(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1195) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à une heure et quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Plusieurs habitants de Langemarck prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »
« Même demande de plusieurs habitants de Coxyde, Dickebusch, Wanmelghen, Vinchem, Thielrode, Eggewaertscappelle, Dorinnes, Saint-Trond, Bois-de-Villers, Pollinchove. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Sibret prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou de le modifier profondément. »
« Même demande de plusieurs habitants d'Ochamps, Liesele et Steelen, Bruxelles, Mouscron, Putte, Zarren, Rolselacr, Schriek, Haeckt, Seneffe. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants et cultivateurs de Warneton demandent que les tabacs étrangers et notamment ceux du département du Nord et du Pas-de-Calais ne puissent entrer en Belgique que par mer. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Plusieurs habitants de Gheel prient la chambre d'adopter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. le Ministre de l'intérieur adresse à la chambre trois exemplaires des volumes III à VI de la Bibliothèque rurale.
- Dépôt à la bibliothèque.
L'éditeur du « Journal de Louvain » adresse à la chambre 120 exemplaires du deuxième mémoire publié par la rédaction de ce journal, contre l'établissement d'un pont sur le Rupel à Boom.
- Distribution aux membres.
Message du sénat annonçant l'adoption, par cette chambre, du projet de loi relatif à l'interprétation des articles 1322 et 1328 du Code civil.
- Pris pour information.
Première section
Président : M. Clep
Vice-président : M. Sinave
Secrétaire : M. Van Iseghem
Rapporteur de pétitions : M. Coomans
Deuxième section
Président : M. Osy
Vice-président : M. Jacques
Secrétaire : M. David
Rapporteur de pétitions : M. de Perceval
Troisième section
Président : M. Lelièvre
Vice-président : M. Mercier
Secrétaire : M. Pierre
Rapporteur de pétitions : M. Lange
Quatrième section
Président : M. Dautrebande
Vice-président : M. de Royer
Secrétaire : M. Toussaint
Rapporteur de pétitions : M. de T’Serclaes
Cinquième section
Président : M. Dumortier
Vice-président : M. de Man d’Attenrode
Secrétaire : M. H. de Baillet
Rapporteur de pétitions : M. Van Cleemputte
Sixième section
Président : M. Destriveaux
Vice-président : M. de Renesse
Secrétaire : M. Ansiau
Rapporteur de pétitions : M. Jullien
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer le compte rendu de l'exécution de la loi sur le défrichement des terrains incultes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je présente un projet de loi ayant pour objet l'érection en commune d'un hameau faisant partie de la commune de Beverloo (Limbourg).
M. Lelièvre. - Il est dans les usages de la chambre de renvoyer l’examen des projets de la nature de celui dont il s'agit à une commission spéciale. Je demande qu'il en soit encore ainsi à l'égard du projet que vient de déposer M. le ministre de l'intérieur.
- La chambre donne acte à M. le ministre de l'intérieur de cette communication, ordonne l'impression et la distribution de ces pièces, et renvoie à une commission spéciale à nommer par le bureau le projet de loi relatif à une séparation de communes.
M. Van Grootven, au nom de la commission des naturalisations, dépose plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.
- La chambre en ordonne l'impression et la distribution.
Discussion générale
M. le président. - La discussion générale continue. La parole est à M. Dedecker.
(page 1211) M. Dedecker. - Le gouvernement, par l'organe des deux ministres qui jusqu'à présent ont pris part à la discussion importante qui se livre devant vous, a demandé à l'opposition de la franchise, de la modération; il a fait appel à l'esprit de conciliation, à l'esprit de paix.
Tous mes antécédents me convient à répondre à cet appel; toujours, dans toute ma carrière politique, je crois m'être montré député franc, modéré, conciliant. Mais le gouvernement a-t-il, lui, dans toute cette question de l'enseignement moyen, déployé ces qualités qu'il réclame de l'opposition?
Le gouvernement a-t-il montré de la franchise? Ce projet de loi qui avait été annoncé comme étant d'une si haute importance, qui devait avoir pour résultat de restituer au gouvernement ses droits longtemps méconnus, de donner satisfaction à l'opinion libérale, d'opérer une réforme profonde dans l'éducation publique, a subitement, depuis que nous discutons, perdu toutes ces grandes proportions. Ce n'est plus pour reconquérir ses droits et renforcer son action que le gouvernement présente le projet de loi; tout au contraire; il ne s'agit plus, même, que de faire cesser l'arbitraire ministériel.
Ce n'est plus une satisfaction donnée à l'opinion libérale, oh ! non, le gouvernement ne prétend pas qu'on y voie une question de parti, une loi réactionnaire.
Ce n'est plus une réforme radicale de l'enseignement moyen; non. Il n'est plus question que de régulariser, dit-on, ce qui existe et de faire une carrière, une position stable aux professeurs.
Ainsi, ce projet de loi, qu'on présentait comme un acte destiné à illustrer le ministère actuel, prend aujourd'hui des proportions bien humbles. On s'efface devant la discussion; et, quand l'opposition attaque les principales dispositions du projet de loi, on l'accuse de n'attaquer que des fantômes ! Voilà comment le gouvernement a pratiqué la franchise.
Le gouvernement nous demande de la modération, et l'on commence par suspecter la loyauté de nos intentions; avant même que nous ayons parlé, on nous accuse de nous livrer à un système arrêté d'odieuse calomnie. Il y a plus : dans le discours même où M. le ministre de l'intérieur nous demande de la modération, il finit par insulter à notre modération. Au lieu de reconnaître, comme il le faisait au moment du danger, que notre modération, depuis deux ans, était inspirée par un patriotisme vrai, M. le ministre a l'air de n'y voir aujourd'hui que l'effet de la peur.
Le gouvernement fait appel à l'esprit de conciliation, et, chose singulière, il nous annonce qu'il n'est disposé à accepter des transactions que pour autant qu'elles ne dérogent en rien à l'esprit du projet de loi; or, c'est précisément cet esprit que nous combattons. Il demande de la conciliation, et M. le ministre est allé jusqu'à articuler une prétention inouïe dans les assemblées parlementaires, à savoir qu'il est décidé à n'accepter que les amendements proposés par ses amis. Je ne sache pas que jamais ministre ait plus formellement repoussé la conciliation que M. le ministre de l'intérieur ne l'a fait par cette déclaration.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis fâché de vous interrompre ; mais je n'ai pas dit cela.
M. Dedecker. - Vous l'avez dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non; j'ai dit que j'adoptais d'autant plus facilement l'amendement dont je m'occupais, qu'il était présenté par mes amis. Je n'ai pas dit que j'exclurais tous les autres.
M. Dedecker. - Cela revient à dire que vous n'en accepterez pas d'autres; c'est, en d'autres termes, repousser la conciliation. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est certain que j'ai plus de confiance dans mes amis que dans mes adversaires.
M. Dedecker. - Cela est très naturel; mais ne repoussez pas ce que vos adversaires peuvent proposer de juste et d'utile. De son côté, l'honorable ministre des travaux publics a recommandé la paix. Cette paix, messieurs, je la veux aussi; j'y suis tout disposé; mais c'est à la condition qu'elle soit sincère et loyale. Je veux la paix; mais je ne veux pas une fausse paix, reposant sur une équivoque. Je veux la paix ; mais je ne veux pas une paix qui soit déshonorante, qui soit achetée au prix du sacrifice des convictions. Je veux la paix ; mais une paix durable, conclue entre des parties qui s'estiment et qui manifestent, l'une pour l'autre, une réelle et sympathique confiance.
Messieurs, il y a de ces questions qui, par leur nature même, ne devraient s'agiter que dans les hauteurs sereines de la raison et de la conscience publique; il est de ces intérêts tellement sacrés, qu'il faut avoir peur de les profaner par le moindre contact de l'esprit de parti.
Au premier rang de ces questions, au premier rang de ces intérêts, il faut placer l'éducation nationale. Le caractère en est si essentiellement social, que je ne comprends pas plus un enseignement de parti que je ne comprendrais une justice de parti, une armée de parti. L'enseignement, autant que la justice, autant que l'armée, doit s'organiser et se maintenir sous l'influence des plus hautes considérations d'Etat, et dominer tous les partis.
M. Lebeau. - Nous sommes d'accord.
M. Dedecker. - C'est ce que nous verrons dans l'application.
Messieurs, c'est parce que je ne reconnais pas au projet de loi ce caractère social, que je crois devoir le combattre. J'ai appuyé le ministère, toutes les fois que, présentant des projets de (page 1212) loi ou posant des actes, il s'est placé au-dessus de l'esprit de parti. Je l'ai suivi, souvent même au risque de paraître abandonner mes amis; mais, c'est parce que, dans son projet de loi sur l'enseignement moyen, il a sacrifié les intérêts sociaux pour satisfaire les exigences d'un parti, que je ne puis plus le suivre.
Messieurs, je le proclame donc sans ambages et sans circonlocutions : le projet de loi que nous discutons est. à mes yeux un projet de réaction contre les principes déposés dans notre pacte fondamental. Il a, pour moi, essentiellement ce caractère.
C'est un projet de loi dont la présentation a été provoquée par un parti et dont le but évident est de donner satisfaction à un parti. Le gouvernement, et je le prouverai plus tard, le gouvernement s'est fait parti; au lieu d'une loi consacrée à la saine et impartiale application des principes constitutionnels, il nous a présenté une loi toute pétrie de préjugés et de rancunes.
Du reste, messieurs, les honorables amis du ministère ont été, eux, plus francs. L'honorable M. Orts a reconnu sincèrement que le projet de loi n'est, en réalité, que l'exécution du programme du Congrès libéral; l'honorable M. Lebeau a dit que le gouvernement doit se faire parti; l'honorable M. Delfosse a félicité le gouvernement de réaliser les promesses qu'il a faites dans l'opposition. C'est-à-dire, messieurs, que pour la première fois, en Europe, on voit des hommes au pouvoir conserver les passions qu'ils avaient dans l'opposition.
M. Lebeau et M. Delfosse. - Les principes.
M. Dedecker. - Ce sont donc des principes qui nous divisent. Vous élargissez encore l'espace qui nous séparait, et vous parlez de conciliation !
Croyez-le bien, messieurs, le pays ne s'y méprend pas. Vous avez beau, par vos hésitations, que vos journaux eux-mêmes vous reprochent d'ailleurs, vouloir endormir l'opinion publique en lui inspirant une fausse sécurité; le pays comprend que vous voulez nous administrer une espèce de chloroforme avant l'amputation de nos libertés. Non, n'espérez point de parvenir à donner le change à nos populations. Elles, d'ordinaires si paisibles, voyez comme elles s'émeuvent ! (Interruption.)
Oui, messieurs, et puisque vous niez l'importance de ce mouvement national, permettez-moi de vous le dire, à une autre époque aussi, il y avait aux états généraux des amis du ministère aimant à lancer des plaisanteries pleines de dédain contre ces manifestations nationales; alors aussi il y avait des journaux rédigés par des étrangers qui étaient chargés de se moquer de ces manifestations; alors aussi, le gouvernement, aveuglé sur sa situation, n'avait que des sarcasmes et des injures pour les pétitionnaires ; alors on les nomma des infâmes; aujourd'hui ce ne sont encore que des calomniateurs et des fanatiques !
Non, messieurs, le pays ne se méprend pas sur la portée du projet de loi. Ecoutez les deux hommes du gouvernement provisoire en qui se résumaient les deux opinions qui ont transigé en 1830, MM. de Potter et de Mérode, M. de Potter, le représentant de la philosophie libérale, M. de Mérode, le représentant du catholicisme libéral. Ces deux hommes, restés conséquents avec eux-mêmes, sont d'accord pour dire que votre loi vient donner un démenti à la pensée d'union qui a présidé à la constitution de notre indépendance; ils sont d'accord pour proclamer que votre projet de loi est accueilli avec un sentiment de réprobation universelle! Ecoutez le vénérable président du Congrès national, autre illustration du pays, noble intelligence et beau caractère, lui aussi, il vient publiquement vous condamner!
Messieurs, puisque je parle de cette époque mémorable de notre émancipation politique, puisque l'examen du projet de loi nous y ramène tout naturellement, permettez-moi d'en évoquer ici un souvenir.
Avant 1830, vous le savez, le gouvernement hollandais avait froissé comme à plaisir les sentiments religieux des Belges, leur amour de la liberté, leur esprit national. C'est sous l'impression produite par cette triple oppression que se forma la grande et noble union des catholiques et des libéraux , dont on a si maladroitement , au point de vue de la position des défenseurs de la loi, rappelé les souvenirs.
Cette union de catholiques et des libéraux inscrivit sur son drapeau cette noble devise : Dieu, liberté, patrie! Ce cri de ralliement fut bientôt le cri de la délivrance.
Le Congrès, appelé à constituer par sa sagesse l'indépendance que le pays venait de conquérir par son énergie, le Congrès resta fidèle à cette devise; par toute sa conduite, par tous ses votes, il sut prouver que ce fut à cette triple source qu'il puisa constamment ses plus généreuses, ses plus hardies inspirations.
Aujourd'hui, messieurs, nous avons à continuer, à poursuivre, à compléter l'œuvre du Congrès; nous devons donc nous pénétrer de son esprit. La devise: Dieu, liberté, patrie, sera donc aussi ma devise.
Je me propose donc d'examiner le projet de loi, au triple point de vue : de la religion, dont les droits ne sont pas suffisamment garantis par la loi qu'on nous propose, - de la liberté, dont la conservation serait désormais impossible; - de la patrie, dont l'avenir serait gravement compromis.
Messieurs, je suis donc amené à traiter d'abord la question religieuse. Je tiens d'ailleurs à commencer par celle-là, parce qu'elle est la plus importante, parce qu'elle est la moins bien comprise et parce qu'elle est la plus éloignée d'une solution convenable.
L'honorable ministre des travaux publics, aux intentions duquel je rends pleine justice (les anciennes relations que j'ai eues avec lui me permettent d'attester ici publiquement la droiture de son caractère, et la loyauté de ses convictions) ; l'honorable ministre des travaux publics croit que, tous, gouvernement, majorité et opposition, nous sommes très près de nous entendre, qu'un bien petit espace nous sépare. Je pense que c'est de sa part une généreuse illusion, mais ce n'est qu'une illusion. Ou bien, il y a un abîme entre lui et quelques-uns de ses collègues et amis politiques, ou bien il y a entre eux tous et nous un abîme, en ce qui concerne l'intelligence et l'application des principes religieux et constitutionnels.
Messieurs, je tiens d'autant plus à approfondir devant vous cette question religieuse, qu'on a, à propos de cette question, soutenu dans cette enceinte et au dehors des doctrines qui me paraissent extrêmement dangereuses et fécondes en conséquences désastreuses pour le pays.
Deux grands principes dominent la question religieuse : celui de la liberté des cultes, et celui de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Mon honorable ami, M. le comte de Mérode, a déjà, dans la séance d'hier, traité cette matière avec le bon sens et l'esprit qui le distinguent. Permettez-moi néanmoins de m'y arrêter encore quelques instants. Le sujet est grave, il est digne de toutes nos méditations.
Examinons d'abord le principe constitutionnel de la liberté des cultes.
Quelle est la signification, la portée de ce principe? La plupart des personnes qui émettent à ce sujet des opinions irréfléchies, supposent qu'en vertu de ce principe, il n'y a plus, aux yeux de l'Etat, de croyances religieuses. L'Etat n'a pas de religion, n'a pas de croyances; donc l'Etat est athée.
Ce principe ne peut être entendu de la sorte. Aujourd'hui, pas plus que dans les siècles antérieurs, on ne saurait concevoir de société sans religion.
L'Etat, représentant cette société, doit, aujourd'hui comme toujours, tenir compte de l'élément religieux sans lequel la société ne saurait se maintenir. Aussi longtemps que l'unité religieuse n'avait pas été brisée, la question que nous discutons ici n'en était pas une. Depuis, elle a dû forcément s'imposer aux législateurs.
Longtemps encore après la rupture de l'unité religieuse, il y a eu, à côté d'autres cultes tolérés, une religion d'Etat. C'est même chez les nations dissidentes que la théorie d'une religion d'Etat a été maintenue avec le plus de vigueur. Le principe constitutionnel de la liberté des cultes signifie donc, non pas que l'Etat ne reconnaît plus de religion, mais qu'il ne reconnaît plus de religion privilégiée, de religion d'Etat. On ne peut donc pas inférer que l'Etat n'a plus de croyances du tout, qu'il est athée. L'Etat, au contraire, accepte toutes les croyances, maintient toutes les croyances, sans examiner leur valeur intrinsèque.
