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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 mars 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 911) M. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures et quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Waecken prient la chambre de rejeter le projet de crédit pour continuer la fabrication des russias. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


M. le ministre des finances adresse une note sur une pétition qui lui a été renvoyée par décision de la chambre avec demande d'explications, concernant l'enregistrement à crédit, droits réservés, d'un acte contenant vente de la forêt d'Orval et de Chiny.

- Dépôt au bureau des renseignements.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice, pour fabrication de russias dans les prisons

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. de Perceval, inscrit contre le projet.

M. de Perceval. - Messieurs, je viens combattre le crédit de deux millions de francs qui nous est demandé par M. le ministre de la justice, pour continuer, dans l'établissement de Saint-Bernard et avec le concours des ouvriers libres, la confection des toiles dites russias.

Je me trouve dans l'impérieuse nécessité de repousser ce crédit, quand je me place sous le point de vue de la mission qui incombe à l'Etat dans la sphère commerciale, et au nom des intérêts menacés, peut-être même compromis, de l'industrie privée.

Ce n'est pas que je conteste le bien qui a été opéré dans nos Flandres par l'intelligente et bienfaisante initiative du gouvernement dans les opérations du domaine de l'industrie. Il a, dans le principe et à l'aide du premier crédit qui lui avait été alloué, l'année dernière, par la législature, rendu des services incontestables; car c'est grâce à lui, c'est grâce à l'action désintéressée de la commission administrative de l'établissement de Saint-Bernard que nous pouvons aujourd'hui constater trois résultats obtenus, résultats d'une importance majeure, et qui ont pour ainsi dire relevé des provinces abattues, souffrantes et presque dégénérées sous le rapport industriel, quand elles sont comparées à leur ancienne splendeur.

D'abord, l'avilissement du salaire a disparu de nos Flandres; il a été relevé parce que les prix ont été payés, non pas en partie en nature, mais en numéraire par la commission administrative de la maison de Saint-Bernard, et à un taux qui correspond un peu mieux aux besoins matériels de l'ouvrier.

Ensuite les toiles dites russias, tombées en discrédit, ont été réhabilitées à l'étranger. La Havane, les Antilles, et d'autres marchés coloniaux sont de nouveau accessibles pour nos fabricats et un immense et productif débouché se trouve ainsi ouvert à notre industrie privée.

Et en troisième lieu, un grand nombre de filatures, de fabriques se sont organisées en vue d'alimenter les marchés extérieurs sur lesquels les russias sont demandés.

Aussi, je manquerais à mon devoir si je ne donnais pas à la commission administrative de l'établissement de Saint-Bernard, et spécialement à M. le ministre de la justice, le tribut d'éloges et de reconnaissance qui leur est dû à tant de litres.

Mais aujourd'hui, dans mon opinion, le gouvernement, ainsi que nous l'a dit une des nombreuses réclamations qui nous ont été adressées à ce sujet, doit, comme le bon père de famille, céder aux industriels, ses enfants, une fabrication qu'ils sont à même d'exploiter, de desservir, parce que leur éducation est faite, et le chiffre assez élevé des commandes qu'ils ont reçues nous en donne une preuve irrécusable.

Il est une vérité qui ne sera, je pense, contestée par personne, c'est que l'Etat ne peut intervenir directement ni activement dans les affaires industrielles.

Il doit guider, protéger, éclairer l'industrie, c'est son devoir: mais il lui est défendu, en règle générale, de se faire fabricant. Alors même qu’il aurait la perspective d'un bénéfice assuré, il ne peut créer, avec les deniers des contribuables, un capital roulant, gratuitement livré et destiné à quoi? A faire concurrence à une partie de ces mêmes contribuables !

Il a fallu la grande crise d'où nous sortons à peine, l'avilissement excessif du salaire donné aux malheureux tisserands de nos provinces flamandes et qui les maintenait dans une position des plus misérables, pour que, l'année passée, il m'ait été possible de voter le crédit de 800,000 fr. qui nous était demandé par M. le ministre de la justice, dans le but de relever notre industrie et de rendre quelque bien-être à ces populations si éprouvées. Il m'a fallu ces puissantes considérations pour approuver la mission exceptionnelle que temporairement la législature attribuait à l'Etat en vue de traverser une crise. Car en principe, je suis d'avis que le gouvernement ne doit se charger directement de l'exploitation d'aucune industrie.

M. le ministre de la justice en est convenu dans le premier exposé des motifs qu'il nous a présenté le 27 avril 1849.

« La commission administrative des prisons à Anvers, dit-il à la page première, proposa au gouvernement de fabriquer des toiles exclusivement destinées à l'exportation et de manière à ne faire aucune concurrencée l’industrie privée. »

Et dans le rapport fait au nom de la commission permanente de l'industrie sur cette demande de crédit supplémentaire de 800,000 francs, je trouve encore cette même opinion plusieurs fois reproduite.

« Dans le but de soulager, disait l'honorable rapporteur M. Cans, la situation malheureuse des ouvriers liniers des Flandres, le département de la justice, faisant droit, d'ailleurs, aux réclamations qui lui étaient parvenues, avait invité les diverses commissions administratives de nos maisons de détention à chercher à substituer aux industries exploitées dans les prisons, des industries nouvelles, dont les produits ne fissent pas concurrence à ceux du pays, et qui, acclimatées, pourraient devenir une source nouvelle d'activité pour les provinces dont l'industrie est en souffrance.»

Et plus loin : « Dès ce moment, les détenus pouvaient se livrer à un travail qui, sous aucun rapport, ne devait faire concurrence à l'industrie libre. »

Et enfin l'honorable député de Bruxelles ajoutait :

« Il a donc paru, messieurs, à la commission permanente d'industrie, que non seulement la fabrication introduite dans la prison de St-Bernard ne pouvait, sous aucun rapport, porter préjudice à l'industrie libre du pays, mais qu'elle doit devenir au contraire une source précieuse d'activité pour nos districts liniers et industriels ; que bientôt, il faut le croire, les particuliers pourront se substituer à l'action du gouvernement, et assurer définitivement à la Belgique cette branche de fabrication dont le débouché nous est acquis aujourd'hui sur les marchés coloniaux, et sera maintenu tant que l'on marchera scrupuleusement dans la voie tracée avec tant de bonheur par la commission administrative de la prison de St-Bernard.

« La commission permanente d'industrie s'est d'ailleurs assurée que cette fabrication, loin de constituer le gouvernement en perte, lui permet au contraire de réaliser des bénéfices assez élevés. Cette circonstance lui fait espérer que bientôt l'industrie libre entreprendra de semblables opérations. »

Il résulte donc clairement de ces citations que le gouvernement en demandant, et la commission permanente d'industrie en approuvant le premier crédit de 800,000 fr. pour la confection des toiles russias, n'entendaient nullement faire une concurrence ruineuse à l'industrie privée; au contraire, que dès que les filatures et les fabriques du pays se trouveraient organisées de manière à répondre aux besoins de consommation réclamés à Hambourg, en Angleterre, aux Antilles et à la Havane, le département de la justice cesserait aussitôt son travail, ne voulant point lutter avec elles, nous disait-il, pour ce genre de produit.

Ainsi, messieurs, la pensée du gouvernement, celle de la commission permanente d'industrie se découvre dans chaque ligne ; à chaque phrase, et tout nous confirme qu'il n'est entré dans les intentions de personne de faire concurrence à l'industrie privée.

Analysons maintenant le nouvel exposé des motifs à l'appui du second crédit de deux millions que nous demande encore aujourd'hui le gouvernement, non point pour terminer son œuvre, mais encore et toujours pour continuer la confection des toiles russias.

Je prie la chambre de m'accorder pour un instant sa bienveillante attention, car j'ai besoin d'entrer ici dans quelques détails pour lui démontrer jusqu'à quel point on fait fausse route avec cette entreprise commerciale.

Je ne suis pas de ceux qui prétendent que le travail des détenus dans les prisons déprécie outre mesure les salaires et contribue à aggraver la situation des ouvriers adonnés à l'industrie linière; mais je dois constater que ce travail, opéré dans de grandes proportions à Saint-Bernard, fait une concurrence, non pas précisément au travail libre, mais au fabricant libre. En faisant tisser dans les Flandres, en enrôlant les tisserands, le gouvernement a produit, au contraire, un effet opposé dans l'allocation du salaire.

Il l'a relevé, et son intervention n'est pas nuisible à l'ouvrier, mais au fabricant qui, en présence de la rude concurrence que lui fait l'établissement de Saint-Bernard, doit, ou renoncer à fabriquer de pareils produits, ou réduire d'une manière sensible ses bénéfices. C'est déjà là un premier grief de l'industrie privée, et, jusqu'à un certain point, de la part du gouvernement, une faute qui ne peut trouver sa justification que dans ses vues philanthropiques.

L'enquête et le rapport sur le travail dans les prisons et les dépôts de mendicité qui ont été communiqués à la législature, en 1848, présentèrent cette conclusion, qu'il était nécessaire de substituer aux travaux qui occupaient les détenus, des industries nouvelles plus particulièrement destinées à l'exploitation. Cette commission, instituée par l'honorable ministre de la justice, ne voulut donc point que l'Etat fît concurrence au travail libre.

La fabrication des russias est actuellement connue; elle est, si je puis (page 912) me servir de cette expression, tombée dans le domaine public. La mission qui incombe maintenant aux comités administratifs de nos maisons centrales de détention, c'est de songer à introduire et à propager de nouvelles industries. Que l’établissement de Saint-Bernard abandonne à l'industrie privée la confection des russias, et qu'il s'occupe exclusivement, dans l'intérieur de la prison, de la fabrication d'autres toiles, telles que des listados, osnabruck, coletas, gantes, etc.; c'est la sa tâche; en continuant la fabrication des russias, il prouverait que l'esprit mercantile, un désir immodéré de lucre ont remplacé l'idée philanthropique qui a provoqué l'introduction en Belgique de ce genre de tissu dans l'intérêt de nos industriels; il prouverait encore qu'il vise à un monopole dont le danger serait incontestable, et l'action très nuisible pour nos filatures et nos fabriques.

J'ai prononcé le mot de monopole. Oui, je crains bien qu'il ne devienne insensiblement le but caché et secret vers lequel on veut tendre.

Quand je vois l'établissement de Saint-Bernard accepter les commandes considérables qui lui arrivent, au lieu de les passer à l'industrie privée, s'envelopper de mystères et tenir cachés les noms de ceux dont les ordres émanent, au lieu de travailler au grand jour, puisqu'après tout il s'est fait industriel, avec les deniers de l'Etat, dans le but d'initier le producteur privé en Belgique aux besoins, aux désirs du consommateur et de l'acheteur étrangers; lorsque je vois que, sous le prétexte d'économie, on achète des machines, des presses hydrauliques, on se livre dans l'intérieur de la prison aux opérations du débouillissage, du crémage, que l'on va même jusqu'à y installer le calandre, et y confectionner les caisses destinées à renfermer les toiles, je suis vraiment tenté de croire, messieurs, que la mission philanthropique disparaît doucement et que l'on s'efforce, à l'aide de l'argent du contribuable, de monter une entreprise industrielle colossale avec ses chances de pertes ou de bénéfices, et cela dans le but d'absorber l'industrie privée.

Ce développement extraordinaire donné, dans l'intérieur de la maison de correction de Saint-Bernard, au travail par les détenus, n'était nullement nécessaire, et je le prouve. En ce qui concerne le crémage, le fil aujourd'hui ne court plus aucun risque de se détériorer, puisque les industriels qui s'occupent de la fabrication des russias font crémer le fil, soit dans leur propre établissement, soit à Gand, à Roulers, à Courtray, où des ateliers, pour ces apprêts, sont établis sur une vaste échelle. Le tisserand, lui, n'est pas chargé de ce crémage, car il reçoit la chaîne entièrement préparée ; de sorte qu'aucune opération semblable ne se fait individuellement.

