(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 941) M. T'Kint de Naeyer procède à l'ppel nominal à 2 heures et quart.
- La séance est ouverte.
Il est procédé, par la voie du sort, à la composition des sections.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
Il fait ensuite connaître l'nalyse des pièces suivantes.
« Les huissiers audienciers près le tribunal de première instance d'Audenarde demandent :
« 1° Une loi qui leur assure un traitement pour leur service intérieur du tribunal ;
« 2° L'brogation delà loi du 28 floréal an X. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Prins demande que le projet de loi de prorogation relatif à des examens universitaires contienne une disposition qui retarde, cette année, l'ouverture de la première session des jurys d'examen. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Quelques gardes civiques de Louvain demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les administrations communales et plusieurs habitants des communes situées entre Wavre et Namur prient la chambre d'encourager, par un subside, les entrepreneurs de messageries qui rétabliraient des services de transport sur la route de Bruxelles à Namur. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par dépêche du 15 mars, la cour des comptes adresse à la chambre l'état sur la situation financière du chemin de fer que la chambre lui a demandé.
- Sur la proposition de M. de Man d'Attenrode, la chambre en ordonne l'impression.
M. Van Grootven demande un congé.
- Ce congé est accordé.
M. Rousselle, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi de crédit supplémentaire de 228,000 fr. pour service des pensions, en 1849, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
M. Lelièvre. - Au nom de la commission qui a examiné le projet de révision du régime hypothécaire, je dépose le rapport sur ce projet de loi; ce rapport ne pourra être distribué que la semaine prochaine. Je prie donc la chambre de mettre le projet de loi comme premier objet à l'ordre du jour, à la rentrée après les vacances de Pâques.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport, et met le projet de loi à l'ordre du jour pour la rentrée après les vacances de Pâques.
La discussion est ouverte sur l'rticle unique du projet de loi, dont la section centrale propose l'doption. Il est ainsi conçu :
« Article unique. L'rticle 360 du Code d'instruction criminelle est interprété de la manière suivante :
« Toute personne acquittée légalement ne pourra plus être reprise ni accusée en raison du même fait, tel qu'il a été qualifié. »
M. Lelièvre. - Messieurs, l'interprétation de l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle a fait naître, entre les cours d'ppel du royaume et la cour de cassation, un conflit que la chambre est appelée à faire cesser. La question se réduit à savoir si, lorsqu'un individu a été mis en jugement, à raison d'un fait qualifié dans les actes de l'instruction, il peut, après acquittement, être traduit de nouveau à raison du même fait auquel le ministère public jugerait convenable de donner une autre qualification.
Spécialement un individu est accusé d'voir donné volontairement la mort à un enfant nouveau-né ou à toute autre personne ; la question est posée au jury en ces termes : « L'ccusé est-il coupable d'voir commis volontairement un homicide sur telle personne? » Le jury répond : Non. Des poursuites du chef d'homicide involontaire peuvent-elles encore être exercées?
En ce qui me concerne, messieurs, je n'hésite pas à soutenir la négative, et par conséquent, à préférer, en cette occurrence, l'opinion des cours d'ppel à celle de la cour de cassation.
Ne le perdons pas de vue, la cour suprême, elle-même, par une décision assez récente, avait adopté le système que je défends. Un arrêt du 9 août 1848 statue dans les termes suivants : «Attendu, en ce qui touche la prévention d'homicide par imprudence, qu'ux termes de l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle, toute personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ni accusée à raison du même fait.
« Attendu qu'il résulte de cette disposition qu'un seul et même fait punissable ne peut donner lieu qu'à une seule poursuite, quelles que soient les qualifications diverses dont il peut être susceptible à raison des circonstances qui le modifient aux yeux de la loi pénale et que le législateur n' pas voulu que chaque circonstance du fait pût ou dût faire la matière d'un fait séparé;
« Que l'rticle précité ne se borne point, en effet, à défendre toute poursuite nouvelle à raison de la même accusation, mais s'oppose à toute accusation à raison du même fait. Que son texte même s'oppose dès lors à ce qu'on restreigne le sens du mot « fait » dont il se sert à l'ccusation sur laquelle le jury a eu spécialement à prononcer d'près les questions qui lui ont été soumises.
« Que d'illeurs le sens de ce mot se trouve clairement défini par les articles 361 et 379 du même Code , qui n'entendent par faits nouveaux révélés par les débats et à raison desquels soit en cas d'cquittement, soit en cas de condamnation, le président ou la cour doit ordonner des poursuites nouvelles, que les faits nouveaux à raison desquels aucune accusation n’a été admise, tandis que lorsqu'il s'git de circonstances qui sont de nature à modifier l'ccusation dont la cour d'ssises se trouve saisie, en ce qui concerne le mode dont l'ccusé s'est rendu coupable du fait réprimé par la loi pénale, une jurisprudence constante basée sur plusieurs dispositions et sur l'esprit général du Code d'instruction criminelle, conforme en ce point à la loi du 3 brumaire an IV, autorise le président à poser au jury des questions spéciales sur toutes les circonstances révélées par les débats.
« Qu'il en résulte que le juge saisi par l'rrêt de renvoi de la connaissance d'une accusation est appelé à examiner le fait et toutes les circonstances qui peuvent le modifier aux yeux de la loi pénale et non pas seulement dans ses rapports avec l'rrêt de renvoi et les qualifications que cet arrêt lui attribue; que dès lors l'ction publique est épuisée lorsqu'il est intervenu une décision définitive sur l'ccusation à laquelle le fait a donné lieu. »
Voilà l'opinion de la cour de cassation elle-même. Il est difficile de concevoir comment une jurisprudence aussi fortement motivée n'it pas, en dernière analyse, été maintenue. Elle est appuyée, du reste, par les autorités les plus imposantes.
Les cours royales de France partagent la même opinion, et si la cour de cassation a cru devoir s'en écarter, c'est contre l'vis de son savant procureur général M. Dupin, qui n' cessé de défendre, avec sa logique habituelle, la doctrine à laquelle se sont ralliées les cours d'ppel de Belgique. C'est, du reste, celle qui me paraît seule admissible ; en statuant que l'ccusé acquitté ne pourra plus être traduit à raison du même fait, la loi parle évidemment de l'ction commise et non pas de son incrimination ou de sa qualification légale. Le législateur ne dit pas à raison du même crime, à raison du même délit; il s'exprime d'une manière plus générale, il parle sans réserve, sans limitation aucune du même fait.
C'est donc l'ction elle-même qui désormais échappe à toute recherche. Rien d'étonnant, c'était au ministère public à comprendre dans la même poursuite tous les crimes et délits qu'il croyait remarquer dans le fait reproché à l'inculpé. S'il ne les a pas compris dans les questions soumises aux juges, l'ccusation est réputée écartée d'une manière générale, donc même en ce qui touche les circonstances de l'cte incriminé et toutes ses modifications.
Un examen attentif de la réponse du jury et de la manière dont celui-ci émet son vote démontre qu'il doit en être ainsi.
L'rticle 345 du Code d'instruction criminelle porte :
« Le chef du jury interrogera (les jurés) d'près les questions posées et chacun répondra ainsi qu'il suit :
« Si le jury pense que le fait n'est pas constant ou que l'ccusé n'en est pas convaincu, il dira : Non, l'ccusé n'est pas coupable. »
En conséquence lorsqu'on demande au jury : « L'ccusé est-il coupable d'voir commis volontairement un homicide? » la première question que le jury doit examiner est celle de savoir si un homicide a été commis; donc il est appelé à reconnaître ou à déclarer non établie l'existence du fait matériel. Il résulte de là que la réponse négative du jury peut aussi bien s'ppliquer à la non-reconnaissance de la matérialité du fait qu'à l'bsence de l'intention criminelle; or dans l'impossibilité de connaître si le jury a répondu négativement par le motif qu'il a écarté l'existence du fait lui-même ou parce qu'il n' pas acquis la preuve de l'intention criminelle qui a présidé à l'cte incriminé, le doute doit profitera l'ccusé, et en conséquence celui-ci ne peut plus être mis de nouveau en jugement, sans violation de la maxime, non bis in idem.
(page 942) Le système contraire est fondé sur la supposition qu'on a acquitté l'ccusé au point de vue de la volonté, mais c'est là une hypothèse que rien ne justifie, c'est là une présomption qu'on ne saurait admettre sans prétendre pénétrer dans la conscience du jury.