L'Etat ne se charge plus de protéger spécialement telle ou telle croyance; il les admet et les garantit toutes en aussi grand nombre qu'il y a de cultes reconnus par la loi. L'Etat n'a donc plus de culte officiellement à lui; mais il doit laisser à chaque culte sa libre organisation, son libre développement, le libre enseignement de sa doctrine, les protégeant tous également par la liberté. On n'est donc pas admis à dire (et c'est pourtant ce que j'ai lu dans beaucoup de journaux dont l'opinion se trouve reproduite dans le Moniteur, opinion à laquelle le gouvernement semble, par le fait même de cette reproduction, vouloir se rallier), que, par suite de la liberté des cultes, le gouvernement n'ayant pas de croyances, ne doit pas, qu'il ne peut pas même admettre un enseignement religieux dans la loi. C'est là une application évidemment erronée du principe de la liberté des cultes; c'est une véritable hérésie constitutionnelle.
Le gouvernement n'a aucun enseignement religieux à lui. Est-ce à dire qu'il n'y aura pas d'enseignement religieux dans les établissements créés aux frais de l'Etat? Cela est absurde ; il doit y avoir un enseignement religieux; mais l'Etat ne peut pas le donner lui-même; il doit le laisser donner en toute liberté par ceux qui, d'après la Constitution, indépendante de chaque culte, ont mission de le donner.
Je parle ainsi dans l'intérêt des protestants et des israélites tout autant que dans l'intérêt des catholiques.
Le deuxième principe constitutionnel que nous avons à examiner, est celui de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ici surgissent des difficultés plus grandes peut-être; ici nous aurons, si je ne me trompe, plus de peine à nous entendre.
Quelle est la portée vraie de ce principe constitutionnel? Voici comment je l'entends.
Il y a deux sociétés, la société religieuse et la société civile ou politique. Comme croyants, nous appartenons à la première; comme citoyens, nous faisons partie de la dernière. Chacune de ces deux sociétés a son origine et son organisation distinctes; chacune aussi, dans le domaine qui lui est propre, est indépendante de l'autre. Comme il n'y a pas de société sans pouvoir, ces deux sociétés sont représentées par deux puissances, distinctes et indépendantes en tout ce qui concerne directement le but de l'existence de ces sociétés, en tout ce qui est indispensable à leur conservation. Il y a donc deux pouvoirs; séparés, si l'on veut, puisque ce mot a reçu la consécration de l'usage, mais que j'aimerais mieux proclamer distincts, pour mieux reconnaître que, s'ils doivent être indépendants, ils doivent aussi rester unis pour atteindre ensemble leur but commun qui est le bien-être moral et matériel de la société. En effet, ce qui a pu, dans les siècles antérieurs, engendrer des abus, ce n'est pas l'existence de deux puissances, ni leur union, mais bien leur confusion, et, par conséquent, leur alternative suprématie de l'une sur l'autre.
Le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ainsi compris (et (page 1213) c'est là sa portée constitutionnelle), est admis par tous les hommes politiques. Mais il est interprété d'une façon tout autre par les auteurs et les défenseurs du projet de loi, qui s'appuient, dans leur interprétation, sur les maximes, qui ont fait tant de bruit dans ces derniers temps, de l'Etat laïque, de l'indépendance du pouvoir civil. D'après les uns, l'indépendance du pouvoir civil implique la négation du pouvoir religieux; pour eux, il n'y a plus, au point de vue constitutionnel, deux puissances, deux autorités; il y incompatibilité d'existence entre ces deux représentants des deux sociétés. D'après les autres , l'indépendance du pouvoir civil, c'est sa domination, sa suprématie, en cas de conflit, sur le pouvoir religieux.
Cette double interprétation constitue, à mon sens, une double et radicale erreur. Depuis comme avant l'adoption de notre Constitution, il y a deux puissances dont l'action doit être indépendante, de part et d'autre, dans le domaine qui leur est propre, et dont l'union est plus que jamais désirable, puisqu'elle est plus que jamais nécessaire.
Il arrive souvent que ces deux puissances se rencontrent dans la direction de leurs sociétés, bien que celles-ci soient parallèles et non opposées ou rivales. Comment, dans ces questions mixtes, dans ce cas de conflits inévitables, car nous sommes à la fois, comme croyants, membres de la société religieuse, et, comme citoyens, membres de la société politique, comment combiner l'action des deux puissances?
Ces matières mixtes doivent être réglées par des négociations, qui aboutissent à des concordats quand il s'agit de l'ensemble des rapports de l'Eglise avec un Etat, ou à des conventions particulières, quand il s'agit de tel ou tel rapport spécial.
La question ainsi posée n'est-elle pas des plus simples? De bonne foi, y a-t-il de si grosses, de si insurmontables difficultés? Je ne vois pas que l'Etat compromette sa dignité, sacrifie ses prérogatives, en traitant de puissance à puissance avec l'autorité spirituelle, pas plus que lorsqu'il traite avec un autre Etat étranger pour conclure une convention diplomatique ou commerciale, pas plus que lorsqu'il fait un concordat avec Rome, avec le souverain pontife.
Les conventions de l'autorité civile avec les évêques, en telle ou telle matière spéciale, ont, je le répète, dans une sphère plus restreinte, le même caractère que les concordats. Ces conventions peuvent donc s'opérer, sans le moindre sacrifice de la dignité, de l'indépendance du pouvoir civil.
Voilà, messieurs, comment j'entends les deux grands principes constitutionnels de la liberté des cultes et de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Reste à examiner maintenant comment ces principes doivent recevoir leur application dans la loi sur l'enseignement moyen. Le système que j'ai proposé dans la section centrale, je demande la permission de l'exposer en peu de mots.
L'enseignement religieux fait-il partie intégrante, essentielle de l'enseignement public? Les ministres ne me paraissent pas d'accord sur cette question capitale. En section centrale, M. le ministre de l'intérieur n'a pas voulu reconnaître la nécessité de l'enseignement religieux. Il a reconnu que cet enseignement peut être très convenable, très désirable, très utile; mais il n'a pas voulu le reconnaître comme partie intégrante et essentielle de l'enseignement public. Est-ce en vertu de la doctrine que l'Etat, n'ayant pas de croyance à lui, ne peut s'engager à donner cet enseignement?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit pourquoi.
M. Dedecker. - J'examinerai tout à l'heure le motif que vous avez allégué.
L'enseignement religieux doit faire partie intégrante, essentielle de l'enseignement public donné aux frais de l'Etat? Je crois que cela ne peut être contesté. L'honorable ministre des travaux public l'a reconnu; il a déclaré même que l'enseignement religieux est obligatoire pour l'Etat.
Faut-il l’inscrire dans la loi? Ici nous arrivons à la difficulté qui a arrêté M. le ministre de l'intérieur. Faut-il l'inscrire dans la loi? Non, avait dit M. le ministre de l'intérieur en section centrale. Non, avait dit la section centrale. Oui, il faut l'inscrire, et je suis prêt à admettre un amendement en ce sens, répond M. le ministre des travaux publics, mais à la condition qu'on n'y attachera pas une autre pensée que la nôtre, qu'on n'en fera pas découler des conséquences qui ne sont pas les nôtres. Quelles seraient ces conséquences devant lesquelles recule le gouvernement? Ces conséquences sont toutes naturelles, toutes logiques.
En vertu des principes constitutionnels que nous venons d'examiner, il s'agit de rechercher qui doit donner l'enseignement religieux.
Je ne vois pas, si l'on comprend le principe de la liberté des cultes et le principe de la séparation de l'Eglise, et de l'Etat comme je l'ai expliqué, et comme on doit l'admettre avec moi, je ne vois pas, dis-je, qu'il y ait ici une invincible difficulté.
Nous inscrirons dans la loi que l'enseignement religieux est obligatoire. Qui le donnera? D'après la Constitution, qui proclame la liberté des cultes, il faut admettre que, pour les élèves catholiques (c'est-à-dire pour la presque unanimité des élèves de nos établissements), l'enseignement religieux doit être donné exclusivement par ceux qui, d'après la constitution intérieure de l'Eglise catholique, ont mission de donner cet enseignement. Pour nous, à moins de renier les principes fondamentaux de notre religion, nous ne pouvons admettre qu'un laïque puisse donner l'enseignement religieux, à moins qu'il ne soit délégué, surveillé par l'autorité spirituelle. Or, voici au fond toute la difficulté ; on ne saurait contester la justesse du principe, mais les conséquences en font peur. On craint que l’Eglise ne mette à son concours des conditions qu'on croirait ne pouvoir accepter. Pour échapper à cette extrémité, on ne recule pas devant l'admission du principe qu'au besoin l'Etat, ou un laïque délégué par lui, peut donner l'enseignement religieux. Cette prétention, évidemment inconstitutionnelle, puisqu'elle ne tend à rien moins qu'à détruire la constitution intérieure du catholicisme et à violer ainsi la liberté des cultes, est admise en définitive par M. le ministre des travaux publics comme par les autres ministres et par les défenseurs du projet. Pour nous, comme catholiques, comme amis de la Constitution, nous ne saurions admettre que, dans quelque circonstance que ce soit, un laïque puisse, sans délégation expresse de l'autorité spirituelle, donner l'enseignement religieux.
Comment donc résoudre la difficulté? Eh bien, le pouvoir civil doit se concerter avec le pouvoir spirituel. Mais, si l'on ne parvient pas à s'entendre? L'obligation une fois inscrite dans la loi, de donner l'enseignement religieux, l'Etat peut-il jamais admettre cette conclusion extrême que cet enseignement puisse jamais, comme le disait le projet de loi de l'honorable comte de Theux, être suspendu? On a exagéré la portée de ces mots, et j'ai tout lieu de croire que mes explications, sur cette expression, concorderont avec celles que donnera cet honorable membre.
Je suppose qu'il a voulu dire que l'enseignement religieux serait suspendu dans l’établissement, mais, pour cela, il n'est pas complètement suspendu. Voici comment alors la difficulté pourrait être résolue. Où se donne l'enseignement religieux, d'une manière normale, par le clergé? Dans les temples de la communion catholique. Eh bien, le clergé ne pouvant plus aller donner l'enseignement religieux dans l'établissement même, on ira le chercher là où tous les fidèles le trouvent, c'est-à-dire à l'église.
Ainsi, lorsque, à la suite de négociations ouvertes entre l'autorité civile et l'autorité religieuse, on n'arrive pas à une convention qui détermine le clergé à donner, dans l'établissement même, un enseignement religieux spécial pour les élèves, alors on rentrera dans le droit commun, et les élèves de l'établissement recevront l'instruction religieuse qui se donne dans l'église.
Cette instruction, me fait-on observer, est insuffisante. Je suis le premier à le reconnaître ; mais nous devons désirer tous que ce soit là l'exception ; et je ne la propose que comme un pis-aller et pour pouvoir jusqu'au bout rester fidèle aux principes constitutionnels.
M. le ministre des travaux publics a reconnu que l'enseignement religieux donné par un laïque serait insuffisant. Insuffisance pour insuffisance, j'ai du moins l'avantage d'être conséquent jusqu'au bout. L'Etat ne sacrifie rien de ses prérogatives; l'Eglise ne sacrifie aucun de ses droits. Si le clergé ne croit pas pouvoir souscrire aux conditions qui sont mises à la demande de son concours, il peut le refuser : alors l'enseignement religieux ne se donnant plus dans l'établissement même, on revient au droit commun, et cet enseignement, on va le chercher à l'église. D'un autre côté, on laisse une issue au gouvernement, et on évite cette difficulté, que l'enseignement religieux serait complètement suspendu.
Ainsi, tous les prétextes opposés à l'intervention de l'autorité spirituelle dans l'enseignement moyen, du chef de l'indépendance du pouvoir civil, viennent à tomber. Pour maintenir l'indépendance du pouvoir civil, il ne faut plus nier l'existence d'une autorité spirituelle, ni en contester l'indépendance en matière d'enseignement doctrinal.
Ainsi donc, c'est bien à titre d'autorité que le clergé doit donner l'instruction religieuse; cette autorité, si vous ne la reconnaissez pas, si vous ne la respectez pas, vous violez les principes constitutionnels de la liberté des cultes et de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Mais, qu'on me comprenne bien : est-ce à dire qu'à titre d'autorité, sans aucune convention préalable, le clergé pourra se présenter dans l'établissement de l'Etat et y imposer d'office son enseignement? Non. Tout en restant autorité, et autorité indépendante, il est obligé, avant d'entrer dans un établissement de l'Etat, de se concerter avec l'autorité civile, pour convenir des conditions de son concours religieux.
Avec ce système, qu'on en convienne de bonne foi, tous les droits sont respectés et garantis, tous les principes sont saufs. Mais, prétendre que le clergé ne peut, dans un établissement de l'Etat, donner l'enseignement religieux à titre d'autorité, c'est une hérésie constitutionnelle opposée au principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ou c'est un non-sens.
Or, cette hérésie constitutionnelle est au fond de la pensée gouvernementale qui a présidé à la rédaction du projet de loi. Elle figure au nombre des prétendus principes proclamés par le Congrès libéral, dont le projet de loi, on l'avoue aujourd'hui, n'est que l'exécution.
J'arrive à une question secondaire. Faut-il que, dans la loi même, on stipule les conditions du concours du clergé et qu'on y indique officiellement des garanties pour ces conventions entre l'autorité civile et l'autorité religieuse? Cela n'est pas indispensable, et cela est impossible. Si, dans la section centrale, j'ai proposé d'indiquer quelques moyens propres à engager le clergé à se montrer accommodant, c'est parce que j'ai voulu fournir ainsi au gouvernement et à la législature l'occasion de nous donner quelques gages de bienveillance. C'est dans cette vue que j'ai demandé, entre autres garanties, qu'on insérât dans la loi même l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau d'administration et dans le (page 1214) conseil de perfectionnement. Mais je n'ai pas le droit de stipuler pour compte de l'autorité religieuse. Vous ne voulez pas môme insérer dans la loi ces faibles garanties : soit. L'essentiel, c'est que vous obteniez le concours du clergé. Vous flattez-vous de l'obtenir autrement? Comme vous le voudrez. Je ne sais même pas si le clergé tient à ces garanties plus qu'à telles ou telles autres. Tout ce que je puis dire, c'est que vous ne rencontrerez pas chez lui ces prétentions incurables, ce parti-pris dont parlait avant-hier M. le ministre des travaux publics.
A cet égard on pourrait même citer ce qui se passe sous nos yeux, dans le diocèse de Malines. Il y existe trois grands établissements d'instruction publique. Dans ces trois établissements, l'intervention du clergé a un caractère tout différent. A Bruxelles, il n'intervient pas ; à Anvers, il intervient par la nomination d'un aumônier, et à Malines, il intervient d'une manière beaucoup plus complète. Ainsi, voilà, pour un seul évêque, trois modes d'intervention.
C'est pour cela, messieurs, qu'on est grandement dans l'erreur lorsqu'on croit que nous attachons une si grande importance à l'article 8.Pour moi, cet article ne dit rien du tout. Voulez-vous le supprimer? Cela m'est indifférent. Cet article me paraît plutôt dangereux. Quel est, en définitive, le sens qu'il faut attacher au mot « inviter » ? Cette invitation est-elle un engagement adressé à la puissance spirituelle, dans le but de traiter avec elle, d'autorité à autorité, pour négocier son concours? D'un autre côté on parle de surveillance de l'enseignement religieux? Je ne sache pas que le clergé puisse être appelé à surveiller l'enseignement religieux en matière d'enseignement moyen; là il donne lui-même cet enseignement.
Je conçois la surveillance dans l'enseignement primaire, parce que l’enseignement de la morale et de la religion y est donné par un laïque; mais en matière d'enseignement moyen, il n'y a pas lieu à surveillance de la part du clergé, puisque c'est le clergé qui donne lui-même l'enseignement. A moins que cette surveillance ne soit une espèce d'inspection de l'ensemble de la direction des études.