Il est bien vrai que, dans le rapport transmis au gouvernement pour associer à la fabrication des russias les tisserands libres, je lis que « toutes les opérations préparatoires de débouillissage, de crémage, d'assortissage, de bobinage, d'ourdissage, jusqu'au tissage exclusivement, devaient continuer à se faire dans la maison de correction de Saint-Bernard, en opérant sur des masses et à un prix de main-d'œuvre réduit, dit la commission administrative, on était en mesure d'obtenir une grande économie, et les opérations délicates du débouillissage et du crémage étant faites sous la surveillance d'un homme spécial, on obtenait une nuance uniforme et on ne risquait pas de détériorer le fil, comme cela arriverait infailliblement si elles devaient être exécutées par des tisserands, opérant individuellement et ne connaissant pas assez la force des agents chimiques à mettre en œuvre. »

Je suis au regret de devoir le constater, mais les faits énoncés sont loin de briller par leur exactitude. Cette centralisation des manipulations qui précèdent le tissage, si utile et si avantageuse, la maison de correction de Saint-Bernard n'est pas seule à la posséder. Elle s'opère aujourd'hui dans la plupart de nos fabriques.

Le gouvernement a donc ainsi enlevé à l'industrie privée le crémage. C'est un nouveau grief qu'elle lui impute, il en est de même du calandrage que l'industrie privée exploitait aussi jusqu'à ce jour, et dont l'opération se fait maintenant dans l'intérieur de la prison, etc.; tout concourt, en un mot, à me donner cette conviction que dans un avenir prochain et si la législature continue à allouer des crédits de 2 millions, dont la demande se renouvellera périodiquement, toujours en vue, nous dira-t-on, de satisfaire aux commandes parvenues à la commission de Saint-Bernard, que bientôt, dis-je, nous verrons un monopole créé par le gouvernement et assis sur la ruine et la démoralisation de l'industrie privée.

Si les commandes ne descendent pas jusque dans les filatures el les fabriques, comment voulez-vous, messieurs, qu'elles s'organisent en vue de suffire aux ordres importants que le consommateur pourrait lui faire ? Restreignez l'action de l'établissement de St-Bernard, réservez ses opérations pour l'intérieur de sa prison, et aussitôt, sous l'influence des commandes qui forcément arriveront dans ce cas à nos fabricants, vous verrez qu'ils imprimeront une nouvelle activité à leurs ateliers et qu'ils en doubleront l'importance.

Les avantages dont jouit notre classe ouvrière dans les Flandres et qui lui sont aujourd'hui donnés par la commission des prisons, ne disparaîtront pas si le gouvernement abandonne à l'industrie privée la confection des russias. C'est, dans cette occurrence, cette dernière qui les accordera aux tisserands. D'autres mains distribueront le même bienfait.

Et c'est un fait assez digne de remarque, qu'en dépit de la concurrence active et de la lutte incessante de l'Etat contre le fabricant particulier, ce dernier n'ait pas encore succombé dans cette espèce de duel à armes inégales.

L'on m'objectera que l'administration doit continuer son œuvre pour servir de régulateur aux opérations similaires de l'industrie privée. Je l'admets volontiers jusqu'à un certain point, dans de sages et de plus modestes utilités.

Mais croyez-vous, messieurs, que cette industrie privée ira de gaieté de cœur et par suite d'un aveuglement inqualifiable, compromettre les marchés transatlantiques qui lui sont actuellement ouverts en y présentant une marchandise qui ne serait pas voulue ou recherchée par l'acheteur?

Connaissez-vous des industriels qui, étant assez peu soucieux de leurs intérêts, offriront à la consommation des produits dont la fabrication serait mauvaise, et pour lesquels, par conséquent, le consommateur ou l'acheteur ne renouvellerait point ses commandes? Cela n'est plus admissible, surtout après les sévères enseignements que le temps et l'expérience ont dû donner à notre ancienne industrie linière.

Quel est, de nos jours, le cri général de notre commerce et de notre industrie? N'est-il point vrai que l'une et l'autre réclament des débouchés, désirent une société d'exportation? Eh bien! le débouché est actuellement ouvert; que cette société d'exportation se forme, que nos fabricants s'associent, qu'on leur donne les deux millions que le gouvernement nous demande aujourd'hui dans un but que je ne puis plus approuver, et nous aurons ouvert une ère de prospérité dont les heureux résultats seront incontestables pour le pays.

Au lieu de mettre en doute la réputation de loyauté et de probité des industriels belges, au lieu d'insinuer que leur fabrication est mauvaise, relevez-les, instruisez-les, si c'est nécessaire; montrez de quelle manière ils doivent perfectionner leurs tissus, si les fabricats ne répondent pas encore entièrement aux besoins de la consommation. C'est la tâche du gouvernement; et, par une pareille conduite, il se conformera aux intentions qu'a eues la législature en votant, l'année dernière, le premier crédit de fr. 800,000.

Mais qu'on cesse au plus tôt cette lutte sans nom que le gouvernement, avec l'argent des contribuables, a entreprise contre l'industrie privée. Elle n'est pas nécessaire; elle pourrait devenir très impolitique; elle est contraire à la mission de l'Etat ; elle est dangereuse en ce qui concerne la destination que nous donnons ainsi aux deniers de l'impôt.

En réduisant l'immixtion de l'Etat dans l'industrie privée à la seule, tâche qui lui incombe, celle d'introduire sans cesse de nouveaux tissus et de les abandonner aux particuliers quand ils en connaissent tous les détails de fabrication, vous rendrez, messieurs, justice aux réclamations qui nous sont arrivées des chambres de commerce de Courtray, de Tournay, des fabricants de toiles du pays, des industriels les plus notables des Flandres, du Brabant, de la province d'Anvers. Elles vous demandent toutes que l'Etat cesse une intervention qui sera dorénavant plutôt nuisible qu'utile.

Ce qui prouve que l'industrie privée est à même de reprendre la fabrication des russias, c'est qu'elle a déjà expédié pour 600,000 fr. de toiles de cette qualité dans les pays transatlantiques: c'est que les fabricants commencent à manquer de bras, alors même qu'ils offrent aux ouvriers libres un salaire plus élevé d'un franc par pièce que la commission de Saint-Bernard; c'est que nos fabriques, sensiblement perfectionnées, sont aujourd'hui organisées de manière à pouvoir satisfaire aux commandes qui leur seraient adressées ; c'est que nos industriels ont la conviction que les anciens marchés sur le continent sont à la veille de leur faire défaut et que le commerce d'exportation n'aura bientôt plus que les marchés transatlantiques pour ressource, et qu'ainsi la bonté de leurs tissus est pour eux la condition sine qua non d'un placement lucratif et assuré; enfin, c'est que quatre sommités industrielles déclarent, dans une pétition transmise à la chambre le 26 février dernier, qu'ils s'engagent collectivement à prendre les ateliers d'apprentissage sous leurs auspices, à les occuper et à payer les frais de façon, sur le même pied que Saint-Bernard.

(page 913) De tous ces faits, je tire cette conclusion, c'est que le gouvernement n'a plus aucun motif sérieux pour continuer la fabrication des toiles dites russias, et qu'en conséquence, la législature est fondée à rejeter le crédit de 2 millions s'il est destiné à cet usage.

L'Etat doit, à dater de ce jour, selon moi, rentrer dans sa sphère normale d'où il était sorti par suite de circonstances exceptionnelles. Il y aurait, dans ma conviction, du danger pour lui à continuer sa marche irrégulière qui a déjà donné le jour à des abus, abus qu'il importe de faire disparaître au plus tôt.

Le gouvernement ne pouvant pas opérer comme un particulier, les chambres, me paraît-il, ne peuvent plus exposer davantage les fonds de l'Etat aux éventualités des entreprises industrielles.

La fabrication qu'il exploite a fait surgir une armée de fonctionnaires industriels qui, prélevant un bénéfice sur la main-d'œuvre de l'ouvrier travaillant sous leur responsabilité, vont, dans certaines localités, jusqu'à engager toutes les professions à confectionner des russias et provoquent ainsi outre mesure la fabrication de ce genre de tissu.

Maintenant que de déplorables anomalies ont disparu dans le payement du salaire et que le taux correspond plus ou moins aux besoins des tisserands, il importe aussi que la bonne entente se rétablisse complètement entre le fabricant et l'ouvrier. Il est dangereux, dans les temps où nous vivons, de continuer à alimenter ce sentiment de défiance ou d'hostilité de ce dernier envers le premier. La société et l'ordre ne peuvent qu'y gagner.

J'avais proposé, messieurs, en section centrale, dans l'intérêt de l'industrie privée, l'adjonction à la commission administrative de Saint-Bernard de deux industriels ou négociants, à désigner au gouvernement par les chambres de commerce de Gand et de Courtray. Ma proposition a été combattue comme présentant une apparence de méfiance envers les administrateurs actuels.

Sans m'arrêter longuement à cette considération, peu sérieuse pour moi, je persiste dans mon opinion qu'il est de toute justice que l'industrie privée ait ses représentants dans le comité administratif, et j'engage M. le ministre de la justice à composer dorénavant cette commission de manière qu'aucune susceptibilité ne se trouve froissée, qu'aucun intérêt ne soit exclu, qu'aucune apparence de plainte ne se produise plus dans l'avenir.

Puisque le gouvernement se fait fabricant avec un capital fourni par les contribuables, il est nécessaire que la fraction industrielle de notre population, par ses mandataires spéciaux, approuve, contrôle ou rejette l'emploi que l'on veut en faire dans l'intérêt de cette même industrie privée. Quel motif avez-vous pour exclure de ce comité les représentants naturels de la filature et du tissage? Aucun.

Il ne suffit pas de mettre notre industrie sur la voie de la fabrication, il faut encore qu'elle connaisse celle qui la conduit à l'écoulement de ses produits, si réellement on veut tôt ou tard la substituer, ainsi que nous l'affirme le gouvernement, aux opérations exceptionnelles de la maison de St-Bernard.

La commission administrative, telle qu'elle est composée aujourd'hui, renferme quatre propriétaires ou rentiers, un avocat, un avoué, un banquier, et l'élément industriel, qui devrait s'y trouver convenablement représenté, n'y est constaté que par un seul membre. C'est là une étrange anomalie que je demande à l'honorable ministre de la justice de faire disparaître.

Je voterai contre le crédit de deux millions de francs parce qu'il est destiné à conserver au gouvernement une action qui a, dans ma conviction, son côté inutile, anormal, nuisible et dangereux.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy).- Messieurs, si je prends la parole en ce moment, c'est moins pour répondre immédiatement aux observations critiques qui viennent d'être présentées par l'honorable M. de Perceval que pour donner, dès le début de la discussion, quelques explications sur les vues du gouvernement, et sur les principes qui le dirigent relativement à l'objet du crédit qui est en discussion. Je pense, messieurs, qu'il faut empêcher que des préventions ne se forment et que la discussion ne s'égare, ce qui pourrait arriver si les intentions du gouvernement n'étaient pas bien connues et bien comprises.

D'abord, je prierai la chambre de remarquer que la question financière est en quelque sorte ici en dehors du débat. En effet, le crédit que nous demandons est purement fictif ; c'est un crédit de simple régularisation, crédit dont nous n'aurions pas même besoin, si la loi de comptabilité ne nous empêchait pas de faire le réemploi des sommes que la commission de Saint-Bernard reçoit du produit des ventes qu'elle opère à l'étranger.

Aussi, messieurs, en demandant ce crédit, avons-nous porté au budget des voies et moyens une somme équivalente de 2 millions ; nous aurions même pu y ajouter 200,000 fr., représentant le bénéfice de 10 p. c. qui sera réalisé probablement sur l'opération ; mais nous n'avons pas voulu le faire, parce que le gouvernement ne veut pas escompter ce bénéfice, attendu qu'il agit, non pas dans des vues de spéculation, mais dans un but d'utilité publique et d'intérêt général.

Ainsi, je le répète, le trésor ne sera jamais à découvert par suite de l'emploi de ce crédit, car au fur et à mesure que le gouvernement y puisera pour alimenter les opérations de la commission de St-Bernard, il y versera des sommes équivalentes, provenant du produit des ventes opérées.