La réponse négative pouvant s'ppliquer à chacune des conditions essentielles constituant la criminalité de l'cte et sur lesquelles le jury avait à rendre son verdict, il en résulte que la solution favorable à l'ccusé, donnée d'une manière générale et sans restriction, doit écarter tous les éléments de l'ccusation soumis au jury, ainsi le fait lui-même aussi bien que la volonté (moralité du fait) suivant les expressions du Code de brumaire an IV. Du reste, il est incontestable que le fait avec toutes ses modifications était déféré au jury. Cela est si vrai que le président était certes autorisé à poser la question subsidiaire relative à l'homicide involontaire; or, s'il en est ainsi, c'est là sans contredit une preuve évidente que l'homicide, avec toutes ses modifications, était déduit en jugement. Donc l'ccusation a été purgée irrévocablement relativement au fait, à ses circonstances et aux modifications dont il est susceptible. Prétendre renouveler la poursuite en imprimant à l'cte une qualification nouvelle, c'est revenir sur une accusation déjà déférée à la justice, sur laquelle celle-ci a pu et dû statuer, et à l'égard de laquelle elle a épuisé ses pouvoirs.
Je crois donc devoir proposer à la chambre d'dopter une interprétation contraire à celle formulée par le projet de loi, en ces termes :
L'rticle 360 du Code d'instruction criminelle est interprété de la manière suivante :
« Toute personne acquittée légalement ne pourra être reprise ni accusée à raison du même fait, quelle que soit la manière dont celui-ci a été qualifié. »
Mais si vous croyiez devoir vous rallier à la jurisprudence de la cour de cassation, en ce cas encore il me semble que vous ne pourriez adopter le projet d'interprétation tel qu'il est formulé; il est conçu en termes trop absolus et vous serez convaincus si vous vous demandez ce qu'il faudrait statuer dans l'hypothèse où l'existence même du fait aurait été soumise au jury dans une question spéciale. Je m'explique. Un individu est accusé d'voir commis un homicide volontaire. Le président de la cour d'ssises, divisant les questions complexes que soulève l'ccusation, demande au jury :
1° Un homicide a-t-il été commis sur la personne de tel individu?
2° L'ccusé est-il coupable d'voir commis volontairement cet homicide?
Je suppose que le jury résolve négativement la première question, évidemment il ne peut plus y avoir lieu, en ce cas, à nouvelle poursuite, même pour homicide involontaire.
Il est donc évident que le projet de loi est rédigé en termes trop généraux et qu'il faudrait le restreindre à l'hypothèse où le jury n' pas statué positivement sur l'existence du fait lui-même.
Mais en ce qui me concerne, je persiste à penser que le fait dont parle l’article 360 du Code d'instruction, est l'ction même incriminée, qui ne peut plus faire l'objet d'une poursuite nouvelle, dès qu'elle a été soumise à la justice qui a été appelée à l'pprécier avec toutes ses conséquences légales. La faveur que mérite le prévenu exige aussi cette solution, à laquelle, dans le doute même, il est nécessaire de se rallier d'près les principes éternels qui sont la base de l'dministration de la justice criminelle. Sans cela il faudrait admettre qu'un individu peut être en butte à des poursuites successives, exercées pour le même fait, qu'on se bornerait à qualifier diversement. Or il y aurait là une rigueur contraire à tous principes d'équité.
Je terminerai en produisant un dernier argument, qui me paraît de nature à faire impression sur la chambre. Sous la législation antérieure au Code d'instruction criminelle, le système que je maintiens était incontestable d'près une interprétation législative du 21 prairial an II.
Eh bien, non seulement le Code d'instruction criminelle en vigueur n' pas abrogé la loi antérieure, mais il s'est borné à reproduire le même texte dans l'rticle 360 que nous devons interpréter. N'est-il pas évident que dès lors que l'ncienne législation a été maintenue, et qu'il est impossible de donner à cet article un autre sens que celui attaché à la même disposition littérale sous l'empire de la loi ancienne.
Ce sont ces motifs qui me déterminent à repousser le projet du gouvernement.
Je le repousse, messieurs, alors même que la qualification nouvelle donnée au fait ne ferait pas rentrer la seconde poursuite dans une accusation d'un acte constituant une simple modification de celui soumis au jury. La raison est évidente, l'rrêt de la chambre des mises en accusation, en. limitant la prévention à tel crime déterminé, a écarté par cela même l'ccusation de tout autre crime ou délit résultant du même fait. Ce point a donc été irrévocablement apprécié par la cour d'ppel dans le cercle de ses attributions, et sous ce rapport la chose jugée découle nécessairement de la décision qui a statué sur le mérite de la prévention et renvoyé l'ccusé devant la cour d'ssises. Je voterai en conséquence contre le projet d'interprétation actuellement en discussion.
M. le président. - M. Destriveaux propose un amendement tendant à interpréter l'rticle 360 comme suit :
« Toute personne acquittée légalement ne pourra plus être reprise ni accusée à raison du même fait, quelle qu'en ait été la qualification. »
La parole est M. Destriveaux pour développer cet amendement.
M. Destriveaux. - Messieurs, j'i proposé l'mendement dont la chambre vient d'entendre la lecture, par l'intime conviction, dans laquelle je me trouve, que l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle doit être appliqué littéralement, c'est-à-dire en appréciant le fait purement matériel.
En matière de faits qui donnent lieu à des poursuites de répression, il faut distinguer le fait matériel en soi, les qualifications qui peuvent lui être données.
L'existence du fait matériel précède l'existence de toutes les qualifications. C'est ainsi que la loi procède dans son appréciation.
La qualification arrive d'bord pour déterminer que le fait est criminel. A quel degré? Les autres qualifications arrivent successivement, savoir si, selon les dispositions de l'rticle premier du Code pénal, le fait doit être déclaré crime. doit être déclaré délit, doit être déclaré contravention.
Ici le système général est que, lorsque le caractère de criminalité a été donné au fait, les tribunaux de répression sont compétents. A quel degré? Cela dépend des qualifications particulières dont le fait est susceptible.
Or, l'rticle 360, comment s'exprime-t-il? D'une manière générale, absolue, qui ne permet pas d'interprétation. Il dit « à raison du fait » ; il ne dit pas : « à raison du crime », il ne dit pas: « à raison du délit », encore moins « à raison de la contravention » ; il dit « à raison du fait ».
Il dit : « à raison du fait »; mais la chose est saillante, messieurs , et je m'étonne, en vérité, que l'pplication de l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle ait amené une divergence dans les arrêts des cours, telle qu'elle ait motivé l'intervention de la législature pour interpréter avec autorité.
Cette divergence cependant n'est pas telle que nous ne voyions le système que l'honorable M. Lelièvre et moi défendons, adopté par plusieurs arrêts rendus à des dates différentes par les magistratures élevées de la Belgique et même par la cour de cassation dont le dernier arrêt motive notre intervention. C'est ainsi qu'en 1831, la cour de cassation, siégeant alors à Bruxelles dans une organisation qui ne s'est pas continuée, a décidé dans le sens que nous donnons à l'rticle 360. C'est ainsi que la cour de Liège l' décidé le 8 juin 1848, que la cour de cassation l' décidé le 9 août 1848, que la cour l' décidé le 20 juin 1849 ; et c'est alors que la cour de cassation a rendu deux arrêts, l'un de 1848 et l'utre de 1849, qui cassent.
Ainsi, si nous devions consulter l'importance des décisions rendues au même degré de juridiction, nous serions fondés à conclure que la jurisprudence est en faveur du système que nous soutenons. Mais ce n'est pas ici le lieu où l'on peut s'emparer d'une jurisprudence quelconque pour faire valoir le système de la vérité duquel on est convaincu. Ici nous ne parlons pas à des juges ; nous parlons à des législateurs. Nous sommes appelés à interpréter par voie d'utorité, c'est-à-dire à imprimer à l'rticle 360 une confirmation législative telle que toute espèce de doute disparaisse. Nous sommes appelés à faire une loi qui repousse toute obscurité et qui prévienne toute espèce de doute.
Messieurs, notre tâche ne doit pas se borner, dans son accomplissement, à l'rticle 360. Notre tâche est de rechercher dans quelle situation l'rticle 360 se trouve en regard des dispositions générales d'instruction criminelle et des dispositions générales de la loi, sur ce qui peut se passer et doit se passer aux cours d'ssises.