Ainsi qu'on ne dise pas que toutes les opinions semblent aboutir à l'adoption de l'article 8. Lorsqu'on section centrale un membre nous a dit : « Cet article doit convenir à tout le monde, » j'ai répondu : « Non; quant à moi, je ne le vote pas, parce que nous differons du tout au tout sur les principes qui y ont donné lieu, et nous ne savons pas du tout encore comment il faut l'entendre ».
Ainsi, messieurs, j'admets qu'il soit impossible de dire dans la loi quelles seront les garanties qu'il faudrait pour que le clergé offrît son concours.
Mais au moins, s'il y avait quelque bienveillance dans les explications que l'on donne dans la discussion à propos de cet article. Mais que voyons-nous? Nous entendons des plaisanteries contre des abbés figurant à la tête des pétitionnaires; nous entendons des sarcasmes contre les prières publiques, nous entendons accuser le clergé d'avoir fanatisé les populations; nous entendons critiquer l'instruction donnée par le clergé ; nous entendons blâmer toutes les conventions faites avec lui; nous entendons même soupçonner la conduite du clergé à l'égard de l'autorité civile, et on va jusqu'à soupçonner que son refus de concours pourrait être basé sur un misérable calcul d'intérêts ; c'est-à-dire qu'il voudrait, en refusant aux établissements de l'Etat les garanties d'un enseignement moral et religieux, faire affluer les élèves dans ses propres établissements. Eh bien ! avouez que lorsqu'on veut sincèrement un traité de paix, ce n'est point par de semblables préliminaires qu'on peut espérer d'y arriver.
Messieurs, j'ai à examiner maintenant la question de la liberté d'enseignement dont, selon moi, la conservation est rendue impossible par votre loi.
M. le ministre de l'intérieur, pour donner des gages de ses bonnes intentions, nous a dit qu'il aime la liberté, qu'il a foi dans la liberté d'enseignement. Comment! vous aimez la liberté? La liberté est bien bonne si elle se contente du stérile et platonique amour de M. le ministre de l’intérieur. Vous avez foi dans la liberté? Je pourrais vous répondre avec le poète : La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ? Qu'avez-vous fait pour la liberté d'enseignement?
Ah! si l'opinion libérale avait fait pour l'enseignement moyen ce qu'elle a fait pour l'enseignement supérieur, c'est à dire si, comme parti, vous aviez su organiser l'enseignement moyen à vos propres frais, vous auriez le droit de parler de votre foi en la liberté, de votre amour pour la liberté. Mais aujourd'hui, vous voulez avoir le bénéfice d'un enseignement pour lequel vous ne savez rien faire, pour lequel vous ne savez faire aucun sacrifice. Vous voulez avoir les faveurs de la liberté sans les payer, et vous faites de la liberté, pardonnez-moi cette expression triviale, une entretenue aux frais de l'Etat. Si l'opinion libérale aime la liberté, si elle a foi dans la liberté, qu'elle sache faire des sacrifices pour elle; mais qu'elle ne prétende pas organiser, avec l'argent de toute la nation, un enseignement au profit des idées et des tendances d'un parti!
Vous aimez la liberté et vous débutez par la calomnier; car vous calomniez la liberté d'enseignement! Que voyons-nous dans l'exposé des motifs; que voyons-nous dans le rapport de la section centrale? On y déclare que la liberté n'a rien produit, que l'enseignement moyen est dans une situation déplorable.
Eh bien, permettez-moi de vous le dire, et par le nombre des établissements fondés librement et par le nombre des élèves qui les fréquentent, par l'importance des études dont le niveau aurait baissé, selon vous, ce que je n'admets pas, vous devez reconnaître la force, la fécondité de ce principe de la liberté d'enseignement. Oh! vous le savez si bien, que vous feignez de ne pas voir ces résultats de la liberté et de les nier même, précisément pour être dispensés d'avouer que vous en avez peur. Car en définitive, c'est là le motif de votre loi. Les résultats de la liberté sont si grands à vos yeux, qu'ils sont les véritables motifs de la présentation de la loi. C'est parce que l'enseignement libre est si prospère que vous voulez lui opposer un enseignement de l'Etat.
Vous aimez la liberté 1 Mais avez-vous une idée exacte de la liberté ? Permettez-moi de vous dire que non. Déjà le projet de 1834, d'après l'exposé des motifs de M. le ministre de l'intérieur, était « une protestation contre l’abus de la liberté. Ainsi le simple usage de la liberté était déjà à vos yeux, en 1834, un abus. Aujourd'hui il y a progrès : le simple usage de la liberté est devenu un monopole pour M. le ministre de l'intérieur, puisqu'il a dit formellement, au début de cette discussion, qu'au prétendu monopole du clergé il fallait opposer le monopole de l'Etat.
Mais, messieurs, si vous compreniez vraiment la liberté, est-ce que vous devriez réserver à vos seuls établissements de l'Etat les subsides et les bourses, comme vous le faites? Si vous aviez l'intelligence de la liberté, si vous entendiez la liberté d'une façon large et grande, vous accorderiez des encouragements financiers consistant en subsides et en bourses indistinctement à tous les établissements qui le méritent. Il faudrait, si vous aviez la véritable intelligence de la liberté, encourager les efforts de la liberté comme ceux qui se font sous la protection du gouvernement. Voilà ce que j'appellerais une politique libérale et qui aurait véritablement l'intelligence de la liberté.
Il y a plus. On comprend si peu la liberté, que M. le ministre de l'intérieur a annoncé formellement que c'est à l'Etat à faire positivement concurrence à la liberté; l'antagonisme est le but qu'on se propose par la loi.
M. le ministre a dit qu'il y a eu, en 1830, une transaction entre ce qu'il appelle le principe du passé et le principe moderne, et d'après lui le principe du passé étant (cela devait être) représenté par la liberté d'enseignement, c'est à l'Etat de combattre cette liberté. Eh bien, messieurs, ce n'est plus là la position de l'Etat ; c'est l'Etat prenant formellement la place d'un parti. L'enseignement donne aux frais de l'Etat doit respecter toutes les opinions, sauvegarder tous les intérêts. Vous n'avez pas le droit, comme Etat, de dire : Je viens donner un enseignement contraire à l'enseignement libre. Vous ne devez enseigner, dans vos établissements, que les véritables doctrines sociales, indépendantes de tout esprit de parti. Voilà votre position comme Etat.
Vous ne comprenez donc pas la liberté d'enseignement. Nous, que vous accusez si souvent de ne pas aimer la liberté, de ne pas avoir foi en elle, nous la comprenons, nous la voulons si bien, qu'on va jusqu'à nous accuser de ne pas vouloir l'enseignement de l'Etat. Eh bien, quant à moi, messieurs, je proteste de nouveau, comme je l'ai déjà fait, en interrompant l'autre jour M. le ministre, contre une semblable supposition que rien n'autorise. Parce qu'on ne veut pas de notre loi, cela ne veut pas dire qu'on ne veuille pas de loi. Parce qu'on ne veut pas de l'enseignement de l'Etat tel que vous le concevez, cela ne veut pas dire qu'on ne veut d'aucun enseignement de l'Etat. La différence est essentielle.
Eh bien, messieurs, pour moi, j'admets positivement un enseignement public à côté de l'enseignement libre. Je l'admets comme un fait constant, comme un principe constitutionnel, comme un bienfait.
Je l'admets comme un fait: il est constant que l'enseignement public moyen n'a jamais été interrompu.
En 1830, lorsque le gouvernement proclama la liberté d'enseignement, il sanctionna en même temps le maintien de l'enseignement public. Lorsque le Congrès vota l'article 17, l'enseignement public existait de fait et tous les orateurs qui prirent part à la discussion de cet article 17, supposèrent toujours l'existence d'un enseignement public.
J'admets l'enseignement public comme un principe constitutionnel et tous les membres de cette chambre l'admettent comme moi. Il est consacré par le paragraphe 2 de l'article 17.
Enfin, j'admets l'enseignement de l'Etat comme un bienfait politique et scientifique. Au point de vue politique, c'est une garantie de la conservation des principes sociaux. Au point de vue scientifique, c'est une garantie d'émulation qui ne peut tourner qu'à l'avantage de tous.
Mais, messieurs, voici la difficulté. Jusqu'où peut aller l'enseignement public? Cet enseignement public peut-il avoir pour but avoué de combattre la liberté, pour résultat de l'anéantir? Evidemment non, messieurs; ce serait fausser l'article 17 et aller directement à rencontre des intentions du Congrès. L'article 17 admet, suppose l'enseignement public, mais en même temps il dit que cet enseignement sera réglé par la loi. C'est évidemment là une garantie pour la liberté; c'est une restriction de l'action du pouvoir, qu'on avait principalement en vue de combattre, parce qu'on se souvenait de l'arbitraire et de l'oppression auxquels on venait de se soustraire.
Ainsi, messieurs, l'enseignement de l'Etat ne peut jamais devenir directement ou indirectement un obstacle à la plus entière liberté d'enseignement. Eh bien, ce n'est pas ainsi qu'on l'entend.
D'après ce que j'ai entendu soutenir bien des fois, dans la section centrale et ici, on prétend que le gouvernement, en vertu du paragraphe 2 de l'article 17, a le droit formel de créer, par lui-même, un enseignement complet, un enseignement parallèle à celui qui est le résultat de la liberté, un enseignement tel qu'il conviendrait de l'organiser, alors que la liberté n'eût rien créé, rien établi. L'honorable M. Lebeau va même jusqu'à dire : Puisque la liberté a beaucoup fait, il faut que le gouvernement fasse autant qu'elle, à côté d'elle. Eh bien, messieurs, c'est l'opposé de la pensée du Congrès.
(page 1215) Ici, messieurs, j'arrive à la question qui a soulevé tant de réclamations et inspiré tant d'alarmes, la question du monopole. Si le gouvernement peut réellement donner à l'enseignement public organisé aux frais de l'Etat l'importance et l'étendue qu'il croit pouvoir y donner, évidemment, on a beau le nier, il n'y a plus de place pour la liberté, on arrive fatalement au monopole.
Aussi, et d'instinct, tout le monde le sent; mais on feint de croire que, dans notre pensée, le monopole résulte exclusivement du nombre d'établissements à créer. Non, messieurs, ce n'est pas de tel nombre d'établissements, un peu plus élevé que tel autre, que résultera précisément le monopole; j'avoue même qu'on n'augmente que d'une douzaine d'établissements le nombre de ceux qui existent aujourd'hui. Je ne parle pas des écoles primaires supérieures qu'on veut soustraire au régime de la loi de 1842. Ce n'est pas de là que résulte le monopole; ce n'est pas là ce qui m'alarme le plus. Le monopole résulte de l'ensemble de la loi, de cet esprit essentiellement centralisateur qui se trouve au fond de tous les articles de la loi. Permettez-moi, messieurs, de vous le démontrer en peu de mots.
Le monopole résulte : de la faculté de supprimer les établissements d'enseignement moyen (article 6) - de former exclusivement les professeurs (article 10) - d'avoir la direction des établissements et la nomination des professeurs (article 11) - d'élever les traitements des professeurs et d'accaparer ainsi les talents (article 17) - de pouvoir accorder des subsides illimités aux établissements subventionnés (article 28) - de révoquer les professeurs (article 31) - de disposer arbitrairement des établissements patronnés pour prétendus abus graves (article 32).
Enfin, messieurs, le monopole résulte de l'ensemble d'établissements que le gouvernement, en l'absence d'une loi, a jetés sur le pays, comme un vaste réseau. Je veux parler des écoles d'agriculture, des écoles professionnelles dont le nombre est illimité.
Mais, messieurs, si le gouvernement, en organisant un pareil monopole, exagère ses droits et étend outre mesure son action dans l'enseignement, il commet une autre erreur également dangereuse, lorsqu'il tire du paragraphe 2 de l'article 17 la conséquence que l'enseignement donné aux frais de l'Etat doit être dirigé par le pouvoir central. Et ici j'arrive à la question communale.
Messieurs, la législature a admis, dans la discussion de la loi sur l'enseignement primaire, que par l'Etat, il faut entendre l'ensemble des pouvoirs constitués. Eh bien, c'est en vertu de ce principe même que je viens réclamer le respect du pouvoir communal, puisque la commune fait partie de l’Etat, au même titre que le pouvoir central.
Et ici, messieurs, je me sens parfaitement à mon aise. Quand je viens défendre la liberté communale, on ne pourra pas du moins m'accuser de faire de la tactique. Si l'honorable M. Lebeau veut faire l'histoire des variations des hommes politiques relativement aux franchises communales, histoire dans laquelle il aura un chapitre fort long, je puis lui prédire qu'il ne pourra pas m'y consacrer une seule ligne : car j'ai toujours défendu, même sous mes amis, la liberté communale. Quand l'honorable M. Nothomb proposa la nomination des bourgmestres en dehors du conseil, j'ai énergiquement protesté contre cette tendance.
Et plus tard, quand le cabinet actuel est venu soumettre ce choix en dehors du conseil à quelques formalités banales, j'ai encore protesté de l'insuffisance de cette mesure ; j'ai encore défendu les droits communaux. Je suis donc parfaitement à mon aise en me portant en cette occurrence le champion de ces droits.
Voyons donc quelle doit être la part respective du gouvernement central et de la commune dans la direction et l'administration des établissements d'enseignement moyen ? Y a-t-il ici un intérêt unique, exclusif? Non.
Dans l'enseignement moyen , il y a à la fois un intérêt général et un intérêt communal. Cet intérêt général est moins important que l'intérêt communal; mais cet intérêt existe. Je ne conteste donc pas les droits de l'Etat, je ne lui dénie pas sa part légitime d'action dans l'organisation de l'enseignement moyen. Ainsi, je suis tout disposé à reconnaître au gouvernement le droit d'avoir quelques établissements modèles, destinés à maintenir pour ainsi dire le niveau de la civilisation du pays, destinés à maintenir une émulation salutaire. A ce point de vue, j'admets le chiffre de 10 athénées.
De plus, je veux encore laisser au gouvernement une action d'ensemble, par l'inspection, par les concours, par l'influence de l'examen pour le grade d'élève universitaire. En dehors de cette intervention limitée, justifiée par l'intérêt général qu'il représente, le gouvernement n'a pas mission de diriger tout l'enseignement moyen. Cet enseignement appartient essentiellement à la commune. Dans le projet de loi rédigé par M. Lebroussart, dans celui qui fut préparé par une commission en 1832, enfin dans celui de 1834, émané de l'honorable ministre de l'intérieur actuel, la question n'a-t-elle pas été entendue ainsi? Toujours on a été d'accord sur ce point, que l'Etat devait avoir quelques établissements modèles, et que d'autre part il devait se borner à encourager ceux qui seraient fondés par l'initiative des particuliers ou des administrations.
Et en effet, je le répète, l'enseignement moyen est essentiellement communal. C'est avant tout dans l'intérêt de la commune qu'un établissement de ce genre est créé. Si quelques élèves étrangers le fréquentent, cela forme une exception ; et la preuve que la question est avant tout communale, c'est que toujours l'initiative de la fondation de ces établissements est venue de l'autorité communale.
Pour rejeter cette action de la commune et pour justifier les prétentions de l'Etat, on a mis en avant des prétextes tantôt politiques, tantôt scientifiques.
On dit que, dans l'enseignement supérieur et dans l'enseignement primaire, on a admis l'action exclusive de l'Etat.
Dans l'enseignement supérieur, cela se conçoit : l'enseignement supérieur est d'intérêt général, exige l'intervention de l'Etat. Pour l'enseignement primaire, un motif opposé vient encore réclamer l'intervention de l'Etat. Il y a en Belgique une foule de petites localités où l'administration communale n'a pas l'intelligence nécessaire des besoins de l'instruction, n'est pas à même de choisir le personnel et de diriger convenablement l'enseignement. Il fallait donc là une action réellement centralisante. Mais en matière d'enseignement moyen, la question est tout autre.
L'enseignement moyen ne se donne que dans les villes; or, les administrations de nos villes ne sont-elles pas éclairées pour organiser convenablement l'enseignement moyen ? N'y sont-elles pas les plus intéressées? Fiez-vous-en donc à l'intelligence qu'elles ont des besoins de ces communes, et soyez sûrs qu'elles feront parfaitement ce qu'exige d'eux l'intérêt de leurs administrés.