Messieurs, je crois inutile de vous rappeler ici par quelles circonstances le gouvernement a été amené à étendre en dehors de l'enceinte de la prison de St-Bernard le tissage des toiles pour l'exportation, qu'il avait entrepris d'abord, uniquement dans le but d'occuper les bras des prisonniers en les employant à un genre d'industrie qui ne pût faire aucune concurrence à l'industrie libre.

Mais ce que je tiens à constater, c'est que tout le monde est généralement d'accord que le gouvernement a rendu un service éminent au pays, en autorisant la commission de Saint-Bernard à se livrer aux opérations qu'elle a entreprises et poursuivies avec tant de succès...

M. de Perceval. - Je suis le premier à le déclarer.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Les fabricants eux-mêmes, qui, dans leurs pétitions, contestent avec une vivacité un peu passionnée peut-être le système du gouvernement, et qui s'opposent à la continuation des opérations de la commission de Saint-Bernard, applaudissent aux mesures qui ont été prises et reconnaissent que, par ses efforts, le gouvernement a contribué à encourager et à stimuler l'industrie privée, à améliorer ses produits et à lui faire reconquérir, au moins en partie, les débouchés que depuis longtemps elle avait perdus. Si j'invoque ici ces témoignages, messieurs, c'est pour les reporter tout entiers aux hommes intelligents et dévoués qui, en cette circonstance, ont prêté leur concours au gouvernement.

Ce sont eux qui ont eu l'initiative de cette mesure et qui ont conçu cette pensée si utile et si féconde qui a produit déjà de si heureux résultats. Aussi votre section centrale, par l'organe de son honorable rapporteur, et je l'en remercie bien sincèrement, a-t-elle bien voulu leur rendre cet hommage, en déclarant, à la fin de son rapport, que les membres de la commission de Saint-Bernard ont su mériter la reconnaissance du pays par l'intelligence, le zèle et le désintéressement qu'ils apportent dans l'accomplissement d'une mission, toute gratuite pour eux, mais riche d'avenir pour le pays.

Au surplus, dans une autre circonstance la commission de Saint-Bernard avait reçu un témoignage non moins honorable, je veux parler du rapport fait par le jury de l'exposition de Gand, rapport dans lequel ses services ont été justement appréciés.

Messieurs, ces manifestations de la reconnaissance publique sont bien faites pour consoler ces honorables citoyens de quelques attaques injustes, de quelques insinuations malveillantes qu'on ne leur a pas épargnées en dehors de cette enceinte, à propos de la demande de crédit qui est en ce moment eu discussion.

Cependant, je m'empresse de le déclarer, le gouvernement partage en tout point l'opinion manifestée par la section centrale, que l'intervention de l'Etat dans les opérations du domaine de l'industrie est en principe une chose dangereuse et regrettable, qu'elle doit être nécessairement temporaire, et qu'elle ne peut être justifiée que par des circonstances exceptionnelles et de grands motifs d'utilité publique.

Que ces circonstances aient existé dans le pays, c'est une chose, messieurs, qui ne peut pas être contestée. Et d'ailleurs, vous l'avez reconnu vous-mêmes quand, l'année dernière, vous avez voté à l'unanimité le premier crédit de 800,000 francs qui vous a été demandé pour faciliter dans la prison de Saint-Bernard, et avec le concours des ouvriers liniers des Flandres, la fabrication des toiles destinées à l'exportation.

Mais, dit-on, et c'est le langage tenu par MM. les fabricants pétitionnaires et qui vient d'être reproduit par l'honorable M. de Perceval, ces circonstances extraordinaires ont cessé, les temps et les faits ont changé, l'industrie privée a repris son élan et son essor ; aujourd'hui ce n'est plus le travail qui manque aux ouvriers, ce sont les ouvriers qui manquent aux fabricants, lesquels ne peuvent plus suffire aux commandes dont ils sont accablés.

Voilà, messieurs, ce que disent les fabricants dans les pétitions qu'ils ont adressées à la chambre, et si tout cela était exact, la conclusion à en tirer serait fort simple, c'est que le gouvernement devrait s'arrêter immédiatement dans la voie ou il est entré, en se félicitant d'avoir, en si peu de temps, obtenu des résultats si avantageux au pays. Mais tout cela est exagéré; la situation, quoique considérablement améliorée, n'est pas aussi favorable encore qu'on vient de la dépeindre ; il y a encore sur plusieurs points des Flandres un assez grand nombre d'ouvriers inoccupés ou qui n'ont qu'un travail insuffisant ; les bras ne manquent qu'a ceux qui ne veulent pas payer un salaire convenable.

Messieurs, je puis donner à cet égard à la chambre quelques explications et lui citer quelques faits, qui prouvent qu'il s'en faut de beaucoup que le travail soit partout aussi abondant qu'on a bien voulu le prétendre, et qu'il n'y ait désormais plus rien à faire dans l'intérêt de l'ouvrier des Flandres.

Lorsque le gouvernement a autorisé la commission de St-Bernard à commencer les essais qui ont si bien réussi, il l'a fait dans un double (page 914) but: dans un but philanthropique et humanitaire, dans un but industriel et commercial. Le but philanthropique, c'était d'améliorer le sort des ouvriers tisserands et de les arracher à la misère.

Messieurs, il est un fait que l'on croirait à peine, s'il n'était pas notoire et avéré, c'est que le salaire de l'ouvrier tisserand des Flandres était descendu, il y a peu de temps encore, jusqu'à 50 centimes par jour. Et même ce salaire ne pouvait-il être obtenu que par les meilleurs ouvriers.

Pour plusieurs d'entre eux, il était réduit à 30 ou 40 centimes.

Quel a été le résultat des opérations de la commission de Saint-Bernard? Il a été de doubler et au-delà le prix des salaires. En allouant 8 francs par pièce de russias fabriquée dans les Flandres, la commission de Saint-Bernard a assuré à l'ouvrier un salaire qui ne peut être en moyenne moindre d'un franc par jour : elle a ainsi relevé la condition morale de l'ouvrier, en même temps qu'elle a amélioré sa condition matérielle. Mais on se tromperait si l'on croyait qu'il n'y a plus rien à faire et que tous les ouvriers des Flandres peuvent aujourd'hui obtenir facilement un salaire suffisant et régulier.

Il résulte d'un tableau qui a été mis sous les yeux de la section centrale que des demandes importantes de travail ont été adressées à la commission de St-Bernard, qui n'a pu y satisfaire qu'en partie à cause de l'insuffisance de ses moyens de production; 32 demandes sont consignées dans ce tableau ; et je crois qu'on peut évaluer à 7 ou 8 mille ouvriers le nombre des tisserands pour lesquels du travail est réclamé sur différents points des Flandres. Les lettres qui ont été adressées à ce sujet à la commission de St-Bernard émanent de diverses administrations communales, de fonctionnaires de l'ordre administratif et de divers particuliers. Toutes ces demandes de travail sont extrêmement récentes, puisque les premières sont du mois d'octobre dernier, et les dernières du mois de janvier de cette année.

Je dis donc, messieurs, qu'il est important que l'intervention du gouvernement puisse se continuer pendant quelque temps encore dans l'intérêt de la classe ouvrière, afin de maintenir les salaires à un taux suffisant et normal. Au surplus, l'intention du gouvernement, conforme en cela au vœu exprimé par votre section centrale, c'est de faire cesser ce travail aussitôt que le but qu'il veut atteindre aura été rempli ; c'est de se retirer successivement des localités où l'industrie privée se sera organisée assez fortement pour procurer du travail aux ouvriers d'une manière durable et pour assurer l'exportation de leurs produits.

C'est là le vœu exprimé par votre section centrale et, sous ce rapport encore, le gouvernement adopte entièrement ses idées et ses vues.

J'ai dit, messieurs, que le gouvernement avait un second but à atteindre, à savoir : un but industriel et commercial. C'est encore un fait constaté par l'aveu même des fabricants qui ont adressé des pétitions à cette chambre; constaté par l'enquête qui a été faite en 1841 sur la situation de l'industrie linière, que si l'industrie belge a perdu ses anciens débouchés, c'est par l'oubli des règles d'une bonne fabrication, c'est parce qu'elle s'est attachée à des pratiques routinières qui ne convenaient plus au commerce étranger, c'est surtout parce qu'elle s'est livrée, comme elle l’avoue elle-même, à une mauvaise et frauduleuse fabrication.

Messieurs, la commission de Saint-Bernard a dû s'attacher principalement à corriger ces abus et à réorganiser l'industrie linière, afin de lui faire reconquérir les débouchés qu'elle avait perdus par sa faute. Sa principale attention devait se porter d'abord sur la préparation des fils destinés à la fabrication des toiles d'exportation ; elle a donc organisé à cet effet des ateliers de débouillissage et de crémage, dans lesquels s'accomplissent ces opérations préparatoires qui donnent aux fils la couleur qu'ils doivent avoir pour la fabrication des toiles à exporter. Vous savez combien ces procédés sont délicats, parce qu'ils ne peuvent s'opérer que par l'emploi de produits chimiques dont l'action corrosive pourrait, sans une extrême surveillance, altérer la qualité des tissus. Sous ce rapport, la commission a obtenu les plus heureux résultats, et elle est parvenue à fabriquer des toiles de qualité excellente qui sont aujourd'hui appréciées et recherchées sur les marchés étrangers.

Ces procédés, l'administration de St-Bernard les a communiqués à tous les industriels belges qui ont voulu en prendre connaissance et venir s'y initier. Sous ce rapport, elle a encore rendu un service éminent au pays.

Quant à la concurrence que la commission et le gouvernement voudraient faire à l'industrie libre sur les marchés étrangers, cette allégation est vraiment dérisoire. Car les produits de St-Bernard n'ont encore été exportés que sur le seul marché de la Havane, et quelques essais insignifiants ont été faits seulement sur d'autres marchés.

Or à la Havane, comme le dit le rapport de la section centrale, l'exportation ne s'est encore élevée qu'à 1,500,000 fr. tandis que la consommation de cette colonie a été en 1847 déplus de 15 millions de francs. D'ailleurs, le marché de la Havane n'est pas le seul où nous puissions exporter ces produits ; tout le continent américain, toutes les colonies des Antilles nous sont encore ouverts et je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas aussi exploiter, en concurrence avec les Russes et les Anglais, tous les autres marchés du monde.

Vous voyez donc, messieurs, que cette prétendue concurrence qui serait faite sur les marchés lointains à l'industrie privée indigène est réellement quelque chose de dérisoire.

Messieurs, j'ai la conviction que si la commission de Saint-Bernard et le gouvernement cessaient en ce moment les essais qu'ils ont entrepris avec tant de succès, les avantages qui en sont résultés viendraient bientôt à s'amoindrir et à disparaître; les débouchés ouverts pourraient se fermer avant peu, et l'industrie libre pourrait retomber dans le marasme d'où elle est à peine sortie. Je crois, messieurs, qu'elle a encore besoin, pendant quelque temps, d'être dirigée, d'être guidée par les soins du gouvernement. Le gouvernement n'a pas d’autre but que de lui donner de bons exemples, de bons conseils, une bonne direction ; il ne cherche nullement à lui faire concurrence.

Maintenant, messieurs, je le répéterai en terminant, c'est dans des circonstances exceptionnelles que le gouvernement a étendu en dehors de l'enceinte de la prison de St-Bernard le travail du tissage des toiles pour l'exportation. Ses circonstances exceptionnelles existent-elles encore ou ont-elles entièrement cessé? Voilà toute la question que vous avez à décider.