Qualification du fait matériel. Cette qualification ne peut-elle donc pas être facilement déterminée par l'instruction criminelle? Mais messieurs, toutes les facilités abondent, tous les degrés de juridiction sont parcourus; tous les renseignements peuvent être facilement invoqués. D'bord le juge d'instruction, comme tel, ensuite la chambre de conseil du tribunal de première instance, ensuite la chambre des mises en accusation , ensuite l'instruction qui se fait en cour d'ssises même, quand on aura dirigé l'instruction par tous ces degrés avec les sages lenteurs que l'instruction commande quelquefois, pourra-t-on dire que le malheureux accusé doit être responsable de l'omission que ceux qui le poursuivaient, qui le tenaient en détention préventive, ont pu faire dans la poursuite? N'ont-ils pas eu tous les moyens de donner au fait toutes les qualifications pénales dont il est susceptible? Et dans le cas qui a occupé les cours dont l'rrêt a amené ce débat, ou plutôt, je l'espère, aura amené la décision inévitable de la chambre. l'homicide commis sur un enfant nouveau-né , dès l'instant où l'on considère l'homicide comme avant les caractères de l'rticle 300 du Code pénal, n'est-il pas naturel, n'est-il pas dans la justice que l'on recherche si réellement il y a eu homicide volontaire, aux termes de l'rticle 300, ou si, peut-être à raison d'une foule de circonstances que je pourrais expliquer, mais dont je ne veux point entretenir les honorables membres qui m'écoutent, si, par une foule de circonstances, ce qui était d'bord présenté comme un crime n'est pas un simple délit, même involontaire, aux termes des articles 319 et 320 du Code pénal?
Rien n' manqué à l'instruction. Toutes les phases ont été parcourues, tous les faits matériels ont été mis sous les yeux des juges qui ont été appelés à décider; et si, dans cette espèce de long travail, dans les différents degrés de l'instruction, l'on n' pas imaginé de rechercher si réellement il n'y a pas un délit au lieu d'un crime, l'individu qui a été mis en jugement et qui a été acquitté ne doit pas répondre des omissions que l'on a pu commettre.
Dira-t-on que la cour d'ssises acquitte, mais que cependant on peut désirer encore quelque chose, une garantie accessoire de la vérité et de la légitimité de l'cquittement?
Je ne vois pas, messieurs, comment on pourrait soulever une pareille argumentation. La loi y a pourvu. La loi a prévu le cas dans lequel un fait matériel qualifié crime pourrait perdre les circonstances qui ont (page 943) entraîné sur lui la qualification de crime et être réduit aux simples proportions d'un délit, peut-être même d'une simple contravention. La loi est précise à cet égard. La loi a prévu le cas, elle a voulu donner une dernière garantie à la société.
L'rticle 365 du Code d'instruction criminelle porte, d'une manière formelle, que si le fait se trouve dépouillé des circonstances qui le constituaient crime, la cour d'ssises est compétente pour prononcer la peine que les lois réservent au fait qui a été ainsi heureusement dépouillé de ses qualifications les plus sévères.
Il y a plus : dans l'rticle 361, on prévoit le cas où, dans les débats sur le fait qui est l'objet de l'ccusation, il se révèle des faits nouveaux qui donnent lieu à des poursuites nouvelles; eh bien, l'individu ayant été acquitté pour le fait à raison duquel il a été acquitté par la cour d'ssises, la loi permet-elle au ministère public de poursuivre de nouveau cet individu, et sans aucune formalité antérieure, par le seul fait de la révélation de ces circonstances nouvelles? Non, messieurs, il faut que le fait ait été formellement déterminé, il faut que le ministère public, avant l'instruction faite devant la cour d'ssises, ait posé ses réserves, quant à la poursuite ultérieure du fait nouveau. S'il n' pas fait de réserves, une fin de non-recevoir peut être opposée à la poursuite.
Ainsi vous voyez comme, dans ce qui précède et dans ce qui accompagne le jugement, la loi a pris toutes ses précautions ; la loi a pris des mesures conservatrices de la justice, dirai-je, afin que si un fait nouveau se révèle dans les débats de l'ccusation, le ministère public puisse poursuivre, à la vérité, mais soit obligé cependant de faire à cet égard des réserves formelles. Or, en présence de pareilles dispositions de la loi, conservatrices de l'ction de la justice, mais conservatrices aussi de la liberté privée, peut-on concevoir que, sans réserve, parce que la pensée lui en sera venue subséquemment, le ministère public puisse poursuivre de nouveau?
Hélas! jusqu'où pourrait entraîner un pareil système! Ainsi un individu est accusé d'un crime, il est traduit devant la cour d'ssises, la qualification de criminalité disparaît, mais le fait matériel reste. On peut donner subséquemment un nouveau caractère, une nouvelle qualification au fait matériel; alors poursuite nouvelle pour le même fait, nouvelle détention préventive, nouvelle nécessité de fournir une caution, si l'individu est en état de la fournir. On s'élève contre la détention préventive, non pour la proscrire complètement, mais pour en adoucir les sévérités. Et ici combien de détentions préventives ne pourrait-on pas enter les unes sur les autres ! Ainsi, un homme acquitté et noblement acquitté, ne sera pas encore certain de pouvoir rentrer dans le sein de sa famille, dégagé de toute espèce de responsabilité ; il lui faudra attendre une nouvelle prescription pour être sûr qu'il évitera de nouvelles poursuites, dérivant d'une nouvelle qualification du fait pour lequel il a été acquitté.
Je vous le demande, la justice serait-elle satisfaite de pareilles rigueurs? La justice n'est rien sans la morale; et ici la morale serait immolée, si l'on pouvait réserver de pareils tourments, ou du moins de pareilles appréhensions à l'homme qui aurait répondu à des épreuves terribles que la loi lui imposait, qui aurait prouvé son innocence reconnue par le jury et par la cour et ne serait pas certain de ne pas être poursuivi encore une fois, deux fois, trois fois.
Il est impossible de soutenir un pareil système de législation. C'est en rapprochant les dispositions dont je parle de l'rticle 36, qu'on peut reconnaître dans quelle disposition d'esprit l'rticle 360 a été rédigé. Ce n'est pas dans cet article seul que je cherche laborieusement les moyens de l'expliquer, mais dans toutes les dispositions du Code d'instruction criminelle qui sont relatives à notre sujet.
Il en est un autre ; celui-ci n'est pas tiré du Code d'instruction criminelle, mais il dérive de nos propres lois. L'interprétation que nous faisons par voie législative doit être en harmonie avec l'ensemble de la loi et avec toutes les lois que nous avons faites depuis.
Pour adoucir la sévérité des poursuites, pour écarter l'ppareil des cours d'ssises de faits qui ne sont pas assez considérables pour soumettre un particulier à cet appareil et aux conséquences et commentaires qu'on peut en tirer, qu' fait la loi du 15 mai 1838? Vous vous rappelez que dans une discussion très approfondie sur un projet qui a été converti en loi et qui touchait à l'organisation des cours d'ssises et à l'intervention des magistrats, on a fait une dérogation favorable à la liberté, une dérogation à la loi générale de poursuites qui existait alors, on a donné à la chambre des mises en accusation la faculté extraordinaire de constater l'existence de circonstances aggravantes, bien qu'elle ne pût pas constater le fait lui-même, afin de pouvoir renvoyer directement au tribunal de police correctionnelle quand le cas s'en présente.
En présence de pareilles dispositions, on dira que celui qui a échappé à l'examen de la chambre des mises en accusation, et a été acquitté par la cour d'ssises, que celui-là peut encore être poursuivi à raison d'une autre qualification, devant un tribunal correctionnel. Un pareil commentaire, dirigé contre l'ensemble de nos lois nouvelles et anciennes, ne peut pas être admis. Je conclus à l'dmission de mon amendement qui modifiera la disposition proposée par M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, les faits de l'ffaire qui a soulevé la question d'interprétation qui est en ce moment soumise à la chambre sont extrêmement simple : une femme avait été traduite devant la cour d'ssises du Hainaut, comme coupable du crime d'infanticide commis sur l'enfant dont sa fille était récemment accouchée.
Acquittée de ce chef par le jury, le ministère public l' poursuivie devant le tribunal de Charleroy, comme coupable de deux autres délits, savoir : du délit d'homicide involontaire par négligence ou imprudence, et du délit de suppression d'enfant.
Le tribunal de Charleroy a renvoyé la prévenue de cette double poursuite, se fondant sur ce que les faits qui lui étaient imputés avaient été l'objet de l'ccusation qui avait été portée contre elle devant la cour d'ssises du Hainaut, sur ce que cette cour avait été appelée à examiner ces faits et toutes les circonstances qui pouvaient les modifier aux yeux de la loi pénale, qu'en conséquence l'ction publique avait été épuisée par la déclaration de la cour rendue sur le verdict du jury. Ce jugement fut déféré, en appel, au tribunal de Mons qui l' confirmé par les motifs des premiers juges.
