question, en introduisant dans la loi une modification partielle, qui appelle évidemment une modification générale. Le principe de la non-intervention du clergé à titre d'autorité spirituelle que vous appliquez, d'après le programme du congrès libéral, à l'école primaire supérieure, vous devrez, pour être conséquent, l'appliquer à l'enseignement primaire tout entier.
Quant à la question de l'intervention religieuse, je ne crois pas devoir la traiter maintenant.
Ceci me ramènerait plus ou moins à la discussion générale, Je me suis (page 1277) déjà expliqué dans cette discussion, et à l'article 8, cette question se présentera de nouveau.
J'ajouterai qu'il y a encore un autre motif pour lequel nous demandons le maintien du statu quo quant aux écoles primaires supérieures. C'est que, comme on l'a dit à plusieurs reprises, lorsqu'on demande que les écoles primaires supérieures soient transférées à l'enseignement moyen, on se réserve bien, comme il est établi dans le projet de loi, la faculté d'annexer à l'école primaire supérieure, devenue école moyenne, des cours latins.
Il est vrai que M. le ministre de l'intérieur vous a fait remarquer qu'il existait déjà quelques écoles primaires supérieures, auxquelles étaient annexés des cours latins. Mais cela ne me paraît pas fort régulier. On veut régulariser ce qui a été fait contrairement au vœu de la loi. Je vous l'avoue, cela ne me paraît pas franc, et je viens m'opposer à ce système, qui ne tend à rien moins qu'à créer, d'une manière détournée, autant de collèges royaux qu'il y aura d'écoles moyennes.
Voilà la faculté que vous accordez au ministère ; voilà comme vous ouvrez la porte à l'arbitraire que je dois combattre de toutes mes forces.
J'espère, messieurs, qu'on ne dira plus que nous avons l'intention de préjuger les questions. Les questions ne sont nullement préjugées. Nous voulons maintenir le statu quo, et nous venons combattre d'un autre côté des tendances qui ne sont que trop patentes aux yeux de tout le monde.
On parle de la présentation des candidats pour le bureau consultatif, comme d'une concession faite en faveur de l'influence communale. Mais remarquez qu'aujourd'hui l'existence d'une école primaire supérieure n'empêche pas la commune d'établir à côté une école moyenne entièrement libre. Or, c'est ce qui sera défendu d'après le projet de loi. On accorde une ombre de liberté, et on confisque la liberté même.
C'est un système de duperie contre lequel je ne puis trop m'élever.
M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai proposé à la fois un amendement à l'article 2 et un amendement à l'article 3; et comme il m'a semblé tout à l'heure qu'on n'avait pas même saisi ces amendements, je demanderai à pouvoir vous donner lecture de l'article 21 que j'ai amendé, parce qu'il est explicatif, ou plutôt qu'il est le complément des deux autres amendements.
Mon article 2 porte :
« Les établissements du gouvernement sont de deux espèces :
« 1° Les athénées royaux;
« 2° Les écoles royales d'industrie et de commerce. »
L'article 3 dit :
« Il pourra être établi, d'après les bases fixées par la présente loi, dix athénées et autant d'écoles d'industrie et de commerce. »
Mais, par l'article 21, l'athénée et l'école d'industrie et de commerce feront confondus en un seul établissement, dans les villes dont la population ne dépasse pas 80,000 âmes; ce qui veut dire qu'il y aura quatre villes Bruxelles, Gand, Anvers et Liège qui, je crois, a maintenant 80,000 âmes, qui auront deux établissements distincts, et six autres où les deux établissements seront confondus en un seul. Si une ville perd ou gagne en population, elle aura un ou deux établissements suivant qu'elle n'aura pas ou qu'elle aura 80,000 habitante.