Un autre prétexte politique qu'on a allégué, c'est qu'il était nécessaire de résoudre par la loi toutes les grandes questions qui se rattachent à cet objet et de faire cesser ainsi l'arbitraire actuel. Mais toutes les graves questions soulevées dans le projet de loi n'y restent-elles pas sans solution positive? La plupart des difficultés ne sont-elles pas abandonnées à des règlements particuliers? Il n'y a presque pas un intérêt sérieux qui, en définitive, ne dépende du caprice ministériel, si la loi est votée. Ce prétexte n'est donc pas admissible.
Un autre prétexte est mis en avant, avec tout aussi peu de succès. La loi, dit-on, n'a pour but que de régulariser ce qui existe.
Mais comment expliquer alors la profonde opposition qu'a rencontrée le projet de loi? Avant la présentation du projet, il n'y avait pas de réclamation, tout le monde était satisfait de ce qui existait. Si vous n'aviez fait que régulariser l'état actuel des choses, eût-on réclamé? Pourquoi donc se montre-t-on si mécontent aujourd'hui? C'est parce que le projet de loi consacre des innovations radicales; vous voulez aujourd'hui un pouvoir que vous n'aviez pas auparavant; vous voulez avoir sous la main tous les établissements libres, vous voulez être maîtres de leur existence; vous voulez former votre personnel par un enseignement normal exclusif, abandonné à votre seule impulsion. Il y a encore d'autres articles de la loi, trop longs à énumérer ici, où vous avez profondément innové, et c'est sur ces innovations que portent les protestations de l'opposition.
On a enfin allégué un prétexte scientifique : on a dit qu'on peut, en attribuant ici à l'Etat une action plus énergique, donner à l'enseignement plus d'unité, plus de force, et lui imprimer un caractère plus national.
On veut plus d'unité. Mais c'est une fausse idée que vous avez de l'unité. L'unité, ce n'est pas l'uniformité, ce n'est pas la centralisation; l'unité peut résulter de la variété des efforts, des administrations communales et des corporations. C'est une fausse théorie que celle qui consiste à soutenir que. pour avoir l'unité, il faille absolument subir l'impulsion de la bureaucratie de Bruxelles. Dans un vaste pays comme la France, par exemple, je comprends que le maintien de l'unité exige une certaine centralisation, administrative, matérielle; mais dans un petit pays comme l'est le nôtre, une pareille centralisation ne se justifie point. Nous avons eu d'ailleurs, à toutes les époques de notre histoire, une vie communale ignorée de la plupart des peuples. Nous avons des institutions provinciales et communales dont nous avons toujours été fiers et auxquelles nous devons tenir comme à un héritage de nos aïeux.
On parle de la force des études. L'honorable M. de Brouckere a fait justice de ce prétexte. Non, messieurs, ce n'est pas par cette seule et unique impulsion du gouvernement que, dans tous les établissements, on peut espérer de voir se fortifier les études. Cette force des études, que nous appelons tous de nos vœux, s'obtiendra bien plus facilement et plus sûrement par une concurrence véritable, par une concurrence sérieuse et loyale.
On s'abrite derrière une pensée de nationalité : on veut créer, dit-on, un enseignement national.
Messieurs, ici une singulière considération historique se présente à mon esprit. Savez-vous depuis quand on parle en Belgique d'éducation nationale? Depuis trois quarts de siècle. Chose bizarre, ce sont des étrangers qui ont voulu successivement nous imposer un prétendu système d'enseignement national. C'est Joseph II, c'est la Convention, c'est l'Empire, c'est l'administration hollandaise qui ont successivement essayé de s'emparer de la direction des esprits en Belgique, sous prétexte d'organiser un enseignement national!
Aujourd'hui encore vous voulez, dites-vous, organiser un enseignement national. En définitive, où sont vos éléments? Je vois à la tête de la division de l'instruction publique un Français ! A la tête de presque tous les principaux établissements d'enseignement moyen, je vois encore des Français! Et c'est avec ces éléments que vous voulez créer une éducation nationale. C'est une dérision!
Si l'on s'est plaint quelquefois, et avec raison, du manque d'esprit national en Belgique, tout le monde a été unanime pour y assigner comme cause principale l'influence de tous ces enseignements si étrangement nationaux par lesquels ont dû forcément passer ces générations qui occupent de nos jours la scène du monde politique en Belgique!
(page 1216) Laissez la nation à elle-même, abandonnez-la à ses instincts, à la connaissance de ses vrais besoins, à toute sa spontanéité d'action, elle fera de grandes, de magnifiques choses. L'idée d'un Etat créant et dirigeant l'esprit national est d'une autre époque ; elle hurle de se trouver à côté de nos principes constitutionnels.
Aujourd'hui, en matière d'art, de littérature, d'industrie, dans l'ordre politique comme dans l'ordre matériel, l'esprit national se forme et se dirige indépendamment du gouvernement, toujours sans le gouvernement, souvent contre le gouvernement.
Ainsi donc, pour en finir avec la question des droits et de l'action de l'Etat, que l'honorable M. Van Hoorebeke ne s'imagine pas que ce qui nous divise, c'est que nous ne voulons pas d'enseignement donné par l'Etat. Quant à moi, je pose la question comme l'a fait M. Van Hoorebeke. D'une part, je veux l'enseignement sérieux, réel, vrai de l’Etat, dans lequel je comprends la commune. Comme lui, d'autre part, je ne veux rien qui enchaîne ou entrave la liberté d'enseignement.
Messieurs, il y a autre chose qui nous divise, et je le dis avec ma franchise ordinaire. Ce qui nous divise, ce n'est pas la portée plus ou moins grande que nous entendons donner à l'action de l'Etat; ce qui nous divise, c'est la portée que nous entendons donner à l'action religieuse dans l'enseignement. Voilà, au fond, ce qui nous divise.
Je crois sincèrement que ceux qui défendent le projet de loi ne le font pas formellement en haine de la religion. Non; je ne suppose à aucun de mes collègues une pensée aussi coupable. Mais, au fond, ce qui vous fait admettre le projet, ce qui vous guide, c'est la défiance du clergé; ce qui me fait combattre le projet, c'est que j'ai confiance dans le clergé. Si nous voulons être sincères, voilà ce qui nous divise.
Ainsi, c'est là la question qui nous sépare. Eh bien, c'est aussi là ce qui m'effraye, ce qui m'effraye surtout pour notre Belgique ; c'est là ce qui me faisait dire, en commençant mon discours, que l'avenir de notre patrie est compromis par cette loi que nous discutons en ce moment.
Cette défiance du clergé s'est toujours formulée et se formule encore ici dans deux systèmes. Les uns considèrent la mission du catholicisme comme terminée, et par conséquent, l'action du clergé comme inutile à la société. Les autres considèrent le clergé comme pouvant encore rendre des services à la société, mais à la condition qu'il devienne l'instrument de l'Etat. Voilà deux systèmes qui ont cours dans toute l'Europe contemporaine, et qui comptent aussi leurs adeptes en Belgique. Examinons-les rapidement.
Messieurs, on croit faire une grande concession en disant que l'Eglise a fait la civilisation européenne; c'est la conclusion à laquelle sont arrivés tous les esprits réfléchis. Mais on ne veut plus reconnaître que l'action de l'Eglise est encore nécessaire aujourd'hui ; on ne veut plus admettre que la conservation de l'influence sociale de l'Eglise soit encore de nos jours indispensable pour la conservation de la civilisation elle-même. L'Etat a recueilli la succession de l'Eglise. L'Etat peut remplacer l'Eglise dans cette haute mission que celle-ci a su remplir avec tant d'intelligence et de dévouement. Ce système a aujourd'hui beaucoup de partisans.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Personne ne prétend cela !
M. Dedecker. - Ce système compte de nombreux partisans.
Sans doute, tout le monde ne veut pas arriver directement, brutalement, à cette conséquence. Mais on y marche. Eh bien, contre cette ridicule et ingrate doctrine, toute la civilisation proteste.
Il n'y a pas de vraie civilisation en dehors de l'action de l'Eglise. Mes convictions, à cet égard, sont profondes et inébranlables. Toute civilisation repose sur deux bases : l'ordre social et la liberté. En dehors de l'influence de la religion, je ne conçois pas d'ordre réel et durable. Car, je ne puis consentir à donner le nom d'ordre à ces combinaisons toutes matérielles qui paraissent être le triomphe de la politique moderne. L'ordre que, dans un pays voisin, on a eu, un instant, la prétention de faire avec du désordre, ma raison et ma conscience se refusent à l'admettre, et, dans tous les cas, il n'a pas de chance de devenir national en Belgique. Une autre espèce d'ordre, plus populaire dans certaines régions des gouvernements modernes, c'est cet ordre qu'on obtient par la compression, par la force brutale. Tout cela, ce n'est pas l'ordre tel que doivent le comprendre ceux qui tiennent à conserver les traditions catholiques de la dignité et de la liberté humaines. La liberté, à son tour, je ne la conçois pas sans l'influence religieuse, parce que, sans l'influence religieuse, la liberté devient fatalement l'anarchie.
Aussi l'influence religieuse une fois détruite, les nations sont toujours ballottées entre le despotisme et l'anarchie. Il faut, à tout prix, au moyen d'un principe moral, épurer les volontés, ou bien il faut ou les dompter par le despotisme, ou les voir, par leur dévergondage même, engendrer l'anarchie.
L'autre système, moins choquant mais plus astucieux, consiste à admettre l'action religieuse, mais à condition que l'Eglise soit asservie, qu'elle consente à se faire la très humble servante de l'Etat. Ce système a beaucoup de partisans avoués ou secrets; c'est celui qui a dicté le projet de loi.
Si on ne veut pas donner au clergé des garanties positives de par la loi même, c'est que, par une menace constamment suspendue sur sa tête, on veut lui faire une position de dépendance à l'égard du gouvernement. C'est la liberté constitutionnelle du clergé belge qui offusque certains esprits; c'est à diminuer, à entraver cette liberté que certains hommes d'Etat consacrent tous leurs efforts. Au fond, la plupart des dispositions du projet de loi ont cette tendance. Et pourtant, contre ce système d'une Eglise asservie, la Belgique a protesté par deux révolutions.
Messieurs, cette lutte que tous nous redoutons, cette lutte qui ne manquera pas d'éclater si l'Etat méconnaissait les droits de l'Eglise, cette lutte est déplorable. Elle est déplorable pour le pouvoir et pour la nation. Elle est déplorable pour le pouvoir, parce qu'elle aura pour résultat d'affaiblir le pouvoir. Ah ! que M. le ministre de l'intérieur veuille bien le croire, je suis frappé comme lui du spectacle de l'affaiblissement du pouvoir; mais il y a cette différence entre nous, que nous ne sommes d'accord ni sur la cause de cet affaiblissement, ni sur le remède à y apporter. Trop longtemps on a cru que le pouvoir civil se renforcerait de tout l'affaiblissement qu'on faisait subir au pouvoir religieux. Ce stupide calcul a été funeste au pouvoir, car tous les pouvoirs sont solidaires; toutes les autorités se tiennent.
La destruction de l'autorité religieuse a eu pour corollaire inévitable la destruction de l'autorité civile. Les conséquences de l'anéantissement du pouvoir religieux vont atteindre les nations elles-mêmes, parce que, là où la liberté religieuse est opprimée, on arrive fatalement à la servitude du peuple. L'histoire moderne est pleine d'enseignements à cet égard.
C'est donc le règne des luttes et des antagonismes qu'on paraît décidé à inaugurer de nouveau dans notre patrie !
Alors que tout commandait au gouvernement de faire de la conciliation, l'intérêt du pouvoir, l'intérêt de la nation, l'intérêt des familles, l'intérêt du présent, l'intérêt de l'avenir, l'intérêt de l'enseignement officiel même, vous avez le triste courage de poser un germe de discorde et de haine!
Oui, à ce principe d'union, qui est notre grand principe constitutionnel, à cet élément de grandeur et de force, vous substituez le principe de la haine, principe de dissolution et de ruine ! (Interruption.)
C'est du moins ce qu'en conscience je redoute. L'avenir prouvera qui, de vous ou de moi, a su entrevoir plus clairement les conséquences de la loi que nous discutons.
On pouvait concevoir cette lutte autrefois dans la société ancienne, avant la grande révolution qui inaugura le commencement de ce siècle, alors que le clergé formait un corps politique, alors qu'il jouissait de nombreux privilèges, alors qu'il possédait d'immenses richesses.
Mais aujourd'hui la position du clergé est bien changée. Le droit commun, voilà ce que demande aujourd'hui l'Eglise; elle ne demande pas autre chose. Là où il y a tant de liberté pour l'action dissolvante de tous les éléments du mal, elle demande seulement un peu de liberté pour faire le bien!
Cet antagonisme on le concevait alors que c'étaient surtout les ennemis des trônes qui avaient la mission de le provoquer et de l'entretenir pour accomplir leurs coupables desseins. Mais que cet antagonisme soit provoqué à froid, au nom même du gouvernement, c'est une chose que, pour moi, il m'est impossible de concevoir !
Après tout, le gouvernement est conséquent, je l'avoue.
Voyez comment se révèle partout sa défiance de l'influence du clergé !
Voyez sa conduite dans ces deux matières d'une importance sociale si évidente : la charité et l'instruction.
Un gouvernement qui comprendrait ses devoirs ne devrait-il pas s'applaudir de voir le clergé féconder partout le germe de la charité, multiplier ses prodiges, afin de répandre partout, dans notre société si malade et si languissante, des consolations et des soulagements? Eh bien, parce que cette charité, inspirée, dirigée par le clergé, est pour lui un moyen d'influence sur les classes pauvres et qu'on redoute cette influence, quelque sociale qu'elle soit, le gouvernement se plait à entraver la charité !
Le gouvernement devrait s'estimer heureux de voir l'instruction se répandre et tant d'établissements d'enseignement se fonder. Eh bien, non; ces établissements ont le malheur d'être fondés et dirigés par le clergé, et l'on cherche à les dépopulariser, à les ruiner, uniquement parce qu'on y voit, pour le clergé, un moyen d'exercer de l'influence sur les classes bourgeoises, sur les classes supérieures de la société !
Ainsi, que vous l'avouiez ou que vous ne l'avouiez pas, c'est au fond toujours le même système de défiance étroite contre le clergé !
Vous voulez isoler le clergé, constituer la société sans le secours de l'Eglise! Permettez-moi de vous prédire que vous n'y réussirez pas. Non, vous ne réussirez pas à creuser cet abîme entre le peuple belge et le clergé belge. Et si malheureusement vous deviez y réussir, de ce jour-là, le caractère belge serait abâtardi ; de ce jour-là, c'en est fait de l'avenir de notre patrie!
Messieurs, cette conduite du gouvernement m'effraye surtout, à cause des circonstances où se trouvent la Belgique et l'Europe entière. Quoi! nous avons le bonheur de jouir d'une paix que l'Europe nous envie, et c'est le gouvernement qui prend plaisir à la venir troubler ! Nous avons le bonheur de jouir d'institutions que l'on propose comme modèles à tous les peuples; et le gouvernement s'attache à en fausser l'esprit, pour les tourner contre une partie respectable de nos paisibles populations!
Il vient de ses mains détruire une situation qui est pour toutes les nations un objet d'admiration et d'envie, une situation qui fait toute notre force en présence de tous ces dangers qui nous entourent et nous menacent !
Ces dangers, je le sais, le gouvernement feint de ne les plus redouter aujourd'hui. Mais chaque année, quand il présente le budget de la guerre, que vient-il nous dire? L'avenir est sombre; la tempête gronde, le vaisseau de l'Etat risque d'être englouti! Voilà les sinistres images à l'aide desquelles on vient alors alarmer les esprits des représentants de la nation. Voilà sous quelles impressions de terreur le gouvernement sait faire voter le budget de la guerre.
(page 1217) Aujourd'hui qu'il s'agit de développer le sens moral du peuple par une bonne éducation, et de prévenir ainsi les excès de toutes ces passions qu'on viendra plus tard nous demander de comprimer par la force brutale, tout change de face : plus de tempête, le ciel est tout d'azur, et, pour me servir de l'allégorie de l'honorable M. Delfosse, le magnifique navire de la monarchie constitutionnelle vogue majestueusement sur une mer limpide!