Le ministère public s'est pourvu en cassation, et le jugement du tribunal de Mons a été cassé par arrêt de la cour de cassation du 11 décembre 1848.
La cour a considéré que les deux délits pour lesquels cette femme avait été traduite devant la juridiction correctionnelle étaient des faits tout à fait distincts de ceux pour lesquels elle avait été poursuivie devant la cour d'ssises, et du chef desquels elle avait été acquittée par suite de la déclaration négative du jury. La cour de cassation a donc cassé le jugement du tribunal de Mons, comme constituant une infraction à l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle.
La cause avait été renvoyée devant la cour d'ppel de Bruxelles (chambre des appels de police correctionnelle). Cette cour, par arrêt du 20 janvier 1849, a jugé dans le même sens que les tribunaux de Charleroy et de Mons, par des motifs à peu près semblables à ceux du tribunal de Charleroy.
La cause est revenue devant la cour de cassation, qui a dû juger cette fois, chambres réunies, et qui, par son arrêt du 7 avril 1849, a maintenu la jurisprudence qu'elle avait adoptée par son premier arrêt, et a renvoyé l'ffaire devant la cour de Gand pour y être statué, après interprétation législative.
C'est ainsi que cette affaire vient devant la législature, pour y recevoir l'interprétation sans laquelle elle ne pourrait obtenir une solution définitive.
La question que vous avez à résoudre est donc celle de l'interprétation de l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle, qui dit que : « Toute personne acquittée légalement ne pourra plus être reprise ni accusée à raison du même fait. » Il s'git uniquement de savoir ce que signifient ces mois : « même fait ».
S'git-il ici du fait matériel, du fait qui est le premier élément de toute infraction punissable, du fait dépouillé de qualifications qui peuvent lui être données, séparé des circonstances qui peuvent diversifier ces qualifications, ou bien s'git-il du fait avec la qualification criminelle qui lui est imprimée par l'cte d'ccusation, en un mot du fait uni aux circonstances qui déterminent cette qualification.
C'est cette dernière interprétation que la cour de cassation a donnée à l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle, et c'est celle que nous vous proposons de consacrer par la loi interprétative.
Pour résoudre cette question, il suffit, selon moi, de rechercher quel a été le principe de l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle.
L'rticle 360, messieurs, n' fait autre chose que proclamer en matière criminelle le principe de l'utorité de la chose jugée. Cet article a appliqué en matière criminelle le principe qui domine la législation civile, principe que nos criminalistes ont exprimé par cet adage : non bis in idem.
La première condition pour l'pplication de ce principe en matière criminelle, c'est que le fait qui est l'objet de la seconde poursuite soit le même que celui de la première, ou au moins que la seconde prévention ne constitue qu'une modification du fait qualifié sur lequel la première décision est intervenue, de manière qu'elle se trouve implicitement écartée par le fait de cette décision.
Pour l'pplication de ce principe, nous avons seulement à rechercher ici si, dans l'espèce qui a donné lieu au projet de loi en discussion, le fait à raison duquel la seconde poursuite a été intentée était le même que celui qui avait fait l'objet de l'cquittement légal intervenu en faveur de l'ccusée.
Je crois inutile d'entrer dans de longs développements pour établir qu'il n'y a aucune assimilation entre l'homicide involontaire d'un enfant nouveau-né et l'infanticide, pas plus qu'entre la suppression de part et le crime d'infanticide ; à cet égard, le rapport de la section centrale est complet, et votre honorable rapporteur a parfaitement expliqué la différence qui existe entre ce crime et ces délits. Il ne peut donc y avoir de doute sur ce point. C'est d'utant plus évident qu'il n'y a pas de crime d'infanticide sans le concours de la volonté, tandis que l'homicide volontaire est, de sa nature, exclusif de la volonté. A plus forte raison n'y a-t-il aucune assimilation entre l'infanticide et le crime de suppression d'enfant, lequel ne suppose nullement la mort violente de l'enfant, mais constitue seulement une atteinte à son état civil.
Il est donc tout à fait inexact de dire que le tribunal de Charleroy avait à connaître du même fait dont avait été saisie la cour d'ssises du Hainaut.
Pour se convaincre, messieurs, que la jurisprudence de la cour de cassation est la seule juridique, la seule légale, la seule conforme au système d'instruction criminelle établi par le Code qui nous régit, il suffit (page 944) de rapprocher l'rticle 358 de ce code de l'rticle 360 que nous avons à interpréter.
L'rticle 360 proclame, comme vous l'vez vu, le principe de la chose jugée, et en fait l'pplication au profit des personnes acquittées légalement.
Or, qu'est-ce que l'cquittement légal? L'rticle 358 vient vous indiquer ce qu'il faut entendre par une personne acquittée légalement. « Lorsque l'ccusé, dit-il, aura été déclaré non coupable, le président prononcera qu'il est acquitté de l'ccusation et ordonnera qu'il soit mis en liberté, s'il n'est retenu pour autre cause. » Eh bien ! cet article, rapproché de l'rticle 360, me paraît ne laisser aucun doute sérieux sur la solution que la question d'interprétation de l'rticle 360 doit recevoir.
Lorsque l'ccusé aura été déclaré non coupable, le président prononcera qu'il est acquitté : de quoi? De l'ccusation, et par conséquent acquitté du fait qui a fait l'objet de l'ccusation. Car ce sens du mot « accusation » ne peut se déterminer que par le fait que l'ccusation, représentée par le ministère public, a soumis à la justice pour réclamer la punition infligée par la loi et applicable au fait incriminé.
Vous voyez donc bien, messieurs, que l'cquittement légal ne peut porter que sur l'ccusation, c'est-à-dire sur le fait qui en a été l'objet. Et qui est-ce qui est déclaré acquitté? C'est l'ccusé, et l'on n'est accusé qu'en vertu d'un arrêt de la chambre des mises en accusation. Or, encore une fois, l'ccusé ne comparaît à ce titre devant la justice qu'à raison du fait qui lui est imputé, et vous ne pouvez pas chercher le texte de l'ccusation en dehors de l'cte d'ccusation, lequel n'est lui-même que la conséquence de l'rrêt de mise en accusation.
Maintenant l'ccusé doit être mis en liberté s'il n'est retenu pour autre cause. Quelle est cette autre cause pour laquelle l'ccusé peut être retenu ? C'est tout autre crime ou tout autre délit qu'il aurait pu commettre et qui n' pas été compris dans l'ccusation.
Et pourquoi peut-il être retenu pour cette autre cause ? Parce que l'cquittement légal dont le bénéfice lui est acquis, ne porte pas sur cet autre fait, lequel ne faisait pas partie de l'ccusation.
Vous voyez donc, messieurs, que cet article 358, rapproché de l'rticle 360, ne peut plus laisser le moindre doute sur la signification des mots de ce dernier article : « à raison des mêmes faits ».
On argumente de la législation antérieure au Code d'instruction criminelle; et en effet avant le Code d'instruction, il n'était pas douteux que l'ccusé acquitté du crime d'infanticide, comme dans l'espèce, ne pouvait plus être traduit en justice du chef de délit d'homicide involontaire ou de tout autre délit procédant du même fait matériel. Mais, messieurs, la raison en est bien simple.
La législation antérieure au Code d'instruction criminelle était tout à fait différente. Sous cette législation, le jury devait être interrogé séparément sur le fait matériel et sur tous les éléments qui pouvaient le modifier aux yeux de la loi pénale. Il y avait dans le Code de brumaire an IV des dispositions spéciales qui prescrivaient que toutes les questions fussent soumises au jury. De sorte que lorsque le jury avait prononcé un verdict d'cquittement général, il s'ensuivait que toutes les conséquences délictueuses du fait matériel qui avait fait l'objet de l'ccusation, se trouvaient comprises dans l'rrêt d'cquittement et qu'en cas de nouvelles poursuites, il y avait lieu à l'pplication de la maxime non bis in idem.