J'ai donc fait disparaître du projet, à la fois, les 50 écoles connues sous les noms d'écoles primaires supérieures et d'écoles d'industrie et de commerce et auxquelles on veut donner le nom d'écoles moyennes. J'ai eu l'honneur de le dire dans la discussion, je ne touche pas à la loi sur l'instruction primaire à l'occasion d'une loi sur l'instruction moyenne; la loi sur l'instruction primaire restera ce qu'elle est; ce seraient donc, dira-t-on, 12 établissements qui existent que je veux supprimer et 12 autres établissements dont je veux empêcher la création. Pas le moins du monde; seulement je ne veux pas l'absorption de ces établissements par le gouvernement; je rétrécis son action le plus qu'il m'est possible. Et, j'ai déjà eu l'honneur de le dire, c'est par voie de concession, de concession fort large que je suis arrivé à dix établissements, dont quatre seront divisés en deux parties distinctes.
En vertu de l'article 28 « le gouvernement est autorisé à accorder des subsides à des établissements communaux ou provinciaux d'instruction moyenne. » Eh bien de toutes les écoles moyennes qui ne sont pas des écoles complètes, qui ne sont pas des écoles modèles, j'en fais des écoles communales ou provinciales, que le gouvernement viendra subsidier.
Et ne venez pas comparer vos écoles moyennes aux écoles primaires supérieures, car dans les écoles primaires supérieures, la règle c'est que l'on commence par l'a b c; pour les écoles moyennes, au contraire, l'article 27 porte : « Là où le besoin s'en fera sentir, il pourra être annexé à l’école moyenne une école préparatoire. » C'est là une simple exception; il n'y a donc rien de commun entre les établissements moyens et les écoles primaires supérieures.
Mais les écoles moyennes, vous les taillez toutes sur un même modèle. C'est encore un motif pour lequel je refuse votre action directe. Laissez à la commune, laissez aux pères de famille de la commune, le soin de discuter entre eux quels sont leurs besoins les plus pressants, les plus impérieux.
Qu'ils décident s'il leur faut une école moyenne latine, une école moyenne industrielle et commerciale ou une école moyenne qui participera des deux natures et où il n'y aura qu'un premier degré d'instruction moyenne, d'où les enfants sortiront, suivant leur position, avec une instruction un peu plus chargée que celle des écoles primaires, ou bien, pour achever leurs humanités dans un de nos athénées.
Je sais, messieurs, qu'on a traité mon opinion fort lestement; on a soutenu que je n'avais pas eu le temps de lire la loi. Eh bien, autant vaudrait dire que je me dépouille de mon mandat parce que je n'ai pas le temps de le remplir.
On m'a dit : « Ce que vous demandez.se trouve dans la loi : vous demandez pour les grandes villes la séparation des études classiques et des études commerciales et l'article 21 de la loi porte :« Les deux enseignements seront séparés autant que faire se pourra. »
Eh bien, messieurs, cela ne me rassure pas du tout. Le gouvernement, encore une fois, dit qu'il propose une loi parce que jusqu'à présent nous avons vécu sous l'arbitraire ministériel, et il nous fait rentrer en plein dans l'arbitraire : on séparera autant qu'on le pourra. Je pose, au contraire, une règle pour la séparation : Il y aura séparation chaque fois que la population sera assez considérable pour que, logiquement, on ne puisse pas confondre les deux branches d'enseignement, parce que le nombre d'élèves recevant l'instruction du même professeur, serait trop considérable. Dans ce cas, je veux une séparation complète.
La section centrale rejette mon amendement, comme vous l'avez entendu, parce qu'il vaut mieux qu'il y ait un directeur commun, un bureau commun. Pourquoi? Parce que c'est plus économique.
J'avais été au-devant de l'objection. J'avais dit que la commune interviendrait dans la proportion du tiers à la moitié, et j'avais ajouté que les grandes communes interviendraient pour moitié; ainsi, au point de vue du gouvernement, la question d'économie devient sans importance. Maintenant je ne parle, pas du bureau d'administration; mais toutes les fois qu'il y aura deux directeurs placées l'un à côté de l'autre, vous aurez une rivalité qui tournera au bénéfice des deux établissements.