Et nos justes frayeurs, vous les appelez des fantômes! et nos cris d'alarme, vous les appelez par dérision des lamentations ! Ah ! ce n'est pas nous qui changeons ainsi de langage; ce n'est pas nous qui commandons ainsi des tempêtes à jour fixe; ce n'est pas nous qui ne faisons apparaître ici périodiquement l’hydre de l'anarchie que pour les besoins de la cause !
Et vous appelez cela de l'habileté ! Dieu nous préserve du règne des habiles!
Permettez-moi de vous rappeler un fait de l'histoire contemporaine, dont la lecture a fait sur moi une profonde impression. C'était en 1529. Soliman venait d'arriver, à la tête de 200,000 Turcs, sous les murs de Vienne. L'Allemagne entière s'émut. La papauté, sentinelle vigilante de la civilisation, avait fait un appel à tous les peuples pour l'aider à sauver la chrétienté menacée.
Un seul homme, le réformateur, parcourut l'Allemagne entière. Pourquoi, disait-il, vous liguer ainsi contre les Turcs? Pourquoi tous ces sacrifices? Pourquoi tous ces efforts? Paix aux barbares! c'est Rome qu'il faut combattre!
Messieurs, nous sommes aujourd'hui en présence d'autres barbares, qui sont, non plus aux portes de la civilisation, mais au sein de la civilisation, qui sont le produit de la civilisation! Nous sommes en présence de difficultés qui appellent le concours de tous les bons citoyens, pour la solution desquelles ce ne sera pas trop du concours de toutes les lumières, de tous les dévouements!
Les trônes s'écroulent; les institutions disparaissent; la société chancelle sur ses bases. Plus de direction pour les intelligences! Plus de frein pour les passions ! Un esprit de sauvage indépendance a brisé tous les liens; l'égoïsme a tari la source de tous les dévouements.
Les gouvernements s'alarment de ces symptômes. On convoque les Académies; on leur demande des lumières pour éclairer les populations, pour combattre l'anarchie des esprits. On fait appel aux plus illustres épées pour dompter l'anarchie des rues qui n'est que la traduction brutale de l'anarchie des intelligences ! et tous ces efforts communs n'ont abouti qu'à d'universelles impuissances!
Et c'est en présence de ces symptômes, de ces dangers, de ces menaces, que des hommes qui se proclament libéraux, qui se proclament hommes d'Etat, viennent, sinon de bouche, au moins par leurs actes, nous dire : Paix aux barbares! C'est l'Eglise, c'est Rome, qu'il faut combattre!
C'est contre cette politique inintelligente, illibérale, antinationale, que je proteste de toutes mes forces!
(page 1195) M. Dolez. - Messieurs, si des dangers sérieux pouvaient menacer dans notre pays et la concorde et la paix, ce ne serait pas, croyez-m'en, le projet de loi qui vous est soumis par le gouvernement. Ce qui pourrait menacer la concorde et la paix, ce sont des paroles de la nature de celles que vous venez d'entendre, si de pareilles injustices pouvaient trouver foi au sein de nos populations. Mais ce qui me rassure, messieurs, c'est qu'en Belgique, l'exagération de quelque part qu'elle vienne, fût-elle même l'erreur momentanée d'un noble caractère, ne trouve jamais ni croyance ni crédit.
J'aborde donc sans crainte, mais non pas, je l'avoue, sans quelque émotion, la réfutation des reproches principaux qui viennent d'être adresses au projet de loi.
On prétend que ce projet auquel, moi ami de la liberté, moi ami de la concorde et de la paix, je viens donner mon appui ; on prétend que ce projet est oppresseur de toute liberté ; on prétend qu'il fait revivre d'odieux monopoles. Certes j'aurais peine à comprendre un pareil langage, si je n'en trouvais peut-être l'explication en voyant aboutir aux mêmes conséquences et l'honorable M. Dedecker qui nous dit aujourd'hui qu'il est partisan de l'enseignement par l'Etat, et l'honorable M. de Mérode qui, dans son discours d'hier, proclamait hautement l'incompétence de l'Etat en matière d'instruction.
Ce qui effraye les adversaires du projet, c'est, il faut bien le dire, l'établissement fort que l'on veut donner à l'enseignement de l'Etat. Si l'enseignement de l'Etat, tel que le propose la loi que nous discutons, se présentait dans des conditions faibles, dépourvues d'avenir, ceux que nous avons à combattre seraient partisans de cet enseignement.
Mais les conditions que le projet donne à l'enseignement de l'Etat sont pour lui des conditions de stabilité, de force, de grandeur, et c'est là ce qui effraye, au nom de la liberté!
Eh bien, messieurs, nous, nous entendons autrement la liberté. Nous trouvons dans la Constitution le droit de l'enseignement libre; mais nous trouvons à côté de ce droit celui de l'Etat ; et nous voulons que l'un et l'autre puissent s'exercer avec la même liberté, sans contrainte, sans entraves.
Nous voulons la liberté d'enseignement, nous voulons qu'elle continue à marcher sans entrave, sans contrôle comme elle l'a fait jusqu'ici; loin de vouloir y porter atteinte, nous applaudissons à ses efforts, mais par contre nous voulons avec la même sincérité que l'Etat trouve en lui-même les conditions de force nécessaires pour l'enseignement que notre Constitution l'appelle à fonder.
Je le demande, si à tout esprit impartial ces pensées, qui sont celles du projet de loi, sont-elles de nature à justifier ces accusations de monopole adressées à ce projet et à ses défenseurs?
Et cependant l'on n'a pas craint de nous signaler comme des imitateurs de Joseph II et de Guillaume Ier ! C'est tout à la fois faire violence à l'histoire et fouler aux pieds toute justice. A-t-on oublié que le système que Joseph II imposait à nos contrées religieuses était l'absorption de toute espèce d'enseignement?
A-t-on oublié que Joseph II fermait les collèges épiscopaux, qu'il fermait les séminaires, qu'il fondait de son autorité impériale un séminaire général à Louvain avec la succursale de Luxembourg? A-t-on oublié que, comme complément de telles mesures, Joseph II plaçait à la tête du séminaire de Louvain deux prêtres étrangers, l'un frappé de censure, l'autre qui avait défendu publiquement la thèse du mariage des prêtres et qualifié le chef de l'Eglise d'hydre ultramontaine.
Voilà le système que nous voulons ramener, s'il faut en croire M. Dedecker; le système que nous laissons bien loin derrière nous, s'il faut en croire M. Osy.
On nous accuse de vouloir ramener le système de Guillaume Ier, de Guillaume Ier absorbant non seulement tout l'enseignement civil, mais de Guillaume Ier fondant le collège philosophique de Louvain ; décidant qu'à l'avenir les séminaires ne pourraient plus enseigner la philosophie, qu'à l'avenir nul ne pourrait être admis dans les séminaires s'il n'avait passé par le collège philosophique; Guillaume Ier, fermant les écoles que le dévouement des frères de la doctrine chrétienne ouvrait aux enfants pauvres, et rivant enfin le cercle de fer dans lequel il voulait étreindre les intelligences, en proclamant que tout Belge qui aurait été faire ses études à l'étranger serait à jamais exclu des séminaires, des universités et des fonctions publiques !
(page 1196) Et c'est dans ces débats si graves, qui doivent répandre au sein du pays ou des dangers ou des bienfaits, qu'on ose nous reprocher de vouloir faire revivre de telles tyrannies, à nous, qui laissons la liberté telle que la Constitution l'a établie , qui voulons qu'elle soit le lendemain de la promulgation de la loi ce qu'elle était la veille; et non content de tant d'injustice l'on ose prétendre que c'est nous qui voulons non seulement jeter l'irritation dans nos débats, mais propager l'antagonisme et la discorde parmi nos enfants.
C'est à nous, à nous, pères de famille ayant presque tous nos enfants dans les écoles publiques, que l'on adresse une aussi odieuse accusation.
Oh ! messieurs! je vous en conjure, cessez un tel langage, consentez à être justes, à être impartiaux dans une matière où il s'agit en définitive de l'intérêt le plus cher que nous puissions avoir au cœur, l'intérêt des générations qui nous suivent. Examinez consciencieusement, froidement, fraternellement les règles qui doivent régir ces graves intérêts. Ne venez pas, sous l'empire de préoccupations que rien ne justifie et que votre conscience elle-même condamnera un jour, lancer contre nous d'aussi odieuses accusations.
Qu'on le sache donc bien, nous sommes les amis vrais, sincères, respectueux de la liberté. Mais nous sommes, d'autre part, les défenseurs de ce que nous croyons être les droits légitimes de l'Etat, qu'en définitive aucun homme de conscience ne peut contester d'une manière sérieuse.
Si vous reconnaissez avec nous, comme M. Dedecker vient de le faire, que l'Etat a le droit et partant le devoir de fonder un enseignement public, car en cette matière pour toute autorité publique, le droit et le devoir sont synonymes, vous devez reconnaître avec nous que ce qu'il a le droit, que ce qu'il a le devoir de faire, il faut qu'il le fasse efficacement.
Or, quand vous voudrez examiner froidement, consciencieusement cette loi que vous attaquez, qu'y trouverez-vous en définitive de si exorbitant? La fondation de 10 athénées par l'Etat, fondation dans laquelle l'influence de la commune reçoit une part qu'aucun projet antérieur ne lui avait concédée, une part que l'honorable M. de Theux lui-même n'avait jamais songé à lui donner, et pour les autres établissements des conditions qui, telles qu'elles sont modifiées de l'assentiment de tous, ne portent aucune atteinte aux droits de la commune, puisqu'elles ne seront assujetties qu'aux conditions établies par la loi communale, pour des actes bien moins graves de l'administration communale.
Voilà ce qu'on trouvera quand froidement, consciencieusement, sans passion, on voudra examiner le projet.
Je ne veux pas être long, messieurs; je n'insiste donc pas davantage sur cette réponse à l'une des critiques de nos adversaires.
J'aborde d'autres considérations qui ont à mes yeux peut-être plus d'intérêt encore.
On prétend que le projet est inspiré au gouvernement et à ses défenseurs par je ne sais quelle sorte de vertige contre le sentiment religieux.
Oh! messieurs, croyez m'en, si ce reproche était fondé, nul ne combattrait le projet plus vivement que moi. Car, nul plus que moi, n'est convaincu que l'enseignement moyen ne peut pas être complet, qu'il ne peut être satisfaisant, exempt de dangers, s'il n'est pas essentiellement moral et religieux.
Je défends donc le projet, non pas en adversaire du sentiment religieux, mais en homme qui, comme père de famille et comme citoyen, fonde sur le sentiment religieux ses croyances les plus vives et ses plus chères espérances.
L'enseignement religieux, qui doit apprendre à l'enfant, à côté de ce qu'il doit à Dieu, ce qu'il doit aux autres hommes, je le considère comme indispensable dans l'enseignement moyen, parce que cet enseignement saisit l'adolescent à cette époque de la vie où le sentiment religieux doit se fortifier, se consolider dans son cœur, s'il ne doit point l'enivrer, l'affaiblir et souvent disparaître.
Mais, messieurs, la loi dénie-t-elle à ces sentiments les garanties qu'on a droit d'espérer et d'attendre d'elle? La loi fait-elle tout ce qu'il est possible de faire sous ce rapport? Peut-on sérieusement lui demander plus? Voilà la question que je voudrais poser à la loyauté de nos adversaires, en leur déclarant sans détour que s'ils pouvaient nous donner des garanties plus sérieuses que celles qui se trouvent dans la loi, je serais heureux de les accepter; et je crois pouvoir le dire, ni le gouvernement, ni mes amis n'en agiraient autrement.
Mais, messieurs, ce dont les adversaires du projet ne tiennent pas compte, c'est l'impossibilité constitutionnelle dans laquelle la loi se trouve, de faire plus qu'elle ne fait. En effet, le propre, le caractère de la loi, c'est de commander, de prescrire. La loi ne peut donc, de son essence, la loi ne peut s'adresser qu'à ceux qui lui sont subordonnés, qu'à ceux qui lui sont soumis. Dès lors, quand nous pensons que la loi ne peut point stipuler les conditions auxquelles les ministres des cultes interviendront dans notre enseignement, que faisons-nous ? Posons-nous un acte de mauvais vouloir envers les ministres, envers le sentiment religieux?
Mais non, messieurs, nous ne faisons que subir la conséquence nécessaire de notre Constitution , dans la position si forte, si indépendante, si enviée dans d'autres pays, qu'elle fait au clergé. Eh! messieurs, prenez-y garde, vous pourriez bien être, à votre insu, contre votre gré, de dangereux défenseurs des droits du clergé.
Si j'appartenais aux défenseurs avoués du clergé, ce que je craindrais le plus, ce serait de voir la loi stipulant de lui. L'indépendance du clergé, non point son indépendance d'aujourd'hui, mais son indépendance d'avenir, son indépendance dans certaines éventualités qui peuvent se produire encore, bien que nul ne puisse les prévoir en ce moment, l'indépendance du clergé exige, soyez-en convaincus, que la loi le laisse entièrement en dehors de ses prescriptions.
Messieurs, je trouve dans la loi pour l’enseignement religieux des garanties que nul autre projet ne lui avait offertes jusqu'ici. En effet, je vous disais tout à l'heure que la loi ne pouvait parler que pour prescrire. Eh bien, que fait la loi? Elle ne peut prescrire qu'au gouvernement; elle le fait : elle dit au gouvernement, lui qui est le bras de la loi, elle lui dit : Je vous ordonne d'inviter le clergé à venir donner l'enseignement religieux dans l'école de l'Etat.
N'est-ce rien, messieurs, que ce commandement donné au gouvernement ? N'est-ce point une satisfaction qui aurait de vous rendre plus justes envers la loi, envers ceux qui l'ont conçue, envers ceux qui la défendent ?
Ce n'est pas tout encore; cet ordre de la loi, il a le noble caractère d'un grand voeu national, car, et ce sera notre honneur en même temps que notre défense contre vos injustes accusations, ces longs débats vous ont montré tous les représentants de cette partie de la chambre, que l'on prétend être hostiles à l'idée religieuse, se réunissant dans un même sentiment pour émettre le vœu que l'enseignement religieux soit donné dans nos écoles par les ministres du culte? N'est-ce rien encore, je le demande à votre bonne foi, que l'émission d'un pareil vœu?
Ce n'est pas tout encore, messieurs, vous qui assistez à nos débats, vous qui y prenez part, mais comment donc ne tenez-vous pas compte de nos dispositions? Avez-vous entendu un seul des défenseurs du projet prononcer un mot, un seul mot qui fût de nature à écarter l'intervention des ministres du culte de l'enseignement de nos écoles? N'est-ce pas nous qui montrons, au contraire, le désir le plus ardent de voir cet enseignement donné par les ministres du culte? Et si je voulais récriminer, si je voulais répondre aux accusations dont on nous rendait tout à l'heure l'objet, mais ne pourrais-je pas dire, chose étrange, que vous, au contraire, par tous vos discours, par votre presse, par vos pétitions, vous faites ce qu'il faut pour écarter le clergé de venir dans nos écoles?
J'aime à croire que telle n'est point votre pensée; mais si tel n'est point votre but, les moyens que vous employez conduisent directement à ce résultat. Quoi! vous dites continuellement au clergé, vous, qu'il doit considérer comme ses défenseurs, vous lui dites : La position qu'on veut vous faire est une position d'oppression, une position peu digne; l'intérêt de la religion et de la morale est méconnu dans cette loi destinée à fonder un enseignement mauvais, un enseignement emprunté aux pensées de Joseph II et de Guillaume Ier. Voilà votre langage de chaque jour, et vous prétendez désirer plus que nous, que le clergé vienne dans nos écoles donner l'enseignement de la religion et de la morale ! Oh! il faut que je sois bien crédule pour ne pas vous dire que je ne vous crois pas.
M. Dumortier. - Et le monopole?
M. Dolez. - J'ai répondu tout à l'heure à l'accusation de monopole. J'espère que M. Dumortier voudra bien me permettre de continuer dans l'ordre des idées qui m'occupent en ce moment, et que je considère d'ailleurs comme les plus graves et les plus dignes d'intérêt.
Nous sommes, dit-on, les adversaires de l'idée religieuse ; nos contradicteurs seuls rendent à cette idée tous les hommages qu'elle mérite. Et cependant, messieurs, voyons les faits : Le vœu le plus cher des adversaires du projet, quel est-il ? C'est de voir continuer dans les écoles publiques le règne de ce qui est. Personne ne le contestera sur les bancs de nos adversaires.