Mais sous le Code d'instruction criminelle, il en est tout autrement aujourd'hui. La question doit être posée au jury d'une manière complexe; le jury est appelé à donner une délibération générale, non pas sur le fait matériel, mais sur le fait uni à tous les éléments constitutifs du crime qui forme l'objet de l'ccusation. La déclaration du jury ne peut donc plus aujourd'hui s'ppliquer qu'u fait qualifié, et, par conséquent, lorsqu'il y a acquittement, la maxime non bis in idem ne peut garantir l'ccusé contre de nouvelles poursuites que pour le fait qui a l'it l'objet de l'ccusation, et nullement pour d'utres faits délictueux qui peuvent être la conséquence du fait matériel et dont le jury n' pas eu à connaître.
L'erreur de nos honorables contradicteurs provient, messieurs, de ce qu'ils ne distinguent pas entre le fait antérieur et le fait postérieur à l'ccusation ; entre le fait objet de l'instruction et le fait objet de l'ccusation.
Dans le Code d'instruction criminelle, toutes les dispositions qui concernent l'instruction ne s'occupent que du fait matériel; et en effet, lorsqu'un fait est commis, la justice qui est chargée d'instruire, recherche toutes les circonstances qui peuvent en déterminer la nature, et lui imprimer le caractère de crime ou de délit prévu ou défini par la loi pénale.
Mais jusqu'à l'rrêt de mise en accusation, le fait matériel seul est l'objet de toutes les investigations de la justice.
Lorsque l'instruction est complète, la chambre du conseil s'occupe de l'examen de la procédure; elle recherche s'il y a des motifs suffisants pour que le fait vérifié soit qualifié crime ou délit. Si elle voit que la qualification de crime peut lui être donnée, la chambre du conseil renvoie devant la chambre des mises en accusation.
Que fait la chambre des mises en accusation ? Elle examine encore une fois le fait matériel avec toutes les circonstances quelconques dont il est entouré et qui résultent de l'instruction de la procédure, et d'près le résultat de cet examen elle détermine la qualification criminelle que le fait doit recevoir. Mais une fois qu'elle a fixé son opinion, une fois qu'elle a déterminé la criminalité du fait et qu'elle a rendu son arrêt de mise en accusation, dès lors le fait qualifié est le seul dont la justice puisse ultérieurement s'occuper. C'est le seul fait qui soit apporté devant la cour d'ssises; c'est le seul dont le jury soit appelé à connaître; c'est le seul enfin qui puisse faire l'objet des questions que le président de la cour pose au jury.
Or, messieurs, l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle qui détermine, sous le rapport de la chose jugée, les conséquences de l'cquittement légal, s'pplique évidemment au fait qualifié, au fait qui a fait l'objet de l'rrêt de mise en accusation, et par conséquent au seul fait qui a pu être soumis au jury. Vous ne pouvez donc pas remonter au fait matériel pour aller rechercher, en dehors du fait qualifié, d'utres délits dont le jury n' pas eu à connaître, parce que ces délits ne lui étaient pas déférés et n'vaient pas été précisés, qualifiés, définis par l'rrêt de mise en accusation.
Messieurs, en terminant, je ferai observer à la chambre que l'opinion que nous lui proposons de consacrer par la loi interprétative est non seulement celle de la cour de cassation de Belgique, mais qu'elle est également celle de la cour de cassation de France. A la vérité, il existe (et cet arrêt a été cité par MM. Lelièvre et Destriveaux), il existe un arrêt de la cour de cassation de Belgique, du 9 août 1848, qui est contraire à celui que la même cour avait rendu en 1847, en suivant la même jurisprudence à laquelle elle est revenue l'nnée dernière;, mais je ferai observer que l'rrêt de 4848 a été rendu contre les conclusions du ministère public et que le parquet de la cour de cassation, composé d'hommes dont la science et le talent vous sont connus, est unanime en faveur de l'opinion que nous vous proposons de consacrer par la loi interprétative.
Il est donc peu important que la cour de cassation ait jugé une fois contrairement à la jurisprudence à laquelle elle est revenue depuis, je dirai même qu'en revenant à cette jurisprudence qu'elle a sanctionnée par un arrêt solennel rendu chambre réunies, au nombre de 15 membres, elle a donné la preuve de sa conviction profonde et des motifs sérieux qu'elle a dû avoir pour se rallier à l'opinion qu'elle avait momentanément abandonnée.
La cour de cassation de France a abandonné l'ncienne jurisprudence, fondée sur le Code de brumaire an IV et sur la Constitution de l'n III aussitôt qu' été publié le Code d'instruction criminelle qui consacrait un système nouveau, et Merlin, dont vous connaissez l'utorité, est venu dans un réquisitoire lumineux, que vous trouvez dans ses ouvrages, démontrer que le nouveau Code avait innové la législation à cet égard, en établissant le système que nous venons aujourd'hui proposer à la chambre de sanctionner.
Cette opinion est aussi celle de Legraverend, de Dalloz, de Mangin, dont l'utorité, vous le savez, a le plus grand poids en ces sortes de matières; c'est aussi celle d'un grand membre d'uteurs recommandables.
Je sais, messieurs, que deux ou trois auteurs sont contraires à cette opinion, mais vous comprenez que, sur des questions semblables, la doctrine ne pouvait pas être uniforme. Cependant je crois que le concours imposant d'utorités que nous présentons est de nature à exercer une grande influence sur vos convictions et sur voire décision.
M. Orts. - Messieurs, je dois ajouter quelques courtes observations à celles qui ont été présentées par les honorables MM. Lelièvre et Destriveaux, et je me placerai précisément sur le terrain où s'est placé M. le ministre de la justice, pour établir l'opinion contraire à celle qu'il professe.
M. le ministre de la justice a dit, messieurs, que les bases de son système sont les principes généraux sur la chose jugée. C'est parce que l'interprétation de l'rticle 360, adoptée par la cour de cassation, dans son dernier arrêt, c'est parce que cette interprétation est conforme aux règles générales du droit en matière de chose jugée, que M. le ministre propose, dit-il, de la sanctionner.
Eh bien, messieurs, je vois précisément, dans le système de la cour de cassation et de M. le ministre de la justice, une violation flagrante de la chose jugée, principe beaucoup plus sacré encore en matière criminelle qu'en matière civile.
En effet, messieurs, il y a violation de la chose jugée quand il y a décisions contraires sur une même question, quand un tribunal peut venir dire blanc, là où un autre tribunal a dit noir. Or, c'est précisément ce qui peut arriver dans le système du projet de loi. Il arrivera dans ce système, qu'un individu acquitté devant le jury parce que ses moyens de défense auront été trouvés bons, sera forcé de reproduire les mêmes moyens de défense devant un autre juge qui pourra les trouver mauvais. Prenons un exemple, pour justifier mon allégation, au cas d'infanticide, puisque c'est d'infanticide qu'il s'git. Je suppose une personne accusée d'infanticide devant la cour d'ssises.
Elle vient plaider que l'enfant qu'on l'ccuse d'voir tué après sa naissance, était mort-né. Le jury croit la chose vraie, il en a la conviction : il acquitte et il répond aux questions posées quoi? Non, l'ccusée n'est pas coupable. C'est en effet la seule réponse qu'il peut donner.
Dans le système de M. le ministre de la justice, que fait-on? On se rabat sur les accusations subsidiaires d'homicide par imprudence, ou bien d'exposition d'enfant ayant amené la mort, ou bien encore de suppression de part, ce qui consiste à prétendre que l'on a tenté d'enlever à l'enfant son état civil, ou enfin, on allègue une contravention aux lois sur les inhumations, parce que l'enfant n' pas été enterré comme doivent l'être ceux qui meurent dans des conditions normales. Eh bien, messieurs, contre ces quatre accusations, le moyen de défense admis (page 945) par le jury est péremptoire ; l'ccusée se présente de nouveau ; elle re-répète que l'enfant, qu'on l'ccuse d'voir tué, était mort-né. Ce moyen est décisif contre les quatre accusations subsidiaires que M. le ministre de la justice veut autoriser, comme il était péremptoire contre l'ccusation principale. Qu'rrive-t-il donc si le tribunal condamne? Mais il y a contradiction manifeste entre la condamnation de ce tribunal et le verdict d'cquittement prononcé par le jury. Avais-je raison de dire que cette contradiction est une atteinte flagrante à l'utorité de la chose jugée? C'est une atteinte encore au principe non moins respectable que le verdict du jury en faveur de l'ccusé n'est plus susceptible d'ucun recours ni direct ni indirect.
Voilà pourquoi je ne veux pas, messieurs, qu'on puisse reproduire quatre fois, déguisée sous des costumes différents, une même accusation devant quatre juridictions différentes.