Si, au contraire, vous n'avez qu'un seul directeur, ce sera nécessairement ou un ancien professeur de rhétorique ou un ancien professeur de mathématiques ou de sciences naturelles; eh bien, si c'est un ancien professeur de rhétorique, il choiera, il caressera toujours l'école d'humanités aux dépens de l'école commerciale; si, au contraire, c'est un ancien professeur de sciences, comme on les pousse beaucoup plus loin, dans la section industrielle que dans la section d'humanités, ses amours,, ses affections seront pour l'école industrielle et commerciale aux dépens de l'enseignement humanitaire.
A part, messieurs, cette fausse position, je dis qu'il y a énormément à faire pour diriger, dans une ville de 80,000 âmes, une seule section et que cela suffit bien à l'activité d'un homme.
En outre, si l'on veut considérer un peu dans l'établissement des deux écoles les besoins de la commune, que faudra-t-il faire? Les placer le plus loin possible l'une de l'autre, mettre l'une par exemple, je citerai Bruxelles parce que je connais mieux cette ville, mettre l'une dans le haut, l'autre dans le bas de Bruxelles, pour faciliter à tout le monde l'accès de l'école. Eh bien, cela, pour une grande commune, vaut encore la dépense d'un directeur spécial pour chaque établissement.
Ainsi, messieurs, mon amendement a d'abord pour objet de restreindre l'action directe du gouvernement, de diminuer le nombre de ses établissements et de placer tous les établissements moyens, qui ne seront pas complets, qui ne seront pas modèles, qui n'entreront pas dans la première catégorie , dans la direction des communes, de les soumettre au régime des articles 28 et 29 du projet.
Et, permettez-moi de le dire, je donne au gouvernement une part beaucoup plus large que celle que prenait le gouvernement des Pays Bas, lorsqu'il était encore dans ses beaux jours, lorsque le gouvernement des Pays-Bas se rappelait encore qu'on avait fait une Constitution en voulant modeler les libertés de la commune sur ce qu'elles étaient lors de la pacification de Gand et du traité d'Utrecht.
Dans le premier arrêté (et vous savez que nous avons toujours été sous le régime des arrêtés), dans l'arrêté du 25 septembre 1816, le gouvernement s'exprimait ainsi : L'orateur donne lecture des articles 1, 2, 3 et 4 de l'arrêté.)
Ainsi, les collèges et les athénées étaient des établissements communaux. Sept seulement pouvaient prendre le titre d'athénées : c'étaient ceux de Bruxelles, Maestricht, Anvers, Bruges, Namur, Tournay et Luxembourg. On voulait, à l'instar de ce qui se pratiquait en Hollande, y pousser les études plus loin que dans les autres collèges; accorder des cours supérieurs aux grandes villes qui étaient dépourvues d'université.
De ces sept athénées, il n'en reste plus que cinq aujourd'hui ; et je dois dire, sans vouloir blesser en rien mes collègues du Luxembourg et du Limbourg, que si, à cette époque, Arlon et Hasselt avaient été des chefs-lieux de province, le nombre des athénées eût été certainement restreint à cinq, et que jamais le gouvernement n'aurait pensé à créer sept établissements de ce genre.
Vous voyez donc qu'en mettant sous la direction immédiate du gouvernement dix athénées, je vais beaucoup plus loin que le gouvernement des Pays-Bas.
Il est vrai qu'à mesure que nous nous éloignions de 1853, le gouvernement des Pays-Bas interprétait, chaque année, la Constitution d'une autre manière, et à force d'interprétations, vous savez ce qu'il en est advenu au gouvernement des Pays-Bas.