Or, tout en reconnaissant, messieurs, que l'industrie s'est considérablement améliorée, je dois déclarer cependant qu'elle n'est pas encore parvenue à ce degré de prospérité qu'elle peut atteindre et qu'elle doit, j'espère, prochainement atteindre. Si vous alliez aujourd'hui déclarer que l'intervention du gouvernement n'est plus nécessaire, ce serait reconnaître virtuellement, que tout est fini et réparé, que l'industrie linière a recouvré son ancienne prospérité, que le travail abonde sur tous les points du pays, que les salaires ont atteint d'une manière permanente un taux suffisant et normal, qu'en un mot la crise des Flandres est complètement terminée. Messieurs, si une semblable déclaration peut émaner de cette chambre, eh bien, le gouvernement l'acceptera avec empressement, avec bonheur; il pourra se borner désormais à contempler la prospérité du pays, il pourra dire, en quelque sorte, son exegi monumentum. Mais je dois le dire, une semblable déclaration serait, à mes yeux, prématurée. Elle reposerait sur des illusions qui deviendront un jour, je l'espère, et prochainement, peut-être, des réalités mais qui, aujourd'hui, ne sont encore que des espérances. S'appuyer là-dessus pour détruire le bien qui a été fait, ce serait commettre une grave imprévoyance dont j'espère que la sagesse de la chambre saura la préserver.

M. Van Grootven. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons en ce moment a pour but d'allouer au département de la justice un crédit extraordinaire de deux millions, destiné non seulement à augmenter la fabrication, déjà très importante, des toiles dites russias, mais aussi à faciliter l'introduction et la fabrication de plusieurs nouveaux tissus liniers. C'est surtout dans l'intention de favoriser quelques industries nouvelles que je voterai en faveur du crédit qui nous est demandé. Qu'il me soit permis, messieurs, d'appuyer de quelques considérations les motifs qui m'y déterminent.

Si la proposition soumise à vos délibérations n'avait pour objet que de faciliter l'introduction et la fabrication de quelques industries nouvelles, j'ai l'intime conviction qu'elle ne rencontrerait pas cette opposition qui rend son adoption quelque peu douteuse. Je pense, messieurs, que le crédit, limité à cette seule destination, serait voté à une grande majorité, eu égard aux circonstances anormales dans lesquelles nous nous trouvons encore, et aux résultats heureux obtenus par nos premiers essais. J'aime à croire que l'étude du travail si étendu et si détaillé de l'honorable rapporteur de la section centrale aura dissipé plus d'une appréhension contre ce crédit, qui a une destination distincte et qui doit atteindre un double but.

Il est inutile de vous rappeler, messieurs, dans quelles circonstances le gouvernement crut devoir faire appel au patriotisme de la chambre et réclamer d'elle, comme mesure temporaire, les allocations nécessaires pour venir en aide à l'industrie et assurer le travail national. Vous savez avec quel louable empressement la législature vota les fonds destinés à secourir le commerce et l'industrie ébranlés et sans confiance. Si le gouvernement fut mis à même d'intervenir dans l'industrie, je suis heureux de le dire, il le fit avec intelligence et succès.

L'honorable ministre de la justice eut une pensée heureuse et prévoyante en organisant comme essai, dans la maison de Saint-Bernard et dans plusieurs communes des Flandres, dont la situation était si malheureuse, la fabrication des russias. Cette fabrication jadis si florissante en Flandre avait toujours donné lieu à une exportation assurée et lucrative. L'industrie privée, je ne sais pour quel motif, avait négligé, je dirai plus, avait presque complètement abandonné ce genre de tissus. Que fit dans ces moments difficiles M. le ministre de la justice, pour utiliser les bras des nombreux détenus de Saint-Bernard, alors que l'industrie privée se plaignait de la concurrence que lui faisait cette maison de correction par la fabrication d'autres articles?

Il eut le bonheur de faire revivre une industrie ancienne, et par la confection de ces tissus reconnus d'une qualité et d'une supériorité incontestables, des débouchés nombreux ne lui firent pas longtemps défaut. S'il eut le courage de l'initiative, il eut le bonheur de réussir. Un grand nombre de communes des Flandres réclamèrent de l'ouvrage, et le travail convenablement rémunéré répandit parmi nos populations malheureuses un bien-être auquel elles n'étaient plus habituées.

Vous avez pu voir, messieurs, dans les rapports des autorités administratives, que de toutes les mesures salutaires que le ministère a adoptées , pour venir en aide à nos provinces, la fabrication des russias est signalée comme une des meilleures et des plus bienfaisantes par ses résultats.

Il est un fait constant, que nos industriels, toujours si actifs et si entreprenants, n'auraient osés reprendre une fabrication destinée principalement à l'exportation lointaine, dans les moments incertains et dangereux, comme ceux vers lesquels il faut bien se reporter et où (page 915) l'opération fut commencée. Je félicite le gouvernement d'avoir aidé et encouragé, par tous les moyens en son pouvoir, cette fabrication. J'applaudis de tout cœur au succès complet qu'il a obtenu par l'introduction de plusieurs industries nouvelles qui sont définitivement acquises au pays. Des expositions récentes en sont un sûr et infaillible garant.

Nous pouvons dire, messieurs, que l'intervention momentanée de l'Etat dans la sphère industrielle et commerciale a produit les plus heureux résultats. Elle a répandu quelque bien-être parmi la classe si intéressante et si paisible de nos travailleurs. Elle a eu pour effet d'élever le salaire trop modique des tisserands campagnards, et de le mettre plus en rapport avec leurs besoins, d'ailleurs si modestes.

Si j'applaudis aux sages et prudentes mesures que le ministère a adoptées, si j'approuve ce qu'il a fait pour le commerce et l'industrie dans ces moments difficiles, si je suis disposé enfin à voter en faveur du crédit qu'il réclame, est-ce à dire, messieurs, que je veuille que le gouvernement se fasse industriel et commerçant, qu'il élargisse outre mesure son intervention provisoire, due aux événements politiques, et que dans mon opinion je regarde comme accidentelle? Oh non, sans doute. En principe je partage l'opinion émise par l'honorable M. de Perceval. Comme lui, je suis opposé à l'intervention du gouvernement dans les affaires industrielles; et je verrai avec bonheur arriver le moment où le gouvernement pourra quitter cette voie, dans laquelle je crois prudent cependant de le laisser momentanément encore. Voilà en quoi je diffère avec l'honorable député de Malines.

Le gouvernement lui-même, veuillez ne pas en douter, messieurs, sera heureux quand il croira pouvoir diminuer son intervention accidentelle dans les affaires commerciales, intervention qui cependant, de l'aveu de tous, a produit les résultats les plus avantageux el les plus satisfaisants pour le pays. Le gouvernement est convaincu qu'une coopération plus active et plus étendue porterait, en définitive, un préjudice notable a l'industrie privée, source du bien-être public.

Le crédit qu'il demande, messieurs, est destiné à satisfaire à des engagements qu'il faut remplir. Il servira aussi à l'introduction de fabrications nouvelles, qui nous seront d'une grande utilité pour le .présent comme pour l'avenir. Croyez-vous donc, messieurs, que la fabrication si importante des russias, comme celle d'autres industries linières nouvelles, ne viendra pas en aide et ne facilitera pas la création d'une société de commerce el d'exportation, que la Belgique réclame depuis longtemps?

Il est évident pour tous que cette fabrication, qui deviendra plus importante encore, a élargi considérablement nos relations extérieures, et dans des proportions plus vastes qu'on ne le pense peut-être.

Je suis d'accord avec la section centrale que l'intervention active et permanente du gouvernement dans les affaires est regrettable et dangereuse, qu'elle nuit aux industries privées et qu'elle porte le découragement parmi cette classe si recommandable des producteurs.

L'industrie et le commerce, sur qui pèsent tant de charges, et dont une concurrence illimitée a considérablement diminué les bénéfices, ne peuvent pas avoir à redouter l'action trop puissante, trop inégale, du pouvoir dans la production. C'est un principe d'économie politique sur lequel nous sommes tous d'accord. Mais, messieurs, est-ce là le but que le gouvernement veut atteindre? Veut-il, par une concurrence indéfiniment prolongée, nuire ou porter préjudice à l'industrie privée? Evidemment non. Il connaît trop bien sa mission, qui embrasse une sphère assez étendue, pour le croire intentionné de vouloir faire une concurrence illimitée à l'industrie. Il n'ignore pas que la législature lui refuserait bientôt les fonds nécessaires pour établir, pour régler ce qu'il a cru devoir faire par exception, et ce qu'il a bien fait jusqu'aujourd'hui.

C'est dans cette pensée qu'on doit examiner et discuter la demande de crédit; c'est ainsi que l'a parfaitement compris la majorité de la section centrale.

Je sais, messieurs, que des fabricants très recommandables ont fait des propositions au gouvernement et veulent satisfaire à tous les engagement pris par la commission de St-Bernard. Ils s'engagent à occuper tous les ouvriers libres qu'elle emploie pour son compte. Ces offres faites par des sommités commerciales aussi honorables méritent d'être prises en sérieuse considération par M. le ministre de la justice.

J'espère que le gouvernement pourra bientôt livrer la fabrication tout entière à l'industrie privée, et la réduire exclusivement à la prison de St-Bernard. Il aura une autre tâche, bien honorable, à remplir, ce sera celle de travailler au perfectionnement des tissus nouveaux qu'il se propose d'introduire dans ses ateliers, pour les livrer plus tard à l'exploitation des industriels, et augmenter ainsi la richesse publique, conséquence certaine de l'introduction de toute nouvelle fabrication dans un pays.

Je respecte l'opinion de l'honorable M. de Perceval, parce qu'elle est consciencieuse. Mais, messieurs, ma conviction est sincère aussi quand je vous déclare que je n'oserais assumer sur moi la responsabilité de faire cesser complètement le travail des ouvriers libres qu'occupe dans ce moment l'administration de Saint-Bernard. Je désire que le gouvernement puisse bientôt satisfaire aux vœux ardemment exprimés de remettre à l'industrie privée cette fabrication, qui est en définitive sa propriété, et non celle du gouvernement. Mais les circonstances nous permettent-elles déjà de forcer le gouvernement à cesser son intervention, qui a été si heureuse, si bienfaisante pour tous? Je ne le pense pas; et, quant à moi, je serai heureux d'accorder plus tard ce à quoi je n'ose consentir dans ce moment. C'est une question d'opportunité qui nous divise, et rien de plus.

Le gouvernement ne peut pas encore enlever aux tisserands des Flandres les bienfaits que lui procure un travail convenablement salarié et assuré tout à la fois par les commandes importantes auxquelles il doit satisfaire. L'opération, d'après le compte rendu, se présente sous les auspices les plus favorables. L'intervention provisoire et exceptionnelle du gouvernement aura donc produit un double bienfait. Elle aura procuré du travail à un grand nombre d'ouvriers de nos districts, et tout en élevant le salaire, elle aura fait revivre une fabrication de tissus, qui a beaucoup aidé à réhabiliter nos toiles à l'étranger où elles étaient pour ainsi dire tombées en discrédit.

Le rapport remarquable de la section centrale répond à plusieurs observations qui avaient été présentées dans les sections. Je crois inutile et superflu de les combattre, alors qu'elles sont si bien réfutées.

Je pense donc, messieurs, que la chambre agira avec prudence en accordant, pour cette fois encore, le crédit réclamé tant dans l'intérêt de la classe ouvrière que dans celui des industriels dont il augmentera la prospérité en agrandissant le cercle des articles nouveaux que l'administration prend l'engagement d'introduire.

Je termine, messieurs, en vous déclarant que je ne serai pas des derniers à demander que le gouvernement diminue et cesse son intervention dans les affaires industrielles. Mais nous sommes encore dans des conditions anormales, et avant d'acquiescer à ce que l'on veut déjà aujourd'hui, il doit m'être prouvé à toute évidence que l'industrie privée peut garantir et assurer le travail dans nos districts liniers, qu'elle peut continuer à payer un salaire convenable à notre population ouvrière, digne à tous égards de la constante sollicitude du gouvernement et de la législature.

M. Rodenbach. - Messieurs, par le projet de loi qu'il vous a soumis, M. le ministre de la justice demande d'abord, à titre d'avance sur son budget de 1849. un crédit de 500,000 francs; ensuite, un crédit de 1,500,000 fr., encore à titre d'avance sur le budget de 1850.