Joignez à cela, messieurs, la considération que l'honorable M. Destriveaux a fait valoir, de la détention préventive reproduite à quatre ou cinq reprises différentes; songez à ces quatre ou cinq détentions préventives, s'enchainant les unes aux autres et, en présence de ces énormités, ne soyez pas effrayés de la valeur des autorités de doctrine et de jurisprudence, qui ont pu soutenir une opinion différente de celle que nous défendons.
D'illeurs, aux noms des jurisconsultes invoqués par M. le ministre de la justice, il ne nous serait pas difficile d'opposer d'utres noms ayant également la plus grande valeur.
N'oubliez pas, messieurs, que si la cour de cassation de France a jugé dans le sens du dernier arrêt de la cour de cassation de Belgique, les tribunaux belges qui ont tenu lieu de cour de cassation depuis notre séparation de la France jusqu'à l'institution de cette cour, que la cour de Liège et la cour de Bruxelles ont été favorables au système que nous défendons et ont condamné le système de M. le ministre de la justice. N'oubliez pas, non plus, qu'en définitive la cour de cassation elle-même, dans l'intervalle d'une année, a embrassé deux opinions contradictoires.
Que me fait maintenant que certains magistrats, dont je respecte le talent et le caractère, aient adopté, comme individus, une autre opinion? Nous voyons tous les jours les questions controversées, discutées en sens inverse, par des jurisconsultes éminents d'égale valeur. C'est là l'inconvénient attaché à toute science basée sur la discussion. Mais si le parquet de la cour de cassation de Belgique et la cour de cassation de France ont adopté le système de M. le ministre de la justice, j'opposerai au parquet de la cour de cassation de Belgique et à la cour de cassation de France une autorité tout aussi importante comme opinion individuelle, c'est l'utorité du procureur général Dupin. Le ministère public de la cour de cassation de France est donc d'une opinion opposée à celle du corps judiciaire auquel il appartient, et certes l'opinion de M. Dupin, comme criminaliste, est une opinion éminemment respectable.
M. le ministre de la justice a cru trouver un argument de texte dans une disposition du Code d'instruction criminelle, disposition qui déclare que lorsqu'en cour d'ssises, un accusé se trouve acquitté, il doit être remis en liberté, à moins qu'il ne soit détenu pour autre cause.
Mais, messieurs, cette disposition a pour objet principal, je dirai même pour objet unique, d'utoriser le ministère public à conserver sous les verrous l'individu qui est acquitté du chef d'une accusation, et qui a à répondre à une accusation nouvelle, fondée sur un fait matériel autre que le fait matériel, objet de l'ccusation première.
Ainsi, par exemple, un homme est poursuivi pour avoir volé A ; il est également poursuivi pour avoir volé B. Le vol B s'instruit; l'instruction du vol A est terminée; il y a mise en jugement; l'individu est acquitté du chef de la prévention A; mais il est retenu pour qu'il n'échappe pas à l'instruction pendante du chef de la prévention B. Voilà une des hypothèses que prévoit l'rticle du Code d'instruction criminelle auquel M. le ministre de la justice a fait allusion. Cet article n' donc aucune influence à exercer sur le débat actuel.
Messieurs, me plaçant maintenant au point de vue qui doit être le nôtre, au point de vue du législateur, et non pas, dirai-je, au point de vue du juriste, qui doit s'ttacher uniquement au texte à interpréter, j'estime que nous devons saisir avec empressement l'occasion qui se présente, d'méliorer une disposition de la loi qui est interprétée dans un sens hostile aux intérêts privés, aux intérêts des accusés devant la juridiction répressive. Nous le devons surtout alors que l'opinion que nous défendons ne compromet pas l'intérêt général, l'intérêt de la vindicte publique, car il est libre au ministère public de comprendre dans sa poursuite toutes les préventions qu'il lui plaira de déférera l'ppréciation de la justice.
D'utre part, il est une considération de même ordre que je signale à l'ttention de la chambre en terminant. Il n'est pas bon que le système qu'utoriserait l'doption du projet de loi, passe dans nos lois, parce que ce système, mis en pratique, tend évidemment à déconsidérer une de nos plus précieuses institutions politiques, je veux parler de l'institution du jury.
Il est incontestable que c'est une chance de déconsidération pour l'institution du jury de permettre qu'une accusation ayant fait le sujet d'un verdict d'cquittement puisse être plus tard indirectement réformée par une décision de la magistrature permanente.
C'est là, messieurs, où vous arrivez directement avec le projet. L'insistance qu'on met à faire passer dans la loi positive le système du projet de loi est uniquement fondée sur le désir qu'on a de pouvoir, en maintes circonstances, faire corriger par la magistrature, ce qu'on appelle les erreurs du jury.
Je ne suis pas de ceux qui ferment les yeux sur les imperfections de l'institution du jury; elle en a comme toutes les institutions humaines, mais je ne crois pas que ce soit un moyen de l'méliorer que d'rriver à un système plaçant le jury en hostilité de fait avec une autre magistrature, établissent l'institution du jury en défiance permanente vis-à-vis de la magistrature ordinaire.
Je veux que le verdict du jury, une fois acquis, ne puisse être contrôlé ni directement, ni indirectement, qu'il n'y ait appel de ce verdict ni. par en haut, ni moins encore par en bas, ainsi que l' eu évidemment en vue le législateur en instituant cette judicature souveraine.
Aucune raison ne peut donc, messieurs, nous empêcher de voter l'mendement de l'honorable M. Destriveaux, amendement qui, dans tous les cas, de l'veu même de ses adversaires, est une amélioration évidente de la législation actuelle.
M. Jullien, rapporteur. - Messieurs, il ne s'git pas, comme vient de le dire l'honorable M. Orts, d'méliorer la législation actuelle, il ne s'git pas de faire une loi nouvelle sur l'étendue de l'utorité de la chose jugée; il s'git uniquement d'interpréter une loi existante, d'près son texte et son esprit. Nous n'vons donc pas à nous demander aujourd'hui si nous devrions faire une loi conçue dans d'utres termes que l'rticle 360, nous avons à nous demander quelle signification on doit attacher à l'expression fait dans l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle.
Selon les honorables contradicteurs du projet de loi, cette expression dans l'rticle 360 ne signifierait autre chose que l'ction commise, dégagée de son caractère de criminalité. C'est là, je dois le dire, une profonde erreur.
Il me sera facile de prouver à la chambre que l'rticle 360 a en vue un fait défendu par la loi pénale, un fait qualifié par la loi pénale.
Toute poursuite criminelle devant une cour d'ssises doit aboutir à l'un de ces trois résultats bien distincts : ou à un arrêt d'bsolution , ou à un arrêt de condamnation, ou à une ordonnance d'cquittement. Ce sont là trois résultats complètement différents, basés sur des appréciations différentes.
L'rrêt d'bsolution intervient, lorsque le fait, quoique reconnu constant, n'est défendu par aucune loi pénale : c'est ce qu'énonce positivement l'rt. 564 du Code d'instruction criminelle.
L'rrêt de condamnation intervient, lorsque le fait est à la fois constant et défendu, et lorsque l'ccusé en est déclaré convaincu.
L'ordonnance d'cquittement, au contraire, est prononcée lorsque le fait défendu n'est pas admis comme constant, ou bien lorsque l'ccusé n'est pas reconnu coupable de l'voir commis.
Ainsi donc, messieurs, quand l'ordonnance d'cquittement prononcée par le président de la cour d'ssises est rendue, elle est rendue sur un fait punissable, mais dont l'existence n'est pas reconnue, ou bien dont l’imputabilité ne peut être attribuée à l'ccusé.
S'il en est ainsi, nous arrivons à l'interprétation toute naturelle de l'rticle 360.
En effet, cet article porte :
« Toute personne acquittée légalement ne pourra plus être reprise ni accusée à raison du même fait. »
Et quand a lieu l'cquittement? C'est lorsque le jury répond à l'ccusation : « Non, l'ccuse n'est pas coupable, » bien que le fait soit défendu, car en cas de déclaration de culpabilité, lorsque le fait n'est pas défendu, ce n'est pas une ordonnance d'cquittement qui émane du président de la cour d'ssises, mais un arrêt d'bsolution qui est prononcé par la cour elle-même.
L'ordonnance d'cquittement prononcée par le président en vertu de l'rticle 358 du Code d'instruction criminelle est donc rendue sur le fait de l'ccusation qui est identiquement le même que le fait dont parle l'rticle 360, lequel est un fait atteint par la loi pénale.