L'année suivante, donc, il s'est emparé de la nomination des professeurs des collèges communaux ; il a nommé les membres du bureau d'administration ; enfin, il a tout absorbé. Mais dans ses beaux jours, ce gouvernement déclarait lui-même positivement que l'enseignement (page 1278) moyen était communal ; il n'a voulu établir que sept athénées, et ces sept athénées, dans sa pensée, étaient encore des athénées communaux ; car il n'intervenait pour une subvention que dans trois de ces établissements : ceux de Tournay, de Namur et de Luxembourg, et d'après son système d'alors, il n'aurait dû avoir d'action que sur ces trois athénées.
Je répète qu'en admettant dix athénées, dont quatre séparés en deux, dans les villes de 80,000 âmes et au-dessus, j'étends beaucoup le cercle d'action du gouvernement. Je ne pourrai pas aller au-delà de cette limite.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable préopinant assure qu'il est très généreux à l'égard du gouvernement, en lui accordant dix athénées royaux et dix écoles royales d'industrie et de commerce. En effet, l'honorable préopinant accorde en ce point au gouvernement plus que ce qu'il demande. Mais il supprime d 'un trait un certain nombre d'écoles moyennes, de ces écoles moyennes, destinées précisément à ces localités de second et de troisième ordre, qui n'ont pas des ressources suffisantes en elles-mêmes pour procurer aux populations un enseignement convenable.
En même temps que l'honorable préopinant supprime ces écoles moyennes comme probablement trop modestes à ses yeux, il dote tout d'un coup les villes de 80,000 âmes de deux athénées, d'un athénée d'humanités et d'un athénée industriel et commercial. Voilà le système de l'honorable préopinant, voilà jusqu'où va sa générosité.
Voici à quoi aboutit ce système soi-disant généreux.: suppression, dans les localités de seconde et de troisième ordre, des écoles moyennes; établissement de deux athénées dans les grandes.
Je pense que ce système n'a pas de chance de succès dans cette enceinte; je pense que le système du projet de loi rencontrera, quand il sera bien compris, une forte et nombreuse adhésion. On parle très légèrement des écoles moyennes. Je les considère comme une des bases essentielles du système de la loi. Les écoles s'adressent aux habitants des localités de seconde et de troisième classe, qui n'ont pas le moyen et pour qui, du reste, il ne serait pas grandement utile de venir suivre au chef-lieu les cours d'un athénée latin. Sous ce rapport, ces écoles sont appelées à rendre un immense service à la Belgique et je ne comprends pas comment ceux qui ont à cœur la véritable civilisation du pays rejettent les écoles moyennes.
S'il y avait des localités à négliger, s'il y avait des localités à qui l'on pût laisser toute leur indépendance, en les laissant aussi livrées à leurs propres ressources, ce seraient les grandes villes. Ce n'est pas là où l'action du gouvernement peut se porter le plus utilement. (Interruption.)
- Un membre. - Répondez à M. Pirmez.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non, je ne répondrai pas à M. Pirmez; nous ne pouvons pas entrer dans une nouvelle discussion philosophique; j'ai déjà répondu bien des fois à l'honorable M. Pirmez.
Messieurs, l'on a prétendu que le gouvernement allait distribuer les deniers du pauvre aux jeunes gens des classes riches qui recevraient l'instruction dans les établissements de l'Etat.
Il y a ici une erreur complète. Les établissements de l'Etat sont précisément ceux qui s'ouvrent aux enfants des familles pauvres; pour celles-ci, la liberté souvent n'est qu'une illusion. Les établissements libres sont plus particulièrement destinés aux classes riches; c'est pour mettre l'enseignement à la portée des classes peu aisées que nous croyons l'intervention de l'Etat utile.
Il est donc souverainement injuste de signaler la loi comme créant un privilège en faveur des classes riches qui iraient recevoir l'instruction dans des établissements entretenus aux frais des classes pauvres; cette thèse peut donner lieu à des saillies très amusantes, mais elle repose sur une base complètement fausse.