M. le ministre de la justice a deux buts.

En premier lieu, il veut donner de l'ouvrage aux prisonniers de St-Bernard, sans faire la concurrence à l'industrie privée sur le marché intérieur.

J'en conviens, et j'appuierai volontiers le crédit qu'il demande pour cette première destination.

Je pense que d'honorables collègues présenteront un amendement à cet effet, et moi-même je signerai cet amendement.

En second lieu, on se propose d'étendre ce travail jusqu'aux tisserands libres. A cela je ne donnerai pas mon assentiment. M. le ministre lui-même est convenu que ce principe est un principe vicieux. Le gouvernement ne doit pas se faire fabricant, il ne doit pas faire concurrence, lorsque les affaires marchent.

Dans un moment de crise, lorsque la misère était à son comble, lorsque les tisserands mouraient d'inanition faute de pouvoir gagner leur vie par leur travail, le gouvernement alors , il faut le reconnaître, a rendu un éminent service au pays ; je rends grâce également à la commission de Saint-Bernard d'avoir provoqué la libre entrée du fil d'Ecosse, avec décharge de droits, lorsqu'on exporterait la toile.

Comme j'ai dit, M. le ministre de la justice convient que, quand il n'y a plus de crise, il n'y a pas lieu de continuer cette fabrication par le gouvernement.

Eh bien, dans les deux districts du pays où l'on fabrique le plus de toiles, dans ceux de Courtray et de Roulers, on demande que le gouvernement fasse cesser l'entreprise de la prison de St-Bernard pour les ouvriers libres.

Voici pourquoi : Il n'y a pas suffisamment d'ouvriers tisserands dans les districts de Roulers et de Courtray qui confinent au département du Nord; ils vont en France parce qu'ils peuvent y gagner le double de ce qu'ils gagnent chez nous; et pourquoi peut-on leur donner ce salaire en France? Parce qu'il y a une protection de 20 p. c. Lorsque nous expédions nos toiles en France, nous avons à peu près 20 p. c. à payer. Voilà pourquoi nos rivaux en France peuvent soutenir la concurrence avec nous, pour certains genres de toiles, et c'est ainsi qu'ils parviennent à attirer nos ouvriers.

Cependant, messieurs, cette sage mesure d'être venu au secours du tisserand ne doit pas être préconisée comme ayant seule sauvé les Flandres. Ce sont des efforts utiles que le gouvernement a faits, mais c'est tout simplement une affaire d'un million à 1,200,000 francs.

Il paraît qu'on a perçu un demi-million de la toile vendue.

Aujourd'hui l'industrie linière a encore une importance de 60 millions; elle a été de 100 millions; eh bien, en présence du chiffre de 60 millions, peut-on crier au prodige, parce qu'on a fait une affaire d'un million à 1,200,000 fr. ?

Et quel est le salaire que l'on a donné à ces nombreux et pauvres ouvriers? Ce salaire monte à une somme de 72,000 fr., dont 28,000 ont été donnés aux ouvriers de Saint-Bernard ; et 54,000 fr. aux ouvriers des Flandres. Est-ce là un résultat tel qu'il soit permis de faire sonner si haut cette opération?

Je dis donc qu'il est plus que temps que le gouvernement cesse cette entreprise; l'industrie privée peut facilement s'en charger : tout le monde doit en convenir.

Il est vrai, comme le dit la section centrale, que la commission de Saint-Bernard a fait payer les ouvriers en argent. Quelques fabricants n'ont pas toujours agi de même : ils payaient les ouvriers en nature, ils leur vendaient du pain, des marchandises. C'était peut-être un grave abus qui contribuait à froisser l'intérêt de l'ouvrier, mais aussi, il faut l'avouer, il n'était pas généralement suivi, je pourrais citer des fabricants qui n'ont pas exploité les ouvriers de cette manière.

(page 916) Il semblerait aussi que le salaire payé par la commission de Saint-Bernard a été si considérable. Eh bien, savez-vous, messieurs, combien, dans ce moment de crise et de misère nos ouvriers gagnaient? Ils gagnaient tout au plus 75 centimes par jour!

M. le ministre a parlé de 1 franc; j'ai fait prendre des renseignements, j'ai envoyé même des agents pour m'assurer combien on payait de salaire; je le répète, alors que le pain était si cher, ce salaire était de 75 centimes par jour! Au reste, je le reconnais, il valait encore mieux gagner cela que de ne gagner rien du tout.

Messieurs, je crois qu'on aurait bien fait d'introduire la fabrication des russias dans les prisons des Flandres, en même temps qu'on l'introduisait dans la prison de St-Bernard.

Messieurs, je me résumerai, je finirai en répétant que je crois que le moment est venu où le gouvernement doit s'arrêter et se borner à faire fabriquer pour occuper les prisonniers.

On me dira que c'est difficile parce qu'il y a 28 mille pièces de toile commandées, mais qu'on mette la fourniture de ces 28 mille pièces en adjudication et les fabricants se chargeront de les faire tisser.

On dirait, à entendre certaines personnes, que le gouvernement seul a exporté des russias ; il en a exporté pour 400,000 francs , tandis qu'on peut citer des fabricants de Bruxelles et de Courtray qui en ont exporté pour 600,000 francs; l'industrie privée elle-même a déjà exporté plus que le gouvernement.

Il y a aussi des fabricants qui s'engageraient collectivement à prendre sous leurs auspices les ateliers d'apprentissage et à payer l'ouvrage au même prix que Saint-Bernard. Cela prouve que l'industrie privée sait agir aussi bien que le gouvernement. Une justice à rendre, c'est que la commission de Saint-Bernard a introduit des perfectionnements dans la fabrication du produit appelé russias, et a surtout fait sentir le besoin d'avoir l'uniformité dans les tissus. Pourquoi l'administration de Saint-Bernard a-t-elle pu commencer avec succès cette fabrication? Parce que M. le ministre a accordé l'entrée libre du fil écossais à charge d'exporter la toile à l'étranger, et si l'opération a pu donner un bénéfice de 10 à 12 p. c, c'est qu'alors sur le fil il y avait une baisse de 20 p. c, tandis que maintenant il y a une hausse de 25 p. c, et qu'il y a grande privation de fils dans nos filatures belges.

Il ne faut pas oublier d'un autre côté que le gouvernement doit payer l'intérêt du capital qu'il emploie. Il demande aujourd'hui 2 millions, eh bien, pour cette somme, le gouvernement aura à payer des intérêts, car il faut, pour se les procurer, créer des bons du trésor et des importations et des impôts.

On a permis l'entrée des fils anglais jusqu'au n°20. Ce sont les fils filés à sec de 16 à 20 qu'on emploie pour les toiles communes dont il s'agit; mais il faudrait aussi laisser entrer librement et à charge de réexportation des fils d'une plus grande finesse, tels que les n°50, 60 et même 100, comme on en fait dans nos filatures; alors nos toiles lissés avec le fil à la mécanique pourraient être exportées plus avantageusement et en plus grande quantité dans les pays transatlantiques.

C'est le vœu général des fabricants de nos districts liniers, et il y a même lieu de croire qu'en suivant un pareil système large et libéral, on pourrait se dispenser de créer la société d'exportation qu'on nous a promise dans le temps. Je le répète, et cela est important: Si on laisse entrer des fils d'un numéro élevé dans le pays, nos industriels pourront fabriquer des toiles plus fines et étendre considérablement leur commerce extérieur.

Dès lors, le gouvernement n'aura plus besoin de se faire fabricant ; si on laisse entrer le fil d'Ecosse ou d'Angleterre, les fabricants pourront exporter beaucoup; car il paraît certain qu'à la Havane seule la consommation de la toile est de 15 millions par an.

Je bornerai là mes observations pour le moment ; j'attendrai la suite des débats pour voir si je dois reprendre la parole.

M. Osy. - Je partage l'opinion exprimée par nos honorables collègues que le gouvernement doit le moins possible s'occuper d'industrie et de commerce et abandonner l'un et l'autre à la concurrence libre.

Mais il faut considérer les circonstances exceptionnelles où nous nous sommes trouvés pour l'industrie linière; les honorables membres qui combattent aujourd'hui le projet qui vous est présenté venaient sans cesse nous exposer le tableau de la misère des Flandres, déplorer l'anéantissement de l'industrie linière, cette branche si importante de l'industrie du pays; survint la disette que nous avons eue en 1846 et 1847; alors Anvers s'est émue de la situation des Flandres; c'est Anvers qui est tout à fait désintéressée dans la question actuelle, c'est Anvers qui s'est mise à la tête d'une grande souscription pour les Flandres, et au mois de janvier, avant les événements de France, la ville d'Anvers remit au gouverneur de la province 110 mille francs recueillis par la charité publique. Plusieurs autres villes, Bruxelles notamment, étaient sur le point d'imiter cet exemple quand les événements de France surgirent; tout le pays aurait envoyé des secours à nos frères des Flandres. Mais après les événements de France, ce ne furent plus seulement des âmes charitables, mais de véritables philanthropes que les souffrances des Flandres trouvèrent à Anvers; on dit: Ce n'est pas seulement avec l'argent de l'aumône qu'il faut venir en aide à ces malheureuses provinces, c'est en procurant de l'ouvrage à ses ouvriers que nous pourrons les tirer de la misère où elles sont plongées.

Il est vrai que le comité de l'administration de Saint-Bernard est composé, comme l'a dit M. de Perceval, de quatre rentiers, un avocat, un avoué, un banquier et un industriel.

Mais ce sont tous de vrais philanthropes qui ont étudié les besoins des Flandres et contribué à créer une industrie que vous combattez aujourd'hui.

On répétait sans cesse: Nous perdons le débouché de nos toiles ; nous n’exportons plus qu'en France et en Espagne, marchés qui se rétrécissent tous les jours; Anvers n'exporte pas nos produits. Anvers répondait : Faites des marchandises exportables, et nous les exporterons.

On nous objectait : Les tisserands n'ont pas d'argent pour acheter des fils; ils ne peuvent pas fabriquer de toiles. Qu'a fait la commission de Saint-Bernard? Elle a acheté du fil, elle l'a fait blanchir et sérancer, et elle l'a envoyé dans les Flandres pour faire des toiles.

On disait encore qu'on n'exportait pas. Nos honorables concitoyens ont prouvé qu'il y avait des marchandises exportables, pourvu qu'on les fît à des prix analogues à ceux auxquels les vendaient nos voisins.

Ils ont proposé la fabrication de toiles en entrepôt, c'est-à-dire de laisser entrer les fils sans percevoir le droit, à charge de réexporter les toiles. Le gouvernement n'a pas à cet égard établi de monopole, il n'a pas pris l'arrêté à cet égard pour la commission de St-Bernard seulement, il a étendu la mesure à tout le pays; il a dit à tous les fabricants : Vous pouvez faire tous la même opération.

On a dit de plus: Les journées qu'on paye sont beaucoup trop faibles. A cette occasion je citerai un fait très fâcheux et très peu connu.

Ceux qui faisaient faire des toiles ne payaient pas les ouvriers en argent mais en nature, et livraient des objets sur lesquels les tisserands, pour s'en défaire, devaient subir une très grande perle, tandis que le fabricant faisait un bénéfice.

La commission a dit qu'elle payerait en argent et que les fabricants qui payeraient leurs ouvriers en nature ne recevraient plus de commandes.

Voilà un très grand bien, et cela sera, j'espère, imité par ceux qui font faire des toiles.

La commission paye la même somme qu'en Angleterre, elle paye 8 fr. par pièce, mais en Angleterre il y a des tisserands qui font la pièce en 3 ou 6 jours.

Ici, on ne le fait qu'en 7 ou 8 jours tout au plus. Qu'il y ait perfectionnement, la journée augmentera. Mais s'il fallait payer des journées, il serait impossible d'exporter et de soutenir la concurrence sur les marchés étrangers.

On se plaignait également depuis un grand nombre d'années de ce que le travail de nos prisons faisait une grande concurrence à l'industrie privée. La commission administrative a trouvé moyen de ne pas faire concurrence à l'industrie privée. Il est vrai que l'industrie privée a naguère exporté des russias ; mais la mauvaise fabrication nous avait fait perdre le débouché de ces toiles.