Eh bien, messieurs, savez-vous donc quelle est, au point de vue de l'enseignement de la religion, cette situation que l'on voudrait perpétuer dans nos collèges? Mais c'est, pour ainsi dire partout, l'absence de tout enseignement religieux.
Voilà donc la situation que vous, les défenseurs si ardents, si zélés de l'idée religieuse, voilà la situation que vous voudriez maintenir?
Voilà ce que vous considérez comme l'idéal de la perfection en matière d'enseignement moyen ? (Interruption.) Mais, messieurs, en vérité, je m'étonne d'entendre des dénégations sur ce que j'avance en ce moment. (Nouvelle interruption.) Je ne réponds pas, en ce moment, à M. Dumortier. Je réponds à M. Dedecker, qui disait, il y a un quart d'heure, que tout le monde était content de ce qui est.
M. Dedecker. - Je déclare que je regrette plus que vous l'absence d'enseignement religieux qui existe en ce moment.
M. Dolez. - Si vous le regrettez comme nous, avec la même sincérité, sans esprit de parti, eh bien, imitez-nous ; dites avec nous qu'il y a dans l'enseignement public une lacune immense qu'il faut se hâter de combler.
Et qui donc, messieurs, vous parle en ce moment? C'est un père qui a ses fils dans les établissements d'instruction publique; un père qui sait par lui-même que l’enseignement religieux n'existe pas dans ces écoles; un père qui, au nom des plus nobles devoirs, demande que cet état de choses cesse. Avez-vous, vous qui attaquez la loi, avez-vous de pareils sentiments, de pareils intérêts qui vous guident? Vos fils ne sont-ils pas en dehors de cet enseignement public, et ne serait-ce pas là le secret du peu de sympathie que cet enseignement vous inspire?
Je répète donc que, loin de vouloir perpétuer ce qui existe aujourd'hui dans l'enseignement public pour nos écoles moyennes, vous devez, au nom de vos principes religieux, vous joindre à nous pour le (page 1197) modifier, par l'influence de cette loi que vous dénigrez avec tant d'insistance.
L'une des causes qui me portent à espérer que la loi rendra à l'enseignement de la religion la place qui lui appartient, c'est, je n'hérite pas à le dire, la grande part d'intervention qui est faite au gouvernement par la loi.
Rappelez-vous quel a été le point de départ de la plupart des luttes qui se sont établies à l'endroit de la question religieuse dans nos écoles. Presque toujours des luttes locales, des questions où la vivacité personnelle entre les dépositaires de l'autorité civile, et de celle du clergé, a été la principale cause du désaccord qui a fini par se généraliser. Aujourd'hui, pour obtenir le concours du clergé dans l'enseignement moyen, que faut-il? Il faut que la bonne entente s'établisse avec tous les conseils communaux pour toutes les villes où existent des institutions d'enseignement moyen; là, les froissements de l'amour-propre local, les froissements de petits intérêts même sont multipliés : ils sont par cela même plus à craindre et doivent se reproduire d'une manière plus fréquente.
Aujourd'hui au contraire, avec l'intervention plus générale, plus efficace du gouvernement, il n'y aura qu'un seul concert à observer. Qu'une fois les délégués des ministres du culte soient d'accord avec le gouvernement, et vous voyez immédiatement la bonne intelligence s'établir partout, le concours se régler sur des bases satisfaisantes pour la dignité des deux autorités en présence.
Vous trouvez donc une immense garantie dans ce qu'on vous signalait tout à l'heure comme un grand défaut de la loi.
Vous trouvez encore une garantie non moins grande dans la manière dont la loi s'exprime à l'endroit de l'enseignement religieux.
Je suppose que, au lieu de la formule de l'article 8, on prenne, par exemple, celle qui a été proposée par l'honorable M. Osy. Croyez-vous qu'avec cette formule vous ayez plus de chances qu'avec celle de l'article 8, de voir l'enseignement religieux donné par le clergé dans les écoles publiques? Non, messieurs, avec la formule de M. Osy ou avec toute autre formule équivalente, le gouvernement verra sa responsabilité parfaitement à couvert, du moment qu'il aura été satisfait aux conditions de la loi.
Ainsi, M. Osy veut que deux ministres d'un seul culte soient appelés par les chefs du clergé à faire partie d'un conseil supérieur de l'instruction publique. Ces deux membres se trouveront en minorité dans le conseil. Ils seront donc loin d'y avoir une influence prépondérante. Or, si par la manière dont la loi s'applique, le clergé vient à reconnaître qu'il lui est impossible de donner son concours, à qui donc reviendra la responsabilité de cet état de choses? A la loi, c'est-à-dire à personne.
Au contraire, avec le projet du gouvernement, avec cet immense mandat, avec ce mandat si délicat que nous lui confions, qu'arriverait-il si le gouvernement, méconnaissant la pensée sage, prévoyante, la pensée paternelle de la loi, venait à donner au clergé de légitimes motifs d'abstention? Le gouvernement assumerait sur lui une effrayante responsabilité.
Vous trouvez donc, d'un côté, des garanties sérieuses, efficaces, qui nous font espérer que l’enseignement religieux sera donné dans tous les établissements par les maîtres compétents, par les ministres des cultes; de l'autre côté, vous ne trouvez qu'un semblant de garanties qui, au fond, ne serait qu'une véritable déception.
Soyons sincères ; désirez-vous, par un vain intérêt d'amour-propre, qu'à la suite de cette lutte, une formule émanée de vos bancs vienne remplacer celle de l'article 8? Mais un tel résultat ne serait digne ni de vous ni de nous.
Si, au contraire, vous n'avez qu'un but, celui d'avoir l'assurance que l'enseignement religieux prendra désormais, dans l'enseignement public, la place qu'il doit y occuper, eh bien, réfléchissez-y froidement, et vous reconnaîtrez que nulle formule ne vous donne une garantie aussi efficace que celle qui est inscrite dans l'article 8.
Croyez-vous, d'ailleurs, que ce soit par des dispositions agencées plus ou moins habilement dans la loi que vous parviendrez à établir la bonne union, la bonne harmonie entre le gouvernement et le clergé? Grande serait votre erreur ! ce qui fonde la bonne union, la bonne harmonie, c'est le sentiment de devoirs communs à remplir, d'un but commun à poursuivre.
Eh bien, je vous le demande, messieurs, pensez-vous que le gouvernement qui, dans un pays constitutionnel, où l'action de la volonté nationale se produit incessamment et par la presse et par la tribune; pensez-vous que le gouvernement, qui, en définitive, n'est autre chose que notre organe à nous pères de famille; pensez-vous donc que le gouvernement puisse avoir en cette matière un autre but que les ministres de la religion? Pensez-vous que le gouvernement et nous, pères de famille, dont il n'est que l'expression, puissions craindre qu'on ne forme des générations imbues des nobles sentiments de la morale et de la religion?
Vous ne pourriez le croire, sans nous calomnier, sans nous méconnaître.
Repousser l'enseignement de la parole divine de nos écoles, ce serait de notre part bien plus qu'une faute envers nous, envers nos enfants, envers le pays, ce serait un acte d'ingratitude envers la Providence elle-même, qui, par une faveur dont toute mon àme la remercie, a permis que notre opinion vînt aux affaires assez tôt pour présider au salut du pays et à la consolidation de nos institutions !
Ne croyez donc pas que nous pères de famille, nous citoyens, nous puissions nous montrer indifférents aux idées religieuses; nous les défendons aussi énergiquement que vous, peut-être les comprenons-nous autrement que vous.
Un mot encore, messieurs, et je termine.
Je n'ai, messieurs, aucune espèce d'autorité pour parler au nom des ministres de la religion, ni pour leur adresser des conseils; mais si, comme vous, j'avais je ne sais quel mandat qui me permît de m'ériger toujours en défenseur des droits et des intérêts du clergé, si je pouvais en quelque sorte stipuler en son nom, permettez-moi de vous le dire, j'userais de ce mandat tout autrement que vous.
Consultant l'esprit de mon pays, je reconnaîtrais qu'en Belgique on n'aime pas l'autorité qui se grandit et s'impose, tandis que le sentiment public et le sentiment privé vont au-devant de l'autorité qui s'efface, au-devant de l'autorité modeste, de l'autorité paternelle.
Connaissant ainsi mon pays, au lieu d'exalter sans cesse les droits du clergé, au lieu de les exposer sans cesse à des luttes sans utilité, mais non pas sans dangers, je dirais aux ministres de la religion : Répondez à l'appel que le pays vous fait, allez dans nos écoles, répandez-y la parole divine et soyez convaincus que, sans qu'il soit besoin que la loi ait rien stipulé, vous trouverez pour votre sainte parole, pour votre noble caractère, le respect, les hommages qui leur sont dus.
Voilà le langage que je tiendrais au clergé si j'avais quelque mission qui me permît de m'adresser à lui ; car j'ai la conviction qu'en Belgique le sentiment religieux et le respect du prêtre livré tout entier aux nobles devoirs de son saint ministère, trouvent dans le respect de tous une garantie assez forte, assez puissante pour qu'il ne soit pas nécessaire de les placer sous la fragile protection de la loi des hommes.
M. Coomans. - Messieurs, augmenter l'action du gouvernement aux dépens de celle de la commune; combattre les influences religieuses qui prédominent jusqu'à présent dans l'instruction libre; créer à grands frais un corps professoral qui ajoutera une légion nouvelle à l'armée déjà si nombreuse des fonctionnaires publics, voilà le triple but du projet de loi.
Dépouiller nos antiques communes d'une liberté précieuse dont elles usèrent généralement avec modération et sagacité; provoquer des conflits entre les pouvoirs publics; affaiblir l'enseignement libre que la raison d'Etat conseille de favoriser et non d'entraver; éloigner le clergé des écoles officielles, y organiser nécessairement une instruction sceptique; accroître les dépenses du trésor pour alimenter l'esprit de parti; aggraver la responsabilité des dépositaires du pouvoir; envenimer les luttes politiques; déconsidérer et énerver l'autorité centrale, voilà quelques-unes des inévitables conséquences du projet de loi.
Je me propose de justifier ces assertions en termes sommaires. Me bornant aujourd'hui à énoncer, pour ainsi dire, mes principes, je trouverai l'occasion de les appliquer directement aux articles de la loi, quand nous en aborderons l'examen détaillé. Les discours remarquables que vous avez entendus, messieurs, aux qui vous sont réserves encore, me permettent d'être concis, si même ils ne m'ordonnent pas de l'être.
L'instruction minutieusement dirigée par l'Etat est contraire à notre histoire, à nos vieilles constitutions si libérales, à nos mœurs, à nos besoins. Elle est une invention révolutionnaire de la fin du siècle dernier, alors que, sous prétexte d'assurer l'indépendance de l'Etat vis-à-vis de l'Eglise, on fit naître l'antagonisme de ces deux grandes forces de la société. Dans tous les pays de l'Europe et en tout temps, l'instruction fut libre en ce sens que l'Etat n'exerçait pas d'action efficace, ni sur les universités, ni sur les collèges, ni sur les écoles primaires, ni sur aucune institution littéraire ou scientifique.
Il les protégeait, les subsidiait et les privilégiait parfois, mais il avouait son incompétence pour tout ce qui regarde la nomination et la rémunération des professeurs, le règlement des cours, la censure, la collation des grades, etc.
Les écoles grandes et petites ressortissaient de l'autorité de la commune, des ordinaires diocésains, des ordres religieux, ou bien étaient des entreprises privées sans contact aucun avec le souverain.
La centralisation excessive, qui est la tendance générale de notre époque, et qui mérite véritablement le nom de politique nouvelle, a envahi à son tour le domaine de l'enseignement, et je suis de ceux qui n'attendent de cette conquête que des fruits amers.
Si l'Etat n'avait pas la prétention de diriger l'enseignement alors qu’il était riche, qu'il professait un culte et que les dissidences religieuses étaient rares ou nulles, comment pourra-t-il l'élever raisonnablement aujourd'hui que, pour supporter des charges croissantes, il doit prélever des impôts vexatoires, que l'anarchie des consciences et des idées est flagrante autour de lui, et qu'il lui est défendu d'arborer une couleur religieuse?
L'Etat est naturellement impropre à exercer une industrie quelconque, à exploiter, à diriger les entreprises les moins compliquées. Toujours malheureux, sous ce rapport, dans l'ordre des choses matérielles, parce que sa surveillance est inefficace, la responsabilité illusoire et l'intérêt personnel absent, il l'est, et le sera de jour en jour bien davantage dans l'ordre des choses morales, parce que les entraves y sont nombreuses, la contradiction facile, le dévouement douteux, et la règle insaisissable. L'inaptitude de l'Etat à former le cœur et l'intelligence des citoyens se manifestera clairement à mesure qu'il sera plus souvent représenté par des partis, c’est-à-dire à mesure qu'il sera plus exposé à changer de drapeau du jour au lendemain, à perdre, dans le cours de révolutions et de métamorphoses trop fréquentes, l'estime et la confiance des gouvernés.
Qu'on ne vienne pas me dire, comme l'a fait M. le ministre de l'intérieur dans la séance du 9 avril, que nous n'avons pas le droit d'examiner la compétence de l’Etat en matière d'instruction publique, la Constitution imposant, selon M. Rogier, à l’Etat, l'obligation de diriger les écoles subsidiées par (page 1198) le Trésor. Je proteste hautement contre cette interprétation de la Charte. Elle autorise un enseignement donné aux frais de l'Etat, mais elle n'ordonne point qu'il soit donné par l'Etat ; elle n'en détermine point l'étendue, elle se garde surtout de prescrire qu'il soit organisé dans des proportions telles qu'il puisse contrebalancer l’enseignement libre. A en croire M. le ministre, son projet de loi est non seulement constitutionnel, mais tout autre qui accorderait moins d'action au pouvoir central, ne le serait guère. C'est là une singulière prétention, surtout dans la bouche de l'honorable ministre qui a cru longtemps que les écoles dirigées par la commune et les particuliers, avec la participation financière de l'Etat, entraient dans le cercle très large de l'article 17.
La question est de savoir si l'Etat doit diriger lui-même l'enseignement donné à ses frais, ou s’il peut en déléguer la direction, sauf son droit de surveillance efficace. Je la résous par l'affirmative, et je dis que M. Rogier l'a résolue de la sorte en 1834, et que les auteurs mêmes du projet de 1850 l'ont résolue ainsi, puisqu'ils accordent les fonds du budget et des municipalités à des écoles communales et libres. Or, si l'Etat peut constitutionnement s'abstenir de diriger en détail l’enseignement donne à ses frais, je pense qu'il doit s'en abstenir pour une foule de raisons faciles à déduire.
L'honorable ministre se met fort à l'aise en traitant d'odieuses calomnies et de mensonges hypocrites les nombreuses réclamations que la presse, les citoyens belges et les conseils communaux ont élevées contre la loi proposée.
Il feint de croire que les plaintes portent sur la présentation d'un projet complémentaire de la Charte, et que nous sommes chagrins de voir l'instruction moyenne légalement organisée. Qu'il se détrompe: une loi est nécessaire, personne ne le conteste; je regrette pour ma part qu'elle n'ait pas été votée plus tôt. Les manifestations presque unanimes dont le projet ministériel a été l'objet sont dirigées, non pas contre une loi quelconque sur l'instruction secondaire, mais contre la malencontreuse loi qui nous occupe. Plusieurs modes d’exécution de l'article 17 étaient possibles. Ce qu'on reproche au gouvernement, c'est d'avoir choisi le moins conforme aux besoins de la Belgique et du siècle, aux traditions de notre immortel Congrès, à l'esprit de notre Charte, je ne dirai pas immortelle, mais à jamais vénérable.
Si le législateur de 1830 avait entendu que l'enseignement donné par l'Etat le fût sous sa direction immédiate, il eût dit : « L'instruction publique donnée par l'Etat sera réglée par la loi ». En se servant de cette formule, il aurait indiqué suffisamment que le Trésor serait chargé des frais de l'instruction publique. Mais il a préféré un mot plus vague qui permît à l'Etat de laisser aux communes ou aux particuliers la direction de l’enseignement donne à ses frais.
Je me renferme donc rigoureusement dans les limites de la loi fondamentale, en recherchant s'il convient de confier à l'Etat la direction des écoles subsidiées, et en soutenant que cette direction est mieux placée entre les mains des communes et des particuliers.