L'honorable représentant de Bruxelles repousse de la loi les 50 écoles moyennes; mais je demande où il placera les 12 écoles industrielles et commerciales actuellement existantes.
M. de Brouckere. - Sous le régime communal avec subsides.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous les maintenez dans la loi actuelle en renvoyant les autres à la loi d'instruction primaire, vous aurez des établissements de la même catégorie réglés par deux lois différentes.
Nous croyons que tous ces établissements par leur destination doivent rentrer sous la loi d'instruction moyenne. Je vous ai cité le programme de l'instruction primaire, j'ai dit comment ce programme avait été agrandi par la nécessité de satisfaire aux besoins des localités où ces écoles existent. C'est l'existence de ces écoles si utiles que nous avons voulu consacrer et étendre par la loi actuelle.
Voici quel serait le programme des écoles moyennes qu'il s'agit de constituer.
« Art. 20. L'enseignement dans les écoles moyennes comprend :
« 1° L'étude approfondie de la langue française et, en outre, de la langue flamande ou allemande, pour les parties du royaume où ces langues sont en usage;
« 2° L'arithmétique démontrée, les éléments d'algèbre et de géométrie, le dessin, principalement le dessin linéaire, l'arpentage et les autres applications de la géométrie pratique;
« 3° L'écriture, la tenue des livres et des notions de droit commercial;
« 4° Des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie;
« 5° Les éléments de la géographie et de l'histoire, et surtout de l'histoire et de la géographie de la Belgique;
« 6° La musique vocale et la gymnastique. »
Puis vient à l'article 27 le paragraphe suivant :
« Le gouvernement pourra, si l'utilité en est reconnue, créer d'autres cours ou modifier les cours ci-dessus indiqués suivant les besoins des localités. »
Il suffit de lire le programme pour se convaincre de l'importance et de l'utilité des écoles moyennes.
L'intention de M. de Brouckere est-elle que tous ces établissements disparaissent ? Non, son intention est de laisser dans l'instruction primaire les écoles primaires supérieures parce qu'il ne veut pas que le gouvernement absorbe trop.
M. de Brouckere. - J'ai parlé des écoles moyennes, et non des écoles supérieures.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est la même chose, vous ne voulez pas de l'absorption du gouvernement; en cela vous êtes d'accord avec M. Julliot, cependant je doute que vous alliez aussi loin que lui.
M. de Brouckere. - A peu près!
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'en doute fort. Vous ne voulez pas de l'action absorbante du gouvernement, et vous ne voyez pas que vous proposez de remettre les établissements dont il s'agit entièrement entre les mains de l'Etat, tandis que le gouvernement appelle la commune à la participation de l'administration de ces écoles qui sont aujourd'hui entièrement entre les mains de l'Etat. Si vous voulez que le gouvernement n'absorbe pas trop, appelez la commune en partage, acceptez la loi, puisque la loi donne à la commune une part d'influence qu'elle n'a pas aujourd'hui.
La proposition de M. de Brouckere est parfaitement d'accord avec l'opinion émise hier par l'honorable M. de Theux, qui n'a pas cru devoir la formuler en proposition définitive. Il offrait aussi au gouvernement dix athénées industriels de plus, je ne sais s'il maintient son offre.
M. Dechamps. - Il s'est rallié à la proposition de M. de Brouckere.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - De plus, l'honorable M. de Theux a proposé, en 1846, dix athénées exclusivement soumis à la direction de l'Etat. L'honorable M. de Brouckere ne va pas aussi loin, il trouve que c'est trop. Mais qu'il nous dise donc quelles seraient les provinces qu'il voudrait déshériter des athénées.
Quant à moi, je ne considère pas un athénée établi dans telle ou telle ville, comme un établissement purement local; je le considère comme un établissement destiné à toute la province, et même à tout le royaume. Nous avons des athénées fréquentés par beaucoup de jeunes gens n'appartenant pas à la localité où ils sont établis; nous avons des athénées qui jouissent d'une réputation telle qu'ils attirent des jeunes gens de toutes les parties du pays.