Ce fait est non seulement un fait punissable, mais c'est encore un fait qualifié dans ses rapports avec la loi répressive.
En réalité quel est- il? Mais c'est le fait qui a été déféré à la cour d'ssises par l'rrêt de renvoi. Car, messieurs, qu'on ne le perde pas de vue,. la cour d'ssises ne peut être saisie d'ucun autre fait ; et pourquoi la cour d'ssises ne peut-elle être saisie d'ucun autre fait ? C'est parce que la législation criminelle interdit au procureur général de porter devant la cour d'ssises une accusation autre que celle qui est formulée dans l'rrêt de renvoi.
En effet, messieurs, nous lisons dans l'rticle 271 du Code d'instruction criminelle :
« Le procureur général poursuivra, soit par lui-même, soit par son substitut, toute personne mise en accusation suivant les formes prescrites au chapitre premier du présent titre. Il ne pourra porter à la cour aucune autre accusation, à peine de nullité, et, s'il y a lieu, de prise à partie. »
Le procureur général ne peut donc porter aucune autre accusation devant la cour d'ssises ; il est lié par l'rrêt de renvoi qui a qualifié le fait déféré à la cour (article 231), il lui est défendu de saisie la cour d'une autre accusation que celle indiquée par l'rrêt de renvoi; et l'on voudrait qu'il y eût chose jugée alors que le procureur général n' pas pu, sans contrevenir à l'rrêt de renvoi, faire poser la question, d'homicide involontaire, non plus que la question de suppression d'enfant! On voudrait qu'il y eût chose jugée, alors que l'ccusé n'vait pas à se défendre sur ces questions, n'vait pas à répondre à l'ccusation (page 946) d’homicide involontaire, et encore moins à l'ccusation de suppression de part.
L'honorable M. Destriveaux, que je m'ttendais à rencontrer comme adversaire du projet, parce que longtemps il a enseigne comme professeur la doctrine qu'il a pris à cœur de défendre dans cette enceinte, l'honorable M. Destriveaux est venu se fonder sur les articles 365 et 361 pour donner à l'rticle 360 une interprétation que cet article ne peut recevoir, sans en dénaturer le texte.
L'rticle 365 fait un devoir à la cour d'ssises de prononcer la peine applicable au fait défendu, reconnu constant, quand même il serait hors de sa compétence et quelle que soit cette peine.
Il est clair que dans ce dernier cas il s'git d'un fait qui aurait perdu sa qualification de crime et qui aurait dégénéré en un simple délit. Eh bien, dans une foule de cas il peut en être ainsi.
En fait, n'est-il pas vrai que la solution donnée aux questions posées au jury peut faire dégénérer un crime en un délit? Supposons une accusation de vol qualifié. Il y a, dans cette accusation de vol, accusation de vol simple, accompagné de circonstances qui le transforment en crime; qu'on interroge le jury sur la question de vol, il répondra : Oui, l'ccusé est coupable; qu'on l'interroge ensuite sur les questions d'escalade, d'effraction ou sur la circonstance de nuit, il peut répondre : Non, l'ccusé n'est pas coupable.
Evidemment, dans ce cas, le fait préventivement qualifié crime dégénérerait en délit, et on ferait à l'ccusé l'pplication de la peine prononcée contre le vol ordinaire.
Qu'on pose la question d'excuse; la loi accorde à l'ccusé le droit de faire poser cette question. Si le jury reconnaît que le crime a été provoqué par une circonstance qui le rend excusable aux yeux de la loi, il en résultera que le crime pourra ne plus être atteint par une peine correctionnelle. Il en sera de même quand la cour d'ssises sera saisie en même temps d'un crime et d'un délit connexe; si l'ccusation de crime est écartée et si le délit est reconnu constant, ne devra-t-on pas forcément appliquer une peine moindre que celle réservée au crime ?
Vous voyez, messieurs, que l'pplication de l'rticle 365 n'influe en rien sur l'interprétation à donner à l'rticle 360.
L'rticle 361 ne prouve pas davantage; l'honorable M. Destriveaux est tombé, en invoquant cette disposition, dans une aberration complète. Rappelez-vous qu'il a soutenu que, pour qu'un accusé traduit devant une cour d'ssises pût être poursuivi à raison d'un nouveau fait, il fallait que le ministère public eût fait des réserves formelles devant la cour d'ssises; selon l'honorable membre, sans ces réserves, l'ction publique n'est plus possible, sans ces réserves il y a forclusion absolue.
C'est là une grave erreur; car il n'ppartient pas au ministère public de renoncer par son silence à l'ction publique; l'ction de la vindicte publique ne peut s'éteindre que par la prescription. La partie publique ne peut donc pas, par l'bsence de réserves, compromettre l'intérêt de la société et empêcher la répression de délits non compris dans l'ccusation soumise à la cour d'ssises.
Le président de la cour d'ssise, pas plus que l'officier du ministère public, ne peut empêcher l'ction publique; elle reste libre et entière alors qu'ucune réserve n' été faite, parce qu'elle n'est dans le domaine discrétionnaire d'ucun de ces magistrats.
Si la loi, dans le cas de l'rticle 361, a exigé des réserves, c'est pour que le président de la cour d'ssises puisse retenir l'ccusé en état d'rrestation ; ou le renvoyer en état de mandat de comparution ou d'mener, devant un juge d'instruction chargé d'enquérir sur le nouveau fait reproché à l'ccusé. C'est là l'unique but de l'rticle 361. Vous n'en douterez pas quand j'en mettrai le texte sous vos yeux.
« Lorsque, dans le cours des débats, l'ccusé aura été inculpé sur un autre fait, soit par des pièces, soit par les dépositions des témoins du président, après avoir prononcé qu'il est acquitté de l'ccusation, ordonnera qu'il soit poursuivi à raison du nouveau fait : en conséquence, il le renverra en état de mandat de comparution ou d'mener, suivant les distinctions établies par l'rticle 91, et même en état de mandat d'rrêt s'il y échet, devant le juge d'instruction de l'rrondissement où siège la cour, pour être procédé à une nouvelle instruction.
« Cette disposition ne sera toutefois exécutée que dans le cas où avant la clôture des débats, le ministère public aura fait des réserves à fin de poursuites. »
C'est donc pour autoriser le président à pouvoir maintenir l'ccusé en état d'rrestation, de mandat de comparution ou d'mener, que la loi a exigé qu'il fût fait des réserves ; c'est dans ce but unique; mais on ne pourrait, sans heurter les vrais principes, induire de ce qu'il n'y aurait pas eu de réserves, induire une déchéance de l'ction publique, à raison de faits qui n'uraient pas été soumis à l'ppréciation du jury.
Je puise une autre preuve à l'ppui de l'interprétation donnée par le projet de loi, dans l'rticle 379 du Code d'instruction criminelle. Vous remarquerez que cet article répond à l'objection que faisait l'honorable M. Lelièvre, quand il disait que l'rticle 360 se servait du mot « le même fait », pour indiquer l'ction commise, abstraction faite de sa qualification criminelle ; que sans cela, on aurait dû remplacer ces mots « à raison du même fait »; par ceux-ci : « à raison du même crime »; « à raison du même délit ».
Cette objection tombe en présence de l'rticle 379, qui dispose pour le cas où les débats auraient fait naître l'inculpation d'un nouveau crime imputable à l'ccusé et donnant lieu à une peine plus grave que celle infligée à celui-ci à raison du crime pour lequel il a été condamné.
Dans ce cas, la loi veut qu'il soit sursis à l'exécution de l’arrêt pour que l'ccusé soit poursuivi à raison du nouveau fait. Or vous allez voir que le législateur qualifie le nouveau fait en employant l'expression : « nouveau crime ». Expression qui caractérise bien le fait qualifié.
« Lorsque pendant les débats qui auront précédé l'rrêt de condamnation (porte l'rticle 379), l'ccusé aura été inculpé, soit par des pièces, soit par des dépositions de témoins, sur d'utres crimes que ceux dont il était accusé; si ces crimes nouvellement manifestés méritent une peine plus grave que les premiers, ou si l'ccusé a des complices en état d'rrestation, la cour ordonnera qu'il soit poursuivi, à raison de ces nouveaux faits, suivant les formes prescrites par le présent Code. »
A raison de « ces nouveaux faits » ! Dans l'rticle 379 du Code d'instruction criminelle, le mot « fait » n' donc indubitablement d'utre signification que celle de crime, en d'utres termes d'un fait qualifié. L'rticle 379 explique donc clairement ce qu'il faut entendre par le mot « fait » énoncé dans l'rticle 360.