En effet, je trouve dans une pétition de la chambre de commerce de Courtray, du 26 décembre dernier, analysée dans le rapport de l'honorable M. Bruneau : « Lorsque nous avons vu le gouvernement accorder un subside à l'administration de St-Bernard, pour reconquérir sur les marchés transatlantiques le débouché de nos toiles blondines, maintenant appelées russias, que la mauvaise fabrication nous avait fait perdre, nous avons applaudi à cette mesure, persuadés que le succès de cette entreprise aurait stimulé les efforts de l'industrie privée, et l'aurait encouragée à marcher sur les traces de l'administration de St-Bernard, en imitant dans la fabrication les améliorations que celle-ci y aurait si heureusement introduite. »

Voilà donc un aveu de la chambre de commerce de Courtray qui dit que vous faisiez des russias , mais que vous avez perdu le débouché par votre mauvaise fabrication.

Qu'a donc fait la commission de Saint-Bernard ? Elle a fait tout ce qu'elle a pu, Il a réussi à faire aussi bien que l'Angleterre; car nos russias se vendent aux colonies en concurrence avec celles de l'Angleterre; nous vendons sur les marchés de l'Angleterre, sur le marché de Hambourg, pour l'exportation dans les colonies, tant nos marchandises sont régulières et bien fabriquées. Faites de même, et vous trouverez des débouchés.

Si la commission administrative ne s'était pas mêlée de cette affaire, où auriez-vous trouvé des débouchés? Nous avons relevé, dans les colonies, la bonne renommée de nos toiles. Ce ne sera que quelque temps après que vous aurez fait des marchandises régulières que vous pourrez trouver un marché pour l'industrie privée. Mais laissez à la commission de Saint-Bernard, qui a rendu de si grands services, le temps de former des relations et de nous faire connaître.

J'entends souvent dire que la commission administrative s'est occupée de cette affaire pour déplacer l'industrie linière des Flandres dans la province d'Anvers. Mais il résulte des pièces produites par le gouvernement à l'appui de son rapport que la seule partie de la province d'Anvers où l'on se livre à l'industrie linière est le petit Brabant, qui tient aux Flandres, et où l'on tisse la toile depuis des siècles. A part cela, je défie que l'on cite une seule commune de la province d'Anvers où l'on s'occupe d'industrie linière.

On dit : On déplace l'industrie. J'ai entendu critiquer que le gouvernement ait donné un subside à une blanchisserie de la province d'Anvers. Nous-mêmes, avec des amis de Gand, avons cherché à établir une blanchisserie. Je voulais y mettre une bonne somme. Mais nous n'avons pu trouver les autres capitaux nécessaires.

Le gouvernement a dû s'adresser à un grand blanchisseur des environs d'Anvers, pour le blanchiment des fils destinés à la fabrication des russias. C'est ce qui a donné lieu à l'allocation d'un subside.

Etablissez des blanchisseries dans les Flandres, Anvers n'aura rien à (page 917) dire. Certes, nous serons enchantés que vous puissiez par vous-mêmes relever votre ancienne industrie. Mais, comme j'ai eu l'honneur de le dire, depuis nombre d'années, j'entends toujours parler de plaintes, mais jamais de remède. Nous sommes heureux, nous sommes flattés que nos concitoyens d'Anvers aient trouvé le remède. Aujourd'hui qu'il est mis en œuvre depuis dix-huit mois à peine, vous voulez le détruire. Pourquoi? Par jalousie; pour revenir au système que vous avez eu autrefois, et qui vous a fait perdre le débouché. Je vous ai lu ce paragraphe de la pétition de la chambre de commerce do Courtray.

Vous croyez que toutes ces toiles qu'on a exportées se sont faites dans la prison de Saint-Bernard? Je m'y suis rendu, avant la session, pour me rendre compte par moi-même; voici ce qui s'y fait : J'y ai trouvé beaucoup de fils, parce qu'avant l'hiver on est obligé de préparer le fil pour l'envoyer dans les Flandres. Mais j'y ai trouvé très peu de tisserands. Ce n'est donc pas une concurrence à l'industrie privée; le travail de la prison se borne à préparer le fil destiné aux tisserands et à l'apprêt de la toile.

Je crois que si vous vouliez exploiter les débouchés que s'est créés la commission de Saint-Bernard, avant peu vous les perdriez, car j'ai entendu des plaintes au sujet des russias exportées par l'industrie privée; elles n'avaient pas la régularité de celles de Saint-Bernard. Aux colonies tout est prévention et habitude. S'il y a des changements dans la couleur, dans l'apprêt, dans l'emballage, nous ne conserverons pas le débouché ; l'Angleterre nous l'enlèvera.

Mais l'honorable M. Rodenbach a l'air de dire : Un crédit de 2 millions, c'est énorme. Si cet honorable membre avait pris connaissance du compte qui se trouve sur le bureau, il saurait qu'il ne s'agit en réalité que d'un capital roulant, qui est dépensé et remboursé, et qu'en définitive, la perte pour l'Etat n'est que de 22 mille fr.

Pourquoi le gouvernement est-il obligé de vous demander une aussi forte somme? C'est votre loi de comptabilité qui l'y oblige. Toutes les sommes qui rentrent doivent être versées au trésor. Pour pouvoir les employer de nouveau, il faut demander un crédit à la législature.

Si l'on pouvait disposer des mêmes sommes plusieurs fois, 200,000 fr. suffiraient. Mais comme il n'en est pas ainsi, on a dû demander 1,500,000 fr. pour l'année 1850.

Mais, c'est la loi de comptabilité qui exige qu'une somme entrée au trésor ne puisse plus en sortir sans une nouvelle allocation.

D'après ces considérations, je crois que ce sera un grand bienfait pour les Flandres, si le gouvernement est autorisé à continuer, je ne dirai pas la fabrication, mais la surveillance de la fabrication des russias par l'intermédiaire de la commission administrative de St-Bernard. Si, messieurs, dans cette commission, il y a quatre rentiers, ce sont des rentiers qui s'occupent beaucoup des affaires publiques; ce sont des personnes tellement distinguées qu'elles pourraient, je crois, en apprendre beaucoup aux personnes des Flandres que l'honorable M. de Perceval voudrait nous envoyer.

Ce sont d'ailleurs des hommes complètement désintéressés, qui s'appliquent entièrement à la mission dont le gouvernement a bien voulu les charger, et tous ceux qui les connaissent rendent justice à leur dévouement et à leur activité.

Je crois donc que, dans l'intérêt des Flandres, non seulement nous devons voter les 1,500,000 francs qui nous sont demandés pour 1850, mais qu'un pareil crédit devra nous être demandé pour 1851.

Quant à moi, aussi longtemps que je ne verrai pas les Flandres reprendre leur ancienne splendeur, que l'industrie linière n'aura pas retrouvé sa précédente activité, je croirai que le gouvernement doit aider à la fabrication, d'autant plus que, comme j'ai eu l'honneur de le dire, presque tout le tissage se fait dans les Flandres. L'honorable M. Rodenbach devrait se féliciter de cette intervention du gouvernement. Depuis nombre d'années, il se plaignait de ce que les tisserands n'avaient pas d'argent pour acheter du fil. Aujourd'hui on leur confie le fil dont ils ont besoin et ils peuvent ainsi travailler.

Messieurs, on a souvent reproché à la ville d'Anvers de ne pas exporter les produits du pays. Vous avez eu une preuve du peu de fondement de ce grief. Tout ce que la commission de Saint-Bernard fait fabriquer est exporté par la ville d'Anvers, parce qu'on lui fournit des produits qui, par leur qualité et leur prix, peuvent lutter avec ceux de l'étranger.

Messieurs, le travail que le gouvernement a introduit dans la prison de Saint-Bernard a encore produit un autre bienfait. Avant 1848, nos filatures avaient, il est vrai, pris déjà un grand développement, en dépit des plaintes qu'elles soulevaient chez les hommes partisans de la seule filature à la main, qui aujourd'hui trouverait très peu de défenseurs. Cependant nous ne pouvions lutter contre l'Angleterre pour le prix de revient du fil mécanique. C'est pour cela que le gouvernement s'est vu obligé d'admettre, en 1848, le fil anglais. Cette mesure a poussé nos filateurs à introduire de grands perfectionnements dans leur fabrication, et aujourd'hui nous pouvons, pour beaucoup de numéros, lutter avec l'Angleterre et livrer des fils au même prix qu'elle. Ce perfectionnement est encore dû à l'initiative du gouvernement.

Je voterai donc le crédit qui nous est demandé, et j'engage le gouvernement à ne pas renoncer, sans mûre réflexion, à cette bonne surveillance qu'il exerce et qui a déjà produit tant de bien.

M. de Haerne. - Messieurs, en prenant part à ce débat, je me hâte de dire à la chambre que je veux être impartial envers tout le monde : impartial envers le gouvernement dont je reconnais les services rendus; impartial envers la commission de Saint-Bernard, mais impartial aussi envers l'industrie privée, dont tout le monde doit reconnaître les grands services, en les plaçant même en tête de tous ceux qu'on peut rendre à la classe ouvrière.

Je veux être impartial aussi envers l'honorable préopinant qui vient de se rasseoir, et je ne puis passer sous silence les paroles qu'il a prononcées quant à cette belle et grande initiative qui a été prise par la ville d'Anvers pour soulager les calamités qui pesaient sur les Flandres. Oui, messieurs, je me plais à saisir cette occasion pour témoigner mes remerciements à la ville d'Anvers et en particulier à l'honorable M. Osy ; car j'aurai à ajouter que c'est aux généreux efforts de l'honorable membre que nous avons dû cette initiative. Peut-être sa modestie se refusera à le reconnaître, mais j'en ai la preuve formelle.

Mais, messieurs, si je veux être juste envers tout le monde, je ne puis pas me dissimuler la vérité, et je vous dois, en cette circonstance, toute l'expression de mes convictions.

Messieurs, permettez-moi de vous rappeler que déjà l'année dernière j'ai eu l'honneur de m'énoncer de manière à faire comprendre que je prévoyais des dangers dans l'allocation des 800,000 fr. qui nous étaient demandés pour le travail à exécuter sous la direction de la commission de Saint-Bernard. Je vous disais alors, c'était dans la séance du 14 mai 1849 :« La spécialité des russias est nouvelle dans le pays à certains égards. » Je vous prie de bien remarquer ces paroles : « Cette espèce de toile n'est pas tissée jusqu'à présent dans les mêmes conditions. » Je voulais dire avec des fils filés secs.

« Mais il est d'autres toiles qui en approchent plus ou moins, telles que les blondines. Cette nouvelle toile doit donc faire une certaine concurrence.

« Ce n'est pas, à mes yeux, un motif pour repousser le projet de loi, car je crois qu'il tend à atteindre un but utile, en attendant que l'industrie privée soit à même de l'atteindre.

« Je dis que j'approuve la mesure, mais seulement comme temporaire. En effet, je crois pouvoir assimiler quant au tissage des toiles russias (seulement) la commission de la prison d'Anvers à des institutions qui ont existé précédemment, qui ont été encouragées par le gouvernement et qu'on a cru devoir supprimer dernièrement. Je veux parler des comités que j'ai appuyés comme institutions temporaires et qu'on n'aurait pas dû supprimer de sitôt.

« Sous ce rapport je dois approuver le nouveau comité institué pour le tissage, mais seulement comme temporaire.

« Je désirerais savoir si, par le projet de loi, il n'est pas à craindre qu'on pose un précédent dangereux qui pourrait être invoqué plus tard, lorsqu'il s'agirait de créer une société d'exportation.... Parmi ces systèmes il y en a un d'après lequel la société serait chargée de fabriquer elle-même. »

Telles étaient, messieurs, à cette époque, mes appréhensions, quant aux tendances démesurées que pouvait prendre l'entreprise de Saint-Bernard, quoique je l'approuvasse alors à cause des circonstances où nous nous trouvions, et à cause aussi de l'initiative qu'elle venait de prendre à certains égards. Vous voyez donc que si je viens combattre aujourd'hui le projet tel qu'il vous est présenté, tout en vous déclarant d'avance que je suis prêt à accepter une transaction, comme je l'ai déclaré en section centrale, je puis dire que je suis d'accord avec l'opinion que j'avais déjà eu l'honneur d'émettre l'année dernière.