Je citerai entre autres l'athénée de Tournay.
Un athénée, établi à Hasselt ou à Arlon, ne sera pas exclusivement destiné aux habitants de ces deux villes. Il sera utile aux habitants de la province; il pourra même appeler des élèves d'autres parties du royaume si l'enseignement y est bien donné, et le pensionnat bien tenu.
Il n'y a donc pas de raison pour priver le Limbourg et le Luxembourg d'un athénée parce que les villes de Hasselt et d'Arlon sont peu considérables; ces provinces sont très étendues et leurs habitants ont droit à avoir un enseignement moyen rapproché d'eux.
On a objecté contre les écoles moyennes qu'elles pourraient se transformer en collèges. Eh bien, ce n'est pas là, je dois le dire, leur destination première; mais si, dans certaines localités et par exception, il était reconnu nécessaire d'augmenter le programme de l'école moyenne, conformément à la loi et suivant les besoins de la localité, on donnera à l'enseignement de l'école moyenne l'extension convenable.
M. Moncheur. - C'est élastique.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute.
M. Dumortier. - Ce seront de vrais collèges.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous les appellerez comme vous voudrez. Ce seront des écoles moyennes étendues suivant les besoins de la localité. Mais, en règle générale, les écoles moyennes ne s'écarteront pas du programme qui leur est assigné par la loi ; en règle générale, on n'y annexera pas de classe latine. Mais il est certaines localités où il sera peut-être nécessaire de donner quelques cours de latin. Je ne dis pas que cela doive nécessairement se faire, mais cela peut arriver; et il ne faut pas que le gouvernement ait les mains tellement liées qu'il ne puisse satisfaire aux besoins de localités qui se trouvent dans une situation spéciale.
J'aime à croire que les objections contre les écoles moyennes ne se seraient pas produites si l'on avait commencé la discussion par l'article 26 relatif au programme de ces écoles.
Il suffit de prendre connaissance de ce programme pour s'assurer que l'enseignement donné dans ces écoles est extrêmement utile; qu'il répond aux besoins d'un très grand nombre de citoyens; qu'il n'y a rien d'exagéré dans le nombre de cinquante écoles moyennes, quand on le (page 1279) l'enseignement sur cette échelle. Nous comptons au-delà de 200 chefs-lieux de justice de paix. Voyez quelle marge est laissée à la liberté quand le gouvernement aura établi 50 écoles moyennes dans divers chefs-lieux d'arrondissement et chefs-lieux de canton. La part laissée à la liberté sera encore immense. Je n'ai qu'une crainte, c'est que la liberté ne suffise pas aux besoins qui resteront à satisfaire pour l'enseignement moyen.
On parle beaucoup de la liberté; mais songez-y, elle a été impuissante, même avec le concours de l'Etat et des communes, pour satisfaire à tous les besoins. Savez-vous qu'après vingt ans de liberté, il n'y a que la moitié des enfants qui reçoivent l'instruction primaire? Sur 900 mille enfants de cinq à quinze ans, 472 mille seulement fréquentent les écoles. Pour l'enseignement moyen, le nombre des élèves n'est que de 25,000.
Quand la liberté aura fait son devoir, quand elle aura fourni une sage et solide instruction à toutes les populations, alors vous pourrez dire que l'action du gouvernement est inutile, et vous récrier contre l'intervention de l'Etat; mais tant que la liberté n'aura pas fait son devoir, n'aura pas accompli sa tâche, laissez le gouvernement accomplir la sienne et exécuter ce qui lui est formellement prescrit par la Constitution.
On vient encore citer l'Angleterre comme exemple à suivrc en matière d'enseignement. Mais s'est-on enquis du véritable état des choses ? Eh bien, dans ce pays de liberté pratique où les individus sont depuis longtemps habitués à s'associer, à faire ainsi beaucoup de choses sans le concours du gouvernement, l'état de l'instruction dans plusieurs paroisses est vraiment pitoyable.