C'est dire, messieurs, que je repousse de toutes mes forces et le projet de loi actuel et les projets précédents, sans en excepter ceux de mes amis politiques. Si j'en exceptais un seul, ce serait le projet de 1834, rédigé ou patronné par l'honorable M. Rogier, projet qui s'écarte le moins de mes idées et que je ne serais pas éloigné de voter, à titre de transaction. L'honorable M. Rogier nous ayant assuré que le projet de 1834 et le projet de 1850 sont également bons, rédigés sur les mêmes bases, sous une même inspiration, il ne devrait pas éprouver beaucoup de répugnance à me laisser le choix, s'il n'est pas lié par des engagements contraires.
En vain m'objecterez-vous les antécédents de mes amis, vous qui répudiez les vôtres; eu vain invoquerez-vous un précédent, d'ailleurs grave, la loi de 1842; je ne suis pas engagé par les premiers, je n'ai pas approuvé l'autre. J'ai combattu la loi sur l'instruction primaire, comme donnant trop à l'Etat pour ôter trop à la commune, et j'aurais voté (je puis en donner la preuve), contre les projets de loi de M. Van de Weyer et de M. le comte de Theux, comme investissant l'Etat d'un fardeau au-dessus de ses forces, de devoirs qu'il est inhabile à remplir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous n'étiez pas ici.
M. Coomans. - Je ferai remarquer à l'honorable ministre qu'on peut professer des opinions ailleurs que dans cette chambre et avant d'y entrer. Il esl probable que l'honorable M. Rogier avait des idées et savait les défendre avant de faire partie du Congrès national.
La raison que je viens de dire a déterminé mon vote hostile à la loi sur l'enseignement supérieur.
Parmi les choses étranges et les singularités audacieuses qu'on rencontre dans le rapport de la section centrale, je relèverai cette assertion que l’enseignement dirigé par l'Etat est une condition essentielle du bien-être et de la civilisation d'un peuple.
Dois-je donc apprendre à l'honorable M. Dequesne que l'Etat n'enseigna jamais en Europe avant le siècle, et que les Anglais et les Américains du Nord, qui ne possèdent pas d'enseignement officiel, ne semblent pas être restés ignorants au point de devoir ambitionner les écoles ministériellement censurées dont M. Dequesne veut gratifier la Belgique ?
L'Etat pourrait, à la rigueur, s'établir maître d'école en Angleterre, où il a la prétention d'être grand prêtre. La férule n'est pas plus lourde à porter que la tiare. Cependant il s'abstient d'entrer dans la lice, il se borne à distribuer libéralement et équitablement des subsides aux concurrents. Ayons la modestie de croire qu'il a de bonnes raisons pour agir avec tant de réserve.
Plusieurs de nos honorables collègues, qui ne laissent échapper aucune occasion de ciler tous les exemples que la Grande-Bretagne et l'Irlande peuvent offrir à l'appui de leurs théories économiques, auraient mauvaise grâce, qu'ils me pardonnent cette remarque, de ne pas tenir très sérieusement compte de ce qui se passe de l'autre côté de la Manche, en matière d'instruction publique.
En Angleterre, l'Etat est croyant, il professe un culte; il a donné depuis des siècles des preuves d'habilité commerciale et industrielle; il prêche presque officiellement des doctrines économiques qu'il croit bonnes, au point de vue national, du moins; il est un profond financier, car son crédit est le plus ferme du monde entier, et ses budgets se soldent annuellement par un boni qui atteint presque le chiffre des recettes de la Belgique. Il pourrait donc, sans outrecuidance, ouvrir des écoles et y enseigner la morale religieuse, l'économie politique, la science financière et bien d'autres choses, qu'il sait mieux que personne. Il n'en fait rien, non par avarice (il ne plaint pas les millions quand la dépense lui semble utile), non par excès de modestie (c'est son moindre défaut), mais par respect pour la liberté.
En Belgique, l'Etat est incrédule, il n'est ni chrétien, ni turc, ni bouddhiste; il professe le culte du laïcisme, qui a autant de prêtres que de fidèles, et qui attend encore une définition; cependant il enseignera lui-même la religion si les interprètes naturels de la religion ne répondent pas à l'invitation puérile et honnête qui leur sera civilement adressée. Il n'a pas de système économique ; il est libre-échangiste en théorie, protectionniste et prohibitionniste en pratique, ou plutôt il applique tour à tour des principes différents à des intérêts semblables, selon ses prédilections et ses caprices. Cependant il veut enseigner ce qu'il ignore profondément, l'économie politique et sociale, à la façon de Jacotot. Il a bien des leçons à recevoir en matière de finance, car ses budgets sont en déficit, et il ne sait à quel Plutus se vouer dans sa détresse. Cependant il ouvrira un cours de finances, il expliquera comme quoi les peuples s'enrichissent et se ruinent, et quelles lois président au développement de la fortune nationale, toujours à la mode de Jacotot. Sérieusement, messieurs, cela est-il raisonnable, et croyez vous que des pères de famille, qui seraient peut-être disposés à confier leurs enfants aux écoles de l'Etat anglais, les enverront à celles de l'Etat belge? J'en doute fort, pour mon compte.
On fait grand bruit des droits et des devoirs de l'Etat en matière d'enseignement, on vante l'influence de l'Etat, on veut l'armer d'une arme redoutable, aussi nécessaire, dit-on, à sa dignité qu'à sa puissance. Ces preux chevaliers de l'Etat me sont un peu suspects, je l'avoue, suspects en ce sens que leur amour des prérogatives de l'Etat n'est pas aussi pur, aussi désintéressé qu'ils tâchent de nous le faire accroire. L'expérience nous apprend que les mêmes hommes qui défendent si chaleureusement l'honneur et les prétentions de l'Etat, sont les premiers à abandonner son parti, à affaiblir son action, chaque fois que les idées religieuses sont hors de cause.
Ainsi ne voit-on pas ces fermes soutiens de l'Etat, ces avocats éloquents de l'Etat, ces tuteurs scrupuleux de l'Etat, marchander à l'Etat, d'une main avare, les dépenses de l'armée, de la diplomatie et de la justice ? Ne les a-t-on pas vus repousser des chambres les fonctionnaires publics comme suspects de servilisme? Ne les a-t-on pas vus refuser à l'Etat la libre nomination des administrateurs communaux? Ne les verrait-on pas se lever comme un seul homme contre la prétention éventuelle de l'Etat, de fonder et d'exploiter des journaux ? Dans un pays voisin, comment s'appellent les plus fougueux partisans du monopole universitaire, de l'instruction dirigée minutieusement par l'Etat? Ils prennent le nom de socialistes, et ils l'ont bien mérité depuis deux ans. Se sont-ils signalés par un grand dévouement à la cause de l'Etat, par un profond respect pour le suffrage universel, source de l'état républicain? Les journées de mai et de juin, ainsi que les votes et le langage de la Montagne, fournissent la réponse.
Eh! messieurs, soyons francs, ou permettez-moi de l'être: ce qui vaut à l'Etat (ou au pouvoir civil, selon la distinction très juste de l'honorable comte de Mérode) ces sympathies inaccoutumées, ces alliés de circonstance, ces défenseurs provisoires, c'est sa réputation d'esprit fort, c'est son caractère laïque ou anticlérical, pour me servir d'un mot qui a déjà reçu le baptême parlementaire. Si l'Etat était catholique, s'il professait, comme ailleurs, le culte de l'immense majorité de la population, et s'il en faisait la base de l'instruction publique, on ne réclamerait pas pour lui les droits superbes qu'on lui attribue si libéralement chez nous. Dans les Etats Romains, pas exemple, on trouverait mauvais le projet de loi qu'on préconise ici, ou du moins bien des gens ne l'approuveraient qu'à la condition que le Pape se fît laïque.
Non, ce n'est pas dans l'intérêt de l'Etat qu'on réclame pour lui la direction immédiate de l'enseignement public; on ne se dissimule pas les inconvénients de ce système, on sait bien qu'il en résultera des complications de tout genre, une responsabilité gênante, une augmentation inopportune du personnel administratif, une charge nouvelle pour le budget, un accroissement du chiffre des pensions, des mécontentements personnels, des conflits, etc. Mais on veut créer une concurrence décisive contre les établissements religieux; on avoue qu'il s'agit d'établir par la loi, et avec l'argent de tous, un monopole de parti opposé à ce qu'on appelle le monopole de la liberté ! Un défenseur habile du projet a déclaré naguère, avec une franchise dont je lui sais gré, que le moment est venu déposer des limites à la liberté d'instruction. Toutes ces démonstrations sont assez significatives pour que je n'y ajoute pas de commentaires.
M. Lelièvre. - C'est une calomnie.
M. le président. - Je vous prie, M. Lelièvre, de ne pas interrompre.
M. Coomans. - Vous disiez, si j'ai bonne mémoire, au début de votre discours dans la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur: (page 1199) « Le moment est venu de mettre des limites à la liberté d'enseignement. »
M. Lelièvre. - Ce n'est pas vrai ! c'est une calomnie ! (Agitation.)
M. le président. - M. Lelièvre, je vous invite itérativement à ne pas interrompre. Si vous continuez, je serai obligé de vous rappeler à l'ordre.
M. Coomans. - Huissiers, apportez le Moniteur !
M. Lelièvre. - C'est une calomnie, M. le président.
M. le président. - Je rappelle M. Lelièvre à l'ordre.
M. Coomans (à M. Lelièvre). - J'ai le droit de vous opposer une opinion que je trouve consignée au Moniteur.
M. Lelièvre. - C'est une calomnie ! Je demande la parole pour un fait personnel !
M. Coomans. - Et moi, je demande le Moniteur!
Si je me suis trompé, je le reconnaîtrai.
M. le président. - Je dois faire remarquer à l'honorable M. Lelièvre que je manquerais à mes devoirs, si je permettais à un membre de prendre violemment la parole pendant le discours d'un de ses collègues. J'ai prié plusieurs fois M. Lelièvre de ne pas interrompre, sauf à s'expliquer plus tard ; j'ai dû le prévenir ensuite que s'il continuait je ferais obligé de le rappeler à l'ordre; il n'a pas voulu m'écouter et force m'a été, dans l'intérêt de la dignité de l'assemblée, de recourir à ce rappel. Il ne peut avoir la parole en ce moment que pour se justifier du rappel à l'ordre ; il aura après le discours de M. Coomans la parole pour un fait personnel, s'il le juge à propos.
M. Coomans. - Messieurs, je continue.
« Le monopole de la liberté », a-t-on dit. Eh ! messieurs, quel étrange accouplement de mots! A qui la faute si les établissements du clergé sont plus nombreux et plus suivis que les autres ? Prenez-vous-en à la confiance qu'ils inspirent sous tous les rapports aux familles ; déplorez que les écoles dites libérales soient si rares ou si désertées; mais ne dites pas que la liberté a dégénéré en monopole. Qui donc empêche les adversaires des écoles catholiques d'en fonder d'autres? Personne. Qui donc s'est plaint de l'intervention des communes dans la carrière de l'enseignement ? Personne. L'initiative des citoyens, aidés par des ressources privées, ne sera jamais un monopole, quels que soient les succès qui la couronnent. Le monopole se trouve où vous l'avez dit, dans votre projet de loi. S'il n'y est pas en tête, il y sera plus tard, car en fait de centralisation et de dépenses, il n'y a que le premier pas qui coûte.
A en croire l'honorable M. Rogier, la liberté d'enseignement ne concernerait que les catholiques ; c'est pour eux seuls qu'elle aurait été consacrée par la Constitution ; ce serait une liberté essentiellement cléricale, dont les laïques de toute opinion n'auraient pas à profiter ; d'où il conclut que l'enseignement laïque étant également nécessaire, l'Etat doit se charger de l'organiser. Le sophisme est palpable et réfuté par les faits. La première partie de l'article 17 n'est pas une prérogative cléricale, c'est une loi générale qui existe pour tout le monde et dont l'élément laïque a su profiter. Il y a des centaines d'écoles purement laïques, tant communales que privées. Que signifie donc l'argumentation de M. le ministre ? Tend-elle à déconsidérer la liberté en la stigmatisant de cléricale ? Mais alors pourquoi s'en proclame-t-il le partisan ?
La liberté d'enseignement comme en Belgique n'est pas plus un monopole que la propriété territoriale, qualifiée de la même façon dans cette enceinte, n'en est un. Quiconque a une poignée d'écus peut ouvrir une école ou acquérir un champ. N'abusons pas des mots, surtout des gros mots. Il en est qui portent plus loin que ne l'exigent les besoins de l'attaque ou de la défense. Aucun de nous n'a intérêt à les employer.
Ce que j'ai retenu de grec m'apprend qu'on peut définir le monopole un trafic exclusif fait en vertu d'un privilège. Les écoles libres ne jouissent d'aucune faveur; elles sont continuellement exposées à la concurrence des citoyens, des communes et des provinces. Il n'en est pas de même des écoles ministérielles ; les communes, à qui on se réserve le droit de les imposer, seront dépouillées de celui de fonder des écoles communales. Quant aux professeurs formés dans les écoles ministérielles, on les impose également aux communes. Il y a là un double privilège qui imprime à la loi le caractère d'un vrai monopole.
Dites que vous avez fait une loi de monopole, j'y consens; je vous tiendrai compte de votre audacieuse franchise; mais ce nom, si odieux aux Belges, ne l'imprimez pas comme une flétrissure à la liberté ! Frappez-la, si vous vous sentez les plus forts, mais ne la déshonorez pas!
Le principal danger de l’enseignement dirigé par l'Etat, est l'invasion et l'extension des doctrines philosophiques des novateurs à la mode. En Allemagne, en France et ailleurs on propage, au nom et avec la protection de l'Etat, les systèmes les plus subversifs. La plupart des instituteurs primaires se sont montrés socialistes après le 24 février. Des écoles libres ou dirigées par les communes n'eussent jamais donné au monde un scandale aussi effrayant.
Après tout, ce phénomène est assez naturel. Les fonctionnaires publics se croient généralement inamovibles. L'Etat, c'est eux-mêmes ; pourquoi le respecteraient-ils plus qu'ils ne se respectent ? Puis il faut bien croire et enseigner quelque chose. Le but des écoles de l'Etat étant de faire concurrence aux écoles libres, force est aux premières de se distinguer de celles-ci par des points essentiels. La religion en est un. On la néglige donc, on enseigne une morale laïque derrière le paravent du catéchisme, et l’on confère des dieux nouveaux pour préparer des révolutions nouvelles, dont le magister et son jeune auditoire comptent bien profiter. En fait, le socialisme n'a jamais été prêché dans les écoles, qu'aux frais de l'Etat. J'appelle là-dessus l'attention de lous les hommes prudents.
Que des particuliers fondent et exploitent des écoles exclusivement laïques, je dirai même des écoles religieuses, c'est leur droit constitutionnel c'est un effet légal du jeu de la liberté. Qu'ils jugent la religion inutile, ou vexatoire, ou anti-progressive, libre à eux ; nous pouvons déplorer une instruction semblable, il nous est défendu de l'entraver. Mais ce qui est permis au citoyen ne l'est pas à l'Etat ; le citoyen peut mal faire dans les limites de son droit, l'Etat point. Organe des intérêts de tous les membres de la grande famille, défenseur des besoins de tous, expression de la raison générale, l'Etat doit pratiquer le bien et le juste, il doit aspirer au mieux et à l'équité absolue. En matière d'instruction, par exemple, il est strictement obligé à la donner aussi parfaite que possible, aussi conforme que possible aux exigences de l'ordre social. Il ne peut pas établir un enseignement philosophique sous prétexte que l'enseignement religieux est suffisamment représente, et qu'il convient de combler des lacunes, de faire pencher la balance du côté où elle s'élève trop. Non, il doit rechercher les conditions d'un bon enseignement et les adopter pour règle invariable,, sans se préoccuper du soin d'établir une sorte d'équilibre entre l'enseignement religieux et l'autre.