Avant d'entrer, messieurs, dans les détails que je dois nécessairement aborder, vu les objections qui ont été faites au système que je défends, permettez-moi de donner une esquisse historique de cette espèce de toile qu'on appelle russias. Je crois que cette explication est nécessaire pour ne pas confondre bien des choses qui jettent, je dois le dire, une certaine confusion dans la discussion.

Les toiles russias, messieurs, appartiennent originairement aux Flandres. De temps immémorial on les tissait particulièrement dans la Flandre orientale et elles faisaient un des principaux produits du marché de Gand. D'où est venue cette appellation de russias? Elle est venue de ce que, pendant les guerres de l'Empire, des tisserands flamands, enrôlés sous les drapeaux français, sont allés importer cette industrie en Russie. Elle y a été cultivée, protégée par le gouvernement, et elle y a pris un assez grand développement. Ces tisserands ont continué à y travailler comme autrefois on travaillait en Flandre, en employant du fil à la main. D'un autre côté, la fabrication des anciennes blondines, qu'on appelle aujourd'hui russias, était tombée, en Flandre, dans un état de décroissance, de décadence, par suite de certaines circonstances que je vous demande la permission d'exposer sommairement et sur lesquelles on est tombé dans l'erreur il y a quelques instants.

Les circonstances qui ont amené la décadence de cette espèce de fabrication proviennent en grande partie des idées de liberté qui, contrairement à mon opinion, quant à leur application à l'industrie, avaient fait négliger les règlements des marchés. L'engouement pour le coton, et, plus tard, la prédilection pour le fil de lin à la mécanique ont contribué à cette négligence. C'est ainsi que les règlements du marché de Gand sont tombés en désuétude; c'est ce qui favorisa la fabrication frauduleuse et amena par une suite inévitable la perte de nos débouchés. Tous les négociants, tous les hommes pratiques sont d'accord pour dire que c'est à cette circonstance qu'il faut principalement attribuer la décadence de cette branche d'industrie nationale. La concurrence anglaise est venue lui porter un dernier coup.

Mais, messieurs, on se fait illusion lorsqu'on s'imagine que la fabrication de cette espèce de toile est toujours dans le même état, et c'est là une erreur fondamentale dans laquelle on tombe sans cesse; et (page 918) l'administration de Saint-Bernard, et le ministère, et notre honorable rapporteur et les honorables préopinants s’imaginent toujours qu’ils ont affaire à des tisserands isolés, tandis qu’il est avéré que depuis quelques années la fabrication privée est montée sur une grande échelle. Nous avons heureusement dans le pays de grands fabricants qui comptent peut-être quatre fois autant de tisserands que la commission de Saint-Bernard en a à sa disposition. Je pourrais citer un seul fabricant qui emploie jusqu'à 800 tisserands pour cette seule spécialité de toiles. Ces fabricants travaillent donc en grand et font toutes les préparations d'après les procédés les plus perfectionnés qui sont suivis en Angleterre.

Ainsi, messieurs, l'on déprécie l'industrie privée en faisant croire que, sans la commission de St-Bernard, il n'y aurait pour ainsi dire pas d'exportation possible. Je me hâte de répéter que de grands efforts ont été faits et par le gouvernement et par la commission de St-Bernard, quant à la fabrication de cette espèce de toiles, mais, messieurs, il faut être juste, il faut reconnaître la véritable cause de ce grand changement. Quelle est cette cause? Est-ce, à proprement parler, l'initiative prise par la commission de St-Bernard, les leçons que la commission de St-Bernard prétend, à ce qu'il paraît, avoir données aux fabricants?

Eh bien, messieurs, pas du tout. La véritable cause se trouve dans l'admission d'une espèce de fil que l'on ne faisait pas dans le pays, le fil filé sec, que l'on a pris, d'abord, en Angleterre, et qui, plus tard, a été fait dans le pays. Déjà, messieurs, avant que la commission de Saint-Bernard eût obtenu du gouvernement cette faveur qui, ensuite, fut étendue à l'industrie privée, déjà avant cette époque l'industrie privée elle-même s'était élargie, s'était placée sur un plus grand théâtre, quoiqu'elle n'eût pas cette ressource, et déjà avant les opérations de la commission de Saint-Bernard, l'industrie privée exportait à la Havane 2,000 pièces de toiles russias; c'est là un fait incontestable.

Ainsi, messieurs, ce n'est pas la commission de Saint-Bernard qui a donné l'impulsion à l'industrie privée, mais c'est l'admission des fils anglais qui a fait réussir et la commission de Saint-Bernard et l'industrie privée tout à la fois. Voilà, messieurs, le véritable secret de cette affaire.

Permettez-moi de poser la question comme je l'entends. Le gouvernement nous demande un crédit de 2 millions, dont 500,000 fr. sont une espèce de régularisation et se rapportent aux opérations déjà faites, et dont 1,500,000 fr. sont destinés aux opérations à faire.

Quant à la première partie du crédit, il n'y a pas de difficulté ; la contestation ne roule que sur la deuxième partie du crédit. Eh bien, messieurs, quant à la somme de 1,500,000 fr. qui doit servir à faire des opérations dans l'avenir, je dois dire que je ne puis pas adopter cette somme qui est trop élevée. Je ne puis pas donner les mains à ce crédit, car tout le monde est d'accord, à ce qu'il paraît, d'après ce qui résulte et de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale, et des discours que l'on vient de prononcer, que le principe est dangereux en lui-même: seulement on diffère d'opinion quant à l'application du principe dans les circonstances actuelles.

Mais si tout le monde est d'accord sur le principe, voyons, messieurs, quelle est la cause de cet accord, voyons d'où résulte qu'il y a danger, aux yeux de tout le monde, aux yeux de toutes les opinions, dans l'application générale de ce principe? Cela résulte évidemment de ce que l'on fait par là une concurrence ruineuse à l'industrie privée, car enfin sans cela pourquoi donc faudrait-il proclamer en principe le danger d'une intervention du gouvernement? Il ne peut pas y avoir d'autre raison que celle-ci, à savoir qu'au moyen de fonds aussi considérables donnés par le gouvernement, vous agissez directement contre l'industrie privée, vous attaquez le capital engagé dans cette industrie, vous portez en quelque sorte atteinte à la propriété. Voilà, messieurs, la véritable cause de cette crainte que tout le monde partage ici quant au principe, mais sur laquelle tout le monde n'est pas d'accord en ce qui concerne l'application actuelle de ce principe.

Eh bien, messieurs, partant de ce point de vue qui nous est commun, voyons si nous pouvons aboutir aux mêmes conséquences. Je viens de vous signaler les dangers qui résultent de cette concurrence que fait l'Etat à l'industrie privée et nous sommes tous d'accord sur ce point. Mais pourquoi donc majorer le crédit, le rendre double de ce qu'il était l'année dernière? Est-ce à cause de l'accroissement de la misère? Je devrais le croire, si enfin vous vouliez entrer dans l'esprit même du principe que vous proclamez. Mais évidemment vous ne pouvez pas soutenir cette opinion, car le contraire saute aux yeux de tout le monde.

La misère a diminué considérablement ; le travail a repris partout; il faut donc, pour être conséquent avec le principe sur lequel nous sommes d'accord, restreindre le crédit dans des limites plus étroites, si tant est qu'il soit encore nécessaire. Dans notre opinion commune, on ne peut admettre l'intervention de l'Etat dans la fabrication qu'en vue des nécessités impérieuses résultant de la misère. L'intervention doit se restreindre à mesure que la misère diminue.

La question est donc dans la tendance; elle consiste à savoir si, vu les circonstances, il faut augmenter ou restreindre le crédit. Je pense qu'il faut le restreindre; mes honorables collègues pensent qu'il faut l'augmenter. C'est en cela que nous différons entièrement d'opinion.

Quant à la fixation du chiffre du crédit, c'est une question sur laquelle je ne suis pas encore tout à fait décidé et sur laquelle je crois devoir m'éclairer encore par les débats.

Disons toutefois que, pour ce qui regarde le travail dans les prisons, cette question doit être résolue affirmativement.

En effet, ici, il y a un principe supérieur d'intérêt moral, sur lequel nous devons être tous d'accord; je sais qu'en économie politique, il se rencontre bien des opinions qui contestent ce principe; mais nous, législateurs, nous devons nous élever à une plus grande hauteur, nous devons nous élever au-dessus des principes économiques proprement dits et embrasser l'ensemble des besoins du pays.

Quant au travail à exécuter dans les prisons, il y a un principe de moralisation, qui l'emporte sur tous les autres; l'industrie privée doit bien en prendre son parti; l'amendement des prisonniers domine ici toute la question; nous sommes d'accord sur ce point; mais il n'en est plus de même, lorsque l'administration d'une prison, aidée par le gouvernement, élargit son cercle d'opérations en dehors de l'enceinte de la prison.

Messieurs, on a fait plusieurs objections auxquelles je tiens à répondre avant de m'expliquer sur le fond.

D'abord, M. le ministre de la justice, en donnant quelques explications sur le projet de loi, et en rencontrant le discours de l'honorable M. de Perceval, a fait valoir certains arguments contraires à l'opinion que je défends; il a dit d'abord que le crédit n'est en quelque sorte qu'un fonds de roulement. L'honorable M. Osy a répété la même idée.

J'avoue que c'est un fonds de roulement. Mais la question est de savoir quelle est la première mise. Je crois que le fonds de roulement, l'année dernière, a été de 800,000 francs.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le fonds n'est jamais totalement employé.

M. de Haerne. - Bien ! Alors la question est de savoir quelle somme a été employée comme fonds de roulement.

Si j'ai bien compris l'honorable M. Osy, il a parlé de 22,000 fr. par an. L'honorable membre a fait allusion sans doute à l'intérêt de la somme...

M. Osy. - Oui!

M. de Haerne. - D'après cela, nous pouvons calculer le capital qui a été employé; ce capital doit être de 440,000 fr. Voilà le fonds de roulement.

M. Bruneau, rapporteur. - Me permettez-vous de donner quelques renseignements sur ce point?

M. de Haerne. - Je serais charmé de les avoir : on ne s'entend pas à cet égard.

M. Bruneau, rapporteur. - Depuis le 10 mai 1848 jusqu'au mois d'octobre 1849, la somme totale qui a été employée a été de l,074,000 fr. Cette somme a été successivement dépensée par portions de 4,000, de 3,000, de 2,000, de 500 fr,, etc., de mois en mois, et les versements dans le trésor public ont eu lieu dans une proportion à peu près semblable. Le décompte de toutes les sommes qui ont été employées jusqu'à la fin de l'année monte à 20,000 fr. seulement, comme je l'ai constaté dans mon rapport...

M. de Haerne. - Sans doute, 20,000 fr. pour l'intérêt! Cela ne répond pas à ma question. M. Osy dit 22,000 fr., M. Bruneau, 20,000 fr.; j'accepte le chiffre de 20,000 fr.

M. Bruneau, rapporteur. - Dans le chiffre de 22,000 fr. se trouve une somme de 111,000 fr. environ, pour droits d'introduction de fils qui ont été payés au trésor, et qui ont été versés en même temps qu'ils en" sortaient. Ce n'était qu'une dépense fictive, et dont le montant ne doit pas figurer au compte d'intérêts.

M. de Haerne. - Il faut donc prendre l'intérêt pour point de départ, pour remonter au capital. 20,000 fr. d'intérêt donnent 400,000fr. de capital.