Permettez-moi de vous lire un extrait d'un article du Morning-Chonicle relatif à l'état de l'instruction publique dans quelques districts de l'Angleterre :
« Rien n'est plus étrange que l'organisation de l'enseignement dans les comtés de l'Angleterre. Notre système d'instruction publique est un tissu d'éléments contradictoires. Ici des écoles, là aucune instruction, en un mot, pas d'ensemble, pas d'homogénéité ; de simples efforts individuels, mais nécessairement incomplets. La surveillance n'existe que de nom, et les rapports des inspecteurs des écoles et ceux même du clergé des paroisses sont incompréhensibles. Et, en vérité, nous sommes tellement novices pour ce qui regarde l'éducation nationale, que le département chargé de cette branche importante ne sait par quel bout la prendre pour la diriger.
« Pourtant, quelque défectueux que soient les rapports, ils suffisent pour démontrer le triste état de l'instruction publique dans notre pays. »
Voilà donc le pays modèle jugé par les Anglais eux-mêmes.
M. Dechamps. - Par qui ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'opinion est empruntée à un ouvrage publié par le Morning-Chronicle ; elle s'appuie sur le rapport de MM. les inspecteurs eux-mêmes.
Permettez-moi de vous citer encore deux autres faits :
« Beaucoup de personnes, ne considérant que les efforts tentés récemment par le gouvernement et les particuliers, s'imaginent que notre enseignement est au moins établi aujourd'hui sur un pied respectable.
« Mais une observation quelque peu sérieuse les désillusionnerait bientôt. S'il est vrai que les subsides accordés aux écoles se sont élevés, depuis quelques années, de 30,00 liv. à 100,000 liv. par an, il n'en est pas moins vrai aussi que le chiffre total des secours publics et privés accordés chez nous à l'instruction publique, est loin d'approcher des sommes consacrées à l'éducation nationale par le gouvernement seul, dans certains pays du continent, et dans les Etats-Unis d'Amérique.
« Les écoles paroissiales (parish union schools) sont vraiment curieuses. Ainsi, d'après le rapport des inspecteurs, on y enseignerait :
« Les biographies des hommes utiles, la géographie, l'histoire naturelle, l'hygiène, l'économie politique et domestique, l'horticulture, la mécanique, l'agriculture, la grammaire, la philosophie, l'astronomie.
« Et un étranger dirait, en voyant cette nomenclature, que nous sommes le peuple le plus érudit, le plus savant du monde entier!
« Eh bien, en fait, dans le comté d'Oxford, d'après ces mêmes rapports, il n'y a pas un seul élève qui, dans les écoles susdites, apprenne la géographie, la grammaire ou l'histoire.
« Est-ce une erreur du rapport? dit l'auteur. Je ne sais, mais je le copie textuellement.
« Pour ma part, ajoute l'auteur, j'ai voulu faire l'expérience et en fait de géographie, je n'ai pas trouvé un élève qui pût me dire ce qu'est une colonie ni où se trouve le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie.
« Il en est de même dans toute l'Angleterre, et si on établissait partout des écoles nationales, à coup sûr cette ignorance disparaîtrait. »
Voilà, messieurs, à quels résultats mène l'instruction publique, exclusivement livrée à l'initiative des individus , secondée cependant depuis quelques années par l'action du gouvernement. (Interruption.)
A Dieu ne plaise que je veuille jeter la moindre déconsidération sur ce grand peuple, sur cette nation, si digne de servir de guide aux autres !
J'ai seulement voulu, en cette question spéciale de l'enseignement secondaire, montrer dans quelle situation cet enseignement se trouvait dans certaines paroisses de l'Angleterre.
Pour conclusion, messieurs, je maintiens la proposition du gouvernement.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.