Supposons, messieurs, que notre opinion eût négligé la liberté d'enseignement au point de la laisser monopoliser, comme vous dites, par la vôtre ; admettons un instant que l'on comptât neuf écoles libérales sur dix. L'équilibre, dont vous parlez tant, serait évidemment rompu. Viendriez-vous proposer de le refaire en organisant, aux frais de l'Etat, l'instruction dite cléricale? Voudriez-vous, en haine du monopole, créer une soixantaine d'athénées et de collèges purement catholiques? Vous ne le feriez pas, preuve que l'équilibre dont il s'agit est un prétexte, que le monopole allégué est un prétexte encore, et qu'au fond vous désirez fonder, aux dépens du trésor, un enseignement particulier, j'allais dire un enseignement de parti. Or, cette prétention est irrationnelle, inconstitutionnelle.
L'Etat doit fonder des écoles nationales parce qu'il représente la nation, et religieuses parce qu'elles sont destinées à une population généralement religieuse. Voilà le rôle permanent de l'Etat. Quant aux écoles de partis, c'est aux partis de les créer. La liberté est pour les partis. Qu'ils penchent à droite ou à gauche, c'est leur affaire. La liberté n'est pas pour l'Etat; il n'est pas libre comme eux de mal faire. Une seule route s'ouvre devant lui, qu'il la suive en laissant aux partis les chemins de traverse. Et ne craignez pas que sa dignité souffre de cette obéissance servile et sublime aux règles du juste et de l'utile. N'ayant pas le droit de faillir, les souverains de la terre, quelque nom qu'ils portent, sont en cela l'image du suprême Souverain de l'univers.
Pour prévenir une réfutation superflue, j'insiste sur le point fondamental de ma thèse, à savoir que la Constitution, tout en autorisant, en ordonnant, si vous le voulez, l'instruction donnée aux frais de l'Etat, nous laisse la faculté d'organiser cette instruction sur la base éminemment libérale de la direction communale et privée. Nous pourrions constitutionnellement confier à l'Etat la direction immédiate de l'instruction publique, mais nous ne le devons pas ; et ne le devant pas, je crois que nous ferons sagement de nous en abstenir.
Cent motifs très sérieux m'ont conduit à cette conclusion, qui n'est pas une conviction de circonstance. Le moins grave de ces motifs n'est pas la question religieuse. On vous l'a prouvé, vous en convenez en principe, la religion doit être efficacement enseignée; elle ne peut l'être que par le clergé.
Le clergé réclame â bon droit des garanties pour sauvegarder sa responsabilité.
Au point de vue où il se place, ses prétentions sont facilement justifiables.
Mais, j'accorderai, si l'on y tient, que l'intervention du clergé dans les lois d'enseignement crée des difficultés constitutionnelles et autres, qui pourraient un jour prendre les proportions de graves embarras politiques. La distinction, ou comme vous dites, la séparation, qui existe entre le pouvoir civil et l'autorité religieuse rend le concert délicat et fragile , sous l’empire des passions et des préjuges de parti. Pour tarir cette source de conflits, pour prévenir le scandale d’écoles officielles répudiées par la majorité des contribuables, pour empêcher l'affaiblissement croissant de la puissance publique, pour éviter des froissements pénibles, des luttes dangereuses, il n'y a qu'un moyen, c'est de laisser aux communes et aux particuliers la direction de l'enseignement public, c'est de borner le rôle de l'Etat central à la distribution de subsides, sauf son droit d’inspection efficace.
C'est le système que j'aurais voulu voir adopté pour l'instruction primaire; c'est celui que je préconise, sans la moindre chance de succès, je le sais bien, pour l'enseignement moyen. Quant à l'enseignement supérieure, l'action ministérielle m'y semble trop exclusive, mais la centralisation offre moins d'inconvénient pour cette branche d'instruction que pour les deux autres.
Messieurs, par quel étrange abus de mots vient-on ici qualifier de libéral un projet de loi qui diminue la liberté de la commune puisqu'il confisque quelques-unes de ses prérogatives; la liberté de l’enseignement, puisqu’il en restreint le domaine; la liberté de la science puisqu'il impose aux candidats-professeurs le passage par les écoles officielles ; enfin la libertés des familles, puisqu'elles verront crouler certains établissements communaux et libres qui jouissent de leur confiance? Depuis quand appelle-t-on libérales des lois qui renforcent l'action de l'Etat aux dépens de celle de la commune et du citoyen? Nommerait-on de la sorte une loi qui créerait (page 1200) aux frais du trésor, une soixantaine de journaux ministériels? Bien qu'aucun texte de la Constitution ne nous empêche de la voter; bien que la presse quotidienne soit une véritable, une puissante école ouverte à la jeunesse comme à l'âge mur; bien qu'une presse gouvernementale dût prêter à l'Etat un appui autrement décisif que ne le l'ont ses écoles de tout rang; bien qu'en transformant le journalisme en fonction publique richement rétribuée, l'Etat se fortifiât notablement contre les influences qu'exerce la presse libre, je doute que mes honorables adversaires, si jaloux d'assurer les droits de l'Etat, qualifiassent de libérale une loi pareille. Ils prouveraient sans peine que l'organisalion d'une presse officielle, dans des vues de propagande et de concurrence, offenserait la liberté, nuirait au trésor, provoquerait des luttes fâcheuses, et affecterait la dignité du pouvoir.
Comment donc la loi sur l'enseignement moyen nous est-elle présentée comme libérale? Pour répondre à cette question, il faut distinguer entre le libéralisme dont le principal caractère est l'amour de la liberté, et un autre libéralisme qui se signale par sa haine des idées religieuses. Le premier appelle libéral tout ce qui est favorable à la liberté; l'autre n'applique cette épithète qu'à tout ce qui fend à rétrécir, à gêner l'action du clergé. Ainsi l'histoire contemporaine de l'Europe nous apprend qu'à Rome, à Florence et à Paris, par exemple, des hommes qui se proclamaient hautement libéraux, ne voyaient le triomphe de leur opinion que dans des mesures funestes à la religion et à ses ministres. Je n'ai que trop le droit d'établir une distinction entre le libéralisme libéral et tolérant, et le libéralisme révolutionnaire et oppresseur. Or, messieurs, le premier seul est populaire en Belgique, seul il est conforme à nos mœurs et à nos besoins, seul il est appelée un succès durable et salutaire. Le second ne triomphera pas, je l'espère, car sa victoire serait le signal de notre ruine à tous. Ce n'est pas dans le dictionnaire de l'un, c'est dans celui de l'autre qu'on aura puisé, par mégarde, le mot de libéral appliqué au projet en discussion.
Amour-propre national à part, nous pouvons dire que notre Constitution est regardée dans le monde entier comme essentiellement libérale , en ce sens surtout qu'elle laisse une grande liberté d'action aux communes et aux citoyens. Comment des Belges, amis de cette Constitution si glorieusement éprouvée, trouveraient-ils libérale une loi restrictive et centralisatrice qui restreint le cercle de la liberté et qui eût été repoussée avec indignation (ce mot n'est pas trop fort) par l'immense majorité du Congrès? L'honorable ministre des travaux publics reconnaît loyalement que la Constitution ne prescrit ni ne proscrit un enseignement officiel, qu'elle se borne à l'autoriser. L'honorable M. de Brouckere vous a clairement prouvé que l'organisation de l'enseignement moyen aux frais de l'Etat n'est pas obligatoire, et qu'a fortiori, elle l'est encore moins sous la surveillance directe de l'Etat. La démonstration qu'il a produite est péremptoire. Au besoin l'article 139 de notre charte m'en fournirait une autre. Cet article prescrit des lois séparées et urgentes pour onze objets parmi lesquels ne figure pas l’enseignement public. Si le législateur de 1831 avait voulu rendre cet enseignement obligatoire, il l'eût compris au nombre des matières indiquées à l'article 139. Remarquez, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur a commis une grave inexactitude en assimilant l'instruction publique aux prescriptions de l'article 139, et en disant que la loi proposée par lui est la seule loi d'organisation qu'il nous reste à rédiger. D'abord l'article 139 ne mentionne pas l'instruction publique, ce qui confirme la thèse de l'honorable M. de Brouckere; ensuite l'article 139 comprend deux objets restés jusqu'ici en souffrance, la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir et la révision des codes. Sur ce point encore l'évidence infirme ce que l'honorable ministre affirme.
Tout ce que trouve le second paragraphe de l'article 17, c'est que l'Etat ne peut intervenir dans l'instruction publique qu’en vertu d'une loi. Or, il n'est que trop vrai qu'à cet égard la Constitution a été méconnue, que l'honorable M. Rogier et ses prédécesseurs ont organisé des écoles moyennes et professionnelles sans pouvoirs suffisants. Je suis forcé de faire cette concession à M. le ministre de l'intérieur, mais je ne sais vraiment pourquoi il semble tant y tenir. Quel intérêt peuvent avoir les conseillers de la couronne à ce qu'il soit bien constaté qu'un article important de la loi fondamentale a été violé par eux et par leurs prédécesseurs, même avec le concours ou la complicité des chambres?
- Plusieurs voix. - M. Coomans est fatigué !
M. le président. - M. Coomans désire-t-il suspendre son discours ?
M. Coomans. - Je suis aux ordres de la chambre.
- Plusieurs membres. - Reposez-vous. D'autres en ont fait autant.
M. Coomans. - Je suis un peu fatigué ; je voudrais pouvoir achever demain mon discours; mais je désire terminer aujourd'hui l'incident soulevé entre M. Lelièvre et moi. Je demande que la parole soit accordée à cet honorable membre.
M. Lelièvre. - Lorsque j'ai entendu l'honorable M. Coomans se rendre, à son insu, l'écho de ce que j'appellerai une imputation calomnieuse, j'ai éprouvé le besoin de protester immédiatement contre une assertion de ce genre. Suivant l'honorable membre, j'aurais dit que le moment était venu de poser des limites à la liberté d'enseignement. Or, jamais je n'ai tenu un pareil langage. J'ai toujours été d'avis « que cette liberté devait être complète et sans restriction. » Les seuls délits commis à l'occasion de l'usage de la liberté doivent être réprimés; mais à côté de l’enseignement libre doit se trouver l'enseignement de l'Etat. Voilà les seules règles constitutionnelles. C'est vainement qu'on me prête une autre pensée en dénaturant ce que j'ai dit lors de la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur. A cette occasion, messieurs, je commençais, mon discours on ces termes :
« De toutes les questions que vous êtes appelés à résoudre, celles que soulève le projet soumis à vos délibérations sont certainement les plus importantes.
« Il s'agit de tracer les limites de la liberté de l'enseignement, de définir les droits qui en résultent pour les établissements libres et de les concilier avec les attributions de l'Etat relatives à l'instruction publique. Il s'agit de prendre des mesures qui, en sauvegardant l'une des plus précieuses libertés sanctionnées par le congrès en 1831, maintiennent intacte la haute mission du gouvernement dans un pays civilisé. »
Ma pensée n'est-elle pas claire? M'occupant des questions que soulevait le projet, j'ai dit qu'il s'agissait de tracer les limites de la liberté d'enseignement, c'est-à-dire qu'il s'agissait de savoir quelle est l'étendue de celle-ci, jusqu'à quel point elle se concilie avec l'existence de l'enseignement donné aux frais de l'Etat et si elle a la portée d'exclure l'instruction publique. Toute la période démontre cette pensée, et cela est si vrai que j'ajoute immédiatement : qu'il s'agit de prendre des mesures sauvegardant l'une des plus précieuses libertés sanctionnées par le Congrès en 1831.
Non, messieurs, il ne m'est jamais venu dans l'esprit de dire que le moment était venu de poser des limites à la liberté d'enseignement. Je la veux telle qu'elle est établie par la Constitution, qui n'autorise que la répression des délits; je la veux avec l'enseignement de l'Etat prescrit par cette même Constitution. Loin de la limiter, je veux, au contraire, comme je le disais dans le discours, qu'on sauvegarde cette précieuse liberté. Mais ce que je prétends, c'est que cette liberté ne va pas jusqu'à empêcher le gouvernement d'organiser son propre enseignement. Après cela, et alors qu'on dénaturait le sens de mes paroles, et qu'on me prêtait un langage qui n'est jamais entré dans mes intentions, est-il étonnant que j'aie cru devoir protester contre une imputation qui me blessait profondément? Je n'ai pu alors comprimer le sentiment d'indignation qu'éprouve un honnête homme, lorsqu'on ne craint pas de lui prêter une pensée que sa conscience repousse.
M. Coomans. - Je regrette d'avoir occasionné à l'honorable M. Lelièvre la vive émotion à laquelle il se trouve en proie. Il ne me la fera pas partager; je veux rester parlementaire, je lui répondrai même avec bienveillance, malgré les gros mots, les épithètes un peu fiévreuses qu'il m'a lancées. Bien que je sois un de ceux qu'il a cru devoir convier à la modération, il ne sortira pas de ma bouche des expressions trop lestes comme celles qu'il a trois fois répétées. (Interruption.)
Il a parlé de calomnie…
- Un membre. - Il n'a pas accusé vos intentions.
M. Coomans. - Il est vrai qu'il a ajouté que je l'avais calomnié à mon insu, phrase qui ferait une mauvaise définition juridique et qui est une figure de rhétorique, une précaution oratoire, assez commode pour injurier avec restriction. J'arrive au fond de l'incident. J'avais cité de mémoire ces paroles :
« Le moment est venu de poser des limites à la liberté d'enseignement. »
Je vois que M. Lelièvre a dit : il s'agit de tracer les limites de la liberté d'enseignement. Messieurs, tracer des limites à ce qui est déclaré illimité par la Constitution, n'est-ce pas une prétention inconstitutionnelle? La Constitution dit que la liberté d'enseignement est illimitée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Constitution ne se sert pas de ces termes. Elle dit : L'enseignement est libre.
M. Coomans. - Eh, oui, mais il n'y a pas de limites à cette liberté constitutionnelle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais il y a aussi l'enseignement donné aux frais de l'Etat?
M. Coomans. - Ah ! c'est une limite à la liberté d'enseignement !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas ce qu'a dit l'honorable M. Lelièvre.
M. Coomans. - La liberté d'enseignement est illimitée, c'est le sens dans lequel on a promulgué et compris cette liberté en Belgique.
Un orateur s'égare, il se trompe pour le moins, quand il dit qu'il s'agit de tracer les limites d'une liberté illimitée. Evidemment, pour rester très modéré, j'ai le droit de dire qu'il y a au moins des circonstances atténuantes en faveur de mon interprétation de la phrase de M. Lelièvre,
M. le président. - M. Coomans désire-t-il continuer son discours ?
M. Coomans. - Je suis aux ordres de la chambre ; mais souffrant de la poitrine, je préférerais achever demain.
- Plusieurs membres. - M. Coomans est fatigué. A demain !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si M. Coomans est indisposé, je suis le premier à demander la remise à demain ou à un autre jour pour entendre la suite de son discours. Mais il y a d'autres membres inscrits; il n'est que 4 heures et demie; si nous voulons avancer nos travaux et arriver à un résultat en temps utile, il faut un peu se hâter et ne pas entendre seulement deux ou trois orateurs par séance. Je demande que les séances commencent plus tôt ou qu'elles finissent plus tard. S'il y avait pénurie d'orateurs, je comprendrais qu'on levât la séance, mais un grand nombre sont inscrits. Il ne peut entrer dans les intentions de personne de donner à ces débats une étendue illimitée. Il faudra bien poser une limite à la discussion de cette loi.
(page 1201) M. le président. - M. Boulez est prêt à prendre la parole.
- Plusieurs voix. - A demain! à demain !
Projet de loi portant modification du code pénal maritime
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai l'honneur de déposer deux projets de loi ayant pour objet, l'un de modifier le Code pénal maritime, l'autre de régler les déchéances en matière de consignation.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets de loi qu'il vient de déposer. Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés et distribués.
M. Orts. - Le second des projets qui viennent d'être présentés est urgent; il concerne un intérêt privé; il ne donnera pas lieu à discussion, je demande qu'il soit renvoyé à une commission nommée par le bureau.
- Cette proposition est adoptée.
Le projet de loi relatif au Code pénal maritime est renvoyé aux sections.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) présente un projet de loi de transfert concernant les départements des travaux publics et des affaires étrangères (marine).
- La chambre donne acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi, en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi aux sections.
M. le président. - Je viens de recevoir du sénat le projet de loi sur le régime des aliénés.
- La chambre renvoie ce projet de loi à la section centrale qui a examiné le projet de loi primitif.
La séance est levée à 4 heures et demie.