Je dis donc que si 400,000 fr. oui été nécessaires pour les opérations qu'il a fallu faire en pays lointains, (le virement des fonds dépend de l'éloignement des marchés vers lesquels on exporte), il faudra évidemment un capital plus fort pour faire des opérations dans la proportion de 1,500,000 francs. C'est donc toujours une augmentation à laquelle on tend. C'est cette idée que je veux combattre, parce que les circonstances se sont améliorées.

Il y a une question que les débats n'ont pas suffisamment éclaircie jusqu'ici. On dit, d'un côté : « Le travail a repris dans les Flandres. » D'un autre côté on déclare qu'on est assailli de demandes de travail.

Il y a là une espèce de contradiction. El il y a contradiction non seulement entre le gouvernement et plusieurs membres de la chambre, mais entre les divers rapports du gouvernement lui-même.

Et à cet égard, je puis vous citer le compte rendu, présenté par le département de l'intérieur, du crédit de 2 millions qui a été alloué l'année dernière en faveur des classes nécessiteuses; dans ce compte rendu , on fait le tableau le plus brillant de la situation des Flandres.

D'un autre côté, M. le ministre de la justice et notre honorable rapporteur, tout en convenant de la reprise du travail, nous exposent des besoins très étendus en matière de travail. Ils nous citent une foule de communes qui s'adressent au gouvernement pour obtenir quelque part dans les faveurs qui émanent de l'administration de la prison de St-Bernard.

Je le répète, il semble qu'il y ait là contradiction. « Je crois cependant que ces deux opinions sont également vraies, et qu'on peut les concilier.»

D'un côté, le travail a repris, c'est incontestable ; les bras manquent même; d'autre part, on réclame du travail, on demande que le gouvernement vienne encore au secours de la classe nécessiteuse. Pour concilier ces deux opinions, il faut aller au fond des choses et examiner les faits, tels qu'ils se présentent en réalité dans les Flandres.

(page 919) Ce qui manque aujourd'hui dans les Flandres, ce n'est pas le travail ce sont les outils perfectionnés, les métiers marchant à la navette volante; ce sont les ateliers de perfectionnement; et, permettez-moi cette parenthèse, le gouvernement en entrant depuis longtemps dans cette voie, a rendu un service signalé au pays.

Mais il reste beaucoup à faire sous ce rapport. M. le ministre de la justice vient de dire qu'on peut estimer à huit mille le nombre des ouvriers qui sont encore inoccupés dans les Flandres. Je pourrais en porter le chiffre plus haut. Pourquoi ces ouvriers sont-ils sans ouvrage? Est-ce parce que l'industrie privée est en défaut? Non; c'est parce que les métiers perfectionnés manquent, parce que les industriels qui sont prêts à donner de l'ouvrage aux ouvriers, ne peuvent ou ne veulent pas exposer les capitaux nécessaires pour les outils dont la dépense monte très haut. Ainsi ces ouvriers, auxquels je fais allusion, sont sans ouvrage parce que les outils leur manquent.

Avec l'outillage ancien , la navette à la main, il est impossible de soutenir la concurrence, il faut nécessairement entrer dans la voie du perfectionnement, employer la navette volante, sans cela toute concurrence est impossible.

Ainsi, ce n'est pas l'industrie privée qui est en défaut, mais l'outillage. Nous ne nous opposons pas à l'intervention du gouvernement pour multiplier et développer les ateliers, pour introduire les métiers perfectionnés, mais il n'est pas nécessaire pour cela que le gouvernement s'empare des rênes de la fabrication.

Entrez dans les bons principes économiques, encouragez l'industrie, mais ne vous faites pas industriels vous-mêmes.

Je prie la chambre de bien faire attention à cette distinction, elle est essentielle dans le débat.

Mais, dit M. le ministre de la justice, à entendre nos adversaires, ceux qui combattent le projet, on dirait qu'il n'y a plus rien à faire ! Jamais! Jamais nous n'avons parlé de cette manière. Quand je trouve qu'il n'est pas nécessaire de donner 2 millions pour les Flandres, quoique Flamand, quoique défenseur-né des Flandres, c'est par une raison très simple; si nous étions toujours disposés à accepter les subsides qu'on nous accorde sans motifs, plus tard quand des besoins réels se feraient sentir et quand nous demanderions des subsides, on nous répondrait: Vous avez reçu naguère deux millions et vous venez encore solliciter ! J'avoue hautement que c'est pour être plus fort à l'avenir dans les demandes que nous aurions à faire si de nouveaux besoins se faisaient sentir, que nous refusons aujourd'hui. Nous ne disons pas qu'il n'y a plus n'en à faire, au contraire.

Mais la question git dans le mode d'intervention. La distinction dans laquelle je viens d'entrer le démontre. Tout en demandant que le travail soit abandonné à la libre concurrence, j'ai expliqué que l'intervention du gouvernement pouvait être très utile quant à l'établissement de métiers et d'ateliers de perfectionnement. Ces observations seules font voir que nous sommes loin de dire qu'il n'y a plus rien à faire de la part du gouvernement.

Il est encore un point que je dois toucher dans les observations faites tout à l'heure par M. le ministre de la justice. Il a dit, que pour relever les salaires, la commission de Saint-Bernard paye 8 francs par pièce, et l'honorable M. Osy a ajouté : C'est le même prix qu'en Angleterre.

Mais il faut remarquer que sur ce prix il y a des réductions à faire ; dans le rapport et l'exposé des motifs on signale certaines réductions, mais on ne les énumère pas toutes. D'abord il faut déduire un franc pour examen des pièces, puis 75 c. pour rots et lames, 25 c. de colle et 50 c. pour les épeuls. Ainsi, j'ose dire que de cette manière le salaire est réduit à 5-50 par pièce. Vous voyez qu'il n'y a pas de quoi vanter ce salaire!

Disons un mot d'une objection faite tout à l'heure par l'honorable M. Osy, et à laquelle, je dois l'avouer, j'ai été un peu sensible.

Vous ne travaillez pas aussi bien qu'en Angleterre, a-t-il dit, vous n'avez pas autant d'activité; un tisserand anglais fait une pièce de russias en 6 jours, tandis qu'il vous en faut 7 ou 8.

Quand nos ouvriers sont munis de bons outils, de métiers perfectionnés, ils travaillent aussi vite, aussi bien qu'on peut le faire en Angleterre. J'ai vu des tisserands anglais à l'œuvre ; ils ne sont pas plus habiles que les nôtres quand ils sont munis du même outillage.

D'où vient l'objection de M. Osy? C'est qu'en Angleterre, les procédés perfectionnés sont généralisés, tandis qu'ils ne le sont pas dans notre pays.

Si vous établissez une moyenne, vous arrivez à conclure qu'on travaille plus vite en Angleterre qu'en Belgique. Cela revient à dire qu'on ne peut trop multiplier l'outillage perfectionné, mais on ne peut pas conclure autre chose.

M. le ministre de la justice a dit aussi : Jusqu'ici nous ne nous sommes présentés que sur un seul marché, celui de la Havane, il nous en reste bien d'autres à exploiter. Je réponds que nous rencontrons les Anglais partout, que cette concurrence est assez redoutable pour ne pas l'augmenter d'une concurrence largement rétribuée par l'Etat.

A entendre les organes du gouvernement, ne dirait-on pas que cette mission de la commission de Saint-Bernard est sans limites? On dit, il est vrai, qu'elle est temporaire de sa nature ; mais d'après les explications on serait porté à croire que cette déclaration de principe n'est qu'une formule purement théorique et que la mission de la commission de

Saint-Bernard ne finira pas. On nous dit que nous avons des marchés sans nombre à exploiter; si la commission doit se porter sur tous ces marchés, je ne sais quand elle pourra finir sa mission. Il y a une espèce de contradiction dans les allégations de nos adversaires. D'un côté ils disent : La mission est temporaire; de l'autre, ils font entendre qu'elle peut être illimitée.

Je dois relever une erreur dans laquelle M. le ministre est tombé quand il a dit que l'industrie privée, pour arriver à ce degré de prospérité qu'on peut désirer, doit faire des progrès.

Messieurs, quant à la fabrication des russias, j'ai déjà eu l'honneur de le dire, c'est une erreur complète, et puisque l'on nous place sans cesse sur ce terrain, je dirai la vérité toute entière :c'est que, l'année dernière, une commission de la Flandre occidentale a été nommée pour examiner les opérations de Saint-Bernard : elle avait été appelée par le gouvernement, par M. le gouverneur de la province. Cet honorable administrateur croyait que l'industrie privée avait à puiser dans la prison de Saint-Bernard de grands enseignements, de grandes leçons. Quand MM. les membres de la commission, qui connaissaient parfaitement le crémage, le blanchiment et toutes les opérations préalables au tissage, furent arrivés à Saint-Bernard, grande fut leur surprise de voir l’état arriéré où se trouvait encore cet établissement industriel. Je le tiens d'un de ces commissaires lui-même. J'avoue que, plus tard, la commission de Saint-Bernard a fait de grands progrès, et qu'elle peut être placée aujourd'hui à peu près sur la même ligne que l'industrie privée. Il faut toutefois admettre ce principe que l'industrie privée est toujours plus éclairée que l'industrie d'un établissement public.

D'ailleurs, les exportations de l'industrie privée, en russias, dont le compte est mentionné dans le rapport de la section centrale, se sont élevées, en 1849, à 750 mille francs. Ces exportations, qui sont supérieures à celles qui ont été faites par la prison de Saint-Bernard, suffisent pour démontrer que l'industrie privée a pris un grand élan, qu'elle a perfectionné ses procédés, et qu'elle n'a plus de leçons à recevoir.

M. Loos. — Elle a eu 10 p. c. de prime.

M. de Haerne. - Puisque vous m'amenez à cette question, je répondrai à l'instant.

Oui, l'industrie privée jouit d'une prime. Mais je dois dire que cette prime n'est que l'équivalent de la différence entre le prix des fils anglais et belges. Notre industrie devait concourir, sur les marchés transatlantiques, avec l'Angleterre ; et, de l'aveu du ministère même, le fil anglais pour les russias est à dix pour cent meilleur marché que le fil du pays. S'il y a eu de telles primes, elles ont eu pour objet d'équilibrer les conditions de la production pour l'industrie belge et l'industrie anglaise, et rendre la lutte possible. L'industrie libre a prouvé, par ses exportations qu'elle peut soutenir cette lutte. La commission de la prison d'Anvers peut donc être sans souci à son égard.

Vous me direz que la commission de Saint-Bernard n'a pas reçu de primes. Je le sais. Mais elle n'en a pas eu besoin. C'eût été le gouvernement qui se serait donné des primes à lui-même.

Toute la question est de savoir si la commission de Saint-Bernard a opéré d'une manière fructueuse, si elle a opéré de manière à réaliser des bénéfices.

C'est une question sur laquelle je porterai tout à l'heure mes investigations.

En attendant, permettez-moi de rencontrer encore quelques objections; car je désire déblayer le terrain, avant de présenter mes observa-lions au fond et de tirer mes conclusions.

- Plusieurs membres. - A demain!

M. de Haerne. - Je suis disposé à continuer, si la chambre le désire; mais il me serait impossible de terminer aujourd'hui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois, dès maintenant, faire remarquer à l'honorable orateur que je n'ai pas présenté, de la situation des Flandres, le tableau le plus brillant. Je me suis borné à rapporter les faits, tels qu'ils ont été constatés de la part des administrations communales, et aussi au sein de la chambre de la part des représentants des Flandres.

M. de Haerne. - Bien entendu! Je me suis servi d'une expression impropre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai ajouté que tout n'était pas fini, qu'il fallait continuer ce que j'ai appelé des essais heureux.

M. de Haerne. - En effet, dans le rapport de M. le ministre de l'intérieur que j'ai cité, ce sont des pièces qui émanent des gouverneurs, des administrations communales. Ces pièces sont très flatteuses.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous le reconnaissez.

M. de Haerne. - Assurément; j'ai voulu en tirer certaines déductions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. le ministre de la justice a dit qu'il fallait continuer les efforts, pour maintenir les améliorations.

M. de Haerne. - Oui. Il s'agit de s'entendre sur l'application des moyens.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.