Ces considérations me dispenseront d'entrer plus avant dans l'examen des objections qui ont été présentées à rencontre du projet de loi.
L'honorable ministre de la justice y a parfaitement répondu, lorsqu'il vous a montré ce qu'était la législation antérieure au Code d'instruction criminelle.
L'rticle 337 du Code d'instruction criminelle fait un devoir impérieux au président de la cour d'ssises de poser une question complexe. En effet il y a question complexe lorsque vous demandez à un jury : « Un tel est-il coupable d'voir volontairement donné la mort? » Sous la législation de brumaire an IV, il y avait défense de poser une semblable question.
Cette défense était textuellement portée par l'rticle 377 du Code de brumaire an IV et par l'rticle 250 de Pacte constitutionnel de l'n III. Dès là sous cette législation, qui proscrivait les questions complexes, et qui ordonnait de poser successivement la question du fait matériel dégagé de toute autre circonstance, ensuite la question d'imputabilité, puis la question intentionnelle, sous cette législation, disons-nous, on comprend très bien que le verdict d'un jury répondant à des questions séparées et distinctes ait été un obstacle à des poursuites telles que celles qui se présentent dans l'ffaire qui a donné naissance au projet de loi ; on comprend que l'on ne puisse argumenter d'une législation conçue dans un autre ordre d'idées pour l'ppliquer au Code d'instruction criminelle. C'est en conformité des prescriptions de ce Code que, dans l'ffaire qui a donné lieu au conflit entre la cour de Bruxelles et la cour de cassation, il a été posé, remarquez-le bien, une question complexe. La question était celle-ci :
« L'ccusée est-elle coupable d'voir donné volontairement la mort à un enfant dont sa fille était accouchée ?»
Le jury avait à trancher cette question par une seule et même réponse. La question portait sur le point de savoir, non s'il y avait eu simplement homicide, mais s'il y avait eu en même temps volonté d'homicider.
Le jury a répondu : Non. Qu'-t-il répondu en disant non? A-t-il répondu :
« Il n'y a pas eu d'homicide. »
Mais non. Il a répondu :
« L'ccusée n'est pas coupable d'voir volontairement donné la mort à un enfant. »
Il n' donc pas répondu qu'elle n'était pas coupable d'voir donné involontairement la mort, et encore bien moins qu'elle n'était pas coupable d'voir supprimé son enfant; car il ne vous aura pas échappé que les honorables MM. Lelièvre et Destriveaux et l'honorable M. Orts lui-même se sont attachés à la question d'homicide volontaire et n'ont pas dit un mot de la suppression d'enfant, bien que ce fait ait été l'objet d'une nouvelle poursuite devant le tribunal de Charleroy en même temps que l'homicide involontaire.
Pourrait-on, je le demande, raisonnablement prétendre que la suppression de part est une atteinte contre les jours de l'enfant, lorsqu'elle consiste à receler un enfant et à empêcher de constater qu'il est né tel jour, de tel parents ? Peut-il y avoir dans la constatation de ce nouveau fait quoi que ce soit de contradictoire avec la décision du jury sur la question d'infanticide? Peut-on voir, avec l'honorable M. Orts, une violation de l'utorité de la chose jugée, lorsque la nouvelle poursuite a pour base un fait qui n' pas été jugé ?
Mais, a dit l'honorable M. Orts, il peut se faire que le jury ait été déterminé, par cette circonstance, que l'enfant était mort-né. Cette objection se réduit à soutenir que le fait matériel de l'homicide n' pas existé; mais encore une fois, le jury n' pas été interrogé séparément sur le fait matériel de l'homicide.
Il a répondu à la question complexe d'homicide volontaire; il n' pas répondu séparément à la question d'homicide involontaire et à aucune question séparée sur la vie de l'enfant. Il y a plus, c'est que, dans l'ffaire actuelle, il y a une deuxième question à laquelle le jury n' pas répondu et ne devait pas répondre, la première question ayant été résolue négativement.
Voici cette deuxième question : « Le crime, repris dans la première question, a-t-il été commis sur un enfant nouveau-né? »
Cette deuxième question étant restée indécise, comment y aurait-il contradiction avec le jugement à intervenir au correctionnel, qui porterait sur un fait qui n' pas été explicitement tranché par la décision du jury, de laquelle on ne peut conséquement tirer aucune induction de chose jugée.
Il ne faut pas, a dit encore l'honorable M. Orts, déconsidérer le jury. Je vous avoue que j'i été surpris d'entendre, dans la discussion (page 947) actuelle, cet argument produit par l'honorable membre, comme si le projet de loi pouvait en quoique ce soit porter atteinte à la considération d'une institution que la chambre entourera toujours d'un respect inviolable.
Conçoit-on que cette institution puisse recevoir une atteinte quelconque parce que la société poursuivra une action née de faits autres que ceux sur lesquels le jury a eu à statuer?
La morale sera-t-elle davantage immolée, comme l' soutenu l'honorable M. Destriveaux, si, à raison de ces faits, on soumet l'ccusé à des poursuites nouvelles? Est-ce que la morale souffrira jamais de ce qu'il n'y ait pas impunité, de ce que la société puisse poursuivre le coupable pour tous ses méfaits ? Non sans doute. C'est pour que la société soit vengée de toutes les atteintes qu'elle reçoit, que les cours de cassation de France et de Belgique, et avec elles le gouvernement et votre section centrale, se sont décidées en faveur du système qui forme la base du projet de loi dont la chambre est saisie, et que vous n'hésiterez pas à adopter.
M. le président. - La chambre a à se prononcer entre l'interprétation proposée par le gouvernement et celle proposée par M. Destriveaux.
M. Destriveaux. - J'i l'honneur de faire observer qu'un projet étant présenté par le gouvernement, nous nous en occupons pour en faire une loi. J'i présenté un amendement à ce projet de loi ; ce n'est pas une interprétation que je fais, c'est un amendement que je présente à une loi proposée par le gouvernement.
M. le président. - J'i fait cette observation afin que la chambre sache de quelle manière elle aura à voter. Si la proposition de M. Destriveaux est un amendement, il faut d'bord voter sur cette proposition. Si c'est une interprétation nouvelle, la chambre a à décider à laquelle elle donne la priorité dans le vote.
M. Dolez. - Je ne pense pas que l'on puisse véritablement parler d'mendement dans l'occurrence. Il s'git d'une loi d'une nature toute particulière ; d'une loi qu'il ne s’agit pas d'mender, d'une loi qui opte pour une interprétation ou pour l'utre.
Nous n'vons donc pas, en cette circonstance, à tenir compte de ce que porte le règlement en matière de votation ordinaire ou d'mendements. Il faut mettre aux voix l'une et l’autre interprétation, celle dont la chambre a été saisie par le gouvernement ou celle que propose l'honorable M. Destriveaux.
M. Lelièvre. - J'ppuie ce que vient de dire l'honorable M. Dolez. Je pense que nous nous trouvons dans une circonstance toute particulière. Le gouvernement interprète l'rticle 360 du Code d'instruction criminelle d'une manière, l'honorable M. Destriveaux l'interprète d'une autre. Il faut que la chambre adopte l'une ou l'utre de ces interprétations, et il me paraît rationnel de mettre d'bord aux voix l'interprétation proposée par le gouvernement.
M. le président. - M. Lelièvre propose un amendement à l'interprétation du gouvernement.
- Un membre. - Ce n'est pas un amendement, c'est une loi nouvelle.
M. Lelièvre. - J'ttendrai le vote de la chambre.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, il va être procédé au vote par appel nominal sur le projet, tel qu'il a été proposé par le gouvernement.
Voici le résultat du vote :
63 membres prennent part au vote.
47 votent pour l'doption.
16 votent contre.
En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté pour l'doption : MM. Bruneau, Cans, Clep, Coomans, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Brouckere, Debroux, Dedecker, Delehaye, Delescluse, de Man d'Attenrode, de Pitteurs, De Pouhon, de Theux, Dolez, Dumon (Guillaume), Dumortier, Fontainas, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, Lebeau, Liefmans, Mascart, Mercier, Moxhon, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sinave, Thibaut, Thiéfry, Toussaint, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Anspach et Verhaegen.
Ont voté contre : MM. de Baillet (Hyacinthe), Delfosse, Deliége, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, Dumon (Auguste), Julliot, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Orts, Osy, Vanden Berghe de Binckum, Van Hoorebeke, Veydt.
- La séance est levée à 4 heures et demie.